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Jean-Louis Harouel, l’influence des droits de l’homme sur l’immigration

Jean-Louis Harouel, l’influence des droits de l’homme sur l’immigration

Jean-Louis Harouel

Jean-Louis Harouel

Notre invité

Notre invité


Jean-Louis Harouel est professeur émérite à l’université Paris II Panthéon-Assas, agrégé des facultés de droit.

Il a publié de nombreux ouvrages dans des domaines aussi variés que l’histoire du droit, les droits de l’homme, le clivage gauche-droite, l’inégalité ou la peine de mort.


Les pouvoirs publics ont-ils réellement eu à quelque moment au cours cette période une vraie volonté politique de maîtriser le phénomène migratoire ? Il est permis d’en douter. Pour le reste, il est indiscutable que le développement des droits de l’homme a fonctionné comme une machine à produire une immigration incontrôlée.

   C’est une des conséquences de la transformation des droits de l’homme en une religion séculière, au sens que Raymond Aron donnait à ce terme, c’est-à-dire une doctrine qui prend la place des religions et situe ici bas le salut de l’humanité au moyen de l’instauration d’un ordre réputé parfait. François Furet fut le premier à observer que la religion séculière des droits de l’homme avait remplacé le communisme dans son rôle d’utopie censée instaurer le règne du bien. Dans la religion des droits de l’homme, la lutte des classes est remplacée par le combat contre les discriminations, mais au service du même objectif qui est l’émancipation de l’humanité. C’est toujours la même promesse de l’avenir radieux, avec cette différence que l’objectif n’est plus la suppression de la propriété mais la négation de toute espèce de différence entre les humains pour faire naître un monde nouveau entièrement cosmopolite et fondé exclusivement sur les droits des individus. Rien d’étonnant si le thème de la libre migration constitue un des grands axes des droits de l’homme tels qu’on les comprend aujourd’hui.

   Devant le caractère évidemment scandaleux de ce déni de justice, d’aucuns affectent de penser qu’il existe quand même parmi les droits de l’homme un droit à la sécurité, et invoquent pour cela l’article 2 de la déclaration du 26 août 1789, lequel dispose que les droits naturels et imprescriptibles de l’homme sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. On entend souvent affirmer que le droit à la sûreté ainsi proclamé en 1789 incluait un droit à la sécurité des personnes et des biens. Or, c’est inexact.

L’idéologie des droits de l’homme souffre d’un vice rédhibitoire : l’absence du droit à la sécurité. Or, si on décide qu’il y a des droits de l’homme, la sécurité devrait être le premier d’entre eux : sécurité de sa propre personne et de la personne des siens ; sécurité dans la possession de ses biens. Et pourtant, le droit à la sécurité est absent aussi bien de la déclaration de 1789 que des autres déclarations des droits.

   Illustre juriste ayant marqué la seconde moitié du siècle dernier, le doyen Georges Vedel soulignait que, dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le terme sûreté désignait la liberté au sens de Montesquieu, le fait de ne rien craindre de l’autorité et de pouvoir aller et venir librement : bref, la liberté individuelle. Et le professeur de droit public Jean Morange, un des principaux spécialistes actuels des droits de l’homme, confirme que la sûreté consistait à ne pas risquer de faire l’objet d’une poursuite, d’une détention ou d’une arrestation arbitraire. Cela n’a pratiquement rien à voir avec la reconnaissance d’un droit à la sécurité des personnes et des biens, refusé par l’idéologie des droits de l’homme. Si bien que, comme le constate le professeur de droit privé Patrice Jourdain, il n’existe pas, dans notre système juridique, de droit subjectif à la sécurité. Il n’est donc pas illogique que notre obéissance à l’idéologie des droits de l’homme nous conduise à recevoir ou à conserver sur le territoire national des étrangers qui constituent objectivement un danger pour la population.

Certes, mais à la condition de rompre avec la religion des droits de l’homme. Celle-ci fonde en effet une idéologie farouchement anti-nationale qui a radicalement changé le contenu de la démocratie. Dans cette version qui est aujourd’hui imposée comme seule valide dans les pays d’Europe occidentale, la démocratie est fondamentalement le culte de l’universel, l’obsession de l’ouverture à l’autre. On ainsi abandonné sans le dire le modèle classique de la démocratie libérale pour glisser vers une démocratie nouvelle manière qui se réclame d’un modèle postnational et multiethnique. Dans ce système, la souveraineté du peuple qui fonde traditionnellement la démocratie passe au second plan : elle est remplacée par le règne des dogmes de la religion des droits de l’homme, avec les juges en guise de prêtres omniscients et tout puissants. La religion des droits de l’homme fonde le gouvernement des juges et celui-ci renforce la religion des droits de l’homme. C’est une perversion de la démocratie : la démocratie droits-de-l’hommiste.

   En colonisant notre droit, la religion des droits de l’homme l’a profondément dénaturé. Ce phénomène de dénaturation du droit est très largement orchestré par la Cour européenne des droits de l’homme siégeant à Strasbourg (CEDH), qui raye d’un trait de plume une loi votée par un Parlement et se prétend compétente pour juger d’une disposition constitutionnelle, même adoptée par référendum. L’esprit de sa jurisprudence inspire les plus hautes juridictions françaises (Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de Cassation) et l’ensemble des tribunaux, donnant lieu à des décisions infirmant, interprétant ou contournant au besoin la loi pour donner gain de cause à l’étranger ou à la personne d’origine étrangère. De sorte que, sous l’effet d’un système juridique perverti, le droit se retourne contre le peuple dans l’intérêt duquel il a été institué. L’admission de tout individu présent sur le sol d’un pays, fût-ce de façon frauduleuse, à multiplier les revendications et actions en justice donne à cet individu une arme contre le peuple de ce pays. Et cette arme peut servir d’instrument à des groupes identitaires installés sur le territoire national, qui combattent la nation de l’intérieur afin de se substituer progressivement à elle. Affirmant que le flot illimité de l’immigration est inscrit dans le sens de l’histoire, la religion des droits de l’homme condamne sans le dire les Européens et leur civilisation à disparaître.

   Aussi bien le législateur et le pouvoir réglementaire ont-ils apporté leur contribution au règne de la religion des droits de l’homme. C’est par décret que fut institué en 1976 le regroupement familial à l’initiative du premier ministre Jacques Chirac : monumentale erreur que son successeur Raymond Barre a essayé de réparer, ce dont il fut empêché par le Conseil d’État. Et, à l’occasion de la réforme constitutionnelle de 2008, c’est la représentation nationale qui a offert un splendide cadeau au lobby immigrationniste en créant la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), qui permet à toute personne partie à un procès de contester la constitutionnalité d’une loi en vigueur. Surtout, la France s’est ligotée elle-même face aux étrangers présents sur son sol, légalement ou non, par tous les traités à portée humanitaire auxquels son gouvernement et son parlement l’on fait adhérer, depuis la Convention de Genève jusqu’à divers pactes onusiens en passant par la Convention européenne des droits de l’homme. Ces traités, et plus encore l’interprétation qu’en donnent les juges, ont grandement favorisé l’essor exponentiel des droits des étrangers. Sans compter que la liberté d’action du législateur et du gouvernement français se trouve bridée par les directives communautaires dont les dispositions ont même valeur qu’une obligation constitutionnelle, et qui font trop souvent passer la distribution de droits et garanties aux immigrés avant les impératifs de la sécurité nationale et la légitime nécessité de contrôler l’immigration. Il ne sera pas possible d’essayer de ramener les droits des étrangers à des proportions raisonnables sans une remise en cause au moins partielle ou temporaire de l’adhésion de la France à ces traités, ni sans une modification du droit européen.

C’est une contre-vérité. La France est un vieux socle humain plurimillénaire. Les recherches de démographie historique ont montré que, jusqu’au milieu du XIXe siècle, la population française était presque exclusivement issue d’une très vieille présence celtique sur ce sol, intégrée par la conquête à la civilisation romaine, et à laquelle s’étaient mêlés les apports numériquement faibles de peuples conquérants : Francs, Burgondes, Wisigoths, sans oublier des Vikings en Normandie. Cela mis à part, la France fut la succession sur la même terre d’une longue suite de générations se perdant dans la nuit des temps. C’est de ce très vieux socle humain qu’étaient nés les millions de paysans français qui sont allés mourir dans les tranchées de la Première Guerre mondiale.

   Surpeuplée sous l’Ancien Régime, la France était de loin le pays le plus peuplé et le plus dense d’Europe. En état d’extrême pression démographique, plein d’hommes à ne savoir qu’en faire, notre pays était alors une terre d’émigration et non d’immigration. Celle-ci était infime et concernait surtout des étrangers de rang social élevé, des artistes, des savants, ou des professionnels apportant des techniques novatrices. La royauté les naturalisait volontiers mais, avant l’enregistrement de leurs lettres de naturalité, la Chambre des comptes vérifiait que les nouveaux venus possédaient des ressources suffisantes et étaient gens de bonne vie et mœurs.  

   Ce n’est qu’à partir du milieu du XIXe siècle que, du fait d’une baisse volontaire de la fécondité intervenue plus tôt que partout ailleurs, la France est devenue une terre d’immigration. Elle a d’abord accueilli surtout des Belges et des Italiens, puis dans la première moitié du XXe siècle des Polonais, suivis par des Espagnols et des Portugais. Il fut exigé de tous ces nouveaux venus une adhésion complète et sans réserve à l’identité française, au modèle français. Ce fut facilité par le fait que ces immigrés étaient issus de pays européens et de civilisation chrétienne, si bien que  leur assimilation s’effectuait en une génération, et même parfois plus vite.

   En revanche, cette exigence d’assimilation a été abandonnée concernant l’immigration extra-européenne et très largement musulmane qui a pris le relais. Cela aurait d’ailleurs été difficile car cette immigration était porteuse d’une civilisation antagoniste de la civilisation européenne, et de plus beaucoup trop nombreuse pour que puisse bien s’opérer le classique processus d’adhésion à l’identité française. De toute manière, on n’a même pas essayé. Les différents gouvernements qui se sont succédés depuis un demi-siècle ont tiré fierté de leur répudiation du principe de l’assimilation des immigrés, au point que le terme est devenu politiquement incorrect.

En fait, il s’agit plutôt de revenir à une vraie séparation des pouvoirs, qui a été mise à mal par le gouvernement des juges. Il s’agit de rompre avec un système qui permet au juge d’exercer une domination sur le législateur en l’obligeant à changer la loi, voire, s’agissant de la CEDH, une domination sur le pouvoir constituant en censurant une disposition constitutionnelle. Le tout au nom des droits de l’homme.

   Indispensable à une maîtrise du phénomène migratoire, le rétablissement d’une vraie séparation des pouvoirs passe par une nécessaire révision de la constitution, d’une part pour éliminer les entraves à l’action gouvernementale envers les étrangers résultant des interprétations du Conseil constitutionnel, et d’autre part pour abolir le système de la question prioritaire de constitutionnalité. Et s’agissant de la Cour européenne des droits de l’homme, la France pourrait avantageusement revenir à la situation d’avant 1981, où elle avait émis une réserve écartant la possibilité d’une saisine directe de la cour de Strasbourg par des recours individuels. En rétablissant ainsi la séparation des pouvoirs, on rétablira du même coup la démocratie représentative fondée sur la souveraineté populaire, aujourd’hui largement supplantée par la démocratie des droits individuels incarnée par la haute magistrature, tant nationale que supranationale.

   Si on veut vraiment maîtriser l’immigration, il faudra nécessairement marquer une nette différence entre d’une part le nouveau venu qui prétend s’incruster et d’autre part la population du pays. Il faudra bien que la France cesse de se comporter comme le bureau d’aide sociale et médicale de l’univers. Il faudra bien se résoudre à changer la constitution, la législation et la réglementation, pour faire en sorte qu’il n’existe plus aucun avantage matériel à pénétrer ou rester de manière illégale sur le sol français. Il faudra bien se décider à rétablir la discrimination juste par excellence dans la logique de la cité, celle que l’on fait entre le citoyen et le non citoyen, entre les nationaux et les étrangers. Et, pour cela, il va falloir libérer le peuple souverain, ses représentants et son gouvernement de la mortelle paralysie que lui infligent les juridictions suprêmes.