L'acquisition de la nationalité française

France Flag Fingerprint Country - Kurious / Pixabay
L'essentiel :
  • Plus de 100 000 personnes acquièrent la nationalité française chaque année

  • Trois principaux moyens existent pour cela : la naturalisation par décret, la présence sur le territoire à la majorité (après être né en France), le mariage avec un Français

  • L’actuel droit de la nationalité n’est pas le résultat de principes républicains intangibles, mais d’une succession de choix historiques contingents

  • Ce droit pose de multiples difficultés : la nationalité peut notamment être accordée à des individus sans lien direct avec la France, ou au degré d’allégeance incertain

  • La tendance européenne est au resserrement des voies d’accès à la nationalité

1. Il existe trois voies d’acquisition de la nationalité française, relativement aisées, qui résultent d’une histoire juridique contrastée et fluctuante

1.1. Le droit contemporain est le fruit de dispositions prises entre la Révolution et la IIIe République, guidées par les contingences plutôt que des principes absolus

1789 affirme la souveraineté nationale comme fondement de la société nouvelle, ouvrant la question de ses détenteurs - la nationalité étant « l’appartenance juridique et politique d’une personne à la population constitutive d’un État[1] » (P. Lagarde).

Le Code civil de 1804 pose le principe de la filiation paternelle : est français l’enfant né d’un père français dans le cadre du mariage. La France napoléonienne invente ainsi le « droit du sang » dans sa forme moderne : « la nationalité est désormais un attribut de la personne, elle se transmet comme le nom de famille (...) elle est attribuée une fois pour toutes à la naissance, et ne dépend plus de la résidence sur le territoire de la France. »[2]

Ce principe traverse tous les régimes du XIXe siècle, jusqu’à l’arrivée des premiers immigrés européens. En 1851 est instauré un « double droit du sol » : est Français à la naissance tout individu né en France d’un père étranger qui y est né lui-même.

Une étape est ensuite franchie avec la loi du 26 juin 1889, qui dispose que sont français les jeunes étrangers nés en France et qui, à l’époque de leur majorité, sont domiciliés en France. Après la défaite de 1870 et dans un contexte de menace extérieure, il importe que les enfants nés d’un père étranger ne soient pas soustraits aux obligations militaires.

La loi du 10 août 1927 attribue la nationalité dès la naissance aux enfants nés d’une mère française et d’un père étranger. Elle facilite également les naturalisations, néanmoins associées à de stricts critères d’assimilation. 

1.2. Lorsqu’elle n’est pas possédée originellement, la nationalité s’acquiert par le mariage avec un Français, la situation à la majorité ou la naturalisation

Hors des cas où un individu est réputé français dès sa naissance - en raison de sa filiation, du « double droit du sol » ou de son apatridie -, plus de 100 000 personnes acquièrent la nationalité française chaque année. Cette obtention résulte de trois principaux canaux juridiques.

  1. Un enfant né en France de parents étrangers dont aucun n’est lui-même né en France, devient français à sa majorité s’il réside alors en France et s’il y a eu « sa résidence habituelle pendant une période continue ou discontinue d'au moins cinq ans, depuis l'âge de onze ans »[3] (~ 30 000 en 2018).
  2. Le conjoint étranger d’un Français acquiert la nationalité française par simple déclaration après quatre ans de mariage et de vie commune, sous la seule condition d’une connaissance orale suffisante de la langue française[4] (~ 22 000 en 2018).
  3. Un étranger qui réside en France depuis cinq ans au moins et qui « justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française et des droits et devoirs conférés par la nationalité française » peut obtenir la nationalité française par décret de naturalisation[5] (~ 55 000 en 2018).

D’autres voies plus rares existent: des modalités facilitées d’obtention sont notamment prévues pour les ascendants, frères ou soeurs de Français, ainsi que pour les étrangers engagés dans les armées françaises et blessés au combat.

Il convient de distinguer les naturalisations (cas n°3) : elles ne relèvent pas d’une mesure de plein droit ou d’un régime déclaratif, mais d’une décision libre relevant du pouvoir régalien de l’État, matérialisée par un décret du Premier ministre. Celui-ci peut donc refuser une demande quand bien même l'intéressé remplit les conditions de recevabilité. Le nombre de naturalisations est aujourd'hui supérieur de 47% à ce qu’il fut dans les années suivant la loi libérale de 1927 (environ 38 000 / an jusqu’en 1938). Depuis la loi du 22 juillet 1993, le gouvernement doit motiver toute décision de refus - ouvrant un mince espace d’intervention au juge administratif[6].

Même pour les cas présentés comme « de plein droit », certaines condamnations pénales empêchent l’acquisition de la nationalité : il s’agit des peines égales ou supérieures à six mois d'emprisonnement ferme, des condamnations pour crimes et délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou des actes de terrorisme. Dans les situations de mariage avec un Français (cas n°2), le Premier ministre peut s’opposer à l’acquisition par un décret en Conseil d’État, en raison d’un « défaut d’assimilation » (ex : refus de serrer la main des femmes[7]) ou de l’« indignité » du pétitionnaire.

2. L’important volume des acquisitions de la nationalité française (environ 100 000 par an) pose question, alors que la tendance européenne est plutôt à la restriction des accès

2.1. L’ampleur des nombres suggère une attention particulière aux difficultés nées d’une large distribution de la nationalité

Les actuelles procédures génèrent des obtentions de la nationalité par capillarité : lorsqu’un parent acquiert la nationalité française, ses enfants mineurs non-mariés deviennent français de plein droit s’ils résident avec l’acquérant (habituellement ou de façon alternée) et que leur nom est déclaré[8]. Cette réalité pose notamment question dans les cas d’acquisition par mariage avec un ressortissant français à l’étranger : la nationalité est accordée à des personnes potentiellement dépourvues de tout lien avec la France. Des démarches facilitées sont aussi prévues pour les frères et soeurs de l’acquérant.

L’état actuel du droit tolère les situations de double nationalité sans les prévoir explicitement ; celles-ci résultent d’une absence d’obligation faite à l’acquérant de choisir entre ses multiples nationalités. Ces cas de figure soulèvent l’enjeu de l’allégeance des nouveaux Français, qu’il s’agisse des multiples droits de vote ou des impératifs du service national, étant donné que « la personne qui a acquis la nationalité française jouit de tous les droits et est tenue à toutes les obligations attachées à la qualité de Français, à dater du jour de cette acquisition[9] ». Depuis 2011, l’acquérant est tenu de déclarer à l’autorité compétente les nationalités qu’il possède déjà, celles qu’il conserve et celles auxquelles il entend renoncer[10].

Plus de la moitié des acquisitions de nationalité française relèvent aujourd’hui de la naturalisation, procédure régalienne sur laquelle l’État dispose d’une large marge de manoeuvre. Sa pratique des dernières décennies a tendu vers un assouplissement de la compréhension des critères, particulièrement lorsqu’il s’agit d’objectiver « l’assimilation à la communauté française » - objet d’un entretien préfectoral. En témoigne le recul de la francisation des prénoms chez les naturalisés[11] : de 25% dans les années 1960 à 13,7% en 1994 et 4% en 2014 (entre 1,2% pour les Maliens, 1,6% pour les Maghrébins et 25% pour les Vietnamiens)[12]. Une circulaire impose même de préciser au postulant que son éventuelle demande de francisation « n'a, bien entendu, pas d'incidence sur la décision prise »[13].

Concernant le « droit du sol » - deuxième mode d’accès le plus courant - la loi du 22 juillet 1993 instituait l’obligation, pour les jeunes étrangers nés et résidant en France, d’effectuer une « manifestation de volonté » entre 16 et 21 ans afin d’obtenir la nationalité française. Cette disposition a été supprimée par la loi du 18 mars 1998, qui rétablit le principe d’une acquisition de plein droit.

L’acquisition par mariage, identifiée comme fraudogène, a fait l’objet d’un renforcement des critères relatifs à la communauté de vie : la durée minimale exigée a été relevée plusieurs fois, jusqu’à 4 ans aujourd’hui[14].

2.2. La tendance européenne est plutôt à la restriction des voies d’accès, que la France a déjà engagée localement à Mayotte

L'article 17 du Code civil rappelle que « la nationalité est attribuée, s'acquiert ou se perd [...] sous la réserve de l'application des traités et autres engagements internationaux de la France ». Ces traités sont rares en matière de nationalité. La Convention européenne des droits de l’homme veille au respect de la « vie privée et familiale[15] » et à l’absence de discrimination[16], mais la jurisprudence a établi que ces principes ne s’appliquent pas aux procédures de naturalisation[17]. Le droit de l’Union européenne n’impose aucun régime particulier aux États membres pour l’octroi de leur nationalité (et de la « citoyenneté européenne » par la même occasion).

Cette souveraineté conservée explique la diversité des législations applicables en Europe. Si l’Allemagne a délaissé le « droit du sang » exclusif pour intégrer des éléments de « droit du sol » en 2000, on constate cependant depuis quinze ans une tendance générale au renforcement des exigences. Un pays historiquement attaché au droit du sol comme l’Irlande l’a restreint par référendum en 2004. Le Danemark n’octroie sa nationalité aux enfants étrangers nés sur son territoire que s’ils y ont vécu durant leurs 19 premières années. Face à une vive opposition politique, le gouvernement italien a retiré en 2017 un projet de loi qui prévoyait d’instaurer une première forme de droit du sol. En Espagne, la double nationalité est strictement limitée à certains États ayant ratifié un traité spécial.

La France a récemment fait un premier pas vers des restrictions, dans le cas spécifique de Mayotte. Pour un enfant né de parents étrangers dans ce département, la condition qu’au moins un de ses deux parents y ait été en situation régulière et ininterrompue pendant 3 mois s’ajoute aux exigences communes relatives à la durée de résidence en France avant sa majorité[18]. Cette disposition est issue de l’amendement d’un sénateur mahorais, faisant écho aux préoccupations locales quant au détournement fréquent de cette voie d’acquisition par des ressortissants des Comores voisines.

Pour aller plus loin :
  • Paul LAGARDE, La nationalité française, Dalloz, 2011, 454 p.

  • Patrick WEIL, Qu’est ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Grasset, 2002, 403 p.

  1. Paul LAGARDE, La nationalité française, Dalloz, 2011, 454 p.

  2. Patrick WEIL, Qu’est ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Grasset, 2002, 403 p.

  3. Article 21-7 du Code civil

  4. Articles 21-1 à 21-6 du Code civil

  5. Articles 21-14-1 à 21-25-1 du Code civil

  6. CE 28 avril 2014, n° 372679

  7. CE, 11 avr. 2018, n° 412462

  8. Article 22-1 du Code civil

  9. Article 22 du Code civil

  10. Article 21-27-1 du Code civil

  11. Cf loi n°72-964 du 25 janvier 1972 + liste des prénoms français sur le site de la Préfecture du Gard : www.gard.gouv.fr/content/download/8116/45254/file/Liste%20des%20prénoms%20français.pdf

  12. Source Ministère de l’Intérieur, citée par L’Express : https://www.lexpress.fr/actualite/societe/prenoms-les-vietnamiens-champions-de-la-francisation_1705487.html / https://www.lexpress.fr/informations/changer-de-nom-non_675929.html

  13. Circulaire n°2000-254 du 12 mai 2000 relative aux naturalisations, réintégrations dans la nationalité française et perte de la nationalité française

  14. Loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration

  15. Article 8 CEDH

  16. Article 14 CEDH

  17. CAA Nantes, 2e ch., 28 févr. 2014, n° 13NT02250 et Cass. 1re civ., 20 avr. 2017, n° 16-50.027

  18. Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018

  19. Ministère de l’Intérieur, « L’essentiel de l’immigration - L’accès à la nationalité française », 15/01/2019 : https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Statistiques/Essentiel-de-l-immigration/Chiffres-cles

ANNEXE

Nombre d’acquisitions de la nationalité française et répartition par voie d’accès[19]

 

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Définitif

A-Par décret (y.c. effets collectifs)

52 207

57 610

61 564

68 067

65 654

55 830

B-Par déclaration

(y.c. effets collectifs)

42 989

45 999

50 314

49 017

46 672

52 350

-Par mariage

17 513

19 725

25 044

20 702

17 476

21 000

- Par ascendants et fratries

 

 

 

6

544

948

-Déclarations anticipées (13-17 ans)

24 099

25 043

24 159

27 100

27 501

29 340

-Autres déclarations

1 377

1 231

1 111

1 209

1 151

1 062

Acquisitions enregistrées (A+B)

95 196

103 609

111 878

117 084

112 326

108 180