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Michèle Tribalat – Comprendre l’évolution de la fécondité à partir de l’exemple des pays nordiques

Michèle Tribalat – Comprendre l’évolution de la fécondité à partir de l’exemple des pays nordiques

Résumé

En 2010, la France affichait une fécondité qui se situait dans le haut du tableau en Europe (2,03 enfants par femme), proche de celle de l’Irlande (2,05) et un peu inférieure à celle de l’Islande (2,20). Quelques pays du nord de l’Europe connaissaient une fécondité proche de ou supérieure à 1,90, dont les pays nordiques (avec un maximum de 1,98 en Suède). Dans ces pays, la fécondité a fortement baissé. En France aussi où elle lui reste encore un peu supérieure : 1,68 en 2023 contre 1,59 en Islande, mais seulement 1,26 en Finlande qui flirte désormais avec le niveau connu en Italie (1,20 en 2023) ou en Espagne (1,16 en 2022)

La plupart du temps, les commentaires se focalisent sur des causes susceptibles d’expliquer les évolutions de la fécondité – niveau de vie, rareté des logements, conciliation entre activité professionnelle et contraintes familiales, politique familiale, anticipations pessimistes, par exemple sur l’évolution climatique… – sans envisager les raisons techniques liées à ce qu’est un indicateur conjoncturel de fécondité (ICF), improprement appelé,  dans le langage commun, « taux de fécondité ». Il me semble que cela tient à une incompréhension assez générale de ce qu’est réellement cet indicateur et de ce qu’il peut ou ne peut pas dire.

J’aimerais donc, ici, contribuer à une meilleure compréhension de cet indicateur à travers l’exemple des pays nordiques dont la fécondité a connu, en cinquante ans, des fluctuations importantes.

L’ICF doit être distingué d’un taux de fécondité.

Le taux global de fécondité rapporte l’ensemble des naissances aux femmes en âge d’avoir des enfants, généralement âgées de 15-49 ans. Il est, par exemple, de 4,45 % en Suède en 2023. Un taux s’exprime en pourcentage, en pour mille…

Au contraire, l’indicateur conjoncturel de fécondité additionne les taux de fécondité par âge calculés dans une année et s’exprime en nombre d’enfants par femme : 1,45 enfant par femme en 2023 en Suède par exemple. Une somme de taux n’est pas un taux.

Chaque femme, appartient, en fonction de son âge à une génération particulière. Faute de pouvoir cumuler les taux de fécondité à chaque âge dans une génération, sauf pour celles qui sont à la fin de leur vie féconde, les démographes ont transposé ce calcul dans l’année. L’adjectif « conjoncturel » est donc là pour signifier qu’il s’agit d’un calcul dans l’année et non dans une génération. Les démographes disent que l’ICF est une mesure de la fécondité d’une génération fictive connaissant les conditions de l’année.

Ainsi le taux de fécondité à 20 ans en 2023 est celui de femmes nées en 2003, le taux à 30 ans celui de femmes nées en 1993, le taux à 40 ans celui de femmes nées en 1983… L’indicateur conjoncturel de fécondité est ainsi très fortement conditionné par le calendrier de fécondité des femmes des générations successives. Supposons que les générations x aient eu leurs enfants de bonne heure et que les femmes des générations suivantes, appelons les y, aient eu ensuite leurs enfants de plus en plus tard. L’ICF se trouvera affaibli aux jeunes âges correspondant aux générations y tandis que la fécondité aux âges plus élevés restera encore faible car relevant de générations passées qui ont eu leurs enfants alors qu’elles étaient jeunes. Mais l’ICF pourra finir par remonter lorsque la fécondité aux âges élevés transcrira l’allongement de l’âge des femmes à la naissance des enfants. L’ICF peut ainsi fluctuer à la hausse ou à la baisse en raison des changements de l’âge auquel les femmes mettent au monde leurs enfants. La courbe de l’ICF peut ainsi afficher successivement des creux et des bosses qu’il serait un peu vain de chercher à expliquer par des événements particuliers.

Ce graphique retrace l’évolution de l’indicateur conjoncturel de fécondité dans les pays nordiques de 1970 à 2023. On constate aisément qu’en un peu plus de 50 ans, il a connu des hauts et des bas. Pour l’Islande, la Norvège et le Danemark, le plus haut fut atteint au début des années 1970 (respectivement 3,09, 2,50 et 2,04 enfants par femme), pour la Finlande en 2010 (1,87) et pour la Suède en 1990 (2,14). Le plus bas se situe en fin de période, sauf pour le Danemark qui avait connu une fécondité plus basse en 1983 (1,38).

Évolution du nombre d’enfants par femme (ICF) de 1970 à 2023 dans les pays nordiques (2022 seulement pour l’Islande).

Source : Eurostat et instituts statistiques nationaux.

C’est la décomposition par groupe d’âges qu’il faut regarder pour comprendre les fluctuations au fil du temps, comme nous allons l’illustrer avec la Suède.

Contribution de chaque groupe d’âges à l’indicateur conjoncturel de fécondité en Suède de 1970 à 2022. L’année 2023 n’est pas encore disponible à Eurostat.
Source : Eurostat.

Ainsi, la baisse de l’ICF jusqu’en 1978 est principalement due à celle de la fécondité avant 25 ans. Cette baisse est suivie d’un plateau entre 1978 et 1983, lié principalement à la hausse de la fécondité après 30 ans. Dans les années qui suivent, jusqu’en 1990, la fécondité augmente dans tous les groupes d’âge. Suit une chute fortement impulsée par celle de la fécondité avant 30 ans qui dure tout au long des années 1990. Lors de la décennie suivante, l’allongement de l’âge à la maternité se fait sentir, avec une forte remontée de la fécondité après 30 ans, alors que celle avant cet âge connaît une faible progression. Après 2010, le groupe d’âges 30-34 ans se joint à la chute qui se poursuit dans les âges plus jeunes. La fécondité à 35-39 ans connaît même un léger recul. La fécondité à 40 ans ou plus, qui a progressé, reste beaucoup trop faible pour compenser le déclin constaté avant cet âge. La fécondité avant 25 ans, qui dominait au début des années 1960, semble en passe de la rejoindre. C’est le groupe d’âges 30-34 ans qui, depuis 2001 contribue le plus à l’indicateur de fécondité conjoncturel.

La fécondité avant 30 ans, qui a représenté jusqu’à 75% de l’ICF dans les années 1973-1976, n’a cessé de baisser ensuite pour n’en représenter plus que 39 % en 2022. Ce vieillissement de l’âge auquel les femmes suédoises ont eu leurs enfants est particulièrement frappant sur le graphique ci-dessous. Il se retrouve pour tous les pays nordiques à des degrés divers.

L’évolution de l’âge à la naissance du 1er enfant en témoigne. Notamment en Norvège où les femmes qui avaient eu leur 1er enfant à 23,2 ans en moyenne en 1970 l’ont eu à 30,2 ans en 2022. En Islande cet âge est passé de 21,3 ans à 28,9 sur la même période.

Évolution du cumul des fécondités partielles par groupe d’âges en Suède de 1970 à 2022. L’année 2023 n’est pas encore disponible à Eurostat
Source : Eurostat.

En France, on invoque souvent les mesures de restriction de la politique familiale prise par François Hollande en 2014 pour expliquer la baisse récente de la fécondité qui, en fait, a commencé un peu plus tôt, le point le plus haut étant 2010. Que dire de la baisse de fécondité qui démarre à peu près en même temps dans les pays nordiques enviés pour l’accompagnement des familles ? C’est le cas en Finlande où, par exemple, l’allocation pour congé parental (à partager entre les parents) de 26 semaines atteignait, en 2016, 70 % du revenu mensuel, avec un minimum de 593 euros par mois1. Sans parler du dispositif de soin et de garde très élaboré. Cela n’a pas empêché la fécondité finlandaise de flirter avec le niveau de la fécondité espagnole et italienne.

  1. https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/2158244019885389#:~:text=Approximately%2030%25%20of%20fathers%20had,around%2020%25%20of%20the%20fathers ↩︎