Régularisation des travailleurs clandestins : où en est l'opinion ?

18 septembre 2023

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Dans une tribune transpartisane réunissant des écologistes, des socialistes, des communistes et, plus surprenant, des partisans du Modem et de Renaissance, plusieurs députés appellent entre autres à la régularisation des travailleurs clandestins pour les métiers en tension, proposition intégrée dans le projet de loi immigration. Sur quoi repose cette alliance rare entre groupes pourtant régulièrement opposés ? Une analyse de l’opinion publique sur les questions d’immigration permet d’apporter quelques réponses.

L’immigration n’est à première vue pas la principale priorité des Français

En cette rentrée, les Français semblent plus préoccupés par l’inflation, la santé ou l’éducation que par l’immigration. Les différents baromètres publiés dernièrement montrent que la lutte contre l’immigration clandestine ne fait pas partie des premières priorités des Français (Ifop, 55 % la jugent “tout à fait prioritaire”, 10e rang)[1], de même que l’immigration en général (Elabe[2], 25 % jugent cet enjeu prioritaire dans l’action d’Emmanuel Macron, 5e rang). Cet enjeu progresse toutefois dans les préoccupations des Français et peut être lié à l’enjeu sécuritaire en forte hausse lui (2e enjeu prioritaire dans le baromètre Elabe, en hausse de 9 points par rapport à avril dernier, à 35 %). En effet, 66 % des Français jugent que l’immigration joue un rôle négatif en matière sécuritaire[3].

Figure n°1 : Priorités d’action dans les prochains mois selon les Français, Elabe pour BFM TV, août 2023

Les Français portent toutefois un regard très critique sur cette question

Si les Français ont tendance à d’abord penser à leur fin de mois qu’à l’impact de l’immigration sur leur vie ou l’avenir de la France, on ne peut ignorer le regard pour le moins critique qu’ils portent sur l’immigration.

En mai 2023[4], 69 % se déclaraient préoccupés par l’immigration. Un mois plus tard[5], 65 % jugeaient même que “Notre pays compte déjà beaucoup d’étrangers et accueillir des immigrés supplémentaires n’est pas souhaitable” et 61 % que “Nous ne pouvons pas accueillir plus de migrants car nos valeurs sont trop différentes et cela pose des problèmes de cohabitation”, dont près d’un tiers sont même “tout à fait” d’accord avec ces deux affirmations, ne laissant aucun doute sur les restrictions souhaitées par les Français en matière d’immigration. Pour s’en convaincre, une étude de 2018[6] interrogeait les Français sur l’impact de l’immigration dans différents domaines : pas un seul des dix domaines évalués ne révèle une influence positive de l’immigration, au contraire, 66 % des répondants jugeaient qu’elle avait une influence négative en matière de sécurité, 64 % en matière de comptes publics et de cohésion au sein de la société, 61 % en matière de laïcité et même 54 % en matière économique.

Figure n°2 : Adhésion au caractère négatif de l’immigration dans différents domaines, Ifop pour le Journal du Dimanche, AJC et la Fondation Jean Jaurès, novembre 2018

On sait que la droite souhaite réduire l’immigration, mais où se place Renaissance sur ce sujet ?

Les électeurs et sympathisants Les Républicains, Rassemblement national et Reconquête (près de 40 % des voix à l'élection présidentielle de 2022) se retrouvent très largement sur leur vision critique de l’immigration. On relèvera tout de même une forme de division des Républicains sur la question de l’accueil des réfugiés (56 % jugeant que c’est le devoir de la France de les accueillir en cas de conflit). Au-delà de ce point de dilemme moral, les choses sont entendues : la droite s’oppose à la politique migratoire actuelle.

Figure n°3 : Adhésion à différentes affirmations concernant l’immigration, Ifop-Fiducial pour Sud Radio, juin 2023

Le cas des électeurs Renaissance et d’Emmanuel Macron se révèle plus complexe, et explique les divisions internes de ce large mouvement centriste entre un électorat du centre et un électorat plutôt de droite.

En effet, si l’électorat “macroniste” se retrouve avec la gauche sur l’aspect moral des flux migratoires (81 % jugeant que c’est le devoir de la France de les accueillir en cas de conflit, 60 % que l’immigration est une chance pour la France), il a plutôt tendance à se ranger à droite dans une conception utilitariste et économique de l’immigration, 77 % estimant qu’il faudrait mettre en place en France une immigration choisie en fonction des besoins économiques.

Sur la question identitaire, 59 % des “macronistes” pensent que l’immigration joue un rôle plutôt négatif en matière de sécurité, 57 % en matière de laïcité et de cohésion de la laïcité, 45 % en matière d’identité.

Mais l’aspect intéressant de l’électorat macroniste se trouve dans sa division nette sur le bilan tiré de l’immigration : 54 % reconnaissent que l’immigration économique permet au patronat de baisser les salaires, 48 % que notre pays compte déjà beaucoup d’étrangers et qu'accueillir des immigrés supplémentaires n’est pas souhaitable et 50 % que l’immigration rapporte plus à la France qu’elle ne lui coûte. Une part non négligeable de l’électorat macroniste aurait donc tendance à ne pas suivre la gauche dans sa volonté de continuer à accueillir des immigrés.

L’initiative d’une partie des élus de la majorité s’inscrit dans une tentative de ralliement de la gauche sur un sujet d’apparence consensuel entre les deux, en effet 83 % des Renaissance, 87 % des EELV, 81 % des LFI et 68 % des PS étaient favorables en mai dernier à la régularisation des travailleurs clandestins qui exercent un métier en tension. Mais cela omet qu’une partie de l’électorat macroniste est divisée sur l’apport économique de l’immigration et sur la question de savoir s’il faut accueillir plus d’immigrés. Une majorité de ce même électorat se range clairement à droite lorsqu’il s’agit de juger des effets négatifs de l’immigration en matière identitaire.

Une gauche pas tout à fait unanime sur la question migratoire

La division de la gauche sur les questions migratoires est plus étonnante et interroge dans le cadre de cette initiative où la France Insoumise se tient à distance. En effet, l’électorat de gauche adopte une attitude plutôt positive vis-à-vis de l’immigration, bien que reconnaissant une partie les problèmes qu’elle pose. A titre d’exemple, une majorité de celui-ci reconnaît que l’immigration économique permet au patronat de tirer les salaires vers le bas (81 % des LFI, 80 % des PS et 69 % des EELV) mais seule une minorité - importante certes - juge que notre pays compte déjà beaucoup d’étrangers et qu’accueillir des immigrés supplémentaires n’est pas souhaitable (36 % des LFI, 42 % des PS et 40 % des EELV).

La véritable division repose sur l’idée d’une immigration choisie, dont la proposition transpartisane en est une illustration en régularisant les seules travailleurs des secteurs en tension, rejetée par une majorité de sympathisants LFI (40 %) mais soutenue par une majorité de PS (68 %) et divisant les écologistes (44 % d’accord contre 56 % pas d’accord).

On le voit, au sein de la gauche, l’électorat socialiste se singularise, sans doute en raison de sa sociologie[7] (plus masculin, plus âgé, plus provincial, plus rural et surtout plus “macroniste” lors du second tour des élections), par son positionnement plus proche de Renaissance sur les questions d’immigration, notamment en matière d’intégration (volonté de réduire l’accès au regroupement familial, accès plus limité à l’AME, soutien aux mesures de défense de la laïcité face à l'Islam).

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En matière d’immigration, l’électorat “macroniste” se révèle donc très divisé, permettant d’envisager une alliance de circonstance avec la gauche sur certains points (régularisation des clandestins) et avec la droite sur d’autres (étrangers criminels, intégration). Toutefois, ce rôle pivot ne doit pas faire oublier les fortes critiques exprimées par une majorité de Français, de droite comme de gauche, vis-à-vis de la politique d’immigration actuelle (consulter notre article consacré à ce sujet pour aller plus loin).

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  1. https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2023/08/119689-Rapport-SR-N233.pdf
  2. https://elabe.fr/wp-content/uploads/2023/08/20230830_elabe_bfmtv_letat-desprit-des-francais-et-la-rentree-politique.pdf
  3. https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2018/12/115985-Rapport-03.12.2018-COMPLET.pdf
  4. https://www.bva.fr/sondages/observatoire-de-politique-nationale-bva-rtl-mai-2023/
  5. https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2023/06/119689-Rapport-SR-N229.pdf
  6. https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2018/12/115985-Rapport-03.12.2018-COMPLET.pdf
  7. https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2022/04/118997-Rapport-JDV-PRE22-T1-DET-11.04-1.pdf