Table des matières
L’essentiel
Par des arrêts de section rendus le 13 mai 2024, le Conseil d’Etat a jugé qu’une collectivité territoriale pouvait légalement apporter son soutien financier à SOS Méditerranée France, association créée le 9 mai 2015, membre d’un réseau européen regroupant des structures identiques établies en Allemagne, en Italie et en Suisse, et que ladite association menait une action internationale à caractère humanitaire, et non une action de nature politique.
Ces décisions doivent conduire à s’interroger sur le rôle des différentes institutions dans le processus graduel qui a ainsi débouché sur une telle décision dont la portée potentielle est importante, dans la mesure où elle contribue à réduire les frontières entre, d’une part, l’action internationale humanitaire, susceptible d’être menée par les collectivités territoriales, et la conduite des relations extérieures, monopole de l’Etat, et d’autre part, entre des actions à caractère humanitaire et de nature politique.
Introduction
Dans un arrêt du 13 mai 2024, le Conseil d’Etat a décidé de conforter la décision de la ville de Paris qui avait attribué à l’association SOS Méditerranée France une subvention de 100 000 euros en 2019 pour un programme de sauvetage en mer. Selon lui, bien que cette association s’immisce dans un débat politique, une distinction doit être opérée entre les activités de sauvetage, que les collectivités locales peuvent soutenir, et les activités de nature politique, qui ne peuvent faire l’objet d’un quelconque soutien.
Or, une telle distinction opérée par le juge administratif est contestable, au sens où ces associations ne se contentent pas de « secourir » des personnes en mer, mais de les faire débarquer ensuite en Europe, en totale contradiction avec le droit français et le droit européen, participant à la progression de l’immigration clandestine dans les pays de l’UE.
Néanmoins, c’est le législateur qui a, en quelques décennies, permis aux collectivités locales de conduire une action extérieure (en matière d’action de coopération, d’aide au développement et d’action humanitaire) avec des conditions toujours plus assouplies, et donc de marcher sur les plates-bandes de l’Etat en la matière.
Plus largement, l’immigration est de plus en plus un enjeu idéologique majeur pour les collectivités locales, de la défense du droit de vote des étrangers dans certaines municipalités de banlieue au soutien à l’immigration libre dans les métropoles, quand celles-ci ne défient pas ouvertement l’autorité de l’Etat.
Il conviendrait donc de restreindre les capacités d’action extérieure des collectivités locales, pour n’autoriser celles-ci que dans le strict cadre de leurs compétences. Par ailleurs, il serait utile de se pencher sur l’ensemble des subventions accordées aux associations de défense de l’immigration qui sont financées par l’Etat, soit 736 millions d’euros pour 2023, qui leur permettent notamment en retour de former de multiples recours contre les décisions d’éloignement des étrangers.
1 – Face à une jurisprudence initialement restrictive, le législateur a étendu progressivement le champ d’intervention des collectivités territoriales en matière d’action d’extérieure.
1.1 Le juge administratif définissait strictement les critères permettant à une collectivité locale de soutenir toute personne morale de droit privé.
L’article 61 de la loi du 5 avril 1884 sur l’organisation municipale, désormais repris à l’article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales (CGCT) autorise le conseil municipal à mettre en œuvre une compétence générale pour tout ce qui concerne les affaires de la commune : « Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune. ». Cette disposition a pour effet d’habiliter les communes à prendre, même en l’absence d’un texte spécifique, toute décision présentant un intérêt local.
À ce titre, il appartient au conseil municipal de définir cet intérêt, sous le contrôle du juge. Ce dernier considère que l’existence d’un intérêt local suppose trois conditions :
- l’intérêt recherché est public et non pas privé (voir par exemple CE, 21 juin 1993, n° 118491, Commune de Chauriat) ;
- l’intervention a des retombées suffisamment directes pour la collectivité, notamment en termes de satisfaction des besoins de la population communale (CE, 25 juillet 1986, n° 56334, Commune de Mercœur) ;
- l’intervention ne constitue pas une immixtion dans un conflit collectif du travail (une grève par exemple), ni dans un conflit politique national ou international.
C’est ainsi que le juge administratif avait pu annuler certaines délibérations votées par des conseils municipaux de gauche, souvent communistes, portant une aide matérielle aux populations du Nicaragua (23 octobre 1989, Commune de Pierrefitte-sur-Seine et autres, n° 93331, 93847 et 93885), sur un soutien à des grévistes (CE, 11 octobre 1989, Commune de Gardanne et autres, n° 89325, 89327, 89621, 89622, 89660) ou encore sur un soutien à une section locale de la LICRA se proposant de combattre le Front National (CE, 28 octobre 2002, Commune de Draguignan, n°216706). Dans ce dernier arrêt, le Conseil d’Etat, a jugé que : « la cour administrative d’appel de Marseille a fait état (…) d’une part de ce que, selon un compte-rendu paru le 14 mars 1992 dans la presse locale, lors de la création de la section locale de Draguignan, celle-ci se proposait de combattre une formation politique dont l’existence est légalement reconnue, et, d’autre part, de ce que cette association, appelée en la cause, n’a pas contesté par la production d’un mémoire les termes de cet article, non plus que les allégations de M. X… selon lesquelles son action au cours des mois qui ont précédé l’adoption de la délibération contestée, aurait été de nature politique et partisane ; que la cour administrative d’appel a pu légalement déduire de ces constatations que les conditions auxquelles est subordonnée, en application des dispositions précitées de l’article L. 121-26 du code des communes, la légalité de l’attribution d’une subvention à une association n’étaient pas remplies ».
1.2 Le législateur est intervenu à plusieurs reprises pour reconnaître et faciliter l’action extérieure des collectivités locales (AECT).
La loi n°82-213 du 2 mars 1982 a, dans son article 65, posé les premiers ja- lons de la reconnaissance de l’action extérieure des collectivités locales en permet- tant aux conseils régionaux de nouer des relations avec des collectivités décentrali- sées étrangères frontalières.
C’est la loi d’orientation du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République qui crée le socle général du droit de l’AECT en énonçant, à son article 131, ultérieurement codifié à l’article L. 1115-1 du CGCT, que « [les] collectivités territoriales et leurs groupements peuvent conclure des conventions avec des collectivités territoriales étrangères et leurs groupements, dans les limites de leurs compétences et dans le respect des engagements internationaux de la France ».
La loi du 2 février 2007, portée par Michel Thiollière, sénateur-maire de Saint- Etienne, a supprimé les dispositions imposant que, dans la conduite d’actions de coopération ou d’aide au développement, les collectivités territoriales soient tenues par la limite de leurs compétences. L’exposé des motifs de cette loi1 précise que « la loi n° 2005-95 du 9 février 2005 relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l’eau dans le domaine de l’alimentation en eau et de l’assainissement a déjà mis en place un dispositif spécifique permettant la coopération décentralisée en matière d’aide d’urgence dans le domaine de l’eau. Mais il n’existe aucun dispositif analogue ouvrant la possibilité d’une aide d’urgence en cas de catastrophe humanitaire. La présente proposition de loi a pour but de combler cette lacune. »
En contrepartie de cet assouplissement, la loi Thiollière réaffirmait l’obligation, d’une part, de respecter les engagements internationaux de la France, et d’autre part, de conclure une convention avec une autorité locale étrangère, cette dernière exigence n’étant levée qu’en cas d’urgence, « pour mettre en œuvre ou financer des actions à caractère humanitaire ».
Enfin, la loi du 7 juillet 2014 a poursuivi ce mouvement de libéralisation, en énonçant que « [dans] le respect des engagements internationaux de la France, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire ». Elle abandonne donc la condition d’urgence pour le financement d’actions à caractère humanitaire.
En quelques décennies, le législateur a ainsi ouvert la boite de Pandore en permettant aux collectivités locales de conduire une action extérieure, d’abord en excédant le cadre de leurs compétences, puis en autorisant le financement d’actions humanitaires en cas d’urgence et enfin en supprimant cette condition d’urgence. Il a conféré aux collectivités locales des compétences d’attribution en matière d’action de coopération, d’aide au développement et d’action humanitaire, leur donnant la possibilité marcher sur les plates-bandes de l’Etat, en matière de conduite des relations extérieures.
Les soubresauts de la crise migratoire que l’Europe connaît depuis une dizaine d’années ont permis aux collectivités locales de s’engouffrer dans la brèche créée par le législateur, pour subventionner une association dont l’action contribue in fine à la progression de l’immigration clandestine dans les pays de l’UE.
2 – Le juge administratif au soutien de l’immigration irrégulière ?
2.1 Le Conseil d’Etat considère que les collectivités peuvent légalement financer le seul volet humanitaire des actions de SOS Méditerranée.
Rappelons, à titre liminaire, que le Conseil constitutionnel, a jugé qu’ « aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national. En outre, l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l’ordre public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle »2.
À l’instar d’autres collectivités, telles la Région Nouvelle-Aquitaine, la ville de Paris avait adopté une délibération, en date du 11 juillet 2019, attribuant à l’association SOS Méditerranée France une subvention de 100 000 euros pour un programme de sauvetage en mer et de soins aux migrants dans le cadre de l’aide d’urgence.
Un recours contre cette décision, rejeté dans un premier temps par le tribunal administratif, avait été accueilli par la Cour administrative d’appel de Paris. La cour avait notamment accueilli le moyen tiré de la méconnaissance du principe de neutralité du service public dès lors que les responsables de SOS Méditerranée ont indiqué vouloir contrecarrer par leur action les politiques d’immigration et d’asile de l’Union européenne et de ses Etats membres, que les actions de l’association avaient contribué à attiser les tensions entre Etats, et que le conseil de Paris s’était approprié les critiques de SOS Méditerranée, s’immisçant ainsi dans un conflit politique3. C’est le premier des arguments de la CAA qui nous semble le plus fort : celle-ci ne conteste pas la dimension humanitaire des actions de SOS Méditerranée, mais considère que celles-ci revêtent par ailleurs un volet politique. La Cour pouvait donc valablement, pour ce seul motif, accueillir la demande d’annulation de la délibération en litige, faisant ainsi application de la jurisprudence « Commune de Draguignan », précitée.
Si le Conseil d’Etat rappelle que « ces collectivités et groupements ne sauraient légalement apporter leur soutien à une organisation dont les actions de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire doivent être regardées en réalité, eu égard à son objet social, ses activités et ses prises de position, comme des actions à caractère politique », il censure l’arrêt de la Cour en estimant que celle-ci a commis une erreur de droit. Il juge notamment que « cette activité de sauvetage en mer ne saurait enfin être regardée, au seul motif que des débats existent entre Etats membres de l’Union européenne sur ces sujets et que l’association a pris parti dans ces débats, comme constituant, en réalité, une action à caractère politique ». Le Conseil en déduit que, « les prises de position de l’association SOS Méditerranée France (…) ne faisaient pas obstacle par principe à ce que la Ville de Paris accorde légalement à cette association une subvention destinée à ses activités relevant de l’action humanitaire internationale, sous réserve de s’assurer que cette aide serait exclusivement destinée au financement de ces activités. A cet égard, d’une part, il ressort de l’exposé des motifs et de l’objet de la délibération en litige que la subvention accordée par le conseil de Paris est exclusivement destinée à financer l’affrètement d’un nouveau navire en vue de permettre à l’association de reprendre ses activités de secours en mer et, d’autre part, la convention conclue entre la Ville de Paris et l’association en application de cette délibération stipule que l’utilisation de la subvention à d’autres fins entraîne la restitution de tout ou partie des sommes déjà versées et que la Ville de Paris peut effectuer des contrôles, y compris sur pièces et sur place, pour s’assurer du respect de ces obligations. »
À l’inverse, dans l’arrêt du même jour, qui porte sur la subvention accordée par la commune de Montpellier à SOS Méditerranée4, le Conseil annule la délibération attaquée dès lors que celle-ci ne précise pas quelles activités la commune entend soutenir et qu’aucun élément ne permettait à la ville de Montpellier de s’assurer que son aide serait exclusivement destinée au financement de l’action internationale à caractère humanitaire de l’association qu’elle soutenait.
En somme, SOS Méditerranée prend certes parti dans des débats politiques, mais il y a lieu de considérer que son activité de sauvetage est distincte de ses activités politiques de sorte que les collectivités peuvent légalement soutenir le volet « sauvetage », et lui seul, de son action.
Ces décisions affinent, a minima, voire infléchissent la jurisprudence « Commune de Draguignan ». Le Conseil avait alors, implicitement mais nécessairement, considéré que le positionnement anti-Front National de la section locale de la LICRA était à lui seul, et nonobstant ses autres actions de caractère apolitique, de nature à caractériser globalement une action à caractère partisan, non susceptible de bénéficier d’un soutien financier d’une collectivité locale. Dans ses arrêts du 13 mai 2024, il distingue de manière peut-être un peu artificielle, deux types d’activités d’une même association qui seraient exclusifs l’un de l’autre. Si l’article L. 1611-4 du CGCT permet à la collectivité de contrôler l’usage que l’association fait des fonds publics qui lui ont été versés, via notamment une copie certifiée du budget et des comptes sur l’exercice écoulé, il ne constitue pas une protection suffisante du bon emploi des deniers publics dans d’éventuelles situations d’aveuglement volontaire de la collectivité quant à l’emploi réel des fonds par l’association concernée. En outre, dans un contexte de vives tensions internationales marqué par une contestation croissante de certains aspects de la politique extérieure de la France par une partie de la population, notamment en Afrique ou au Proche-Orient, il existe un risque réel que certaines collectivités qui, pour diverses raisons, s’opposent à cette politique, subventionnent des associations essentiellement politiques prétendant, pour les besoins de la cause, conduire également des actions de type humanitaire. Outre le détournement de pouvoir dont elles seraient entachées, de telles subventions, mues en réalité par des affinités idéologiques, religieuses, et/ou une solidarité « communautaire », pourraient influer sur les relations diplomatiques de la France, voire être génératrices de risques pour la sécurité nationale, en particulier pour celles de nos compatriotes résidant à l’étranger.
2.2 Les actions de SOS Méditerranée et ONG comparables respectent-elles les engagements internationaux de la France ?
Dans ses deux arrêts du 13 mai 2024, le Conseil d’Etat a indiqué que les requérants n’avaient pas soulevé de moyens tirés par la méconnaissance par SOS Méditerranée des engagements internationaux de la France.
Cette surprenante omission nous paraît avoir changé l’issue du litige, tant il existe d’éléments qui permettent de douter de la réalité du respect par SOS Méditerranée desdits engagements l’association5que celle-ci revendique le fait de « secourir les personnes en détresse grâce à des activités de recherche et de sauvetage en mer » et de « protéger les personnes secourues jusqu’à leur débarquement dans un lieu sûr». Dès lors, on ne saurait valablement considérer que l’action de « sauvetage » de personnes secourues (qui relève de l’assistance immédiate) serait détachable de l’action de « protection », qui intervient ensuite et ne prend fin, selon les termes mêmes de SOS Méditerranée, qu’au débarquement des intéressés.
Il convient d’apprécier le respect des engagements internationaux de la France par cette action, prise dans son ensemble.
Ces engagements ne se limitent pas aux seules conventions internationales relatives aux obligations de secours en mer. En effet, parmi ces engagements, figurent également le droit primaire et dérivé de l’Union européenne, ainsi que les accords bilatéraux relatifs à l’entrée et au séjour des étrangers conclus entre la France et certains pays, en premier lieu l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968.
L’article 77 du traité sur le fonctionnement de l’union européenne stipule que « L’Union développe une politique visant (…) b) à assurer le contrôle des personnes et la surveillance efficace du franchissement des frontières extérieures » et l’article 79 du même traité précise quant à lui que : « L’Union développe une politique commune de l’immigration visant à assurer, à tous les stades, une gestion efficace des flux migratoires, (…) ainsi qu’une prévention de l’immigration illégale et de la traite des êtres humains et une lutte renforcée contre celles-ci. »
Or, comment considérer que les actions de sauvetage conduites par SOS Méditerranée qui ont notamment, sinon pour objet mais incontestablement pour effet de permettre aux personnes secourues, souvent dépourvues de tout document d’identité et de voyage, de rejoindre ensuite la France6 ou un autre Etat membre de l’UE respectent ces stipulations ? En effet, dans une enquête réalisée antérieurement au vote des délibérations en litige7, , Frontex a relevé que « depuis juin 2016, un nombre significatif de bateaux ont été interceptés ou secourus par Navires des ONG sans signal de détresse préalable. La présence d’ONG à proximité et parfois à l’intérieur des eaux territoriales libyennes a presque doublé par rapport à l’année précédente, aboutissant à une quinzaine de sauvetages. En parallèle, le nombre total de naufrages a très sensiblement augmenté. ». Et Frontex d’en déduire qu’« apparemment, l’ensemble des parties impliquées dans les sauvetages en Méditerranée aident involontairement les criminels (c’est-à-dire ceux qui pratiquent la traite des êtres humains) à atteindre leurs objectifs à moindre coût, renforcent leur business model en améliorant les chances de réussite des traversées de la mer. Migrants et demandeurs d’asile, encouragés par les récits de ceux qui ont mené à bien leur traversée de la mer, tentent eux-mêmes leur chance dès lorsqu’ils savent pouvoir compter sur les ONG pour leur porter secours et ensuite atteindre le territoire de l’Union européenne ». Une enquête menée par un juge italien8 met en cause trois ONG (SOS Méditerranée n’est pas concerné) et confirme l’analyse de Frontex : « Les organisations de sauvetage auraient développé des relations de proximité avec les trafiquants afin d’être avertis à l’avance des départs de bateaux transportant des migrants et d’être ainsi les premiers sur place. Les trois ONG auraient «agi de concert» et « contourné le système de secours mis en place par les autorités italiennes ».
En ce qui concerne précisément le débarquement à Toulon, en novembre 2022, de 234 personnes secourues en mer par SOS Méditerranée, l’Etat avait créé, sur le fondement des dispositions de l’article L. 341-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, une « zone d’attente temporaire ». Las ! La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a décidé de libérer la quasi-totalité des intéressés9, le président de cette juridiction ayant déclaré à cette occasion avoir « refusé leur placement en geôles car ce ne sont pas des délinquants ». Les autorités françaises, qui ont délivré des visas de régularisation d’une durée de huit jours aux intéressés ont ensuite perdu toute trace de la plupart d’entre eux. Quant aux 44 mineurs non accompagnés placés auprès des services de l’aide sociale à l’enfance, 26 d’entre eux avaient déjà fugué moins d’une semaine après leur arrivée en France.
Voici un cas d’école qui démontre que l’action de SOS Méditerranée, conjuguée à l’incurie judiciaire, a contribué directement à nourrir l’immigration clandestine en France.
Soutenir SOS Méditerranée et autres associations comparables, qui organisent ensuite les débarquements de personnes secourues au sein des Etats membres de l’Union européenne, aboutit à l’effet inverse de celui recherché par le droit primaire de l’UE.
Que dire enfin du respect de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 qui conditionne l’entrée en France des ressortissants algériens à la possession d’un visa ? Il ressort des rapports d’activités établis par SOS Méditerranée en 202010 et 202111 que des ressortissants d’Afrique du Nord font parfois partie des personnes secourues. Si le navire affrété par cette association permet à des personnes de nationalité algérienne de rejoindre directement ou indirectement la France, cela a pour conséquence directe la violation de l’article 9 de l’accord franco-algérien précité.
Ces informations, accessibles à tous, laissent planer un doute sérieux sur le respect des engagements internationaux de la France par les ONG qui portent assistance aux migrants en Méditerranée. Elles constituaient probablement le cœur des contentieux engagés devant le juge administratif, ce qui n’a pas été perçu par les requérants et leurs conseils.
3 – L’immigration, un enjeu idéologique de plus en plus prégnante pour les grandes villes et collectivités locales françaises et occidentales.
3.1 Du droit de vote des étrangers au soutien à l’immigration libre.
À partir des années 1980, ont émergé en France des mouvements favorables au droit de vote des étrangers aux élections locales, promesse du candidat Mitterrand pendant la campagne présidentielle de 1981. Le maire socialiste de Mons-en-Baroeul est le premier à organiser l’élection de « conseillers associés », de nationalité étrangère, qui assistent aux réunions du conseil municipal.12
Par la suite, des municipalités communistes de Seine-Saint-Denis (Saint- Denis, Aubervilliers, Stains, Le Blanc-Mesnil) décident d’organiser des référendums, ouverts aux étrangers, sur ce sujet ; consultations jugées bien entendu illégales après déféré du préfet de ce département (TA Cergy-Pontoise, 13 janvier 2006, n° 0511416).
Ce mouvement, portant sur les droits civiques des résidents étrangers en France, est demeuré principalement limité aux villes de banlieues et a été peu relayé par les municipalités des métropoles.
Celles-ci se sont en revanche progressivement engagées en faveur d’une immigration libre, à compter des années 1980 aux Etats-Unis, un peu plus tardivement en Europe.
Dans la cadre de la nouvelle fracture mondiale, analysée par le britannique David Goodhart13, les grandes villes occidentales sont devenues les bastions des «anywhere», favorables à la mondialisation dans toutes ses composantes, acquises à la « société ouverte » et hostiles à la régulation de l’immigration. La fracture idéologique principale qui touche la quasi-totalité des pays occidentaux se matérialise partout par une fracture territoriale, sorte de réactualisation du clivage identifié par Stein Rokkan, centre / périphérie.
À la dernière élection présidentielle, les votes Mélenchon et Jadot sont corrélés à la taille de l’unité urbaine à laquelle appartiennent les électeurs14, quand la part du vote Le Pen est elle inversement proportionnelle à celle-ci.
Aux Etats-Unis, Joe Biden est le candidat qui a, dans le même temps, recueilli le plus de suffrages au niveau national et remporté le plus faible nombre de comtés (477, contre 2 497 gagnés par Donald Trump) dans l’histoire électorale américaine15. Les Républicains ne dirigent plus que 26 des 100 plus grandes villes du pays16.
Cette polarisation spatio-politique a pour conséquence une immixtion de plus en plus fréquente et de plus en plus vive des autorités des grandes villes occidentales dans les politiques migratoires, relevant pourtant de la seule compétence des Etats.
C’est ainsi que des villes italiennes de gauche se sont opposées au décret Salvini du 24 septembre 201817 sur la sécurité et l’immigration, certaines d’entre elles refusant d’appliquer la partie du texte qui les concerne. Le maire de Palerme a même été soutenu dans sa démarche par Bill de Blasio, son homologue démocrate de New York18.
En France, 32 conseils départementaux de gauche, ainsi que la Ville de Paris, avaient annoncé leur intention de ne pas appliquer la loi Darmanin en tant qu’elle durcissait les conditions de versement aux étrangers de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA)19. La plateforme des collectivités solidaires avec SOS Méditerranée compte désormais plus de 110 membres20.
Le tropisme idéologique des grandes collectivités est en décalage avec les attentes exprimées par la population française dans son ensemble. 68% des Français sont ainsi favorables à l’arrêt des subventions publiques destinées aux associations de soutien aux migrants entrés illégalement en France.21
« Diplomatie des villes », lobbying des ONG, prises de positions de diverses autorités administratives indépendantes telles que le défenseur des droits ou la commission nationale consultative des droits de l’homme, campagnes des grandes entreprises et de leurs représentants en faveur de l’immigration : les « anywhere » immigrationnistes sont en position de monopole au sein des institutions publiques et privées et mènent une guerre culturelle et politique de chaque instant.
3.2 Comment faire face à l’offensive immigrationniste des collectivités locales ?
En l’état actuel du droit, lorsque des subventions sont proposées à des associations comparables à SOS Méditerranée, il est envisageable de demander au juge administratif d’annuler les délibérations correspondantes dès lors que, comme nous l’avons dit, le Conseil d’Etat n’a pas été mis à même de se positionner sur l’ensemble des illégalités potentielles entachant ces actes.
Le Conseil d’Etat a indiqué, dans sa décision n°474652 portant sur la subvention accordée par la ville de Montpellier, qu’un requérant établissant sa qualité de contribuable communal a un intérêt pour agir contre une délibération qui a pour objet d’accorder une subvention. Cet élément semble assouplir considérablement les conditions posées par la jurisprudence « Commune de Rivedoux-Plage ».22
Depuis 2022, seules les délibérations des communes de Paris, Montpellier, Saint-Nazaire, du conseil départemental de Haute-Garonne et du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine ont fait l’objet de contentieux, ce qui révèle une faible mobilisation des élus d’opposition.
Par ailleurs, au regard du contexte politique que nous avons mentionné, il semblerait opportun de modifier la loi et de restreindre les capacités d’action extérieure des collectivités locales, en revenant au cadre qui régissait celle-ci avant la loi Thiollière : dans un souci de cohérence et de respect des prérogatives de l’Etat, les collectivités ne devraient être autorisées à mener cette action que dans le strict cadre de leurs compétences.
Enfin, il faudra se pencher, plus largement, sur l’ensemble des subventions accordées aux associations de défense de l’immigration qui sont financées par l’Etat pour saper sa propre politique et former de multiples recours contre les décisions d’éloignement des étrangers. Dans le projet de loi de finances pour 2023, l’Etat prévoyait de verser 736 millions d’euros aux 1 500 associations qui assurent des missions d’accueil, d’accompagnement et d’assistance juridiques.2324Le poids croissant du contentieux des étrangers qui représente en 2023, 43% des dossiers traités par les tribunaux administratifs et 57% de ceux traités par les cours administratives d’appel, cet ensemble étant composé pour une bonne part de requêtes dépourvues de moyens sérieux, conduit selon le rapport de François-Noël Buffet25 à placer les « juridictions administratives au bord de l’embolie ».
Bibliographie
- Site internet de l’association SOS Méditerranée https://sosmediterranee.fr/mission- sauvetage-en-mer/#historique
- Communiqué de presse du Conseil d’Etat relatif à son arrêt du 13 mai 2024 https://www.conseil-etat.fr/actualites/sos-mediterranee-les-collectivites- territoriales-peuvent-accorder-sous-conditions-une-subvention-a-une-action- humanitaire-internationale
- Loi n°2007-147 du 2 février 2007 relative à l’action extérieure des collectivités territo- riales et de leurs groupements https://www.senat.fr/leg/ppl04-224.html
- Décision du Conseil constitutionnel n°2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018 https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018717_718QPC.htm
- Arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris, 4ème Chambre Chambre, en date du 3 mars 2023, 22PA04811 https://justice.pappers.fr/decision/34891dc46a531f72094faf67df2bdcddcbe9c86c?q=2 2PA04811&tri=date
- Arrêt du Conseil d’Etat n°474652, en date du 13 mars 2024 https://www.conseil- etat.fr/Media/actualites/documents/2024/mai-2024/474652.pdf
- Site internet de l’association SOS Méditerranée, présentation des missions et valeurs https://sosmediterranee.fr/mission-sauvetage-en-mer/#valeurs
- « L’Ocean Viking a quitté Toulon, le débarquement des migrants étant terminé » Le Figaro, 12/11/2022 https://www.lefigaro.fr/actualite-france/l-ocean-viking-a-quitte- toulon-le-debarquement-des-migrants-etant-termine-20221112
- Rapport de Frontex « Risk and analysis for 2017 » https://www.frontex.europa.eu/assets/Publications/Risk_Analysis/Annual_Risk_An alysis_2017.pdf
- « Trois ONG de sauvetage en mer accusées de complicité avec les passeurs crimi- nels » Le Temps, 11/03/2021 https://www.letemps.ch/monde/trois-ong-sauvetage- mer-accusees-complicite-passeurs-criminels
- « Ocean Viking : que sont devenus les migrants secourus et débarqués en France ? » L’Express, 19/11/2022 https://www.lexpress.fr/societe/ocean-viking-que-sont- devenus-les-migrants-secourus-et-debarques-en-france_2183802.html
- Rapport d’activité 2020 de SOS Méditerranée France https://sosmediterranee.fr/wp- content/uploads/2021/04/rapportactivite2020.pdf
- Rapport d’activité 2021 de SOS Méditerranée France https://sosmediterranee.fr/wp- content/uploads/2022/06/SOS_MEDITERRANEE_RA_2021_DEF_WEB.pdf
- « Le droit de vote des résidents étrangers : un combat toujours d’actualité » Moha- med Ben Saïd, Bernard Delemotte, Vincent Rebérioux (revue Plein droit 2023/1 n° 136, pages 45 à 48) https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2023-1-page-45.htm
- David Goodhart, Les deux clans : la nouvelle fracture mondiale, Paris, Les arènes, 2019
- « Premier tour de l’élection présidentielle 2022 : vote des villes, vote des cam- pagnes » Le Monde, 11/04/2022 https://www.lemonde.fr/les- decodeurs/article/2022/04/11/premier-tour-2022-vote-des-villes-vote-des- campagnes_6121688_4355770.html
- Election présidentielle américaine 2020, carte par carte et répartition des voix https://brilliantmaps.com/2020-county-election-map/
- Liste des maires actuels dans les 100 premières villes des Etats-Unis https://ballotpedia.org/List_of_current_mayors_of_the_top_100_cities_in_the_Unit ed_States
- « Le nouveau rôle des villes et pourquoi il faut l’encourager » Terra Nova, 13 mars 2020 https://tnova.fr/economie-social/territoires-metropoles/le-nouveau-role- international-des-villes-et-pourquoi-il-faut-lencourager/
- « Le Maire de Palerme veut que sa ville soit connue pour les droits des migrants » Info Migrants, 13/02/2019 https://www.infomigrants.net/en/post/15154/palermo- mayor-says-city-wants-to-be-known-for-migrant-rights
- « Allocation d’autonomie : les 32 départements de gauche n’appliqueront pas la loi immigration » L’Express, 20/12/2023 https://www.lexpress.fr/politique/loi- immigration-le-lot-la-gironde-et-la-seine-saint-denis-nappliqueront-pas-le-texte- DLD6FDQADVFBXM63RP5QAIU324/
- Site internet de la ville de Bordeaux, présentation du partenariat avec SOS Méditer- ranée https://www.bordeaux.fr/p146760/partenariat-avec-sos-mediterranee
- « Sondage : 68% des Français favorables à l’arrêt des subventions aux associations d’aide aux migrants entrés illégalement sur le territoire » CNEWS, 16/05/2024 https://www.cnews.fr/france/2024-05-16/sondage-68-des-francais-favorables-larret- des-subventions-aux-associations-daide
- Arrêt du Conseil d’Etat n°391570, 7ème – 2ème chambre réunies, 01/06/2016 https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000032625299
- « Comment les associations sous-traitent-elles pour l’Etat, l’accueil des migrants ? » Europe 1, 18/11/2022 https://www.europe1.fr/politique/comment-les-associations- sous-traitent-elles-pour-letat-laccueil-des-migrants-4148425
- Projet de loi de finances pour 2023 https://www.assembleenationale.fr/dyn/content/download/494514/file/PAP2023_B G_Immigration_asile_integration.pdf
- Rapport d’information de M. François-Noël Buffet n°626 (2021-2022) déposé le 10/05/2022 « Services de l’Etat et immigration : retrouver sens et efficacité » https://www.senat.fr/rap/r21-626/r21-626.html
Notes
- https://www.senat.fr/leg/ppl04-224.html ↩︎
- https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018717_718QPC.htm ↩︎
- https://justice.pappers.fr/decision/34891dc46a531f72094faf67df2bdcddcbe9c86c?q=22PA04811&tri=d ate ↩︎
- https://www.conseil-etat.fr/Media/actualites/documents/2024/mai-2024/474652.pdf ↩︎
- https://sosmediterranee.fr/mission-sauvetage-en-mer/#valeurs ↩︎
- https://www.lefigaro.fr/actualite-france/l-ocean-viking-a-quitte-toulon-le-debarquement-des- migrants-etant-termine-20221112 ↩︎
- https://www.frontex.europa.eu/assets/Publications/Risk_Analysis/Annual_Risk_Analysis_2017.pdf ↩︎
- https://www.letemps.ch/monde/trois-ong-sauvetage-mer-accusees-complicite-passeurs- criminels ↩︎
- https://www.lexpress.fr/societe/ocean-viking-que-sont-devenus-les-migrants-secourus-et- debarques-en-france_2183802.html ↩︎
- https://sosmediterranee.fr/wp-content/uploads/2021/04/rapportactivite2020.pdf ↩︎
- https://sosmediterranee.fr/wp-
content/uploads/2022/06/SOS_MEDITERRANEE_RA_2021_DEF_WEB.pdf ↩︎ - https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2023-1-page-45.htm ↩︎
- David Goodhart, Les deux clans : lanouvelle fracture mondiale, Paris, Les arènes, 2019
↩︎ - https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/04/11/premier-tour-2022-vote-des-villes- vote-des-campagnes_6121688_4355770.html ↩︎
- https://brilliantmaps.com/2020-county-election-map/ ↩︎
- https://ballotpedia.org/List_of_current_mayors_of_the_top_100_cities_in_the_United_States ↩︎
- https://tnova.fr/economie-social/territoires-metropoles/le-nouveau-role-international-des-villes- et-pourquoi-il-faut-lencourager/ ↩︎
- https://www.infomigrants.net/en/post/15154/palermo-mayor-says-city-wants-to-be-known-for- migrant-rights ↩︎
- https://www.lexpress.fr/politique/loi-immigration-le-lot-la-gironde-et-la-seine-saint-denis- nappliqueront-pas-le-texte-DLD6FDQADVFBXM63RP5QAIU324/ ↩︎
- https://www.bordeaux.fr/p146760/partenariat-avec-sos-mediterranee ↩︎
- https://www.cnews.fr/france/2024-05-16/sondage-68-des-francais-favorables-larret-des-
subventions-aux-associations-daide ↩︎ - https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000032625299 ↩︎
- 25https://www.europe1.fr/politique/comment-les-associations-sous-traitent-elles-pour-letat-
laccueil-des-migrants-4148425 ↩︎ - https://www.assemblee-
nationale.fr/dyn/content/download/494514/file/PAP2023_BG_Immigration_asile_integration.pdf ↩︎ - https://www.senat.fr/rap/r21-626/r21-626.html ↩︎
Introduction
Dans un arrêt du 13 mai 2024, le Conseil d’Etat a décidé de conforter la décision de la ville de Paris qui avait attribué à l’association SOS Méditerranée France une subvention de 100 000 euros en 2019 pour un programme de sauvetage en mer. Selon lui, bien que cette association s’immisce dans un débat politique, une distinction doit être opérée entre les activités de sauvetage, que les collectivités locales peuvent soutenir, et les activités de nature politique, qui ne peuvent faire l’objet d’un quelconque soutien.
Or, une telle distinction opérée par le juge administratif est contestable, au sens où ces associations ne se contentent pas de « secourir » des personnes en mer, mais de les faire débarquer ensuite en Europe, en totale contradiction avec le droit français et le droit européen, participant à la progression de l’immigration clandestine dans les pays de l’UE.
Néanmoins, c’est le législateur qui a, en quelques décennies, permis aux collectivités locales de conduire une action extérieure (en matière d’action de coopération, d’aide au développement et d’action humanitaire) avec des conditions toujours plus assouplies, et donc de marcher sur les plates-bandes de l’Etat en la matière.
Plus largement, l’immigration est de plus en plus un enjeu idéologique majeur pour les collectivités locales, de la défense du droit de vote des étrangers dans certaines municipalités de banlieue au soutien à l’immigration libre dans les métropoles, quand celles-ci ne défient pas ouvertement l’autorité de l’Etat.
Il conviendrait donc de restreindre les capacités d’action extérieure des collectivités locales, pour n’autoriser celles-ci que dans le strict cadre de leurs compétences. Par ailleurs, il serait utile de se pencher sur l’ensemble des subventions accordées aux associations de défense de l’immigration qui sont financées par l’Etat, soit 736 millions d’euros pour 2023, qui leur permettent notamment en retour de former de multiples recours contre les décisions d’éloignement des étrangers.
1 – Face à une jurisprudence initialement restrictive, le législateur a étendu progressivement le champ d’intervention des collectivités territoriales en matière d’action d’extérieure.
1.1 Le juge administratif définissait strictement les critères permettant à une collectivité locale de soutenir toute personne morale de droit privé.
L’article 61 de la loi du 5 avril 1884 sur l’organisation municipale, désormais repris à l’article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales (CGCT) autorise le conseil municipal à mettre en œuvre une compétence générale pour tout ce qui concerne les affaires de la commune : « Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune. ». Cette disposition a pour effet d’habiliter les communes à prendre, même en l’absence d’un texte spécifique, toute décision présentant un intérêt local.
À ce titre, il appartient au conseil municipal de définir cet intérêt, sous le contrôle du juge. Ce dernier considère que l’existence d’un intérêt local suppose trois conditions :
- l’intérêt recherché est public et non pas privé (voir par exemple CE, 21 juin 1993, n° 118491, Commune de Chauriat) ;
- l’intervention a des retombées suffisamment directes pour la collectivité, notamment en termes de satisfaction des besoins de la population communale (CE, 25 juillet 1986, n° 56334, Commune de Mercœur) ;
- l’intervention ne constitue pas une immixtion dans un conflit collectif du travail (une grève par exemple), ni dans un conflit politique national ou international.
C’est ainsi que le juge administratif avait pu annuler certaines délibérations votées par des conseils municipaux de gauche, souvent communistes, portant une aide matérielle aux populations du Nicaragua (23 octobre 1989, Commune de Pierrefitte-sur-Seine et autres, n° 93331, 93847 et 93885), sur un soutien à des grévistes (CE, 11 octobre 1989, Commune de Gardanne et autres, n° 89325, 89327, 89621, 89622, 89660) ou encore sur un soutien à une section locale de la LICRA se proposant de combattre le Front National (CE, 28 octobre 2002, Commune de Draguignan, n°216706). Dans ce dernier arrêt, le Conseil d’Etat, a jugé que : « la cour administrative d’appel de Marseille a fait état (…) d’une part de ce que, selon un compte-rendu paru le 14 mars 1992 dans la presse locale, lors de la création de la section locale de Draguignan, celle-ci se proposait de combattre une formation politique dont l’existence est légalement reconnue, et, d’autre part, de ce que cette association, appelée en la cause, n’a pas contesté par la production d’un mémoire les termes de cet article, non plus que les allégations de M. X… selon lesquelles son action au cours des mois qui ont précédé l’adoption de la délibération contestée, aurait été de nature politique et partisane ; que la cour administrative d’appel a pu légalement déduire de ces constatations que les conditions auxquelles est subordonnée, en application des dispositions précitées de l’article L. 121-26 du code des communes, la légalité de l’attribution d’une subvention à une association n’étaient pas remplies ».
1.2 Le législateur est intervenu à plusieurs reprises pour reconnaître et faciliter l’action extérieure des collectivités locales (AECT).
La loi n°82-213 du 2 mars 1982 a, dans son article 65, posé les premiers ja- lons de la reconnaissance de l’action extérieure des collectivités locales en permet- tant aux conseils régionaux de nouer des relations avec des collectivités décentrali- sées étrangères frontalières.
C’est la loi d’orientation du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République qui crée le socle général du droit de l’AECT en énonçant, à son article 131, ultérieurement codifié à l’article L. 1115-1 du CGCT, que « [les] collectivités territoriales et leurs groupements peuvent conclure des conventions avec des collectivités territoriales étrangères et leurs groupements, dans les limites de leurs compétences et dans le respect des engagements internationaux de la France ».
La loi du 2 février 2007, portée par Michel Thiollière, sénateur-maire de Saint- Etienne, a supprimé les dispositions imposant que, dans la conduite d’actions de coopération ou d’aide au développement, les collectivités territoriales soient tenues par la limite de leurs compétences. L’exposé des motifs de cette loi1 précise que « la loi n° 2005-95 du 9 février 2005 relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l’eau dans le domaine de l’alimentation en eau et de l’assainissement a déjà mis en place un dispositif spécifique permettant la coopération décentralisée en matière d’aide d’urgence dans le domaine de l’eau. Mais il n’existe aucun dispositif analogue ouvrant la possibilité d’une aide d’urgence en cas de catastrophe humanitaire. La présente proposition de loi a pour but de combler cette lacune. »
En contrepartie de cet assouplissement, la loi Thiollière réaffirmait l’obligation, d’une part, de respecter les engagements internationaux de la France, et d’autre part, de conclure une convention avec une autorité locale étrangère, cette dernière exigence n’étant levée qu’en cas d’urgence, « pour mettre en œuvre ou financer des actions à caractère humanitaire ».
Enfin, la loi du 7 juillet 2014 a poursuivi ce mouvement de libéralisation, en énonçant que « [dans] le respect des engagements internationaux de la France, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire ». Elle abandonne donc la condition d’urgence pour le financement d’actions à caractère humanitaire.
En quelques décennies, le législateur a ainsi ouvert la boite de Pandore en permettant aux collectivités locales de conduire une action extérieure, d’abord en excédant le cadre de leurs compétences, puis en autorisant le financement d’actions humanitaires en cas d’urgence et enfin en supprimant cette condition d’urgence. Il a conféré aux collectivités locales des compétences d’attribution en matière d’action de coopération, d’aide au développement et d’action humanitaire, leur donnant la possibilité marcher sur les plates-bandes de l’Etat, en matière de conduite des relations extérieures.
Les soubresauts de la crise migratoire que l’Europe connaît depuis une dizaine d’années ont permis aux collectivités locales de s’engouffrer dans la brèche créée par le législateur, pour subventionner une association dont l’action contribue in fine à la progression de l’immigration clandestine dans les pays de l’UE.
2 – Le juge administratif au soutien de l’immigration irrégulière ?
2.1 Le Conseil d’Etat considère que les collectivités peuvent légalement financer le seul volet humanitaire des actions de SOS Méditerranée.
Rappelons, à titre liminaire, que le Conseil constitutionnel, a jugé qu’ « aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national. En outre, l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l’ordre public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle »2.
À l’instar d’autres collectivités, telles la Région Nouvelle-Aquitaine, la ville de Paris avait adopté une délibération, en date du 11 juillet 2019, attribuant à l’association SOS Méditerranée France une subvention de 100 000 euros pour un programme de sauvetage en mer et de soins aux migrants dans le cadre de l’aide d’urgence.
Un recours contre cette décision, rejeté dans un premier temps par le tribunal administratif, avait été accueilli par la Cour administrative d’appel de Paris. La cour avait notamment accueilli le moyen tiré de la méconnaissance du principe de neutralité du service public dès lors que les responsables de SOS Méditerranée ont indiqué vouloir contrecarrer par leur action les politiques d’immigration et d’asile de l’Union européenne et de ses Etats membres, que les actions de l’association avaient contribué à attiser les tensions entre Etats, et que le conseil de Paris s’était approprié les critiques de SOS Méditerranée, s’immisçant ainsi dans un conflit politique3. C’est le premier des arguments de la CAA qui nous semble le plus fort : celle-ci ne conteste pas la dimension humanitaire des actions de SOS Méditerranée, mais considère que celles-ci revêtent par ailleurs un volet politique. La Cour pouvait donc valablement, pour ce seul motif, accueillir la demande d’annulation de la délibération en litige, faisant ainsi application de la jurisprudence « Commune de Draguignan », précitée.
Si le Conseil d’Etat rappelle que « ces collectivités et groupements ne sauraient légalement apporter leur soutien à une organisation dont les actions de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire doivent être regardées en réalité, eu égard à son objet social, ses activités et ses prises de position, comme des actions à caractère politique », il censure l’arrêt de la Cour en estimant que celle-ci a commis une erreur de droit. Il juge notamment que « cette activité de sauvetage en mer ne saurait enfin être regardée, au seul motif que des débats existent entre Etats membres de l’Union européenne sur ces sujets et que l’association a pris parti dans ces débats, comme constituant, en réalité, une action à caractère politique ». Le Conseil en déduit que, « les prises de position de l’association SOS Méditerranée France (…) ne faisaient pas obstacle par principe à ce que la Ville de Paris accorde légalement à cette association une subvention destinée à ses activités relevant de l’action humanitaire internationale, sous réserve de s’assurer que cette aide serait exclusivement destinée au financement de ces activités. A cet égard, d’une part, il ressort de l’exposé des motifs et de l’objet de la délibération en litige que la subvention accordée par le conseil de Paris est exclusivement destinée à financer l’affrètement d’un nouveau navire en vue de permettre à l’association de reprendre ses activités de secours en mer et, d’autre part, la convention conclue entre la Ville de Paris et l’association en application de cette délibération stipule que l’utilisation de la subvention à d’autres fins entraîne la restitution de tout ou partie des sommes déjà versées et que la Ville de Paris peut effectuer des contrôles, y compris sur pièces et sur place, pour s’assurer du respect de ces obligations. »
À l’inverse, dans l’arrêt du même jour, qui porte sur la subvention accordée par la commune de Montpellier à SOS Méditerranée4, le Conseil annule la délibération attaquée dès lors que celle-ci ne précise pas quelles activités la commune entend soutenir et qu’aucun élément ne permettait à la ville de Montpellier de s’assurer que son aide serait exclusivement destinée au financement de l’action internationale à caractère humanitaire de l’association qu’elle soutenait.
En somme, SOS Méditerranée prend certes parti dans des débats politiques, mais il y a lieu de considérer que son activité de sauvetage est distincte de ses activités politiques de sorte que les collectivités peuvent légalement soutenir le volet « sauvetage », et lui seul, de son action.
Ces décisions affinent, a minima, voire infléchissent la jurisprudence « Commune de Draguignan ». Le Conseil avait alors, implicitement mais nécessairement, considéré que le positionnement anti-Front National de la section locale de la LICRA était à lui seul, et nonobstant ses autres actions de caractère apolitique, de nature à caractériser globalement une action à caractère partisan, non susceptible de bénéficier d’un soutien financier d’une collectivité locale. Dans ses arrêts du 13 mai 2024, il distingue de manière peut-être un peu artificielle, deux types d’activités d’une même association qui seraient exclusifs l’un de l’autre. Si l’article L. 1611-4 du CGCT permet à la collectivité de contrôler l’usage que l’association fait des fonds publics qui lui ont été versés, via notamment une copie certifiée du budget et des comptes sur l’exercice écoulé, il ne constitue pas une protection suffisante du bon emploi des deniers publics dans d’éventuelles situations d’aveuglement volontaire de la collectivité quant à l’emploi réel des fonds par l’association concernée. En outre, dans un contexte de vives tensions internationales marqué par une contestation croissante de certains aspects de la politique extérieure de la France par une partie de la population, notamment en Afrique ou au Proche-Orient, il existe un risque réel que certaines collectivités qui, pour diverses raisons, s’opposent à cette politique, subventionnent des associations essentiellement politiques prétendant, pour les besoins de la cause, conduire également des actions de type humanitaire. Outre le détournement de pouvoir dont elles seraient entachées, de telles subventions, mues en réalité par des affinités idéologiques, religieuses, et/ou une solidarité « communautaire », pourraient influer sur les relations diplomatiques de la France, voire être génératrices de risques pour la sécurité nationale, en particulier pour celles de nos compatriotes résidant à l’étranger.
2.2 Les actions de SOS Méditerranée et ONG comparables respectent-elles les engagements internationaux de la France ?
Dans ses deux arrêts du 13 mai 2024, le Conseil d’Etat a indiqué que les requérants n’avaient pas soulevé de moyens tirés par la méconnaissance par SOS Méditerranée des engagements internationaux de la France.
Cette surprenante omission nous paraît avoir changé l’issue du litige, tant il existe d’éléments qui permettent de douter de la réalité du respect par SOS Méditerranée desdits engagements l’association5que celle-ci revendique le fait de « secourir les personnes en détresse grâce à des activités de recherche et de sauvetage en mer » et de « protéger les personnes secourues jusqu’à leur débarquement dans un lieu sûr». Dès lors, on ne saurait valablement considérer que l’action de « sauvetage » de personnes secourues (qui relève de l’assistance immédiate) serait détachable de l’action de « protection », qui intervient ensuite et ne prend fin, selon les termes mêmes de SOS Méditerranée, qu’au débarquement des intéressés.
Il convient d’apprécier le respect des engagements internationaux de la France par cette action, prise dans son ensemble.
Ces engagements ne se limitent pas aux seules conventions internationales relatives aux obligations de secours en mer. En effet, parmi ces engagements, figurent également le droit primaire et dérivé de l’Union européenne, ainsi que les accords bilatéraux relatifs à l’entrée et au séjour des étrangers conclus entre la France et certains pays, en premier lieu l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968.
L’article 77 du traité sur le fonctionnement de l’union européenne stipule que « L’Union développe une politique visant (…) b) à assurer le contrôle des personnes et la surveillance efficace du franchissement des frontières extérieures » et l’article 79 du même traité précise quant à lui que : « L’Union développe une politique commune de l’immigration visant à assurer, à tous les stades, une gestion efficace des flux migratoires, (…) ainsi qu’une prévention de l’immigration illégale et de la traite des êtres humains et une lutte renforcée contre celles-ci. »
Or, comment considérer que les actions de sauvetage conduites par SOS Méditerranée qui ont notamment, sinon pour objet mais incontestablement pour effet de permettre aux personnes secourues, souvent dépourvues de tout document d’identité et de voyage, de rejoindre ensuite la France6 ou un autre Etat membre de l’UE respectent ces stipulations ? En effet, dans une enquête réalisée antérieurement au vote des délibérations en litige7, , Frontex a relevé que « depuis juin 2016, un nombre significatif de bateaux ont été interceptés ou secourus par Navires des ONG sans signal de détresse préalable. La présence d’ONG à proximité et parfois à l’intérieur des eaux territoriales libyennes a presque doublé par rapport à l’année précédente, aboutissant à une quinzaine de sauvetages. En parallèle, le nombre total de naufrages a très sensiblement augmenté. ». Et Frontex d’en déduire qu’« apparemment, l’ensemble des parties impliquées dans les sauvetages en Méditerranée aident involontairement les criminels (c’est-à-dire ceux qui pratiquent la traite des êtres humains) à atteindre leurs objectifs à moindre coût, renforcent leur business model en améliorant les chances de réussite des traversées de la mer. Migrants et demandeurs d’asile, encouragés par les récits de ceux qui ont mené à bien leur traversée de la mer, tentent eux-mêmes leur chance dès lorsqu’ils savent pouvoir compter sur les ONG pour leur porter secours et ensuite atteindre le territoire de l’Union européenne ». Une enquête menée par un juge italien8 met en cause trois ONG (SOS Méditerranée n’est pas concerné) et confirme l’analyse de Frontex : « Les organisations de sauvetage auraient développé des relations de proximité avec les trafiquants afin d’être avertis à l’avance des départs de bateaux transportant des migrants et d’être ainsi les premiers sur place. Les trois ONG auraient «agi de concert» et « contourné le système de secours mis en place par les autorités italiennes ».
En ce qui concerne précisément le débarquement à Toulon, en novembre 2022, de 234 personnes secourues en mer par SOS Méditerranée, l’Etat avait créé, sur le fondement des dispositions de l’article L. 341-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, une « zone d’attente temporaire ». Las ! La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a décidé de libérer la quasi-totalité des intéressés9, le président de cette juridiction ayant déclaré à cette occasion avoir « refusé leur placement en geôles car ce ne sont pas des délinquants ». Les autorités françaises, qui ont délivré des visas de régularisation d’une durée de huit jours aux intéressés ont ensuite perdu toute trace de la plupart d’entre eux. Quant aux 44 mineurs non accompagnés placés auprès des services de l’aide sociale à l’enfance, 26 d’entre eux avaient déjà fugué moins d’une semaine après leur arrivée en France.
Voici un cas d’école qui démontre que l’action de SOS Méditerranée, conjuguée à l’incurie judiciaire, a contribué directement à nourrir l’immigration clandestine en France.
Soutenir SOS Méditerranée et autres associations comparables, qui organisent ensuite les débarquements de personnes secourues au sein des Etats membres de l’Union européenne, aboutit à l’effet inverse de celui recherché par le droit primaire de l’UE.
Que dire enfin du respect de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 qui conditionne l’entrée en France des ressortissants algériens à la possession d’un visa ? Il ressort des rapports d’activités établis par SOS Méditerranée en 202010 et 202111 que des ressortissants d’Afrique du Nord font parfois partie des personnes secourues. Si le navire affrété par cette association permet à des personnes de nationalité algérienne de rejoindre directement ou indirectement la France, cela a pour conséquence directe la violation de l’article 9 de l’accord franco-algérien précité.
Ces informations, accessibles à tous, laissent planer un doute sérieux sur le respect des engagements internationaux de la France par les ONG qui portent assistance aux migrants en Méditerranée. Elles constituaient probablement le cœur des contentieux engagés devant le juge administratif, ce qui n’a pas été perçu par les requérants et leurs conseils.
3 – L’immigration, un enjeu idéologique de plus en plus prégnante pour les grandes villes et collectivités locales françaises et occidentales.
3.1 Du droit de vote des étrangers au soutien à l’immigration libre.
À partir des années 1980, ont émergé en France des mouvements favorables au droit de vote des étrangers aux élections locales, promesse du candidat Mitterrand pendant la campagne présidentielle de 1981. Le maire socialiste de Mons-en-Baroeul est le premier à organiser l’élection de « conseillers associés », de nationalité étrangère, qui assistent aux réunions du conseil municipal.12
Par la suite, des municipalités communistes de Seine-Saint-Denis (Saint- Denis, Aubervilliers, Stains, Le Blanc-Mesnil) décident d’organiser des référendums, ouverts aux étrangers, sur ce sujet ; consultations jugées bien entendu illégales après déféré du préfet de ce département (TA Cergy-Pontoise, 13 janvier 2006, n° 0511416).
Ce mouvement, portant sur les droits civiques des résidents étrangers en France, est demeuré principalement limité aux villes de banlieues et a été peu relayé par les municipalités des métropoles.
Celles-ci se sont en revanche progressivement engagées en faveur d’une immigration libre, à compter des années 1980 aux Etats-Unis, un peu plus tardivement en Europe.
Dans la cadre de la nouvelle fracture mondiale, analysée par le britannique David Goodhart13, les grandes villes occidentales sont devenues les bastions des «anywhere», favorables à la mondialisation dans toutes ses composantes, acquises à la « société ouverte » et hostiles à la régulation de l’immigration. La fracture idéologique principale qui touche la quasi-totalité des pays occidentaux se matérialise partout par une fracture territoriale, sorte de réactualisation du clivage identifié par Stein Rokkan, centre / périphérie.
À la dernière élection présidentielle, les votes Mélenchon et Jadot sont corrélés à la taille de l’unité urbaine à laquelle appartiennent les électeurs14, quand la part du vote Le Pen est elle inversement proportionnelle à celle-ci.
Aux Etats-Unis, Joe Biden est le candidat qui a, dans le même temps, recueilli le plus de suffrages au niveau national et remporté le plus faible nombre de comtés (477, contre 2 497 gagnés par Donald Trump) dans l’histoire électorale américaine15. Les Républicains ne dirigent plus que 26 des 100 plus grandes villes du pays16.
Cette polarisation spatio-politique a pour conséquence une immixtion de plus en plus fréquente et de plus en plus vive des autorités des grandes villes occidentales dans les politiques migratoires, relevant pourtant de la seule compétence des Etats.
C’est ainsi que des villes italiennes de gauche se sont opposées au décret Salvini du 24 septembre 201817 sur la sécurité et l’immigration, certaines d’entre elles refusant d’appliquer la partie du texte qui les concerne. Le maire de Palerme a même été soutenu dans sa démarche par Bill de Blasio, son homologue démocrate de New York18.
En France, 32 conseils départementaux de gauche, ainsi que la Ville de Paris, avaient annoncé leur intention de ne pas appliquer la loi Darmanin en tant qu’elle durcissait les conditions de versement aux étrangers de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA)19. La plateforme des collectivités solidaires avec SOS Méditerranée compte désormais plus de 110 membres20.
Le tropisme idéologique des grandes collectivités est en décalage avec les attentes exprimées par la population française dans son ensemble. 68% des Français sont ainsi favorables à l’arrêt des subventions publiques destinées aux associations de soutien aux migrants entrés illégalement en France.21
« Diplomatie des villes », lobbying des ONG, prises de positions de diverses autorités administratives indépendantes telles que le défenseur des droits ou la commission nationale consultative des droits de l’homme, campagnes des grandes entreprises et de leurs représentants en faveur de l’immigration : les « anywhere » immigrationnistes sont en position de monopole au sein des institutions publiques et privées et mènent une guerre culturelle et politique de chaque instant.
3.2 Comment faire face à l’offensive immigrationniste des collectivités locales ?
En l’état actuel du droit, lorsque des subventions sont proposées à des associations comparables à SOS Méditerranée, il est envisageable de demander au juge administratif d’annuler les délibérations correspondantes dès lors que, comme nous l’avons dit, le Conseil d’Etat n’a pas été mis à même de se positionner sur l’ensemble des illégalités potentielles entachant ces actes.
Le Conseil d’Etat a indiqué, dans sa décision n°474652 portant sur la subvention accordée par la ville de Montpellier, qu’un requérant établissant sa qualité de contribuable communal a un intérêt pour agir contre une délibération qui a pour objet d’accorder une subvention. Cet élément semble assouplir considérablement les conditions posées par la jurisprudence « Commune de Rivedoux-Plage ».22
Depuis 2022, seules les délibérations des communes de Paris, Montpellier, Saint-Nazaire, du conseil départemental de Haute-Garonne et du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine ont fait l’objet de contentieux, ce qui révèle une faible mobilisation des élus d’opposition.
Par ailleurs, au regard du contexte politique que nous avons mentionné, il semblerait opportun de modifier la loi et de restreindre les capacités d’action extérieure des collectivités locales, en revenant au cadre qui régissait celle-ci avant la loi Thiollière : dans un souci de cohérence et de respect des prérogatives de l’Etat, les collectivités ne devraient être autorisées à mener cette action que dans le strict cadre de leurs compétences.
Enfin, il faudra se pencher, plus largement, sur l’ensemble des subventions accordées aux associations de défense de l’immigration qui sont financées par l’Etat pour saper sa propre politique et former de multiples recours contre les décisions d’éloignement des étrangers. Dans le projet de loi de finances pour 2023, l’Etat prévoyait de verser 736 millions d’euros aux 1 500 associations qui assurent des missions d’accueil, d’accompagnement et d’assistance juridiques.2324Le poids croissant du contentieux des étrangers qui représente en 2023, 43% des dossiers traités par les tribunaux administratifs et 57% de ceux traités par les cours administratives d’appel, cet ensemble étant composé pour une bonne part de requêtes dépourvues de moyens sérieux, conduit selon le rapport de François-Noël Buffet25 à placer les « juridictions administratives au bord de l’embolie ».
Bibliographie
- Site internet de l’association SOS Méditerranée https://sosmediterranee.fr/mission- sauvetage-en-mer/#historique
- Communiqué de presse du Conseil d’Etat relatif à son arrêt du 13 mai 2024 https://www.conseil-etat.fr/actualites/sos-mediterranee-les-collectivites- territoriales-peuvent-accorder-sous-conditions-une-subvention-a-une-action- humanitaire-internationale
- Loi n°2007-147 du 2 février 2007 relative à l’action extérieure des collectivités territo- riales et de leurs groupements https://www.senat.fr/leg/ppl04-224.html
- Décision du Conseil constitutionnel n°2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018 https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018717_718QPC.htm
- Arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris, 4ème Chambre Chambre, en date du 3 mars 2023, 22PA04811 https://justice.pappers.fr/decision/34891dc46a531f72094faf67df2bdcddcbe9c86c?q=2 2PA04811&tri=date
- Arrêt du Conseil d’Etat n°474652, en date du 13 mars 2024 https://www.conseil- etat.fr/Media/actualites/documents/2024/mai-2024/474652.pdf
- Site internet de l’association SOS Méditerranée, présentation des missions et valeurs https://sosmediterranee.fr/mission-sauvetage-en-mer/#valeurs
- « L’Ocean Viking a quitté Toulon, le débarquement des migrants étant terminé » Le Figaro, 12/11/2022 https://www.lefigaro.fr/actualite-france/l-ocean-viking-a-quitte- toulon-le-debarquement-des-migrants-etant-termine-20221112
- Rapport de Frontex « Risk and analysis for 2017 » https://www.frontex.europa.eu/assets/Publications/Risk_Analysis/Annual_Risk_An alysis_2017.pdf
- « Trois ONG de sauvetage en mer accusées de complicité avec les passeurs crimi- nels » Le Temps, 11/03/2021 https://www.letemps.ch/monde/trois-ong-sauvetage- mer-accusees-complicite-passeurs-criminels
- « Ocean Viking : que sont devenus les migrants secourus et débarqués en France ? » L’Express, 19/11/2022 https://www.lexpress.fr/societe/ocean-viking-que-sont- devenus-les-migrants-secourus-et-debarques-en-france_2183802.html
- Rapport d’activité 2020 de SOS Méditerranée France https://sosmediterranee.fr/wp- content/uploads/2021/04/rapportactivite2020.pdf
- Rapport d’activité 2021 de SOS Méditerranée France https://sosmediterranee.fr/wp- content/uploads/2022/06/SOS_MEDITERRANEE_RA_2021_DEF_WEB.pdf
- « Le droit de vote des résidents étrangers : un combat toujours d’actualité » Moha- med Ben Saïd, Bernard Delemotte, Vincent Rebérioux (revue Plein droit 2023/1 n° 136, pages 45 à 48) https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2023-1-page-45.htm
- David Goodhart, Les deux clans : la nouvelle fracture mondiale, Paris, Les arènes, 2019
- « Premier tour de l’élection présidentielle 2022 : vote des villes, vote des cam- pagnes » Le Monde, 11/04/2022 https://www.lemonde.fr/les- decodeurs/article/2022/04/11/premier-tour-2022-vote-des-villes-vote-des- campagnes_6121688_4355770.html
- Election présidentielle américaine 2020, carte par carte et répartition des voix https://brilliantmaps.com/2020-county-election-map/
- Liste des maires actuels dans les 100 premières villes des Etats-Unis https://ballotpedia.org/List_of_current_mayors_of_the_top_100_cities_in_the_Unit ed_States
- « Le nouveau rôle des villes et pourquoi il faut l’encourager » Terra Nova, 13 mars 2020 https://tnova.fr/economie-social/territoires-metropoles/le-nouveau-role- international-des-villes-et-pourquoi-il-faut-lencourager/
- « Le Maire de Palerme veut que sa ville soit connue pour les droits des migrants » Info Migrants, 13/02/2019 https://www.infomigrants.net/en/post/15154/palermo- mayor-says-city-wants-to-be-known-for-migrant-rights
- « Allocation d’autonomie : les 32 départements de gauche n’appliqueront pas la loi immigration » L’Express, 20/12/2023 https://www.lexpress.fr/politique/loi- immigration-le-lot-la-gironde-et-la-seine-saint-denis-nappliqueront-pas-le-texte- DLD6FDQADVFBXM63RP5QAIU324/
- Site internet de la ville de Bordeaux, présentation du partenariat avec SOS Méditer- ranée https://www.bordeaux.fr/p146760/partenariat-avec-sos-mediterranee
- « Sondage : 68% des Français favorables à l’arrêt des subventions aux associations d’aide aux migrants entrés illégalement sur le territoire » CNEWS, 16/05/2024 https://www.cnews.fr/france/2024-05-16/sondage-68-des-francais-favorables-larret- des-subventions-aux-associations-daide
- Arrêt du Conseil d’Etat n°391570, 7ème – 2ème chambre réunies, 01/06/2016 https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000032625299
- « Comment les associations sous-traitent-elles pour l’Etat, l’accueil des migrants ? » Europe 1, 18/11/2022 https://www.europe1.fr/politique/comment-les-associations- sous-traitent-elles-pour-letat-laccueil-des-migrants-4148425
- Projet de loi de finances pour 2023 https://www.assembleenationale.fr/dyn/content/download/494514/file/PAP2023_B G_Immigration_asile_integration.pdf
- Rapport d’information de M. François-Noël Buffet n°626 (2021-2022) déposé le 10/05/2022 « Services de l’Etat et immigration : retrouver sens et efficacité » https://www.senat.fr/rap/r21-626/r21-626.html
Notes
- https://www.senat.fr/leg/ppl04-224.html ↩︎
- https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018717_718QPC.htm ↩︎
- https://justice.pappers.fr/decision/34891dc46a531f72094faf67df2bdcddcbe9c86c?q=22PA04811&tri=d ate ↩︎
- https://www.conseil-etat.fr/Media/actualites/documents/2024/mai-2024/474652.pdf ↩︎
- https://sosmediterranee.fr/mission-sauvetage-en-mer/#valeurs ↩︎
- https://www.lefigaro.fr/actualite-france/l-ocean-viking-a-quitte-toulon-le-debarquement-des- migrants-etant-termine-20221112 ↩︎
- https://www.frontex.europa.eu/assets/Publications/Risk_Analysis/Annual_Risk_Analysis_2017.pdf ↩︎
- https://www.letemps.ch/monde/trois-ong-sauvetage-mer-accusees-complicite-passeurs- criminels ↩︎
- https://www.lexpress.fr/societe/ocean-viking-que-sont-devenus-les-migrants-secourus-et- debarques-en-france_2183802.html ↩︎
- https://sosmediterranee.fr/wp-content/uploads/2021/04/rapportactivite2020.pdf ↩︎
- https://sosmediterranee.fr/wp-
content/uploads/2022/06/SOS_MEDITERRANEE_RA_2021_DEF_WEB.pdf ↩︎ - https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2023-1-page-45.htm ↩︎
- David Goodhart, Les deux clans : lanouvelle fracture mondiale, Paris, Les arènes, 2019
↩︎ - https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/04/11/premier-tour-2022-vote-des-villes- vote-des-campagnes_6121688_4355770.html ↩︎
- https://brilliantmaps.com/2020-county-election-map/ ↩︎
- https://ballotpedia.org/List_of_current_mayors_of_the_top_100_cities_in_the_United_States ↩︎
- https://tnova.fr/economie-social/territoires-metropoles/le-nouveau-role-international-des-villes- et-pourquoi-il-faut-lencourager/ ↩︎
- https://www.infomigrants.net/en/post/15154/palermo-mayor-says-city-wants-to-be-known-for- migrant-rights ↩︎
- https://www.lexpress.fr/politique/loi-immigration-le-lot-la-gironde-et-la-seine-saint-denis- nappliqueront-pas-le-texte-DLD6FDQADVFBXM63RP5QAIU324/ ↩︎
- https://www.bordeaux.fr/p146760/partenariat-avec-sos-mediterranee ↩︎
- https://www.cnews.fr/france/2024-05-16/sondage-68-des-francais-favorables-larret-des-
subventions-aux-associations-daide ↩︎ - https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000032625299 ↩︎
- 25https://www.europe1.fr/politique/comment-les-associations-sous-traitent-elles-pour-letat-
laccueil-des-migrants-4148425 ↩︎ - https://www.assemblee-
nationale.fr/dyn/content/download/494514/file/PAP2023_BG_Immigration_asile_integration.pdf ↩︎ - https://www.senat.fr/rap/r21-626/r21-626.html ↩︎