Table des matières
L’essentiel
- En matière de contrôle, les frontières extérieures – marquant l’entrée dans l’Union européenne –se distinguent des frontières intérieures – entre pays de l’UE. Les premières sont désormais régies par le Code-frontières Schengen au niveau européen, tandis que les secondes relèvent toujours des États.
- En France, sur les points de passage frontaliers à fort trafic, les contrôles sont exercés par la Police aux frontières, chargée de l’immigration et par la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), chargée des douanes. Aux points de passage secondaires, les douanes exercent, seules, l’ensemble des contrôles. De même, les transporteurs aériens ou maritimes sont responsabilisés avec l’appui de la Direction de la Coopération Internationale de Sécurité (DCIS) dans les pays francophones à fort risque migratoire.
- L’architecture globale du dispositif et les liaisons entre les services impliqués dans les contrôles et la surveillance des frontières sont complexes, ce qui nuit à leur efficacité. Une meilleure coordination nationale, avec la création d’un haut commandement des frontières à vocation interministérielle, véritable chef de file sur l’ensemble des forces impliquées, ainsi qu’un renforcement de la coopération internationale, en mobilisant des effectifs dédiés ou en sollicitant des renforts de Frontex à nos frontières extérieures, sont autant de clés pour améliorer les résultats des contrôles.
- Ces contrôles nécessitent de la logistique (infrastructures immobilières dans les ports et aéroports, moyens mobiles…) et mobilisent des technologies (bases de données, lecteurs de documents, détecteurs thermiques…). Il serait nécessaire d’aller significativement plus loin en la matière, notamment en recourant à l’intelligence artificielle – avec un véritable outil de lutte contre la fraude documentaire ou à l’identité –, à la reconnaissance faciale, à des technologies de détection de franchissements irréguliers ou de comportements anormaux en zone frontalière.
- Il convient enfin de relever l’enjeu de la qualité des contrôles aux frontières, particulièrement en mettant en place une véritable filière de formation des gardes-frontières – inexistante à ce jour.
Introduction
Contrôle des frontières, des moyens à la hauteur des enjeux ? par Fernand GONTIER, ex-directeur central de la PAF
La réponse ne peut être binaire et cette présentation démontre qu’il convient de différencier les moyens engagés sur les différents types de frontières de la France, selon leur nature juridique ou physique.
Quand on évoque les frontières, il faut toujours rappeler la distinction fondamentale entre les frontières extérieures de l’espace Schengen et les frontières intérieures ou nationales.
Ces deux types de frontières n’obéissent pas aux mêmes règles juridiques et ne disposent pas des mêmes moyens. J’ai évoqué dans mon livre La face cachée de l’immigration les appellations de frontières « dures » pour les unes et de frontières « molles » pour les autres, au regard précisément des modalités de contrôle, des ressources engagées et des difficultés rencontrées par les gardes-frontières.
Les frontières extérieures, s’agissant de la France, concernent essentiellement des aéroports et des ports qui constituent des points de passage frontalier (PPF). On en recense 120 environ en France, dont 78 aériens. Un PPF peut recevoir plus de 70 millions de passagers par an comme Roissy, ou quelques milliers sur un aérodrome secondaire comme Colmar par exemple. Le statut de PPF est très recherché par les collectivités locales, qui y voient une possibilité de développement et d’aménagement du territoire.
Si l’objectif des contrôles aux frontières extérieures de l’espace Schengen est bien fixé par un code communautaire, en revanche, les moyens engagés sont définis et financés par les États membres, le cas échéant avec des aides européennes (par exemple les fonds IGFV d’un montant de 6,4 milliards d’euros pour la période 2021-2027) ou autres, notamment britanniques pour sécuriser les ports et le littoral de la Manche et de la mer du Nord (72 millions d’euros en 2023). Les gestionnaires de PPF doivent également contribuer à mettre en place des équipements et les infrastructures nécessaires.
Ainsi, le Code frontières Schengen (CFS) fixe aux États membres dans son article 14 un objectif de moyens : « les États membres mettent en place les effectifs et les moyens appropriés et suffisants pour exercer le contrôle aux frontières extérieures conformément aux articles 6 à 13, de manière à assurer un contrôle efficace, de haut niveau et uniforme à leurs frontières extérieures. »
L’objectif est par ailleurs régulièrement contrôlé dans chaque État membre par une commission d’évaluation dite SCHEVAL (Schengen Evaluation) qui vérifie concrètement l’efficacité des contrôles et l’adéquation des moyens mis en œuvre pour y parvenir. Cette Commission est composée de représentants qualifiés, le plus souvent des gardes-frontières ou des garde-côtes des États Schengen.
La France reste souveraine quant à ses choix d’organisation, de services engagés et de financement, mais elle doit respecter les objectifs fixés et rendre compte des mesures prises pour corriger ses lacunes.
Il en va différemment s’agissant des contrôles aux frontières intérieures entre États membres, notamment lors du rétablissement des contrôles aux frontières. Dans cette hypothèse (depuis le 13 novembre 2015 pour notre pays), la France fixe seule les objectifs et les moyens consacrés.
Il est clair que les moyens alloués déterminent les résultats obtenus : à cet égard, le pouvoir politique détermine les moyens humains, logistiques et technologiques. Le contrôle aux frontières est une activité d’initiative qui révèle une pression migratoire. Si les moyens sont insuffisants, le « thermomètre » renverra une image déformée de la réalité des franchissements irréguliers. Ces moyens, quand bien même fussent-ils suffisants en nombre et en qualité, sont également conditionnés par les règles juridiques de leur engagement.
Ces moyens varient sensiblement en fonction de la nature physique de la frontière, qu’elle soit routière ou ferroviaire, maritime ou aérienne.
Les territoires d’Outre-mer de leur côté relèvent de la seule compétence nationale.
1- Les contrôles en amont de la frontière : comment est-ce possible ?
Dans mon ouvrage « La face cachée de l’immigration », je présente un aspect méconnu du contrôle des frontières au travers de l’activité de la Direction de la coopération internationale de sécurité (DCIS), qui est une direction conjointe de la police et de la gendarmerie nationales, et qui œuvre en amont depuis les pays sources pour entraver les départs de personnes ne réunissant pas les conditions pour entrer sur notre territoire.
Elle déploie une quarantaine d’officiers de liaison immigration, notamment dans les aéroports des pays francophones à fort risque migratoire. Chaque année, environ 20 000 à 25 000 personnes sont refusées à l’embarquement de vols vers la France, en raison de la détection d’un faux document ou d’un profil migratoire avéré. Cette mission opérationnelle réalisée sur le terrain s’accomplit avec le concours des compagnies aériennes, qui évitent ainsi des sanctions financières et des frais de rapatriement à l’arrivée des vols.
Au-delà de l’action des officiers de liaison, les transporteurs aériens ou maritimes sont soumis à des obligations de contrôle dans les pays de départ pour s’assurer avant l’embarquement que les passagers sont admissibles dans les pays d’arrivée. Ils doivent vérifier, sous peine d’une amende administrative de 10 000 euros par passager, la validité des documents de voyage, des visas le cas échéant et détecter les fraudes documentaires manifestes. Ainsi, les opérateurs privés du transport sont responsabilisés dans leur mission afin de ne pas favoriser ou faciliter les entrées irrégulières.
Ces actions préventives sont très efficaces et doivent être développées. Il conviendrait de créer au sein de la DCIS des officiers de liaison temporaires et projetables dans les pays où sont constatés des phénomènes émergents d’émigration clandestine. Il serait également souhaitable de mutualiser ces officiers de liaison opérationnels avec d’autres États européens qui en disposent également.
2 – Les services engagés
En France le contrôle aux frontières est mis en œuvre par deux services dédiés, qui n’ont toutefois pas les mêmes missions ni la même organisation et le même statut.
La Police aux frontières (PAF), forte de 12 000 agents dont 3500 à 4000 gardes-frontières, est en charge des PPF à fort trafic (Roissy, Orly …) tandis que la douane (DGDDI) a en charge les PPF secondaires. Sur les « gros » PPF, les douaniers n’exercent que des missions fiscales ou douanières. Dans les PPF secondaires, seule la douane est présente et exerce concomitamment des missions de contrôle de l’immigration et de contrôle douanier. Les deux administrations ne sont donc pas interchangeables au regard de la nature des missions. La physionomie de notre organisation est historique et les relations entre les deux services sont optimales et reposent sur des protocoles de liaison et d’information.
La Police aux frontières est à la fois chargée du contrôle des frontières, de la lutte contre l’immigration clandestine, de la lutte contre les trafics de migrants et assume toutes les missions liées à l’éloignement des étrangers. Cette organisation permet « d’embrasser » avec pertinence l’ensemble des aspects migratoires. La PAF emploie des personnels titulaires relevant de la police nationale mais également des policiers adjoints qui sont des contractuels. Avec la perspective du Brexit, des futurs systèmes d’information européens aux frontières et après une décrue d’effectifs non remplacés pendant la crise du Covid, la police nationale a mis en place des recrutements d’agents administratifs et de contractuels supplémentaires afin d’armer tous les postes de travail destinés au contrôle dit de « première ligne » dans les PPF. Ces personnels complémentaires sont systématiquement placés sous le contrôle de policiers actifs et dédiés au contrôle de ressortissants communautaires ou de pays sûrs. Le Code frontières Schengen n’exige pas que les gardes-frontières soient des policiers, mais ils doivent obligatoirement avoir le statut d’agents publics. Ainsi, une externalisation vers des agents privés n’est ni souhaitable, ni possible. Ces agents, formés en 15 jours, réalisent des opérations basiques (consultations de fichiers, contrôle de validité des documents de voyage) à côté de policiers de la PAF, présents dans des aubettes « doubles ». Il faudra réaliser une évaluation de cette pratique afin d’éviter une éventuelle dégradation de la qualité des contrôles.
La reprise, notamment, du trafic aérien en 2022 ainsi que la préparation des Jeux Olympiques de 2024 ont également incité à cette diversification des personnels. Au-delà de l’aspect numérique des effectifs de première ligne, afin d’assurer la fluidité et la réduction des temps d’attente, il existe un enjeu de qualité du contrôle aux frontières qui me semble avoir été quelque peu minoré. La formation de la police nationale et désormais l’académie de police récemment créée, ont « oublié » de mettre en place une filière de formation des gardes-frontières. Cette formation est à ce jour assurée par la Police aux frontières sur site avec ses moyens propres. Cela me paraît être une lacune importante dans notre dispositif et elle a été relevée lors de la dernière évaluation Schengen.
Sur les intervalles entre les PPF et dans les espaces frontaliers, on évoque la notion de surveillance des frontières. Cette surveillance est exercée par les services généralistes de la police nationale et de la gendarmerie nationale, en particulier sur les frontières terrestres. Pour leur part, les militaires en renfort Sentinelle n’effectuent qu’une mission d’observation et de sécurisation des personnels et uniquement dans un cadre de lutte antiterroriste. S’agissant des frontières « maritimes », cette mission de surveillance implique tous les services œuvrant pour l’action de l’État en mer.
En complément des services territoriaux compétents, la mission de surveillance est renforcée de façon quasi permanente, et selon leur disponibilité, par des CRS ou des gendarmes mobiles, en particulier sur des zones à forte activité migratoire comme le littoral des Hauts-de-France ou encore les Alpes-Maritimes. On recense environ 15 forces mobiles soit environ 1000 personnels en mission de renfort permanent de la Police aux frontières. Ces différents services mettent à disposition de la Police aux frontières les personnes interpellées en situation irrégulière, aux fins de procédure administrative ou judiciaire.
Il y a par ailleurs un vrai problème de gestion prévisionnelle des effectifs de la Police aux frontières au regard de ses missions, mais également de formation dans le domaine spécifique du contrôle transfrontière, du droit des étrangers et de la lutte contre la fraude documentaire. Les arbitrages ministériels en matière d’attribution d’effectifs sont rendus souvent en réaction en fonction des « urgences » de court terme et rarement anticipés.
A mon sens, cette architecture des services (et j’aurais pu ajouter pour être complet la gendarmerie de l’air pour les bases aériennes) très empirique souffre d’une complexité qui rend plus difficile l’efficacité, la qualité et la pérennité du contrôle à nos frontières. Nous avons donc besoin d’une vraie filière chargée du contrôle aux frontières, d’un État-major opérationnel au niveau central et d’États-majors déconcentrés afin de coordonner l’action des services engagés. La réforme de la police nationale qui a départementalisé en 2024 les différentes filières (Sécurité publique, Police Judiciaire, Police aux frontières) constitue un facteur de complexité supplémentaire.
À ce stade, il faut indiquer que l’Agence Frontex va bénéficier en 2027 de 10 000 garde-côtes ou gardes-frontières. La France, comme les autres États membres, peut solliciter ces moyens humains pour le contrôle à nos frontières extérieures. Il est dommage que notre pays soit réticent à solliciter ces renforts, sans doute pour ne pas apparaître comme un pays déficient alors que nous sommes l’un des plus gros contributeurs avec 11% d’effectifs français. A mon sens, cette Police aux frontières européenne a toute sa place sur une frontière communautaire. L’Agence peut également fournir des technologies ou des moyens logistiques (avions, bateaux, véhicules terrestres, etc).
3 – La coordination nationale et la coopération internationale
Les coordinations opérationnelles nationale et territoriale sont déficientes aujourd’hui, faute d’avoir créé un véritable chef de file du contrôle et de la surveillance des frontières avec un pouvoir de commandement effectif sur l’ensemble des forces impliquées. Il y a une tendance des services impliqués à s’autonomiser en l’absence d’une organisation structurée autour de la Police aux frontières. Au-delà de l’effet d’annonce politique autour d’une « border force à la française », il conviendrait de structurer organiquement un haut commandement des frontières avec une vocation interministérielle.
La question de la coordination est particulièrement aiguë s’agissant de la surveillance maritime. Ce point a été relevé à juste titre par la commission d’évaluation Schengen en 2021. Les moyens maritimes ne sont pas coordonnés suffisamment avec les moyens terrestres. Par ailleurs il paraît anachronique que le centre national de coordination des frontières (NCC), relais de Frontex pour la France, ait été confié au secrétariat général de la Mer alors que la Police aux frontières a été instituée comme le point national de contact de l’Agence Frontex (NFPOC).
La coordination des administrations pour le contrôle des frontières repose sur des textes d’un niveau juridique très insuffisant : circulaire du 23 août 2003, arrêtés ministériels d’organisation de la PAF…
Les services concernés agissent parfois selon des logiques propres, tant aux niveaux central que territorial. Il faudrait rehausser significativement ce niveau si l’on souhaite une véritable coordination interministérielle, par exemple sous l’autorité du Premier Ministre. Le spectre des contrôles aux frontières est très large et devrait regrouper autour d’un ministère pilote qui serait l’Intérieur, les ministères suivants : Défense, Économie et Finances, Affaires Etrangères, Justice, Transports, Santé, Mer, et le cas échéant tout autre ministère concerné par une actualité.
Ce haut commandement permanent et structuré autour d’un État major réaliserait des analyses de risque, serait le relais de Frontex (Eurosur, Corps européen de gardes-frontières et de garde-côtes…), assurerait une veille permanente de la situation aux frontières, évaluerait et déterminerait les moyens affectés aux contrôles et à la surveillance des frontières, fixerait la doctrine des contrôles aux frontières et déclinerait des instructions, engagerait des opérations nationales ou régionales d’envergure, assurerait et développerait la coopération frontalière.
Cette création répondrait aux critiques récurrentes de la Commission européenne vis-à-vis de la France, qui reproche une insuffisante gestion intégrée des frontières
Plus que jamais, la coopération internationale constitue l’une des clés d’amélioration des résultats à nos frontières, tant avec les pays tiers qu’au sein même de l’espace européen. De nombreux programmes européens sont mis en œuvre dans les pays tiers afin de les aider à maîtriser leurs propres frontières et à entraver les déplacements irréguliers (ROCK en Afrique de l’Est, Partenariats opérationnels conjoints en Afrique de l’Ouest…). Il faut cependant veiller à ce que ces programmes européens soient parfaitement coordonnés avec les actions bilatérales des États membres. Il est nécessaire par exemple de clarifier le rôle respectif des officiers de liaison immigration européens et nationaux.
Au sein de l’espace Schengen entre États membres, la coopération opérationnelle est très active avec des patrouilles mixtes, des contrôles coordonnés, des brigades mixtes. Ce sont des modalités très concrètes d’actions communes afin de sécuriser les espaces frontaliers. Il faut développer encore ces coopérations avec des effectifs dédiés. La coopération entre États membres se formalise également au sein des 40 centres de coopération policière et douanière, dont 10 en France, qui sont des structures souples d’échanges de renseignements transfrontaliers.
4 – La typologie des contrôles
Cela peut paraître évident mais le contrôle aux frontières revêt plusieurs aspects : un contrôle migratoire avec l’application de la réglementation transfrontière sous l’autorité directe du ministre de l’Intérieur, un contrôle de police ou de sécurité pour détecter les personnes recherchées (100 000 par an pour la PAF) ou encore révéler les infractions transnationales (trafic d’êtres humains, fraude documentaire…), la recherche du renseignement pour alimenter les services chargés de la sécurité intérieure, et enfin l’application de la réglementation sur les contrôles sanitaires. La polyvalence d’un policier constitue à cet égard un avantage pour accomplir l’ensemble de ces missions.
On peut ajouter d’autres types de contrôle de nature économique, fiscale ou douanière qui sont confiés aux services douaniers ou encore des contrôles vétérinaires, sanitaires ou phytosanitaires. En schématisant, on pourrait dire que la Police aux frontières est plutôt axée sur les personnes, tandis que les services douaniers sont plus orientés vers le contrôle des marchandises et les infractions économiques.
5 – Les moyens dédiés aux procédures
Les missions aux frontières se décomposent en plusieurs niveaux :
- Le contrôle de première ligne, la surveillance, la détection et l’interpellation sur la frontière ;
- Le contrôle de deuxième ligne, sous la forme d’un examen de situation à la suite d’une interpellation ou d’une suspicion de situation irrégulière ;
- Une procédure administrative et/ou une procédure judiciaire le cas échéant, après confirmation d’une infraction ou d’une situation irrégulière.
Il est intéressant d’examiner de près les moyens mis en œuvre pour accomplir ces procédures. On constate sur différentes parties du territoire (par exemple le littoral Nord, les aéroports parisiens, la frontière franco-italienne) une insuffisance de policiers procéduriers au regard de l’activité enregistrée aux frontières. Cela résulte notamment d’une absence d’attractivité pour des services en tension. La complexité de la procédure administrative applicable aux frontières n’a rien à envier à celle de la procédure pénale. Les difficultés sont liées également à la disponibilité de partenaires extérieurs, tels que les interprètes.
6 – Les technologies et la logistique
6.1 Les infrastructures immobilières de contrôle des frontières extérieures
Les installations immobilières sont réalisées par les exploitants, avec des situations variables sur le plan financier et le plus souvent moyennant des loyers payés par l’États. La plupart du temps ces surfaces, non commerciales par définition, sont en quantité (et en qualité) insuffisante pour satisfaire les besoins des services de l’État. Il arrive également que les gestionnaires portuaires ou aéroportuaires rechignent à aménager des infrastructures conformes aux standards du Code frontières Schengen. Or, il n’existe aucune contrainte juridique de l’État dans ce domaine. Par ailleurs, la situation des zones d’attente reste peu satisfaisante, les associations de défense des étrangers le mentionnent régulièrement.
6.2 Les infrastructures immobilières de contrôle aux frontières intérieures
Cette question est essentielle pour la mise en œuvre du rétablissement du contrôle aux frontières intérieures. Le Code frontières Schengen a exigé la disparition de toutes les infrastructures physiques de contrôle aux frontières sur les routes, autoroutes ou encore dans les gares. Il en résulte pour les services français une incapacité ou une extrême difficulté à mettre en œuvre des contrôles en l’absence de barrière de péages (par exemple à la frontière franco-belge).
6.3 Les moyens mobiles
Afin de compenser la suppression des postes frontières, il est mis en place de façon progressive depuis deux ans des véhicules regroupant toutes les fonctionnalités d’un contrôle de première ligne et de deuxième ligne.
6.4 Les matériels et fichiers de contrôle aux frontières
Les documents de voyage sont « lus » numériquement afin d’interroger automatiquement différentes bases de données nationales et européennes via le portail informatique CTF (Fichier des personnes recherchées, Système d’information Schengen, Fichier des visas…) ou d’Interpol (Documents perdus ou volés).
L’interrogation de ces bases de données est régulièrement perturbée par des pannes du système central. À ma connaissance la base Interpol des notices rouges (personnes recherchées) n’est toujours pas disponible dans les aubettes de contrôle. Enfin, certains fichiers spécialisés tels que SETRADER ou PNR complètent le signalement ou la détection de personnes signalées ou recherchées.
Les lecteurs de documents permettent également d’aider le garde-frontière à détecter la fraude documentaire ; récemment, l’Agence Frontex a mis à disposition un logiciel de comparaison des documents contrôlés avec des documents authentiques (FIELDS). Il est nécessaire d’aller plus loin dans l’assistance du garde-frontière, avec un véritable outil de lutte contre la fraude documentaire et à l’identité, recourant à l’intelligence artificielle. L’œil humain reste certes utile mais faillible.
La mise en place progressive voire laborieuse des SAS PARAFE, reposant sur la reconnaissance faciale par authentification, a permis dans les PPF de faciliter et d’accélérer le contrôle aux frontières des ressortissants communautaires ou bénéficiaires de la libre circulation, ou encore plus récemment de ressortissants de certains pays sûrs. En matière de visas, les gardes-frontières n’ont pas connaissance des dossiers de demande déposés dans les consulats français. Il conviendrait que la Police aux frontières et les douanes aient un accès à un réseau dédié nommé « France Visas » afin d’éclairer les examens de situation de cas suspects.
Le champ des contrôles aux frontières est particulièrement adapté pour les nouvelles technologies où le voyageur peut préparer le contrôle afin que le garde-frontière facilite le franchissement de la frontière. La mise en place prochaine du système entrées sorties (EES) ou encore d’Etias pour les pays tiers va constituer un défi en termes d’ergonomie et de fluidité grâce à des procédures de pré-enregistrement ou de pré-contrôle.
En matière de recherches des personnes, des matériels permettent de détecter la présence humaine dans les véhicules (détecteurs thermiques, de gaz carbonique, de battements cardiaques, de silhouettes grâce à des ondes millimétriques …). Ces matériels sont quasi exclusivement utilisés sur les PPF mais (trop) peu développés sur les frontières intérieures alors que ces dernières représentent 90% de l’immigration clandestine pénétrant sur le territoire national.
Le recours à l’intelligence artificielle pour la surveillance des frontières constitue un atout pour autant que les règles juridiques autorisent sa mise en œuvre. La nomination auprès du directeur général de la police nationale d’un coordonnateur en charge des technologies aux frontières est une avancée au regard de la multiplicité des interlocuteurs publics ou privés.
Si l’on peut dire que les contrôles sont efficaces dans les points de passage frontaliers des frontières extérieures, sous les réserves déjà évoquées, il en va différemment s’agissant des intervalles entre les PPF sur les frontières maritimes et surtout sur les frontières terrestres intérieures soit 2900 kilomètres pour la France.
La loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure (RPSI) du 24 janvier 2022 a permis d’autoriser les services de la police et de la gendarmerie nationales à recourir à la captation d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs, drones, hélicoptères, ballons captifs. Cependant, cette loi déjà restrictive sur les conditions de mise en œuvre a vu sa portée encore limitée par le Conseil d’État en juillet 2023, qui a jugé illégale l’utilisation de drones pour surveiller les entrées de migrants à la frontière franco-espagnole. Or, les moyens de surveillance aérienne permettent de limiter l’emploi des personnels au sol et de déclencher à bon escient des interventions ciblées. Les moyens humains n’étant pas extensibles, il est essentiel de pouvoir recourir à des technologies de détection de franchissements irréguliers, de comportements anormaux en zone frontalière (regroupements sur un rivage, véhicules suspects…). L’absence de moyens adaptés limite considérablement l’efficacité du contrôle aux frontières. Enfin, on ne pourra pas éternellement faire l’économie d’une réflexion objective sur le recours à la reconnaissance faciale, qui reste un tabou dans notre pays. Cette technologie fiable d’identification ne peut et ne doit inquiéter que les personnes signalées ou recherchées.
7 – Les Outre-mer
On ne peut parler de contrôle aux frontières en France sans évoquer la situation préoccupante de l’Outre-mer et à titre principal de Mayotte et de la Guyane. L’isolement géographique de ces territoires allié à une immigration massive en provenance d’États voisins peu coopératifs constituent des handicaps majeurs nécessitant une riposte vigoureuse et coordonnée.
A Mayotte, le nombre d’éloignements annuel oscille entre 25 000 et 30 000 par an ; cette activité considérable se justifie par une situation migratoire préoccupante, qui met en péril les équilibres fragiles de la société mahoraise.
Cette activité repose principalement sur les entrées clandestines par voie maritime. En 2023, 661 kwassas-kwassas (type de canots de pêche rapides de 7 à 10 mètres de long) ont été interceptés par les 9 intercepteurs des services de lutte contre l’immigration clandestine en mer. Cela représentait 73 % des kwassas-kwassas détectés. Le nombre de moyens nautiques est longtemps resté sous-dimensionné au regard des besoins opérationnels. Ces intercepteurs sont soumis à des conditions d’emploi exigeantes et donc à une maintenance fréquente. La détection des kwassas-kwassas repose sur l’activation par l’Armée de quatre radars maritimes, installés à Mayotte entre 2006 et 2011. Ces moyens très utiles sont vieillissants et n’assurent pas une couverture totale des approches de l’île.
Par ailleurs, en février 2024, dans le cadre du programme « Frontières Intelligentes » du ministère de l’Intérieur, la préfecture de Mayotte a sollicité les industriels susceptibles de pouvoir lui fournir les technologies civilo-militaires dédiées à l’opération Shikandra 2.
S’agissant de la Guyane, la très grande porosité des frontières fluviales avec le Brésil via l’Oyapock et avec le Suriname via le Maroni est faiblement compensée par les missions de surveillance des pirogues de la Police aux frontières et de la gendarmerie nationale.
8 – Les grands évènements et la gestion de crise
Certains événements sont prévisibles, tels les Jeux Olympiques de Paris 2024, tandis que d’autres surviennent à l’occasion d’attentats terroristes ou de crises migratoires, comme en 2015 ou encore la crise sanitaire de 2020.
Les événements programmés permettent, sur la base d’une analyse de risque, de cibler dans le temps et dans l’espace les moyens engagés sur le terrain. Un contrôle exhaustif de toutes les personnes est irréalisable en termes de moyens ; à cela il faut ajouter une faible disponibilité aux frontières des forces mobiles, qui seront plutôt concentrées sur d’autres missions telles que la prévention des troubles à l’ordre public.
Contrairement à une idée reçue, il n’existe pas de possibilité légale de fermeture des frontières en temps de paix. Le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures n’est autorisé que si des menaces pour l’ordre public ou la sécurité ont un caractère imprévisible. Ce rétablissement est adapté en termes de moyens selon l’état de la menace c’est-à-dire que des contrôles seront ciblés sur des axes migratoires majeurs, tandis que d’autres secteurs frontaliers seront moins surveillés.
Conclusion
Il faut toujours ramener les moyens engagés aux résultats obtenus et à l’analyse du risque migratoire. Le dispositif doit répondre aux enjeux : la situation est plutôt satisfaisante à notre frontière extérieure avec 10 000 refus d’entrée prononcés en moyenne chaque année, bien que toujours perfectible au regard des recommandations de la commission d’évaluation Schengen de 2021 (formation, coordination, gestion des effectifs). Toutefois, la situation reste très préoccupante sur un flux atypique et très élevé vers la Grande Bretagne.
En revanche, la situation à nos frontières intérieures est très dégradée tant en termes de moyens juridiques (90 000 refus d’entrée prononcés en moyenne par an avant la mise en application de l’arrêt du conseil d’États de février 2024, qui a dénoncé la procédure de non-admission aux frontières intérieures), matériels (insuffisance de recours aux technologies de surveillance) et d’effectifs (volatilité des forces mobiles) qu’en termes de coordination des différents services (absence d’Etats-majors intégrés permanents aux niveaux central et territorial).
Les pays sources d’immigration irrégulière pour la France sont l’Italie et l’Espagne dont les frontières extérieures sont poreuses. Il faut espérer que le futur pacte migratoire, qui sera mis en œuvre en 2026, soit efficace malgré l’indispensable réécriture de la directive retour de 2008, oubliée à ce stade.
La sécurité des Français commence aux frontières selon l’expression courante, mais on pourrait compléter en disant que l’insécurité aussi ! Maîtriser nos frontières permet de détecter les risques liées aux personnes dangereuses, recherchées, indésirables, aux trafics de toute nature facilités par la mondialisation des échanges, mais c’est aussi préserver notre identité et nos acquis culturels, sociaux, économiques et démocratiques. L’immigration illégale, subie et massive, devient ingérable, dangereuse et déstabilisante pour les démocraties et nos modes de vie.
Les frontières permettent ainsi de protéger l’intérêt général face à des intérêts individuels étrangers. Les contrôles aux frontières doivent s’adapter en prévenant les flux dès les pays de provenance, en développant la coopération, en agissant tant en Europe qu’en France sur les flux et sur l’immigration de fixation.
Nous devons enfin réinventer un nouveau modèle d’organisation « à la française », plus effica
Synthèse de nos recommandations
- Créer, au sein de la Direction de la coopération internationale de sécurité, des officiers de liaison temporaires et projetables dans les pays où sont constatés des phénomènes émergents d’émigration clandestine, et mutualiser ceux-ci avec d’autres États européens qui en disposent également.
- Evaluer la pratique consistant à embaucher et à former en 15 jours des agents administratifs et des contractuels pour leur faire réaliser des opérations basiques de contrôle dans les points de passage frontaliers
- Mettre en place une filière de formation des gardes-frontières.
- Solliciter des renforts de Frontex sur nos frontières extérieures.
- Structurer organiquement un haut commandement des frontières, avec une vocation interministérielle, en regroupant autour d’un ministère pilote qui serait l’Intérieur, les ministères suivants : Défense, Économie et Finances, Affaires Etrangères, Justice, Transports, Santé, Mer, et le cas échéant tout autre ministère concerné par une actualité.
- Veiller à ce que les programmes européens soient parfaitement coordonnés avec les actions bilatérales des États membres (exemple : clarifier le rôle respectif des officiers de liaison immigration européens et nationaux).
- Développer la coopération opérationnelle en lien avec les États membres de l’espace Schengen, avec des effectifs dédiés.
- Mettre en place pour les gardes-frontières un véritable outil de lutte contre la fraude documentaire et à l’identité, recourant à l’intelligence artificielle.
- Donner à la Police aux frontières et aux douanes un accès à un réseau dédié nommé « France Visas » afin d’éclairer les examens de situation de cas suspects.
- Recourir à l’intelligence artificielle, à la reconnaissance faciale, à des technologies de détection de franchissements irréguliers, de comportements anormaux en zone frontalière (regroupements sur un rivage, véhicules suspects…) pour contrôler plus efficacement les frontières.
Introduction
Contrôle des frontières, des moyens à la hauteur des enjeux ? par Fernand GONTIER, ex-directeur central de la PAF
La réponse ne peut être binaire et cette présentation démontre qu’il convient de différencier les moyens engagés sur les différents types de frontières de la France, selon leur nature juridique ou physique.
Quand on évoque les frontières, il faut toujours rappeler la distinction fondamentale entre les frontières extérieures de l’espace Schengen et les frontières intérieures ou nationales.
Ces deux types de frontières n’obéissent pas aux mêmes règles juridiques et ne disposent pas des mêmes moyens. J’ai évoqué dans mon livre La face cachée de l’immigration les appellations de frontières « dures » pour les unes et de frontières « molles » pour les autres, au regard précisément des modalités de contrôle, des ressources engagées et des difficultés rencontrées par les gardes-frontières.
Les frontières extérieures, s’agissant de la France, concernent essentiellement des aéroports et des ports qui constituent des points de passage frontalier (PPF). On en recense 120 environ en France, dont 78 aériens. Un PPF peut recevoir plus de 70 millions de passagers par an comme Roissy, ou quelques milliers sur un aérodrome secondaire comme Colmar par exemple. Le statut de PPF est très recherché par les collectivités locales, qui y voient une possibilité de développement et d’aménagement du territoire.
Si l’objectif des contrôles aux frontières extérieures de l’espace Schengen est bien fixé par un code communautaire, en revanche, les moyens engagés sont définis et financés par les États membres, le cas échéant avec des aides européennes (par exemple les fonds IGFV d’un montant de 6,4 milliards d’euros pour la période 2021-2027) ou autres, notamment britanniques pour sécuriser les ports et le littoral de la Manche et de la mer du Nord (72 millions d’euros en 2023). Les gestionnaires de PPF doivent également contribuer à mettre en place des équipements et les infrastructures nécessaires.
Ainsi, le Code frontières Schengen (CFS) fixe aux États membres dans son article 14 un objectif de moyens : « les États membres mettent en place les effectifs et les moyens appropriés et suffisants pour exercer le contrôle aux frontières extérieures conformément aux articles 6 à 13, de manière à assurer un contrôle efficace, de haut niveau et uniforme à leurs frontières extérieures. »
L’objectif est par ailleurs régulièrement contrôlé dans chaque État membre par une commission d’évaluation dite SCHEVAL (Schengen Evaluation) qui vérifie concrètement l’efficacité des contrôles et l’adéquation des moyens mis en œuvre pour y parvenir. Cette Commission est composée de représentants qualifiés, le plus souvent des gardes-frontières ou des garde-côtes des États Schengen.
La France reste souveraine quant à ses choix d’organisation, de services engagés et de financement, mais elle doit respecter les objectifs fixés et rendre compte des mesures prises pour corriger ses lacunes.
Il en va différemment s’agissant des contrôles aux frontières intérieures entre États membres, notamment lors du rétablissement des contrôles aux frontières. Dans cette hypothèse (depuis le 13 novembre 2015 pour notre pays), la France fixe seule les objectifs et les moyens consacrés.
Il est clair que les moyens alloués déterminent les résultats obtenus : à cet égard, le pouvoir politique détermine les moyens humains, logistiques et technologiques. Le contrôle aux frontières est une activité d’initiative qui révèle une pression migratoire. Si les moyens sont insuffisants, le « thermomètre » renverra une image déformée de la réalité des franchissements irréguliers. Ces moyens, quand bien même fussent-ils suffisants en nombre et en qualité, sont également conditionnés par les règles juridiques de leur engagement.
Ces moyens varient sensiblement en fonction de la nature physique de la frontière, qu’elle soit routière ou ferroviaire, maritime ou aérienne.
Les territoires d’Outre-mer de leur côté relèvent de la seule compétence nationale.
1- Les contrôles en amont de la frontière : comment est-ce possible ?
Dans mon ouvrage « La face cachée de l’immigration », je présente un aspect méconnu du contrôle des frontières au travers de l’activité de la Direction de la coopération internationale de sécurité (DCIS), qui est une direction conjointe de la police et de la gendarmerie nationales, et qui œuvre en amont depuis les pays sources pour entraver les départs de personnes ne réunissant pas les conditions pour entrer sur notre territoire.
Elle déploie une quarantaine d’officiers de liaison immigration, notamment dans les aéroports des pays francophones à fort risque migratoire. Chaque année, environ 20 000 à 25 000 personnes sont refusées à l’embarquement de vols vers la France, en raison de la détection d’un faux document ou d’un profil migratoire avéré. Cette mission opérationnelle réalisée sur le terrain s’accomplit avec le concours des compagnies aériennes, qui évitent ainsi des sanctions financières et des frais de rapatriement à l’arrivée des vols.
Au-delà de l’action des officiers de liaison, les transporteurs aériens ou maritimes sont soumis à des obligations de contrôle dans les pays de départ pour s’assurer avant l’embarquement que les passagers sont admissibles dans les pays d’arrivée. Ils doivent vérifier, sous peine d’une amende administrative de 10 000 euros par passager, la validité des documents de voyage, des visas le cas échéant et détecter les fraudes documentaires manifestes. Ainsi, les opérateurs privés du transport sont responsabilisés dans leur mission afin de ne pas favoriser ou faciliter les entrées irrégulières.
Ces actions préventives sont très efficaces et doivent être développées. Il conviendrait de créer au sein de la DCIS des officiers de liaison temporaires et projetables dans les pays où sont constatés des phénomènes émergents d’émigration clandestine. Il serait également souhaitable de mutualiser ces officiers de liaison opérationnels avec d’autres États européens qui en disposent également.
2 – Les services engagés
En France le contrôle aux frontières est mis en œuvre par deux services dédiés, qui n’ont toutefois pas les mêmes missions ni la même organisation et le même statut.
La Police aux frontières (PAF), forte de 12 000 agents dont 3500 à 4000 gardes-frontières, est en charge des PPF à fort trafic (Roissy, Orly …) tandis que la douane (DGDDI) a en charge les PPF secondaires. Sur les « gros » PPF, les douaniers n’exercent que des missions fiscales ou douanières. Dans les PPF secondaires, seule la douane est présente et exerce concomitamment des missions de contrôle de l’immigration et de contrôle douanier. Les deux administrations ne sont donc pas interchangeables au regard de la nature des missions. La physionomie de notre organisation est historique et les relations entre les deux services sont optimales et reposent sur des protocoles de liaison et d’information.
La Police aux frontières est à la fois chargée du contrôle des frontières, de la lutte contre l’immigration clandestine, de la lutte contre les trafics de migrants et assume toutes les missions liées à l’éloignement des étrangers. Cette organisation permet « d’embrasser » avec pertinence l’ensemble des aspects migratoires. La PAF emploie des personnels titulaires relevant de la police nationale mais également des policiers adjoints qui sont des contractuels. Avec la perspective du Brexit, des futurs systèmes d’information européens aux frontières et après une décrue d’effectifs non remplacés pendant la crise du Covid, la police nationale a mis en place des recrutements d’agents administratifs et de contractuels supplémentaires afin d’armer tous les postes de travail destinés au contrôle dit de « première ligne » dans les PPF. Ces personnels complémentaires sont systématiquement placés sous le contrôle de policiers actifs et dédiés au contrôle de ressortissants communautaires ou de pays sûrs. Le Code frontières Schengen n’exige pas que les gardes-frontières soient des policiers, mais ils doivent obligatoirement avoir le statut d’agents publics. Ainsi, une externalisation vers des agents privés n’est ni souhaitable, ni possible. Ces agents, formés en 15 jours, réalisent des opérations basiques (consultations de fichiers, contrôle de validité des documents de voyage) à côté de policiers de la PAF, présents dans des aubettes « doubles ». Il faudra réaliser une évaluation de cette pratique afin d’éviter une éventuelle dégradation de la qualité des contrôles.
La reprise, notamment, du trafic aérien en 2022 ainsi que la préparation des Jeux Olympiques de 2024 ont également incité à cette diversification des personnels. Au-delà de l’aspect numérique des effectifs de première ligne, afin d’assurer la fluidité et la réduction des temps d’attente, il existe un enjeu de qualité du contrôle aux frontières qui me semble avoir été quelque peu minoré. La formation de la police nationale et désormais l’académie de police récemment créée, ont « oublié » de mettre en place une filière de formation des gardes-frontières. Cette formation est à ce jour assurée par la Police aux frontières sur site avec ses moyens propres. Cela me paraît être une lacune importante dans notre dispositif et elle a été relevée lors de la dernière évaluation Schengen.
Sur les intervalles entre les PPF et dans les espaces frontaliers, on évoque la notion de surveillance des frontières. Cette surveillance est exercée par les services généralistes de la police nationale et de la gendarmerie nationale, en particulier sur les frontières terrestres. Pour leur part, les militaires en renfort Sentinelle n’effectuent qu’une mission d’observation et de sécurisation des personnels et uniquement dans un cadre de lutte antiterroriste. S’agissant des frontières « maritimes », cette mission de surveillance implique tous les services œuvrant pour l’action de l’État en mer.
En complément des services territoriaux compétents, la mission de surveillance est renforcée de façon quasi permanente, et selon leur disponibilité, par des CRS ou des gendarmes mobiles, en particulier sur des zones à forte activité migratoire comme le littoral des Hauts-de-France ou encore les Alpes-Maritimes. On recense environ 15 forces mobiles soit environ 1000 personnels en mission de renfort permanent de la Police aux frontières. Ces différents services mettent à disposition de la Police aux frontières les personnes interpellées en situation irrégulière, aux fins de procédure administrative ou judiciaire.
Il y a par ailleurs un vrai problème de gestion prévisionnelle des effectifs de la Police aux frontières au regard de ses missions, mais également de formation dans le domaine spécifique du contrôle transfrontière, du droit des étrangers et de la lutte contre la fraude documentaire. Les arbitrages ministériels en matière d’attribution d’effectifs sont rendus souvent en réaction en fonction des « urgences » de court terme et rarement anticipés.
A mon sens, cette architecture des services (et j’aurais pu ajouter pour être complet la gendarmerie de l’air pour les bases aériennes) très empirique souffre d’une complexité qui rend plus difficile l’efficacité, la qualité et la pérennité du contrôle à nos frontières. Nous avons donc besoin d’une vraie filière chargée du contrôle aux frontières, d’un État-major opérationnel au niveau central et d’États-majors déconcentrés afin de coordonner l’action des services engagés. La réforme de la police nationale qui a départementalisé en 2024 les différentes filières (Sécurité publique, Police Judiciaire, Police aux frontières) constitue un facteur de complexité supplémentaire.
À ce stade, il faut indiquer que l’Agence Frontex va bénéficier en 2027 de 10 000 garde-côtes ou gardes-frontières. La France, comme les autres États membres, peut solliciter ces moyens humains pour le contrôle à nos frontières extérieures. Il est dommage que notre pays soit réticent à solliciter ces renforts, sans doute pour ne pas apparaître comme un pays déficient alors que nous sommes l’un des plus gros contributeurs avec 11% d’effectifs français. A mon sens, cette Police aux frontières européenne a toute sa place sur une frontière communautaire. L’Agence peut également fournir des technologies ou des moyens logistiques (avions, bateaux, véhicules terrestres, etc).
3 – La coordination nationale et la coopération internationale
Les coordinations opérationnelles nationale et territoriale sont déficientes aujourd’hui, faute d’avoir créé un véritable chef de file du contrôle et de la surveillance des frontières avec un pouvoir de commandement effectif sur l’ensemble des forces impliquées. Il y a une tendance des services impliqués à s’autonomiser en l’absence d’une organisation structurée autour de la Police aux frontières. Au-delà de l’effet d’annonce politique autour d’une « border force à la française », il conviendrait de structurer organiquement un haut commandement des frontières avec une vocation interministérielle.
La question de la coordination est particulièrement aiguë s’agissant de la surveillance maritime. Ce point a été relevé à juste titre par la commission d’évaluation Schengen en 2021. Les moyens maritimes ne sont pas coordonnés suffisamment avec les moyens terrestres. Par ailleurs il paraît anachronique que le centre national de coordination des frontières (NCC), relais de Frontex pour la France, ait été confié au secrétariat général de la Mer alors que la Police aux frontières a été instituée comme le point national de contact de l’Agence Frontex (NFPOC).
La coordination des administrations pour le contrôle des frontières repose sur des textes d’un niveau juridique très insuffisant : circulaire du 23 août 2003, arrêtés ministériels d’organisation de la PAF…
Les services concernés agissent parfois selon des logiques propres, tant aux niveaux central que territorial. Il faudrait rehausser significativement ce niveau si l’on souhaite une véritable coordination interministérielle, par exemple sous l’autorité du Premier Ministre. Le spectre des contrôles aux frontières est très large et devrait regrouper autour d’un ministère pilote qui serait l’Intérieur, les ministères suivants : Défense, Économie et Finances, Affaires Etrangères, Justice, Transports, Santé, Mer, et le cas échéant tout autre ministère concerné par une actualité.
Ce haut commandement permanent et structuré autour d’un État major réaliserait des analyses de risque, serait le relais de Frontex (Eurosur, Corps européen de gardes-frontières et de garde-côtes…), assurerait une veille permanente de la situation aux frontières, évaluerait et déterminerait les moyens affectés aux contrôles et à la surveillance des frontières, fixerait la doctrine des contrôles aux frontières et déclinerait des instructions, engagerait des opérations nationales ou régionales d’envergure, assurerait et développerait la coopération frontalière.
Cette création répondrait aux critiques récurrentes de la Commission européenne vis-à-vis de la France, qui reproche une insuffisante gestion intégrée des frontières
Plus que jamais, la coopération internationale constitue l’une des clés d’amélioration des résultats à nos frontières, tant avec les pays tiers qu’au sein même de l’espace européen. De nombreux programmes européens sont mis en œuvre dans les pays tiers afin de les aider à maîtriser leurs propres frontières et à entraver les déplacements irréguliers (ROCK en Afrique de l’Est, Partenariats opérationnels conjoints en Afrique de l’Ouest…). Il faut cependant veiller à ce que ces programmes européens soient parfaitement coordonnés avec les actions bilatérales des États membres. Il est nécessaire par exemple de clarifier le rôle respectif des officiers de liaison immigration européens et nationaux.
Au sein de l’espace Schengen entre États membres, la coopération opérationnelle est très active avec des patrouilles mixtes, des contrôles coordonnés, des brigades mixtes. Ce sont des modalités très concrètes d’actions communes afin de sécuriser les espaces frontaliers. Il faut développer encore ces coopérations avec des effectifs dédiés. La coopération entre États membres se formalise également au sein des 40 centres de coopération policière et douanière, dont 10 en France, qui sont des structures souples d’échanges de renseignements transfrontaliers.
4 – La typologie des contrôles
Cela peut paraître évident mais le contrôle aux frontières revêt plusieurs aspects : un contrôle migratoire avec l’application de la réglementation transfrontière sous l’autorité directe du ministre de l’Intérieur, un contrôle de police ou de sécurité pour détecter les personnes recherchées (100 000 par an pour la PAF) ou encore révéler les infractions transnationales (trafic d’êtres humains, fraude documentaire…), la recherche du renseignement pour alimenter les services chargés de la sécurité intérieure, et enfin l’application de la réglementation sur les contrôles sanitaires. La polyvalence d’un policier constitue à cet égard un avantage pour accomplir l’ensemble de ces missions.
On peut ajouter d’autres types de contrôle de nature économique, fiscale ou douanière qui sont confiés aux services douaniers ou encore des contrôles vétérinaires, sanitaires ou phytosanitaires. En schématisant, on pourrait dire que la Police aux frontières est plutôt axée sur les personnes, tandis que les services douaniers sont plus orientés vers le contrôle des marchandises et les infractions économiques.
5 – Les moyens dédiés aux procédures
Les missions aux frontières se décomposent en plusieurs niveaux :
- Le contrôle de première ligne, la surveillance, la détection et l’interpellation sur la frontière ;
- Le contrôle de deuxième ligne, sous la forme d’un examen de situation à la suite d’une interpellation ou d’une suspicion de situation irrégulière ;
- Une procédure administrative et/ou une procédure judiciaire le cas échéant, après confirmation d’une infraction ou d’une situation irrégulière.
Il est intéressant d’examiner de près les moyens mis en œuvre pour accomplir ces procédures. On constate sur différentes parties du territoire (par exemple le littoral Nord, les aéroports parisiens, la frontière franco-italienne) une insuffisance de policiers procéduriers au regard de l’activité enregistrée aux frontières. Cela résulte notamment d’une absence d’attractivité pour des services en tension. La complexité de la procédure administrative applicable aux frontières n’a rien à envier à celle de la procédure pénale. Les difficultés sont liées également à la disponibilité de partenaires extérieurs, tels que les interprètes.
6 – Les technologies et la logistique
6.1 Les infrastructures immobilières de contrôle des frontières extérieures
Les installations immobilières sont réalisées par les exploitants, avec des situations variables sur le plan financier et le plus souvent moyennant des loyers payés par l’États. La plupart du temps ces surfaces, non commerciales par définition, sont en quantité (et en qualité) insuffisante pour satisfaire les besoins des services de l’État. Il arrive également que les gestionnaires portuaires ou aéroportuaires rechignent à aménager des infrastructures conformes aux standards du Code frontières Schengen. Or, il n’existe aucune contrainte juridique de l’État dans ce domaine. Par ailleurs, la situation des zones d’attente reste peu satisfaisante, les associations de défense des étrangers le mentionnent régulièrement.
6.2 Les infrastructures immobilières de contrôle aux frontières intérieures
Cette question est essentielle pour la mise en œuvre du rétablissement du contrôle aux frontières intérieures. Le Code frontières Schengen a exigé la disparition de toutes les infrastructures physiques de contrôle aux frontières sur les routes, autoroutes ou encore dans les gares. Il en résulte pour les services français une incapacité ou une extrême difficulté à mettre en œuvre des contrôles en l’absence de barrière de péages (par exemple à la frontière franco-belge).
6.3 Les moyens mobiles
Afin de compenser la suppression des postes frontières, il est mis en place de façon progressive depuis deux ans des véhicules regroupant toutes les fonctionnalités d’un contrôle de première ligne et de deuxième ligne.
6.4 Les matériels et fichiers de contrôle aux frontières
Les documents de voyage sont « lus » numériquement afin d’interroger automatiquement différentes bases de données nationales et européennes via le portail informatique CTF (Fichier des personnes recherchées, Système d’information Schengen, Fichier des visas…) ou d’Interpol (Documents perdus ou volés).
L’interrogation de ces bases de données est régulièrement perturbée par des pannes du système central. À ma connaissance la base Interpol des notices rouges (personnes recherchées) n’est toujours pas disponible dans les aubettes de contrôle. Enfin, certains fichiers spécialisés tels que SETRADER ou PNR complètent le signalement ou la détection de personnes signalées ou recherchées.
Les lecteurs de documents permettent également d’aider le garde-frontière à détecter la fraude documentaire ; récemment, l’Agence Frontex a mis à disposition un logiciel de comparaison des documents contrôlés avec des documents authentiques (FIELDS). Il est nécessaire d’aller plus loin dans l’assistance du garde-frontière, avec un véritable outil de lutte contre la fraude documentaire et à l’identité, recourant à l’intelligence artificielle. L’œil humain reste certes utile mais faillible.
La mise en place progressive voire laborieuse des SAS PARAFE, reposant sur la reconnaissance faciale par authentification, a permis dans les PPF de faciliter et d’accélérer le contrôle aux frontières des ressortissants communautaires ou bénéficiaires de la libre circulation, ou encore plus récemment de ressortissants de certains pays sûrs. En matière de visas, les gardes-frontières n’ont pas connaissance des dossiers de demande déposés dans les consulats français. Il conviendrait que la Police aux frontières et les douanes aient un accès à un réseau dédié nommé « France Visas » afin d’éclairer les examens de situation de cas suspects.
Le champ des contrôles aux frontières est particulièrement adapté pour les nouvelles technologies où le voyageur peut préparer le contrôle afin que le garde-frontière facilite le franchissement de la frontière. La mise en place prochaine du système entrées sorties (EES) ou encore d’Etias pour les pays tiers va constituer un défi en termes d’ergonomie et de fluidité grâce à des procédures de pré-enregistrement ou de pré-contrôle.
En matière de recherches des personnes, des matériels permettent de détecter la présence humaine dans les véhicules (détecteurs thermiques, de gaz carbonique, de battements cardiaques, de silhouettes grâce à des ondes millimétriques …). Ces matériels sont quasi exclusivement utilisés sur les PPF mais (trop) peu développés sur les frontières intérieures alors que ces dernières représentent 90% de l’immigration clandestine pénétrant sur le territoire national.
Le recours à l’intelligence artificielle pour la surveillance des frontières constitue un atout pour autant que les règles juridiques autorisent sa mise en œuvre. La nomination auprès du directeur général de la police nationale d’un coordonnateur en charge des technologies aux frontières est une avancée au regard de la multiplicité des interlocuteurs publics ou privés.
Si l’on peut dire que les contrôles sont efficaces dans les points de passage frontaliers des frontières extérieures, sous les réserves déjà évoquées, il en va différemment s’agissant des intervalles entre les PPF sur les frontières maritimes et surtout sur les frontières terrestres intérieures soit 2900 kilomètres pour la France.
La loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure (RPSI) du 24 janvier 2022 a permis d’autoriser les services de la police et de la gendarmerie nationales à recourir à la captation d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs, drones, hélicoptères, ballons captifs. Cependant, cette loi déjà restrictive sur les conditions de mise en œuvre a vu sa portée encore limitée par le Conseil d’État en juillet 2023, qui a jugé illégale l’utilisation de drones pour surveiller les entrées de migrants à la frontière franco-espagnole. Or, les moyens de surveillance aérienne permettent de limiter l’emploi des personnels au sol et de déclencher à bon escient des interventions ciblées. Les moyens humains n’étant pas extensibles, il est essentiel de pouvoir recourir à des technologies de détection de franchissements irréguliers, de comportements anormaux en zone frontalière (regroupements sur un rivage, véhicules suspects…). L’absence de moyens adaptés limite considérablement l’efficacité du contrôle aux frontières. Enfin, on ne pourra pas éternellement faire l’économie d’une réflexion objective sur le recours à la reconnaissance faciale, qui reste un tabou dans notre pays. Cette technologie fiable d’identification ne peut et ne doit inquiéter que les personnes signalées ou recherchées.
7 – Les Outre-mer
On ne peut parler de contrôle aux frontières en France sans évoquer la situation préoccupante de l’Outre-mer et à titre principal de Mayotte et de la Guyane. L’isolement géographique de ces territoires allié à une immigration massive en provenance d’États voisins peu coopératifs constituent des handicaps majeurs nécessitant une riposte vigoureuse et coordonnée.
A Mayotte, le nombre d’éloignements annuel oscille entre 25 000 et 30 000 par an ; cette activité considérable se justifie par une situation migratoire préoccupante, qui met en péril les équilibres fragiles de la société mahoraise.
Cette activité repose principalement sur les entrées clandestines par voie maritime. En 2023, 661 kwassas-kwassas (type de canots de pêche rapides de 7 à 10 mètres de long) ont été interceptés par les 9 intercepteurs des services de lutte contre l’immigration clandestine en mer. Cela représentait 73 % des kwassas-kwassas détectés. Le nombre de moyens nautiques est longtemps resté sous-dimensionné au regard des besoins opérationnels. Ces intercepteurs sont soumis à des conditions d’emploi exigeantes et donc à une maintenance fréquente. La détection des kwassas-kwassas repose sur l’activation par l’Armée de quatre radars maritimes, installés à Mayotte entre 2006 et 2011. Ces moyens très utiles sont vieillissants et n’assurent pas une couverture totale des approches de l’île.
Par ailleurs, en février 2024, dans le cadre du programme « Frontières Intelligentes » du ministère de l’Intérieur, la préfecture de Mayotte a sollicité les industriels susceptibles de pouvoir lui fournir les technologies civilo-militaires dédiées à l’opération Shikandra 2.
S’agissant de la Guyane, la très grande porosité des frontières fluviales avec le Brésil via l’Oyapock et avec le Suriname via le Maroni est faiblement compensée par les missions de surveillance des pirogues de la Police aux frontières et de la gendarmerie nationale.
8 – Les grands évènements et la gestion de crise
Certains événements sont prévisibles, tels les Jeux Olympiques de Paris 2024, tandis que d’autres surviennent à l’occasion d’attentats terroristes ou de crises migratoires, comme en 2015 ou encore la crise sanitaire de 2020.
Les événements programmés permettent, sur la base d’une analyse de risque, de cibler dans le temps et dans l’espace les moyens engagés sur le terrain. Un contrôle exhaustif de toutes les personnes est irréalisable en termes de moyens ; à cela il faut ajouter une faible disponibilité aux frontières des forces mobiles, qui seront plutôt concentrées sur d’autres missions telles que la prévention des troubles à l’ordre public.
Contrairement à une idée reçue, il n’existe pas de possibilité légale de fermeture des frontières en temps de paix. Le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures n’est autorisé que si des menaces pour l’ordre public ou la sécurité ont un caractère imprévisible. Ce rétablissement est adapté en termes de moyens selon l’état de la menace c’est-à-dire que des contrôles seront ciblés sur des axes migratoires majeurs, tandis que d’autres secteurs frontaliers seront moins surveillés.
Conclusion
Il faut toujours ramener les moyens engagés aux résultats obtenus et à l’analyse du risque migratoire. Le dispositif doit répondre aux enjeux : la situation est plutôt satisfaisante à notre frontière extérieure avec 10 000 refus d’entrée prononcés en moyenne chaque année, bien que toujours perfectible au regard des recommandations de la commission d’évaluation Schengen de 2021 (formation, coordination, gestion des effectifs). Toutefois, la situation reste très préoccupante sur un flux atypique et très élevé vers la Grande Bretagne.
En revanche, la situation à nos frontières intérieures est très dégradée tant en termes de moyens juridiques (90 000 refus d’entrée prononcés en moyenne par an avant la mise en application de l’arrêt du conseil d’États de février 2024, qui a dénoncé la procédure de non-admission aux frontières intérieures), matériels (insuffisance de recours aux technologies de surveillance) et d’effectifs (volatilité des forces mobiles) qu’en termes de coordination des différents services (absence d’Etats-majors intégrés permanents aux niveaux central et territorial).
Les pays sources d’immigration irrégulière pour la France sont l’Italie et l’Espagne dont les frontières extérieures sont poreuses. Il faut espérer que le futur pacte migratoire, qui sera mis en œuvre en 2026, soit efficace malgré l’indispensable réécriture de la directive retour de 2008, oubliée à ce stade.
La sécurité des Français commence aux frontières selon l’expression courante, mais on pourrait compléter en disant que l’insécurité aussi ! Maîtriser nos frontières permet de détecter les risques liées aux personnes dangereuses, recherchées, indésirables, aux trafics de toute nature facilités par la mondialisation des échanges, mais c’est aussi préserver notre identité et nos acquis culturels, sociaux, économiques et démocratiques. L’immigration illégale, subie et massive, devient ingérable, dangereuse et déstabilisante pour les démocraties et nos modes de vie.
Les frontières permettent ainsi de protéger l’intérêt général face à des intérêts individuels étrangers. Les contrôles aux frontières doivent s’adapter en prévenant les flux dès les pays de provenance, en développant la coopération, en agissant tant en Europe qu’en France sur les flux et sur l’immigration de fixation.
Nous devons enfin réinventer un nouveau modèle d’organisation « à la française », plus effica
Synthèse de nos recommandations
- Créer, au sein de la Direction de la coopération internationale de sécurité, des officiers de liaison temporaires et projetables dans les pays où sont constatés des phénomènes émergents d’émigration clandestine, et mutualiser ceux-ci avec d’autres États européens qui en disposent également.
- Evaluer la pratique consistant à embaucher et à former en 15 jours des agents administratifs et des contractuels pour leur faire réaliser des opérations basiques de contrôle dans les points de passage frontaliers
- Mettre en place une filière de formation des gardes-frontières.
- Solliciter des renforts de Frontex sur nos frontières extérieures.
- Structurer organiquement un haut commandement des frontières, avec une vocation interministérielle, en regroupant autour d’un ministère pilote qui serait l’Intérieur, les ministères suivants : Défense, Économie et Finances, Affaires Etrangères, Justice, Transports, Santé, Mer, et le cas échéant tout autre ministère concerné par une actualité.
- Veiller à ce que les programmes européens soient parfaitement coordonnés avec les actions bilatérales des États membres (exemple : clarifier le rôle respectif des officiers de liaison immigration européens et nationaux).
- Développer la coopération opérationnelle en lien avec les États membres de l’espace Schengen, avec des effectifs dédiés.
- Mettre en place pour les gardes-frontières un véritable outil de lutte contre la fraude documentaire et à l’identité, recourant à l’intelligence artificielle.
- Donner à la Police aux frontières et aux douanes un accès à un réseau dédié nommé « France Visas » afin d’éclairer les examens de situation de cas suspects.
- Recourir à l’intelligence artificielle, à la reconnaissance faciale, à des technologies de détection de franchissements irréguliers, de comportements anormaux en zone frontalière (regroupements sur un rivage, véhicules suspects…) pour contrôler plus efficacement les frontières.