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Après « l’hiver démographique européen », le printemps est-il possible ?

Après « l’hiver démographique européen », le printemps est-il possible ?

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Notre invité

Notre invité


Gérard-François DUMONT, professeur à Sorbonne Université, directeur des revues Population et Avenir et Les analyses de Population et Avenir, également membre du Conseil d’orientation de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, a récemment accordé un entretien au quotidien slovaque Standard, que nous publions en français.


J’ai effectivement proposé d’appeler « hiver démographique » la situation d’une population ayant « une fécondité nettement et durablement en dessous du seuil de remplacement des générations ». Au-delà des diverses théories sur la fécondité, il faut considérer la révolution qu’a connue la fécondité depuis les années 1960, avec l’introduction d’une contraception moderne parfaitement efficace, qui a modifié profondément le régime de la fécondité1.

Avant les années 1960, partout, la venue des naissances avait un caractère plus ou moins aléatoire : aux nouveau-nés désirés au moment de leur naissance s’ajoutaient ceux résultant de l’absence de contraception ou d’une contraception traditionnelle à efficacité limitée (abstinence, coït interrompu, méthode Ogino, préservatif). Comme le disait Alfred Sauvy, ces deux types d’arrivées de nouveau-nés étaient également aimés et éduqués, sans qu’il fût possible de faire la différence.

La nouvelle contraception médicalisée (pilule, dispositif intra-utérin, stérilisation), permet la maîtrise de la fécondité et du calendrier des naissances, séparant la sexualité de la procréation. En cas de mauvaise utilisation de la contraception moderne, le recours à un avortement médicalisé est généralement devenu possible, tant dans les pays où il a été légalisé, selon un calendrier propre à chacun, que dans ceux où sa pratique apparaît généralement possible.

Ainsi, le nombre d’enfants qui naissent aujourd’hui correspond essentiellement à ceux dont la venue est considérée comme pouvant être programmée au nom d’une certaine rationalité, à l’exclusion de l’ensemble des enfants qui sont, selon les enquêtes, idéalement désirés. Le choix du nombre d’enfants et celui des dates de naissance relèvent de décisions individuelles, de la décision des couples, et non plus uniquement d’un certain aléa.

Parallèlement à la révolution contraceptive, et indépendamment des opinions sur la taille idéale des familles, d’autres facteurs objectifs ont contribué à une baisse de la fécondité : durée accrue de la scolarisation, et plus particulièrement de la scolarisation féminine ; retard de l’âge au mariage et à la maternité ; distanciation entre lieux des activités familiales et lieu des activités professionnelles… sans oublier les insuffisances de politique familiale.

L’hiver démographique signifie d’abord une moindre volonté d’accueil de la vie et reflète un certain individualisme qui contribue à une moindre solidarité, à commencer par la plus essentielle, la solidarité entre les générations. En outre, les conséquences de « l’hiver démographique » sont extrêmement nombreuses, de nature économique, sociale ou géopolitique. Comme la population active baisse dans plusieurs pays européens, les potentialités de création de richesses sont moindres et le financement de la protection sociale se complique. Certains disent qu’il suffit d’accueillir davantage d’immigrés ; mais cette solution est égoïste et soulève des difficultés. Elle est égoïste puisqu’elle revient à ponctionner les ressources humaines de pays du Sud qui en ont besoin pour leur propre développement. Elle soulève des difficultés car se posent des problèmes d’intégration et des risques d’insécurité comme le montre l’exemple de la France. D’un point de vue géopolitique, l’Union européenne voit son poids relatif dans le monde diminuer, ce qui est dommageable au titre de la loi géopolitique du nombre2.

Il suffit de lire les communications de la Commission européenne pour avoir la réponse à votre question. Sauf exception, les institutions européennes se désintéressent de la politique familiale. Pourtant, cette dernière devrait par exemple être considérée dans les normes européennes comme un investissement dans le capital humain. En revanche, nombre de textes européens considèrent que la réponse à l’hiver démographique est dans l’immigration. La Cour de justice de l’Union européenne, qui siège à Luxembourg, et la Cour européenne des droits de l’homme, qui siège à Strasbourg, interprètent assez souvent les textes en faveur de l’immigration et même de l’immigration illégale.

La réalité de nos sociétés européennes est la suivante. D’un côté, dans de nombreux pays, les femmes qui ne souhaitent pas avoir d’enfant sont prises en charge par le système de protection sociale qui remboursent les coûts de la contraception ou de l’avortement. Il serait donc logique, pour donner le libre choix entre ne pas avoir d’enfant ou avoir un enfant, qu’une politique familiale ambitieuse soit mise en œuvre. Or la politique familiale est comme les autres politiques (économique, sociale…) des pouvoirs publics : elle a des conséquences sur les comportements des citoyens. Effectivement, toutes les études montrent que les politiques familiales ont des effets sur la fécondité, des effets négatifs lorsque ces politiques sont largement insuffisantes, des effets positifs lorsque ces politiques sont assez bien déployées.

Une politique familiale idéale doit d’abord donner aux familles le libre choix du nombre de leurs enfants, grâce à des mesures concernant le logement, des compensations financières, de l’égalité en termes d’impôts, des mesures permettant de concilier vie familiale et vie professionnelle… Pour être bien adaptées aux réalités et aux spécificités de la population, il importe que ces mesures soient pour certaines déployées par l’État de façon égale pour tous les habitants du pays, d’autres adaptées aux spécificités locales grâce à l’intervention des communes ou des départements.

L’État doit non seulement mettre en œuvre des moyens de politique familiale adaptés à sa population, mais il doit aussi mettre en place des mécanismes qui permettent à cette politique de perdurer. Il est essentiel que les couples, qui auront à élever leurs enfants pendant deux décennies, sachent que la politique familiale s’inscrit dans la durée, qu’elle est pérenne, donc qu’elle ne sera pas remise en cause chaque année.

En réalité, la politique famille est transversale : elle doit donc être prise en compte dans l’ensemble des autres politiques. Par exemple, la politique éducative doit prendre en considération des aspects touchant à la politique familiale. De même, il est essentiel d’avoir une politique d’aménagement du territoire en harmonie avec la politique familiale.

En respect du principe de subsidiarité et des situations démographiques contrastées selon les pays et les régions de l’Union européenne, il est logique que la politique familiale relève des États et non du niveau de l’Union européenne. Toutefois, dans ses différentes décisions, l’UE devrait considérer la dimension familiale, ce qui est largement oublié aujourd’hui.

En France, comme ailleurs, il y a deux attitudes que l’on rencontre. Une partie des chercheurs refusent de voir la réalité de l’hiver démographique ; ils réalisent alors des études pleines de contorsions afin de conclure implicitement que « tout va très bien, Madame la marquise » ou des études non essentielles. Cette attitude est souvent encouragée par les gouvernements qui préfèrent, eux aussi, cacher les vrais problèmes pour ne pas être accusés de ne pas chercher à les résoudre. Et donc les gouvernements français accordent d’importants financements à ce type de chercheurs. Heureusement il y a d’autres chercheurs, comme ceux qui contribuent aux revues Population & Avenir3 et Les analyses de Population & Avenir4, qui privilégient l’approche scientifique et analysent objectivement les évolutions démographiques.

Gérard-François DUMONT. Bien entendu, il n’y a jamais de fatalité. En conséquence, l’Europe pourrait connaître un printemps démographique si elle décidait d’aller dans ce sens. En effet, le nombre idéal d’enfants souhaité par les Européens est largement supérieur à la fécondité constatée. La politique familiale doit donc permettre ce libre choix vers le nombre idéal d’enfants. Cela suppose en priorité d’arrêter de se référer à des raisonnements malthusiens défavorables à l’accueil des enfants.

L’entretien original, en langue slovaque, est disponible ici.

  1. Gérard-François DUMONT, Géographie des populations – Concepts, dynamiques, prospectives, Paris, Armand Colin, 2018. https://www.cairn.info/geographie-des-populations–9782200623319.htm ↩︎
  2. Gérard-François DUMONT, Démographie politique. Les lois de la géopolitique des populations, Paris, Ellipses, 2007. ↩︎
  3. https://www.cairn.info/revue-population-et-avenir.htm ↩︎
  4. https://www.cairn.info/revue-analyses-de-population-et-avenir.htm ↩︎