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L’immigration dans les territoires : quinze ans de bouleversements (2006 – 2021)

L’immigration dans les territoires : quinze ans de bouleversements (2006 – 2021)

Table des matières

L’essentiel

●        Depuis la fin des années 1990, la France connaît une hausse rapide et forte de sa population immigrée. Celle-ci est portée par une croissance conjointe des diverses catégories de flux migratoires reçus dans notre pays, qui peut être attestée par l’ensemble des indicateurs disponibles : titres de séjour, demandes d’asile, immigration irrégulière…

●        Cette dynamique structurante sur le plan national a emporté des conséquences démographiques, économiques et sociales dans l’ensemble du pays. Toutefois, l’ampleur de ces enjeux et des transformations induites par l’accélération migratoire se trouve fortement différenciée sur le plan géographique.

●        La présente note, fondée sur une analyse des bases de données détaillées du recensement rendues publiques par l’INSEE, entend identifier les communes de la France métropolitaine qui ont reçu de manière spécialement marquée cette immigration nombreuse et dont la démographie s’en est trouvée la plus nettement transformée, par une hausse majeure de la part des personnes immigrées dans leur population générale sur une période de 15 ans (2006-2021).

●        Il ressort de cette analyse deux principaux constats :

Une augmentation rapide de la part des immigrés dans des territoires parmi les moins concernés par l’immigration jusqu’alors, avec un basculement notable dans les régions du Grand Ouest (Bretagne, Pays de la Loire, Normandie…) ;

Une consolidation de la surreprésentation des immigrés dans des régions concernées plus largement et de plus longue date, notamment en Ile-de-France – avec une diffusion de la présence migratoire aux lisières de la région parisienne.

●        L’analyse par commune révèle des dynamiques migratoires tout à fait spectaculaires au niveau local, des grandes villes jusqu’aux plus petites :

– Exemple n°1 : la part des immigrés dans la population du Mans a doublé entre 2006 et 2021.

– Exemple n°2 : la part des immigrés dans la population de La Guerche-de-Bretagne (4 300 hab.) a été multipliée par 8 en 15 ans.

●        Plusieurs explications peuvent être apportées à ces dynamiques locales différenciées : les stratégies nationales de « répartition » de l’immigration, les politiques d’attractivité migratoire mises en oeuvre par certaines collectivités, ou encore les phénomènes de diaspora entretenus par des flux migratoires à motif largement familial.

●        De telles trajectoires emportent des enjeux particuliers pour les politiques publiques locales, en particulier dans le champ économique et social : la présente note identifie par ailleurs les communes où les questions du chômage et de l’inactivité au sein des populations immigrées, attestables au niveau national, se posent de manière aiguë.

– Exemple : 40,8% des immigrés âgés de 15 ans ou + à Mulhouse étaient chômeurs ou inactifs (hors retraités et étudiants) en 2021

L’analyse conduite ici porte sur l’évolution de la part des immigrés dans la population générale des communes en France. Afin d’assurer sa précision et d’écarter les lectures erronées qui pourraient en être faites, il convient de rappeler la définition formelle de cette notion afin de mieux la distinguer d’autres termes apparemment proches – en particulier celui d’étranger.

Immigré Un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France. Les personnes nées Françaises à l’étranger et vivant en France ne sont donc pas comptabilisées. Certains immigrés ont pu devenir Français, les autres restant étrangers. Les populations étrangère et immigrée ne se recoupent que partiellement : un immigré n’est pas nécessairement étranger et réciproquement, certains étrangers sont nés en France (essentiellement des mineurs). Les enfants d’immigrés, s’ils sont nés en France, ne sont pas comptabilisés comme immigrés, mais comme « descendants d’immigrés ». La qualité d’immigré est permanente : un individu continue à appartenir à la population immigrée même s’il devient Français par acquisition. C’est le pays de naissance, et non la nationalité à la naissance, qui définit l’origine géographique d’un immigré.
Étranger Un étranger est une personne qui réside en France et ne possède pas la nationalité française, soit qu’elle possède une autre nationalité (à titre exclusif), soit qu’elle n’en ait aucune (c’est le cas des personnes apatrides).  Les personnes de nationalité française possédant une autre nationalité (ou plusieurs) sont considérées en France comme françaises. Un étranger n’est pas forcément immigré, il peut être né en France (les mineurs notamment). À la différence de celle d’immigré, la qualité d’étranger ne perdure pas toujours tout au long de la vie : on peut, sous réserve que la législation en vigueur le permette, devenir français par acquisition.
Source des définitions : INSEE

L’objectif de cette note étant d’appréhender les effet des flux migratoires, entendus comme « le nombre de migrants internationaux arrivant dans un pays (immigrants), ou nombre de migrants internationaux quittant un pays (émigrants) pendant une période déterminée » – pour reprendre les termes employés par les Nations Unies, le choix a été fait de retenir le critère du statut migratoire (immigré vs non-immigré) plutôt que celui de la nationalité (étranger vs Français).

Sur l’intervalle des quinze années concernées par notre étude – cf infra pour explications méthodologiques –, la population immigrée en France a augmenté de 1,8 million de personnes : elle est passée de 5,136 millions en 2006 à 6,932 millions en 2021 – pour atteindre finalement 7,282 millions en 2023. Le nombre d’immigrés résidant en France a donc augmenté de 35% sur notre période d’étude.1

La part des immigrés dans la population générale est ainsi passée de 8,1% en 2006 à 10,2% en 2021 (atteignant 10,7% en 2023) – soit une hausse de 2,1 points et une multiplication par 1,26.2

Un constat clair peut être établi au regard des données historiques de l’INSEE, qui remontent jusqu’au début du XXème siècle et commencent au premier « décollage migratoire » de l’entre-deux-guerres : il n’y a jamais eu autant d’immigrés en France qu’aujourd’hui, que ce soit en valeur absolue ou en part relative, avec une croissance spectaculaire pouvant être observée depuis la fin des années 1990.

Source du graphique : INSEE.3

L’Afrique est le premier continent d’origine des immigrés en France, puisque 48% des immigrés en étaient issus en 2023. Dans le détail, selon l’INSEE : « six immigrés nés en Afrique sur dix sont originaires du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie), contre neuf sur dix en 1968. Le nombre d’immigrés originaires d’Afrique sahélienne, guinéenne ou centrale a doublé depuis 2006 ».4 Ces dynamiques par origine sont vouées à se retrouver dans les communes qui ont connu la plus forte hausse de leur part de population immigrée depuis lors.

La France accueille l’immigration la plus africaine d’Europe. Selon les données disponibles de l’OCDE, 61% des immigrés de 15 à 64 ans vivant en France étaient originaires du continent africain (Maghreb et hors-Maghreb) en 2020, soit une part trois fois supérieure à la moyenne de l’UE. Au Portugal, qui compte la deuxième plus forte proportion d’immigrés africains après la nôtre, cette part n’était que de 35% – soit 26 points de moins qu’en France.5

De même, 45% des immigrés arrivés en France après l’âge de 15 ans déclaraient en 2023 être venus pour accompagner ou rejoindre un membre de leur famille, selon l’INSEE.6 De son côté, l’OCDE évaluait à 41,6% la part des entrées d’immigrés permanents effectuées au titre du motif « Famille » sur le total des entrées entre 2005 et 2020, soit un taux trois fois supérieur à celui constaté en Allemagne sur la même période.7

La hausse rapide et forte de la population immigrée en France a été portée par une croissance conjointe des diverses catégories de flux migratoires reçus dans notre pays, qui peut être attestée par l’ensemble des indicateurs disponibles.

  • Titres de séjour : le nombre annuel de primo-titres de séjour accordés à des ressortissants de « pays tiers » (hors UE, Suisse et Royaume-Uni) a augmenté de moitié entre 2006 et 2021 (+41%), passant de 183 261 à 273 360. Il a quasiment triplé entre 1997 et 2023 (+175%), pour atteindre 326 954 primo-titres l’an dernier.8
  • Asile : le nombre annuel de primo-demandes d’asile reçues en France a été multiplié par 3 entre 2009 et 2019, passant de 42 000 à 138 000 demandes. Ayant connu une baisse conjoncturelle liée au Covid en 2020-2021, il a ensuite repris sa dynamique haussière pour atteindre 145 000 personnes en 2023.
  • Immigration clandestine : le nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’Etat – réservée aux étrangers en situation irrégulière – a doublé entre le 1er janvier 2006 et le 1er janvier 2021 (passant de 189 284 à 382 899 usagers), attestant de la dynamique plus globale de l’immigration illégale. Ce nombre a même triplé en moins de vingt ans (2004-2023), pour atteindre 466 000 personnes en fin d’année dernière.9

Pour procéder à l’étude comparée des évolutions de la population immigrée dans les communes de France, notre analyse s’est fondée sur les données les plus précises parmi celles rendues disponibles publiquement. Elles se trouvent dans les bases du recensement par commune rendues publiques par l’INSEE :

  • Fichier IMG1A pour 2021 – « Population par sexe, âge, et situation quant à l’immigration ».10
  • Fichier IMG1 pour 2006 : « Population par sexe, âge, et situation quant à l’immigration ».11

Le choix de l’année 2021 tient au fait qu’il s’agit de la plus récente année pour laquelle ces données sont disponibles au niveau communal, ayant été mises en ligne le 27 juin 2024.

L’arbitrage en faveur de l’année 2006 répond à la nécessité de couvrir une période de temps suffisamment ample – quinze années – afin de retracer des évolutions structurelles qui ne peuvent s’appréhender que de cette façon, tout en tenant compte de la disponibilité ou de l’absence des fichiers les plus anciens sur le site de l’INSEE.

Pour l’ensemble des 35 000 communes recensées en France métropolitaine (36 500 en 2006), nous avons additionné les segments de population remplissant la variable statistique IMMI1 – correspondant à la définition statistique des immigrés telle que décrite à la plage précédente. Nous avons ensuite rapporté cette somme à l’ensemble de la population de la commune pour obtenir la part des immigrés dans celle-ci, exprimée en pourcentage.

Ayant effectué ce travail sur les données des années 2006 et 2021, nous avons ensuite calculé l’évolution de la part des immigrés dans chaque commune entre ces deux dates, suivant deux modalités d’approche méthodologique :

  1. Variation « relative » de la part des immigrés : la différence est approchée par un coefficient multiplicateur.

Exemple : la part des immigrés dans la population de Brest a été multipliée par 2 entre 2006 et 2021.

  1. Variation « absolue » de la part des immigrés : la différence est approchée en points de pourcentage.

Exemple : la part des immigrés dans la population de Metz a augmenté de 6,3 points entre 2006 et 2021.

Les données mises en ligne par l’INSEE au niveau communal se limitent à recenser deux statuts migratoires généraux : « immigré » ou « non-immigré. Plusieurs niveaux d’information ne sont donc pas accessibles par ce biais :

  • Pays de naissance des immigrés : ceux-ci sont décomptés ici dans leur ensemble pour chaque commune, sans distinction selon leur origine géographique. Les données disponibles au niveau national permettent cependant d’y voir clair sur les principales origines migratoires concernées – cf supra.
  • Statut régulier ou non : parmi les immigrés n’ayant pas acquis la nationalité française, le recensement de l’INSEE ne distingue pas entre ceux qui résident légalement sur le territoire national (qu’ils disposent d’un titre de séjour valide ou en soient dispensés – comme les citoyens européens) et ceux qui y sont présents de façon irrégulière.
  • Durée de présence sur le territoire national : il n’est pas possible de quantifier, dans chaque commune, les immigrés arrivés en France durant notre période de référence (2006-2021) et ceux qui s’étaient déjà installés dans le pays antérieurement.

Il ressort de cette analyse deux principaux constats :

  1. Une augmentation rapide de la part des immigrés dans des territoires parmi les moins concernés par l’immigration jusqu’alors, avec un basculement notable dans les régions du Grand Ouest (Bretagne, Pays de la Loire, Normandie…) ;
  2. Une consolidation de la surreprésentation des immigrés dans des régions concernées largement et de plus longue date, notamment en Ile-de-France (avec une diffusion des réalités migratoires aux lisières de la région), mais aussi en PACA et dans le Grand Est.

Lecture : la part des immigrés dans la population du Mans a été multipliée par 2,03 entre 2006 et 2021 – elle a donc doublé en quinze ans.

Lecture : la part des immigrés dans la population d’Argenteuil a augmenté de 6,4 points entre 2006 et 2021.

Lecture : la part des immigrés dans la population de La Chapelle-sur-Erdre a été multipliée par 2,97 entre 2006 et 2021 – elle a donc quasiment triplé en quinze ans.

Lecture : la part des immigrés dans la population de Villeneuve-Saint-Georges a augmenté de 14,1 points entre 2006 et 2021.

Lecture : la part des immigrés dans la population de La Guerche-de-Bretagne a été multipliée par 8,25 entre 2006 et 2021.

Lecture : la part des immigrés dans la population de Villerupt a augmenté de 20,2 points entre 2006 et 2021.

NB : pour cette catégorie, un fort phénomène de « villes frontalières » est à prendre en compte – en particulier pour les communes des régions Grand Est et Auvergne-Rhône-Alpes.

Un certain nombre des villes identifiées dans les classements établis ci-dessus (en particulier dans le segment des communes comptant entre 3 000 et 20 000 habitants) ont accueilli sur leur territoire un ou plusieurs dispositifs d’hébergement mis en œuvre dans le cadre du dispositif national d’accueil des personnes demandant l’asile et des réfugiés (DNA). Ce schéma directeur comptait environ 120 000 places (119 725) à la fin de l’année 2023 – auxquelles s’ajoutaient 13 817 places pour les bénéficiaires de la protection temporaire (BPT) d’Ukraine.12

Parmi ces 120 000 places, l’on comptait notamment 50 000 places autorisées de centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) et 64 000 autres places d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile (HUDA). Comme le résume la Cimade : « le parc d’hébergement est principalement situé en Ile- de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Grand Est qui sont les trois principales régions métropolitaines qui enregistrent le plus grand nombre de demandes. Cependant, ce sont les régions Pays de la Loire, Bretagne, Nouvelle Aquitaine et Occitanie qui ont connu le plus grand nombre de créations, ces dix dernières années. »13

En effet, la présence notable de plusieurs communes bretonnes et ligériennes est à remarquer dans cette étude. Il en va ainsi de La Guerche-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine), en tête du classement national d’augmentation relative pour les communes de 3 000 à 20 000 habitants : la part des immigrés dans la population totale de cette commune de 4 400 habitants a été multipliée par huit en quinze ans.  Sa trajectoire migratoire peut être appréhendée par l’analyse des articles du Journal de Vitré, l’hebdomadaire local. En octobre 2015, dans le cadre de la politique d’évacuation et de désengorgement de la « jungle de Calais », les autorités y ont ouvert un Centre d’accueil et d’orientation (CAO) – ayant fermé ses portes en juin 2017.14 Puis, dès novembre 2017, un CADA y a été inauguré. En février 2019, la presse locale y mentionnait l’existence de « deux pôles d’accueil » : un CADA et une résidence louée sur place par la ville de Rennes, du fait de la saturation de ses propres capacités.15 Le même genre de trajectoire associée à des centres et places d’orientation ou d’accueil peut être retracé pour de nombreuses communes en tête du classement des petites villes : Loudun (Vienne), Villedieu-les-Poêles (Manche), La Souterraine (Creuse), Varennes-sur-Allier (Allier), Hirson (Aisne)…

Outre le dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés, les communes accueillant des foyers de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ont aussi pu voir la composition de leur démographie transformée par la place majeure prise par les mineurs étrangers non-accompagnés dans les hébergements de l’ASE. Le nombre annuel de personnes déclarées MNA sur le territoire français a été multiplié par trois entre 2014 et 2019, pour atteindre un niveau record l’an dernier (19 000 personnes en 2023 contre 5 000 en 2014)16 ; leur prise en charge fait aussi l’objet d’un dispositif de répartition entre les départements, dont les conseils départementaux sont en charge de l’ASE.

Citons enfin la mise en œuvre récente de « sas d’accueil temporaire » dans certaines villes de province, créés en 2023 pour désengorger l’Ile-de-France de personnes en situation irrégulière et de grande précarité – souvent issus des « camps de migrants » dans Paris et ses alentours – et les orienter rapidement vers d’autres dispositifs, relevant du DNA ou du l’hébergement d’urgence généraliste (dont 40 à 60% des places du parc de l’Etat sont aujourd’hui occupées par des étrangers irréguliers, selon les estimations de la Cour des Comptes).17

Tandis que les stratégies nationales de « répartition » de l’immigration peuvent apparaître largement subies par les communes qui en sont l’objet – en particulier les petites villes rurales –, d’autres collectivités ont assumé depuis plusieurs années le choix explicite d’une politique locale « d’ouverture » large en matière migratoire, souvent justifiée par des arguments croisant des considérations d’ordre humanitaire, économique ou plus strictement idéologique.

Il en va ainsi des villes membres d’une structure puissante, quoique peu connue du grand public : l’Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita), fédération de collectivités s’engageant à combattre « toute politique remettant en cause l’accueil inconditionnel » des étrangers sur le sol français – comme le résume sa charte fondatrice.18 Celle-ci synthétise et définit les grands principes des politiques publiques d’immigration mises en œuvre par les élus qui y sont engagés : « Nos territoires peuvent devenir refuges pour tous ceux et toutes celles qui ont besoin d’être mis à l’abri. C’est mettre en œuvre le devoir d’hospitalité en répondant d’abord et avant tout aux urgences, celles liées à l’accès inconditionnel à l’hébergement, à l’alimentation, à l’hygiène, à la santé, à l’éducation et à la culture pour répondre aux besoins vitaux. […] Nous proposons de mettre en œuvre tout dispositif permettant aux personnes, quel que soit leur statut, de vivre dignement dans nos territoires ».

Parmi les métropoles régionales qui en font partie figurent notamment Nantes, Rennes, Tours ou Rouen – présentes dans les classements ci-dessus. Mais l’Anvita intègre aussi des villes moyennes, des départements et des régions comme l’Occitanie et le Centre-Val de Loire. Les territoires concernés se distinguent notamment par la densité du tissu associatif d’accueil et de prise en charge des immigrés, spécialement ceux relevant de l’immigration familiale, de la demande d’asile ou d’une situation irrégulière, dont les actions peuvent bénéficier de subventions et concours publics significatifs. Ces réseaux de prise en charge à la lisière de la délégation de service public, de l’activisme juridique et du militantisme politique sont autant de facteurs d’attractivité pour certains des types d’immigration évoqués.

Notons enfin que, si une ville-métropole peut prendre seule la décision de mettre en œuvre une telle stratégie d’attractivité migratoire, les effets démographiques de ses décisions peuvent se ressentir dans l’ensemble d’un bassin de population. La présence dans cette étude de nombreuses communes d’Ille-et-Vilaine et de Loire-Atlantique autres que Rennes et Nantes peut notamment en témoigner.

Outre les transformations rapides qu’a connu le Grand Ouest, l’analyse présentée ici fait apparaître une consolidation de la surreprésentation de l’immigration en Ile-de-France. Il est notable à ce titre que la commune de plus de 100 000 habitants ayant connu la plus forte augmentation de sa population immigrée en points de pourcentage soit Argenteuil (+ 6,4 points en 15 ans), alors même que sa part de population immigrée était déjà trois fois supérieure à la moyenne nationale en 2006.

Cette surreprésentation persistante en région parisienne n’a cependant pas concerné que la capitale et sa couronne la plus immédiate. On remarque une présence notable de communes situées aux lisières intérieures et extérieures de l’Ile-de-France : dans les espaces périurbains de l’Essonne, en Seine-et-Marne, dans le Loiret ou l’Yonne. Ainsi la part des immigrés dans la population de Nangis (Seine-et-Marne) a-t-elle augmenté de 10,3 points en quinze ans ; de 9,6 points à Joigny (Yonne) ; ou encore de 5,7 points à Orléans (Loiret).

Comme le résume le démographe Gérard-François Dumont, membre du conseil scientifique de l’OID : « L’immigration crée l’immigration. […] À partir du moment où des membres d’une communauté s’installent quelque part, ils jouent le rôle de guichet d’accueil pour d’autres personnes de la même origine ».19 Ce constat est à appréhender à la lumière de la nature spécifique des raisons d’installation des immigrés en France. La part des entrées d’immigrés (toutes origines confondues) effectuées sur le fondement d’un motif « Famille » est la plus élevée dans notre pays parmi toute l’Europe de l’Ouest : elle a représenté 41,2% des entrées d’immigrés permanents sur la période 2005-2020, soit un taux trois fois supérieur à celui constaté en Allemagne (contre 10,5% pour le motif « Travail »).20 Nous sommes là au cœur des phénomènes de flux migratoires par capillarité, propres aux comportements de diaspora.

La diffusion de l’immigration vers les marges du Bassin parisien peut s’expliquer de différentes façons. L’une d’entre elles est à lier avec les programmes de rénovation urbaine mis en œuvre dans certaines communes, comportant de longue date des quartiers relevant de politique de la ville, qui ont généré des phénomènes de déport des populations immigrés vers de nouveaux lieux d’installation, en particulier ceux disposant d’importants parcs de logement sociaux – le cas de Nangis apparaît assez illustratif de ces situations. Plus généralement, il apparaît que la saturation de certaines capacités d’accueil dans le cœur de l’agglomération parisienne a pu générer un déplacement de la demande vers des territoires plus excentrés, restant cependant à la portée des réseaux de diaspora et des services offerts dans la grande métropole parisienne. Cet effet de saturation francilienne a aussi pu jouer un rôle dans l’orientation de l’immigration vers les métropoles de l’Ouest et leurs agglomérations immédiates, dont les capacités d’accueil connaissaient une moindre tension dans les années 2000.

A l’échelle nationale, une étude de l’INSEE21 a publié des statistiques précises sur le taux d’emploi et de chômage des immigrés et des descendants d’immigrés extra-européens, par groupes de pays d’origine ou par pays d’origine. De celles-ci, on dénote non seulement un écart important entre les immigrés et les personnes sans ascendance migratoire – à l’exception des immigrés d’Asie du Sud-est qui enregistrent les meilleurs résultats, mais également une aggravation de ces indicateurs pour la deuxième génération.

  • Ainsi, le taux d’emploi des immigrés âgés de 15 à 64 ans était en moyenne de 62,5% en 2023, contre 59,7% pour la deuxième génération, bien inférieur à celui des personnes sans ascendance migratoire (70,7%). Plus précisément :
  • Le taux d’emploi des immigrés originaires d’Afrique âgés de 15 à 64 ans était de 59,9% en 2023, contre 50,6 pour la deuxième génération (soit une baisse de près de 10 points) ;
  • Le taux d’emploi des immigrés originaires du Maghreb âgés de 15 à 64 ans était de 57,7% en 2023, contre 51,6% pour la deuxième génération (soit une baisse de près de 6 points) ;
  • Le taux d’emploi des immigrés turcs âgés de 15 à 64 ans était de 54,3% en 2023, contre 47% pour la deuxième génération (soit moins de la moitié des personnes concernées, et une baisse de plus de 6 points) ;
  • Le taux d’emploi des immigrés originaires d’Asie du Sud-est âgés de 15 à 64 ans était de 75,3% en 2023, contre 69,6% pour la deuxième génération (soit de meilleurs résultats que les Français natifs pour la première génération, et des résultats quasiment identiques pour la deuxième génération).
  • De même, le taux de chômage des immigrés âgés de 15 à 64 ans était en moyenne de 11,2% en 2023, contre 10,2% pour la deuxième génération, soit près du double de celui des personnes sans ascendance migratoire (6,5%). Dans le détail :
  • Le taux de chômage des immigrés originaires d’Afrique âgés de 15 à 64 ans était de 13,6% en 2023, contre 15% pour la deuxième génération ;
  • Le taux de chômage des immigrés originaires du Maghreb âgés de 15 à 64 ans était de 14,1% en 2023, contre 14,3% pour la deuxième génération ;
  • Le taux de chômage des immigrés turcs âgés de 15 à 64 ans était de 13,7% en 2023, contre 14,9% pour la deuxième génération ;
  • Le taux de chômage des immigrés originaires d’Asie du Sud-est âgés de 15 à 64 ans était de 3,2% en 2023, contre 5,6% pour la deuxième génération (soit de meilleurs résultats que les Français natifs à la fois pour la première génération et la deuxième génération).

Par ailleurs, une approche complémentaire avec des données de l’OCDE22 fondées sur la nationalité – et non plus sur l’origine migratoire – permet d’aboutir à des conclusions similaires et de constater l’ampleur des écarts avec nos partenaires européens en la matière :

  • La part des étrangers extra-européens de 15 ans à 64 ans qui occupaient un emploi en 2020 était seulement de 51,6%, soit un taux inférieur de 14 points à celui des citoyens français, mais aussi de 15 points à celui des étrangers extra-européens au Royaume-Uni, 9 points de moins qu’au Danemark, 6 points de moins qu’en Allemagne.
  • Les « actifs » – ceux qui occupent ou recherchent un emploi – ne comptaient que pour 64% des étrangers extra-européens en âge de travailler en 2021, soit le 3ème taux le plus faible de toute l’UE (« suivi » seulement par la Belgique et les Pays-Bas).
  • Le taux de chômage des étrangers extra-européens de 15 ans à 64 ans était de 19,4% en 2020, contre 8% pour les citoyens français, soit plus du double.

Ces réalités nationales apparaissent vouées à poser des difficultés particulières de politiques publiques dans les territoires où elles se concentrent de la façon la plus aiguë. Il semble donc judicieux de pousser notre analyse au niveau communal dans ce champ particulier.

Pour procéder à l’étude comparée de la part des immigrés chômeurs ou inactifs (hors étudiants et retraités) dans les communes de France, notre analyse s’est fondée sur les données les plus précises parmi celles rendues disponibles publiquement. Elles se trouvent dans les bases du recensement par commune rendues publiques par l’INSEE :

  • Fichier IMG2A pour 2021 – « Population de 15 ans ou plus par sexe, âge, situation quant à l’immigration et type d’activité »23

Le choix de l’année 2021 tient au fait qu’il s’agit de la plus récente année pour laquelle ces données sont disponibles au niveau communal, ayant été mises en ligne au début de l’été 2024 (le 27 juin dernier).

Pour l’ensemble des 35 000 communes recensées en France métropolitaine, nous avons additionné les segments de population remplissant la variable statistique IMMI1 – correspondant à la définition statistique des immigrés telle que décrite en introduction de cette note – au sein de la population générale âgée de 15 ans et plus.

Puis nous avons croisé cette variable avec les types d’activité (TACTR), afin de décompter les immigrés âgés de 15 ans et plus appartenant à l’une de ces catégories :

  • TACTR 12 : Chômeurs
  • TACTR 24 : Femmes ou hommes au foyer
  • TACTR 26 : Autres inactifs (hors élèves, étudiants, retraités ou préretraités)

Sur la base de ce calcul, nous avons pu établir,pour chaque commune, la part des immigrés âgés de 15 ans et plus qui étaient chômeurs ou inactifs (hors élèves, étudiants, retraités ou préretraités) en 2021.

Un classement de ces résultats a ensuite été établi au niveau national, selon la taille de la population des communes, afin d’identifier les territoires dans lesquels les enjeux liés à la plus faible intégration des immigrés sur le marché du travail se posent de la manière la plus forte.

Lecture : 40,8% des immigrés de plus de 15 ans vivant à Mulhouse étaient chômeurs ou inactifs (hors élèves, étudiants, retraités et préretraités) en 2021.

Deux constats saillants sont à noter sur le fondement de ce tableau :

  • Une forte prévalence des villes du pourtour méditerranéen en haut de classement, caractérisées par une immigration largement présente et de plus longue date qu’ailleurs : Perpignan, Nîmes, Marseille, Toulon…
  • La présence de nombreuses communes déjà identifiées parmi celles dont la part d’immigrés a le plus augmenté en quinze ans : Le Mans (en tête de l’augmentation relative de la part d’immigrés entre 2006 et 2021 pour cette catégorie de communes) se trouve ici à la 5ème place, suivi plus loin par Amiens, Angers, Caen, Metz ou Brest. L’arrivée d’une immigration nombreuse n’y a donc pas toujours été accompagnée d’une absorption efficace de celle-ci par le marché du travail.

Lecture : 50,7% des immigrés de plus de 15 ans vivant à Calais étaient chômeurs ou inactifs (hors élèves, étudiants, retraités et préretraités) en 2021.

Les communes des Hauts-de-France (Calais, Laon, Denain, Maubeuge, Roubaix, Lens, Liévin…) et du pourtour méditerranéen (5 arrondissements de Marseille, Avignon, Béziers) y sont fortement représentées, avec des parts d’immigrés chômeurs ou inactifs pouvant atteindre la moitié du total des immigrés de 15 ans et plus.

Notons aussi la présence d’isolats dans des territoires frappées par la désindustrialisation : Epinal (Vosges), Forbach (Moselle) ou encore Montbéliard (Doubs).


  1. INSEE, « Population immigrée et étrangère en France », parution du 29 août 2024 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381757 ↩︎
  2. INSEE, op. cit. ↩︎
  3. INSEE, op. cit. ↩︎
  4. INSEE, « En 2023, 3,5 millions d’immigrés nés en Afrique vivent en France », parution du 29 août 2024 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8237722 ↩︎
  5. OCDE, « Les indicateurs de l’intégration des immigrés 2023 », parution du 15/06/2023
    https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/publications/reports/2023/06/indicators-of-immigrant-integration-2023_70d202c4/d5253a21-fr.pdf ↩︎
  6. INSEE, « Raison principale de migration des immigrés arrivés en France après l’âge de 15 ans par origine géographique », parution du 29 août 2024 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/6472909#tableau-figure1 ↩︎
  7. OCDE, op. cit. ↩︎
  8. Données DGEF / ministère de l’Intérieur pour les années 2007 à 2022 : https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Chiffres-cles-sejour-visas-eloignements-asile-acces-a-la-nationalite/Archives ; données du ministère de l’Intérieur via Michèle Tribalat pour la période 1997-1999 : https://www.micheletribalat.fr/435108953/443520654 ↩︎
  9. Claude EVIN et Patrick STEFANINI, avec l’appui de l’IGA / IGAS, mission « Rapport sur l’Aide médicale d’Etat » p. 9 : https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_ame-decembre-2023.pdf ↩︎
  10. Accessible à ce lien : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8202714?sommaire=8202756 ↩︎
  11. Accessible à ce lien : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2120459?sommaire=2402722 ↩︎
  12. Cour des Comptes, « Analyse de l’exécution budgétaire 2023 – Mission Immigration, asile et intégration », avril 2024, p. 6 ↩︎
  13. Cimade, « Dispositif d’accueil des demandeurs d’asile : état des lieux 2024 », parution du 22/07/2024 : https://www.lacimade.org/schemas-regionaux-daccueil-des-demandeurs-dasile-quel-etat-des-lieux-2024/ ↩︎
  14. Le Journal de Vitré, 26 décembre 2017 : https://actu.fr/bretagne/la-guerche-de-bretagne_35125/a-guerche-bretagne-collectif-daccueil-migrants-reprend-service_14614679.html ↩︎
  15. Le Journal de Vitré, 24 février 2019 : https://actu.fr/bretagne/la-guerche-de-bretagne_35125/la-guerche-bretagne-parcours-complexe-familles-migrants_21629593.html#:~:text=Guerche-de-Bretagne-,La%20Guerche-de-Bretagne%20%3A%20le%20parcours%20complexe%20des%20familles,mieux%20qu’il%20le%20peut. ↩︎
  16. Vie Publique.fr (site du gouvernement), « Mineurs étrangers non accompagnés : un dispositif de prise en charge saturé ? », 08/12/2023 : https://www.vie-publique.fr/eclairage/286639-mineurs-etrangers-isole-un-dispositif-de-prise-en-charge-sature ↩︎
  17. Cour des Comptes, « La politique de lutte contre l’immigration irrégulière », janvier 2024
    https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-02/20240104_Politique-lutte-contre-immigration-irreguliere.pdf ↩︎
  18. Anvita, charte (consultée le 17/08/2024) : https://www.anvita.fr/fr/qui-sommes-nous/notre-charte/ ↩︎
  19. Citation dans Le Figaro, 18 novembre 2022. ↩︎
  20. OCDE, op. cit. ↩︎
  21. INSEE, « inactivité, chômage et emploi des immigrés et des descendants d’immigrés par origine géographique », parution du 29 août 2024
    https://www.insee.fr/fr/statistiques/4195420#figure1_radio2 ↩︎
  22. OCDE « Les indicateurs de l’intégration des immigrés 2023 », parution du 15/06/2023 https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/publications/reports/2023/06/indicators-of-immigrant-integration-2023_70d202c4/d5253a21-fr.pdf ↩︎
  23. Accessible ici : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8202714?sommaire=8202756 ↩︎

L’analyse conduite ici porte sur l’évolution de la part des immigrés dans la population générale des communes en France. Afin d’assurer sa précision et d’écarter les lectures erronées qui pourraient en être faites, il convient de rappeler la définition formelle de cette notion afin de mieux la distinguer d’autres termes apparemment proches – en particulier celui d’étranger.

Immigré Un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France. Les personnes nées Françaises à l’étranger et vivant en France ne sont donc pas comptabilisées. Certains immigrés ont pu devenir Français, les autres restant étrangers. Les populations étrangère et immigrée ne se recoupent que partiellement : un immigré n’est pas nécessairement étranger et réciproquement, certains étrangers sont nés en France (essentiellement des mineurs). Les enfants d’immigrés, s’ils sont nés en France, ne sont pas comptabilisés comme immigrés, mais comme « descendants d’immigrés ». La qualité d’immigré est permanente : un individu continue à appartenir à la population immigrée même s’il devient Français par acquisition. C’est le pays de naissance, et non la nationalité à la naissance, qui définit l’origine géographique d’un immigré.
Étranger Un étranger est une personne qui réside en France et ne possède pas la nationalité française, soit qu’elle possède une autre nationalité (à titre exclusif), soit qu’elle n’en ait aucune (c’est le cas des personnes apatrides).  Les personnes de nationalité française possédant une autre nationalité (ou plusieurs) sont considérées en France comme françaises. Un étranger n’est pas forcément immigré, il peut être né en France (les mineurs notamment). À la différence de celle d’immigré, la qualité d’étranger ne perdure pas toujours tout au long de la vie : on peut, sous réserve que la législation en vigueur le permette, devenir français par acquisition.
Source des définitions : INSEE

L’objectif de cette note étant d’appréhender les effet des flux migratoires, entendus comme « le nombre de migrants internationaux arrivant dans un pays (immigrants), ou nombre de migrants internationaux quittant un pays (émigrants) pendant une période déterminée » – pour reprendre les termes employés par les Nations Unies, le choix a été fait de retenir le critère du statut migratoire (immigré vs non-immigré) plutôt que celui de la nationalité (étranger vs Français).

Sur l’intervalle des quinze années concernées par notre étude – cf infra pour explications méthodologiques –, la population immigrée en France a augmenté de 1,8 million de personnes : elle est passée de 5,136 millions en 2006 à 6,932 millions en 2021 – pour atteindre finalement 7,282 millions en 2023. Le nombre d’immigrés résidant en France a donc augmenté de 35% sur notre période d’étude.1

La part des immigrés dans la population générale est ainsi passée de 8,1% en 2006 à 10,2% en 2021 (atteignant 10,7% en 2023) – soit une hausse de 2,1 points et une multiplication par 1,26.2

Un constat clair peut être établi au regard des données historiques de l’INSEE, qui remontent jusqu’au début du XXème siècle et commencent au premier « décollage migratoire » de l’entre-deux-guerres : il n’y a jamais eu autant d’immigrés en France qu’aujourd’hui, que ce soit en valeur absolue ou en part relative, avec une croissance spectaculaire pouvant être observée depuis la fin des années 1990.

Source du graphique : INSEE.3

L’Afrique est le premier continent d’origine des immigrés en France, puisque 48% des immigrés en étaient issus en 2023. Dans le détail, selon l’INSEE : « six immigrés nés en Afrique sur dix sont originaires du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie), contre neuf sur dix en 1968. Le nombre d’immigrés originaires d’Afrique sahélienne, guinéenne ou centrale a doublé depuis 2006 ».4 Ces dynamiques par origine sont vouées à se retrouver dans les communes qui ont connu la plus forte hausse de leur part de population immigrée depuis lors.

La France accueille l’immigration la plus africaine d’Europe. Selon les données disponibles de l’OCDE, 61% des immigrés de 15 à 64 ans vivant en France étaient originaires du continent africain (Maghreb et hors-Maghreb) en 2020, soit une part trois fois supérieure à la moyenne de l’UE. Au Portugal, qui compte la deuxième plus forte proportion d’immigrés africains après la nôtre, cette part n’était que de 35% – soit 26 points de moins qu’en France.5

De même, 45% des immigrés arrivés en France après l’âge de 15 ans déclaraient en 2023 être venus pour accompagner ou rejoindre un membre de leur famille, selon l’INSEE.6 De son côté, l’OCDE évaluait à 41,6% la part des entrées d’immigrés permanents effectuées au titre du motif « Famille » sur le total des entrées entre 2005 et 2020, soit un taux trois fois supérieur à celui constaté en Allemagne sur la même période.7

La hausse rapide et forte de la population immigrée en France a été portée par une croissance conjointe des diverses catégories de flux migratoires reçus dans notre pays, qui peut être attestée par l’ensemble des indicateurs disponibles.

  • Titres de séjour : le nombre annuel de primo-titres de séjour accordés à des ressortissants de « pays tiers » (hors UE, Suisse et Royaume-Uni) a augmenté de moitié entre 2006 et 2021 (+41%), passant de 183 261 à 273 360. Il a quasiment triplé entre 1997 et 2023 (+175%), pour atteindre 326 954 primo-titres l’an dernier.8
  • Asile : le nombre annuel de primo-demandes d’asile reçues en France a été multiplié par 3 entre 2009 et 2019, passant de 42 000 à 138 000 demandes. Ayant connu une baisse conjoncturelle liée au Covid en 2020-2021, il a ensuite repris sa dynamique haussière pour atteindre 145 000 personnes en 2023.
  • Immigration clandestine : le nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’Etat – réservée aux étrangers en situation irrégulière – a doublé entre le 1er janvier 2006 et le 1er janvier 2021 (passant de 189 284 à 382 899 usagers), attestant de la dynamique plus globale de l’immigration illégale. Ce nombre a même triplé en moins de vingt ans (2004-2023), pour atteindre 466 000 personnes en fin d’année dernière.9

Pour procéder à l’étude comparée des évolutions de la population immigrée dans les communes de France, notre analyse s’est fondée sur les données les plus précises parmi celles rendues disponibles publiquement. Elles se trouvent dans les bases du recensement par commune rendues publiques par l’INSEE :

  • Fichier IMG1A pour 2021 – « Population par sexe, âge, et situation quant à l’immigration ».10
  • Fichier IMG1 pour 2006 : « Population par sexe, âge, et situation quant à l’immigration ».11

Le choix de l’année 2021 tient au fait qu’il s’agit de la plus récente année pour laquelle ces données sont disponibles au niveau communal, ayant été mises en ligne le 27 juin 2024.

L’arbitrage en faveur de l’année 2006 répond à la nécessité de couvrir une période de temps suffisamment ample – quinze années – afin de retracer des évolutions structurelles qui ne peuvent s’appréhender que de cette façon, tout en tenant compte de la disponibilité ou de l’absence des fichiers les plus anciens sur le site de l’INSEE.

Pour l’ensemble des 35 000 communes recensées en France métropolitaine (36 500 en 2006), nous avons additionné les segments de population remplissant la variable statistique IMMI1 – correspondant à la définition statistique des immigrés telle que décrite à la plage précédente. Nous avons ensuite rapporté cette somme à l’ensemble de la population de la commune pour obtenir la part des immigrés dans celle-ci, exprimée en pourcentage.

Ayant effectué ce travail sur les données des années 2006 et 2021, nous avons ensuite calculé l’évolution de la part des immigrés dans chaque commune entre ces deux dates, suivant deux modalités d’approche méthodologique :

  1. Variation « relative » de la part des immigrés : la différence est approchée par un coefficient multiplicateur.

Exemple : la part des immigrés dans la population de Brest a été multipliée par 2 entre 2006 et 2021.

  1. Variation « absolue » de la part des immigrés : la différence est approchée en points de pourcentage.

Exemple : la part des immigrés dans la population de Metz a augmenté de 6,3 points entre 2006 et 2021.

Les données mises en ligne par l’INSEE au niveau communal se limitent à recenser deux statuts migratoires généraux : « immigré » ou « non-immigré. Plusieurs niveaux d’information ne sont donc pas accessibles par ce biais :

  • Pays de naissance des immigrés : ceux-ci sont décomptés ici dans leur ensemble pour chaque commune, sans distinction selon leur origine géographique. Les données disponibles au niveau national permettent cependant d’y voir clair sur les principales origines migratoires concernées – cf supra.
  • Statut régulier ou non : parmi les immigrés n’ayant pas acquis la nationalité française, le recensement de l’INSEE ne distingue pas entre ceux qui résident légalement sur le territoire national (qu’ils disposent d’un titre de séjour valide ou en soient dispensés – comme les citoyens européens) et ceux qui y sont présents de façon irrégulière.
  • Durée de présence sur le territoire national : il n’est pas possible de quantifier, dans chaque commune, les immigrés arrivés en France durant notre période de référence (2006-2021) et ceux qui s’étaient déjà installés dans le pays antérieurement.

Il ressort de cette analyse deux principaux constats :

  1. Une augmentation rapide de la part des immigrés dans des territoires parmi les moins concernés par l’immigration jusqu’alors, avec un basculement notable dans les régions du Grand Ouest (Bretagne, Pays de la Loire, Normandie…) ;
  2. Une consolidation de la surreprésentation des immigrés dans des régions concernées largement et de plus longue date, notamment en Ile-de-France (avec une diffusion des réalités migratoires aux lisières de la région), mais aussi en PACA et dans le Grand Est.

Lecture : la part des immigrés dans la population du Mans a été multipliée par 2,03 entre 2006 et 2021 – elle a donc doublé en quinze ans.

Lecture : la part des immigrés dans la population d’Argenteuil a augmenté de 6,4 points entre 2006 et 2021.

Lecture : la part des immigrés dans la population de La Chapelle-sur-Erdre a été multipliée par 2,97 entre 2006 et 2021 – elle a donc quasiment triplé en quinze ans.

Lecture : la part des immigrés dans la population de Villeneuve-Saint-Georges a augmenté de 14,1 points entre 2006 et 2021.

Lecture : la part des immigrés dans la population de La Guerche-de-Bretagne a été multipliée par 8,25 entre 2006 et 2021.

Lecture : la part des immigrés dans la population de Villerupt a augmenté de 20,2 points entre 2006 et 2021.

NB : pour cette catégorie, un fort phénomène de « villes frontalières » est à prendre en compte – en particulier pour les communes des régions Grand Est et Auvergne-Rhône-Alpes.

Un certain nombre des villes identifiées dans les classements établis ci-dessus (en particulier dans le segment des communes comptant entre 3 000 et 20 000 habitants) ont accueilli sur leur territoire un ou plusieurs dispositifs d’hébergement mis en œuvre dans le cadre du dispositif national d’accueil des personnes demandant l’asile et des réfugiés (DNA). Ce schéma directeur comptait environ 120 000 places (119 725) à la fin de l’année 2023 – auxquelles s’ajoutaient 13 817 places pour les bénéficiaires de la protection temporaire (BPT) d’Ukraine.12

Parmi ces 120 000 places, l’on comptait notamment 50 000 places autorisées de centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) et 64 000 autres places d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile (HUDA). Comme le résume la Cimade : « le parc d’hébergement est principalement situé en Ile- de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Grand Est qui sont les trois principales régions métropolitaines qui enregistrent le plus grand nombre de demandes. Cependant, ce sont les régions Pays de la Loire, Bretagne, Nouvelle Aquitaine et Occitanie qui ont connu le plus grand nombre de créations, ces dix dernières années. »13

En effet, la présence notable de plusieurs communes bretonnes et ligériennes est à remarquer dans cette étude. Il en va ainsi de La Guerche-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine), en tête du classement national d’augmentation relative pour les communes de 3 000 à 20 000 habitants : la part des immigrés dans la population totale de cette commune de 4 400 habitants a été multipliée par huit en quinze ans.  Sa trajectoire migratoire peut être appréhendée par l’analyse des articles du Journal de Vitré, l’hebdomadaire local. En octobre 2015, dans le cadre de la politique d’évacuation et de désengorgement de la « jungle de Calais », les autorités y ont ouvert un Centre d’accueil et d’orientation (CAO) – ayant fermé ses portes en juin 2017.14 Puis, dès novembre 2017, un CADA y a été inauguré. En février 2019, la presse locale y mentionnait l’existence de « deux pôles d’accueil » : un CADA et une résidence louée sur place par la ville de Rennes, du fait de la saturation de ses propres capacités.15 Le même genre de trajectoire associée à des centres et places d’orientation ou d’accueil peut être retracé pour de nombreuses communes en tête du classement des petites villes : Loudun (Vienne), Villedieu-les-Poêles (Manche), La Souterraine (Creuse), Varennes-sur-Allier (Allier), Hirson (Aisne)…

Outre le dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés, les communes accueillant des foyers de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ont aussi pu voir la composition de leur démographie transformée par la place majeure prise par les mineurs étrangers non-accompagnés dans les hébergements de l’ASE. Le nombre annuel de personnes déclarées MNA sur le territoire français a été multiplié par trois entre 2014 et 2019, pour atteindre un niveau record l’an dernier (19 000 personnes en 2023 contre 5 000 en 2014)16 ; leur prise en charge fait aussi l’objet d’un dispositif de répartition entre les départements, dont les conseils départementaux sont en charge de l’ASE.

Citons enfin la mise en œuvre récente de « sas d’accueil temporaire » dans certaines villes de province, créés en 2023 pour désengorger l’Ile-de-France de personnes en situation irrégulière et de grande précarité – souvent issus des « camps de migrants » dans Paris et ses alentours – et les orienter rapidement vers d’autres dispositifs, relevant du DNA ou du l’hébergement d’urgence généraliste (dont 40 à 60% des places du parc de l’Etat sont aujourd’hui occupées par des étrangers irréguliers, selon les estimations de la Cour des Comptes).17

Tandis que les stratégies nationales de « répartition » de l’immigration peuvent apparaître largement subies par les communes qui en sont l’objet – en particulier les petites villes rurales –, d’autres collectivités ont assumé depuis plusieurs années le choix explicite d’une politique locale « d’ouverture » large en matière migratoire, souvent justifiée par des arguments croisant des considérations d’ordre humanitaire, économique ou plus strictement idéologique.

Il en va ainsi des villes membres d’une structure puissante, quoique peu connue du grand public : l’Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita), fédération de collectivités s’engageant à combattre « toute politique remettant en cause l’accueil inconditionnel » des étrangers sur le sol français – comme le résume sa charte fondatrice.18 Celle-ci synthétise et définit les grands principes des politiques publiques d’immigration mises en œuvre par les élus qui y sont engagés : « Nos territoires peuvent devenir refuges pour tous ceux et toutes celles qui ont besoin d’être mis à l’abri. C’est mettre en œuvre le devoir d’hospitalité en répondant d’abord et avant tout aux urgences, celles liées à l’accès inconditionnel à l’hébergement, à l’alimentation, à l’hygiène, à la santé, à l’éducation et à la culture pour répondre aux besoins vitaux. […] Nous proposons de mettre en œuvre tout dispositif permettant aux personnes, quel que soit leur statut, de vivre dignement dans nos territoires ».

Parmi les métropoles régionales qui en font partie figurent notamment Nantes, Rennes, Tours ou Rouen – présentes dans les classements ci-dessus. Mais l’Anvita intègre aussi des villes moyennes, des départements et des régions comme l’Occitanie et le Centre-Val de Loire. Les territoires concernés se distinguent notamment par la densité du tissu associatif d’accueil et de prise en charge des immigrés, spécialement ceux relevant de l’immigration familiale, de la demande d’asile ou d’une situation irrégulière, dont les actions peuvent bénéficier de subventions et concours publics significatifs. Ces réseaux de prise en charge à la lisière de la délégation de service public, de l’activisme juridique et du militantisme politique sont autant de facteurs d’attractivité pour certains des types d’immigration évoqués.

Notons enfin que, si une ville-métropole peut prendre seule la décision de mettre en œuvre une telle stratégie d’attractivité migratoire, les effets démographiques de ses décisions peuvent se ressentir dans l’ensemble d’un bassin de population. La présence dans cette étude de nombreuses communes d’Ille-et-Vilaine et de Loire-Atlantique autres que Rennes et Nantes peut notamment en témoigner.

Outre les transformations rapides qu’a connu le Grand Ouest, l’analyse présentée ici fait apparaître une consolidation de la surreprésentation de l’immigration en Ile-de-France. Il est notable à ce titre que la commune de plus de 100 000 habitants ayant connu la plus forte augmentation de sa population immigrée en points de pourcentage soit Argenteuil (+ 6,4 points en 15 ans), alors même que sa part de population immigrée était déjà trois fois supérieure à la moyenne nationale en 2006.

Cette surreprésentation persistante en région parisienne n’a cependant pas concerné que la capitale et sa couronne la plus immédiate. On remarque une présence notable de communes situées aux lisières intérieures et extérieures de l’Ile-de-France : dans les espaces périurbains de l’Essonne, en Seine-et-Marne, dans le Loiret ou l’Yonne. Ainsi la part des immigrés dans la population de Nangis (Seine-et-Marne) a-t-elle augmenté de 10,3 points en quinze ans ; de 9,6 points à Joigny (Yonne) ; ou encore de 5,7 points à Orléans (Loiret).

Comme le résume le démographe Gérard-François Dumont, membre du conseil scientifique de l’OID : « L’immigration crée l’immigration. […] À partir du moment où des membres d’une communauté s’installent quelque part, ils jouent le rôle de guichet d’accueil pour d’autres personnes de la même origine ».19 Ce constat est à appréhender à la lumière de la nature spécifique des raisons d’installation des immigrés en France. La part des entrées d’immigrés (toutes origines confondues) effectuées sur le fondement d’un motif « Famille » est la plus élevée dans notre pays parmi toute l’Europe de l’Ouest : elle a représenté 41,2% des entrées d’immigrés permanents sur la période 2005-2020, soit un taux trois fois supérieur à celui constaté en Allemagne (contre 10,5% pour le motif « Travail »).20 Nous sommes là au cœur des phénomènes de flux migratoires par capillarité, propres aux comportements de diaspora.

La diffusion de l’immigration vers les marges du Bassin parisien peut s’expliquer de différentes façons. L’une d’entre elles est à lier avec les programmes de rénovation urbaine mis en œuvre dans certaines communes, comportant de longue date des quartiers relevant de politique de la ville, qui ont généré des phénomènes de déport des populations immigrés vers de nouveaux lieux d’installation, en particulier ceux disposant d’importants parcs de logement sociaux – le cas de Nangis apparaît assez illustratif de ces situations. Plus généralement, il apparaît que la saturation de certaines capacités d’accueil dans le cœur de l’agglomération parisienne a pu générer un déplacement de la demande vers des territoires plus excentrés, restant cependant à la portée des réseaux de diaspora et des services offerts dans la grande métropole parisienne. Cet effet de saturation francilienne a aussi pu jouer un rôle dans l’orientation de l’immigration vers les métropoles de l’Ouest et leurs agglomérations immédiates, dont les capacités d’accueil connaissaient une moindre tension dans les années 2000.

A l’échelle nationale, une étude de l’INSEE21 a publié des statistiques précises sur le taux d’emploi et de chômage des immigrés et des descendants d’immigrés extra-européens, par groupes de pays d’origine ou par pays d’origine. De celles-ci, on dénote non seulement un écart important entre les immigrés et les personnes sans ascendance migratoire – à l’exception des immigrés d’Asie du Sud-est qui enregistrent les meilleurs résultats, mais également une aggravation de ces indicateurs pour la deuxième génération.

  • Ainsi, le taux d’emploi des immigrés âgés de 15 à 64 ans était en moyenne de 62,5% en 2023, contre 59,7% pour la deuxième génération, bien inférieur à celui des personnes sans ascendance migratoire (70,7%). Plus précisément :
  • Le taux d’emploi des immigrés originaires d’Afrique âgés de 15 à 64 ans était de 59,9% en 2023, contre 50,6 pour la deuxième génération (soit une baisse de près de 10 points) ;
  • Le taux d’emploi des immigrés originaires du Maghreb âgés de 15 à 64 ans était de 57,7% en 2023, contre 51,6% pour la deuxième génération (soit une baisse de près de 6 points) ;
  • Le taux d’emploi des immigrés turcs âgés de 15 à 64 ans était de 54,3% en 2023, contre 47% pour la deuxième génération (soit moins de la moitié des personnes concernées, et une baisse de plus de 6 points) ;
  • Le taux d’emploi des immigrés originaires d’Asie du Sud-est âgés de 15 à 64 ans était de 75,3% en 2023, contre 69,6% pour la deuxième génération (soit de meilleurs résultats que les Français natifs pour la première génération, et des résultats quasiment identiques pour la deuxième génération).
  • De même, le taux de chômage des immigrés âgés de 15 à 64 ans était en moyenne de 11,2% en 2023, contre 10,2% pour la deuxième génération, soit près du double de celui des personnes sans ascendance migratoire (6,5%). Dans le détail :
  • Le taux de chômage des immigrés originaires d’Afrique âgés de 15 à 64 ans était de 13,6% en 2023, contre 15% pour la deuxième génération ;
  • Le taux de chômage des immigrés originaires du Maghreb âgés de 15 à 64 ans était de 14,1% en 2023, contre 14,3% pour la deuxième génération ;
  • Le taux de chômage des immigrés turcs âgés de 15 à 64 ans était de 13,7% en 2023, contre 14,9% pour la deuxième génération ;
  • Le taux de chômage des immigrés originaires d’Asie du Sud-est âgés de 15 à 64 ans était de 3,2% en 2023, contre 5,6% pour la deuxième génération (soit de meilleurs résultats que les Français natifs à la fois pour la première génération et la deuxième génération).

Par ailleurs, une approche complémentaire avec des données de l’OCDE22 fondées sur la nationalité – et non plus sur l’origine migratoire – permet d’aboutir à des conclusions similaires et de constater l’ampleur des écarts avec nos partenaires européens en la matière :

  • La part des étrangers extra-européens de 15 ans à 64 ans qui occupaient un emploi en 2020 était seulement de 51,6%, soit un taux inférieur de 14 points à celui des citoyens français, mais aussi de 15 points à celui des étrangers extra-européens au Royaume-Uni, 9 points de moins qu’au Danemark, 6 points de moins qu’en Allemagne.
  • Les « actifs » – ceux qui occupent ou recherchent un emploi – ne comptaient que pour 64% des étrangers extra-européens en âge de travailler en 2021, soit le 3ème taux le plus faible de toute l’UE (« suivi » seulement par la Belgique et les Pays-Bas).
  • Le taux de chômage des étrangers extra-européens de 15 ans à 64 ans était de 19,4% en 2020, contre 8% pour les citoyens français, soit plus du double.

Ces réalités nationales apparaissent vouées à poser des difficultés particulières de politiques publiques dans les territoires où elles se concentrent de la façon la plus aiguë. Il semble donc judicieux de pousser notre analyse au niveau communal dans ce champ particulier.

Pour procéder à l’étude comparée de la part des immigrés chômeurs ou inactifs (hors étudiants et retraités) dans les communes de France, notre analyse s’est fondée sur les données les plus précises parmi celles rendues disponibles publiquement. Elles se trouvent dans les bases du recensement par commune rendues publiques par l’INSEE :

  • Fichier IMG2A pour 2021 – « Population de 15 ans ou plus par sexe, âge, situation quant à l’immigration et type d’activité »23

Le choix de l’année 2021 tient au fait qu’il s’agit de la plus récente année pour laquelle ces données sont disponibles au niveau communal, ayant été mises en ligne au début de l’été 2024 (le 27 juin dernier).

Pour l’ensemble des 35 000 communes recensées en France métropolitaine, nous avons additionné les segments de population remplissant la variable statistique IMMI1 – correspondant à la définition statistique des immigrés telle que décrite en introduction de cette note – au sein de la population générale âgée de 15 ans et plus.

Puis nous avons croisé cette variable avec les types d’activité (TACTR), afin de décompter les immigrés âgés de 15 ans et plus appartenant à l’une de ces catégories :

  • TACTR 12 : Chômeurs
  • TACTR 24 : Femmes ou hommes au foyer
  • TACTR 26 : Autres inactifs (hors élèves, étudiants, retraités ou préretraités)

Sur la base de ce calcul, nous avons pu établir,pour chaque commune, la part des immigrés âgés de 15 ans et plus qui étaient chômeurs ou inactifs (hors élèves, étudiants, retraités ou préretraités) en 2021.

Un classement de ces résultats a ensuite été établi au niveau national, selon la taille de la population des communes, afin d’identifier les territoires dans lesquels les enjeux liés à la plus faible intégration des immigrés sur le marché du travail se posent de la manière la plus forte.

Lecture : 40,8% des immigrés de plus de 15 ans vivant à Mulhouse étaient chômeurs ou inactifs (hors élèves, étudiants, retraités et préretraités) en 2021.

Deux constats saillants sont à noter sur le fondement de ce tableau :

  • Une forte prévalence des villes du pourtour méditerranéen en haut de classement, caractérisées par une immigration largement présente et de plus longue date qu’ailleurs : Perpignan, Nîmes, Marseille, Toulon…
  • La présence de nombreuses communes déjà identifiées parmi celles dont la part d’immigrés a le plus augmenté en quinze ans : Le Mans (en tête de l’augmentation relative de la part d’immigrés entre 2006 et 2021 pour cette catégorie de communes) se trouve ici à la 5ème place, suivi plus loin par Amiens, Angers, Caen, Metz ou Brest. L’arrivée d’une immigration nombreuse n’y a donc pas toujours été accompagnée d’une absorption efficace de celle-ci par le marché du travail.

Lecture : 50,7% des immigrés de plus de 15 ans vivant à Calais étaient chômeurs ou inactifs (hors élèves, étudiants, retraités et préretraités) en 2021.

Les communes des Hauts-de-France (Calais, Laon, Denain, Maubeuge, Roubaix, Lens, Liévin…) et du pourtour méditerranéen (5 arrondissements de Marseille, Avignon, Béziers) y sont fortement représentées, avec des parts d’immigrés chômeurs ou inactifs pouvant atteindre la moitié du total des immigrés de 15 ans et plus.

Notons aussi la présence d’isolats dans des territoires frappées par la désindustrialisation : Epinal (Vosges), Forbach (Moselle) ou encore Montbéliard (Doubs).


  1. INSEE, « Population immigrée et étrangère en France », parution du 29 août 2024 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381757 ↩︎
  2. INSEE, op. cit. ↩︎
  3. INSEE, op. cit. ↩︎
  4. INSEE, « En 2023, 3,5 millions d’immigrés nés en Afrique vivent en France », parution du 29 août 2024 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8237722 ↩︎
  5. OCDE, « Les indicateurs de l’intégration des immigrés 2023 », parution du 15/06/2023
    https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/publications/reports/2023/06/indicators-of-immigrant-integration-2023_70d202c4/d5253a21-fr.pdf ↩︎
  6. INSEE, « Raison principale de migration des immigrés arrivés en France après l’âge de 15 ans par origine géographique », parution du 29 août 2024 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/6472909#tableau-figure1 ↩︎
  7. OCDE, op. cit. ↩︎
  8. Données DGEF / ministère de l’Intérieur pour les années 2007 à 2022 : https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Chiffres-cles-sejour-visas-eloignements-asile-acces-a-la-nationalite/Archives ; données du ministère de l’Intérieur via Michèle Tribalat pour la période 1997-1999 : https://www.micheletribalat.fr/435108953/443520654 ↩︎
  9. Claude EVIN et Patrick STEFANINI, avec l’appui de l’IGA / IGAS, mission « Rapport sur l’Aide médicale d’Etat » p. 9 : https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_ame-decembre-2023.pdf ↩︎
  10. Accessible à ce lien : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8202714?sommaire=8202756 ↩︎
  11. Accessible à ce lien : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2120459?sommaire=2402722 ↩︎
  12. Cour des Comptes, « Analyse de l’exécution budgétaire 2023 – Mission Immigration, asile et intégration », avril 2024, p. 6 ↩︎
  13. Cimade, « Dispositif d’accueil des demandeurs d’asile : état des lieux 2024 », parution du 22/07/2024 : https://www.lacimade.org/schemas-regionaux-daccueil-des-demandeurs-dasile-quel-etat-des-lieux-2024/ ↩︎
  14. Le Journal de Vitré, 26 décembre 2017 : https://actu.fr/bretagne/la-guerche-de-bretagne_35125/a-guerche-bretagne-collectif-daccueil-migrants-reprend-service_14614679.html ↩︎
  15. Le Journal de Vitré, 24 février 2019 : https://actu.fr/bretagne/la-guerche-de-bretagne_35125/la-guerche-bretagne-parcours-complexe-familles-migrants_21629593.html#:~:text=Guerche-de-Bretagne-,La%20Guerche-de-Bretagne%20%3A%20le%20parcours%20complexe%20des%20familles,mieux%20qu’il%20le%20peut. ↩︎
  16. Vie Publique.fr (site du gouvernement), « Mineurs étrangers non accompagnés : un dispositif de prise en charge saturé ? », 08/12/2023 : https://www.vie-publique.fr/eclairage/286639-mineurs-etrangers-isole-un-dispositif-de-prise-en-charge-sature ↩︎
  17. Cour des Comptes, « La politique de lutte contre l’immigration irrégulière », janvier 2024
    https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-02/20240104_Politique-lutte-contre-immigration-irreguliere.pdf ↩︎
  18. Anvita, charte (consultée le 17/08/2024) : https://www.anvita.fr/fr/qui-sommes-nous/notre-charte/ ↩︎
  19. Citation dans Le Figaro, 18 novembre 2022. ↩︎
  20. OCDE, op. cit. ↩︎
  21. INSEE, « inactivité, chômage et emploi des immigrés et des descendants d’immigrés par origine géographique », parution du 29 août 2024
    https://www.insee.fr/fr/statistiques/4195420#figure1_radio2 ↩︎
  22. OCDE « Les indicateurs de l’intégration des immigrés 2023 », parution du 15/06/2023 https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/publications/reports/2023/06/indicators-of-immigrant-integration-2023_70d202c4/d5253a21-fr.pdf ↩︎
  23. Accessible ici : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8202714?sommaire=8202756 ↩︎