Table des matières
L’essentiel
- Environ 900 000 étrangers séjourneraient illégalement sur le territoire français, selon Patrick Stefanini(1) – ancien secrétaire général du Ministère de l’Immigration.
- Une tendance fortement haussière est perceptible : par exemple, le nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’Etat (dispositif réservé aux étrangers en situation irrégulière) a augmenté de 128% entre 2001 et 2018. L’immigration clandestine se fonde largement sur le détournement de procédures légales – notamment l’asile : 62% des demandes ont abouti à une décision négative en 2017(2) , mais uniquement 17,5% des mesures d’éloignement ont été exécutées(3) , générant un stock de “déboutés” qui restent sur le territoire
- L’immigration illégale est un vecteur essentiel du trafic des êtres humains, des déséquilibres territoriaux et du contournement des normes sociales
- Les prestations et les perspectives de régularisation qui lui sont attachées doivent être revues, afin de créer un “climat hostile” permettant d’endiguer sa dynamique
1- Patrick STEFANINI, Immigration. Ces réalités qu’on nous cache, Robert Laffont, 2020, 330 p.
2- Ministère de l’Intérieur, « L’essentiel de l’immigration », 21 janv. 2020 : lien
3- Sénat, 2018 : lien
1 – L’immigration illégale en France constitue un phénomène massif et en accroissement, essentiellement appuyé sur le détournement de procédures légales
1.1. 900 000 étrangers seraient présents illégalement sur le territoire national, avec une tendance observable à l’accroissement de leur nombre
L’entrée et/ou le maintien sur le territoire national de ressortissants étrangers sans titre de séjour adéquat constituent un « angle mort » récurrent des politiques migratoires. Par son essence même, ce phénomène se soustrait aux régulations législatives et réglementaires comme aux recensements officiels.
En se fondant sur diverses sources (notamment administratives), l’ancien secrétaire général du Ministère de l’Immigration Patrick Stefanini estime néanmoins qu’environ 900 000 étrangers seraient présents illégalement sur le territoire national1.
Un récent rapport d’information parlementaire2 consacré à la Seine-Saint-Denis permet lui aussi d’appréhender l’ampleur massive du phénomène. Selon les estimations des interlocuteurs rencontrés par les rapporteurs, MM. François Cornut-Gentille et Rodrigue Kokouendo, le nombre de clandestins dans ce seul département serait compris entre 150 000 (l’équivalent de la population de la ville de Nîmes) et 400 000 (l’équivalent de la population des villes de Nice et Cergy réunies), en plus des centaines de milliers de personnes de nationalité étrangère qui y séjournent en situation régulière (423 879 en 2014)
Par ailleurs, un indicateur efficace permet de déterminer la dynamique nettement haussière dans laquelle ces chiffres s’inscrivent : le nombre des bénéficiaires de l’aide médicale d’État (AME), dispositif assurant aux étrangers en situation irrégulière un accès gratuit aux soins. Depuis la création de l’AME en 2001, le volume de ses bénéficiaires a augmenté à un rythme de 6% par an en moyenne : ils étaient 139 000 durant sa première année d’existence, contre 311 000 en 20183 – soit une hausse de 128%. Cet instrument de mesure tend néanmoins à sous-estimer fortement le nombre de clandestins présents sur le territoire, dans la mesure où tous n’utilisent pas ce droit qui leur est ouvert. Pour rappel, la loi de finances 2020 prévoit d’affecter 934,4 millions d’euros de crédits à l’AME4.
1.2 Ces clandestins pénètrent en France par différents canaux, qui résultent largement du détournement des procédures légales
Les arrivées illégales directes ont augmenté partout en Europe durant la dernière décennie, particulièrement avec la « crise des migrants » ouverte en 2015. Elles passent essentiellement par trois grandes zones aux frontières méridionales de l’UE : les côtes grecques de la Mer Egée ; les îles du sud de l’Italie ; le détroit de Gibraltar et les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Les immigrés ainsi entrés tendent ensuite à se disperser dans le continent.
Mais l’arrivée illégale « ferme » ne représente sans doute pas la majorité des situations de présence clandestine en France. Celles-ci résultent plus souvent du détournement de procédures légales d’immigration : à l’expiration de leur statut régulier provisoire, des individus se maintiennent indûment sur le territoire national.
C’est notamment le cas du droit de l’asile. Selon le préfet François Lucas, « le doublement des demandes ces cinq dernières années révèle un détournement de la procédure, pas seulement une faillite du système Dublin. Il s’agit en effet de migrations économiques5 ». Le nombre de demandes reste en forte progression : +7,3% entre 2018 et 2019. La France est devenu le pays d’Europe le plus « attractif » dans cette matière en 2019, avec 154 620 demandes enregistrées6 contre environ 120 000 en Allemagne.
38,2 % de ces procédures ont abouti à une décision positive (reconnaissance du statut de réfugié ou protection subsidiaire)7. Or nombreux sont les refusés à rester en France : seulement 15% des mesures d’éloignement prononcées étaient effectivement exécutées en 20188. En d’autres termes, il existe un « stock » de demandeurs d’asile déboutés, qui restent et ne sont pas reconduits.
Le même genre de constat peut être fait pour les titres d’immigration à court-terme, qui permettent de se rendre en France sans encombre puis d’y rester illégalement à expiration du séjour autorisé. C’est notamment le cas des visas de tourisme et des visas étudiants.
2- Les importants problèmes créés ou renforcés par l’immigration illégale appellent une réponse volontariste, inspirée par certaines réussites étrangères
2.1 La présence nombreuse d’étrangers clandestins sape la force des lois, renforce les déséquilibres territoriaux et sert de vecteur à d’autres formes d’illégalité
Le rapport parlementaire de MM. Cornut-Gentille et Kokouendo suggère que l’écart entre la population officielle de la Seine-Saint-Denis et sa population réelle pourrait être de l’ordre de 27%9. Cette incertitude nuit fortement à la conception et au déploiement de politiques publiques adaptées, dans des villes à la gouvernance complexifiée par de multiples facteurs.
Par ailleurs, les filières d‘immigration clandestine ont partie liée avec diverses entreprises criminelles. Elles sont structurées et gérées par des mafias internationales, qui organisent le passage d’étrangers non-enregistrés sur le territoire des Etats européens10 et les exploitent parfois dans le cadre de multiples trafics : stupéfiants, esclavage moderne, prostitution11…
Ces filières nourrissent aussi les intérêts de certains acteurs économiques en recherche constante d’une main d’oeuvre non-déclarée, pour laquelle les règles de protection sociale, de salaire minimum et de de sécurité au travail ne s’appliquent pas. La construction ou la restauration comptent historiquement parmi ces champs d’activité. Les nouveaux métiers de l’économie « ubérisée » sont désormais particulièrement concernés12.
Plus largement, l’ampleur de l’immigration clandestine et la relative tolérance qui l’entoure affaiblissent la force morale des lois en vigueur. Les multiples droits et facilités accordés aux étrangers présents illégalement sur le territoire national, depuis la prise en charge intégrale des frais médicaux et hospitaliers par l’AME13 jusqu’à la scolarisation inconditionnelle des mineurs14 (rendant toute expulsion dans la famille proche très difficile juridiquement), contribuent à relativiser beaucoup la portée des règles d’entrée et de séjour en France.
Il en va de même des procédures de régularisation, dont les critères de durée de présence sur le territoire national constituent une forme d’incitation pour les étrangers à se placer dans une situation d’illégalité volontaire et prolongée15. La circulaire Valls du 28 novembre 2012 – toujours applicable au 1er janvier 2020 – liste explicitement les différents cas concernés16 :
- La régularisation de l’étranger illégal parent d’enfant scolarisé ;
- La régularisation de l’étranger illégal dont le conjoint est en situation régulière ;
- La régularisation de l’étranger illégal entré mineur en France et devenu majeur ;
- Autres cas : « services rendus à la collectivité », « circonstances humanitaires particulières », « talents exceptionnels ».
2.2 Ces constats appellent une stratégie cohérente de lutte contre l’immigration illégale, alliant mesures désincitatives et facilitation des procédures d’éloignement
Le détournement du droit d’asile étant devenu un instrument fréquent du séjour clandestin, la France pourrait s’inspirer des réformes récemment mises en oeuvre en Allemagne afin de faciliter l’expulsion des déboutés. La loi sur le « retour ordonné » de 2019 permet au gouvernement d’avoir un recours facilité aux mesures de rétention administrative pour les déboutés du droit d’asile, d’emprisonner les demandeurs non coopératifs et de limiter les aides sociales des personnes qui bénéficient déjà de l’asile dans un autre pays européen. Au total, entre 2017 et 2019, le nombre de demandes d’asile enregistrées en Allemagne a baissé de 25% ; il est désormais inférieur à celui constaté en France.
Plus généralement, il s’agit de construire un « environnement hostile » à l’immigration illégale (hostile environment – expression officiellement employée par le Ministère britannique de l’Intérieur au cours des années 2010). Une telle démarche passe par la suppression ou la forte réduction des prestations accordées aux immigrés en situation irrégulière – telles que l’AME. Elle implique aussi de refuser par principe la régularisation de tout étranger ayant sciemment séjourné sans titre sur le territoire national, sauf circonstances très exceptionnelles et spécifiquement prévues par la loi. Une étape intermédiaire peut consister à revoir la circulaire ministérielle en vigueur sur ce sujet.
La dimension psychologique de cette stratégie ne doit pas être sous-estimée. Même sans changement juridique majeur, la proclamation d’un message politique de fermeté tend à faire diminuer les flux illégaux. Cette observation a pu être faite aux Etats-Unis dans les mois suivant l’élection présidentielle de 201617.
Notes
- Patrick STEFANINI, Immigration. Ces réalités qu’on nous cache, Robert Laffont, 2020, 330 p. ↩︎
- Rapport d’information sur l’évaluation de l’action de l’Etat dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mai 2018 (rapport CORNUT-GENTILLE-KOKOUENDO) ↩︎
- Inspection générale des finances (IGF), L’AME : diagnostic et propositions, octobre 2019 ↩︎
- Sénat, 2019 : https://www.senat.fr/rap/a19-143-6/a19-143-65.html ↩︎
- Fondation ResPublica, actes du colloque « Immigration et intégration : table-ronde autour de Pierre Brochand », 2019 : https://www.chevenement.fr/Actes-du-seminaire-de-la-Fondation-Res-Publica-Immigration-et-integration-Table-ronde-autour-de-Pierre-Brochand_a2062.html ↩︎
- Ministère de l’Intérieur, « L’essentiel de l’immigration », 21 janv. 2020 : https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Statistiques/Essentiel-de-l-immigration/Chiffres-cles ↩︎
- Idem ↩︎
- Cour des comptes, L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères, 2020, p.150 ↩︎
- 1 650 000 habitants selon le recensement de 2017, auxquels s’ajoute une population clandestine que les plus hautes estimations voient à 450 000 habitants – cf Rapport d’information sur l’évaluation de l’action de l’Etat dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mai 2018 ↩︎
- https://telquel.ma/2018/10/23/selon-les-renseignements-allemands-20-mafieux-controlent-les-reseaux-de-trafic-de-migrants-au-maroc_1615270 ↩︎
- https://www.lepoint.fr/monde/les-jeunes-nigerianes-courent-vers-les-trafiquants-pour-rejoindre-l-europe-13-06-2017-2134860_24.php ↩︎
- https://www.courrierinternational.com/article/vu-des-etats-unis-en-france-les-migrants-exploites-par-uber-eats-et-deliveroo ↩︎
- https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F3079 ↩︎
- https://www.gisti.org/doc/publications/2004/sans-papiers/scolarite.html ↩︎
- Exemple de la « régularisation par le travail » : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F16053 ↩︎
- https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Actualites/Focus/Circulaire-sur-l-admission-au-sejour-du-28-novembre-2012/Circulaire-INTK1229185C-du-28-novembre-2012 ↩︎
- https://www.lci.fr/international/etats-unis-l-immigration-clandestine-en-baisse-de-40-selon-l-administration-trump-2028539.html ↩︎
1 – L’immigration illégale en France constitue un phénomène massif et en accroissement, essentiellement appuyé sur le détournement de procédures légales
1.1. 900 000 étrangers seraient présents illégalement sur le territoire national, avec une tendance observable à l’accroissement de leur nombre
L’entrée et/ou le maintien sur le territoire national de ressortissants étrangers sans titre de séjour adéquat constituent un « angle mort » récurrent des politiques migratoires. Par son essence même, ce phénomène se soustrait aux régulations législatives et réglementaires comme aux recensements officiels.
En se fondant sur diverses sources (notamment administratives), l’ancien secrétaire général du Ministère de l’Immigration Patrick Stefanini estime néanmoins qu’environ 900 000 étrangers seraient présents illégalement sur le territoire national1.
Un récent rapport d’information parlementaire2 consacré à la Seine-Saint-Denis permet lui aussi d’appréhender l’ampleur massive du phénomène. Selon les estimations des interlocuteurs rencontrés par les rapporteurs, MM. François Cornut-Gentille et Rodrigue Kokouendo, le nombre de clandestins dans ce seul département serait compris entre 150 000 (l’équivalent de la population de la ville de Nîmes) et 400 000 (l’équivalent de la population des villes de Nice et Cergy réunies), en plus des centaines de milliers de personnes de nationalité étrangère qui y séjournent en situation régulière (423 879 en 2014)
Par ailleurs, un indicateur efficace permet de déterminer la dynamique nettement haussière dans laquelle ces chiffres s’inscrivent : le nombre des bénéficiaires de l’aide médicale d’État (AME), dispositif assurant aux étrangers en situation irrégulière un accès gratuit aux soins. Depuis la création de l’AME en 2001, le volume de ses bénéficiaires a augmenté à un rythme de 6% par an en moyenne : ils étaient 139 000 durant sa première année d’existence, contre 311 000 en 20183 – soit une hausse de 128%. Cet instrument de mesure tend néanmoins à sous-estimer fortement le nombre de clandestins présents sur le territoire, dans la mesure où tous n’utilisent pas ce droit qui leur est ouvert. Pour rappel, la loi de finances 2020 prévoit d’affecter 934,4 millions d’euros de crédits à l’AME4.
1.2 Ces clandestins pénètrent en France par différents canaux, qui résultent largement du détournement des procédures légales
Les arrivées illégales directes ont augmenté partout en Europe durant la dernière décennie, particulièrement avec la « crise des migrants » ouverte en 2015. Elles passent essentiellement par trois grandes zones aux frontières méridionales de l’UE : les côtes grecques de la Mer Egée ; les îles du sud de l’Italie ; le détroit de Gibraltar et les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Les immigrés ainsi entrés tendent ensuite à se disperser dans le continent.
Mais l’arrivée illégale « ferme » ne représente sans doute pas la majorité des situations de présence clandestine en France. Celles-ci résultent plus souvent du détournement de procédures légales d’immigration : à l’expiration de leur statut régulier provisoire, des individus se maintiennent indûment sur le territoire national.
C’est notamment le cas du droit de l’asile. Selon le préfet François Lucas, « le doublement des demandes ces cinq dernières années révèle un détournement de la procédure, pas seulement une faillite du système Dublin. Il s’agit en effet de migrations économiques5 ». Le nombre de demandes reste en forte progression : +7,3% entre 2018 et 2019. La France est devenu le pays d’Europe le plus « attractif » dans cette matière en 2019, avec 154 620 demandes enregistrées6 contre environ 120 000 en Allemagne.
38,2 % de ces procédures ont abouti à une décision positive (reconnaissance du statut de réfugié ou protection subsidiaire)7. Or nombreux sont les refusés à rester en France : seulement 15% des mesures d’éloignement prononcées étaient effectivement exécutées en 20188. En d’autres termes, il existe un « stock » de demandeurs d’asile déboutés, qui restent et ne sont pas reconduits.
Le même genre de constat peut être fait pour les titres d’immigration à court-terme, qui permettent de se rendre en France sans encombre puis d’y rester illégalement à expiration du séjour autorisé. C’est notamment le cas des visas de tourisme et des visas étudiants.
2- Les importants problèmes créés ou renforcés par l’immigration illégale appellent une réponse volontariste, inspirée par certaines réussites étrangères
2.1 La présence nombreuse d’étrangers clandestins sape la force des lois, renforce les déséquilibres territoriaux et sert de vecteur à d’autres formes d’illégalité
Le rapport parlementaire de MM. Cornut-Gentille et Kokouendo suggère que l’écart entre la population officielle de la Seine-Saint-Denis et sa population réelle pourrait être de l’ordre de 27%9. Cette incertitude nuit fortement à la conception et au déploiement de politiques publiques adaptées, dans des villes à la gouvernance complexifiée par de multiples facteurs.
Par ailleurs, les filières d‘immigration clandestine ont partie liée avec diverses entreprises criminelles. Elles sont structurées et gérées par des mafias internationales, qui organisent le passage d’étrangers non-enregistrés sur le territoire des Etats européens10 et les exploitent parfois dans le cadre de multiples trafics : stupéfiants, esclavage moderne, prostitution11…
Ces filières nourrissent aussi les intérêts de certains acteurs économiques en recherche constante d’une main d’oeuvre non-déclarée, pour laquelle les règles de protection sociale, de salaire minimum et de de sécurité au travail ne s’appliquent pas. La construction ou la restauration comptent historiquement parmi ces champs d’activité. Les nouveaux métiers de l’économie « ubérisée » sont désormais particulièrement concernés12.
Plus largement, l’ampleur de l’immigration clandestine et la relative tolérance qui l’entoure affaiblissent la force morale des lois en vigueur. Les multiples droits et facilités accordés aux étrangers présents illégalement sur le territoire national, depuis la prise en charge intégrale des frais médicaux et hospitaliers par l’AME13 jusqu’à la scolarisation inconditionnelle des mineurs14 (rendant toute expulsion dans la famille proche très difficile juridiquement), contribuent à relativiser beaucoup la portée des règles d’entrée et de séjour en France.
Il en va de même des procédures de régularisation, dont les critères de durée de présence sur le territoire national constituent une forme d’incitation pour les étrangers à se placer dans une situation d’illégalité volontaire et prolongée15. La circulaire Valls du 28 novembre 2012 – toujours applicable au 1er janvier 2020 – liste explicitement les différents cas concernés16 :
- La régularisation de l’étranger illégal parent d’enfant scolarisé ;
- La régularisation de l’étranger illégal dont le conjoint est en situation régulière ;
- La régularisation de l’étranger illégal entré mineur en France et devenu majeur ;
- Autres cas : « services rendus à la collectivité », « circonstances humanitaires particulières », « talents exceptionnels ».
2.2 Ces constats appellent une stratégie cohérente de lutte contre l’immigration illégale, alliant mesures désincitatives et facilitation des procédures d’éloignement
Le détournement du droit d’asile étant devenu un instrument fréquent du séjour clandestin, la France pourrait s’inspirer des réformes récemment mises en oeuvre en Allemagne afin de faciliter l’expulsion des déboutés. La loi sur le « retour ordonné » de 2019 permet au gouvernement d’avoir un recours facilité aux mesures de rétention administrative pour les déboutés du droit d’asile, d’emprisonner les demandeurs non coopératifs et de limiter les aides sociales des personnes qui bénéficient déjà de l’asile dans un autre pays européen. Au total, entre 2017 et 2019, le nombre de demandes d’asile enregistrées en Allemagne a baissé de 25% ; il est désormais inférieur à celui constaté en France.
Plus généralement, il s’agit de construire un « environnement hostile » à l’immigration illégale (hostile environment – expression officiellement employée par le Ministère britannique de l’Intérieur au cours des années 2010). Une telle démarche passe par la suppression ou la forte réduction des prestations accordées aux immigrés en situation irrégulière – telles que l’AME. Elle implique aussi de refuser par principe la régularisation de tout étranger ayant sciemment séjourné sans titre sur le territoire national, sauf circonstances très exceptionnelles et spécifiquement prévues par la loi. Une étape intermédiaire peut consister à revoir la circulaire ministérielle en vigueur sur ce sujet.
La dimension psychologique de cette stratégie ne doit pas être sous-estimée. Même sans changement juridique majeur, la proclamation d’un message politique de fermeté tend à faire diminuer les flux illégaux. Cette observation a pu être faite aux Etats-Unis dans les mois suivant l’élection présidentielle de 201617.
Notes
- Patrick STEFANINI, Immigration. Ces réalités qu’on nous cache, Robert Laffont, 2020, 330 p. ↩︎
- Rapport d’information sur l’évaluation de l’action de l’Etat dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mai 2018 (rapport CORNUT-GENTILLE-KOKOUENDO) ↩︎
- Inspection générale des finances (IGF), L’AME : diagnostic et propositions, octobre 2019 ↩︎
- Sénat, 2019 : https://www.senat.fr/rap/a19-143-6/a19-143-65.html ↩︎
- Fondation ResPublica, actes du colloque « Immigration et intégration : table-ronde autour de Pierre Brochand », 2019 : https://www.chevenement.fr/Actes-du-seminaire-de-la-Fondation-Res-Publica-Immigration-et-integration-Table-ronde-autour-de-Pierre-Brochand_a2062.html ↩︎
- Ministère de l’Intérieur, « L’essentiel de l’immigration », 21 janv. 2020 : https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Statistiques/Essentiel-de-l-immigration/Chiffres-cles ↩︎
- Idem ↩︎
- Cour des comptes, L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères, 2020, p.150 ↩︎
- 1 650 000 habitants selon le recensement de 2017, auxquels s’ajoute une population clandestine que les plus hautes estimations voient à 450 000 habitants – cf Rapport d’information sur l’évaluation de l’action de l’Etat dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mai 2018 ↩︎
- https://telquel.ma/2018/10/23/selon-les-renseignements-allemands-20-mafieux-controlent-les-reseaux-de-trafic-de-migrants-au-maroc_1615270 ↩︎
- https://www.lepoint.fr/monde/les-jeunes-nigerianes-courent-vers-les-trafiquants-pour-rejoindre-l-europe-13-06-2017-2134860_24.php ↩︎
- https://www.courrierinternational.com/article/vu-des-etats-unis-en-france-les-migrants-exploites-par-uber-eats-et-deliveroo ↩︎
- https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F3079 ↩︎
- https://www.gisti.org/doc/publications/2004/sans-papiers/scolarite.html ↩︎
- Exemple de la « régularisation par le travail » : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F16053 ↩︎
- https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Actualites/Focus/Circulaire-sur-l-admission-au-sejour-du-28-novembre-2012/Circulaire-INTK1229185C-du-28-novembre-2012 ↩︎
- https://www.lci.fr/international/etats-unis-l-immigration-clandestine-en-baisse-de-40-selon-l-administration-trump-2028539.html ↩︎