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La « transplantation culturelle » de l’immigration en France | Essai d’application des analyses de Garett Jones

La « transplantation culturelle » de l’immigration en France | Essai d’application des analyses de Garett Jones

Table des matières

L’essentiel

    

  • FONDEMENTS THÉORIQUES :
  • Les immigrés arrivent dans leur pays d’accueil avec une culture, des valeurs, une éducation et des préférences qui ne disparaissent pas avec leur installation. Non seulement elles ne disparaissent pas, mais les études convergentes d’économistes comme Garett Jones, Samuel Bazzi et Martin Fiszbein montrent qu’elles persistent sur plusieurs générations, dans des proportions plus ou moins importantes.
  • Les valeurs des nouveaux arrivants et de leurs descendants conservent près de la moitié de leur écart par rapport à la population d’accueil après quatre générations sur le territoire. La convergence s’opère particulièrement lentement pour des traits tels que les valeurs morales, religieuses et sociales (mœurs, sexualité…).
  • Les travaux de l’économiste Garett Jones démontrent que les préférences et les valeurs des immigrés peuvent se diffuser dans leur société d’accueil et engendrer ainsi une nouvelle norme, sous forme d’une « moyenne institutionnelle ».
  • La confiance interpersonnelle est un facteur d’innovation et de croissance, ainsi qu’un préalable à l’existence d’un système redistributif Or, l’immigration venant de pays à faible confiance sociale grève celle-ci au sein des sociétés d’accueil, d’autant que ce trait se transmet largement d’une génération à l’autre.
  • CARACTÉRISTIQUES DES IMMIGRATIONS REÇUES EN FRANCE :
  • L’immigration accueillie en France est majoritairement originaire de pays où les normes, valeurs et préférences anthropologiques diffèrent très sensiblement de celles en vigueur au sein de la société française.
  • Alors même que le niveau de confiance interpersonnelle mesuré en France est déjà l’un des plus faibles d’Occident, les pays d’origine de son immigration connaissent, pour les plus nombreux, des indices de confiance sociale nettement inférieurs.
  • Parmi ses flux migratoires, la France reçoit la plus large part d’immigrés issus de pays à faible développement humain (éducation, santé, niveau de vie) parmi l’ensemble des pays d’Europe. Cette part est trois fois supérieure à la moyenne de l’UE.
  • Les pays d’origine les plus fréquents sont en net retrait par rapport à la France sur l’ensemble des indices relatifs au respect des femmes et des personnes LGBT. Il en est de même quant aux indicateurs de corruption, reflet du rapport à la loi.
  • L’ensemble de ces caractéristiques, tant sociales qu’économiques, combinées aux conclusions scientifiques des recherches de Garett Jones, suggèrent le caractère inévitable d’un changement progressif des normes et valeurs en vigueur en France vers celles des pays d’origine. Cette transformation du cadre anthropologique doit être considérée dans l’élaboration des politiques migratoires.
  • Un arbitrage apparaît nécessaire entre la poursuite de l’immigration sous sa forme actuelle, d’une part ; et le maintien de l’Etat-Providence ainsi que des valeurs libérales avancées qui caractérisent la société française, d’autre part.

Les êtres humains se déplacent. Ce faisant, ils emportent avec eux leur culture, leur attitude envers l’épargne, leur conception du rôle des femmes dans la société, leur rapport à la confiance en autrui, et bien d’autres choses encore. 

Il est assez unanimement admis que les immigrés de première génération sont généralement très différents des citoyens natifs — parfois pour le mieux, parfois pour le pire — mais beaucoup espèrent que les enfants de ces immigrés se conformeront aux normes locales, s’assimileront. La plupart des gens espèrent que les immigrés, ou du moins les enfants d’immigrés, s’assimileront.

Je n’espère pas que les enfants d’immigrés s’assimilent complètement, en partie parce que je sais que ce n’est pas réaliste. Ce que j’espère plutôt, c’est que les enfants d’immigrés seront meilleurs que les autres citoyens du pays, qu’ils élèveront le niveau des compétences intellectuelles, de la bonté humaine, de la volonté de travailler ensemble pour construire une société meilleure. J’espère que les immigrés rendront la société meilleure, précisément parce que cette société a été assez intelligente pour inviter des personnes qui, en moyenne, étaient meilleurs que la plupart des citoyens natifs.

Quiconque dirige une entreprise sait que des décisions d’embauche intelligentes sont la cléf du succès. La politique d’immigration est l’occasion pour un pays d’embaucher les meilleurs, d’élever le niveau et d’importer une meilleure culture. 

Il est facile de voir la théorie de la transplantation culturelle comme un avertissement contre les risques d’une politique d’immigration mal choisie, et cela fait certainement partie de mon message. J’ai écrit mon ouvrage The Culture Transplant: How Migrants Make the Economies the Move to a Lot Like the Ones They Left (La transplantation culturelle : comment les immigrés transforment les économies en économies très similaires à celles qu’ils ont quittées) afin de faire savoir au monde ce que mes collègues économistes savaient depuis plus d’une décennie : que les enfants et petits-enfants d’immigrés ne finissent pas par devenir comme les natifs, du moins pas en moyenne. 

Si le public savait ce que les professeurs se disaient entre eux dans les séminaires et les revues scientifiques, j’espère que les pays riches pourraient passer de leurs politiques d’immigration utopiques à une politique d’immigration réaliste, fondée sur le fait que les immigrés apportent une transplantation culturelle qui dure pendant des générations, voire pour toujours.

C’est pourquoi je suis si heureux de voir cette nouvelle note de l’OID, qui applique la théorie de la transplantation culturelle à la France. La France a toujours été façonnée par les valeurs de ses ancêtres, et les immigrés français des dernières générations ont donné à la République de nouveaux ancêtres dont les valeurs façonneront l’avenir social et économique de la France.

J’ai toujours considéré et je continue de considérer mon livre comme un avertissement contre un optimisme excessif à l’égard de l’immigration. Mais il existe également une manière positive d’envisager le pouvoir de la transplantation culturelle liée à l’immigration : c’est un moyen pour une nation de choisir un excellent enrichissement des valeurs actuelles par des valeurs encore meilleures. Et la manière la plus réaliste d’améliorer les valeurs des citoyens d’une nation est d’inviter de nouveaux citoyens immigrés dont les enfants, et les enfants de leurs enfants, sont susceptibles d’apporter ces nouvelles valeurs, meilleures, de leur pays d’origine. 

Ces nouveaux citoyens peuvent améliorer la nation française ou n’importe quelle autre nation, non seulement en étant de meilleurs épargnants et de meilleurs voisins, mais aussi en devenant des exemples dont nous pouvons tous tirer des leçons.

Les êtres humains se déplacent et apprennent les uns des autres. Choisissons de bons voisins dont nous pouvons tous tirer des leçons.

Garett Jones

Professeur d’économie

Université George Mason

« It’s just obvious you can’t have free immigration and a welfare state. » Cette formule célèbre de Milton Friedman rappelle que la question migratoire ne peut être séparée du cadre institutionnel et social du pays d’accueil. En France, l’immigration est généralement discutée sous l’angle économique de court terme (emploi, prestations sociales, coûts fiscaux) ou sous l’angle humanitaire.

Le présent travail cherchera, à l’aune des travaux de l’économiste américain Garett Jones, à comprendre la manière dont les valeurs et attitudes sociales des populations immigrées peuvent perdurer, se transmettre et progressivement transformer la société d’accueil1. Ensuite, en comparant la société française avec les pays d’origine des populations qu’elle accueille, nous chercherons à identifier les changements susceptibles de s’opérer en France à l’avenir.

Le travail de Jones s’inscrit en cohérence avec les travaux économiques d’Alberto Alesina et Paola Giuliano, qui résument ainsi  leurs conclusions principales : « lorsque des immigrés s’installent dans des pays dotés d’institutions différentes, leurs valeurs culturelles évoluent peu — si tant est qu’elles évoluent — et rarement en l’espace de deux générations ».

Dans le sillage de cette théorie de la persistance des valeurs par-delà les générations, Jones théorise l’idée d’un rapprochement progressif et lent des valeurs des nouveaux arrivants vers celle de la population locale, mais aussi le constat parallèle – moins souvent évoqué – d’une hybridation des valeurs des autochtones avec celles des nouveaux arrivants.

Garett Jones est professeur d’économie à la George Mason University et Senior Research Fellow au Mercatus Center. Spécialiste de l’économie institutionnelle, de la macroéconomie politique et de l’économie de la culture, ses recherches portent sur le rôle du capital humain, des normes sociales et des institutions dans la prospérité à long terme des nations.
 
Il a contribué à renouveler l’analyse économique de l’immigration en insistant sur la persistance intergénérationnelle des préférences collectives et sur leur influence durable sur la gouvernance, la productivité et la confiance sociale. Enfin, son ouvrage The Culture Transplant: How Immigrants make the Economies They Move to a Lot Like the Ones They Left (2022) met en avant l’idée que les migrations transportent non seulement des personnes, mais aussi des préférences institutionnelles et culturelles persistantes. Ses travaux le placent à l’intersection de l’économie politique et des débats contemporains sur la mondialisation, la diversité culturelle et la qualité des institutions.

Ces préférences collectives influencent la vie institutionnelle et politique des pays d’accueil : aux États-Unis, par exemple, des travaux empiriques montrent que l’origine des immigrés explique une partie des différences régionales en matière de pratiques démocratiques, de productivité ou de fiscalité2. Toutefois, si ces approches comparatives existent à l’échelle mondiale, elles restent encore peu appliquées au cas français, où les effets institutionnels et culturels de l’immigration sont largement sous-étudiés.

Afin d’appliquer le modèle de Jones au contexte français la présente note s’appuiera sur les nationalités les plus représentatives de l’immigration reçue en France, via l’indicateur du nombre de titres de séjour valides au 31 décembre 20243, qui reflète la réalité des politiques migratoires sur lesquelles les responsables politiques peuvent avoir un degré de contrôle.

Afin d’évaluer dans quelle mesure et dans quelles directions les préférences culturelles et institutionnelles de ces groupes sont susceptibles d’influencer à long terme la trajectoire culturelle et institutionnelle française, chacun sera comparé à la France en fonction de divers indicateurs (développement humaine, confiance sociale, droits des femmes et des LGBT…).

Cette partie se propose de revenir sur les apports théoriques et empiriques qui expliquent pourquoi les normes migrent avec les individus, dans quelles conditions elles s’assimilent ou persistent, avant de comprendre ce qu’elles impliquent dans le cas français.

1.1 La persistance intergénérationnelle ou le mythe de l’assimilation

Dans The Culture Transplant (2022), Garett Jones développe une thèse centrale : les immigrés importent avec eux un capital culturel et institutionnel — attitudes vis-à-vis de l’État, normes de confiance, perception de la redistribution, rapport à l’autorité — qui persiste au-delà de la première génération4.

Jones cherche donc à trouver des indicateurs quantifiables de cette transmission intergénérationnelle. La littérature reprise montre que des attitudes clés – telles que la confiance envers autrui – se transmettent à hauteur d’environ 40–46 %, parfois jusqu’à la 4ᵉ génération5. Les données mobilisées se fondent sur  par Francesco Giavazzi6, de l’université Bocconi de Milan, sur la persistance des traits culturels des immigrés arrivés en Amérique, de leurs descendants à la deuxième et à la quatrième génération, issus de sept groupes différents7.

Au sein de chacun des groupes (nouveaux arrivants et leurs descendants), l’auteur a cherché à déceler la persistance de huit traits principaux que sont les attitudes relatives à :

  • La confiance interpersonnelle ;
  • Le rôle du gouvernement ;
  • La religiosité ;
  • La famille ;
  • L’égalité des genres et la répartition des rôles ;
  • L’avortement ;
  • La sexualité ;
  • Mobilité sociale.

Pour l’ensemble de ces sujets, l’étude montre qu’à la quatrième génération, « sur les huit attitudes, […] un peu moins de 60 % de l’écart d’attitude est comblé. L’assimilation complète, même une assimilation à 90 %, semble une fois de plus être un mythe. »8. Cela signifie qu’en moyenne, sur lesdits sujets, 40% de la différence entre société d’origine et société d’accueil persiste au bout de quatre générations sur le territoire.

Les travaux de Giavazzi soulignent par ailleurs que la convergence vers les valeurs du pays d’accueil s’opère particulièrement lentement pour des traits tels que les valeurs morales, religieuses et sociales (avortement, morale sexuelle…). En revanche, la perception de la place de la femme dans le marché du travail évolue rapidement – car elle répond à une nécessité et produit un gain – là où la perception de sa place en politique n’évolue que très lentement9.

De la même manière, l’économiste Yann Algan évoque le fort effet prédictif du niveau de confiance sociale dans un pays d’origine sur celui constaté chez les descendants d’immigrés issus de ce pays plusieurs générations après la migration. Chacun conserve – en moyenne – des résultats largement liés à ceux constatés dans le pays d’origine de ses ancêtres. Preuve que la confiance sociale est un trait transmis au sein des familles par-delà les générations et partiellement en dépit de la culture d’accueil.

Les éléments déclaratifs issus des immigrés eux-mêmes confortent cette idée d’une transmission à dimension partiellement volontaire – qui se double d’une large part involontaire. À ce titre, une récente enquête Ipsos/RMDA10 sur la diaspora africaine en France (juil. 2020) indique que 88 % des parents déclarent transmettre activement la culture du pays d’origine à leurs enfants. Le détail par génération montre que la propension à transmettre la culture d’origine reste très élevée ,même longtemps après la migration (93 % des répondants pour la 1ère génération, 86 % pour la 2ᵉ et 87 % à la 3ᵉ).

Même après deux générations dans le pays d’accueil, la volonté de transmission de la culture d’origine demeure présente et volontaire. Cela ne quantifie par ailleurs pas l’ensemble de la transmission de préférences et de normes qui peuvent, en partie, être involontaires ou inconscientes. La transmission a lieu principalement au cours de vacances dans le pays, d’évènements familiaux ou de moments plus formels tels que des cours de langue ou un enseignement culturel spécifique11.

1.2 La Spaghetti Theory : comment les immigrés changent les natifs

Samuel Bazzi (professeur d’économie politique de l’université de Californie San Diego) et Martin Fiszbein (professeur associé de l’université de Boston) écrivent que, si l’assimilation peut exister, « les immigrés peuvent également conserver des traditions culturelles de leurs lieux d’origine, parfois en les préservant à travers les générations. Dans certains cas, les immigrés redéfinissent même la culture de leurs communautés d’accueil »12.

À cette aune, Garett Jones insiste sur l’impact à long terme de la « transplantation culturelle » générée par l’immigration. Non seulement les préférences et les normes perdurent largement dans le temps et sont transmises dans les familles mais encore, elles façonnent la culture et les normes du pays d’accueil autant que les immigrés sont façonnés par celui-ci.  Il en tire cette formule : « les immigrés changent les natifs, parfois en bien, parfois en mal »13.

Cette « transplantation culturelle » peut, avec le temps, modifier la trajectoire des sociétés d’accueil14 et créer une forme d’hybridation culturelle entre les personnes nouvellement arrivées et la culture préexistante. Jones l’explique en dressant un constat sous forme de question : « Mais le changement culturel n’est-il pas une rue à double sens ? Les immigrés ne changent-ils pas souvent les résidents de longue date, et les résidents de longue date ne changent-ils pas les immigrés, les deux parties se rencontrant quelque part au milieu ? »15. Jones souligne que ce changement se produit dans les deux sens16 ; l’assimilation est partielle et, pendant que les immigrés se rapprochent des normes locales, ils transforment en retour la culture d’accueil.

C’est la Spaghetti theory – nom issu de l’intégration des spaghettis à la cuisine américaine suite à l’arrivée d’immigrés italiens : les valeurs des immigrés et celles des autochtones finissent par s’hybrider pour que celles du pays se retrouvent quelque part entre les deux.

Cette idée va à rebours de celle d’une assimilation systématique. L’auteur constate empiriquement que dans la longue histoire des mouvements de population, dans les cinq derniers siècles, les personnes qui se sont déplacées « ne se sont presque jamais pleinement assimilées »17. L’universitaire explique ainsi sa théorie :

« On ne peut pas dire si les migrants s’assimilent à la culture préexistante simplement en regardant la culture post-migration. Pourquoi ? […] car si les immigrés changent la culture préexistante, alors ce que vous pourriez considérer comme « assimilation des immigrés » une assimilation de chacun des groupes à l’autre. […][Sa théorie apporte] cet élément concernant la rencontre [des deux cultures] dans un entre-deux qui est majeur pour expliquer l’assimilation partielle et incomplète que nous avons vu et continuerons de voir dans les données. […] En fin de compte, la Spaghetti Theory est simplement une nouvelle façon de penser les effets des pairs – à la manière dont ceux qui nous entourent nous façonnent au moins légèrement, que ce soit consciemment ou inconsciemment. ».

Si son livre se concentre sur les préférences économiques (confiance, frugalité, rapport à la régulation), il évoque également la question du rapport aux minorités, à la religion ou à la famille, citant les travaux de Giavazzi à ce propos.  Le mécanisme de transmission par la famille et les pairs éclaire ainsi l’ensemble des inclinations sociales — rapport à la loi, aux femmes, aux minorités sexuelles — que nous documenterons et mettrons en regard d’études de cas.

Garett Jones retrace, dans son chapitre « South Asia’s Glorious Chinese Diaspora » et « Chinese Immigrants: Building the Capitalist Road », les raisons pour lesquelles la diaspora chinoise est associée à des trajectoires de croissance dans des territoires qui l’ont massivement reçue : (Taïwan, Singapour, Macao, Hong Kong…).

Il cite notamment I. Priebe et R. Rudolf, World Development, 2015 : « The Chinese diaspora has certain unique cultural characteristics that potentially could be conducive to economic growth » (trad. : « La diaspora chinoise présente certaines caractéristiques culturelles spécifiques susceptibles de favoriser la croissance économique »).

Cet exemple concret de la mise en application des thèses de Jones – ici dans un sens positif – illustre ce en quoi les immigrés changent leurs pays d’arrivée et ses habitants.

1.3 Confiance sociale et redistribution

Dans le même esprit, Yann Algan et Pierre Cahuc18 mettent en évidence un « capital de confiance hérité » chez les descendants d’immigrés, et montrent que cette confiance — ressource sociale centrale — a des effets économiques tangibles. La confiance au sein des sociétés, écrit Yann Algan « est l’un des principaux déterminants du développement économique actuel ». Ces idées, cumulées, cadrent avec l’intuition de Jones : non seulement une part des préférences collectives migre avec les individus et s’inscrit dans la durée mais, plus encore, elle a des impacts concrets sur les pays d’arrivée.

Sur le plan des politiques publiques, Alesina, Glaeser et Sacerdote19 soulignent qu’un État-providence étendu requiert un haut niveau de confiance sociale. Lorsque l’hétérogénéité ethno-culturelle s’accroît, la confiance moyenne et l’acceptabilité de la redistribution tendent à diminuer, ce qui pèse indirectement sur la soutenabilité de l’État-providence. Ce dernier nécessitant un haut niveau de confiance et de cohésion sociale est rendu plus difficile dans le cadre d’une société multiculturelle.

Le sociologue Ruud Koopmans20 apporte un complément d’analyse empirique dans le contexte européen : en Allemagne, une plus grande diversité résidentielle est associée à une baisse de la confiance envers les voisins, avec des indices de causalité passant par la qualité des contacts interethniques. En cela, il explique que le modèle proposé par les précédents concernant les Etats-Unis peut s’appliquer à l’Europe et probablement être généralisé.

Le poids croissant des populations issues de l’immigration extra-européenne renforce la pertinence du prisme de Jones : si les préférences liées à la confiance, au rôle de l’État ou aux normes civiques se transmettent partiellement et si la distance culturelle freine leur convergence, alors la « moyenne institutionnelle » du pays d’accueil peut, à long terme, se déplacer.

Le défi français n’est donc pas seulement l’intégration économique immédiate, mais aussi l’articulation, dans le temps, entre politiques d’assimilation et dynamique de transmission intergénérationnelle des normes.

L’analyse ici présenté des effets institutionnels de l’immigration repose sur un cadre théorique inspiré des travaux de Garett Jones (The Culture Transplant, 2022) et complété par des indicateurs internationaux permettant de comparer les environnements culturels et économiques des principaux pays d’origine des immigrés en France avec leur pays d’accueil.

L’idée centrale est que les immigrés ne transportent pas seulement une force de travail, mais aussi des préférences collectives relatives au rôle de l’État, à la corruption, aux droits fondamentaux ou encore à la confiance interpersonnelle. Ces préférences peuvent influencer à long terme la culture sociale, politique et économique du pays d’accueil.

2.1 Sources et indicateurs retenus

Pour opérationnaliser ce cadre théorique, plusieurs indices internationaux ont été mobilisés :

  1. Les données officielles relatives aux flux et stocks migratoires en France, notamment celles du ministère de l’Intérieur21.
  2. Le Corruption Perception Index (Transparency International, 2024), qui mesure la perception de la corruption dans le secteur public sur une échelle de 0 (forte corruption) à 100 (très faible corruption)22.
  3. L’Index Women, Peace and Security (Georgetown Institute for Women, Peace and Security, 2023), qui évalue l’autonomie, la sécurité et l’inclusion des femmes dans divers pays23.
  4. L’Equality Index (Equaldex, 2025), qui mesure le degré de reconnaissance légale et sociale des droits LGBT+ à travers différents pays24.
  5. Les données issues de l’indicateur “Share of people agreeing with the statement: Most people can be trusted” (Our World in Data), permettant d’évaluer le niveau de confiance interpersonnelle dans les sociétés d’origine25.
  6. L’Indice de Développement Humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), valeurs 2023 publiées dans le Rapport sur le développement humain 202526.  Quantifié sur une échelle allant de 0 à 1(très élevé ≥ 0,800 ; élevé 0,700–0,799 ; moyen 0,550–0,699 ; faible < 0,550), il agrège santé (espérance de vie), éducation (années de scolarisation) et niveau de vie (RNB/hab.). Nous retenons la dernière année disponible et harmonisons les comparaisons sur cette base.

Afin d’harmoniser les résultats, toutes les valeurs numériques ont été arrondies à l’unité. L’objectif n’est pas de fournir un classement précis des États, mais de comparer la France avec ses principaux pays d’immigration selon des indicateurs institutionnels et culturels robustes.

2.2 Vers un changement des normes de la société française ?

À partir de ces indicateurs, notre hypothèse est la suivante : si les immigrés conservent une partie de leurs préférences institutionnelles et culturelles, alors les préférences, la culture et les institutions du pays d’accueil peuvent être modifiés par la provenance des flux migratoires.

Avant d’engager une comparaison avec la France, nous présenterons, pays par pays, le profil institutionnel et social des pourvoyeurs d’immigration à destination de la France. Ce n’est qu’ensuite que nous discuterons des effets possibles en France (assimilation, transformation de la culture et des normes…). Ce cadre théorique conduit à considérer que l’immigration peut modifier à long terme la « moyenne institutionnelle » d’un pays :

  1. Si la majorité des flux provient de pays où la confiance interpersonnelle est faible, la gouvernance plus fragile et les normes moins protectrices des droits des femmes et des minorités sexuelles, l’effet attendu est un affaiblissement de la confiance sociale et du respect des règles communes. À terme, cela peut peser sur la coopération civique, la sécurité juridique et la croissance, et donc sur la soutenabilité de l’État-providence, qui repose précisément sur un haut niveau de cohésion et de confiance généralisée.
  2. À l’inverse, si l’immigration est issue de pays institutionnellement proches, l’effet sur les préférences collectives demeure limité.
  3. Dans le cas où l’immigration provient de pays où les niveaux de formation, les normes et les valeurs collectives seraient plus favorables que celles présentes en France, leur présence pourrait, à terme, faire pression à la hausse sur les niveaux de même nature constatés dans le pays d’accueil.

3.1 Quantifier les différences et les similitudes

Tableau 1 : nombre de titres et documents de séjour valides au 31/12/2024, par nationalité

Pays2024
Algérie649 991
Maroc617 053
Tunisie304 287
Turquie232 421
Chine130 786
Côte d’Ivoire119 079
Sénégal114 956
Mali108 042
RDC94 059
Afghanistan88 816

Source : Direction générale des étrangers en France (ministère de l’Intérieur)

Pour évaluer le possible impact des politiques d’immigration sur les normes socio-culturelles, nous avons choisi de croiser les titres de séjour en cours de validité en France avec les divers indicateurs précédemment énoncés. Le « stock » des titres de séjour reflète la réalité des politiques migratoires sur lesquelles les responsables politiques peuvent avoir un degré de contrôle, à la différence des migrations intérieures à l’Union européenne (dont le paysage des normes et des valeurs d’origine apparaît très proche de celui de la France, par ailleurs).

Le nombre des titres de séjour valides en France a atteint 4,16 millions en 2024 – soit une hausse de 35% par rapport à 2017, 60% par rapport à 2012 et 77% par rapport à 2007 ; Parmi les étrangers accueillis, dix nationalités dominent (voir tableau 1) : Algérie, Maroc, Tunisie, Turquie, Chine, Côte d’Ivoire, Sénégal, Mali, République démocratique du Congo (RDC) et Afghanistan. Ensemble, elles représentent plus de la moitié du total des titres, traduisant une forte concentration des origines.

À travers l’étude du niveau de vie, de la corruption, des droits fondamentaux, de l’égalité LGBT et de la confiance interpersonnelle, il est possible de mesurer l’ampleur des écarts institutionnels et d’en déduire leurs conséquences potentielles sur la trajectoire française. Par l’ampleur de l’immigration reçue et par les différences culturelles et institutionnelles constatées entre les principaux pays de départ et celui d’arrivée, la France constitue un terrain d’application particulièrement pertinent de la thèse de Jones.

3.2 Développement économique et niveau de vie

Tableau 2 : PIB par habitant (2023) en dollars courants

PaysPIB/habitantEcart relatif à la France (%)
Base (France)44 691      =
Algérie536488%
Maroc377191,56%
Tunisie395091,16%
Turquie13 10670,67%
Chine12 95171,02%
Côte d’Ivoire255594,28%
Sénégal169896,20%
Mali103687,68%
RDC63398,58%
Afghanistan35799,2%

Ecart relatif à la France calculé en %.

Données Banque mondiale (PIB par habitant ($ US courants) | Data)

Le premier constat repose sur le niveau de vie (voir tableau 2). En 2023, le produit intérieur brut par habitant s’élevait en France à 44 691 dollars. Aucun des principaux pays d’origine ne s’en approche. L’Algérie atteint 5 364 dollars, soit un écart négatif de 88 %, le Maroc se situe à 3 771 dollars (-91,5%) et l’Afghanistan ferme la marche avec 357 dollars (-99,2%).

Même la Turquie et la Chine, pourtant engagées dans une forte dynamique de développement, affichent respectivement 13 106 dollars et 12 951 dollars, soit encore 70 % en dessous du niveau français. Cette comparaison souligne une fracture structurelle : la majorité des immigrés présents en France proviennent de contextes économiques caractérisés par un faible revenu moyen et des institutions de marché moins solides.

Des écarts aussi marqués de PIB par habitant signalent, en moyenne, des différences de capital humain (éducation, santé) et de productivité. À l’arrivée, ces derniers peuvent se traduire par une insertion initiale difficile ou cantonnée à des emplois peu qualifiés, un rattrapage lent des revenus et un recours plus fréquent aux dispositifs d’accompagnement – langue, formation, logement…

Ces pays à bas PIB par habitant, moins créateurs de valeur, sont aussi moins propices au développement de compétences transférables et porteuses de croissance dans une économie moderne telle que celle de la France. Ces différences de niveau de vie s’articulent avec des écarts institutionnels et sociaux (corruption perçue, droits, confiance interpersonnelle) qui peuvent influer sur les normes de comportement au travail et vis-à-vis de la loi.

3.3 Qualité et transparence de la gouvernance

Tableau 3 : Indice de corruption perçue (2023)

PaysIndice de corruption perçueEcart relatif à la France (%)
Base (France)71=
Algérie3649%
Maroc3846,5%
Tunisie4044%
Turquie3452%
Chine4241%
Côte d’Ivoire4043,5%
Sénégal4339,5%
Mali2860,5%
RDC2072%
Afghanistan2072%

Ecart relatif à la France calculé en %. Données Transparency international (Indice de Perception de la Corruption 2023 de Transparency International : la France stagne encore, la faute au manque d’exemplarité du pouvoir exécutif et au manque d’indépendance de l’autorité judiciaire – Transparency France International)

Les écarts apparaissent tout aussi importants lorsqu’on s’intéresse à la perception de la corruption, mesurée par l’indice de Transparency International (voir tableau 3).

La France obtient un score de 71 points, indiquant un niveau modéré de corruption perçue. En comparaison, la RDC est à 20 points, soit 72 % de moins, ce qui traduit une défiance institutionnelle très forte27.

Les résultats résumés dans ce tableau confirment que les principaux pays d’origine de l’immigration en France sont marqués par une gouvernance moins transparente et un rapport différent à la légalité institutionnelle. Des scores nettement plus faibles que celui de la France indiquent des contextes d’origine où la corruption perçue et le clientélisme sont plus présents dans la vie publique. Les individus y développent souvent des stratégies détournées d’accès aux services publics (intermédiaires, “arrangements”, contournement des règles…) et une tolérance plus élevée aux pratiques informelles.

Transposé dans la société d’accueil, cela peut se traduire par une moindre confiance dans les institutions, une « morale fiscale »plus faible (plus grande propension à frauder), des coûts de conformité perçus comme inutiles et, plus largement, un rapport aux règles moins intériorisé. De là, découle un risque accru d’informalité (travail non déclaré, fraudes mineures).

L’étude A Crook Is a Crook… But Is He Still a Crook Abroad ? des économistes Eugen Dimant, Tim Krieger et Margarete Redlinprécise à ce sujet que « l’immigration en provenance de pays d’origine touchés par la corruption favorise la corruption dans le pays de destination »28 et prouve que, dans le cas de migrations issues de pays où la corruption est présente, elle sera probablement « transmise » au pays d’accueil.

3.4 Droits des femmes et des minorités sexuelles

Tableau 4 : tranquillité et sécurité des femmes

PaysIndice WPSEcart relatif à la France (%)
Base (France)0,864=
Algérie0,622 28%
Maroc0,63726%
Tunisie0,669 22%
Turquie0,665 23%
Chine0,700 19%
Côte d’Ivoire0,573 33,5%
Sénégal0,619 28,5%
Mali0,481 44%
RDC0,384 55,5%
Afghanistan0,286 67%

Indice Women peace and security (du plus faible au plus fort taux de respect des femmes, 0 à 100). Source : 2023 Women, Peace & Security Index Georgetown Institut for Women, Peace and Security

La question du respect des droits des femmes dans les divers pays de provenance de l’immigration reçue en France est centrale. Là où la France présente un score de 0,864 (1 étant la valeur maximale), les pays extra-européens pourvoyeurs d’immigrés se situent à 0,637 (Maroc), 0,622 (Algérie) ou encore 0,286 pour l’Afghanistan. Seuls la Chine (0,7) présente un score relativement peu éloigné de la France.

Comme cela a déjà été démontré, la transmission intergénérationnelle des valeurs liées à la famille et au rôle des sexes demeure généralement forte. Ici, elle se traduit par une corrélation potentielle avec le taux d’infractions sexuelles commises envers les femmes. Le niveau de respect des droits des femmes dans les pays d’origine, importé – au moins partiellement – par les immigrés arrivant en France engendrerait donc des frictions avec la norme locale qui pourraient expliquer une part cette surreprésentation constatée.

Alors que les étrangers ne représentent que 8% de la population, ils représentent 13%29 des mis en cause pour infractions sexuelles en France. La granularité faisant défaut, il n’est pas possible de connaître les parts de chaque nationalité d’origine parmi l’ensemble des infractions pour établir des comparaisons plus fines. Aussi pouvons-nous chercher parmi les chiffres mieux disponibles dans le cadre des transports en commun, lesquels indiquent une très large surreprésentation des étrangers originaires d’Afrique hors-Maghreb par exemple.

En 2024, 11% des mis en cause pour des violences sexuelles perpétrées dans les transports en commun étaient des étrangers ressortissants de pays d’Afrique hors-Maghreb alors qu’ils ne représentaient que 1,37% de la population30 soit une surreprésentation d’un facteur 8. Or, les principales nationalités des immigrés d’Afrique hors Maghreb en France présentent des scores particulièrement bas en ce qui concerne l’indice de paix et de sécurité des femmes (Côte d’Ivoire, 0,573, Sénégal 0,619 et Cameroun, 0,466).

Evidemment, la composition socio-culturelle (niveau de vie, chômage, niveau académique etc…) explique une part de cette surreprésentation. Cependant, comme l’explique le sociologue Hugues Lagrange, une part de la surreprésentation de certains groupes immigrés dans la criminalité peut être due à des structures familiales persistantes31 (l’idée de persistance des normes étant centrale chez Jones).

Tableau 5 : droits LGBT

PaysIndice d’égalité LGBTEcart relatif à la France (%)
Base (France)74=
Algérie1382%
Maroc1382%
Tunisie1481%
Turquie3257%
Chine5427%
Côte d’Ivoire2566%
Sénégal495%
Mali889%
RDC3059%
Afghanistan199%

Indice d’égalité LGBT (2023) par ILGA World (de 0, absence totale de tolérance à 100, pleine égalité). Source : LGBT Rights by Country & Travel Guide | Equaldex

Les disparités se font plus importantes encore concernant l’indice lié au respect des personnes LGBT (voir tableau 6). La France atteint un score de 74 sur 100. En comparaison, l’Algérie et le Maroc obtiennent la note de 13, soit un écart de 82 % et l’Afghanistan obtient un score 67% inférieur. Même la Turquie (32) et la Chine (54) accusent un retard important, avec des écarts de 57 % et 27 %.

L’Afghanistan, avec le score de 1 point, est à ce titre le pays le moins favorable aux droits des personnes LGBT dans le monde (à égalité avec la Somalie).

Ces données mettent en lumière un fossé considérable, particulièrement entre la France et ses principaux pays d’immigration extra-européens, concernant la reconnaissance et la protection des minorités sexuelles. Par ailleurs, les statistiques SSMSI indiquent que les étrangers représentent 17 % des auteurs d’infractions anti-LGBT+ (Info rapide n° 53), alors que leur part dans la population est bien plus faible (8 % : ordre de grandeur déjà cité) — soit une surreprésentation d’environ 2 fois.

De fait, l’arrivée de populations issues de pays légalement et socialement extrêmement opposés aux droits des personnes LGBT implique une hausse de ce trait au sein de la population, et ce sur plusieurs générations – car, ainsi que l’ont démontré Francesco Giavazzi, Ivan Petkov et Fabio Schiantarelli, les traits liés à la morale sexuelle font partie de ceux dont la persistance est la plus longue32.

3.5 La confiance sociale, une ressource économique majeure

Tableau 6 : niveau de confiance sociale

PaysIndice de confiance interpersonnelleEcart relatif à la France (%)
Base (France)26=
Algérie1735%
Maroc1735%
Tunisie14 46%
Turquie14 46%
Chine63      +      142%
Côte d’IvoireNc.Nc.
SénégalNc.Nc.
MaliNc.Nc.
RDCNc.Nc.
AfghanistanNc.Nc.

Enquête sur les valeurs, nombre de personnes répondant positivement à la question « On peut faire confiance à la plupart des gens ». Source : Share of people agreeing with the statement « most people can be trusted », 2022

Des niveaux de confiance interpersonnelle plus faibles dans plusieurs pays d’origine (≈ 14–17 % au Maghreb/Turquie, vs 26 % en France) (voir tableau 7) renvoient à des environnements où la coopération interpersonnelle se fait plus rare et moins sereine. In fine, cela peut se traduire par une moindre capacité à établir les conditions nécessaires à la croissance du pays, sur les plans économiques et humains.  En effet, il est admis, ainsi que l’écrit Felix Roth33, professeur à l’université de Hambourg, que :

« La confiance est un facteur essentiel de la performance économique. Le bien-être d’une nation et sa capacité à concurrencer dépendent du niveau de confiance au sein de la société [car] l’activité économique fait partie de la vie sociale et se constitue conformément aux normes, règles et obligations morales d’une société. ».

De fait, une forte confiance sociale (Chine = 63 %) pose les prémices d’une possible croissance économique.

Ces chiffres illustrent clairement la fracture entre la France et plusieurs de ses principaux pays d’immigration en matière de confiance interpersonnelle, alors même celle-ci est déjà l’une des plus faibles en France par rapport au reste de l’UE. Alors que 26 % des Français déclarent que « la plupart des gens peuvent être dignes de confiance », les niveaux relevés en Algérie (environ 17 %), au Maroc (17 %), en Tunisie (14 %) ou encore en Turquie (14 %) se situent très en dessous, traduisant une confiance sociale beaucoup plus faible.

Ces écarts révèlent que l’immigration en provenance de ces pays tend à importer des normes de défiance interpersonnelle qui contrastent fortement avec les standards européens.

Cette faible confiance, introduite et perpétuée par des personnes issues de cultures différentes risque de grever le lien social et par là même, d’amenuiser les possibilités de croissance économique et de consentement à la redistribution fiscale.

3.6 L’indice de développement humain : éducation, santé, revenus

Tableau 7 : IDH

PaysIndice de développement humainEcart relatif à la France (%)
Base (France)0,92=
Algérie0,7617%
Maroc0,7123%
Tunisie0,7518%
Turquie0,858%
Chine0,80      –      13%
Côte d’Ivoire0,58      –      37%
Sénégal0,53      –      42%
Mali0,42      –      54%
RDC0,52      –      43%
Afghanistan0,50      –      46%

Indice de développement humain (IDH).

Source : ONU, PNUD, Rapport sur le développement humain 2025, hdr2025reporten.pdf

La France présente un score de 0,92 (référence) (voir tableau 8). Parmi les principales origines accueillies, seule la Chine est relativement proche (0,80 ; –13%), tandis que le Maghreb et l’Inde se situent dans une zone intermédiaire. Quatre pays présentent des écarts forts (–0,30 point) : Afghanistan 0,50, Sénégal 0,53, Mali 0,42, Côte d’Ivoire 0,58.

En moyenne, l’écart des pays d’origines avec la France est de près de 30%, ce qui traduit un différentiel structurel de développement humain pour une majorité des groupes considérés.

En ce qu’il agrège santé, éducation et niveau de vie, l’IDH éclaire la nature des besoins d’intégration : des écarts de –0,17 à –0,46 point suggèrent, à l’arrivée, une nécessité de rattrapage éducatif/linguistique, de soins et d’accompagnement vers l’emploi — surtout pour les origines très éloignées (Afghanistan, Afrique subsaharienne). Une large part des caractères perdurant à travers les générations et le risque d’hybridation de la société d’accueil avec les immigrés qu’elle reçoit est susceptible d’en faire, à terme, baisser l’IDH global.

Sur le plan scolaire34, les écarts d’IDH que nous documentons se reflètent dans PISA 2022 : en France, les élèves issus de l’immigration obtiennent en moyenne de 51 points inférieur en mathématiques et –52 points en lecture par rapport aux non-immigrés ; après prise en compte du profil socio-économique, un écart significatif subsiste (–17 et –16 points). Les élèves d’origine immigrée sont aussi deux fois plus souvent en situation défavorisée (48 % contre 25 %). Ces résultats indiquent que la langue, le niveau socio-économique et le parcours migratoire expliquent une part des écarts, mais pas la totalité ; le reste étant probablement au moins en partie lié à une persistance de traits issus de leur culture d’origine.

De plus, d’après les données Eurostat35, la France se singularise par une part d’immigrés originaires de pays à faible IDH (éducation, santé, revenus) environ trois fois supérieure à la moyenne de l’Union européenne, et parmi les plus élevées d’Europe. Ce constat éclaire la composition qualitative des flux et des stocks et le risque de déclassement qu’ils font peser sur le pays, son économie et sa culture.

3.7 Comparaison globale des sociétés et institutions des divers pays

Tableau 8 : récapitulatif

PaysImmigrés en 2024IDHIndice de confiance interpersonnelleIndice WPSIndice d’égalité LGBTIndice de corruption perçuePIB/habitant
Base (France) 0,92260,864747144 691
Algérie649 9910,76170,62213365364
Maroc617 0530,71170,63713383771
Tunisie304 2870,75140,66914403950
Turquie232 4210,85140,665323413 106
Chine130 7860,80630,700544212 951
Côte d’Ivoire119 0790,58Nc.0,57325402555
Sénégal114 9560,53Nc.0,6194431698
Mali108 0420,42Nc.0,4818281036
RDC94 0590,52Nc.0,3843020633
Afghanistan89 0000,50Nc.0,286120357

Reprise de chaque indice déjà évoqué.

En rouge : résultat inférieur à la norme française. En vert : résultats supérieurs.

La mise en parallèle de ces indicateurs révèle une tendance générale : la majorité des flux migratoires vers la France proviennent de pays au sein desquels les indicateurs économiques, de confiance et de respect des droits sont très défavorables par rapport aux standards français et européens.

L’idée de « moyenne institutionnelle » proposée par Garett Jones trouve ici une application concrète : si une part importante de la population de la France est constituée de groupes issus de contextes culturels et institutionnels plus fragiles en tout point (comme le prouvent les données présentées précédemment), il est probable que cela exerce une influence à long terme sur les préférences collectives du pays d’accueil, et influe même sur les préférences constatées au sein de la population sans ascendance migratoire.

Ainsi sont soulevées les possibilités d’une fragmentation culturelle ou d’une infusion des normes importées au sein de la société française, qui s’établirait dans une moyenne entre les valeurs des arrivants et celles aujourd’hui majoritaires.

Les écarts relatifs au respect des droits des femmes et de l’égalité LGBT révèlent des positions difficilement conciliables entre arrivants et groupe majoritaire. Si, comme le suggèrent les études, les préférences et normes concernant la morale sexuelle et l’égalité des genres figurent parmi les plus persistantes entre les générations : les valeurs libérales avancées de la société française se trouveront mécaniquement fragilisées.

Autrement dit, la dynamique actuelle ne correspond pas à une immigration porteuse de plus de richesses institutionnelles, mais à des flux qui, bien souvent, importent des préférences collectives éloignées de celles qui structurent l’ordre social français.

Ces dynamiques culturelles et sociales sont amplifiées par la fécondité différenciée entre populations. Les données démographiques de l’INSEE36 indiquent que les femmes immigrées, notamment originaires d’Afrique subsaharienne (3,3 enfants par femme) et du Maghreb (2,5 enfants par femme), présentent en moyenne un indice de fécondité supérieur à celui des femmes natives (1,7 enfant par femme).

Or, dans la perspective de Garett Jones, chaque génération supplémentaire constitue un vecteur de transmission partielle mais persistante des normes d’origine. L’effet de nombre accroît ainsi mécaniquement le poids relatif de ces préférences collectives dans la « moyenne institutionnelle » française, renforçant le caractère structurel des transformations évoquées. De ce renforcement découle une forte probabilité que, tant par effet de nombre et de conservation des valeurs que par l’effet de la Spaghetti theory, le socle de valeurs communes aujourd’hui admises en France se trouve bouleversé.

De la même manière, la baisse de la confiance sociale induite par le phénomène migratoire en tant que tel37, et d’autant plus par l’arrivée de personnes issues de pays à faible confiance interpersonnelle, risque de peser tant sur la cohésion sociale que sur les prérequis à l’existence même de l’Etat-providence « à la française ». En effet, il est attesté que la confiance sociale est un préalable au fonctionnement des systèmes redistributifs38. Ainsi, il paraît très difficile de concilier l’Etat-providence et les types d’immigration reçus sur le long terme..

Cette baisse de la confiance sociale est également – comme déjà évoqué – un puissant facteur bloquant de la prospérité économique, laquelle est étroitement corrélée à la confiance. Combiné à l’arrivée de personnes moins qualifiées, il va sans dire que la structure de l’immigration reçue ne prédispose pas à une croissance économique structurelle.

À travers l’ensemble de ces éléments, il est possible de deviner certains des changements voués à affecter le cadre anthropologique de la société française à moyen et long terme. L’usage d’une telle approche dans l’élaboration des politiques migratoires apparaitrait pleinement pertinent, afin de sortir d’un court-termisme parfois aveuglant.

  1. Sur la persistance des préférences (confiance interpersonnelle, rôle de l’État, respect des règles, épargne, redistribution), Garett Jones, The Culture Transplant: How Immigrés Make the Economies They Move to a Lot Like the Ones They Left, Stanford, Stanford University Press, 2022, chap. 1 « The Assimilation Myth », pp. 6–25. Jones ouvre ce chapitre par une citation d’Alberto Alesina et Paola Giuliano : « Lorsque des immigrés s’installent dans des pays dotés d’institutions différentes, leurs valeurs culturelles évoluent peu — si tant est qu’elles évoluent — et rarement en l’espace de deux générations » (traduction française libre), tirée de « Culture and Institutions », Journal of Economic Literature, 2015, p.904 (Lien) ↩︎
  2. Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move to a Lot Like the Ones They Left, Stanford, Stanford University Press, 2022, chap. « Migration of Good Government », pp. 67–77. Ce chapitre montre que l’origine des immigrés contribue à expliquer, partiellement, des différences régionales en pratiques démocratiques, productivité et fiscalité dans les sociétés d’accueil. ↩︎
  3. Les dix premiers pays en nombre de titres de séjour. Soit : l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Turquie, la Chine, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Mali, la République démocratique du Congo et l’Afghanistan. Le Royaume-Uni, intégré pour la première fois au classement de la DGEF publié en juin 2024, représente un cas particulier lié à son statut d’ancien Etat membre de l’UE – qui a longtemps dispensé ses citoyens de posséder un titre de séjour. Il n’est donc pas intégré dans la présente étude. ↩︎
  4. Voir aussi : Bazzi, S., & Fiszbein, M. (2025). « When do immigrants shape culture? National Bureau of Economic Research”, Working Paper, p.1. Cette étude prolonge directement les travaux de Garett Jones en montrant que l’impact des immigrés sur la culture de la société d’accueil dépend de dynamiques spécifiques de sélection, de transplantation et d’interaction institutionnelle. (Lien) ↩︎
  5. Voir Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move To a Lot Like the Ones They Left, p. 145 ↩︎
  6. Francesco Giavazzi, Ivan Petkov, Fabio Schiantarelli, “Culture : persistence and evolution”, Nber working paper series. ↩︎
  7. Voir Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move To a Lot Like the Ones They Left, p. 145 ↩︎
  8. Voir Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move To a Lot Like the Ones They Left, (Stanford Business Books, 2022), p.147. ↩︎
  9. Francesco Giavazzi, Ivan Petkov, Fabio Schiantarelli, “Culture : persistence and evolution”, Nber working paper series, p.6. ↩︎
  10. Ipsos/RMDA, Enquête sur les transferts d’argent vers les pays d’origine, juillet 2020, p. 18. (Lien) ↩︎
  11. Ibid. ↩︎
  12. Bazzi, S., & Fiszbein, M. (2025). When do immigrants shape culture? National Bureau of Economic Research, Working Paper, p.1 (Lien) ↩︎
  13. Garett Jones : « Les immigrés changent les natifs, parfois en bien, parfois en mal » – L’Express ↩︎
  14. Pour un exemple probant, voir Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move to a Lot Like the Ones They Left, Stanford, Stanford University Press, 2022, chap. 7 « The Chinese Diaspora: Building the Capitalist World », pp. 120–137 ↩︎
  15. Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move to a Lot Like the Ones They Left, Stanford, Stanford University Press, 2022, p.17. ↩︎
  16. Sur ce point, voir Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move To a Lot Like the Ones They Left, (Stanford Business Books, 2022), chapiter 1 «The Assimilation Myth», p.17 et 19 ; plus précisément la section «The Spaghetti Theory of Cultural Change», p.18–19. ↩︎
  17. voir Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move To a Lot Like the Ones They Left, p. 5 ↩︎
  18. Algan & CahucInherited Trust and Growth (AER, 2010). Montre que la confiance « héritée » des descendants d’immigrés aux États-Unis explique la croissance – preuve directe d’un capital de confiance transmis. ↩︎
  19. Alesina, Glaeser & SacerdoteWhy Doesn’t the US Have a European-Style Welfare State? (NBER WP 8524, 2001; version BPEA). Rôle des préférences collectives et de l’hétérogénéité pour expliquer une redistribution plus faible aux USA. ↩︎
  20. Ruud Koopmans, Ethnic diversity, trust, and the mediating role of positive and negative interethnic contact (Social Science Research, 2014) ↩︎
  21. Ministère de l’Intérieur – Direction générale des étrangers en France (DGEF). Les chiffres de l’immigration en France – Études et statistiques, Édition 2025 (publié le 25 juin 2025). Disponible en ligne : (Lien) ↩︎
  22. Transparency International. Corruption Perceptions Index (CPI), 2024. Disponible en ligne : (Lien) ↩︎
  23. Georgetown Institute for Women, Peace and Security. Women, Peace, and Security Index 2023. Disponible en ligne : (Lien) ↩︎
  24. Equaldex. Equality Index (LGBT+ Rights), 2025. Disponible en ligne : (Lien) ↩︎
  25. Our World in Data. Share of people agreeing with the statement “Most people can be trusted”. Disponible en ligne : (Lien) ↩︎
  26. Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). « Human Development Index (HDI) – valeurs 2023 », Rapport sur le développement humain 2025. Disponible en ligne : (Lien) ↩︎
  27. Eugen Dimant, Tim Krieger et Margarete Redlin, A Crook Is a Crook… But Is He Still a Crook Abroad? On the Effect of Immigration on Destination-Country Corruption, German Economic Review 16, no. 4 (2015): 464–489, DOI 10.1111/geer.12064. Les auteurs montrent, à partir d’un large panel de pays de l’OCDE et de données couvrant 1984–2008, que l’immigration en provenance de pays fortement corrompus tend à accroître les niveaux de corruption dans les pays de destination.  ↩︎
  28. Ibid. ↩︎
  29. Ministère de l’Intérieur et des Outre-mer — Interstats (SSMSI), « Insécurité et délinquance en 2024 : bilan statistique et atlas départemental », en ligne : (Lien) ↩︎
  30. « Etrangers, immigrés en 2022, France entière, NAT1 – Population par sexe, âge et nationalité » en 2022, Chiffres détaillés, Insee, Juin 2025. (Lien) 930 886 parmi 67 760 573 ↩︎
  31. Lagrange, H. Le déni des cultures, Paris, Ed. du Seuil, 2010. ↩︎
  32. Francesco Giavazzi, Ivan Petkov, Fabio Schiantarelli, “Culture: persistence and evolution”, Nber working paper series, p.6. ↩︎
  33. Roth, F. (2022). Social Capital, Trust, and Economic Growth. In: Intangible Capital and Growth. Contributions to Economics, p.173. (Lien), traduit ↩︎
  34. Note : pour les chiffres PISA 2022 cités (écarts en maths/lecture avant et après contrôle socio-éco), voir l’OCDE – Education GPS (France, PISA 2022) et PISA 2022 Results (fiche pays France + Volume I “Immigrant background and student performance”). Liens : (Lien 1), (Lien 2↩︎
  35. Voir Eurostat (statistiques annuelles de l’immigration par pays d’origine) appariées aux catégories de l’Indice de développement humain duPNUD (valeurs 2023, Rapport sur le développement humain 2025). ↩︎
  36. « Immigrés et descendants d’immigrés », INSEE références, Edition 2023, (Lien) ↩︎
  37. Annual Review of Political Science, Ethnic Diversity and Social Trust: A Narrative and Meta-Analytical Review, Peter Thisted Dinesen, Merlin Schaeffer, Kim Mannemar Sønderskov (Lien) ↩︎
  38. European journal of political economy, Trust, welfare states and income equality: Sorting out the causality, Andreas Bergh, Christian Bjørnskov (Lien) ↩︎

Les êtres humains se déplacent. Ce faisant, ils emportent avec eux leur culture, leur attitude envers l’épargne, leur conception du rôle des femmes dans la société, leur rapport à la confiance en autrui, et bien d’autres choses encore. 

Il est assez unanimement admis que les immigrés de première génération sont généralement très différents des citoyens natifs — parfois pour le mieux, parfois pour le pire — mais beaucoup espèrent que les enfants de ces immigrés se conformeront aux normes locales, s’assimileront. La plupart des gens espèrent que les immigrés, ou du moins les enfants d’immigrés, s’assimileront.

Je n’espère pas que les enfants d’immigrés s’assimilent complètement, en partie parce que je sais que ce n’est pas réaliste. Ce que j’espère plutôt, c’est que les enfants d’immigrés seront meilleurs que les autres citoyens du pays, qu’ils élèveront le niveau des compétences intellectuelles, de la bonté humaine, de la volonté de travailler ensemble pour construire une société meilleure. J’espère que les immigrés rendront la société meilleure, précisément parce que cette société a été assez intelligente pour inviter des personnes qui, en moyenne, étaient meilleurs que la plupart des citoyens natifs.

Quiconque dirige une entreprise sait que des décisions d’embauche intelligentes sont la cléf du succès. La politique d’immigration est l’occasion pour un pays d’embaucher les meilleurs, d’élever le niveau et d’importer une meilleure culture. 

Il est facile de voir la théorie de la transplantation culturelle comme un avertissement contre les risques d’une politique d’immigration mal choisie, et cela fait certainement partie de mon message. J’ai écrit mon ouvrage The Culture Transplant: How Migrants Make the Economies the Move to a Lot Like the Ones They Left (La transplantation culturelle : comment les immigrés transforment les économies en économies très similaires à celles qu’ils ont quittées) afin de faire savoir au monde ce que mes collègues économistes savaient depuis plus d’une décennie : que les enfants et petits-enfants d’immigrés ne finissent pas par devenir comme les natifs, du moins pas en moyenne. 

Si le public savait ce que les professeurs se disaient entre eux dans les séminaires et les revues scientifiques, j’espère que les pays riches pourraient passer de leurs politiques d’immigration utopiques à une politique d’immigration réaliste, fondée sur le fait que les immigrés apportent une transplantation culturelle qui dure pendant des générations, voire pour toujours.

C’est pourquoi je suis si heureux de voir cette nouvelle note de l’OID, qui applique la théorie de la transplantation culturelle à la France. La France a toujours été façonnée par les valeurs de ses ancêtres, et les immigrés français des dernières générations ont donné à la République de nouveaux ancêtres dont les valeurs façonneront l’avenir social et économique de la France.

J’ai toujours considéré et je continue de considérer mon livre comme un avertissement contre un optimisme excessif à l’égard de l’immigration. Mais il existe également une manière positive d’envisager le pouvoir de la transplantation culturelle liée à l’immigration : c’est un moyen pour une nation de choisir un excellent enrichissement des valeurs actuelles par des valeurs encore meilleures. Et la manière la plus réaliste d’améliorer les valeurs des citoyens d’une nation est d’inviter de nouveaux citoyens immigrés dont les enfants, et les enfants de leurs enfants, sont susceptibles d’apporter ces nouvelles valeurs, meilleures, de leur pays d’origine. 

Ces nouveaux citoyens peuvent améliorer la nation française ou n’importe quelle autre nation, non seulement en étant de meilleurs épargnants et de meilleurs voisins, mais aussi en devenant des exemples dont nous pouvons tous tirer des leçons.

Les êtres humains se déplacent et apprennent les uns des autres. Choisissons de bons voisins dont nous pouvons tous tirer des leçons.

Garett Jones

Professeur d’économie

Université George Mason

« It’s just obvious you can’t have free immigration and a welfare state. » Cette formule célèbre de Milton Friedman rappelle que la question migratoire ne peut être séparée du cadre institutionnel et social du pays d’accueil. En France, l’immigration est généralement discutée sous l’angle économique de court terme (emploi, prestations sociales, coûts fiscaux) ou sous l’angle humanitaire.

Le présent travail cherchera, à l’aune des travaux de l’économiste américain Garett Jones, à comprendre la manière dont les valeurs et attitudes sociales des populations immigrées peuvent perdurer, se transmettre et progressivement transformer la société d’accueil1. Ensuite, en comparant la société française avec les pays d’origine des populations qu’elle accueille, nous chercherons à identifier les changements susceptibles de s’opérer en France à l’avenir.

Le travail de Jones s’inscrit en cohérence avec les travaux économiques d’Alberto Alesina et Paola Giuliano, qui résument ainsi  leurs conclusions principales : « lorsque des immigrés s’installent dans des pays dotés d’institutions différentes, leurs valeurs culturelles évoluent peu — si tant est qu’elles évoluent — et rarement en l’espace de deux générations ».

Dans le sillage de cette théorie de la persistance des valeurs par-delà les générations, Jones théorise l’idée d’un rapprochement progressif et lent des valeurs des nouveaux arrivants vers celle de la population locale, mais aussi le constat parallèle – moins souvent évoqué – d’une hybridation des valeurs des autochtones avec celles des nouveaux arrivants.

Garett Jones est professeur d’économie à la George Mason University et Senior Research Fellow au Mercatus Center. Spécialiste de l’économie institutionnelle, de la macroéconomie politique et de l’économie de la culture, ses recherches portent sur le rôle du capital humain, des normes sociales et des institutions dans la prospérité à long terme des nations.
 
Il a contribué à renouveler l’analyse économique de l’immigration en insistant sur la persistance intergénérationnelle des préférences collectives et sur leur influence durable sur la gouvernance, la productivité et la confiance sociale. Enfin, son ouvrage The Culture Transplant: How Immigrants make the Economies They Move to a Lot Like the Ones They Left (2022) met en avant l’idée que les migrations transportent non seulement des personnes, mais aussi des préférences institutionnelles et culturelles persistantes. Ses travaux le placent à l’intersection de l’économie politique et des débats contemporains sur la mondialisation, la diversité culturelle et la qualité des institutions.

Ces préférences collectives influencent la vie institutionnelle et politique des pays d’accueil : aux États-Unis, par exemple, des travaux empiriques montrent que l’origine des immigrés explique une partie des différences régionales en matière de pratiques démocratiques, de productivité ou de fiscalité2. Toutefois, si ces approches comparatives existent à l’échelle mondiale, elles restent encore peu appliquées au cas français, où les effets institutionnels et culturels de l’immigration sont largement sous-étudiés.

Afin d’appliquer le modèle de Jones au contexte français la présente note s’appuiera sur les nationalités les plus représentatives de l’immigration reçue en France, via l’indicateur du nombre de titres de séjour valides au 31 décembre 20243, qui reflète la réalité des politiques migratoires sur lesquelles les responsables politiques peuvent avoir un degré de contrôle.

Afin d’évaluer dans quelle mesure et dans quelles directions les préférences culturelles et institutionnelles de ces groupes sont susceptibles d’influencer à long terme la trajectoire culturelle et institutionnelle française, chacun sera comparé à la France en fonction de divers indicateurs (développement humaine, confiance sociale, droits des femmes et des LGBT…).

Cette partie se propose de revenir sur les apports théoriques et empiriques qui expliquent pourquoi les normes migrent avec les individus, dans quelles conditions elles s’assimilent ou persistent, avant de comprendre ce qu’elles impliquent dans le cas français.

1.1 La persistance intergénérationnelle ou le mythe de l’assimilation

Dans The Culture Transplant (2022), Garett Jones développe une thèse centrale : les immigrés importent avec eux un capital culturel et institutionnel — attitudes vis-à-vis de l’État, normes de confiance, perception de la redistribution, rapport à l’autorité — qui persiste au-delà de la première génération4.

Jones cherche donc à trouver des indicateurs quantifiables de cette transmission intergénérationnelle. La littérature reprise montre que des attitudes clés – telles que la confiance envers autrui – se transmettent à hauteur d’environ 40–46 %, parfois jusqu’à la 4ᵉ génération5. Les données mobilisées se fondent sur  par Francesco Giavazzi6, de l’université Bocconi de Milan, sur la persistance des traits culturels des immigrés arrivés en Amérique, de leurs descendants à la deuxième et à la quatrième génération, issus de sept groupes différents7.

Au sein de chacun des groupes (nouveaux arrivants et leurs descendants), l’auteur a cherché à déceler la persistance de huit traits principaux que sont les attitudes relatives à :

  • La confiance interpersonnelle ;
  • Le rôle du gouvernement ;
  • La religiosité ;
  • La famille ;
  • L’égalité des genres et la répartition des rôles ;
  • L’avortement ;
  • La sexualité ;
  • Mobilité sociale.

Pour l’ensemble de ces sujets, l’étude montre qu’à la quatrième génération, « sur les huit attitudes, […] un peu moins de 60 % de l’écart d’attitude est comblé. L’assimilation complète, même une assimilation à 90 %, semble une fois de plus être un mythe. »8. Cela signifie qu’en moyenne, sur lesdits sujets, 40% de la différence entre société d’origine et société d’accueil persiste au bout de quatre générations sur le territoire.

Les travaux de Giavazzi soulignent par ailleurs que la convergence vers les valeurs du pays d’accueil s’opère particulièrement lentement pour des traits tels que les valeurs morales, religieuses et sociales (avortement, morale sexuelle…). En revanche, la perception de la place de la femme dans le marché du travail évolue rapidement – car elle répond à une nécessité et produit un gain – là où la perception de sa place en politique n’évolue que très lentement9.

De la même manière, l’économiste Yann Algan évoque le fort effet prédictif du niveau de confiance sociale dans un pays d’origine sur celui constaté chez les descendants d’immigrés issus de ce pays plusieurs générations après la migration. Chacun conserve – en moyenne – des résultats largement liés à ceux constatés dans le pays d’origine de ses ancêtres. Preuve que la confiance sociale est un trait transmis au sein des familles par-delà les générations et partiellement en dépit de la culture d’accueil.

Les éléments déclaratifs issus des immigrés eux-mêmes confortent cette idée d’une transmission à dimension partiellement volontaire – qui se double d’une large part involontaire. À ce titre, une récente enquête Ipsos/RMDA10 sur la diaspora africaine en France (juil. 2020) indique que 88 % des parents déclarent transmettre activement la culture du pays d’origine à leurs enfants. Le détail par génération montre que la propension à transmettre la culture d’origine reste très élevée ,même longtemps après la migration (93 % des répondants pour la 1ère génération, 86 % pour la 2ᵉ et 87 % à la 3ᵉ).

Même après deux générations dans le pays d’accueil, la volonté de transmission de la culture d’origine demeure présente et volontaire. Cela ne quantifie par ailleurs pas l’ensemble de la transmission de préférences et de normes qui peuvent, en partie, être involontaires ou inconscientes. La transmission a lieu principalement au cours de vacances dans le pays, d’évènements familiaux ou de moments plus formels tels que des cours de langue ou un enseignement culturel spécifique11.

1.2 La Spaghetti Theory : comment les immigrés changent les natifs

Samuel Bazzi (professeur d’économie politique de l’université de Californie San Diego) et Martin Fiszbein (professeur associé de l’université de Boston) écrivent que, si l’assimilation peut exister, « les immigrés peuvent également conserver des traditions culturelles de leurs lieux d’origine, parfois en les préservant à travers les générations. Dans certains cas, les immigrés redéfinissent même la culture de leurs communautés d’accueil »12.

À cette aune, Garett Jones insiste sur l’impact à long terme de la « transplantation culturelle » générée par l’immigration. Non seulement les préférences et les normes perdurent largement dans le temps et sont transmises dans les familles mais encore, elles façonnent la culture et les normes du pays d’accueil autant que les immigrés sont façonnés par celui-ci.  Il en tire cette formule : « les immigrés changent les natifs, parfois en bien, parfois en mal »13.

Cette « transplantation culturelle » peut, avec le temps, modifier la trajectoire des sociétés d’accueil14 et créer une forme d’hybridation culturelle entre les personnes nouvellement arrivées et la culture préexistante. Jones l’explique en dressant un constat sous forme de question : « Mais le changement culturel n’est-il pas une rue à double sens ? Les immigrés ne changent-ils pas souvent les résidents de longue date, et les résidents de longue date ne changent-ils pas les immigrés, les deux parties se rencontrant quelque part au milieu ? »15. Jones souligne que ce changement se produit dans les deux sens16 ; l’assimilation est partielle et, pendant que les immigrés se rapprochent des normes locales, ils transforment en retour la culture d’accueil.

C’est la Spaghetti theory – nom issu de l’intégration des spaghettis à la cuisine américaine suite à l’arrivée d’immigrés italiens : les valeurs des immigrés et celles des autochtones finissent par s’hybrider pour que celles du pays se retrouvent quelque part entre les deux.

Cette idée va à rebours de celle d’une assimilation systématique. L’auteur constate empiriquement que dans la longue histoire des mouvements de population, dans les cinq derniers siècles, les personnes qui se sont déplacées « ne se sont presque jamais pleinement assimilées »17. L’universitaire explique ainsi sa théorie :

« On ne peut pas dire si les migrants s’assimilent à la culture préexistante simplement en regardant la culture post-migration. Pourquoi ? […] car si les immigrés changent la culture préexistante, alors ce que vous pourriez considérer comme « assimilation des immigrés » une assimilation de chacun des groupes à l’autre. […][Sa théorie apporte] cet élément concernant la rencontre [des deux cultures] dans un entre-deux qui est majeur pour expliquer l’assimilation partielle et incomplète que nous avons vu et continuerons de voir dans les données. […] En fin de compte, la Spaghetti Theory est simplement une nouvelle façon de penser les effets des pairs – à la manière dont ceux qui nous entourent nous façonnent au moins légèrement, que ce soit consciemment ou inconsciemment. ».

Si son livre se concentre sur les préférences économiques (confiance, frugalité, rapport à la régulation), il évoque également la question du rapport aux minorités, à la religion ou à la famille, citant les travaux de Giavazzi à ce propos.  Le mécanisme de transmission par la famille et les pairs éclaire ainsi l’ensemble des inclinations sociales — rapport à la loi, aux femmes, aux minorités sexuelles — que nous documenterons et mettrons en regard d’études de cas.

Garett Jones retrace, dans son chapitre « South Asia’s Glorious Chinese Diaspora » et « Chinese Immigrants: Building the Capitalist Road », les raisons pour lesquelles la diaspora chinoise est associée à des trajectoires de croissance dans des territoires qui l’ont massivement reçue : (Taïwan, Singapour, Macao, Hong Kong…).

Il cite notamment I. Priebe et R. Rudolf, World Development, 2015 : « The Chinese diaspora has certain unique cultural characteristics that potentially could be conducive to economic growth » (trad. : « La diaspora chinoise présente certaines caractéristiques culturelles spécifiques susceptibles de favoriser la croissance économique »).

Cet exemple concret de la mise en application des thèses de Jones – ici dans un sens positif – illustre ce en quoi les immigrés changent leurs pays d’arrivée et ses habitants.

1.3 Confiance sociale et redistribution

Dans le même esprit, Yann Algan et Pierre Cahuc18 mettent en évidence un « capital de confiance hérité » chez les descendants d’immigrés, et montrent que cette confiance — ressource sociale centrale — a des effets économiques tangibles. La confiance au sein des sociétés, écrit Yann Algan « est l’un des principaux déterminants du développement économique actuel ». Ces idées, cumulées, cadrent avec l’intuition de Jones : non seulement une part des préférences collectives migre avec les individus et s’inscrit dans la durée mais, plus encore, elle a des impacts concrets sur les pays d’arrivée.

Sur le plan des politiques publiques, Alesina, Glaeser et Sacerdote19 soulignent qu’un État-providence étendu requiert un haut niveau de confiance sociale. Lorsque l’hétérogénéité ethno-culturelle s’accroît, la confiance moyenne et l’acceptabilité de la redistribution tendent à diminuer, ce qui pèse indirectement sur la soutenabilité de l’État-providence. Ce dernier nécessitant un haut niveau de confiance et de cohésion sociale est rendu plus difficile dans le cadre d’une société multiculturelle.

Le sociologue Ruud Koopmans20 apporte un complément d’analyse empirique dans le contexte européen : en Allemagne, une plus grande diversité résidentielle est associée à une baisse de la confiance envers les voisins, avec des indices de causalité passant par la qualité des contacts interethniques. En cela, il explique que le modèle proposé par les précédents concernant les Etats-Unis peut s’appliquer à l’Europe et probablement être généralisé.

Le poids croissant des populations issues de l’immigration extra-européenne renforce la pertinence du prisme de Jones : si les préférences liées à la confiance, au rôle de l’État ou aux normes civiques se transmettent partiellement et si la distance culturelle freine leur convergence, alors la « moyenne institutionnelle » du pays d’accueil peut, à long terme, se déplacer.

Le défi français n’est donc pas seulement l’intégration économique immédiate, mais aussi l’articulation, dans le temps, entre politiques d’assimilation et dynamique de transmission intergénérationnelle des normes.

L’analyse ici présenté des effets institutionnels de l’immigration repose sur un cadre théorique inspiré des travaux de Garett Jones (The Culture Transplant, 2022) et complété par des indicateurs internationaux permettant de comparer les environnements culturels et économiques des principaux pays d’origine des immigrés en France avec leur pays d’accueil.

L’idée centrale est que les immigrés ne transportent pas seulement une force de travail, mais aussi des préférences collectives relatives au rôle de l’État, à la corruption, aux droits fondamentaux ou encore à la confiance interpersonnelle. Ces préférences peuvent influencer à long terme la culture sociale, politique et économique du pays d’accueil.

2.1 Sources et indicateurs retenus

Pour opérationnaliser ce cadre théorique, plusieurs indices internationaux ont été mobilisés :

  1. Les données officielles relatives aux flux et stocks migratoires en France, notamment celles du ministère de l’Intérieur21.
  2. Le Corruption Perception Index (Transparency International, 2024), qui mesure la perception de la corruption dans le secteur public sur une échelle de 0 (forte corruption) à 100 (très faible corruption)22.
  3. L’Index Women, Peace and Security (Georgetown Institute for Women, Peace and Security, 2023), qui évalue l’autonomie, la sécurité et l’inclusion des femmes dans divers pays23.
  4. L’Equality Index (Equaldex, 2025), qui mesure le degré de reconnaissance légale et sociale des droits LGBT+ à travers différents pays24.
  5. Les données issues de l’indicateur “Share of people agreeing with the statement: Most people can be trusted” (Our World in Data), permettant d’évaluer le niveau de confiance interpersonnelle dans les sociétés d’origine25.
  6. L’Indice de Développement Humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), valeurs 2023 publiées dans le Rapport sur le développement humain 202526.  Quantifié sur une échelle allant de 0 à 1(très élevé ≥ 0,800 ; élevé 0,700–0,799 ; moyen 0,550–0,699 ; faible < 0,550), il agrège santé (espérance de vie), éducation (années de scolarisation) et niveau de vie (RNB/hab.). Nous retenons la dernière année disponible et harmonisons les comparaisons sur cette base.

Afin d’harmoniser les résultats, toutes les valeurs numériques ont été arrondies à l’unité. L’objectif n’est pas de fournir un classement précis des États, mais de comparer la France avec ses principaux pays d’immigration selon des indicateurs institutionnels et culturels robustes.

2.2 Vers un changement des normes de la société française ?

À partir de ces indicateurs, notre hypothèse est la suivante : si les immigrés conservent une partie de leurs préférences institutionnelles et culturelles, alors les préférences, la culture et les institutions du pays d’accueil peuvent être modifiés par la provenance des flux migratoires.

Avant d’engager une comparaison avec la France, nous présenterons, pays par pays, le profil institutionnel et social des pourvoyeurs d’immigration à destination de la France. Ce n’est qu’ensuite que nous discuterons des effets possibles en France (assimilation, transformation de la culture et des normes…). Ce cadre théorique conduit à considérer que l’immigration peut modifier à long terme la « moyenne institutionnelle » d’un pays :

  1. Si la majorité des flux provient de pays où la confiance interpersonnelle est faible, la gouvernance plus fragile et les normes moins protectrices des droits des femmes et des minorités sexuelles, l’effet attendu est un affaiblissement de la confiance sociale et du respect des règles communes. À terme, cela peut peser sur la coopération civique, la sécurité juridique et la croissance, et donc sur la soutenabilité de l’État-providence, qui repose précisément sur un haut niveau de cohésion et de confiance généralisée.
  2. À l’inverse, si l’immigration est issue de pays institutionnellement proches, l’effet sur les préférences collectives demeure limité.
  3. Dans le cas où l’immigration provient de pays où les niveaux de formation, les normes et les valeurs collectives seraient plus favorables que celles présentes en France, leur présence pourrait, à terme, faire pression à la hausse sur les niveaux de même nature constatés dans le pays d’accueil.

3.1 Quantifier les différences et les similitudes

Tableau 1 : nombre de titres et documents de séjour valides au 31/12/2024, par nationalité

Pays2024
Algérie649 991
Maroc617 053
Tunisie304 287
Turquie232 421
Chine130 786
Côte d’Ivoire119 079
Sénégal114 956
Mali108 042
RDC94 059
Afghanistan88 816

Source : Direction générale des étrangers en France (ministère de l’Intérieur)

Pour évaluer le possible impact des politiques d’immigration sur les normes socio-culturelles, nous avons choisi de croiser les titres de séjour en cours de validité en France avec les divers indicateurs précédemment énoncés. Le « stock » des titres de séjour reflète la réalité des politiques migratoires sur lesquelles les responsables politiques peuvent avoir un degré de contrôle, à la différence des migrations intérieures à l’Union européenne (dont le paysage des normes et des valeurs d’origine apparaît très proche de celui de la France, par ailleurs).

Le nombre des titres de séjour valides en France a atteint 4,16 millions en 2024 – soit une hausse de 35% par rapport à 2017, 60% par rapport à 2012 et 77% par rapport à 2007 ; Parmi les étrangers accueillis, dix nationalités dominent (voir tableau 1) : Algérie, Maroc, Tunisie, Turquie, Chine, Côte d’Ivoire, Sénégal, Mali, République démocratique du Congo (RDC) et Afghanistan. Ensemble, elles représentent plus de la moitié du total des titres, traduisant une forte concentration des origines.

À travers l’étude du niveau de vie, de la corruption, des droits fondamentaux, de l’égalité LGBT et de la confiance interpersonnelle, il est possible de mesurer l’ampleur des écarts institutionnels et d’en déduire leurs conséquences potentielles sur la trajectoire française. Par l’ampleur de l’immigration reçue et par les différences culturelles et institutionnelles constatées entre les principaux pays de départ et celui d’arrivée, la France constitue un terrain d’application particulièrement pertinent de la thèse de Jones.

3.2 Développement économique et niveau de vie

Tableau 2 : PIB par habitant (2023) en dollars courants

PaysPIB/habitantEcart relatif à la France (%)
Base (France)44 691      =
Algérie536488%
Maroc377191,56%
Tunisie395091,16%
Turquie13 10670,67%
Chine12 95171,02%
Côte d’Ivoire255594,28%
Sénégal169896,20%
Mali103687,68%
RDC63398,58%
Afghanistan35799,2%

Ecart relatif à la France calculé en %.

Données Banque mondiale (PIB par habitant ($ US courants) | Data)

Le premier constat repose sur le niveau de vie (voir tableau 2). En 2023, le produit intérieur brut par habitant s’élevait en France à 44 691 dollars. Aucun des principaux pays d’origine ne s’en approche. L’Algérie atteint 5 364 dollars, soit un écart négatif de 88 %, le Maroc se situe à 3 771 dollars (-91,5%) et l’Afghanistan ferme la marche avec 357 dollars (-99,2%).

Même la Turquie et la Chine, pourtant engagées dans une forte dynamique de développement, affichent respectivement 13 106 dollars et 12 951 dollars, soit encore 70 % en dessous du niveau français. Cette comparaison souligne une fracture structurelle : la majorité des immigrés présents en France proviennent de contextes économiques caractérisés par un faible revenu moyen et des institutions de marché moins solides.

Des écarts aussi marqués de PIB par habitant signalent, en moyenne, des différences de capital humain (éducation, santé) et de productivité. À l’arrivée, ces derniers peuvent se traduire par une insertion initiale difficile ou cantonnée à des emplois peu qualifiés, un rattrapage lent des revenus et un recours plus fréquent aux dispositifs d’accompagnement – langue, formation, logement…

Ces pays à bas PIB par habitant, moins créateurs de valeur, sont aussi moins propices au développement de compétences transférables et porteuses de croissance dans une économie moderne telle que celle de la France. Ces différences de niveau de vie s’articulent avec des écarts institutionnels et sociaux (corruption perçue, droits, confiance interpersonnelle) qui peuvent influer sur les normes de comportement au travail et vis-à-vis de la loi.

3.3 Qualité et transparence de la gouvernance

Tableau 3 : Indice de corruption perçue (2023)

PaysIndice de corruption perçueEcart relatif à la France (%)
Base (France)71=
Algérie3649%
Maroc3846,5%
Tunisie4044%
Turquie3452%
Chine4241%
Côte d’Ivoire4043,5%
Sénégal4339,5%
Mali2860,5%
RDC2072%
Afghanistan2072%

Ecart relatif à la France calculé en %. Données Transparency international (Indice de Perception de la Corruption 2023 de Transparency International : la France stagne encore, la faute au manque d’exemplarité du pouvoir exécutif et au manque d’indépendance de l’autorité judiciaire – Transparency France International)

Les écarts apparaissent tout aussi importants lorsqu’on s’intéresse à la perception de la corruption, mesurée par l’indice de Transparency International (voir tableau 3).

La France obtient un score de 71 points, indiquant un niveau modéré de corruption perçue. En comparaison, la RDC est à 20 points, soit 72 % de moins, ce qui traduit une défiance institutionnelle très forte27.

Les résultats résumés dans ce tableau confirment que les principaux pays d’origine de l’immigration en France sont marqués par une gouvernance moins transparente et un rapport différent à la légalité institutionnelle. Des scores nettement plus faibles que celui de la France indiquent des contextes d’origine où la corruption perçue et le clientélisme sont plus présents dans la vie publique. Les individus y développent souvent des stratégies détournées d’accès aux services publics (intermédiaires, “arrangements”, contournement des règles…) et une tolérance plus élevée aux pratiques informelles.

Transposé dans la société d’accueil, cela peut se traduire par une moindre confiance dans les institutions, une « morale fiscale »plus faible (plus grande propension à frauder), des coûts de conformité perçus comme inutiles et, plus largement, un rapport aux règles moins intériorisé. De là, découle un risque accru d’informalité (travail non déclaré, fraudes mineures).

L’étude A Crook Is a Crook… But Is He Still a Crook Abroad ? des économistes Eugen Dimant, Tim Krieger et Margarete Redlinprécise à ce sujet que « l’immigration en provenance de pays d’origine touchés par la corruption favorise la corruption dans le pays de destination »28 et prouve que, dans le cas de migrations issues de pays où la corruption est présente, elle sera probablement « transmise » au pays d’accueil.

3.4 Droits des femmes et des minorités sexuelles

Tableau 4 : tranquillité et sécurité des femmes

PaysIndice WPSEcart relatif à la France (%)
Base (France)0,864=
Algérie0,622 28%
Maroc0,63726%
Tunisie0,669 22%
Turquie0,665 23%
Chine0,700 19%
Côte d’Ivoire0,573 33,5%
Sénégal0,619 28,5%
Mali0,481 44%
RDC0,384 55,5%
Afghanistan0,286 67%

Indice Women peace and security (du plus faible au plus fort taux de respect des femmes, 0 à 100). Source : 2023 Women, Peace & Security Index Georgetown Institut for Women, Peace and Security

La question du respect des droits des femmes dans les divers pays de provenance de l’immigration reçue en France est centrale. Là où la France présente un score de 0,864 (1 étant la valeur maximale), les pays extra-européens pourvoyeurs d’immigrés se situent à 0,637 (Maroc), 0,622 (Algérie) ou encore 0,286 pour l’Afghanistan. Seuls la Chine (0,7) présente un score relativement peu éloigné de la France.

Comme cela a déjà été démontré, la transmission intergénérationnelle des valeurs liées à la famille et au rôle des sexes demeure généralement forte. Ici, elle se traduit par une corrélation potentielle avec le taux d’infractions sexuelles commises envers les femmes. Le niveau de respect des droits des femmes dans les pays d’origine, importé – au moins partiellement – par les immigrés arrivant en France engendrerait donc des frictions avec la norme locale qui pourraient expliquer une part cette surreprésentation constatée.

Alors que les étrangers ne représentent que 8% de la population, ils représentent 13%29 des mis en cause pour infractions sexuelles en France. La granularité faisant défaut, il n’est pas possible de connaître les parts de chaque nationalité d’origine parmi l’ensemble des infractions pour établir des comparaisons plus fines. Aussi pouvons-nous chercher parmi les chiffres mieux disponibles dans le cadre des transports en commun, lesquels indiquent une très large surreprésentation des étrangers originaires d’Afrique hors-Maghreb par exemple.

En 2024, 11% des mis en cause pour des violences sexuelles perpétrées dans les transports en commun étaient des étrangers ressortissants de pays d’Afrique hors-Maghreb alors qu’ils ne représentaient que 1,37% de la population30 soit une surreprésentation d’un facteur 8. Or, les principales nationalités des immigrés d’Afrique hors Maghreb en France présentent des scores particulièrement bas en ce qui concerne l’indice de paix et de sécurité des femmes (Côte d’Ivoire, 0,573, Sénégal 0,619 et Cameroun, 0,466).

Evidemment, la composition socio-culturelle (niveau de vie, chômage, niveau académique etc…) explique une part de cette surreprésentation. Cependant, comme l’explique le sociologue Hugues Lagrange, une part de la surreprésentation de certains groupes immigrés dans la criminalité peut être due à des structures familiales persistantes31 (l’idée de persistance des normes étant centrale chez Jones).

Tableau 5 : droits LGBT

PaysIndice d’égalité LGBTEcart relatif à la France (%)
Base (France)74=
Algérie1382%
Maroc1382%
Tunisie1481%
Turquie3257%
Chine5427%
Côte d’Ivoire2566%
Sénégal495%
Mali889%
RDC3059%
Afghanistan199%

Indice d’égalité LGBT (2023) par ILGA World (de 0, absence totale de tolérance à 100, pleine égalité). Source : LGBT Rights by Country & Travel Guide | Equaldex

Les disparités se font plus importantes encore concernant l’indice lié au respect des personnes LGBT (voir tableau 6). La France atteint un score de 74 sur 100. En comparaison, l’Algérie et le Maroc obtiennent la note de 13, soit un écart de 82 % et l’Afghanistan obtient un score 67% inférieur. Même la Turquie (32) et la Chine (54) accusent un retard important, avec des écarts de 57 % et 27 %.

L’Afghanistan, avec le score de 1 point, est à ce titre le pays le moins favorable aux droits des personnes LGBT dans le monde (à égalité avec la Somalie).

Ces données mettent en lumière un fossé considérable, particulièrement entre la France et ses principaux pays d’immigration extra-européens, concernant la reconnaissance et la protection des minorités sexuelles. Par ailleurs, les statistiques SSMSI indiquent que les étrangers représentent 17 % des auteurs d’infractions anti-LGBT+ (Info rapide n° 53), alors que leur part dans la population est bien plus faible (8 % : ordre de grandeur déjà cité) — soit une surreprésentation d’environ 2 fois.

De fait, l’arrivée de populations issues de pays légalement et socialement extrêmement opposés aux droits des personnes LGBT implique une hausse de ce trait au sein de la population, et ce sur plusieurs générations – car, ainsi que l’ont démontré Francesco Giavazzi, Ivan Petkov et Fabio Schiantarelli, les traits liés à la morale sexuelle font partie de ceux dont la persistance est la plus longue32.

3.5 La confiance sociale, une ressource économique majeure

Tableau 6 : niveau de confiance sociale

PaysIndice de confiance interpersonnelleEcart relatif à la France (%)
Base (France)26=
Algérie1735%
Maroc1735%
Tunisie14 46%
Turquie14 46%
Chine63      +      142%
Côte d’IvoireNc.Nc.
SénégalNc.Nc.
MaliNc.Nc.
RDCNc.Nc.
AfghanistanNc.Nc.

Enquête sur les valeurs, nombre de personnes répondant positivement à la question « On peut faire confiance à la plupart des gens ». Source : Share of people agreeing with the statement « most people can be trusted », 2022

Des niveaux de confiance interpersonnelle plus faibles dans plusieurs pays d’origine (≈ 14–17 % au Maghreb/Turquie, vs 26 % en France) (voir tableau 7) renvoient à des environnements où la coopération interpersonnelle se fait plus rare et moins sereine. In fine, cela peut se traduire par une moindre capacité à établir les conditions nécessaires à la croissance du pays, sur les plans économiques et humains.  En effet, il est admis, ainsi que l’écrit Felix Roth33, professeur à l’université de Hambourg, que :

« La confiance est un facteur essentiel de la performance économique. Le bien-être d’une nation et sa capacité à concurrencer dépendent du niveau de confiance au sein de la société [car] l’activité économique fait partie de la vie sociale et se constitue conformément aux normes, règles et obligations morales d’une société. ».

De fait, une forte confiance sociale (Chine = 63 %) pose les prémices d’une possible croissance économique.

Ces chiffres illustrent clairement la fracture entre la France et plusieurs de ses principaux pays d’immigration en matière de confiance interpersonnelle, alors même celle-ci est déjà l’une des plus faibles en France par rapport au reste de l’UE. Alors que 26 % des Français déclarent que « la plupart des gens peuvent être dignes de confiance », les niveaux relevés en Algérie (environ 17 %), au Maroc (17 %), en Tunisie (14 %) ou encore en Turquie (14 %) se situent très en dessous, traduisant une confiance sociale beaucoup plus faible.

Ces écarts révèlent que l’immigration en provenance de ces pays tend à importer des normes de défiance interpersonnelle qui contrastent fortement avec les standards européens.

Cette faible confiance, introduite et perpétuée par des personnes issues de cultures différentes risque de grever le lien social et par là même, d’amenuiser les possibilités de croissance économique et de consentement à la redistribution fiscale.

3.6 L’indice de développement humain : éducation, santé, revenus

Tableau 7 : IDH

PaysIndice de développement humainEcart relatif à la France (%)
Base (France)0,92=
Algérie0,7617%
Maroc0,7123%
Tunisie0,7518%
Turquie0,858%
Chine0,80      –      13%
Côte d’Ivoire0,58      –      37%
Sénégal0,53      –      42%
Mali0,42      –      54%
RDC0,52      –      43%
Afghanistan0,50      –      46%

Indice de développement humain (IDH).

Source : ONU, PNUD, Rapport sur le développement humain 2025, hdr2025reporten.pdf

La France présente un score de 0,92 (référence) (voir tableau 8). Parmi les principales origines accueillies, seule la Chine est relativement proche (0,80 ; –13%), tandis que le Maghreb et l’Inde se situent dans une zone intermédiaire. Quatre pays présentent des écarts forts (–0,30 point) : Afghanistan 0,50, Sénégal 0,53, Mali 0,42, Côte d’Ivoire 0,58.

En moyenne, l’écart des pays d’origines avec la France est de près de 30%, ce qui traduit un différentiel structurel de développement humain pour une majorité des groupes considérés.

En ce qu’il agrège santé, éducation et niveau de vie, l’IDH éclaire la nature des besoins d’intégration : des écarts de –0,17 à –0,46 point suggèrent, à l’arrivée, une nécessité de rattrapage éducatif/linguistique, de soins et d’accompagnement vers l’emploi — surtout pour les origines très éloignées (Afghanistan, Afrique subsaharienne). Une large part des caractères perdurant à travers les générations et le risque d’hybridation de la société d’accueil avec les immigrés qu’elle reçoit est susceptible d’en faire, à terme, baisser l’IDH global.

Sur le plan scolaire34, les écarts d’IDH que nous documentons se reflètent dans PISA 2022 : en France, les élèves issus de l’immigration obtiennent en moyenne de 51 points inférieur en mathématiques et –52 points en lecture par rapport aux non-immigrés ; après prise en compte du profil socio-économique, un écart significatif subsiste (–17 et –16 points). Les élèves d’origine immigrée sont aussi deux fois plus souvent en situation défavorisée (48 % contre 25 %). Ces résultats indiquent que la langue, le niveau socio-économique et le parcours migratoire expliquent une part des écarts, mais pas la totalité ; le reste étant probablement au moins en partie lié à une persistance de traits issus de leur culture d’origine.

De plus, d’après les données Eurostat35, la France se singularise par une part d’immigrés originaires de pays à faible IDH (éducation, santé, revenus) environ trois fois supérieure à la moyenne de l’Union européenne, et parmi les plus élevées d’Europe. Ce constat éclaire la composition qualitative des flux et des stocks et le risque de déclassement qu’ils font peser sur le pays, son économie et sa culture.

3.7 Comparaison globale des sociétés et institutions des divers pays

Tableau 8 : récapitulatif

PaysImmigrés en 2024IDHIndice de confiance interpersonnelleIndice WPSIndice d’égalité LGBTIndice de corruption perçuePIB/habitant
Base (France) 0,92260,864747144 691
Algérie649 9910,76170,62213365364
Maroc617 0530,71170,63713383771
Tunisie304 2870,75140,66914403950
Turquie232 4210,85140,665323413 106
Chine130 7860,80630,700544212 951
Côte d’Ivoire119 0790,58Nc.0,57325402555
Sénégal114 9560,53Nc.0,6194431698
Mali108 0420,42Nc.0,4818281036
RDC94 0590,52Nc.0,3843020633
Afghanistan89 0000,50Nc.0,286120357

Reprise de chaque indice déjà évoqué.

En rouge : résultat inférieur à la norme française. En vert : résultats supérieurs.

La mise en parallèle de ces indicateurs révèle une tendance générale : la majorité des flux migratoires vers la France proviennent de pays au sein desquels les indicateurs économiques, de confiance et de respect des droits sont très défavorables par rapport aux standards français et européens.

L’idée de « moyenne institutionnelle » proposée par Garett Jones trouve ici une application concrète : si une part importante de la population de la France est constituée de groupes issus de contextes culturels et institutionnels plus fragiles en tout point (comme le prouvent les données présentées précédemment), il est probable que cela exerce une influence à long terme sur les préférences collectives du pays d’accueil, et influe même sur les préférences constatées au sein de la population sans ascendance migratoire.

Ainsi sont soulevées les possibilités d’une fragmentation culturelle ou d’une infusion des normes importées au sein de la société française, qui s’établirait dans une moyenne entre les valeurs des arrivants et celles aujourd’hui majoritaires.

Les écarts relatifs au respect des droits des femmes et de l’égalité LGBT révèlent des positions difficilement conciliables entre arrivants et groupe majoritaire. Si, comme le suggèrent les études, les préférences et normes concernant la morale sexuelle et l’égalité des genres figurent parmi les plus persistantes entre les générations : les valeurs libérales avancées de la société française se trouveront mécaniquement fragilisées.

Autrement dit, la dynamique actuelle ne correspond pas à une immigration porteuse de plus de richesses institutionnelles, mais à des flux qui, bien souvent, importent des préférences collectives éloignées de celles qui structurent l’ordre social français.

Ces dynamiques culturelles et sociales sont amplifiées par la fécondité différenciée entre populations. Les données démographiques de l’INSEE36 indiquent que les femmes immigrées, notamment originaires d’Afrique subsaharienne (3,3 enfants par femme) et du Maghreb (2,5 enfants par femme), présentent en moyenne un indice de fécondité supérieur à celui des femmes natives (1,7 enfant par femme).

Or, dans la perspective de Garett Jones, chaque génération supplémentaire constitue un vecteur de transmission partielle mais persistante des normes d’origine. L’effet de nombre accroît ainsi mécaniquement le poids relatif de ces préférences collectives dans la « moyenne institutionnelle » française, renforçant le caractère structurel des transformations évoquées. De ce renforcement découle une forte probabilité que, tant par effet de nombre et de conservation des valeurs que par l’effet de la Spaghetti theory, le socle de valeurs communes aujourd’hui admises en France se trouve bouleversé.

De la même manière, la baisse de la confiance sociale induite par le phénomène migratoire en tant que tel37, et d’autant plus par l’arrivée de personnes issues de pays à faible confiance interpersonnelle, risque de peser tant sur la cohésion sociale que sur les prérequis à l’existence même de l’Etat-providence « à la française ». En effet, il est attesté que la confiance sociale est un préalable au fonctionnement des systèmes redistributifs38. Ainsi, il paraît très difficile de concilier l’Etat-providence et les types d’immigration reçus sur le long terme..

Cette baisse de la confiance sociale est également – comme déjà évoqué – un puissant facteur bloquant de la prospérité économique, laquelle est étroitement corrélée à la confiance. Combiné à l’arrivée de personnes moins qualifiées, il va sans dire que la structure de l’immigration reçue ne prédispose pas à une croissance économique structurelle.

À travers l’ensemble de ces éléments, il est possible de deviner certains des changements voués à affecter le cadre anthropologique de la société française à moyen et long terme. L’usage d’une telle approche dans l’élaboration des politiques migratoires apparaitrait pleinement pertinent, afin de sortir d’un court-termisme parfois aveuglant.

  1. Sur la persistance des préférences (confiance interpersonnelle, rôle de l’État, respect des règles, épargne, redistribution), Garett Jones, The Culture Transplant: How Immigrés Make the Economies They Move to a Lot Like the Ones They Left, Stanford, Stanford University Press, 2022, chap. 1 « The Assimilation Myth », pp. 6–25. Jones ouvre ce chapitre par une citation d’Alberto Alesina et Paola Giuliano : « Lorsque des immigrés s’installent dans des pays dotés d’institutions différentes, leurs valeurs culturelles évoluent peu — si tant est qu’elles évoluent — et rarement en l’espace de deux générations » (traduction française libre), tirée de « Culture and Institutions », Journal of Economic Literature, 2015, p.904 (Lien) ↩︎
  2. Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move to a Lot Like the Ones They Left, Stanford, Stanford University Press, 2022, chap. « Migration of Good Government », pp. 67–77. Ce chapitre montre que l’origine des immigrés contribue à expliquer, partiellement, des différences régionales en pratiques démocratiques, productivité et fiscalité dans les sociétés d’accueil. ↩︎
  3. Les dix premiers pays en nombre de titres de séjour. Soit : l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Turquie, la Chine, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Mali, la République démocratique du Congo et l’Afghanistan. Le Royaume-Uni, intégré pour la première fois au classement de la DGEF publié en juin 2024, représente un cas particulier lié à son statut d’ancien Etat membre de l’UE – qui a longtemps dispensé ses citoyens de posséder un titre de séjour. Il n’est donc pas intégré dans la présente étude. ↩︎
  4. Voir aussi : Bazzi, S., & Fiszbein, M. (2025). « When do immigrants shape culture? National Bureau of Economic Research”, Working Paper, p.1. Cette étude prolonge directement les travaux de Garett Jones en montrant que l’impact des immigrés sur la culture de la société d’accueil dépend de dynamiques spécifiques de sélection, de transplantation et d’interaction institutionnelle. (Lien) ↩︎
  5. Voir Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move To a Lot Like the Ones They Left, p. 145 ↩︎
  6. Francesco Giavazzi, Ivan Petkov, Fabio Schiantarelli, “Culture : persistence and evolution”, Nber working paper series. ↩︎
  7. Voir Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move To a Lot Like the Ones They Left, p. 145 ↩︎
  8. Voir Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move To a Lot Like the Ones They Left, (Stanford Business Books, 2022), p.147. ↩︎
  9. Francesco Giavazzi, Ivan Petkov, Fabio Schiantarelli, “Culture : persistence and evolution”, Nber working paper series, p.6. ↩︎
  10. Ipsos/RMDA, Enquête sur les transferts d’argent vers les pays d’origine, juillet 2020, p. 18. (Lien) ↩︎
  11. Ibid. ↩︎
  12. Bazzi, S., & Fiszbein, M. (2025). When do immigrants shape culture? National Bureau of Economic Research, Working Paper, p.1 (Lien) ↩︎
  13. Garett Jones : « Les immigrés changent les natifs, parfois en bien, parfois en mal » – L’Express ↩︎
  14. Pour un exemple probant, voir Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move to a Lot Like the Ones They Left, Stanford, Stanford University Press, 2022, chap. 7 « The Chinese Diaspora: Building the Capitalist World », pp. 120–137 ↩︎
  15. Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move to a Lot Like the Ones They Left, Stanford, Stanford University Press, 2022, p.17. ↩︎
  16. Sur ce point, voir Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move To a Lot Like the Ones They Left, (Stanford Business Books, 2022), chapiter 1 «The Assimilation Myth», p.17 et 19 ; plus précisément la section «The Spaghetti Theory of Cultural Change», p.18–19. ↩︎
  17. voir Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move To a Lot Like the Ones They Left, p. 5 ↩︎
  18. Algan & CahucInherited Trust and Growth (AER, 2010). Montre que la confiance « héritée » des descendants d’immigrés aux États-Unis explique la croissance – preuve directe d’un capital de confiance transmis. ↩︎
  19. Alesina, Glaeser & SacerdoteWhy Doesn’t the US Have a European-Style Welfare State? (NBER WP 8524, 2001; version BPEA). Rôle des préférences collectives et de l’hétérogénéité pour expliquer une redistribution plus faible aux USA. ↩︎
  20. Ruud Koopmans, Ethnic diversity, trust, and the mediating role of positive and negative interethnic contact (Social Science Research, 2014) ↩︎
  21. Ministère de l’Intérieur – Direction générale des étrangers en France (DGEF). Les chiffres de l’immigration en France – Études et statistiques, Édition 2025 (publié le 25 juin 2025). Disponible en ligne : (Lien) ↩︎
  22. Transparency International. Corruption Perceptions Index (CPI), 2024. Disponible en ligne : (Lien) ↩︎
  23. Georgetown Institute for Women, Peace and Security. Women, Peace, and Security Index 2023. Disponible en ligne : (Lien) ↩︎
  24. Equaldex. Equality Index (LGBT+ Rights), 2025. Disponible en ligne : (Lien) ↩︎
  25. Our World in Data. Share of people agreeing with the statement “Most people can be trusted”. Disponible en ligne : (Lien) ↩︎
  26. Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). « Human Development Index (HDI) – valeurs 2023 », Rapport sur le développement humain 2025. Disponible en ligne : (Lien) ↩︎
  27. Eugen Dimant, Tim Krieger et Margarete Redlin, A Crook Is a Crook… But Is He Still a Crook Abroad? On the Effect of Immigration on Destination-Country Corruption, German Economic Review 16, no. 4 (2015): 464–489, DOI 10.1111/geer.12064. Les auteurs montrent, à partir d’un large panel de pays de l’OCDE et de données couvrant 1984–2008, que l’immigration en provenance de pays fortement corrompus tend à accroître les niveaux de corruption dans les pays de destination.  ↩︎
  28. Ibid. ↩︎
  29. Ministère de l’Intérieur et des Outre-mer — Interstats (SSMSI), « Insécurité et délinquance en 2024 : bilan statistique et atlas départemental », en ligne : (Lien) ↩︎
  30. « Etrangers, immigrés en 2022, France entière, NAT1 – Population par sexe, âge et nationalité » en 2022, Chiffres détaillés, Insee, Juin 2025. (Lien) 930 886 parmi 67 760 573 ↩︎
  31. Lagrange, H. Le déni des cultures, Paris, Ed. du Seuil, 2010. ↩︎
  32. Francesco Giavazzi, Ivan Petkov, Fabio Schiantarelli, “Culture: persistence and evolution”, Nber working paper series, p.6. ↩︎
  33. Roth, F. (2022). Social Capital, Trust, and Economic Growth. In: Intangible Capital and Growth. Contributions to Economics, p.173. (Lien), traduit ↩︎
  34. Note : pour les chiffres PISA 2022 cités (écarts en maths/lecture avant et après contrôle socio-éco), voir l’OCDE – Education GPS (France, PISA 2022) et PISA 2022 Results (fiche pays France + Volume I “Immigrant background and student performance”). Liens : (Lien 1), (Lien 2↩︎
  35. Voir Eurostat (statistiques annuelles de l’immigration par pays d’origine) appariées aux catégories de l’Indice de développement humain duPNUD (valeurs 2023, Rapport sur le développement humain 2025). ↩︎
  36. « Immigrés et descendants d’immigrés », INSEE références, Edition 2023, (Lien) ↩︎
  37. Annual Review of Political Science, Ethnic Diversity and Social Trust: A Narrative and Meta-Analytical Review, Peter Thisted Dinesen, Merlin Schaeffer, Kim Mannemar Sønderskov (Lien) ↩︎
  38. European journal of political economy, Trust, welfare states and income equality: Sorting out the causality, Andreas Bergh, Christian Bjørnskov (Lien) ↩︎