Table des matières
L’essentiel
Avertissement : la présente note ne prétend pas proposer une analyse exhaustive du projet de loi – on renverra pour cela à l’avis rendu par le Conseil d’État le 26 janvier 2023, sur lequel nous nous appuyons également – mais à en présenter l’économie générale, à en souligner les avancées mais aussi les faiblesses par rapport aux objectifs que se donne le Gouvernement. C’est la version du projet de loi mise en ligne sur le site du Sénat qui a été ici étudiée.
Introduction
Le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » se veut construit tout entier autour du paradigme macronien du « en même temps », mis en valeur par l’étrange asyndète de son titre, comme pour mieux souligner que les deux termes étaient absolument indissociables : contrôler l’immigration et en même temps améliorer l’intégration ; une loi défendue par un ministre de droite et en même temps par un ministre de gauche ; éloigner les étrangers en situation irrégulière connus pour trouble à l’ordre public et en même temps régulariser les clandestins employés dans certains secteurs d’activité. Bref, fermeté et en même temps humanité. Un paradigme qu’en l’espèce, le ministre de l’Intérieur a résumé dans une formule enfantine : « être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants »1.
Il est presque dommage pour le gouvernement de s’être à ce point enfermé dans cette caricature, car si le projet de loi contient bien des mesures politiques s’adressant à la fois à la droite – pour renforcer le contrôle des frontières et éloigner les étrangers qui n’ont pas leur place dans notre pays – et à la gauche – pour améliorer l’intégration des étrangers admis au séjour et même régulariser les clandestins employés dans les métiers dits « en tension », il contient aussi un certain nombre de mesures techniques importantes, relatives notamment à l’asile et au contentieux des étrangers, dont l’objectif ne répond à aucune des deux parties de son intitulé, mais tout simplement à un légitime souci de bonne gestion publique et de bonne administration de la justice.
1- Des mesures techniques bienvenues en matière d’asile et de contentieux des étrangers
Commençons par ces mesures techniques, contenues dans les titres IV et V : la réforme du système de l’asile et la simplification des règles du contentieux des étrangers.
1.1 La réforme du système de l’asile
C’est une nécessité qui répond tant à des considérations de bonne administration que d’humanité à l’égard des demandeurs.
- L’article 19 du projet de loi crée des pôles territoriaux, dits « France Asile », regroupant au sein d’un guichet unique les services des préfectures responsables de l’enregistrement de la demande, ceux de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) chargés d’accorder les conditions matérielles d’accueil (CMA) et des agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) chargés de l’introduction de la demande.
- L’article 20 du projet de loi modifie l’organisation et le fonctionnement de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) :
- création de chambres territoriales, ce qui rééquilibrera le traitement du contentieux de l’asile sur le territoire et, par la même occasion, mettra un terme au monopole des avocats du barreau de Paris dans la défense des déboutés de l’OFPRA ;
- spécialisation des chambres en fonction du pays d’origine et des langues utilisées, afin que les décisions soient rendues à l’aune d’une connaissance plus fine des enjeux culturels, politiques, stratégiques des grandes régions de provenance des demandeurs d’asile ;
- modification du mode de désignation de certains membres des formations de jugement : le projet de loi prévoit que la personnalité qualifiée nommée pour siéger au sein des formations de jugement par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) sur avis conforme du vice-président du Conseil d’État soit à l’avenir nommée par le vice-président du Conseil d’État sur proposition du HCR. Les associations de défense des migrants y verront un recul des garanties apportées aux demandeurs d’asile déboutés par l’OFPRA, le HCR étant considéré comme leur étant davantage favorable. C’est oublier que la jurisprudence du Conseil d’État en matière de droit du séjour des étrangers comme de droit d’asile est particulièrement protectrice.
- recours accru au juge unique : le projet de loi propose de faire du juge unique la formation compétente de droit commun, le renvoi en formation collégiale étant possible à l’initiative du président de la CNDA ou de la formation de jugement désigné, ou à la demande du requérant, si l’affaire pose une question qui le justifie. Aujourd’hui, le recours au juge unique n’existe que lorsque la décision de l’OFPRA a été prise selon la procédure accélérée ou constitue une décision d’irrecevabilité. Le Conseil d’État relève que non seulement cette disposition ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel mais aussi qu’elle est susceptible d’améliorer le fonctionnement de la juridiction. Cependant, là encore, les associations immigrationnistes y verront sans aucun doute un grave recul des droits des demandeurs, une atteinte au droit au recours effectif, voire la remise en cause du droit à un procès équitable.
Il est difficile de considérer que ces mesures puissent avoir le moindre impact sur le contrôle de l’immigration ou l’intégration des étrangers. Il s’agit là de mesures techniques relevant d’une bonne administration, qui doivent permettre de mieux traiter les demandes d’asile, eu égard à leur irrésistible progression ces dernières années : 96 424 demandes d’asile enregistrées à l’OFPRA en 2020 (un chiffre particulièrement bas par rapport à l’année 2019, où il dépassait les 138 000, en raison de la crise sanitaire) ; 103 164 en 2021 ; 130 933 en 20222.
On pourrait même considérer que, devant permettre un examen plus rapide des demandes, les mesures inscrites dans le projet de loi permettront aux demandeurs d’asile qui le justifient au regard du droit d’être protégés plus rapidement.
On observera simplement, avec le Conseil d’État, que certaines de ces dispositions – création des pôles France Asile, spécialisation de la CNDA – relèvent de la compétence réglementaire d’organisation des services davantage que du pouvoir législatif.
1.2 La simplification du contentieux des étrangers
Le contentieux des étrangers est directement lié à la mise en œuvre des politiques publiques d’immigration et d’asile, dans un contexte marqué par une explosion de la pression migratoire aux frontières extérieures de l’Union européenne : le nombre d’entrées irrégulières a ainsi progressé de 64 % entre 2021 et 2022, pour s’établir l’an passé à plus de 330 000 franchissements irréguliers3. L’augmentation des flux migratoires irréguliers a pour conséquence l’augmentation des décisions administratives édictées à l’encontre des étrangers en situation irrégulière, et par la suite contestées par eux.
Aussi, là encore, la simplification des procédures applicables au contentieux des décisions relatives à l’entrée, au séjour et à l’éloignement des étrangers qu’introduit le projet de loi est bienvenue.
1.2.1 Les procédures applicables devant le juge administratif
Alors qu’existent actuellement une douzaine de procédures spéciales, dispersées dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), l’article 21 du projet de loi crée dans la partie législative de ce code un livre IX relatif aux procédures contentieuses devant le juge administratif, qui définit quatre procédures juridictionnelles spéciales :
- une procédure collégiale qui comporte un délai de recours d’un mois et un délai de jugement de six mois, qui s’applique aux OQTF avec délai de départ volontaire (1) ;
- trois procédures à juge unique qui se distinguent par les délais de recours et de jugement :
- délai de recours de 72 heures et délai de jugement de 6 semaines (2) ;
- délai de recours de 7 jours et délai de jugement de 15 jours (3) ;
- délai de recours de 48 heures et délai de jugement de 96 heures (4).
L’objectif de cette nouvelle architecture contentieuse est de prioriser l’intervention du juge administratif en fonction de la nature des décisions contestées.
Ainsi, pour les obligations de quitter le territoire français (OQTF) sans délai de départ volontaire, qui représentent la grande majorité des OQTF dont les étrangers détenus font l’objet, les dispositions actuellement en vigueur, qui prévoient un délai de recours de 48 heures et un délai de jugement de 6 semaines ou de 3 mois selon le fondement juridique de la décision, sont remplacées par la procédure (2).
S’agissant des OQTF avec assignation à résidence, de même que les OQTF adressées aux demandeurs d’asile définitivement déboutés, le projet de loi prévoit qu’elles relèvent de la procédure (3), tandis que le contentieux des OQTF avec placement en rétention sera traité suivant la procédure (4).
Certes, ces dispositions doivent permettre d’obtenir une décision définitive plus rapide, mais on peut douter qu’elles aient le moindre effet sur l’éloignement effectif des étrangers en situation irrégulière sous OQTF, qui dépend du bon vouloir des pays d’origine. Ainsi, en 2021, plus de 120 000 OQTF ont été prononcées pour moins de 15 000 éloignements (spontanés, aidés et forcés)4.
À cet égard, il est à craindre que l’article 10 du projet de loi, qui modifie notamment l’article L611-3 du CESEDA pour permettre de prendre une OQTF à l’endroit de différentes catégories d’étrangers qui en sont jusqu’à présent protégés (à l’exception des mineurs), si leur comportement constitue une menace grave pour l’ordre public, soit également sans grand effet sur leur maintien effectif sur le territoire national.
1.2.2 Tenue de l’audience en dehors du tribunal et recours à la vidéo-audience
Comme pour le recours au juge unique devant la CNDA, l’article 24 du projet de loi inverse le principe et l’exception jusqu’ici applicables et prévoit que, lorsque l’étranger est placé ou maintenu en zone d’attente ou en rétention administrative, l’audience se tient en principe « dans la salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate » de la zone d’attente ou du lieu de rétention. Ce n’est que par exception (salle indisponible par exemple) que l’audience peut se tenir au tribunal. Il prévoit par ailleurs la possibilité pour le juge des libertés et de la détention de siéger pour ce qui le concerne au tribunal judiciaire, l’audience se tenant alors par vidéo-conférence.
Le Conseil d’État relève que ces dispositions ne paraissent pas se heurter à un obstacle de nature constitutionnelle ou conventionnelle, notamment au droit à un procès équitable, qui suppose que le justiciable puisse participer de manière personnelle et effective au procès.
C’est là encore une mesure technique qui relève de la bonne administration de la justice et du bon usage des deniers publics, a priori sans effet ni sur la maîtrise des flux migratoires, ni sur l’exécution des OQTF. Elle sera pourtant très probablement contestée.
1.2.3 Jugement des requêtes aux fins de maintien en zone d’attente
L’article L342-5 CESEDA dispose que, pour les jugements de la requête aux fins de maintien en zone d’attente de l’étranger au-delà de quatre jours à compter de la décision de placement initiale, le juge des libertés et de la détention dispose en principe d’un délai de 24 heures qui ne peut, en l’état du droit, être porté à 48 heures que lorsque les nécessités de l’instruction l’imposent. L’article 25 du projet de loi ajoute un second motif, inspiré par le fiasco de l’accueil de l’Ocean Viking, tenant au « placement en zone d’attente simultané d’un nombre important d’étrangers au regard des contraintes du service juridictionnel ».
Rappelons que, le 11 novembre 2022, le navire Ocean Viking, affrété par l’ONG SOS Méditerranée, a été autorisé par les autorités françaises à accoster au port de la base militaire de Toulon, transportant à son bord 234 personnes, dont la plupart a finalement été remis en liberté, faute pour le juge d’avoir pu statuer en temps utile sur leur maintien en zone d’attente au-delà de quatre jours.
Cette disposition appelle deux remarques, ou plutôt deux questions. D’une part, que se passera-t-il lorsque le nombre de migrants débarquant simultanément sera tel que même 48 heures ne suffiront pas à statuer sur les requêtes ? D’autre part, le fait pour le Gouvernement d’introduire une telle disposition ne signifie-t-il pas tout simplement qu’il a définitivement renoncé à faire preuve de la même fermeté qu’en 2018, quand il avait refusé le débarquement des migrants de l’Aquarius sur le territoire national ? Autrement dit, se prépare-t-il à devoir gérer de nouvelles arrivées massives de migrants ?
Le projet de loi est donc loin de tenir tout entier dans son titre « contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ». Il porte également d’importantes évolutions du système de l’asile et du contentieux des étrangers, qui répondent à un légitime souci de bonne gestion publique et de bonne administration de la justice. Ces mesures, pourtant techniques, seront très probablement attaquées par l’écosystème associatif militant.
2 – (Un peu plus) « méchant avec les méchants »
Qui sont les « méchants » dont parle le ministre de l’Intérieur?
Il ne s’agit pas tant des étrangers en situation irrégulière, à l’endroit desquels le texte du Gouvernement ne prévoit pas de rétablir le délit de séjour irrégulier. Ce dernier a été supprimé par la loi du 31 décembre 2012, abrogeant l’article du CESEDA qui prévoyait une peine d’emprisonnement d’un an et une amende de 3 750 euros pour tout étranger qui séjourne en France sans respecter les conditions fixées par la loi ou qui s’est maintenu sur le territoire national au-delà de la durée autorisée par son visa5.
Les « méchants », ce sont avant tout les étrangers, en situation régulière ou non, représentant une « menace grave pour l’ordre public ». On ne peut qu’approuver cette ligne. Chaque terme pourtant est important, et notamment l’adjectif « grave », qui revient à pas moins de dix occurrences – menace grave ou atteinte grave – dans le texte transmis au Sénat par le Gouvernement. En effet, ce n’est pas le fait que l’étranger représente une menace à l’ordre public qui commande les mesures à mettre en œuvre à son endroit, mais bien la gravité de cette menace. Celle-ci semble déterminée selon la peine encourue : la gravité suffisante commencerait aux crimes et délits punis d’au moins cinq ans de prison. C’est ainsi que tous les étrangers qui troublent la sécurité et la tranquillité publiques par une série d’actes qui oscillent entre l’incivilité et ce qu’on appelle maladroitement la « petite délinquance » passeraient entre les mailles du filet.
Enfin, les « méchants », ce sont aussi ceux qui tirent profit de l’immigration irrégulière, qui font l’objet de nouvelles dispositions pénales : renforcement de la répression relative à l’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger, et contre les marchands de sommeil notamment.
2.1 Une restriction des protections contre l’expulsion pour les étrangers menaçant gravement l’ordre public
Il ne faut pas confondre l’éloignement d’un étranger en situation irrégulière, qui n’est que la conséquence de la situation administrative de l’étranger au regard du droit du séjour, de l’expulsion d’un étranger – en situation régulière ou irrégulière – qui est une mesure de police administrative ne visant que les étrangers représentant une menace pour l’ordre public. En 2022, ont ainsi été éloignés un peu plus de 16 000 étrangers6, alors qu’ont été prononcés 341 arrêtés préfectoraux et ministériels d’expulsion (chiffre au 5 décembre 2022)7.
L’un des principaux objectifs du projet de loi, si l’on en croit la communication du ministre de l’Intérieur, est de faciliter l’expulsion des étrangers présentant une menace grave pour l’ordre public, alors qu’ils relèvent des catégories de ressortissants étrangers bénéficiant de protections particulières à raison de leur situation personnelle ou familiale en France8.
On peut légitimement s’étonner de ce qu’il puisse exister des « protections » pour empêcher l’expulsion des étrangers menaçant l’ordre public voire dont le comportement est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, autrement dit de ce que l’État semble plus soucieux de préserver le droit au séjour en France d’un étranger dangereux que la sécurité de ses propres citoyens sur le territoire national. C’est la conséquence d’une abondante jurisprudence, à la fois nationale (Conseil d’État et Conseil constitutionnel) et européenne (Cour européenne des droits de l’homme et, plus marginalement, Cour de justice de l’Union européenne), que le législateur s’est senti obligé d’intégrer au droit positif français.
On approuvera donc les dispositions du projet de loi qui visent à limiter ces protections dont bénéficient les étrangers qui troublent l’ordre public, tout en se demandant pourquoi le Gouvernement ne se décide pas à recourir à l’indispensable révision constitutionnelle qui lui permettrait de toutes les supprimer.
C’est l’article L631-1 du CESEDA qui pose le principe selon lequel : « L’autorité administrative peut décider d’expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l’ordre public ».
Les protections contre ce principe dont bénéficient les étrangers menaçant l’ordre public sont d’autant plus fortes que leur séjour sur le territoire national est ancien, et se traduisent par une menace à l’ordre publique qui doit être davantage caractérisée que le principe général posé à l’article L631-1.
Ainsi, l’article L631-2 ne permet l’expulsion d’un étranger parent d’enfant français mineur, conjoint de Français, résidant en France depuis plus de 10 ans ou titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle, que si son maintien sur le territoire national menace la sûreté de l’État ou la sécurité publique. Deux exceptions sont toutefois prévues à ces protections : l’étranger condamné à une peine d’emprisonnement ferme d’au moins cinq ans et l’étranger vivant en situation de polygamie.
L’article L631-3 va plus loin et ne permet l’expulsion de certains étrangers – résidant habituellement en France depuis l’âge de 13 ans ; depuis plus de 20 ans ; depuis plus de 10 ans et marié depuis 4 ans avec un Français ou un étranger vivant en France depuis l’âge de 13 ans ; depuis plus de 10 ans et parent d’un enfant français mineur ; étranger malade ne pouvant bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine – qu’en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence. Les étrangers visés à cet article L631-3 peuvent toutefois être éloignés s’ils vivent en situation de polygamie ou si les faits à l’origine de la décision d’expulsion ont été commis à l’encontre de son conjoint ou de ses enfants. En revanche, le CESEDA précise que, même condamné à une peine d’emprisonnement ferme d’au moins 5 ans, un étranger peut bénéficier des protections du présent article.
L’article 9 du projet de loi vient aménager ces protections, en étendant le champ des exceptions :
- les étrangers mentionnés à l’article L631-2 pourront faire l’objet d’une décision d’expulsion s’ils continuent à représenter une menace grave pour l’ordre public alors qu’ils ont été condamnés définitivement pour des crimes et délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ;
- les étrangers mentionnés à l’article L631-3 peuvent faire l’objet d’une décision d’expulsion s’ils continuent à représenter une menace grave pour l’ordre public alors qu’ils ont fait l’objet d’une condamnation définitive pour des crimes et délits punis d’au moins dix ans d’emprisonnement ou de cinq ans en réitération de crimes et délits punis de la même peine.
Ne négligeons pas le progrès que porte cette disposition : dans le droit actuel, c’est le critère de la peine de prison effectivement infligée par le juge qui est déterminant, tandis que dans le projet de loi, c’est la peine de prison encourue. Autrement dit, le juge, dont on peut supposer qu’il connaît le droit, pouvait toujours protéger un étranger menaçant la sûreté de l’État ou la sécurité publique d’une expulsion en le condamnant à une peine de prison ferme de moins de 5 ans, s’il bénéficie des protections prévues à l’article L631-2 CESEDA.
Toutefois, on déplorera que :
1/ La seule condamnation pour un crime ou délit puni d’au moins de 5 ans de prison ne constitue pas à soi seul un motif d’expulsion ; encore faut-il, à l’administration, prouver que l’étranger continue à représenter une menace grave pour l’ordre public. Un étranger peut donc être condamné pour un crime grave, puni de plus de 5 ans d’emprisonnement, sans que cela remette en cause de manière absolue son droit au séjour sur le territoire national. C’est là une conséquence du principe d’individualisation des peines.
2/ Pour tous les crimes et délits punis de moins de 5 ans de prison, l’étranger continue à bénéficier des protections des articles L631-2 et L631-3. Ainsi, en 2021, les étrangers représentent 74 % des mis en cause pour vols sans violence dans les transports en commun, une proportion qui atteint 93% en Île-de-France9. Or, le vol sans violences n’est puni que de 3 ans de prison10. Ces délits ne seront par conséquent pas suffisants pour motiver l’expulsion des étrangers condamnés s’ils bénéficient des protections prévues par la loi.
3/ Saisi d’une décision d’expulsion, le juge appréciera sa nécessité et sa proportionnalité, notamment à l’aune de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, qui protège le droit toute personne « au respect de la vie privée et familiale » et donné lieu à une abondante jurisprudence11. Le Conseil d’État révèle que le Gouvernement avait même prévu dans son projet de loi initial d’introduire, dans le CESEDA, un nouvel article L631-5 prévoyant que les décisions d’expulsion « prennent en compte de manière proportionnée au regard de la menace représentée par l’étranger les circonstances relatives à sa vie privée et familiale ». Même le très protecteur Conseil d’Etat estime, dans son avis (p. 10), que cette précaution est inutile et disjoint12 cette disposition.
La vie privée et familiale d’un étranger dangereux demeure donc davantage protégée par le droit que la sécurité des Français.
2.2 La délivrance et le renouvellement des titres de séjour soumis à de nouvelles exigences
L’article 13 du projet de loi modifie les conditions de délivrance et de renouvellement des titres de séjour. Il crée une obligation pour l’étranger demandant un titre de séjour de s’engager à respecter les principes de la République, dont le manquement est sanctionné par le refus, le non renouvellement ou le retrait de son titre.
Les dispositions du projet de loi sont les suivantes :
- Tout étranger qui sollicite un titre de séjour s’engage à respecter les principes suivants : liberté personnelle, liberté d’expression et de conscience, égalité entre les femmes et les hommes, dignité de la personne humaine, devise et symboles de la République, et à ne pas se prévaloir de ses croyances ou convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers, par exemple en refusant, au nom de sa religion, que son épouse soit examinée à l’hôpital par un médecin de sexe masculin, pour donner un exemple récurrent. Cette disposition, déjà prévue pour la carte de séjour pluriannuelle et la carte de résident, est étendue à la carte de séjour temporaire (annuelle). Toutefois, la délivrance de ce titre n’étant soumise à aucun prérequis linguistique, il est probable qu’un certain nombre d’étrangers signeront cet engagement sans en comprendre la lettre et encore moins l’esprit. Précisons qu’un décret en Conseil d’État doit venir préciser les modalités d’application de ces dispositions, mais il est peu probable qu’il précise que les agents en charge de la délivrance des titres doivent expliquer un à un ces principes au moment de la signature de l’engagement ; ce serait d’ailleurs inapplicable.
- S’agissant des conditions dans lesquelles les documents de séjour sont refusés, ne sont pas renouvelés ou sont retirés en cas de comportement de l’étranger manifestant qu’il ne respecte pas les principes mentionnés au point précédent, les dispositions prévues par le projet de loi se révèlent particulièrement restrictives : (i) les manquements doivent être caractérisés et leur gravité ou leur réitération conditionnent la décision ; (ii) cette dernière doit être motivée, prise après avis de la commission du titre de séjour – avis que l’autorité administrative est tenue de suivre lorsqu’il concerne une carte de résident.
Soumettre la délivrance et le renouvellement des titres de séjour à des exigences rehaussées est une intention louable certes, mais dont on peut douter très sérieusement de l’effet utile, en raison des conditions restrictives de l’application de ces nouvelles dispositions. Par ailleurs, si ces dernières s’appliquent à tous les documents de séjour prévus à l’article L411-1 du CESEDA, les ressortissants algériens en sont dispensés et restent exclusivement régis par l’accord franco-algérien de 1968. Ils représentent pourtant la deuxième nationalité bénéficiaire de premiers titres de séjour en 202213.
Enfin, l’article 13 du projet de loi modifie également les conditions de retrait et de non renouvellement de la carte de résident en cas de menace grave à l’ordre public, en alignant son régime sur celui des cartes de séjour temporaire et pluriannuelle, alors qu’actuellement, la carte de résident peut n’être retirée ou ne pas être renouvelée que dans des cas précis : commission d’infractions limitativement énumérées ou situation de polygamie par exemple.
Toutefois, cette disposition n’est pas un moyen absolu d’éloigner un étranger représentant une menace grave pour l’ordre public : s’il ne peut être effectivement reconduit dans son pays d’origine, ou même s’il bénéficie des protections contre l’expulsion dont nous avons déjà parlé, il verra simplement sa carte de résident « dégradée » en un titre de séjour moins favorable.
Comme précédemment, le respect par la République de la vie privée et familiale d’un étranger prime sur le respect par l’étranger des lois et valeurs de la République.
On comprend mieux, eu égard à la prudence du Gouvernement, pourquoi le Conseil d’État estime que ces dispositions ne se heurtent à aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel.
2.3 Le renforcement de la lutte contre l’exploitation des migrants
Alors que le Gouvernement se refuse à réintroduire un délit de séjour irrégulier, son projet de loi renforce la répression relative à l’aide directe ou indirecte à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger en France.
Son article 14 criminalise les infractions lorsqu’elles sont commises en bande organisée ou « dans des circonstances qui exposent directement les étrangers à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente », et les rend passibles de 15 ans de réclusion criminelle et 1 million d’euros d’amende. Les dirigeants ou organisateurs de tels réseaux seraient quant à eux passibles d’une peine de vingt ans de réclusion criminelle et 1,5 million d’euros d’amende.
L’article 15 du projet de loi renforce également la sévérité des peines prévues aux articles L511-22 et L521-4 du code de la construction et de l’habitation auxquelles s’exposent les « marchands de sommeil » qui louent des logements dangereux ou insalubres, lorsque les victimes sont des personnes vulnérables, notamment des étranger en situation irrégulière. Dans son avis (p. 16), le Conseil d’État note à ce sujet que « la portée limitée des sanctions pénales que l’on entend ainsi renforcer et les difficultés d’application qu’elles soulèvent ne peuvent que susciter des interrogations quant à l’apport de ces dispositions à la répression effective des faits susmentionnés ».
2.4 Lutter contre le recours au travail illégal et, « en même temps », régulariser les clandestins travaillant dans les métiers en tension
Enfin, toujours pour renforcer la lutte contre l’exploitation des migrants, l’article 8 du projet de loi crée une sanction administrative, prononcée par le préfet, en cas d’infraction à l’interdiction d’employer un étranger non autorisé à travailler en France, en complément des différentes sanctions administratives ou pénales visant à réprimer les infractions constitutives de travail illégal déjà existantes. L’amende, dont le montant maximal est de 4 000 euros, peut être appliquée autant de fois qu’il y a d’étrangers concernés par le manquement. Ces dispositions, introduites dans un nouvel article L8272-6 du code du travail, ont pour objet de dissuader de recourir au travail illégal en renforçant les sanctions encourues.
Cependant, l’article 3 du projet de loi crée, « en même temps », à titre expérimental jusqu’à fin 2026, une carte de séjour temporaire (CST) mention « travail dans les métiers en tension », valant autorisation de travail, d’une durée de validité d’un an. Pour bénéficier de cette nouvelle CST, le travailleur étranger devra justifier de deux conditions : d’une part, exercer et avoir exercé pendant au moins huit mois au cours des 24 derniers mois une activité professionnelle salariée dans un métier ou une zone géographique en tension ; d’autre part avoir résidé de manière ininterrompue en France pendant au moins trois ans. L’exposé des motifs du projet de loi (p. 9) précise que « ce nouveau titre permettra, durant la phase de son expérimentation, d’ouvrir une voie d’accès au séjour à la seule initiative du ressortissant étranger en situation irrégulière exerçant une activité salariée ».
Ainsi, dans le même projet de loi, le Gouvernement parvient à introduire à la fois une disposition visant à renforcer les sanctions contre le recours au travail illégal et une autre qui, en permettant la régularisation de certains travailleurs étrangers en situation irrégulière, pourrait bien avoir pour conséquence un recours accru au travail illégal, avec la perspective d’obtenir cette carte de séjour temporaire « métiers en tension ».
Bien loin de l’objectif de mieux contrôler l’immigration, ou même d’améliorer l’intégration, comme l’indique pourtant son intitulé, le projet de loi crée ainsi une nouvelle voie de régularisation des clandestins, donc une raison de plus de tenter d’entrer et de se maintenir irrégulièrement sur le territoire, alors même que l’article L 435-1 du CESEDA prévoit déjà un dispositif d’admission exceptionnelle au séjour (AES), qui n’est nullement remis en cause par le projet de loi, et qui permet la délivrance d’une CST portant les mentions « salarié », « travailleur temporaire » ou « vie privée et familiale » à l’étranger dépourvu de visa de long séjour, « dont l’admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu’il fait valoir ». D’après l’étude d’impact du projet de loi (p. 58), près de 10 000 régularisations ont été prononcées sur ce fondement en 2021, soit 17% des titres de séjour temporaires délivrés sur un fondement professionnel.
Le Conseil d’Etat indique pourtant qu’il sera plus simple, pour les étrangers en situation irrégulière, d’accéder à cette nouvelle CST « travail dans les métiers en tension » qu’à l’AES, qui est conditionnée à l’obtention d’une autorisation de travail, conformément aux règles de droit commun de l’emploi d’un salarié étranger (article L5221-5 du code du travail),.. Par ailleurs, contrairement à la CST « métiers en tension », l’AES nécessite la production par l’étranger en situation irrégulière d’une preuve de son investissement professionnel, qui prend la forme d’un formulaire CERFA rempli par son employeur.
3 – Intégration : exigences rehaussées, conséquences limitées
3.1 Le conditionnement de la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle à un niveau minimal de connaissance de la langue française
Le titre I du projet de loi a pour objectif d’« assurer une meilleure intégration des étrangers par le travail et la langue ». Sa mesure phare, introduite par l’article 1er du projet de loi, est le conditionnement de la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle (CSP) à un niveau minimal de connaissance de la langue française. La délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle est aujourd’hui soumise, en application des dispositions de l’article L433-4 du CESEDA, à la justification par l’étranger, d’une part qu’il continue de remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire dont il est titulaire et d’autre part qu’il a participé avec assiduité aux formations prévues dans le cadre du contrat d’intégration républicaine (CIR), notamment aux formations en langue française qui peuvent lui être prescrites en début de parcours s’il n’a pas, à son arrivée sur le territoire national, le niveau A1 du cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL), soit le niveau d’utilisateur élémentaire introductif ou de découverte14.
Or, environ un quart des étrangers signataires du CIR n’atteint pas ce niveau A1 à l’issue du parcours d’intégration républicaine, sans que cela fasse obstacle à la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle15, pourvu que l’étranger qui la demande ait suivi l’intégralité de la formation (ou qu’il soit en mesure de justifier ses absences).
Le projet de loi modifie l’article L433-4 du CESEDA pour exiger que l’étranger qui sollicite une carte de séjour pluriannuelle justifie d’une connaissance de la langue française au moins égale à un niveau déterminé par décret en Conseil d’Etat, tout en dispensant de cette exigence les étrangers dispensés du contrat d’intégration républicaine, notamment les bénéficiaires de la protection internationale qui se voient attribuer un titre de séjour de plein droit lié à leur statut, mais aussi les Algériens qui bénéficient du privilège exorbitant de l’accord franco-algérien de 1968 déjà évoqué.
Dans son avis sur le projet de loi (p. 4), le Conseil d’État révèle que le Gouvernement n’a pas souhaité indiquer à ce stade le niveau de langue retenu et que trois options demeurent envisagées :
- A1 (niveau d’utilisateur élémentaire introductif ou de découverte) ;
- A2 (niveau d’utilisateur élémentaire intermédiaire ou usuel), exigé pour une carte de résident ;
- B1 (niveau d’utilisateur indépendant), requis pour la naturalisation.
Si ce choix relève bien du pouvoir réglementaire, il aura un fort impact sur le nombre de cartes de séjour pluriannuelles délivrées chaque année. On peut pourtant douter que ce niveau minimal exigé soit supérieur au niveau A1 puisque c’est le niveau que visent les formations dispensées par l’OFII dans le cadre du CIR, et surtout que le niveau A2 est requis pour la délivrance de la carte de résident et le niveau B1 pour la naturalisation, dispositions que le projet de loi ne modifie pas. Or choisir un niveau supérieur au niveau A1 pour la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle aurait logiquement supposé de rehausser également les exigences au moins pour la délivrance de la carte de résident, plus protectrice, voire pour la naturalisation.
A titre de comparaison, l’Italie exige un niveau A2 après deux ans de séjour, qui peuvent être prolongés d’un an, avant que le titre de séjour soit retiré et que l’étranger puisse faire l’objet d’une mesure d’éloignement. L’Allemagne, l’Autriche et les Pays-Bas exigent une connaissance de la langue préalablement à l’installation sur leur territoire, a minima pour certaines catégories d’étrangers. Enfin, les ressortissants de pays tiers s’installant au Danemark doivent justifier du niveau A2 en danois, allemand, anglais, suédois ou norvégien pour obtenir leur visa et du niveau B1 pour se voir délivrer une carte de résident16.
Si c’est bien le niveau A1 qui est retenu par le pouvoir réglementaire comme niveau minimum requis pour la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle, la France restera l’un des pays les moins exigeants d’Europe. De plus, cette condition ne s’appliquera pas aux ressortissants algériens, qui représentent la deuxième nationalité bénéficiaire de premiers titres de séjour en 2022. Enfin, même les signataires du CIR qui n’atteindront pas, à l’issue de leur formation, le niveau A1 en français ne feront pas l’objet d’une mesure d’éloignement. Didier Leschi, directeur général de l’OFII, auditionné le 13 mars 2023 par la commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), rappelle que « ce n’est pas parce qu’on n’a pas de titre pluriannuel qu’on ne peut pas avoir de nouveau titre annuel. Il ne s’agit pas d’exclure les personnes du droit au séjour à travers cet objectif de langue »17.
Par conséquent, cette disposition pourrait bien ne pas avoir le moindre effet sur le flux d’étrangers légalement admis au séjour sur le territoire national chaque année, pas plus que sur les éloignements de ceux qui ne rempliraient pas ces nouvelles conditions.
3.2 Propositions pour une politique d’intégration
L’idée du Gouvernement n’est pourtant pas dépourvue de vertu : oui, la langue est une condition nécessaire – quoiqu’insuffisante – de l’intégration et a fortiori de l’assimilation. Rappelons au passage que cette dernière notion, que d’aucuns considèrent comme surannée, voire réactionnaire, est toujours bien présente dans notre droit positif, à l’article 21-24 du code civil qui dispose que :
« Nul ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société françaises, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret en Conseil d’Etat, et des droits et devoirs conférés par la nationalité française ainsi que par l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République. »
Le Gouvernement, encore une fois prisonnier de sa philosophie du « en même temps », n’est malheureusement pas allé au bout de sa démarche. Il aurait dû saisir l’opportunité de ce projet de loi pour réellement améliorer l’intégration, en rehaussant sensiblement ses exigences à l’endroit des étrangers désireux de s’établir en France, ainsi que l’ont fait ces dernières années la plupart de nos voisins européens, comme le rappellent les récentes notes de la Fondation pour l’innovation politique18.
Avant de proposer quelques lignes directrices pour une politique d’intégration, il convient de rappeler que l’intégration ne peut se faire que dans un contexte de flux migratoires maîtrisés : on peut douter que le projet de loi tel que présenté par le Gouvernement parvienne à atteindre cet objectif, pour la raison que la loi n’est pas le vecteur juridique approprié. L’exemple des protections contre l’expulsion des étrangers connus pour trouble à l’ordre public en témoigne. C’est d’une main tremblante que le Gouvernement propose de modifier à la marge les dispositions des articles L631-2 et L631-3 du CESEDA sans supprimer l’intégralité de ces protections.
Toute loi qui se donnerait pour objectif de contrôler effectivement l’immigration se heurterait à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui amènerait le Conseil d’État à disjoindre la plupart de ses dispositions, comme à celle du Conseil constitutionnel, qui ne manquerait pas de les censurer19. Le contrôle de l’immigration ne peut se passer d’une révision constitutionnelle.
Cela étant rappelé, s’agissant de la connaissance de la langue comme condition d’intégration, le projet de loi aurait dû aller beaucoup plus loin qu’il ne le fait, ne serait-ce que pour rapprocher les exigences françaises de celles des autres nations européennes, en posant dans la loi que cette condition doit :
- concerner l’ensemble des étrangers primo-arrivants, quelle que soit leur origine, qui ne peuvent justifier du niveau A1 à leur arrivée en France, à la seule exception des bénéficiaires de la protection internationale ; cela implique notamment de renégocier les accords franco-algériens de 1968 ou d’en dénoncer unilatéralement les dispositions ;
- emporter, si elle n’est pas remplie, la non délivrance ou le non renouvellement du titre de séjour et l’éloignement de l’étranger requérant du territoire national ;
- s’accompagner de la construction d’un programme d’intégration et d’assimilation (PIA) sur le long terme, avec un rehaussement de toutes les exigences requises pour la délivrance des différents titres de séjour et in fine pour la naturalisation.
Ce PIA pourrait être construit de la manière suivante :
1/ Tout étranger, à l’exception des bénéficiaires de la protection internationale, n’ayant pas le niveau A1 en français à son arrivée sur le territoire national ne peut se voir délivrer de carte de séjour temporaire (CST) d’un an que s’il signe la première partie d’un contrat d’intégration républicaine rénové (CIR 1) : un engagement d’un an à suivre des formations linguistiques et civiques et à respecter les lois et valeurs de la République, accompagné d’un examen final.
À l’expiration de sa CST, il ne peut se voir délivrer une carte de séjour pluriannuelle de 2 ans (CSP 2) que s’il a atteint le niveau A1, obtenu un emploi, n’a fait l’objet d’aucune condamnation ni manifesté de rejet des valeurs républicaines.
La CST n’est pas renouvelable. L’étranger n’ayant pas obtenu de carte de séjour pluriannuelle de 2 ans qui se maintient illégalement sur le territoire national fait l’objet d’une mesure d’éloignement.
2/ La délivrance de la carte de séjour pluriannuelle de 2 ans donne lieu à la signature de la seconde partie du CIR (CIR 2) : un engagement de deux ans pour atteindre, par ses propres moyens, le niveau A2 en français.
À l’issue de ces deux ans, l’étranger ayant atteint le niveau A2, toujours en emploi et n’ayant fait l’objet d’aucune condamnation ni manifesté de rejet des valeurs républicaines peut se voir délivrer une carte de séjour pluriannuelle de 4 ans (CSP 4). La carte de séjour pluriannuelle de 2 ans n’est pas renouvelable. L’étranger n’ayant pas obtenu de carte de séjour pluriannuelle de 4 ans qui se maintient illégalement sur le territoire national fait l’objet d’une mesure d’éloignement.
3/ A l’expiration de la carte de séjour pluriannuelle de 4 ans, soit après 7 ans de présence régulière sur le territoire national, son titulaire peut obtenir une carte de résident, valable 10 ans, s’il justifie d’un niveau B1 en français, est toujours en emploi et n’a fait l’objet d’aucune condamnation ni manifesté de rejet des valeurs républicaines. L’étranger qui, n’ayant pas atteint le niveau B1 en français, remplit toujours les conditions requises, peut solliciter le renouvellement de sa CSP 4. S’il ne remplit plus ces conditions, il fait l’objet d’une mesure d’éloignement.
La carte de résident est renouvelable si son titulaire remplit toujours les conditions requises.
4/ Alors qu’aujourd’hui la naturalisation est ouverte aux étrangers pouvant justifier de cinq ans de présence régulière sur le territoire national (voire moins dans certains cas) et qu’il suffit d’avoir le niveau B1 en français, la réforme proposée des conditions de délivrance des titres de séjour devrait avoir pour conséquence des exigences supplémentaires pour la naturalisation : 10 ans de séjour régulier sur le territoire national et niveau C1 en français (en plus des autres conditions déjà requises).
Séjour régulier sur le territoire national | Droit au séjour / acquisition de la nationalité française | Conditions de délivrance du titre ou d’acquisition de la nationalité française |
Carte de séjour temporaire (CST), valable un an, non renouvelable | -Aucune condamnation -Signature de la 1e partie du CIR | |
1 année | Carte de séjour pluriannuelle de 2 ans (CSP 2), non renouvelable | -Niveau A1 en français -Obtention d’un emploi -Aucune condamnation ni rejet manifeste des valeurs de la République -Signature de la 2e partie du CIR |
3 années | Carte de séjour pluriannuelle de 4 ans (CSP 4), non renouvelable | -Niveau A2 en français -Obtention d’un emploi -Aucune condamnation ni rejet manifeste des valeurs de la République |
7 années | Carte de résident, renouvelable | -Niveau B1 en français -Emploi -Aucune condamnation ni rejet manifeste des valeurs de la République |
10 années | Naturalisation | -Niveau C1 en français ; -Connaissance de l’histoire, de la culture de la société françaises -Avoir des ressources suffisantes et stables -Avoir en France le centre de ses intérêts matériels et liens familiaux -Aucune condamnation ni rejet manifeste des valeurs de la République |
Conclusion
Le totem du « en même temps » a pour inéluctable conséquence le tabou de l’efficacité. Sans nier les avancées certaines qu’apporte ce projet de loi, aussi bien du point de vue technique par sa rationalisation du droit de l’asile et du contentieux des étrangers, que du point de vue politique, s’agissant notamment de faciliter l’expulsion des étrangers les plus dangereux ou de rehausser les exigences requises pour la délivrance et le renouvellement des titres de séjour, le texte du Gouvernement manque d’ambition aussi bien en matière de contrôle de l’immigration que de renforcement de l’intégration.
Ce sont finalement ses angles morts qui en disent le plus long, notamment sur deux enjeux majeurs des politiques d’immigration et d’intégration.
D’une part, le projet de loi ne touche pas, du moins à ce stade, à l’immigration familiale, alors même que le motif familial est le second motif de délivrance des premiers titres de séjour en 2022 : plus de 90000 des 320000 premiers titres de séjour délivrés l’an passé l’ont été sur ce fondement, soit une hausse de 4,6 % par rapport à 202120. Ayons toutefois l’honnêteté de reconnaître qu’il est difficile de s’attaquer à l’immigration familiale dans un simple vecteur législatif tant la jurisprudence constitutionnelle et européenne la protège : le Conseil d’État aurait probablement disjoint des dispositions visant à contenir sérieusement l’immigration familiale. Et, même s’il était passé outre, le Conseil constitutionnel les aurait encore plus probablement censurées. Aussi, seules une révision constitutionnelle, accompagnée d’une renégociation, voire d’une dénonciation, de certaines dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme (et d’autres accords internationaux comme les accords franco-algériens de 1968) seraient en mesure de permettre à la France de réellement contenir cette immigration. Il faudra bien y venir car l’immigration familiale est celle qui exige le moins de conditions et pose le plus de problèmes d’intégration. L’auteur de la note de la Fondapol sur les politiques d’immigration en Europe rappelle que l’accès au regroupement familial est plus facile en France que chez la plupart de nos voisins européens. Ainsi, contrairement à l’Autriche ou au Danemark, la France ne conditionne pas le regroupement familial à des critères d’âge, ou même à la maîtrise du français, ni pour l’étranger résident, ni pour sa famille, tandis que le montant des ressources financières requises est plus faible en France21.
D’autre part, et c’est peut-être encore plus grave, le projet de loi ne dit pas un mot du droit de la nationalité, alors que 78 711 étrangers ont acquis la nationalité française en 2022, dont 60 556 par décret de naturalisation. Certes, ce chiffre est en baisse de 16,3 % par rapport en 2021, année record où plus de 94 000 étrangers avaient acquis la nationalité française – un chiffre dû en partie aux plus de 20 000 étrangers naturalisés au titre de leur « engagement » pendant la crise sanitaire, grâce à une instruction de la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté22. Rappelons que la naturalisation est un mode parmi d’autres d’acquisition de la nationalité, qui n’est pas automatique mais accordée sous certaines conditions. Or, là encore, au sein de l’Union européenne, la France est l’un des pays où l’acquisition de la nationalité est la plus facile, qu’il s’agisse de la durée de séjour demandée (5 ans en France contre 10 ans en Autriche et en Italie, 9 ans au Danemark ou 8 ans en Allemagne), du niveau de langue requis (B1 en France contre B2 au Danemark par exemple), ou des ressources nécessaires. Cependant, le droit de la nationalité est une compétence strictement nationale, qui n’est que très peu soumise à la jurisprudence européenne. Rien n’interdit donc à la France de rehausser ses exigences, au moins pour s’aligner sur ce que font les autres États européens, et réduire ainsi le nombre d’étrangers accédant à la nationalité française sans qu’on puisse considérer qu’ils remplissent effectivement la condition générale fixée à l’article 21-24 du code civil : l’assimilation à la communauté française. Le programme d’intégration et d’assimilation proposé ci-dessus s’inscrit dans cet objectif.
Notes
- Propos tenus le 2 novembre 2022 ↩︎
- https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Chiffres-cles-sejour-visas-eloignements-asile-acces-a-la-nationalite/Les-chiffres-2022-publication-annuelle-parue-le-26-janvier-2023 ↩︎
- https://frontex.europa.eu/media-centre/news/news-release/eu-s-external-borders-in-2022-number-of-irregular-border-crossings-highest-since-2016-YsAZ29 ↩︎
- https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Chiffres-cles-sejour-visas-eloignements-asile-acces-a-la-nationalite/Les-chiffres-2022-publication-annuelle-parue-le-26-janvier-2023 ↩︎
- Source : https://www.legavox.fr/blog/me-enam-avocat/decembre-2012-supprime-delit-sejour-10767.htm ↩︎
- https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Chiffres-cles-sejour-visas-eloignements-asile-acces-a-la-nationalite/Les-chiffres-2022-publication-annuelle-parue-le-26-janvier-2023 ↩︎
- étude d’impact du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (p. 107) ↩︎
- Rappel du droit en vigueur en matière d’expulsion des étrangers :
Article L631-1 du CESEDA : L’autorité administrative peut décider d’expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l’ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L631-2 et L631-3.
Article L631-2 du CESEDA : Ne peut faire l’objet d’une décision d’expulsion que si elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou la sécurité publique et sous réserve que l’article L631-3 n’y fasse pas obstacle :
1° L’étranger qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant (…) depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ;
2° L’étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ;
3° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s’il a été pendant toute cette période titulaire d’une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention « étudiant » ;
4° L’étranger titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d’incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 %.
Par dérogation au présent article, l’étranger mentionné aux 1° à 4° peut faire l’objet d’une décision d’expulsion en application de l’article L. 631-1 s’il a été condamné définitivement à une peine d’emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans.
Par dérogation au présent article, l’étranger mentionné aux 1° à 4° peut faire l’objet d’une décision d’expulsion s’il vit en France en état de polygamie.
Article L631-3 du CESEDA : Ne peut faire l’objet d’une décision d’expulsion qu’en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes :
1° L’étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans ;
2° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;
3° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est marié depuis au moins quatre ans soit avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française, soit avec un ressortissant étranger relevant du 1°, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessée depuis le mariage ;
4° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant (…) depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ;
5° L’étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié.
Par dérogation au présent article, l’étranger mentionné aux 1° à 5° peut faire l’objet d’une décision d’expulsion s’il vit en France en état de polygamie.
Par dérogation au présent article, l’étranger mentionné aux 3° et 4° peut faire l’objet d’une décision d’expulsion en application des articles L. 631-1 ou L. 631-2 lorsque les faits à l’origine de la décision d’expulsion ont été commis à l’encontre de son conjoint ou de ses enfants ou de tout enfant sur lequel il exerce l’autorité parentale.
La circonstance qu’un étranger mentionné aux 1° à 5° a été condamné définitivement à une peine d’emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans ne fait pas obstacle à ce qu’il bénéficie des dispositions du présent article. ↩︎ - https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Les-vols-et-violences-enregistres-dans-les-reseaux-de-transports-en-commun-en-2021-Interstats-Analyse-N-48 ↩︎
- Article 311-3 du code pénal ↩︎
- « Politiques d’immigration : le gouvernement des juges? », Observatoire de l’immigration et de la démographie (https://observatoire-immigration.fr/wp-content/uploads/2023/02/Note-OID-Politiques-dimmigration-Le-gouvernement-des-juges.pdf ) ↩︎
- La disjonction consiste en une proposition de rejet d’une disposition dans l’avis donné par le Conseil d’État, qui considère qu’elle est juridiquement irrégulière. ↩︎
- https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Chiffres-cles-sejour-visas-eloignements-asile-acces-a-la-nationalite/Les-chiffres-2022-publication-annuelle-parue-le-26-janvier-2023 ↩︎
- https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F34739 ↩︎
- étude d’impact du projet de loi (p. 46) ↩︎
- étude d’impact du projet de loi (p. 44 à 46) ↩︎
- https://www.lefigaro.fr/politique/loi-immigration-echouer-a-l-examen-de-francais-ne-sera-pas-synonyme-d-expulsion-selon-l-ofii-20230313 ↩︎
- « La politique danoise d’immigration: une fermeture consensuelle » (https://www.fondapol.org/etude/la-politique-danoise-dimmigration-une-fermeture-consensuelle/) et « Immigration : comment font les Etats européens » (https://www.fondapol.org/etude/immigration-comment-font-les-etats-europeens/ ) ↩︎
- « Politiques d’immigration: le gouvernement des juges? », Observatoire de l’immigration et de la démographie (https://observatoire-immigration.fr/wp-content/uploads/2023/02/Note-OID-Politiques-dimmigration-Le-gouvernement-des-juges.pdf ) ↩︎
- https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Chiffres-cles-sejour-visas-eloignements-asile-acces-a-la-nationalite/Les-chiffres-2022-publication-annuelle-parue-le-26-janvier-2023 ↩︎
- https://www.lefigaro.fr/vox/societe/victor-delage-le-regroupement-familial-en-france-est-plus-facile-en-france-que-chez-la-plupart-de-nos-voisins-20230315 ↩︎
- https://www.lefigaro.fr/social/covid-19-25-000-travailleurs-etrangers-en-premiere-ligne-ont-ete-naturalises-annonce-schiappa-20230128 ↩︎
Introduction
Le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » se veut construit tout entier autour du paradigme macronien du « en même temps », mis en valeur par l’étrange asyndète de son titre, comme pour mieux souligner que les deux termes étaient absolument indissociables : contrôler l’immigration et en même temps améliorer l’intégration ; une loi défendue par un ministre de droite et en même temps par un ministre de gauche ; éloigner les étrangers en situation irrégulière connus pour trouble à l’ordre public et en même temps régulariser les clandestins employés dans certains secteurs d’activité. Bref, fermeté et en même temps humanité. Un paradigme qu’en l’espèce, le ministre de l’Intérieur a résumé dans une formule enfantine : « être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants »1.
Il est presque dommage pour le gouvernement de s’être à ce point enfermé dans cette caricature, car si le projet de loi contient bien des mesures politiques s’adressant à la fois à la droite – pour renforcer le contrôle des frontières et éloigner les étrangers qui n’ont pas leur place dans notre pays – et à la gauche – pour améliorer l’intégration des étrangers admis au séjour et même régulariser les clandestins employés dans les métiers dits « en tension », il contient aussi un certain nombre de mesures techniques importantes, relatives notamment à l’asile et au contentieux des étrangers, dont l’objectif ne répond à aucune des deux parties de son intitulé, mais tout simplement à un légitime souci de bonne gestion publique et de bonne administration de la justice.
1- Des mesures techniques bienvenues en matière d’asile et de contentieux des étrangers
Commençons par ces mesures techniques, contenues dans les titres IV et V : la réforme du système de l’asile et la simplification des règles du contentieux des étrangers.
1.1 La réforme du système de l’asile
C’est une nécessité qui répond tant à des considérations de bonne administration que d’humanité à l’égard des demandeurs.
- L’article 19 du projet de loi crée des pôles territoriaux, dits « France Asile », regroupant au sein d’un guichet unique les services des préfectures responsables de l’enregistrement de la demande, ceux de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) chargés d’accorder les conditions matérielles d’accueil (CMA) et des agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) chargés de l’introduction de la demande.
- L’article 20 du projet de loi modifie l’organisation et le fonctionnement de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) :
- création de chambres territoriales, ce qui rééquilibrera le traitement du contentieux de l’asile sur le territoire et, par la même occasion, mettra un terme au monopole des avocats du barreau de Paris dans la défense des déboutés de l’OFPRA ;
- spécialisation des chambres en fonction du pays d’origine et des langues utilisées, afin que les décisions soient rendues à l’aune d’une connaissance plus fine des enjeux culturels, politiques, stratégiques des grandes régions de provenance des demandeurs d’asile ;
- modification du mode de désignation de certains membres des formations de jugement : le projet de loi prévoit que la personnalité qualifiée nommée pour siéger au sein des formations de jugement par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) sur avis conforme du vice-président du Conseil d’État soit à l’avenir nommée par le vice-président du Conseil d’État sur proposition du HCR. Les associations de défense des migrants y verront un recul des garanties apportées aux demandeurs d’asile déboutés par l’OFPRA, le HCR étant considéré comme leur étant davantage favorable. C’est oublier que la jurisprudence du Conseil d’État en matière de droit du séjour des étrangers comme de droit d’asile est particulièrement protectrice.
- recours accru au juge unique : le projet de loi propose de faire du juge unique la formation compétente de droit commun, le renvoi en formation collégiale étant possible à l’initiative du président de la CNDA ou de la formation de jugement désigné, ou à la demande du requérant, si l’affaire pose une question qui le justifie. Aujourd’hui, le recours au juge unique n’existe que lorsque la décision de l’OFPRA a été prise selon la procédure accélérée ou constitue une décision d’irrecevabilité. Le Conseil d’État relève que non seulement cette disposition ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel mais aussi qu’elle est susceptible d’améliorer le fonctionnement de la juridiction. Cependant, là encore, les associations immigrationnistes y verront sans aucun doute un grave recul des droits des demandeurs, une atteinte au droit au recours effectif, voire la remise en cause du droit à un procès équitable.
Il est difficile de considérer que ces mesures puissent avoir le moindre impact sur le contrôle de l’immigration ou l’intégration des étrangers. Il s’agit là de mesures techniques relevant d’une bonne administration, qui doivent permettre de mieux traiter les demandes d’asile, eu égard à leur irrésistible progression ces dernières années : 96 424 demandes d’asile enregistrées à l’OFPRA en 2020 (un chiffre particulièrement bas par rapport à l’année 2019, où il dépassait les 138 000, en raison de la crise sanitaire) ; 103 164 en 2021 ; 130 933 en 20222.
On pourrait même considérer que, devant permettre un examen plus rapide des demandes, les mesures inscrites dans le projet de loi permettront aux demandeurs d’asile qui le justifient au regard du droit d’être protégés plus rapidement.
On observera simplement, avec le Conseil d’État, que certaines de ces dispositions – création des pôles France Asile, spécialisation de la CNDA – relèvent de la compétence réglementaire d’organisation des services davantage que du pouvoir législatif.
1.2 La simplification du contentieux des étrangers
Le contentieux des étrangers est directement lié à la mise en œuvre des politiques publiques d’immigration et d’asile, dans un contexte marqué par une explosion de la pression migratoire aux frontières extérieures de l’Union européenne : le nombre d’entrées irrégulières a ainsi progressé de 64 % entre 2021 et 2022, pour s’établir l’an passé à plus de 330 000 franchissements irréguliers3. L’augmentation des flux migratoires irréguliers a pour conséquence l’augmentation des décisions administratives édictées à l’encontre des étrangers en situation irrégulière, et par la suite contestées par eux.
Aussi, là encore, la simplification des procédures applicables au contentieux des décisions relatives à l’entrée, au séjour et à l’éloignement des étrangers qu’introduit le projet de loi est bienvenue.
1.2.1 Les procédures applicables devant le juge administratif
Alors qu’existent actuellement une douzaine de procédures spéciales, dispersées dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), l’article 21 du projet de loi crée dans la partie législative de ce code un livre IX relatif aux procédures contentieuses devant le juge administratif, qui définit quatre procédures juridictionnelles spéciales :
- une procédure collégiale qui comporte un délai de recours d’un mois et un délai de jugement de six mois, qui s’applique aux OQTF avec délai de départ volontaire (1) ;
- trois procédures à juge unique qui se distinguent par les délais de recours et de jugement :
- délai de recours de 72 heures et délai de jugement de 6 semaines (2) ;
- délai de recours de 7 jours et délai de jugement de 15 jours (3) ;
- délai de recours de 48 heures et délai de jugement de 96 heures (4).
L’objectif de cette nouvelle architecture contentieuse est de prioriser l’intervention du juge administratif en fonction de la nature des décisions contestées.
Ainsi, pour les obligations de quitter le territoire français (OQTF) sans délai de départ volontaire, qui représentent la grande majorité des OQTF dont les étrangers détenus font l’objet, les dispositions actuellement en vigueur, qui prévoient un délai de recours de 48 heures et un délai de jugement de 6 semaines ou de 3 mois selon le fondement juridique de la décision, sont remplacées par la procédure (2).
S’agissant des OQTF avec assignation à résidence, de même que les OQTF adressées aux demandeurs d’asile définitivement déboutés, le projet de loi prévoit qu’elles relèvent de la procédure (3), tandis que le contentieux des OQTF avec placement en rétention sera traité suivant la procédure (4).
Certes, ces dispositions doivent permettre d’obtenir une décision définitive plus rapide, mais on peut douter qu’elles aient le moindre effet sur l’éloignement effectif des étrangers en situation irrégulière sous OQTF, qui dépend du bon vouloir des pays d’origine. Ainsi, en 2021, plus de 120 000 OQTF ont été prononcées pour moins de 15 000 éloignements (spontanés, aidés et forcés)4.
À cet égard, il est à craindre que l’article 10 du projet de loi, qui modifie notamment l’article L611-3 du CESEDA pour permettre de prendre une OQTF à l’endroit de différentes catégories d’étrangers qui en sont jusqu’à présent protégés (à l’exception des mineurs), si leur comportement constitue une menace grave pour l’ordre public, soit également sans grand effet sur leur maintien effectif sur le territoire national.
1.2.2 Tenue de l’audience en dehors du tribunal et recours à la vidéo-audience
Comme pour le recours au juge unique devant la CNDA, l’article 24 du projet de loi inverse le principe et l’exception jusqu’ici applicables et prévoit que, lorsque l’étranger est placé ou maintenu en zone d’attente ou en rétention administrative, l’audience se tient en principe « dans la salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate » de la zone d’attente ou du lieu de rétention. Ce n’est que par exception (salle indisponible par exemple) que l’audience peut se tenir au tribunal. Il prévoit par ailleurs la possibilité pour le juge des libertés et de la détention de siéger pour ce qui le concerne au tribunal judiciaire, l’audience se tenant alors par vidéo-conférence.
Le Conseil d’État relève que ces dispositions ne paraissent pas se heurter à un obstacle de nature constitutionnelle ou conventionnelle, notamment au droit à un procès équitable, qui suppose que le justiciable puisse participer de manière personnelle et effective au procès.
C’est là encore une mesure technique qui relève de la bonne administration de la justice et du bon usage des deniers publics, a priori sans effet ni sur la maîtrise des flux migratoires, ni sur l’exécution des OQTF. Elle sera pourtant très probablement contestée.
1.2.3 Jugement des requêtes aux fins de maintien en zone d’attente
L’article L342-5 CESEDA dispose que, pour les jugements de la requête aux fins de maintien en zone d’attente de l’étranger au-delà de quatre jours à compter de la décision de placement initiale, le juge des libertés et de la détention dispose en principe d’un délai de 24 heures qui ne peut, en l’état du droit, être porté à 48 heures que lorsque les nécessités de l’instruction l’imposent. L’article 25 du projet de loi ajoute un second motif, inspiré par le fiasco de l’accueil de l’Ocean Viking, tenant au « placement en zone d’attente simultané d’un nombre important d’étrangers au regard des contraintes du service juridictionnel ».
Rappelons que, le 11 novembre 2022, le navire Ocean Viking, affrété par l’ONG SOS Méditerranée, a été autorisé par les autorités françaises à accoster au port de la base militaire de Toulon, transportant à son bord 234 personnes, dont la plupart a finalement été remis en liberté, faute pour le juge d’avoir pu statuer en temps utile sur leur maintien en zone d’attente au-delà de quatre jours.
Cette disposition appelle deux remarques, ou plutôt deux questions. D’une part, que se passera-t-il lorsque le nombre de migrants débarquant simultanément sera tel que même 48 heures ne suffiront pas à statuer sur les requêtes ? D’autre part, le fait pour le Gouvernement d’introduire une telle disposition ne signifie-t-il pas tout simplement qu’il a définitivement renoncé à faire preuve de la même fermeté qu’en 2018, quand il avait refusé le débarquement des migrants de l’Aquarius sur le territoire national ? Autrement dit, se prépare-t-il à devoir gérer de nouvelles arrivées massives de migrants ?
Le projet de loi est donc loin de tenir tout entier dans son titre « contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ». Il porte également d’importantes évolutions du système de l’asile et du contentieux des étrangers, qui répondent à un légitime souci de bonne gestion publique et de bonne administration de la justice. Ces mesures, pourtant techniques, seront très probablement attaquées par l’écosystème associatif militant.
2 – (Un peu plus) « méchant avec les méchants »
Qui sont les « méchants » dont parle le ministre de l’Intérieur?
Il ne s’agit pas tant des étrangers en situation irrégulière, à l’endroit desquels le texte du Gouvernement ne prévoit pas de rétablir le délit de séjour irrégulier. Ce dernier a été supprimé par la loi du 31 décembre 2012, abrogeant l’article du CESEDA qui prévoyait une peine d’emprisonnement d’un an et une amende de 3 750 euros pour tout étranger qui séjourne en France sans respecter les conditions fixées par la loi ou qui s’est maintenu sur le territoire national au-delà de la durée autorisée par son visa5.
Les « méchants », ce sont avant tout les étrangers, en situation régulière ou non, représentant une « menace grave pour l’ordre public ». On ne peut qu’approuver cette ligne. Chaque terme pourtant est important, et notamment l’adjectif « grave », qui revient à pas moins de dix occurrences – menace grave ou atteinte grave – dans le texte transmis au Sénat par le Gouvernement. En effet, ce n’est pas le fait que l’étranger représente une menace à l’ordre public qui commande les mesures à mettre en œuvre à son endroit, mais bien la gravité de cette menace. Celle-ci semble déterminée selon la peine encourue : la gravité suffisante commencerait aux crimes et délits punis d’au moins cinq ans de prison. C’est ainsi que tous les étrangers qui troublent la sécurité et la tranquillité publiques par une série d’actes qui oscillent entre l’incivilité et ce qu’on appelle maladroitement la « petite délinquance » passeraient entre les mailles du filet.
Enfin, les « méchants », ce sont aussi ceux qui tirent profit de l’immigration irrégulière, qui font l’objet de nouvelles dispositions pénales : renforcement de la répression relative à l’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger, et contre les marchands de sommeil notamment.
2.1 Une restriction des protections contre l’expulsion pour les étrangers menaçant gravement l’ordre public
Il ne faut pas confondre l’éloignement d’un étranger en situation irrégulière, qui n’est que la conséquence de la situation administrative de l’étranger au regard du droit du séjour, de l’expulsion d’un étranger – en situation régulière ou irrégulière – qui est une mesure de police administrative ne visant que les étrangers représentant une menace pour l’ordre public. En 2022, ont ainsi été éloignés un peu plus de 16 000 étrangers6, alors qu’ont été prononcés 341 arrêtés préfectoraux et ministériels d’expulsion (chiffre au 5 décembre 2022)7.
L’un des principaux objectifs du projet de loi, si l’on en croit la communication du ministre de l’Intérieur, est de faciliter l’expulsion des étrangers présentant une menace grave pour l’ordre public, alors qu’ils relèvent des catégories de ressortissants étrangers bénéficiant de protections particulières à raison de leur situation personnelle ou familiale en France8.
On peut légitimement s’étonner de ce qu’il puisse exister des « protections » pour empêcher l’expulsion des étrangers menaçant l’ordre public voire dont le comportement est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, autrement dit de ce que l’État semble plus soucieux de préserver le droit au séjour en France d’un étranger dangereux que la sécurité de ses propres citoyens sur le territoire national. C’est la conséquence d’une abondante jurisprudence, à la fois nationale (Conseil d’État et Conseil constitutionnel) et européenne (Cour européenne des droits de l’homme et, plus marginalement, Cour de justice de l’Union européenne), que le législateur s’est senti obligé d’intégrer au droit positif français.
On approuvera donc les dispositions du projet de loi qui visent à limiter ces protections dont bénéficient les étrangers qui troublent l’ordre public, tout en se demandant pourquoi le Gouvernement ne se décide pas à recourir à l’indispensable révision constitutionnelle qui lui permettrait de toutes les supprimer.
C’est l’article L631-1 du CESEDA qui pose le principe selon lequel : « L’autorité administrative peut décider d’expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l’ordre public ».
Les protections contre ce principe dont bénéficient les étrangers menaçant l’ordre public sont d’autant plus fortes que leur séjour sur le territoire national est ancien, et se traduisent par une menace à l’ordre publique qui doit être davantage caractérisée que le principe général posé à l’article L631-1.
Ainsi, l’article L631-2 ne permet l’expulsion d’un étranger parent d’enfant français mineur, conjoint de Français, résidant en France depuis plus de 10 ans ou titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle, que si son maintien sur le territoire national menace la sûreté de l’État ou la sécurité publique. Deux exceptions sont toutefois prévues à ces protections : l’étranger condamné à une peine d’emprisonnement ferme d’au moins cinq ans et l’étranger vivant en situation de polygamie.
L’article L631-3 va plus loin et ne permet l’expulsion de certains étrangers – résidant habituellement en France depuis l’âge de 13 ans ; depuis plus de 20 ans ; depuis plus de 10 ans et marié depuis 4 ans avec un Français ou un étranger vivant en France depuis l’âge de 13 ans ; depuis plus de 10 ans et parent d’un enfant français mineur ; étranger malade ne pouvant bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine – qu’en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence. Les étrangers visés à cet article L631-3 peuvent toutefois être éloignés s’ils vivent en situation de polygamie ou si les faits à l’origine de la décision d’expulsion ont été commis à l’encontre de son conjoint ou de ses enfants. En revanche, le CESEDA précise que, même condamné à une peine d’emprisonnement ferme d’au moins 5 ans, un étranger peut bénéficier des protections du présent article.
L’article 9 du projet de loi vient aménager ces protections, en étendant le champ des exceptions :
- les étrangers mentionnés à l’article L631-2 pourront faire l’objet d’une décision d’expulsion s’ils continuent à représenter une menace grave pour l’ordre public alors qu’ils ont été condamnés définitivement pour des crimes et délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ;
- les étrangers mentionnés à l’article L631-3 peuvent faire l’objet d’une décision d’expulsion s’ils continuent à représenter une menace grave pour l’ordre public alors qu’ils ont fait l’objet d’une condamnation définitive pour des crimes et délits punis d’au moins dix ans d’emprisonnement ou de cinq ans en réitération de crimes et délits punis de la même peine.
Ne négligeons pas le progrès que porte cette disposition : dans le droit actuel, c’est le critère de la peine de prison effectivement infligée par le juge qui est déterminant, tandis que dans le projet de loi, c’est la peine de prison encourue. Autrement dit, le juge, dont on peut supposer qu’il connaît le droit, pouvait toujours protéger un étranger menaçant la sûreté de l’État ou la sécurité publique d’une expulsion en le condamnant à une peine de prison ferme de moins de 5 ans, s’il bénéficie des protections prévues à l’article L631-2 CESEDA.
Toutefois, on déplorera que :
1/ La seule condamnation pour un crime ou délit puni d’au moins de 5 ans de prison ne constitue pas à soi seul un motif d’expulsion ; encore faut-il, à l’administration, prouver que l’étranger continue à représenter une menace grave pour l’ordre public. Un étranger peut donc être condamné pour un crime grave, puni de plus de 5 ans d’emprisonnement, sans que cela remette en cause de manière absolue son droit au séjour sur le territoire national. C’est là une conséquence du principe d’individualisation des peines.
2/ Pour tous les crimes et délits punis de moins de 5 ans de prison, l’étranger continue à bénéficier des protections des articles L631-2 et L631-3. Ainsi, en 2021, les étrangers représentent 74 % des mis en cause pour vols sans violence dans les transports en commun, une proportion qui atteint 93% en Île-de-France9. Or, le vol sans violences n’est puni que de 3 ans de prison10. Ces délits ne seront par conséquent pas suffisants pour motiver l’expulsion des étrangers condamnés s’ils bénéficient des protections prévues par la loi.
3/ Saisi d’une décision d’expulsion, le juge appréciera sa nécessité et sa proportionnalité, notamment à l’aune de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, qui protège le droit toute personne « au respect de la vie privée et familiale » et donné lieu à une abondante jurisprudence11. Le Conseil d’État révèle que le Gouvernement avait même prévu dans son projet de loi initial d’introduire, dans le CESEDA, un nouvel article L631-5 prévoyant que les décisions d’expulsion « prennent en compte de manière proportionnée au regard de la menace représentée par l’étranger les circonstances relatives à sa vie privée et familiale ». Même le très protecteur Conseil d’Etat estime, dans son avis (p. 10), que cette précaution est inutile et disjoint12 cette disposition.
La vie privée et familiale d’un étranger dangereux demeure donc davantage protégée par le droit que la sécurité des Français.
2.2 La délivrance et le renouvellement des titres de séjour soumis à de nouvelles exigences
L’article 13 du projet de loi modifie les conditions de délivrance et de renouvellement des titres de séjour. Il crée une obligation pour l’étranger demandant un titre de séjour de s’engager à respecter les principes de la République, dont le manquement est sanctionné par le refus, le non renouvellement ou le retrait de son titre.
Les dispositions du projet de loi sont les suivantes :
- Tout étranger qui sollicite un titre de séjour s’engage à respecter les principes suivants : liberté personnelle, liberté d’expression et de conscience, égalité entre les femmes et les hommes, dignité de la personne humaine, devise et symboles de la République, et à ne pas se prévaloir de ses croyances ou convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers, par exemple en refusant, au nom de sa religion, que son épouse soit examinée à l’hôpital par un médecin de sexe masculin, pour donner un exemple récurrent. Cette disposition, déjà prévue pour la carte de séjour pluriannuelle et la carte de résident, est étendue à la carte de séjour temporaire (annuelle). Toutefois, la délivrance de ce titre n’étant soumise à aucun prérequis linguistique, il est probable qu’un certain nombre d’étrangers signeront cet engagement sans en comprendre la lettre et encore moins l’esprit. Précisons qu’un décret en Conseil d’État doit venir préciser les modalités d’application de ces dispositions, mais il est peu probable qu’il précise que les agents en charge de la délivrance des titres doivent expliquer un à un ces principes au moment de la signature de l’engagement ; ce serait d’ailleurs inapplicable.
- S’agissant des conditions dans lesquelles les documents de séjour sont refusés, ne sont pas renouvelés ou sont retirés en cas de comportement de l’étranger manifestant qu’il ne respecte pas les principes mentionnés au point précédent, les dispositions prévues par le projet de loi se révèlent particulièrement restrictives : (i) les manquements doivent être caractérisés et leur gravité ou leur réitération conditionnent la décision ; (ii) cette dernière doit être motivée, prise après avis de la commission du titre de séjour – avis que l’autorité administrative est tenue de suivre lorsqu’il concerne une carte de résident.
Soumettre la délivrance et le renouvellement des titres de séjour à des exigences rehaussées est une intention louable certes, mais dont on peut douter très sérieusement de l’effet utile, en raison des conditions restrictives de l’application de ces nouvelles dispositions. Par ailleurs, si ces dernières s’appliquent à tous les documents de séjour prévus à l’article L411-1 du CESEDA, les ressortissants algériens en sont dispensés et restent exclusivement régis par l’accord franco-algérien de 1968. Ils représentent pourtant la deuxième nationalité bénéficiaire de premiers titres de séjour en 202213.
Enfin, l’article 13 du projet de loi modifie également les conditions de retrait et de non renouvellement de la carte de résident en cas de menace grave à l’ordre public, en alignant son régime sur celui des cartes de séjour temporaire et pluriannuelle, alors qu’actuellement, la carte de résident peut n’être retirée ou ne pas être renouvelée que dans des cas précis : commission d’infractions limitativement énumérées ou situation de polygamie par exemple.
Toutefois, cette disposition n’est pas un moyen absolu d’éloigner un étranger représentant une menace grave pour l’ordre public : s’il ne peut être effectivement reconduit dans son pays d’origine, ou même s’il bénéficie des protections contre l’expulsion dont nous avons déjà parlé, il verra simplement sa carte de résident « dégradée » en un titre de séjour moins favorable.
Comme précédemment, le respect par la République de la vie privée et familiale d’un étranger prime sur le respect par l’étranger des lois et valeurs de la République.
On comprend mieux, eu égard à la prudence du Gouvernement, pourquoi le Conseil d’État estime que ces dispositions ne se heurtent à aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel.
2.3 Le renforcement de la lutte contre l’exploitation des migrants
Alors que le Gouvernement se refuse à réintroduire un délit de séjour irrégulier, son projet de loi renforce la répression relative à l’aide directe ou indirecte à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger en France.
Son article 14 criminalise les infractions lorsqu’elles sont commises en bande organisée ou « dans des circonstances qui exposent directement les étrangers à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente », et les rend passibles de 15 ans de réclusion criminelle et 1 million d’euros d’amende. Les dirigeants ou organisateurs de tels réseaux seraient quant à eux passibles d’une peine de vingt ans de réclusion criminelle et 1,5 million d’euros d’amende.
L’article 15 du projet de loi renforce également la sévérité des peines prévues aux articles L511-22 et L521-4 du code de la construction et de l’habitation auxquelles s’exposent les « marchands de sommeil » qui louent des logements dangereux ou insalubres, lorsque les victimes sont des personnes vulnérables, notamment des étranger en situation irrégulière. Dans son avis (p. 16), le Conseil d’État note à ce sujet que « la portée limitée des sanctions pénales que l’on entend ainsi renforcer et les difficultés d’application qu’elles soulèvent ne peuvent que susciter des interrogations quant à l’apport de ces dispositions à la répression effective des faits susmentionnés ».
2.4 Lutter contre le recours au travail illégal et, « en même temps », régulariser les clandestins travaillant dans les métiers en tension
Enfin, toujours pour renforcer la lutte contre l’exploitation des migrants, l’article 8 du projet de loi crée une sanction administrative, prononcée par le préfet, en cas d’infraction à l’interdiction d’employer un étranger non autorisé à travailler en France, en complément des différentes sanctions administratives ou pénales visant à réprimer les infractions constitutives de travail illégal déjà existantes. L’amende, dont le montant maximal est de 4 000 euros, peut être appliquée autant de fois qu’il y a d’étrangers concernés par le manquement. Ces dispositions, introduites dans un nouvel article L8272-6 du code du travail, ont pour objet de dissuader de recourir au travail illégal en renforçant les sanctions encourues.
Cependant, l’article 3 du projet de loi crée, « en même temps », à titre expérimental jusqu’à fin 2026, une carte de séjour temporaire (CST) mention « travail dans les métiers en tension », valant autorisation de travail, d’une durée de validité d’un an. Pour bénéficier de cette nouvelle CST, le travailleur étranger devra justifier de deux conditions : d’une part, exercer et avoir exercé pendant au moins huit mois au cours des 24 derniers mois une activité professionnelle salariée dans un métier ou une zone géographique en tension ; d’autre part avoir résidé de manière ininterrompue en France pendant au moins trois ans. L’exposé des motifs du projet de loi (p. 9) précise que « ce nouveau titre permettra, durant la phase de son expérimentation, d’ouvrir une voie d’accès au séjour à la seule initiative du ressortissant étranger en situation irrégulière exerçant une activité salariée ».
Ainsi, dans le même projet de loi, le Gouvernement parvient à introduire à la fois une disposition visant à renforcer les sanctions contre le recours au travail illégal et une autre qui, en permettant la régularisation de certains travailleurs étrangers en situation irrégulière, pourrait bien avoir pour conséquence un recours accru au travail illégal, avec la perspective d’obtenir cette carte de séjour temporaire « métiers en tension ».
Bien loin de l’objectif de mieux contrôler l’immigration, ou même d’améliorer l’intégration, comme l’indique pourtant son intitulé, le projet de loi crée ainsi une nouvelle voie de régularisation des clandestins, donc une raison de plus de tenter d’entrer et de se maintenir irrégulièrement sur le territoire, alors même que l’article L 435-1 du CESEDA prévoit déjà un dispositif d’admission exceptionnelle au séjour (AES), qui n’est nullement remis en cause par le projet de loi, et qui permet la délivrance d’une CST portant les mentions « salarié », « travailleur temporaire » ou « vie privée et familiale » à l’étranger dépourvu de visa de long séjour, « dont l’admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu’il fait valoir ». D’après l’étude d’impact du projet de loi (p. 58), près de 10 000 régularisations ont été prononcées sur ce fondement en 2021, soit 17% des titres de séjour temporaires délivrés sur un fondement professionnel.
Le Conseil d’Etat indique pourtant qu’il sera plus simple, pour les étrangers en situation irrégulière, d’accéder à cette nouvelle CST « travail dans les métiers en tension » qu’à l’AES, qui est conditionnée à l’obtention d’une autorisation de travail, conformément aux règles de droit commun de l’emploi d’un salarié étranger (article L5221-5 du code du travail),.. Par ailleurs, contrairement à la CST « métiers en tension », l’AES nécessite la production par l’étranger en situation irrégulière d’une preuve de son investissement professionnel, qui prend la forme d’un formulaire CERFA rempli par son employeur.
3 – Intégration : exigences rehaussées, conséquences limitées
3.1 Le conditionnement de la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle à un niveau minimal de connaissance de la langue française
Le titre I du projet de loi a pour objectif d’« assurer une meilleure intégration des étrangers par le travail et la langue ». Sa mesure phare, introduite par l’article 1er du projet de loi, est le conditionnement de la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle (CSP) à un niveau minimal de connaissance de la langue française. La délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle est aujourd’hui soumise, en application des dispositions de l’article L433-4 du CESEDA, à la justification par l’étranger, d’une part qu’il continue de remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire dont il est titulaire et d’autre part qu’il a participé avec assiduité aux formations prévues dans le cadre du contrat d’intégration républicaine (CIR), notamment aux formations en langue française qui peuvent lui être prescrites en début de parcours s’il n’a pas, à son arrivée sur le territoire national, le niveau A1 du cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL), soit le niveau d’utilisateur élémentaire introductif ou de découverte14.
Or, environ un quart des étrangers signataires du CIR n’atteint pas ce niveau A1 à l’issue du parcours d’intégration républicaine, sans que cela fasse obstacle à la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle15, pourvu que l’étranger qui la demande ait suivi l’intégralité de la formation (ou qu’il soit en mesure de justifier ses absences).
Le projet de loi modifie l’article L433-4 du CESEDA pour exiger que l’étranger qui sollicite une carte de séjour pluriannuelle justifie d’une connaissance de la langue française au moins égale à un niveau déterminé par décret en Conseil d’Etat, tout en dispensant de cette exigence les étrangers dispensés du contrat d’intégration républicaine, notamment les bénéficiaires de la protection internationale qui se voient attribuer un titre de séjour de plein droit lié à leur statut, mais aussi les Algériens qui bénéficient du privilège exorbitant de l’accord franco-algérien de 1968 déjà évoqué.
Dans son avis sur le projet de loi (p. 4), le Conseil d’État révèle que le Gouvernement n’a pas souhaité indiquer à ce stade le niveau de langue retenu et que trois options demeurent envisagées :
- A1 (niveau d’utilisateur élémentaire introductif ou de découverte) ;
- A2 (niveau d’utilisateur élémentaire intermédiaire ou usuel), exigé pour une carte de résident ;
- B1 (niveau d’utilisateur indépendant), requis pour la naturalisation.
Si ce choix relève bien du pouvoir réglementaire, il aura un fort impact sur le nombre de cartes de séjour pluriannuelles délivrées chaque année. On peut pourtant douter que ce niveau minimal exigé soit supérieur au niveau A1 puisque c’est le niveau que visent les formations dispensées par l’OFII dans le cadre du CIR, et surtout que le niveau A2 est requis pour la délivrance de la carte de résident et le niveau B1 pour la naturalisation, dispositions que le projet de loi ne modifie pas. Or choisir un niveau supérieur au niveau A1 pour la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle aurait logiquement supposé de rehausser également les exigences au moins pour la délivrance de la carte de résident, plus protectrice, voire pour la naturalisation.
A titre de comparaison, l’Italie exige un niveau A2 après deux ans de séjour, qui peuvent être prolongés d’un an, avant que le titre de séjour soit retiré et que l’étranger puisse faire l’objet d’une mesure d’éloignement. L’Allemagne, l’Autriche et les Pays-Bas exigent une connaissance de la langue préalablement à l’installation sur leur territoire, a minima pour certaines catégories d’étrangers. Enfin, les ressortissants de pays tiers s’installant au Danemark doivent justifier du niveau A2 en danois, allemand, anglais, suédois ou norvégien pour obtenir leur visa et du niveau B1 pour se voir délivrer une carte de résident16.
Si c’est bien le niveau A1 qui est retenu par le pouvoir réglementaire comme niveau minimum requis pour la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle, la France restera l’un des pays les moins exigeants d’Europe. De plus, cette condition ne s’appliquera pas aux ressortissants algériens, qui représentent la deuxième nationalité bénéficiaire de premiers titres de séjour en 2022. Enfin, même les signataires du CIR qui n’atteindront pas, à l’issue de leur formation, le niveau A1 en français ne feront pas l’objet d’une mesure d’éloignement. Didier Leschi, directeur général de l’OFII, auditionné le 13 mars 2023 par la commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), rappelle que « ce n’est pas parce qu’on n’a pas de titre pluriannuel qu’on ne peut pas avoir de nouveau titre annuel. Il ne s’agit pas d’exclure les personnes du droit au séjour à travers cet objectif de langue »17.
Par conséquent, cette disposition pourrait bien ne pas avoir le moindre effet sur le flux d’étrangers légalement admis au séjour sur le territoire national chaque année, pas plus que sur les éloignements de ceux qui ne rempliraient pas ces nouvelles conditions.
3.2 Propositions pour une politique d’intégration
L’idée du Gouvernement n’est pourtant pas dépourvue de vertu : oui, la langue est une condition nécessaire – quoiqu’insuffisante – de l’intégration et a fortiori de l’assimilation. Rappelons au passage que cette dernière notion, que d’aucuns considèrent comme surannée, voire réactionnaire, est toujours bien présente dans notre droit positif, à l’article 21-24 du code civil qui dispose que :
« Nul ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société françaises, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret en Conseil d’Etat, et des droits et devoirs conférés par la nationalité française ainsi que par l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République. »
Le Gouvernement, encore une fois prisonnier de sa philosophie du « en même temps », n’est malheureusement pas allé au bout de sa démarche. Il aurait dû saisir l’opportunité de ce projet de loi pour réellement améliorer l’intégration, en rehaussant sensiblement ses exigences à l’endroit des étrangers désireux de s’établir en France, ainsi que l’ont fait ces dernières années la plupart de nos voisins européens, comme le rappellent les récentes notes de la Fondation pour l’innovation politique18.
Avant de proposer quelques lignes directrices pour une politique d’intégration, il convient de rappeler que l’intégration ne peut se faire que dans un contexte de flux migratoires maîtrisés : on peut douter que le projet de loi tel que présenté par le Gouvernement parvienne à atteindre cet objectif, pour la raison que la loi n’est pas le vecteur juridique approprié. L’exemple des protections contre l’expulsion des étrangers connus pour trouble à l’ordre public en témoigne. C’est d’une main tremblante que le Gouvernement propose de modifier à la marge les dispositions des articles L631-2 et L631-3 du CESEDA sans supprimer l’intégralité de ces protections.
Toute loi qui se donnerait pour objectif de contrôler effectivement l’immigration se heurterait à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui amènerait le Conseil d’État à disjoindre la plupart de ses dispositions, comme à celle du Conseil constitutionnel, qui ne manquerait pas de les censurer19. Le contrôle de l’immigration ne peut se passer d’une révision constitutionnelle.
Cela étant rappelé, s’agissant de la connaissance de la langue comme condition d’intégration, le projet de loi aurait dû aller beaucoup plus loin qu’il ne le fait, ne serait-ce que pour rapprocher les exigences françaises de celles des autres nations européennes, en posant dans la loi que cette condition doit :
- concerner l’ensemble des étrangers primo-arrivants, quelle que soit leur origine, qui ne peuvent justifier du niveau A1 à leur arrivée en France, à la seule exception des bénéficiaires de la protection internationale ; cela implique notamment de renégocier les accords franco-algériens de 1968 ou d’en dénoncer unilatéralement les dispositions ;
- emporter, si elle n’est pas remplie, la non délivrance ou le non renouvellement du titre de séjour et l’éloignement de l’étranger requérant du territoire national ;
- s’accompagner de la construction d’un programme d’intégration et d’assimilation (PIA) sur le long terme, avec un rehaussement de toutes les exigences requises pour la délivrance des différents titres de séjour et in fine pour la naturalisation.
Ce PIA pourrait être construit de la manière suivante :
1/ Tout étranger, à l’exception des bénéficiaires de la protection internationale, n’ayant pas le niveau A1 en français à son arrivée sur le territoire national ne peut se voir délivrer de carte de séjour temporaire (CST) d’un an que s’il signe la première partie d’un contrat d’intégration républicaine rénové (CIR 1) : un engagement d’un an à suivre des formations linguistiques et civiques et à respecter les lois et valeurs de la République, accompagné d’un examen final.
À l’expiration de sa CST, il ne peut se voir délivrer une carte de séjour pluriannuelle de 2 ans (CSP 2) que s’il a atteint le niveau A1, obtenu un emploi, n’a fait l’objet d’aucune condamnation ni manifesté de rejet des valeurs républicaines.
La CST n’est pas renouvelable. L’étranger n’ayant pas obtenu de carte de séjour pluriannuelle de 2 ans qui se maintient illégalement sur le territoire national fait l’objet d’une mesure d’éloignement.
2/ La délivrance de la carte de séjour pluriannuelle de 2 ans donne lieu à la signature de la seconde partie du CIR (CIR 2) : un engagement de deux ans pour atteindre, par ses propres moyens, le niveau A2 en français.
À l’issue de ces deux ans, l’étranger ayant atteint le niveau A2, toujours en emploi et n’ayant fait l’objet d’aucune condamnation ni manifesté de rejet des valeurs républicaines peut se voir délivrer une carte de séjour pluriannuelle de 4 ans (CSP 4). La carte de séjour pluriannuelle de 2 ans n’est pas renouvelable. L’étranger n’ayant pas obtenu de carte de séjour pluriannuelle de 4 ans qui se maintient illégalement sur le territoire national fait l’objet d’une mesure d’éloignement.
3/ A l’expiration de la carte de séjour pluriannuelle de 4 ans, soit après 7 ans de présence régulière sur le territoire national, son titulaire peut obtenir une carte de résident, valable 10 ans, s’il justifie d’un niveau B1 en français, est toujours en emploi et n’a fait l’objet d’aucune condamnation ni manifesté de rejet des valeurs républicaines. L’étranger qui, n’ayant pas atteint le niveau B1 en français, remplit toujours les conditions requises, peut solliciter le renouvellement de sa CSP 4. S’il ne remplit plus ces conditions, il fait l’objet d’une mesure d’éloignement.
La carte de résident est renouvelable si son titulaire remplit toujours les conditions requises.
4/ Alors qu’aujourd’hui la naturalisation est ouverte aux étrangers pouvant justifier de cinq ans de présence régulière sur le territoire national (voire moins dans certains cas) et qu’il suffit d’avoir le niveau B1 en français, la réforme proposée des conditions de délivrance des titres de séjour devrait avoir pour conséquence des exigences supplémentaires pour la naturalisation : 10 ans de séjour régulier sur le territoire national et niveau C1 en français (en plus des autres conditions déjà requises).
Séjour régulier sur le territoire national | Droit au séjour / acquisition de la nationalité française | Conditions de délivrance du titre ou d’acquisition de la nationalité française |
Carte de séjour temporaire (CST), valable un an, non renouvelable | -Aucune condamnation -Signature de la 1e partie du CIR | |
1 année | Carte de séjour pluriannuelle de 2 ans (CSP 2), non renouvelable | -Niveau A1 en français -Obtention d’un emploi -Aucune condamnation ni rejet manifeste des valeurs de la République -Signature de la 2e partie du CIR |
3 années | Carte de séjour pluriannuelle de 4 ans (CSP 4), non renouvelable | -Niveau A2 en français -Obtention d’un emploi -Aucune condamnation ni rejet manifeste des valeurs de la République |
7 années | Carte de résident, renouvelable | -Niveau B1 en français -Emploi -Aucune condamnation ni rejet manifeste des valeurs de la République |
10 années | Naturalisation | -Niveau C1 en français ; -Connaissance de l’histoire, de la culture de la société françaises -Avoir des ressources suffisantes et stables -Avoir en France le centre de ses intérêts matériels et liens familiaux -Aucune condamnation ni rejet manifeste des valeurs de la République |
Conclusion
Le totem du « en même temps » a pour inéluctable conséquence le tabou de l’efficacité. Sans nier les avancées certaines qu’apporte ce projet de loi, aussi bien du point de vue technique par sa rationalisation du droit de l’asile et du contentieux des étrangers, que du point de vue politique, s’agissant notamment de faciliter l’expulsion des étrangers les plus dangereux ou de rehausser les exigences requises pour la délivrance et le renouvellement des titres de séjour, le texte du Gouvernement manque d’ambition aussi bien en matière de contrôle de l’immigration que de renforcement de l’intégration.
Ce sont finalement ses angles morts qui en disent le plus long, notamment sur deux enjeux majeurs des politiques d’immigration et d’intégration.
D’une part, le projet de loi ne touche pas, du moins à ce stade, à l’immigration familiale, alors même que le motif familial est le second motif de délivrance des premiers titres de séjour en 2022 : plus de 90000 des 320000 premiers titres de séjour délivrés l’an passé l’ont été sur ce fondement, soit une hausse de 4,6 % par rapport à 202120. Ayons toutefois l’honnêteté de reconnaître qu’il est difficile de s’attaquer à l’immigration familiale dans un simple vecteur législatif tant la jurisprudence constitutionnelle et européenne la protège : le Conseil d’État aurait probablement disjoint des dispositions visant à contenir sérieusement l’immigration familiale. Et, même s’il était passé outre, le Conseil constitutionnel les aurait encore plus probablement censurées. Aussi, seules une révision constitutionnelle, accompagnée d’une renégociation, voire d’une dénonciation, de certaines dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme (et d’autres accords internationaux comme les accords franco-algériens de 1968) seraient en mesure de permettre à la France de réellement contenir cette immigration. Il faudra bien y venir car l’immigration familiale est celle qui exige le moins de conditions et pose le plus de problèmes d’intégration. L’auteur de la note de la Fondapol sur les politiques d’immigration en Europe rappelle que l’accès au regroupement familial est plus facile en France que chez la plupart de nos voisins européens. Ainsi, contrairement à l’Autriche ou au Danemark, la France ne conditionne pas le regroupement familial à des critères d’âge, ou même à la maîtrise du français, ni pour l’étranger résident, ni pour sa famille, tandis que le montant des ressources financières requises est plus faible en France21.
D’autre part, et c’est peut-être encore plus grave, le projet de loi ne dit pas un mot du droit de la nationalité, alors que 78 711 étrangers ont acquis la nationalité française en 2022, dont 60 556 par décret de naturalisation. Certes, ce chiffre est en baisse de 16,3 % par rapport en 2021, année record où plus de 94 000 étrangers avaient acquis la nationalité française – un chiffre dû en partie aux plus de 20 000 étrangers naturalisés au titre de leur « engagement » pendant la crise sanitaire, grâce à une instruction de la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté22. Rappelons que la naturalisation est un mode parmi d’autres d’acquisition de la nationalité, qui n’est pas automatique mais accordée sous certaines conditions. Or, là encore, au sein de l’Union européenne, la France est l’un des pays où l’acquisition de la nationalité est la plus facile, qu’il s’agisse de la durée de séjour demandée (5 ans en France contre 10 ans en Autriche et en Italie, 9 ans au Danemark ou 8 ans en Allemagne), du niveau de langue requis (B1 en France contre B2 au Danemark par exemple), ou des ressources nécessaires. Cependant, le droit de la nationalité est une compétence strictement nationale, qui n’est que très peu soumise à la jurisprudence européenne. Rien n’interdit donc à la France de rehausser ses exigences, au moins pour s’aligner sur ce que font les autres États européens, et réduire ainsi le nombre d’étrangers accédant à la nationalité française sans qu’on puisse considérer qu’ils remplissent effectivement la condition générale fixée à l’article 21-24 du code civil : l’assimilation à la communauté française. Le programme d’intégration et d’assimilation proposé ci-dessus s’inscrit dans cet objectif.
Notes
- Propos tenus le 2 novembre 2022 ↩︎
- https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Chiffres-cles-sejour-visas-eloignements-asile-acces-a-la-nationalite/Les-chiffres-2022-publication-annuelle-parue-le-26-janvier-2023 ↩︎
- https://frontex.europa.eu/media-centre/news/news-release/eu-s-external-borders-in-2022-number-of-irregular-border-crossings-highest-since-2016-YsAZ29 ↩︎
- https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Chiffres-cles-sejour-visas-eloignements-asile-acces-a-la-nationalite/Les-chiffres-2022-publication-annuelle-parue-le-26-janvier-2023 ↩︎
- Source : https://www.legavox.fr/blog/me-enam-avocat/decembre-2012-supprime-delit-sejour-10767.htm ↩︎
- https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Chiffres-cles-sejour-visas-eloignements-asile-acces-a-la-nationalite/Les-chiffres-2022-publication-annuelle-parue-le-26-janvier-2023 ↩︎
- étude d’impact du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (p. 107) ↩︎
- Rappel du droit en vigueur en matière d’expulsion des étrangers :
Article L631-1 du CESEDA : L’autorité administrative peut décider d’expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l’ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L631-2 et L631-3.
Article L631-2 du CESEDA : Ne peut faire l’objet d’une décision d’expulsion que si elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou la sécurité publique et sous réserve que l’article L631-3 n’y fasse pas obstacle :
1° L’étranger qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant (…) depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ;
2° L’étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ;
3° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s’il a été pendant toute cette période titulaire d’une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention « étudiant » ;
4° L’étranger titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d’incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 %.
Par dérogation au présent article, l’étranger mentionné aux 1° à 4° peut faire l’objet d’une décision d’expulsion en application de l’article L. 631-1 s’il a été condamné définitivement à une peine d’emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans.
Par dérogation au présent article, l’étranger mentionné aux 1° à 4° peut faire l’objet d’une décision d’expulsion s’il vit en France en état de polygamie.
Article L631-3 du CESEDA : Ne peut faire l’objet d’une décision d’expulsion qu’en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes :
1° L’étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans ;
2° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;
3° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est marié depuis au moins quatre ans soit avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française, soit avec un ressortissant étranger relevant du 1°, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessée depuis le mariage ;
4° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant (…) depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ;
5° L’étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié.
Par dérogation au présent article, l’étranger mentionné aux 1° à 5° peut faire l’objet d’une décision d’expulsion s’il vit en France en état de polygamie.
Par dérogation au présent article, l’étranger mentionné aux 3° et 4° peut faire l’objet d’une décision d’expulsion en application des articles L. 631-1 ou L. 631-2 lorsque les faits à l’origine de la décision d’expulsion ont été commis à l’encontre de son conjoint ou de ses enfants ou de tout enfant sur lequel il exerce l’autorité parentale.
La circonstance qu’un étranger mentionné aux 1° à 5° a été condamné définitivement à une peine d’emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans ne fait pas obstacle à ce qu’il bénéficie des dispositions du présent article. ↩︎ - https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Les-vols-et-violences-enregistres-dans-les-reseaux-de-transports-en-commun-en-2021-Interstats-Analyse-N-48 ↩︎
- Article 311-3 du code pénal ↩︎
- « Politiques d’immigration : le gouvernement des juges? », Observatoire de l’immigration et de la démographie (https://observatoire-immigration.fr/wp-content/uploads/2023/02/Note-OID-Politiques-dimmigration-Le-gouvernement-des-juges.pdf ) ↩︎
- La disjonction consiste en une proposition de rejet d’une disposition dans l’avis donné par le Conseil d’État, qui considère qu’elle est juridiquement irrégulière. ↩︎
- https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Chiffres-cles-sejour-visas-eloignements-asile-acces-a-la-nationalite/Les-chiffres-2022-publication-annuelle-parue-le-26-janvier-2023 ↩︎
- https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F34739 ↩︎
- étude d’impact du projet de loi (p. 46) ↩︎
- étude d’impact du projet de loi (p. 44 à 46) ↩︎
- https://www.lefigaro.fr/politique/loi-immigration-echouer-a-l-examen-de-francais-ne-sera-pas-synonyme-d-expulsion-selon-l-ofii-20230313 ↩︎
- « La politique danoise d’immigration: une fermeture consensuelle » (https://www.fondapol.org/etude/la-politique-danoise-dimmigration-une-fermeture-consensuelle/) et « Immigration : comment font les Etats européens » (https://www.fondapol.org/etude/immigration-comment-font-les-etats-europeens/ ) ↩︎
- « Politiques d’immigration: le gouvernement des juges? », Observatoire de l’immigration et de la démographie (https://observatoire-immigration.fr/wp-content/uploads/2023/02/Note-OID-Politiques-dimmigration-Le-gouvernement-des-juges.pdf ) ↩︎
- https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Chiffres-cles-sejour-visas-eloignements-asile-acces-a-la-nationalite/Les-chiffres-2022-publication-annuelle-parue-le-26-janvier-2023 ↩︎
- https://www.lefigaro.fr/vox/societe/victor-delage-le-regroupement-familial-en-france-est-plus-facile-en-france-que-chez-la-plupart-de-nos-voisins-20230315 ↩︎
- https://www.lefigaro.fr/social/covid-19-25-000-travailleurs-etrangers-en-premiere-ligne-ont-ete-naturalises-annonce-schiappa-20230128 ↩︎