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Les étrangers extra-européens et le logement social en France

Les étrangers extra-européens et le logement social en France

L’essentiel

Le logement social en France revêt des particularités spécifiques dans l’espace européen. Au fil des décennies, il concentre une part de plus en plus importante de la population immigrée extra-européenne. La concentration du logement social dans des quartiers isolés du reste du tissu urbain a généré des difficultés récurrentes qui se traduisent en particulier par des phénomènes de grande violence et l’implantation de l’économie criminelle.

Cet habitat collectif n’est pas considéré de la même manière selon l’origine des populations. Prisé par les unes, évité par les autres, il renforce les distinctions culturelles à l’intérieur des mêmes ensembles urbains.

Par Michel AUBOUIN, ancien inspecteur général de l’administration et ancien secrétaire général de l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure.

La France a développé, dans l’espace européen, un modèle de logement social sans équivalent, qui concentre des populations aux revenus modestes dans des ensembles d’immeubles collectifs, séparés du reste du tissu urbain et dépourvus d’une partie des services offerts à la population des centres-villes. Ce modèle, forgé par une conception « socialisante » du logement et conforté par des considérations économiques, génère depuis le début des années 1980 une série de désordres dont l’ampleur ne fait que croître au fil des décennies, sans qu’il ne soit remis en cause1. Malgré les inconvénients manifestes de ce type d’habitat, plusieurs lois sont intervenues au cours des dernières années pour en imposer l’extension, au prétexte d’une juste répartition de la charge entre toutes les communes. 2 Le logement de type « HLM » représente désormais un quart du parc des logements en milieu urbain.

Surtout, le logement social public, au lieu de résoudre la question de l’intégration des nouveaux venus, dans une perspective, au demeurant discutable, de « mixité sociale », a accentué la spécialisation des territoires. Les immigrés3 y occupent une position singulière : 35 % d’entre eux y vivent4, contre seulement 11 % des Français non immigrés5. Et leur surreprésentation s’accentue avec la concentration de l’habitat. Ainsi, dans le sous-ensemble des 1 513 quartiers de la politique de la ville (QPV), représentant 5,4 millions de locataires, résident 23 % des immigrés, soit 1,61 millions de personnes6. Cette surreprésentation des familles immigrées conforte l’idée que se font les Français d’un habitat destiné en priorité aux « étrangers », mais cette idée est trop générale pour être vraie. Surtout, elle ignore que les modes d’habitat diffèrent de manière significative selon l’origine des populations concernées.

Le secteur HLM occupe aujourd’hui une place que l’on pourrait qualifier d’exorbitante. La France détient le quart des 21 millions de logements sociaux recensés dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. L’extension et la gestion du parc, qui relèvent d’organismes de statut public, mobilisent d’importants financements publics. Surtout, le parc des logements sociaux de type HLM a beaucoup perdu de sa fluidité. Les taux de rotation y sont désormais très faibles. Les mécanismes d’implantation des mêmes familles dans les mêmes quartiers pendant parfois plusieurs générations ont contribué à ancrer le phénomène de la « culture » de quartier, qui a fait du locataire, à terme, un « quasi-propriétaire », le propriétaire réel étant perçu comme lointain et anonyme. Cette « culture » se décline, pour les plus jeunes, en une forme d’appropriation de « leur » territoire (le « ter-ter ») qu’ils défendent contre tous les autres, dans des rixes parfois mortelles.7

La singularité française du logement social appelle plusieurs questions. Quel rapport entretiennent les populations étrangères et d’origine étrangère avec le logement HLM ? Quels mécanismes juridiques favorisent ou défavorisent-ils leur accès à ce type de logement ? Quels sont les freins à la mobilité et au parcours résidentiel qui entravent la mobilité dans l’habitat ? Comment s’effectue la prise en charge des populations en difficultés d’intégration par les organismes HLM ?

Telles sont les interrogations que cette note tente d’éclaircir, dans les limites des données disponibles.

1.1 Une histoire marquée du sceau de l’État

Le logement social, « dont la construction bénéficie de soutien public et destiné à loger des personnes à faibles revenus »8,présente, en France, un caractère à la fois redistributif et étatique. La part des investissements privés (patronat, fondations, institutions religieuses, associations caritatives…) y est devenue résiduelle. La plupart des communes qui disposaient d’un parc de logements sociaux en sont aujourd’hui dépossédées, sauf Paris.

Depuis 1979, l’objet juridique « logement social » est conditionné par la signature d’une convention entre un bailleur et l’État 9. Se trouvent ainsi exclus les logements non conventionnés, y compris ceux qui accueillent les plus pauvres, relevant d’un habitat dit « social de fait », que l’État ignore et pour lesquels nous ne disposons d’aucune statistique publique. Par ailleurs, nombre de parcs de logements à vocation sociale – les logements collectifs pour le personnel militaire par exemple – ne sont pas considérés comme des logements sociaux stricto sensu.

Le logement social est d’abord une émanation de l’État. Les règles de construction, de gestion, d’attribution des appartements et le montant des loyers sont strictement encadrés par des normes produites par le ministère en charge du logement et contenues dans le Code de la construction et de l’habitation. Comme toutes les règles générées par l’administration centrale, elles se sont beaucoup complexifiées au cours des dernières années.

En France, le logement social privilégie la forme d’appartements en immeubles collectifs (86 % du parc) plutôt que la maison individuelle, comme on en trouvait jadis dans les corons du bassin minier et comme cela demeure le cas en Grande-Bretagne (60 % des logements sociaux). Ses modalités de construction sont déterminées, depuis l’origine, par le coût du foncier, sauf en milieu rural. Dans le même temps, et de manière paradoxale, les immeubles sont le plus souvent « posés » dans des espaces non bâtis (pelouses, parkings, dalles…) qui leur donnent une apparence déstructurée qui détonne dans le tissu urbain « ordinaire ». Il est probable, même si ce n’est pas l’objet de ce travail, que ce mode d’habitat obéisse à des modèles implicites qui persistent depuis les années soixante sans avoir été contestés.

L’histoire du logement social « à la française » remonte aux années d’après-guerre, en rupture avec la période précédente, dominée par l’initiative privée (maisons ouvrières, cités-jardins…) et la volonté d’allier habitations à loyer modéré et confort de vie, dans une perspective hygiéniste. Cette rupture doit beaucoup à l’appel de l’Abbé Pierre de 1954, attirant l’attention des pouvoirs publics sur les situations de mal-logement, en particulier dans les villes affectées dix ans plus tôt par des bombardements.

Le premier acte de cette « révolution » fut le décret du 31 décembre 1958 instituant les zones à urbaniser en priorité (ZUP) 10, pris en application d’une loi-cadre votée deux ans plus tôt11, qui prévoyait la construction de 300 000 logements par an. Le décret prescrivait l’édification d’ensembles homogènes d’au moins 500 logements et créait un droit à préempter les terrains nécessaires à leur réalisation. Les opérations furent confiées à des sociétés d’économie mixte à la main des préfets de département. Les terrains furent choisis en fonction de leur moindre valeur, le plus souvent dans des secteurs excentrés, souvent contre l’avis des maires des communes concernées. De nombreuses communes semi-urbaines passèrent ainsi, en quelques années, du statut de village à celui de ville12.Les ingénieurs adaptèrent les modes de construction pour en réduire les coûts. La technique du chemin de grue permit d’édifier des immeubles dans des délais restreints, sous forme de barres ou de tours.

En dix ans, 197 ZUP furent réalisées, qui allaient accueillir 2,2 millions de logements, pour l’essentiel en HLM. Ces logements offraient un confort « moderne » pour des familles vivant dans des conditions souvent précaires. Mais le choix des terrains et les techniques de construction ne les destinaient par à durer. Le HLM s’inscrivait dans un paysage dominé par l’habitat individuel, sous forme de « pavillons ». Ce mode de logement était donc conçu comme une étape à durée limitée dans un parcours résidentiel qui devait aboutir à une accession à la propriété. Ce processus a parfaitement fonctionné jusqu’au milieu des années 1970, en partie porté par l’effet de levier de l’inflation. Il est aujourd’hui remis en cause, sans solution de remplacement, pour avoir favorisé l’étalement urbain au détriment des espaces agricoles.

1.2 Un logement « pour les immigrés » ?

Le logement social, destiné à être occupé par des familles de travailleurs modestes, souvent issus des migrations intérieures, n’avait pas vocation à accueillir des populations immigrées, sauf dans les bassins miniers et sidérurgiques où elles étaient majoritaires. Les salariés maghrébins étaient logés en foyer, en tant que célibataires. Par exception, en 1962, le logement social fut mobilisé pour abriter, de manière provisoire, le million de rapatriés d’Algérie.13

En 1970, le logement social, construit à moindre coût, avait beaucoup vieilli et d’une certaine façon, il avait rempli son rôle. Une grande partie des taudis de centre-ville et autres « garnis » était en passe d’être résorbée. Ses premiers locataires l’ayant quitté, il était donc destiné à être démoli. Le Livre blanc de l’Union des HLM (UNFOHLM) édité en 1975, sous la direction de son délégué, Robert Lion, évoque l’idée de détruire un million de logements : « Désertés par les ménages les moins défavorisés, ces grands ensembles deviendraient de grands ghettos. Nos banlieues urbaines sont- elles appelées à devenir une constellation de petits Harlem ? Aura-t-on recréé demain sur un mode vertical les bidonvilles que l’on a liquidés avec ardeur et bonne conscience ? » 14

Il restait la question des bidonvilles, occupés à titre principal par des familles algériennes et portugaises. La loi Vivien du 10 juillet 1970 prescrivit leur résorption. Celui de Nanterre fut fermé l’année suivante. Assez naturellement, après un passage dans des cités de transit, les familles déplacées furent dirigées vers des logements HLM, rendus disponibles par le départ de leurs locataires initiaux. La question de la cohabitation entre les résidents français et les nouveaux résidents, d’origine maghrébine, se posa d’emblée, générant des travaux théoriques sur l’existence d’un « seuil de tolérance ».15

La crise économique allait encore compliquer l’équation, car elle déboucha, en dépit de l’orientation affichée par le gouvernement, sur une arrivée massive de familles en provenance du Maghreb. En 1976, le regroupement familial ouvrit la porte à l’installation des conjoints et des enfants de travailleurs maghrébins qui vivaient jusque-là dans des foyers gérés par la Sonacotra. Les industries automobiles de la région parisienne, qui utilisaient une main-d’œuvre marocaine, facilitèrent l’implantation de leurs familles dans la banlieue ouest (Trappes, Poissy), au titre de leur contribution au logement social (le 1 % patronal 16). Les Algériens se concentrèrent en Seine-Saint-Denis.

La dégradation de l’image du HLM ayant incité les locataires d’origine française à s’en éloigner, le logement social se spécialisa, sans y avoir été contraint, dans l’accueil des familles immigrées, en Île-de-France et dans les grandes agglomérations. Ces familles avaient des enfants nombreux, souvent nés en Algérie ou au Maroc, qui prirent possession de l’espace public. Les premiers désordres apparurent dès la fin des années 1970. Au début des années 1980, ces désordres prirent une allure suffisamment inquiétante pour obliger l’État à répondre par la mise en place d’une politique d’animation17 et les premières opérations de destructions d’immeubles. 18La structuration d’une politique centrée sur les quartiers les plus « remuants » forma une politique de la ville, qui allait distinguer, au sein du grand ensemble des quartiers d’habitat social, ceux qui auraient été désignés comme « sensibles ». Cette politique, qui ne disait rien de son objet, allait, d’une certaine façon, paralyser la réflexion durant plusieurs décennies.

Dans le même temps, l’intervention budgétaire de l’État, jusque-là centrée sur les aides à la construction (aides « à la pierre »), se doubla d’une politique d’aide au paiement des loyers (dites aides « à la personne »). Une allocation de logement (ALF) avait été instaurée dès 1948 pour accompagner la libération des loyers. En 1977, ce fut l’APL (aide personnalisée au logement) qui allait réduire de manière significative l’effort consenti par le locataire pour payer son loyer, le versement de l’APL étant conditionné à la signature d’une convention, qui allait elle-même déterminer le périmètre juridique du logement social. La boucle était bouclée, mais l’intention restait confuse.

Conçu comme une solution provisoire pour des familles mal-logées, le secteur HLM allait à terme loger un sixième de la population vivant en France (17,6 % des résidences principales) et alimenter l’essentiel de l’économie de la construction.

1.3 Le logement social aujourd’hui, l’impasse d’un modèle.

En 2022, 5,4 millions de ménages, sur les 30 millions que compte la France, habitent un logement social. L’État consacre 38,2 milliards d’euros à la politique du logement, soit 1,5 % de son PIB19. C’est deux fois plus que dans le reste de l’Europe. Le logement social occupe en France une place considérable ; pourtant l’offre, jamais, ne rattrape la demande.

Deux millions de demandes de logements sont enregistrées en moyenne chaque année, pour seulement 450 000 attributions 20.Le taux de rotation annuel des occupants est inférieur à 7 %, le taux de vacance inférieur à 1 %. L’âge moyen des occupants dépasse les 50 ans. Le système est totalement bloqué. Surtout, il peine à accueillir ceux qui en auraient le plus besoin, c’est-à-dire les plus modestes. Les gouvernements successifs appellent à augmenter le nombre des logements sociaux, en vain. En tout état de cause, ce nombre ne pourrait répondre à une demande de logements alimentée par une immigration de masse, où le volume des nouveaux arrivés est deux ou trois fois plus important que la capacité à construire de nouveaux logements21.

Longtemps à la main des maires, l’accès au logement social est désormais directement piloté par la « machine » administrative, qui encadre les conditions d’attribution, les listes d’attente et la répartition des demandeurs. À terme, un algorithme centralisé devrait assurer la répartition des attributions en fonction d’une liste de critères prédéfinis. L’intention non formulée du ministère du Logement est d’éviter que les maires ne fassent du logement une monnaie d’échange dans un processus électoral. La compétence « logement » ayant été transférée à des structures intercommunales, les maires ont perdu le pouvoir d’accorder les logements aux habitants de leur propre commune. Cette mise à l’écart progressive des élus locaux a probablement généré une plus grande distance entre la commune, en tant qu’institution, et ses quartiers d’habitat social.

Par ailleurs, l’État n’a eu de cesse, pour des raisons invoquées de meilleure gestion, de concentrer la gestion du secteur HLM entre les mains d’un petit nombre d’organismes, dont certains sont devenus des « mastodontes ». Ce mouvement de concentration est destiné à se poursuivre. La France compte aujourd’hui 720 organismes HLM, dont 583 OLS (OPH, SAHLM, COOP, SEM)22. Les principaux bailleurs sociaux sont de grandes entreprises, présidées par des élus ou des hauts-fonctionnaires. Le plus important, le groupe CDC Habitat, une filiale de la Caisse des dépôts et consignations, gère 348 700 logements. Le groupe 3F, lié à Action logement, gère 292 000 logements. Paris-Habitat compte 126 000 logements dans Paris et en banlieue. Batigère, dont l’histoire est liée à la sidérurgie lorraine, gère environ 150 000 logements. Le capital bâti des OLS est d’environ 200 milliards d’euros.

La plupart de ces groupes revendiquent l’héritage d’une histoire ancienne, remontant à une époque où le patronat, par philanthropie, cherchait à loger son personnel dans des conditions dignes, mais cette mythologie des origines est de plus en plus en décalage avec les réalités du moment. Le patronat français n’intervient plus qu’à travers Action logement, qui collecte les fonds de la contribution des entreprises au logement de leurs salariés.23

Chacun de ces organismes de logement social administre plusieurs milliers de logements (la médiane est de 8 000). La loi ELAN24 leur a fixé un objectif de 12 000. Le produit total des loyers perçus était de 22 milliards d’euros en 2020. Celui des charges atteignait 5 milliards d’euros. Le loyer médian est d’environ 4 000 euros par an.

1.4 Un habitat coûteux, qui exclut les plus pauvres et les précaires.

Les conditions de vie en HLM se sont beaucoup améliorées, surtout dans les quartiers qui ont bénéficié des crédits de la rénovation urbaine.25 Les normes de construction des logements neufs obéissent à des considérations de qualité. Les espaces verts sont soignés. D’une certaine façon, le logement social est devenu attractif et rare, en région parisienne en particulier où il faut attendre près de dix ans pour en obtenir un. Au cœur de Paris, à cause des surfaces qu’il propose, il est même devenu un objet de luxe.26

Son coût de production est élevé en proportion. Le prix de revient d’un logement social s’établissait en moyenne en septembre 2021 à 156 000 euros27, soit 2 300 euros le mètre carré. Le corpus des normes le rend parfois plus cher qu’un logement de même taille dans une résidence neuve. Dans certains centres-villes, eu égard au prix du foncier, ce coût est même totalement déraisonnable. Il est financé pour l’essentiel par la puissance publique, à travers des prêts aidés, des subventions, un taux réduit de TVA et une exonération de la taxe foncière (pendant quinze ans). En 2021, l’enveloppe des prêts s’établissait à 4,3 milliards d’euros (dont 1,7 milliard de la CDC). Il est aussi financé, indirectement, par l’APL, alimentée elle-même par un prélèvement sur les salaires. Le coût du foncier est enfin souvent pris en charge par la collectivité locale (au titre de la surcharge foncière).

Les locataires du secteur HLM bénéficient ainsi d’un fort effet de redistribution. Financé par les contribuables, mais aussi par les salariés et les épargnants de la Caisse d’épargne, cet effort serait parfaitement justifié s’il ne s’adressait qu’à des familles aux revenus modestes. Mais tel n’est pas le cas, et si la loi a prévu un « supplément de loyer de solidarité » pour les locataires dont les revenus dépasseraient les plafonds de revenus, ce « surloyer » est loin de compenser le différentiel entre le coût réel et le coût règlementé du logement.

De manière paradoxale, le logement social n’est plus conçu pour loger les plus démunis, car si son accès est, dans la loi, encadré par un plafond de revenus, il l’est aussi, en pratique, par un seuil minimum de revenus, déterminé par le « reste à vivre ». Ce « reste à vivre » est destiné à permettre au locataire de payer son loyer (et à protéger le bailleur social du risque d’impayé). Déterminé par l’article R 441-3-1 du Code de la construction et de l’habitat et un arrêté du 10 mars 2011, le taux d’effort résulte du rapport des dépenses (loyer + charges – APL) sur les ressources, elles-mêmes divisées par le nombre d’unités de consommation. Les ressources sont appréciées sur la base des salaires de l’année précédente. Le taux d’effort est en général fixé à 30 %. La valeur de référence du reste à vivre est de 10 à 12 euros par jour.

Ce mode de calcul écarte les demandeurs aux revenus incertains (les commerçants par exemple, y compris ceux dont les commerces contribuent à l’animation du quartier). La mention de l’APL au numérateur privilégie les familles avec enfants. Le calcul des ressources avantage ainsi les ménages dont l’épouse ne travaille pas et les familles monoparentales.

Les ménages pauvres qui n’accèdent pas au logement social public se logent dans le secteur privé, dans l’habitat insalubre (copropriétés dégradées, location de « chambres de bonnes », pavillons de banlieue découpés en appartements avec sanitaires communs, voire squats ou terrains de camping). Beaucoup sous-louent des pièces dans le secteur HLM à des familles locataires. L’accès au logement social étant par ailleurs conditionné par la possession d’une carte de séjour en règle, les familles en situation irrégulière se logent souvent dans des immeubles possédés par des ressortissants du même pays.28

Le logement en France, principales données

  • Nombre d’habitants : 67,8 millions
  • Nombre des immigrés : 7 millions
  • Nombre des logements : 37,8 millions
  • Nombre des résidences principales : 31 millions
  • Nombre des résidences principales sous forme de maison : 17 millions
  • Nombre des ménages propriétaires-résidents : 17,7 millions
  • Nombre des ménages locataires dans le parc privé : 7 millions
  • Nombre des logements sociaux : 5,4 millions (17,6% des ménages)

Insee Focus, 309, paru le 10/10/2023

2.1 Une relation au logement social variable selon le pays d’origine.

L’immigration ne forme pas un tout homogène. Les nationalités d’origine, les langues parlées, les religions dessinent des ensembles dont les modalités d’intégration peuvent être profondément différentes, même si les statistiques manquent pour en décrire la diversité.

L’Insee distingue les immigrés extra-européens selon sept groupes d’origine : Algérie, Maroc/Tunisie, Afrique sahélienne, Afrique guinéenne ou centrale, Asie du Sud-est, Turquie/Moyen-Orient et Chine. Cette répartition à grands traits met en évidence de profondes disparités de comportement, en particulier dans l’accès au logement, que l’étude Trajectoires et Origines(Ined et Insee), publiée en 201729, avait tentée de qualifier et que son actualisation, publiée en 2023, confirme30

Le logement se répartit selon trois statuts : la propriété, la location dans le secteur privé et la location dans le secteur public. La propriété est apriori, le signe d’une intégration définitive dans le pays d’accueil. La location dans le secteur public (HLM) illustre a priori des situations transitoires ou de précarité. La location dans le secteur privé n’est qu’une variable des deux autres, ce mode de logement pouvant résulter, selon le cas, d’un choix délibéré ou d’un choix par défaut.

Rapporté à son volume, le groupe le plus représenté dans le logement social est celui formé par les immigrés et descendants d’immigrés en provenance de l’Afrique sahélienne (Sénégal, Mauritanie, Mali, Niger…). 57 % d’entre eux sont locataires d’un logement HLM, et les descendants de la génération précédente le sont encore à 63 %31. Dans ce groupe, par ailleurs, plus de la moitié des majeurs habitent encore chez leurs parents. À l’intérieur de cet ensemble, ce sont les immigrés maliens et sénégalais qui sont les plus représentés. Le sous-groupe des Maliens, non compris les Français d’origine malienne, détient 98 000 cartes de séjour32. Il s’est constitué à partir d’une migration de jeunes adultes, d’abord logés en foyers de travailleurs migrants, pour l’essentiel en Île-de-France. Dans ce sous-groupe, les familles nombreuses sont la règle et la polygamie demeure à l’état résiduel. Le deuxième sous-groupe est celui des Sénégalais (96 000 cartes de séjour en circulation).

Le deuxième groupe représenté dans le logement social, en proportion de son volume, est celui des immigrés de l’Afrique guinéenne ou centrale (Guinée, Côte d’Ivoire, Cameroun, République démocratique du Congo, Gabon…). 52 % d’entre eux en sont locataires. Les descendants de la génération précédente s’y trouvent encore à 47 %. Plus de la moitié des majeurs habitent chez leurs parents. Dans ce groupe, les Ivoiriens disposent de 91 000 cartes de séjour, les ressortissants de la République démocratique du Congo de 78 000 et les Camerounais de 66 000.

Les populations de l’Afrique non-maghrébine privilégient ainsi la location en HLM (57% des locataires en HLM sont issus de l’Afrique sahélienne et 52 % sont issus de l’Afrique guinéenne et centrale). Cette appétence s’explique à la fois par l’adaptation relative du logement social aux familles nombreuses et par l’image positive que ces populations ont du logement collectif, associé, dans les pays d’origine, à la modernité, au confort, voire au luxe.

Le troisième groupe en proportion, mais de loin le plus important en volume, est celui des immigrés algériens. La moitié d’entre eux habitent en HLM et 44 % des descendants des immigrés de la génération précédente y vivent encore. Le quart des majeurs vivent toujours chez leurs parents lorsque ceux-ci sont descendants d’immigrés. Ce groupe doit être considéré de manière particulière car les Algériens représentent, depuis l’indépendance de leur pays, le premier volume de l’immigration en France. En 2020, ce groupe cumulait 611 000 titres de séjour. La diaspora algérienne en France compte entre 2,5 et 3 millions de ressortissants, disposant pour la plupart de la double nationalité.

Le quatrième groupe en proportion est celui constitué par les immigrés marocains et tunisiens. 44 % de ces immigrés vivent en HLM ; 38 % des enfants de la génération précédente y sont encore. 34% des majeurs vivent chez leurs parents lorsque ceux-ci sont descendants d’immigrés. Les Marocains représentent le deuxième volume d’immigration, après les Algériens. Il est impossible de distinguer dans ce groupe les Marocains des Tunisiens, mais ces derniers étant plus souvent commerçants, il est probable qu’ils sont moins souvent locataires en HLM33.

Ces proportions, s’agissant d’une population de plusieurs millions de personnes, issues pour une part d’une immigration ancienne, semblent témoigner d’une forte réticence à quitter le logement social. Plusieurs raisons pourraient expliquer ce phénomène : le refus de s’ancrer, par un achat, dans le pays d’accueil, l’opportunité économique offerte par le faible montant des loyers résiduels pour investir dans le pays d’origine ou le désir de demeurer regroupés en communautés dans de mêmes espaces de vie. Nous y reviendrons.

Les groupes suivants présentent des comportements très différents. Seuls 39 % des ménages venus de Turquie ou du Moyen Orient vivent en HLM, quand ceux issus de la génération précédente ne le sont qu’à 27 %. Dans ce groupe, les ressortissants turcs sont de loin les plus nombreux (215 000 cartes de séjour). Seules 14 % des familles originaires d’Asie du Sud-Est sont locataires en HLM et 13 % des descendants d’immigrés de la génération précédente. Quant aux populations venues de Chine, elles ne sont que 8 % à vivre dans un logement social, quand les descendants de la génération précédente y sont presque absents. Les ressortissants chinois disposent pourtant de 114 000 cartes de séjour et forment la cinquième nationalité représentée en France.

Ces comparaisons semblent indiquer que la part prise par chacune des communautés étrangères au sein du secteur HLM ne résulte pas toujours d’un choix dicté par des considérations économiques. Interviennent aussi dans ce choix des calculs d’opportunité et/ou des modes de valorisation sociale.

2.2 La relation à la propriété, considérée comme un marqueur de l’intégration.

L’accès à la propriété est, plus encore que l’appétence pour le logement social, un marqueur de l’origine migratoire. En France, près de 60 % des ménages sont propriétaires de leur logement. En Espagne ou au Portugal, ce taux atteint 75 %. Malgré les contraintes qui pèsent sur les propriétaires occupants, leur nombre n’a jamais cessé de croître depuis vingt ans et il ne semble pas devoir s’infléchir. La propriété individuelle peut être considérée comme un marqueur d’intégration, si l’on veut bien considérer que l’achat d’un bien, c’est-à-dire l’achat d’une parcelle de la France, est une preuve concrète de l’attachement que l’on porte à ce pays. Au-delà, la possession d’un bien immobilier et d’une adresse modifie les relations de voisinage et facilite la participation des familles à l’entretien de leur environnement.

Le groupe le plus éloigné de la propriété de son logement est celui des immigrés de l’Afrique sahélienne, qui ne sont propriétaires qu’à hauteur de 13 %, quand les descendants de la génération précédente ne le sont devenus qu’à hauteur de 17 %. Le constat n’est pas étonnant, s’agissant d’immigrés de « fraîche date » et de familles aux revenus très modestes (comprenant beaucoup de femmes seules avec enfants). De la même façon, 17 % des immigrés d’Afrique guinéenne et centrale sont propriétaires de leur logement et 24 % des descendants de la génération précédente.

Beaucoup plus étonnant est de constater que seulement 22 % des immigrés venus d’Algérie sont propriétaires de leur logement. Et si ce pourcentage augmente, concernant les descendants de la génération précédente, il demeure toutefois relativement modeste (33 %). Ces résultats, les concernant, sont corrélés avec les données portant sur le mode de logement en HLM. Ce groupe privilégie ainsi ce type d’habitat, y compris sur la longue durée. Ce comportement est moins accentué en ce qui concerne les immigrés venus du Maroc et de la Tunisie, propriétaires à hauteur de 29 %.

En comparaison, 34 % des immigrés turcs sont propriétaires, contre 41 % des descendants de la génération précédente. En Alsace, par exemple, où ils sont nombreux, les immigrés turcs, très présents dans le secteur du bâtiment, préfèrent acheter et rénover des maisons anciennes. Pour mémoire, les Portugais avant eux, issus d’une immigration intracommunautaire, se comportaient de la même façon, privilégiant la maison individuelle à l’habitat social collectif.

Les populations d’origine asiatique sont majoritairement propriétaires de leur logement. C’est ainsi le cas de 51 % des immigrés venus de Chine. Les immigrés venus de l’Asie du Sud sont même plus souvent propriétaires de leur logement que les Français (61 %).

Ces fortes disparités méritent qu’on y prête attention. Si les ménages français habitent en HLM faute de pouvoir accéder à la propriété, ou s’ils le font de manière provisoire (les jeunes couples par exemple), les familles originaires du Maghreb (Algérie et Maroc) considèrent ce mode de logement comme un droit. Cela tient pour beaucoup aux relations que beaucoup d’entre elles continuent d’entretenir avec le pays d’origine.

Quand les premiers cherchent à se constituer un patrimoine immobilier pour échapper à la pression du logement collectif, les seconds investissent dans une résidence secondaire « au pays », qui, d’une certaine façon, illustre leur réussite. S’agissant de la première génération de l’immigration, ce comportement est parfaitement compréhensible. À la deuxième ou troisième génération, il ne peut que susciter des interrogations sur la nature des doubles appartenances.

PopulationRésidents en HLMRésidents en quartiers prioritaires
(QPV)
Propriétaires de leur résidence
Algériens1 525 000747 000472 750335 500
Marocains1 417 000623 000468 000411 000
Maliens980 000558 000304 000127 000
Turcs547 000213 000131 000186 000
Chinois170 00013 600n. c.104 000
Population
immigrée
7 000 0002 450 0001 600 0002 240 000
Population total67 800 00010 700 0005 400 00040 200 000

La population des Algériens, des Marocains, des Maliens et des Turcs est calculée à partir du nombre des titres de séjour (Rapport au Parlement pour 2022), assorti d’un coefficient 5/2 pour tenir compte des mineurs (estimés à trois par familles). La population des Chinois est calculée à partir d’un coefficient 4/2.

La population immigrée comprend la population étrangère et la population française née étrangère à l’étranger

2.3 Une source de transfert de capital ?

La rareté relative du logement social, en France, génère de fortes inégalités. La faiblesse de l’offre, comparée au volume des demandes, transforme son locataire en un « privilégié », surtout si le logement auquel il accède appartient à une résidence récente. Par ailleurs, le droit à demeurer toute sa vie dans un logement, quel que soit le niveau de ses revenus, constitue un avantage considérable, comparé à la situation des locataires de droit commun. Ce « privilège » pourrait être considéré comme normal si le logement social répondait à son objet initial : loger des familles modestes dans des périodes de transition. Or tel n’est pas le cas dès lors que le logement social, contrairement à son ambition, ne loge pas les familles les plus pauvres.

Les 10 millions de locataires du secteur public social sont ainsi les premiers bénéficiaires de la redistribution, aux dépens des autres. Et ils le sont davantage encore depuis la suppression de la taxe d’habitation. Le coût pour la collectivité publique dépasse, rappelons-le, 30 milliards d’euros sous forme de prêts aidés, de subventions, de déductions fiscales et d’aides aux personnes (APL).

Pour le locataire, ce privilège peut se traduire par une plus-value, quand le loyer résiduel, déduction faite de l’APL, ne dépasse pas quelques dizaines d’euros. Dans ces conditions, le gain obtenu permet de financer des transferts vers l’étranger, sous forme d’aide à la famille ou au village (c’est souvent le cas des familles d’origine africaine) ou d’investissement immobilier. Ce phénomène n’est pas quantifié. Les transferts d’argent connus de la France vers l’Algérie dépassaient 1,8 milliard en 2022. Le gouvernement algérien les encourage officiellement. Les transferts vers le Maroc, sans doute mieux tracés, atteignent 3,3 milliards d’euros.

Ces transferts privent les enfants des familles locataires d’un capital transmissible, dès lors qu’il est peu probable qu’ils s’installent un jour en Algérie ou au Maroc. Les jeunes majeurs d’origine maghrébine logent d’ailleurs plus souvent que les autres majeurs chez leurs parents. Dans ces pays, au Maroc en particulier, l’économie de la construction portée par les « émigrés » perturbe le marché en augmentant les coûts et prive les populations locales de l’opportunité de devenir propriétaire. La location des maisons édifiées en Algérie et au Maroc génèrent par ailleurs des plus-values qui ne sont pas soumises, comme en France, à prélèvements sociaux.

2.4 La concentration de l’habitat social.

L’hyperconcentration des immeubles HLM dans les mêmes espaces a généré en France des structures urbaines particulières que nous appelons

« quartiers » par défaut, mais que nous pourrions tout aussi bien appeler

« ville » eu égard à leur taille. C’est en particulier le cas des 1 500 quartiers dits « quartiers prioritaires de la politique de la ville » (QPV), dont beaucoup comptent plus de 10 000 habitants et certains plus de 20 000, c’est-à-dire autant que nombre de villes moyennes en France. Mais la comparaison s’arrête là, car si les villes moyennes disposent de tous les attributs de la démocratie locale, tel n’est pas le cas de ces « quartiers ». La représentation politique y est résiduelle, voire inexistante, les structures de concertation embryonnaires, les propriétaires méconnus et difficiles à joindre. Quant aux maires, ils ont été peu à peu écartés de la gestion du logement social et la disparition de la taxe d’habitation a supprimé le dernier lien qui attachait encore le locataire à sa commune.

Ces quartiers, d’une certaine façon, sont abandonnés à eux-mêmes quand les centres-villes apparaissent, en comparaison, suradministrés. Le contrôle social y demeure lâche. Tous les quartiers ou presque ont subi la disparition des gardiens d’immeuble, la fermeture des postes de police, la disparition

des conseils de quartiers et des associations de locataires et le recul des services à la population : la poste, la pharmacie ou la médecine de ville. Les plus impénétrables d’entre eux, pour des considérations d’urbanisme et/ou de réseau routier, ont facilité, dans la vacance de l’autorité publique, l’implantation d’activités illicites, jusqu’à devenir parfois de véritables « citadelles du crime ».

Même si la statistique publique peine à en rendre compte, ces quartiers concentrent plus que d’autres les populations d’origine extra-communautaire. Si l’on prend la catégorie des QPV, 23 % des immigrés y résident, mais seulement 7 % de l’ensemble de la population de 18 à 59 ans, et, parmi elle, 3 % de la population française d’origine française. Ces résidents sont principalement originaires du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne.

31 % des immigrés originaires d’Algérie habitent dans un QPV, représentant 650 000 personnes, enfants compris. Si l’on ajoute à ce chiffre 24 % des descendants de la génération précédente, estimée à 1,2 millions d’individus, soit 300 000 personnes, on comprend que la population d’origine algérienne approche le million de personnes dans ces quartiers, qui comptent au total 5,4 millions d’habitants. Ces chiffres remettent en cause l’image qu’en donnent les acteurs de terrain, qui décrivent le remplacement progressif des populations maghrébines par des populations originaires d’Afrique subsaharienne. Si ces dernières sont plus visibles dans l’espace public, le socle de la population des quartiers demeure majoritairement maghrébin.

Ces évolutions, qui renforcent la concentration des mêmes populations dans les mêmes espaces, ne manquent pas d’interroger la pertinence du modèle français de logement social, car elles contredisent l’objectif affiché de mixité sociale, en spécialisant les territoires. Il existe ainsi une corrélation entre le pourcentage des logements sociaux et celui des familles étrangères, même à l’échelle des départements : la Seine-Saint-Denis (1,6 millions d’habitants), longtemps animée par des communes communistes très pro-actives en matière de logement social, compte ainsi 189 000 logements sociaux et environ 510 000 immigrés, quand les Yvelines (1,4 millions d’habitants), ne comptent que 110 000 logements sociaux et 200 000 immigrés.

2.5 Quartiers HLM et désordres sociaux.

Si l’on ne peut faire du logement social la cause des désordres qui affectent la tranquillité publique et l’économie de la France, force est de constater qu’une grande partie de ces désordres (émeutes urbaines, rixes entre bandes,

délinquance de voie publique, trafic de produits stupéfiants) ont pour décor les grands ensembles d’immeubles HLM. L’État a d’ailleurs confirmé leur « dangerosité » en y créant ses 80 zones de sécurité prioritaire (ZSP). Ces ZSP appartiennent elles-mêmes à l’ensemble des 1 500 QPV, qui font l’objet d’une attention toute particulière. Si les pouvoirs publics, pour ne pas stigmatiser ces quartiers, n’ont jamais voulu fonder la politique de la Ville sur des considérations d’ordre public, préférant utiliser le critère de la pauvreté, il est évident que, depuis 1981 et les premières émeutes urbaines, ce sont toujours ces mouvements de violence collective qui déclenchent l’intervention de l’État, les derniers en date n’échappant pas à cette logique.

Le degré de violence qui règne dans le quartier, en l’absence de toute communication des pouvoirs publics, est intuitivement mesuré par la population. Leur « mauvaise réputation » n’est un mystère pour personne. Elle accentue le phénomène de concentration des populations : les familles

« paisibles » quittent le quartier et l’abandonnent à des comportements sans cesse plus violents. Paradoxalement, c’est aussi l’insécurité qui a justifié la fermeture des services essentiels à la population : commissariat, centre social, mairie annexe, médiathèque. La plupart des établissements scolaires de ces quartiers sont par ailleurs classés en réseaux d’éducation prioritaire, REP ou REP+.

Il est difficile de dire, faute de données, la part prise par les populations extracommunautaires à ces troubles. La difficulté est d’autant plus grande que le seul critère d’appréciation est celui de la nationalité. Or, la plupart des adolescents mis en cause sont français au titre des conditions d’accès anticipé à la nationalité française. Il est dommage que la statistique publique ne puisse établir des données fondées sur les doubles nationalités, alors même que les administrations diplomatiques étrangères (Maroc, Algérie, Turquie) en disposent. Les premières analyses conduites sur le profil des interpellés à la suite des émeutes de 2023 indiquent que plus des trois quarts des émeutiers étaient de nationalité française, le plus souvent originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne.

3.1 Le droit au maintien dans les lieux.

Au titre du « droit au maintien dans les lieux »34, , le locataire du secteur HLM dispose d’un bail à durée indéterminée. Cette disposition ancre les locataires dans leur quartier pour une durée très longue, parfois sur plusieurs générations. Elle favorise le « patriotisme » de quartier au détriment d’une insertion dans l’espace de vie de la commune. Elle enferme les plus jeunes dans une forme d’appropriation territoriale qui, dans ses effets les plus violents, pourrait être qualifiée de « tribale ». D’une certaine façon, c’est ce mécanisme qui, empêchant l’éviction des fauteurs de trouble, finit par renforcer les réseaux criminels en chassant de leur quartier les familles désireuses de vivre en paix.

Le bailleur ne peut résilier le bail qu’en cas d’impayé de loyer, de troubles de voisinage, de revenus nouveaux, de sous-location ou de résidence inférieure à huit mois dans l’année. Ces hypothèses sont surtout théoriques, sauf en ce qui concerne les impayés de loyer. Mais, même dans cette hypothèse, la réalisation effective de l’expulsion n’est jamais sûre, car le préfet peut décider de ne pas donner suite à la décision du juge, une compensation étant alors offerte au bailleur, financée par des crédits du ministère de l’Intérieur. Le second motif (les troubles de voisinage) est en partie neutralisé par l’obligation faite au bailleur, en vertu de la loi DALO exposée plus bas, de reloger le locataire indélicat. Les autres motifs sont rarement utilisés, parce que les moyens de contrôle sont limités et que l’omerta qui règne dans nombre de ces quartiers retiendrait des voisins de dénoncer le locataire indélicat. La sous-location, par exemple, est manifestement répandue, sans être poursuivie.

3.2 L’illusion de la mixité sociale.

Les institutions publiques pensent remédier à la paupérisation ou à la criminalisation des quartiers en favorisant la « mixité sociale », dont personne ne sait dire s’il s’agit d’une mixité des revenus ou d’une mixité ethnique, linguistique ou religieuse. Dans leur esprit, le brassage des origines et des modes de vie doit contribuer à faire baisser les tensions entre les groupes. Mais cette vision de la société heurte l’aspiration des familles qui souhaitent vivre, elles, dans des espaces homogènes, quitte à reconstituer des communautés soudées par des solidarités de voisinage et des références culturelles partagées.35

Dans les faits, la recherche de la mixité sociale se traduit d’abord par la duplication, à une échelle plus petite, des mêmes types de quartiers, car, même s’il existe quelques contre-exemples réussis – à travers, par exemple, la reprise de logements anciens dans des centres-villes – les bailleurs sociaux n’ont souvent pas d’autre choix, pour des raisons de coût, que de proposer un habitat sous forme d’immeubles collectifs dans des lieux délaissés du tissu urbain.

La loi SRU36 a exigé que toutes les communes urbaines disposent d’un pourcentage de logements sociaux établi à 25 %. L’obligation est assortie d’un mécanisme d’amende particulièrement contraignant. Le caractère résolument « punitif » de la mesure, relayé par la presse, vise les communes considérées comme « trop riches ». La loi n’a pas exigé, en revanche, d’équilibrer le surcroît de logements sociaux que l’on trouve en Seine-Saint-Denis ou dans le Val-de-Marne en y promouvant la construction de résidences privées. Ce pourcentage des 25 % n’est assis sur aucune justification explicite et son bilan n’a jamais été établi. L’objectif est pratiquement impossible à réaliser dans des milieux urbains denses où le prix du foncier ne permet pas d’équilibrer les opérations. Dans le même temps et de manière paradoxale, plus de 60 % des Français, selon les déclarations du ministère du Logement, pourraient prétendre à un logement HLM, dès lors qu’ils disposent de revenus inférieurs aux plafonds en vigueur.

3.3 Le droit au logement opposable.

La loi instituant le droit au logement opposable, votée le 7 mars 2007, a introduit des « coupe-files » discriminants dans l’attribution des logements, qui ont manifestement accentué la paupérisation du secteur. La loi a ainsi déterminé une catégorie de demandeurs prioritaires et confié aux préfets l’obligation – assortie d’un mécanisme de condamnation – d’user de cette priorité.37Les priorités concernent les personnes « dépourvues de logement, menacées d’expulsion sans relogement, hébergées ou logées temporairement, logées dans des locaux insalubres ou dangereux ou logées avec un enfant mineur ou une personne handicapée dans des locaux suroccupés ». Seuls les étrangers en situation régulière peuvent y prétendre. Depuis 2008, entre 30 000 et 40 000 demandes sont déposées à ce titre chaque année. Si l’on croise ces critères avec ceux relatifs à la situation familiale (priorité donnée aux femmes seules avec enfants), il est évident que la mesure favorise les familles monoparentales, dont beaucoup sont d’origine étrangère. On trouve de manière paradoxale dans cette liste les familles qui ont fait l’objet d’une mesure d’expulsion pour troubles graves à l’ordre public, que le préfet est contraint de reloger, contre toute attente, dans le parc HLM.

L’instrument juridique qui permet d’imposer le choix du préfet est le « contingent préfectoral », alimenté par 30 % de toutes les nouvelles constructions (5 % étant réservés aux fonctionnaires et aux militaires). Ce contingent préfectoral recoupe le parc des PLAI38. Le mécanisme est d’une telle efficacité que la Première ministre a demandé aux préfets39, à l’issue d’un CIV40 tenu en octobre 2023 à Chanteloup-les-Vignes, d’y déroger, en installant les familles les plus précaires en dehors des quartiers prioritaires.

3.4 La prise en charge des familles monoparentales.

Les travaux réalisés sur le profil des émeutiers interpellés lors des évènements de juin-juillet 2023 révèlent la surreprésentation d’individus masculins vivant dans des familles monoparentales. Ils confortent des travaux menés antérieurement sur le même sujet. Le profil de ces familles est bien connu : une mère de famille seule, salariée, qui vit avec plusieurs enfants, les pères étant absents ou disparus et ne contribuant pas à l’entretien des enfants. On peut inclure dans ce groupe les épouses de familles polygames « décohabitantes »41. Les garçons de ces familles sont élevés en l’absence de toute référence paternelle et, dans l’école, qui reste leur principal lieu de socialisation, les enseignants sont majoritairement des femmes. À la marge, ce type d’organisation familiale a pu être encouragé par des politiques sociales qui accordent des droits spécifiques aux mères isolées. En tout état de cause, la plupart de ces familles vivent sous le seuil de pauvreté et les dispositifs sociaux de proximité (aide à la parentalité) ont presque tous disparu, remplacés par des prestations financières. Les familles monoparentales occupent 23 % des logements sociaux.

3.5 Les concentrations ethnico-religieuses.

Les grands quartiers d’habitat social abritent aujourd’hui le plus grand nombre de lieux de culte, en particulier de lieux de culte musulman (mosquées), de toutes obédiences. Ces lieux de culte ont parfois été édifiés sur des terrains publics. Ils répondent à une demande de proximité des fidèles concentrés dans ces quartiers, mais ils accentuent le caractère communautaire du quartier, car les mosquées ne sont pas seulement des lieux affectés à la prière : elles sont aussi des lieux de vie associative, de solidarité et d’échanges, voire d’éducation. Pour cette raison, des demandeurs de logement sociaux peuvent chercher à rejoindre une communauté déjà constituée. C’est ce mécanisme qui a favorisé l’émergence de sous-quartiers pakistanais ou tchétchènes. Les concentrations fondées sur la culture d’origine engendrent par ailleurs l’émergence d’un commerce spécialisé, de proximité : restauration sans porc, boutiques de produits exotiques, coiffeurs « africains ». Leurs boutiques sont louées par les bailleurs sociaux. Les seuls commerces généralistes présents dans les « quartiers » sont les pharmacies.

3.6 L’incidence de la carte scolaire dans la cartographie des peuplements.

Chacun de ces quartiers dispose d’une ou de plusieurs écoles et d’un ou de plusieurs collèges. Si les écoles maternelles sont peu discriminantes, les écoles primaires le sont davantage et les collèges beaucoup plus, à cause de la violence qui y règne. Sans que l’Éducation nationale n’ait besoin de publier de statistique sur le sujet, tous les parents d’élèves distinguent les « bons » établissements des « médiocres ». Le niveau est évidement corrélé à la population scolaire. La carte scolaire est sans doute le premier vecteur des stratégies de peuplement. Les familles modestes, et plus particulièrement les familles d’origine africaine, accordent à l’éducation de leurs enfants une grande importance, sachant qu’elles ne peuvent y contribuer sans le soutien de l’école. Dès lors, les stratégies d’évitement renforcent les disparités. De nombreux parents scolarisent leurs enfants dans des établissements sous contrat ou hors contrat, de nature confessionnelle (musulmane ou catholique) ou non-confessionnelle (écoles Espérance banlieues). Les établissements publics y perdent de bons élèves et leur niveau s’affaisse.

3.7 L’accompagnement des personnes très âgées.

14,3 % des locataires en HLM avaient plus de 65 ans en 2020. Le secteur loge un pourcentage très important de personnes âgées, voire très âgées, malgré l’absence d’ascenseurs et de commerces de proximité. Ces personnes âgées sont, d’une certaine façon, les victimes de l’inertie du système. Elles ont payé toute leur vie un loyer sans pouvoir se constituer un capital qu’elles aurait pu transmettre à leurs enfants, et elles n’ont jamais bénéficié des programmes de rénovation urbaine qui auraient pu améliorer la qualité de leur logement. Elles sont les grandes oubliées des politiques du logement social. Ces personnes âgées, en général seules, qui occupent des appartements trop grands pour elles, ne font l’objet d’aucun accompagnement social, malgré leur isolement.

Si, comme tente de le démontrer cette note, la structuration du logement social a accentué les difficultés que connaissent désormais tous les territoires de la métropole, une révision des principes fondés dans les années 1960 paraît s’imposer. Elle suppose de recentrer le logement social sur l’accueil des familles précaires et la meilleure intégration des populations issues des migrations extra-européennes. A tout le moins, il conviendrait que le logement social redevienne ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un habitat temporaire dans un parcours résidentiel accompagné, au cours duquel le locataire pourrait envisager à terme une accession à la propriété. Au-delà, cette idée que l’État, à travers ses satellites, serait un meilleur gestionnaire que les propriétaires privés semble contredite par l’état général du parc HLM. Faute de réflexion approfondie, un moratoire paraît donc s’imposer, sans attendre que la situation financière des bailleurs finisse par l’imposer.

Au-delà, le bailleur social ne peut être un simple gestionnaire de logements. Sa vocation sociale suppose la mise en place de structures d’accompagnement. Les résidents en grande difficulté (familles monoparentales en situation de précarité, personnes âgées isolées) doivent faire l’objet de suivis individuels. Le propriétaire public doit aussi s’assurer que les locataires vivent en paix, ce qui suppose qu’il ait la capacité d’agir pour faire cesser les troubles graves à l’ordre public (agressions, trafic de drogues, rodéos…) qui naissent au sein de son patrimoine.

La seule façon, pour le bailleur, de rappeler aux locataires fauteurs de troubles les obligations qui pèsent sur eux est de mettre en place un bail à durée limitée, qui ouvrirait la possibilité, en dehors des mesures plus coercitives (expulsions locatives), de ne pas le renouveler au-delà de sa durée. Cette échéance permettrait, en amont, un examen de la situation du locataire, justifiant un renouvellement du bail ou un accompagnement vers une autre solution. Seraient ainsi pris en compte lors de ce « rendez-vous » le comportement de la famille, mais aussi ses revenus réels (en cas de condamnation pour trafic de produits stupéfiants) et les biens estimés à l’étranger.

Ces mesures nécessitent que l’accès à la propriété privée soit plus fortement encouragé. La vente des logements sociaux aux locataires n’est pas une solution adaptée, car elle place le locataire en position de participer au financement des rénovations. Le bail réel solidaire (BRS) prive le locataire d’une éventuelle plus-value de son logement, mais le principe sur lequel il se fonde, la dissociation du foncier et du bâti, est sans doute la plus juste pour imaginer des solutions réalisables en secteur tendu.

S’agissant des « quartiers » les plus concentrés, comprenant plus de 5 000 habitants, la création d’un statut juridique spécifique semble s’imposer, sous la forme par exemple de « commune associée ». Nous pensons en effet que la paix publique n’est pas sans lien avec l’exercice de la démocratie locale. Le modèle communal, qui fait ses preuves depuis 1789, a permis l’émergence d’une représentation politique des habitants animée par une « élite » ancrée dans le territoire. Les habitants des quartiers votent peu car les élections locales ne les concernent que de loin. Beaucoup même continuent de suivre l’actualité politique de leur pays d’origine. On ne peut leur refuser ce que l’on accorde aux millions de Français qui vivent dans des villes de moins de 10 000 habitants.

Enfin, il paraît difficile de continuer à gérer le secteur du logement social en faisant fi des mécanismes de peuplement, surtout en situation d’immigration massive. Sans recourir aux statistiques ethniques, la mention de la nationalité d’origine du demandeur, et/ou de sa seconde nationalité doit être un élément de la recevabilité du dossier. Un observatoire national des peuplements paraît même s’imposer. Si l’on voulait éviter que soient discriminées, dans l’accès au logement social, les familles d’origine française, un critère de correction comme la durée de présence en France pourrait utilement compléter la liste de ceux pris en compte pour le classement des demandes.

La période de moratoire serait par ailleurs utile pour établir un bilan et corriger les mesures issues des lois SRU et DALO, dont les effets ont été signalés plus haut et revoir les mécanismes d’expulsions locatives (obligation faite aux juridictions de rendre un jugement sous deux mois, par exemple). Les habitants des cités HLM souffrent beaucoup de la présence d’un petit noyau de familles génératrices des principaux désordres et la présence de certaines d’entre elles depuis trois générations a enfermé les plus jeunes dans une appropriation du territoire qui les retient d’accéder à l’espace de la Nation.

  1. Établir un bilan des lois SRU et DALO, afin d’identifier les ajustements nécessaires pour améliorer l’efficacité des politiques de logement social ;
  2. Instaurer un moratoire, suspendre temporairement de nouvelles initiatives dans le logement social pour permettre une réflexion approfondie sans attendre que la situation financière ne l’impose ;
  3. Recentrer la politique du logement social, en opérant prioritairement l’accueil des familles précaires et l’intégration des populations issues des migrations extra-européennes, en réaffirmant le caractère temporaire du logement social et en le définissant comme une étape vers l’accession à la propriété ;
  4. Considérer la nationalité d’origine du demandeur comme un élément de recevabilité du dossier, sans recourir à des critères ethniques, pour mieux équilibrer les peuplements ;
  5. Ajouter dans la liste des critères pour le classement des demandes de logement social un critère de correction comme la durée de présence en France afin que ne soient plus discriminées les familles d’origine française ;
  6. Identifier les familles génératrices de troubles persistants, et proposer des mesures correctives pour rétablir la paix et favoriser l’intégration des jeunes générations ;
  7. Instaurer un bail à durée limitée afin de dissuader les comportements nuisibles de locataires perturbateurs ;
  8. Examiner les procédures d’expulsion pour les rendre plus rapides, tout en garantissant un traitement équitable pour les locataires concernés ;
  9. Renforcer les structures d’accompagnement pour les résidents en difficulté, en particulier les familles monoparentales précaires et les personnes âgées isolées ;
  10. Encourager l’accès à la propriété privée par la promotion de modèles alternatifs comme le bail réel solidaire pour permettre l’accès à la propriété sans nécessiter une vente des logements sociaux ;
  11. Étudier la création d’un statut juridique distinct pour les « quartiers » les plus concentrés, ceux comprenant plus de 5 000 habitants, sous la forme par exemple de « commune associée », pour renforcer la démocratie locale et l’engagement civique.

  1. Les derniers « désordres » collectifs, sous forme d’émeutes, se sont déroulés en juin-juillet 2023. Il faut y ajouter la longue série de meurtres commis avec des armes de guerre ou des couteaux, dans les quartiers eux-mêmes ou à l’extérieur (affaire de Crépol, novembre 2023).
    ↩︎
  2. La loi SRU (solidarité et renouvellement urbain) du 13 décembre 2000 a eu pour effet de disperser les ensembles de logements sociaux dans des communes suburbaines ou semi-rurales.
    ↩︎
  3. Pour l’Insee, les immigrés se définissent comme étant nés étrangers à l’étranger. Ils peuvent être français ou étrangers. D’autres définitions existent. L’OCDE, par exemple, intègre les Français nés français à l’étranger.
    ↩︎
  4. En 2018, ce pourcentage était de 31%, l’augmentation concernant à titre principal les locataires originaires d’Afrique subsaharienne.
    ↩︎
  5. Insee, Immigrésetdescendantsd’immigrés, [en ligne]. La notion de Français non immigrés désigne les Français qui ne sont ni immigrés ni descendants d’immigrés de deuxième génération. ↩︎
  6. Ibid. Ce pourcentage ne comprend pas les Français de parents immigrés qui ont conservé la nationalité de leurs parents (Français dits de « culture étrangère »). ↩︎
  7. 1.Michel Aubouin, Rapport à l’Association des maires d’Île-de-France sur les rixes entre adolescents, 2022, non publié. Michel Aubouin, « Mourir pour son quartier », Administration, n° 276, janvier 2023, p. 60-61.
    ↩︎
  8. Définition donnée par le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, mise en ligne le 14 octobre 2022. ↩︎
  9. Convention APL (aide personnalisée au logement). ↩︎
  10. 10.Décret n° 58-1464 du 31 décembre 1958 relatif aux zones à urbaniser en priorité, signé par le président du Conseil, Charles de Gaulle, et le ministre de la Construction, Pierre Sudreau. ↩︎
  11. Loi du 7 août 1957. ↩︎
  12. Grigny, dans l’Essonne, est ainsi passée en quelques années de moins de 3 000 habitants à plus de 25 000. ↩︎
  13. Hervé Vieillard-Baron, « Sarcelles aujourd’hui : de la cité-dortoir aux communautés ? », Espace Populations Sociétés, 1996, 2-3, p. 325-333. ↩︎
  14. Robert Lion, éditorial, Revue H, novembre 1975, cité par Agnès Berland-Berthon, La démolition des immeubles de logements sociaux. Histoire urbaine d’une non-politique publique, Editions du CERTU, 2009. La référence à Harlem était étrangement prémonitoire. ↩︎
  15. Marie-Claude Blanc-Chaléard, « Les immigrés et le logement en France depuis le xixe siècle. Une histoire paradoxale », Hommes et Migrations, 2006, p. 20-34. Ces opérations intervenaient moins de dix ans après la guerre d’Algérie, qui avait traumatisé de nombreuses familles d’appelés et chassé d’Algérie un million de Français d’origine espagnole ou italienne. ↩︎
  16. Le 1% patronal (participation des employeurs à l’effort de construction) a été créé en 1943. Il représente aujourd’hui 0,45% de la masse salariale. ↩︎
  17. Opération « anti été chaud » de 1981. ↩︎
  18. Les Minguettes, Vénissieux (Rhône), 1983. ↩︎
  19. Cour des Comptes, Assurer la cohérence de la politique de logement face à ses nouveaux défis, juillet 2023. OCDE, Le logement social, un élément essentiel des politiques d’hier et de demain, 2020. ↩︎
  20. 2 160 000 demandes de logement social étaient enregistrées fin 2020. « Demandeurs de logements sociaux (chiffres clés du logement) » dans Chiffresclésdulogement.Voir édition 2022, Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, juillet 2022. ↩︎
  21. La France comptait en 2022, 275 000 arrivées (premières cartes de séjour), mais seulement 90 000 nouveaux logements. ↩︎
  22. OLS : organisme de logement social ; OPH : office public de l’habitat. ↩︎
  23. Le montant annuel de ce prélèvement est compris entre 1,5 et 2 milliards par an. ↩︎
  24. Loi Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite ELAN, du 23 novembre 2018. ↩︎
  25. Le programme national de rénovation urbaine (PNRU), lancé en 2004, a permis de réhabiliter 600 quartiers et mobilisé 12 milliards d’euros. ↩︎
  26. 3% des occupants du parc social font partie des 20% des personnes les plus aisées. 2/3 d’entre elles résident dans l’aire urbaine de Paris. Insee première, n° 1715, 24/10, 2018. ↩︎
  27. Données de la Caisse des dépôts et consignations. Banque des territoires, « Coûts de construction des logements sociaux : un prix de revient en hausse modérée », Éclairage, n° 25, octobre 2021. ↩︎
  28. 28.Ce phénomène a été mis en évidence par l’étude de la situation de Grigny (Essonne), à travers la copropriété Grigny 2. Voir Michel Aubouin (dir.), Rapport sur l’évaluation et l’orientation des politiques publiques mises en œuvre à Grigny (Essonne), Ministère de l’Intérieur, Inspection générale de l’administration, 2016 (une synthèse du rapport a été mis en ligne par la commune de Grigny). Il a été confirmé par une visite de la commune de Montfermeil (Seine-Saint-Denis). ↩︎
  29. 29.Insee, ministère de l’Intérieur, Le logement des immigrés vivant en France en 2017. ↩︎
  30. Enquête Insee et Ined, Trajectoires et origines, 2, (2019-2020). ↩︎
  31. 31.Ce chiffre est difficile à interpréter. Il semble démontrer que cette catégorie de la population demeure en logement HLM sur deux générations au moins. ↩︎
  32. Chiffres du ministère de l’Intérieur pour 2021. RapportauParlement. Les cartes de séjour étant attribuée aux seuls adultes, le nombre des enfants n’est pas connu. ↩︎
  33. Pour des questions de régularité de leurs revenus, les commerçants n’accèdent pas facilement au logement social. ↩︎
  34. Le droit au maintien dans les lieux résulte de l’article 4 de la loi du 1er septembre 1948. ↩︎
  35. Il va de soi que les promoteurs de ces mesures sont rarement concernés par cet effort de « mixité sociale ». ↩︎
  36. Loi n°2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, legifrance. gouv.fr. Voir en particulier l’article 55. ↩︎
  37. Haut Comité pour le droit au logement, « L’accès au logement des ménages mal-logés », septembre 2023. ↩︎
  38. Les logements PLAI sont financés par le prêt locatif aidé d’intégration. Ces prêts sont réservés au secteur HLM. Ministère chargé de la Ville et du Logement, « Les aides financière au logement », septembre 2022. ↩︎
  39. « Pour favoriser la mixité sociale, Elizabeth Borne demande aux préfets de ne plus attribuer de logements dans les quartiers prioritaires aux plus précaires », LeMonde, 27 octobre 2023. ↩︎
  40. Comité interministériel des villes ↩︎
  41. Une épouse décohabitante est une épouse qui fait toujours partie de la famille polygame mais qui occupe une autre logement. ↩︎

La France a développé, dans l’espace européen, un modèle de logement social sans équivalent, qui concentre des populations aux revenus modestes dans des ensembles d’immeubles collectifs, séparés du reste du tissu urbain et dépourvus d’une partie des services offerts à la population des centres-villes. Ce modèle, forgé par une conception « socialisante » du logement et conforté par des considérations économiques, génère depuis le début des années 1980 une série de désordres dont l’ampleur ne fait que croître au fil des décennies, sans qu’il ne soit remis en cause1. Malgré les inconvénients manifestes de ce type d’habitat, plusieurs lois sont intervenues au cours des dernières années pour en imposer l’extension, au prétexte d’une juste répartition de la charge entre toutes les communes. 2 Le logement de type « HLM » représente désormais un quart du parc des logements en milieu urbain.

Surtout, le logement social public, au lieu de résoudre la question de l’intégration des nouveaux venus, dans une perspective, au demeurant discutable, de « mixité sociale », a accentué la spécialisation des territoires. Les immigrés3 y occupent une position singulière : 35 % d’entre eux y vivent4, contre seulement 11 % des Français non immigrés5. Et leur surreprésentation s’accentue avec la concentration de l’habitat. Ainsi, dans le sous-ensemble des 1 513 quartiers de la politique de la ville (QPV), représentant 5,4 millions de locataires, résident 23 % des immigrés, soit 1,61 millions de personnes6. Cette surreprésentation des familles immigrées conforte l’idée que se font les Français d’un habitat destiné en priorité aux « étrangers », mais cette idée est trop générale pour être vraie. Surtout, elle ignore que les modes d’habitat diffèrent de manière significative selon l’origine des populations concernées.

Le secteur HLM occupe aujourd’hui une place que l’on pourrait qualifier d’exorbitante. La France détient le quart des 21 millions de logements sociaux recensés dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. L’extension et la gestion du parc, qui relèvent d’organismes de statut public, mobilisent d’importants financements publics. Surtout, le parc des logements sociaux de type HLM a beaucoup perdu de sa fluidité. Les taux de rotation y sont désormais très faibles. Les mécanismes d’implantation des mêmes familles dans les mêmes quartiers pendant parfois plusieurs générations ont contribué à ancrer le phénomène de la « culture » de quartier, qui a fait du locataire, à terme, un « quasi-propriétaire », le propriétaire réel étant perçu comme lointain et anonyme. Cette « culture » se décline, pour les plus jeunes, en une forme d’appropriation de « leur » territoire (le « ter-ter ») qu’ils défendent contre tous les autres, dans des rixes parfois mortelles.7

La singularité française du logement social appelle plusieurs questions. Quel rapport entretiennent les populations étrangères et d’origine étrangère avec le logement HLM ? Quels mécanismes juridiques favorisent ou défavorisent-ils leur accès à ce type de logement ? Quels sont les freins à la mobilité et au parcours résidentiel qui entravent la mobilité dans l’habitat ? Comment s’effectue la prise en charge des populations en difficultés d’intégration par les organismes HLM ?

Telles sont les interrogations que cette note tente d’éclaircir, dans les limites des données disponibles.

1.1 Une histoire marquée du sceau de l’État

Le logement social, « dont la construction bénéficie de soutien public et destiné à loger des personnes à faibles revenus »8,présente, en France, un caractère à la fois redistributif et étatique. La part des investissements privés (patronat, fondations, institutions religieuses, associations caritatives…) y est devenue résiduelle. La plupart des communes qui disposaient d’un parc de logements sociaux en sont aujourd’hui dépossédées, sauf Paris.

Depuis 1979, l’objet juridique « logement social » est conditionné par la signature d’une convention entre un bailleur et l’État 9. Se trouvent ainsi exclus les logements non conventionnés, y compris ceux qui accueillent les plus pauvres, relevant d’un habitat dit « social de fait », que l’État ignore et pour lesquels nous ne disposons d’aucune statistique publique. Par ailleurs, nombre de parcs de logements à vocation sociale – les logements collectifs pour le personnel militaire par exemple – ne sont pas considérés comme des logements sociaux stricto sensu.

Le logement social est d’abord une émanation de l’État. Les règles de construction, de gestion, d’attribution des appartements et le montant des loyers sont strictement encadrés par des normes produites par le ministère en charge du logement et contenues dans le Code de la construction et de l’habitation. Comme toutes les règles générées par l’administration centrale, elles se sont beaucoup complexifiées au cours des dernières années.

En France, le logement social privilégie la forme d’appartements en immeubles collectifs (86 % du parc) plutôt que la maison individuelle, comme on en trouvait jadis dans les corons du bassin minier et comme cela demeure le cas en Grande-Bretagne (60 % des logements sociaux). Ses modalités de construction sont déterminées, depuis l’origine, par le coût du foncier, sauf en milieu rural. Dans le même temps, et de manière paradoxale, les immeubles sont le plus souvent « posés » dans des espaces non bâtis (pelouses, parkings, dalles…) qui leur donnent une apparence déstructurée qui détonne dans le tissu urbain « ordinaire ». Il est probable, même si ce n’est pas l’objet de ce travail, que ce mode d’habitat obéisse à des modèles implicites qui persistent depuis les années soixante sans avoir été contestés.

L’histoire du logement social « à la française » remonte aux années d’après-guerre, en rupture avec la période précédente, dominée par l’initiative privée (maisons ouvrières, cités-jardins…) et la volonté d’allier habitations à loyer modéré et confort de vie, dans une perspective hygiéniste. Cette rupture doit beaucoup à l’appel de l’Abbé Pierre de 1954, attirant l’attention des pouvoirs publics sur les situations de mal-logement, en particulier dans les villes affectées dix ans plus tôt par des bombardements.

Le premier acte de cette « révolution » fut le décret du 31 décembre 1958 instituant les zones à urbaniser en priorité (ZUP) 10, pris en application d’une loi-cadre votée deux ans plus tôt11, qui prévoyait la construction de 300 000 logements par an. Le décret prescrivait l’édification d’ensembles homogènes d’au moins 500 logements et créait un droit à préempter les terrains nécessaires à leur réalisation. Les opérations furent confiées à des sociétés d’économie mixte à la main des préfets de département. Les terrains furent choisis en fonction de leur moindre valeur, le plus souvent dans des secteurs excentrés, souvent contre l’avis des maires des communes concernées. De nombreuses communes semi-urbaines passèrent ainsi, en quelques années, du statut de village à celui de ville12.Les ingénieurs adaptèrent les modes de construction pour en réduire les coûts. La technique du chemin de grue permit d’édifier des immeubles dans des délais restreints, sous forme de barres ou de tours.

En dix ans, 197 ZUP furent réalisées, qui allaient accueillir 2,2 millions de logements, pour l’essentiel en HLM. Ces logements offraient un confort « moderne » pour des familles vivant dans des conditions souvent précaires. Mais le choix des terrains et les techniques de construction ne les destinaient par à durer. Le HLM s’inscrivait dans un paysage dominé par l’habitat individuel, sous forme de « pavillons ». Ce mode de logement était donc conçu comme une étape à durée limitée dans un parcours résidentiel qui devait aboutir à une accession à la propriété. Ce processus a parfaitement fonctionné jusqu’au milieu des années 1970, en partie porté par l’effet de levier de l’inflation. Il est aujourd’hui remis en cause, sans solution de remplacement, pour avoir favorisé l’étalement urbain au détriment des espaces agricoles.

1.2 Un logement « pour les immigrés » ?

Le logement social, destiné à être occupé par des familles de travailleurs modestes, souvent issus des migrations intérieures, n’avait pas vocation à accueillir des populations immigrées, sauf dans les bassins miniers et sidérurgiques où elles étaient majoritaires. Les salariés maghrébins étaient logés en foyer, en tant que célibataires. Par exception, en 1962, le logement social fut mobilisé pour abriter, de manière provisoire, le million de rapatriés d’Algérie.13

En 1970, le logement social, construit à moindre coût, avait beaucoup vieilli et d’une certaine façon, il avait rempli son rôle. Une grande partie des taudis de centre-ville et autres « garnis » était en passe d’être résorbée. Ses premiers locataires l’ayant quitté, il était donc destiné à être démoli. Le Livre blanc de l’Union des HLM (UNFOHLM) édité en 1975, sous la direction de son délégué, Robert Lion, évoque l’idée de détruire un million de logements : « Désertés par les ménages les moins défavorisés, ces grands ensembles deviendraient de grands ghettos. Nos banlieues urbaines sont- elles appelées à devenir une constellation de petits Harlem ? Aura-t-on recréé demain sur un mode vertical les bidonvilles que l’on a liquidés avec ardeur et bonne conscience ? » 14

Il restait la question des bidonvilles, occupés à titre principal par des familles algériennes et portugaises. La loi Vivien du 10 juillet 1970 prescrivit leur résorption. Celui de Nanterre fut fermé l’année suivante. Assez naturellement, après un passage dans des cités de transit, les familles déplacées furent dirigées vers des logements HLM, rendus disponibles par le départ de leurs locataires initiaux. La question de la cohabitation entre les résidents français et les nouveaux résidents, d’origine maghrébine, se posa d’emblée, générant des travaux théoriques sur l’existence d’un « seuil de tolérance ».15

La crise économique allait encore compliquer l’équation, car elle déboucha, en dépit de l’orientation affichée par le gouvernement, sur une arrivée massive de familles en provenance du Maghreb. En 1976, le regroupement familial ouvrit la porte à l’installation des conjoints et des enfants de travailleurs maghrébins qui vivaient jusque-là dans des foyers gérés par la Sonacotra. Les industries automobiles de la région parisienne, qui utilisaient une main-d’œuvre marocaine, facilitèrent l’implantation de leurs familles dans la banlieue ouest (Trappes, Poissy), au titre de leur contribution au logement social (le 1 % patronal 16). Les Algériens se concentrèrent en Seine-Saint-Denis.

La dégradation de l’image du HLM ayant incité les locataires d’origine française à s’en éloigner, le logement social se spécialisa, sans y avoir été contraint, dans l’accueil des familles immigrées, en Île-de-France et dans les grandes agglomérations. Ces familles avaient des enfants nombreux, souvent nés en Algérie ou au Maroc, qui prirent possession de l’espace public. Les premiers désordres apparurent dès la fin des années 1970. Au début des années 1980, ces désordres prirent une allure suffisamment inquiétante pour obliger l’État à répondre par la mise en place d’une politique d’animation17 et les premières opérations de destructions d’immeubles. 18La structuration d’une politique centrée sur les quartiers les plus « remuants » forma une politique de la ville, qui allait distinguer, au sein du grand ensemble des quartiers d’habitat social, ceux qui auraient été désignés comme « sensibles ». Cette politique, qui ne disait rien de son objet, allait, d’une certaine façon, paralyser la réflexion durant plusieurs décennies.

Dans le même temps, l’intervention budgétaire de l’État, jusque-là centrée sur les aides à la construction (aides « à la pierre »), se doubla d’une politique d’aide au paiement des loyers (dites aides « à la personne »). Une allocation de logement (ALF) avait été instaurée dès 1948 pour accompagner la libération des loyers. En 1977, ce fut l’APL (aide personnalisée au logement) qui allait réduire de manière significative l’effort consenti par le locataire pour payer son loyer, le versement de l’APL étant conditionné à la signature d’une convention, qui allait elle-même déterminer le périmètre juridique du logement social. La boucle était bouclée, mais l’intention restait confuse.

Conçu comme une solution provisoire pour des familles mal-logées, le secteur HLM allait à terme loger un sixième de la population vivant en France (17,6 % des résidences principales) et alimenter l’essentiel de l’économie de la construction.

1.3 Le logement social aujourd’hui, l’impasse d’un modèle.

En 2022, 5,4 millions de ménages, sur les 30 millions que compte la France, habitent un logement social. L’État consacre 38,2 milliards d’euros à la politique du logement, soit 1,5 % de son PIB19. C’est deux fois plus que dans le reste de l’Europe. Le logement social occupe en France une place considérable ; pourtant l’offre, jamais, ne rattrape la demande.

Deux millions de demandes de logements sont enregistrées en moyenne chaque année, pour seulement 450 000 attributions 20.Le taux de rotation annuel des occupants est inférieur à 7 %, le taux de vacance inférieur à 1 %. L’âge moyen des occupants dépasse les 50 ans. Le système est totalement bloqué. Surtout, il peine à accueillir ceux qui en auraient le plus besoin, c’est-à-dire les plus modestes. Les gouvernements successifs appellent à augmenter le nombre des logements sociaux, en vain. En tout état de cause, ce nombre ne pourrait répondre à une demande de logements alimentée par une immigration de masse, où le volume des nouveaux arrivés est deux ou trois fois plus important que la capacité à construire de nouveaux logements21.

Longtemps à la main des maires, l’accès au logement social est désormais directement piloté par la « machine » administrative, qui encadre les conditions d’attribution, les listes d’attente et la répartition des demandeurs. À terme, un algorithme centralisé devrait assurer la répartition des attributions en fonction d’une liste de critères prédéfinis. L’intention non formulée du ministère du Logement est d’éviter que les maires ne fassent du logement une monnaie d’échange dans un processus électoral. La compétence « logement » ayant été transférée à des structures intercommunales, les maires ont perdu le pouvoir d’accorder les logements aux habitants de leur propre commune. Cette mise à l’écart progressive des élus locaux a probablement généré une plus grande distance entre la commune, en tant qu’institution, et ses quartiers d’habitat social.

Par ailleurs, l’État n’a eu de cesse, pour des raisons invoquées de meilleure gestion, de concentrer la gestion du secteur HLM entre les mains d’un petit nombre d’organismes, dont certains sont devenus des « mastodontes ». Ce mouvement de concentration est destiné à se poursuivre. La France compte aujourd’hui 720 organismes HLM, dont 583 OLS (OPH, SAHLM, COOP, SEM)22. Les principaux bailleurs sociaux sont de grandes entreprises, présidées par des élus ou des hauts-fonctionnaires. Le plus important, le groupe CDC Habitat, une filiale de la Caisse des dépôts et consignations, gère 348 700 logements. Le groupe 3F, lié à Action logement, gère 292 000 logements. Paris-Habitat compte 126 000 logements dans Paris et en banlieue. Batigère, dont l’histoire est liée à la sidérurgie lorraine, gère environ 150 000 logements. Le capital bâti des OLS est d’environ 200 milliards d’euros.

La plupart de ces groupes revendiquent l’héritage d’une histoire ancienne, remontant à une époque où le patronat, par philanthropie, cherchait à loger son personnel dans des conditions dignes, mais cette mythologie des origines est de plus en plus en décalage avec les réalités du moment. Le patronat français n’intervient plus qu’à travers Action logement, qui collecte les fonds de la contribution des entreprises au logement de leurs salariés.23

Chacun de ces organismes de logement social administre plusieurs milliers de logements (la médiane est de 8 000). La loi ELAN24 leur a fixé un objectif de 12 000. Le produit total des loyers perçus était de 22 milliards d’euros en 2020. Celui des charges atteignait 5 milliards d’euros. Le loyer médian est d’environ 4 000 euros par an.

1.4 Un habitat coûteux, qui exclut les plus pauvres et les précaires.

Les conditions de vie en HLM se sont beaucoup améliorées, surtout dans les quartiers qui ont bénéficié des crédits de la rénovation urbaine.25 Les normes de construction des logements neufs obéissent à des considérations de qualité. Les espaces verts sont soignés. D’une certaine façon, le logement social est devenu attractif et rare, en région parisienne en particulier où il faut attendre près de dix ans pour en obtenir un. Au cœur de Paris, à cause des surfaces qu’il propose, il est même devenu un objet de luxe.26

Son coût de production est élevé en proportion. Le prix de revient d’un logement social s’établissait en moyenne en septembre 2021 à 156 000 euros27, soit 2 300 euros le mètre carré. Le corpus des normes le rend parfois plus cher qu’un logement de même taille dans une résidence neuve. Dans certains centres-villes, eu égard au prix du foncier, ce coût est même totalement déraisonnable. Il est financé pour l’essentiel par la puissance publique, à travers des prêts aidés, des subventions, un taux réduit de TVA et une exonération de la taxe foncière (pendant quinze ans). En 2021, l’enveloppe des prêts s’établissait à 4,3 milliards d’euros (dont 1,7 milliard de la CDC). Il est aussi financé, indirectement, par l’APL, alimentée elle-même par un prélèvement sur les salaires. Le coût du foncier est enfin souvent pris en charge par la collectivité locale (au titre de la surcharge foncière).

Les locataires du secteur HLM bénéficient ainsi d’un fort effet de redistribution. Financé par les contribuables, mais aussi par les salariés et les épargnants de la Caisse d’épargne, cet effort serait parfaitement justifié s’il ne s’adressait qu’à des familles aux revenus modestes. Mais tel n’est pas le cas, et si la loi a prévu un « supplément de loyer de solidarité » pour les locataires dont les revenus dépasseraient les plafonds de revenus, ce « surloyer » est loin de compenser le différentiel entre le coût réel et le coût règlementé du logement.

De manière paradoxale, le logement social n’est plus conçu pour loger les plus démunis, car si son accès est, dans la loi, encadré par un plafond de revenus, il l’est aussi, en pratique, par un seuil minimum de revenus, déterminé par le « reste à vivre ». Ce « reste à vivre » est destiné à permettre au locataire de payer son loyer (et à protéger le bailleur social du risque d’impayé). Déterminé par l’article R 441-3-1 du Code de la construction et de l’habitat et un arrêté du 10 mars 2011, le taux d’effort résulte du rapport des dépenses (loyer + charges – APL) sur les ressources, elles-mêmes divisées par le nombre d’unités de consommation. Les ressources sont appréciées sur la base des salaires de l’année précédente. Le taux d’effort est en général fixé à 30 %. La valeur de référence du reste à vivre est de 10 à 12 euros par jour.

Ce mode de calcul écarte les demandeurs aux revenus incertains (les commerçants par exemple, y compris ceux dont les commerces contribuent à l’animation du quartier). La mention de l’APL au numérateur privilégie les familles avec enfants. Le calcul des ressources avantage ainsi les ménages dont l’épouse ne travaille pas et les familles monoparentales.

Les ménages pauvres qui n’accèdent pas au logement social public se logent dans le secteur privé, dans l’habitat insalubre (copropriétés dégradées, location de « chambres de bonnes », pavillons de banlieue découpés en appartements avec sanitaires communs, voire squats ou terrains de camping). Beaucoup sous-louent des pièces dans le secteur HLM à des familles locataires. L’accès au logement social étant par ailleurs conditionné par la possession d’une carte de séjour en règle, les familles en situation irrégulière se logent souvent dans des immeubles possédés par des ressortissants du même pays.28

Le logement en France, principales données

  • Nombre d’habitants : 67,8 millions
  • Nombre des immigrés : 7 millions
  • Nombre des logements : 37,8 millions
  • Nombre des résidences principales : 31 millions
  • Nombre des résidences principales sous forme de maison : 17 millions
  • Nombre des ménages propriétaires-résidents : 17,7 millions
  • Nombre des ménages locataires dans le parc privé : 7 millions
  • Nombre des logements sociaux : 5,4 millions (17,6% des ménages)

Insee Focus, 309, paru le 10/10/2023

2.1 Une relation au logement social variable selon le pays d’origine.

L’immigration ne forme pas un tout homogène. Les nationalités d’origine, les langues parlées, les religions dessinent des ensembles dont les modalités d’intégration peuvent être profondément différentes, même si les statistiques manquent pour en décrire la diversité.

L’Insee distingue les immigrés extra-européens selon sept groupes d’origine : Algérie, Maroc/Tunisie, Afrique sahélienne, Afrique guinéenne ou centrale, Asie du Sud-est, Turquie/Moyen-Orient et Chine. Cette répartition à grands traits met en évidence de profondes disparités de comportement, en particulier dans l’accès au logement, que l’étude Trajectoires et Origines(Ined et Insee), publiée en 201729, avait tentée de qualifier et que son actualisation, publiée en 2023, confirme30

Le logement se répartit selon trois statuts : la propriété, la location dans le secteur privé et la location dans le secteur public. La propriété est apriori, le signe d’une intégration définitive dans le pays d’accueil. La location dans le secteur public (HLM) illustre a priori des situations transitoires ou de précarité. La location dans le secteur privé n’est qu’une variable des deux autres, ce mode de logement pouvant résulter, selon le cas, d’un choix délibéré ou d’un choix par défaut.

Rapporté à son volume, le groupe le plus représenté dans le logement social est celui formé par les immigrés et descendants d’immigrés en provenance de l’Afrique sahélienne (Sénégal, Mauritanie, Mali, Niger…). 57 % d’entre eux sont locataires d’un logement HLM, et les descendants de la génération précédente le sont encore à 63 %31. Dans ce groupe, par ailleurs, plus de la moitié des majeurs habitent encore chez leurs parents. À l’intérieur de cet ensemble, ce sont les immigrés maliens et sénégalais qui sont les plus représentés. Le sous-groupe des Maliens, non compris les Français d’origine malienne, détient 98 000 cartes de séjour32. Il s’est constitué à partir d’une migration de jeunes adultes, d’abord logés en foyers de travailleurs migrants, pour l’essentiel en Île-de-France. Dans ce sous-groupe, les familles nombreuses sont la règle et la polygamie demeure à l’état résiduel. Le deuxième sous-groupe est celui des Sénégalais (96 000 cartes de séjour en circulation).

Le deuxième groupe représenté dans le logement social, en proportion de son volume, est celui des immigrés de l’Afrique guinéenne ou centrale (Guinée, Côte d’Ivoire, Cameroun, République démocratique du Congo, Gabon…). 52 % d’entre eux en sont locataires. Les descendants de la génération précédente s’y trouvent encore à 47 %. Plus de la moitié des majeurs habitent chez leurs parents. Dans ce groupe, les Ivoiriens disposent de 91 000 cartes de séjour, les ressortissants de la République démocratique du Congo de 78 000 et les Camerounais de 66 000.

Les populations de l’Afrique non-maghrébine privilégient ainsi la location en HLM (57% des locataires en HLM sont issus de l’Afrique sahélienne et 52 % sont issus de l’Afrique guinéenne et centrale). Cette appétence s’explique à la fois par l’adaptation relative du logement social aux familles nombreuses et par l’image positive que ces populations ont du logement collectif, associé, dans les pays d’origine, à la modernité, au confort, voire au luxe.

Le troisième groupe en proportion, mais de loin le plus important en volume, est celui des immigrés algériens. La moitié d’entre eux habitent en HLM et 44 % des descendants des immigrés de la génération précédente y vivent encore. Le quart des majeurs vivent toujours chez leurs parents lorsque ceux-ci sont descendants d’immigrés. Ce groupe doit être considéré de manière particulière car les Algériens représentent, depuis l’indépendance de leur pays, le premier volume de l’immigration en France. En 2020, ce groupe cumulait 611 000 titres de séjour. La diaspora algérienne en France compte entre 2,5 et 3 millions de ressortissants, disposant pour la plupart de la double nationalité.

Le quatrième groupe en proportion est celui constitué par les immigrés marocains et tunisiens. 44 % de ces immigrés vivent en HLM ; 38 % des enfants de la génération précédente y sont encore. 34% des majeurs vivent chez leurs parents lorsque ceux-ci sont descendants d’immigrés. Les Marocains représentent le deuxième volume d’immigration, après les Algériens. Il est impossible de distinguer dans ce groupe les Marocains des Tunisiens, mais ces derniers étant plus souvent commerçants, il est probable qu’ils sont moins souvent locataires en HLM33.

Ces proportions, s’agissant d’une population de plusieurs millions de personnes, issues pour une part d’une immigration ancienne, semblent témoigner d’une forte réticence à quitter le logement social. Plusieurs raisons pourraient expliquer ce phénomène : le refus de s’ancrer, par un achat, dans le pays d’accueil, l’opportunité économique offerte par le faible montant des loyers résiduels pour investir dans le pays d’origine ou le désir de demeurer regroupés en communautés dans de mêmes espaces de vie. Nous y reviendrons.

Les groupes suivants présentent des comportements très différents. Seuls 39 % des ménages venus de Turquie ou du Moyen Orient vivent en HLM, quand ceux issus de la génération précédente ne le sont qu’à 27 %. Dans ce groupe, les ressortissants turcs sont de loin les plus nombreux (215 000 cartes de séjour). Seules 14 % des familles originaires d’Asie du Sud-Est sont locataires en HLM et 13 % des descendants d’immigrés de la génération précédente. Quant aux populations venues de Chine, elles ne sont que 8 % à vivre dans un logement social, quand les descendants de la génération précédente y sont presque absents. Les ressortissants chinois disposent pourtant de 114 000 cartes de séjour et forment la cinquième nationalité représentée en France.

Ces comparaisons semblent indiquer que la part prise par chacune des communautés étrangères au sein du secteur HLM ne résulte pas toujours d’un choix dicté par des considérations économiques. Interviennent aussi dans ce choix des calculs d’opportunité et/ou des modes de valorisation sociale.

2.2 La relation à la propriété, considérée comme un marqueur de l’intégration.

L’accès à la propriété est, plus encore que l’appétence pour le logement social, un marqueur de l’origine migratoire. En France, près de 60 % des ménages sont propriétaires de leur logement. En Espagne ou au Portugal, ce taux atteint 75 %. Malgré les contraintes qui pèsent sur les propriétaires occupants, leur nombre n’a jamais cessé de croître depuis vingt ans et il ne semble pas devoir s’infléchir. La propriété individuelle peut être considérée comme un marqueur d’intégration, si l’on veut bien considérer que l’achat d’un bien, c’est-à-dire l’achat d’une parcelle de la France, est une preuve concrète de l’attachement que l’on porte à ce pays. Au-delà, la possession d’un bien immobilier et d’une adresse modifie les relations de voisinage et facilite la participation des familles à l’entretien de leur environnement.

Le groupe le plus éloigné de la propriété de son logement est celui des immigrés de l’Afrique sahélienne, qui ne sont propriétaires qu’à hauteur de 13 %, quand les descendants de la génération précédente ne le sont devenus qu’à hauteur de 17 %. Le constat n’est pas étonnant, s’agissant d’immigrés de « fraîche date » et de familles aux revenus très modestes (comprenant beaucoup de femmes seules avec enfants). De la même façon, 17 % des immigrés d’Afrique guinéenne et centrale sont propriétaires de leur logement et 24 % des descendants de la génération précédente.

Beaucoup plus étonnant est de constater que seulement 22 % des immigrés venus d’Algérie sont propriétaires de leur logement. Et si ce pourcentage augmente, concernant les descendants de la génération précédente, il demeure toutefois relativement modeste (33 %). Ces résultats, les concernant, sont corrélés avec les données portant sur le mode de logement en HLM. Ce groupe privilégie ainsi ce type d’habitat, y compris sur la longue durée. Ce comportement est moins accentué en ce qui concerne les immigrés venus du Maroc et de la Tunisie, propriétaires à hauteur de 29 %.

En comparaison, 34 % des immigrés turcs sont propriétaires, contre 41 % des descendants de la génération précédente. En Alsace, par exemple, où ils sont nombreux, les immigrés turcs, très présents dans le secteur du bâtiment, préfèrent acheter et rénover des maisons anciennes. Pour mémoire, les Portugais avant eux, issus d’une immigration intracommunautaire, se comportaient de la même façon, privilégiant la maison individuelle à l’habitat social collectif.

Les populations d’origine asiatique sont majoritairement propriétaires de leur logement. C’est ainsi le cas de 51 % des immigrés venus de Chine. Les immigrés venus de l’Asie du Sud sont même plus souvent propriétaires de leur logement que les Français (61 %).

Ces fortes disparités méritent qu’on y prête attention. Si les ménages français habitent en HLM faute de pouvoir accéder à la propriété, ou s’ils le font de manière provisoire (les jeunes couples par exemple), les familles originaires du Maghreb (Algérie et Maroc) considèrent ce mode de logement comme un droit. Cela tient pour beaucoup aux relations que beaucoup d’entre elles continuent d’entretenir avec le pays d’origine.

Quand les premiers cherchent à se constituer un patrimoine immobilier pour échapper à la pression du logement collectif, les seconds investissent dans une résidence secondaire « au pays », qui, d’une certaine façon, illustre leur réussite. S’agissant de la première génération de l’immigration, ce comportement est parfaitement compréhensible. À la deuxième ou troisième génération, il ne peut que susciter des interrogations sur la nature des doubles appartenances.

PopulationRésidents en HLMRésidents en quartiers prioritaires
(QPV)
Propriétaires de leur résidence
Algériens1 525 000747 000472 750335 500
Marocains1 417 000623 000468 000411 000
Maliens980 000558 000304 000127 000
Turcs547 000213 000131 000186 000
Chinois170 00013 600n. c.104 000
Population
immigrée
7 000 0002 450 0001 600 0002 240 000
Population total67 800 00010 700 0005 400 00040 200 000

La population des Algériens, des Marocains, des Maliens et des Turcs est calculée à partir du nombre des titres de séjour (Rapport au Parlement pour 2022), assorti d’un coefficient 5/2 pour tenir compte des mineurs (estimés à trois par familles). La population des Chinois est calculée à partir d’un coefficient 4/2.

La population immigrée comprend la population étrangère et la population française née étrangère à l’étranger

2.3 Une source de transfert de capital ?

La rareté relative du logement social, en France, génère de fortes inégalités. La faiblesse de l’offre, comparée au volume des demandes, transforme son locataire en un « privilégié », surtout si le logement auquel il accède appartient à une résidence récente. Par ailleurs, le droit à demeurer toute sa vie dans un logement, quel que soit le niveau de ses revenus, constitue un avantage considérable, comparé à la situation des locataires de droit commun. Ce « privilège » pourrait être considéré comme normal si le logement social répondait à son objet initial : loger des familles modestes dans des périodes de transition. Or tel n’est pas le cas dès lors que le logement social, contrairement à son ambition, ne loge pas les familles les plus pauvres.

Les 10 millions de locataires du secteur public social sont ainsi les premiers bénéficiaires de la redistribution, aux dépens des autres. Et ils le sont davantage encore depuis la suppression de la taxe d’habitation. Le coût pour la collectivité publique dépasse, rappelons-le, 30 milliards d’euros sous forme de prêts aidés, de subventions, de déductions fiscales et d’aides aux personnes (APL).

Pour le locataire, ce privilège peut se traduire par une plus-value, quand le loyer résiduel, déduction faite de l’APL, ne dépasse pas quelques dizaines d’euros. Dans ces conditions, le gain obtenu permet de financer des transferts vers l’étranger, sous forme d’aide à la famille ou au village (c’est souvent le cas des familles d’origine africaine) ou d’investissement immobilier. Ce phénomène n’est pas quantifié. Les transferts d’argent connus de la France vers l’Algérie dépassaient 1,8 milliard en 2022. Le gouvernement algérien les encourage officiellement. Les transferts vers le Maroc, sans doute mieux tracés, atteignent 3,3 milliards d’euros.

Ces transferts privent les enfants des familles locataires d’un capital transmissible, dès lors qu’il est peu probable qu’ils s’installent un jour en Algérie ou au Maroc. Les jeunes majeurs d’origine maghrébine logent d’ailleurs plus souvent que les autres majeurs chez leurs parents. Dans ces pays, au Maroc en particulier, l’économie de la construction portée par les « émigrés » perturbe le marché en augmentant les coûts et prive les populations locales de l’opportunité de devenir propriétaire. La location des maisons édifiées en Algérie et au Maroc génèrent par ailleurs des plus-values qui ne sont pas soumises, comme en France, à prélèvements sociaux.

2.4 La concentration de l’habitat social.

L’hyperconcentration des immeubles HLM dans les mêmes espaces a généré en France des structures urbaines particulières que nous appelons

« quartiers » par défaut, mais que nous pourrions tout aussi bien appeler

« ville » eu égard à leur taille. C’est en particulier le cas des 1 500 quartiers dits « quartiers prioritaires de la politique de la ville » (QPV), dont beaucoup comptent plus de 10 000 habitants et certains plus de 20 000, c’est-à-dire autant que nombre de villes moyennes en France. Mais la comparaison s’arrête là, car si les villes moyennes disposent de tous les attributs de la démocratie locale, tel n’est pas le cas de ces « quartiers ». La représentation politique y est résiduelle, voire inexistante, les structures de concertation embryonnaires, les propriétaires méconnus et difficiles à joindre. Quant aux maires, ils ont été peu à peu écartés de la gestion du logement social et la disparition de la taxe d’habitation a supprimé le dernier lien qui attachait encore le locataire à sa commune.

Ces quartiers, d’une certaine façon, sont abandonnés à eux-mêmes quand les centres-villes apparaissent, en comparaison, suradministrés. Le contrôle social y demeure lâche. Tous les quartiers ou presque ont subi la disparition des gardiens d’immeuble, la fermeture des postes de police, la disparition

des conseils de quartiers et des associations de locataires et le recul des services à la population : la poste, la pharmacie ou la médecine de ville. Les plus impénétrables d’entre eux, pour des considérations d’urbanisme et/ou de réseau routier, ont facilité, dans la vacance de l’autorité publique, l’implantation d’activités illicites, jusqu’à devenir parfois de véritables « citadelles du crime ».

Même si la statistique publique peine à en rendre compte, ces quartiers concentrent plus que d’autres les populations d’origine extra-communautaire. Si l’on prend la catégorie des QPV, 23 % des immigrés y résident, mais seulement 7 % de l’ensemble de la population de 18 à 59 ans, et, parmi elle, 3 % de la population française d’origine française. Ces résidents sont principalement originaires du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne.

31 % des immigrés originaires d’Algérie habitent dans un QPV, représentant 650 000 personnes, enfants compris. Si l’on ajoute à ce chiffre 24 % des descendants de la génération précédente, estimée à 1,2 millions d’individus, soit 300 000 personnes, on comprend que la population d’origine algérienne approche le million de personnes dans ces quartiers, qui comptent au total 5,4 millions d’habitants. Ces chiffres remettent en cause l’image qu’en donnent les acteurs de terrain, qui décrivent le remplacement progressif des populations maghrébines par des populations originaires d’Afrique subsaharienne. Si ces dernières sont plus visibles dans l’espace public, le socle de la population des quartiers demeure majoritairement maghrébin.

Ces évolutions, qui renforcent la concentration des mêmes populations dans les mêmes espaces, ne manquent pas d’interroger la pertinence du modèle français de logement social, car elles contredisent l’objectif affiché de mixité sociale, en spécialisant les territoires. Il existe ainsi une corrélation entre le pourcentage des logements sociaux et celui des familles étrangères, même à l’échelle des départements : la Seine-Saint-Denis (1,6 millions d’habitants), longtemps animée par des communes communistes très pro-actives en matière de logement social, compte ainsi 189 000 logements sociaux et environ 510 000 immigrés, quand les Yvelines (1,4 millions d’habitants), ne comptent que 110 000 logements sociaux et 200 000 immigrés.

2.5 Quartiers HLM et désordres sociaux.

Si l’on ne peut faire du logement social la cause des désordres qui affectent la tranquillité publique et l’économie de la France, force est de constater qu’une grande partie de ces désordres (émeutes urbaines, rixes entre bandes,

délinquance de voie publique, trafic de produits stupéfiants) ont pour décor les grands ensembles d’immeubles HLM. L’État a d’ailleurs confirmé leur « dangerosité » en y créant ses 80 zones de sécurité prioritaire (ZSP). Ces ZSP appartiennent elles-mêmes à l’ensemble des 1 500 QPV, qui font l’objet d’une attention toute particulière. Si les pouvoirs publics, pour ne pas stigmatiser ces quartiers, n’ont jamais voulu fonder la politique de la Ville sur des considérations d’ordre public, préférant utiliser le critère de la pauvreté, il est évident que, depuis 1981 et les premières émeutes urbaines, ce sont toujours ces mouvements de violence collective qui déclenchent l’intervention de l’État, les derniers en date n’échappant pas à cette logique.

Le degré de violence qui règne dans le quartier, en l’absence de toute communication des pouvoirs publics, est intuitivement mesuré par la population. Leur « mauvaise réputation » n’est un mystère pour personne. Elle accentue le phénomène de concentration des populations : les familles

« paisibles » quittent le quartier et l’abandonnent à des comportements sans cesse plus violents. Paradoxalement, c’est aussi l’insécurité qui a justifié la fermeture des services essentiels à la population : commissariat, centre social, mairie annexe, médiathèque. La plupart des établissements scolaires de ces quartiers sont par ailleurs classés en réseaux d’éducation prioritaire, REP ou REP+.

Il est difficile de dire, faute de données, la part prise par les populations extracommunautaires à ces troubles. La difficulté est d’autant plus grande que le seul critère d’appréciation est celui de la nationalité. Or, la plupart des adolescents mis en cause sont français au titre des conditions d’accès anticipé à la nationalité française. Il est dommage que la statistique publique ne puisse établir des données fondées sur les doubles nationalités, alors même que les administrations diplomatiques étrangères (Maroc, Algérie, Turquie) en disposent. Les premières analyses conduites sur le profil des interpellés à la suite des émeutes de 2023 indiquent que plus des trois quarts des émeutiers étaient de nationalité française, le plus souvent originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne.

3.1 Le droit au maintien dans les lieux.

Au titre du « droit au maintien dans les lieux »34, , le locataire du secteur HLM dispose d’un bail à durée indéterminée. Cette disposition ancre les locataires dans leur quartier pour une durée très longue, parfois sur plusieurs générations. Elle favorise le « patriotisme » de quartier au détriment d’une insertion dans l’espace de vie de la commune. Elle enferme les plus jeunes dans une forme d’appropriation territoriale qui, dans ses effets les plus violents, pourrait être qualifiée de « tribale ». D’une certaine façon, c’est ce mécanisme qui, empêchant l’éviction des fauteurs de trouble, finit par renforcer les réseaux criminels en chassant de leur quartier les familles désireuses de vivre en paix.

Le bailleur ne peut résilier le bail qu’en cas d’impayé de loyer, de troubles de voisinage, de revenus nouveaux, de sous-location ou de résidence inférieure à huit mois dans l’année. Ces hypothèses sont surtout théoriques, sauf en ce qui concerne les impayés de loyer. Mais, même dans cette hypothèse, la réalisation effective de l’expulsion n’est jamais sûre, car le préfet peut décider de ne pas donner suite à la décision du juge, une compensation étant alors offerte au bailleur, financée par des crédits du ministère de l’Intérieur. Le second motif (les troubles de voisinage) est en partie neutralisé par l’obligation faite au bailleur, en vertu de la loi DALO exposée plus bas, de reloger le locataire indélicat. Les autres motifs sont rarement utilisés, parce que les moyens de contrôle sont limités et que l’omerta qui règne dans nombre de ces quartiers retiendrait des voisins de dénoncer le locataire indélicat. La sous-location, par exemple, est manifestement répandue, sans être poursuivie.

3.2 L’illusion de la mixité sociale.

Les institutions publiques pensent remédier à la paupérisation ou à la criminalisation des quartiers en favorisant la « mixité sociale », dont personne ne sait dire s’il s’agit d’une mixité des revenus ou d’une mixité ethnique, linguistique ou religieuse. Dans leur esprit, le brassage des origines et des modes de vie doit contribuer à faire baisser les tensions entre les groupes. Mais cette vision de la société heurte l’aspiration des familles qui souhaitent vivre, elles, dans des espaces homogènes, quitte à reconstituer des communautés soudées par des solidarités de voisinage et des références culturelles partagées.35

Dans les faits, la recherche de la mixité sociale se traduit d’abord par la duplication, à une échelle plus petite, des mêmes types de quartiers, car, même s’il existe quelques contre-exemples réussis – à travers, par exemple, la reprise de logements anciens dans des centres-villes – les bailleurs sociaux n’ont souvent pas d’autre choix, pour des raisons de coût, que de proposer un habitat sous forme d’immeubles collectifs dans des lieux délaissés du tissu urbain.

La loi SRU36 a exigé que toutes les communes urbaines disposent d’un pourcentage de logements sociaux établi à 25 %. L’obligation est assortie d’un mécanisme d’amende particulièrement contraignant. Le caractère résolument « punitif » de la mesure, relayé par la presse, vise les communes considérées comme « trop riches ». La loi n’a pas exigé, en revanche, d’équilibrer le surcroît de logements sociaux que l’on trouve en Seine-Saint-Denis ou dans le Val-de-Marne en y promouvant la construction de résidences privées. Ce pourcentage des 25 % n’est assis sur aucune justification explicite et son bilan n’a jamais été établi. L’objectif est pratiquement impossible à réaliser dans des milieux urbains denses où le prix du foncier ne permet pas d’équilibrer les opérations. Dans le même temps et de manière paradoxale, plus de 60 % des Français, selon les déclarations du ministère du Logement, pourraient prétendre à un logement HLM, dès lors qu’ils disposent de revenus inférieurs aux plafonds en vigueur.

3.3 Le droit au logement opposable.

La loi instituant le droit au logement opposable, votée le 7 mars 2007, a introduit des « coupe-files » discriminants dans l’attribution des logements, qui ont manifestement accentué la paupérisation du secteur. La loi a ainsi déterminé une catégorie de demandeurs prioritaires et confié aux préfets l’obligation – assortie d’un mécanisme de condamnation – d’user de cette priorité.37Les priorités concernent les personnes « dépourvues de logement, menacées d’expulsion sans relogement, hébergées ou logées temporairement, logées dans des locaux insalubres ou dangereux ou logées avec un enfant mineur ou une personne handicapée dans des locaux suroccupés ». Seuls les étrangers en situation régulière peuvent y prétendre. Depuis 2008, entre 30 000 et 40 000 demandes sont déposées à ce titre chaque année. Si l’on croise ces critères avec ceux relatifs à la situation familiale (priorité donnée aux femmes seules avec enfants), il est évident que la mesure favorise les familles monoparentales, dont beaucoup sont d’origine étrangère. On trouve de manière paradoxale dans cette liste les familles qui ont fait l’objet d’une mesure d’expulsion pour troubles graves à l’ordre public, que le préfet est contraint de reloger, contre toute attente, dans le parc HLM.

L’instrument juridique qui permet d’imposer le choix du préfet est le « contingent préfectoral », alimenté par 30 % de toutes les nouvelles constructions (5 % étant réservés aux fonctionnaires et aux militaires). Ce contingent préfectoral recoupe le parc des PLAI38. Le mécanisme est d’une telle efficacité que la Première ministre a demandé aux préfets39, à l’issue d’un CIV40 tenu en octobre 2023 à Chanteloup-les-Vignes, d’y déroger, en installant les familles les plus précaires en dehors des quartiers prioritaires.

3.4 La prise en charge des familles monoparentales.

Les travaux réalisés sur le profil des émeutiers interpellés lors des évènements de juin-juillet 2023 révèlent la surreprésentation d’individus masculins vivant dans des familles monoparentales. Ils confortent des travaux menés antérieurement sur le même sujet. Le profil de ces familles est bien connu : une mère de famille seule, salariée, qui vit avec plusieurs enfants, les pères étant absents ou disparus et ne contribuant pas à l’entretien des enfants. On peut inclure dans ce groupe les épouses de familles polygames « décohabitantes »41. Les garçons de ces familles sont élevés en l’absence de toute référence paternelle et, dans l’école, qui reste leur principal lieu de socialisation, les enseignants sont majoritairement des femmes. À la marge, ce type d’organisation familiale a pu être encouragé par des politiques sociales qui accordent des droits spécifiques aux mères isolées. En tout état de cause, la plupart de ces familles vivent sous le seuil de pauvreté et les dispositifs sociaux de proximité (aide à la parentalité) ont presque tous disparu, remplacés par des prestations financières. Les familles monoparentales occupent 23 % des logements sociaux.

3.5 Les concentrations ethnico-religieuses.

Les grands quartiers d’habitat social abritent aujourd’hui le plus grand nombre de lieux de culte, en particulier de lieux de culte musulman (mosquées), de toutes obédiences. Ces lieux de culte ont parfois été édifiés sur des terrains publics. Ils répondent à une demande de proximité des fidèles concentrés dans ces quartiers, mais ils accentuent le caractère communautaire du quartier, car les mosquées ne sont pas seulement des lieux affectés à la prière : elles sont aussi des lieux de vie associative, de solidarité et d’échanges, voire d’éducation. Pour cette raison, des demandeurs de logement sociaux peuvent chercher à rejoindre une communauté déjà constituée. C’est ce mécanisme qui a favorisé l’émergence de sous-quartiers pakistanais ou tchétchènes. Les concentrations fondées sur la culture d’origine engendrent par ailleurs l’émergence d’un commerce spécialisé, de proximité : restauration sans porc, boutiques de produits exotiques, coiffeurs « africains ». Leurs boutiques sont louées par les bailleurs sociaux. Les seuls commerces généralistes présents dans les « quartiers » sont les pharmacies.

3.6 L’incidence de la carte scolaire dans la cartographie des peuplements.

Chacun de ces quartiers dispose d’une ou de plusieurs écoles et d’un ou de plusieurs collèges. Si les écoles maternelles sont peu discriminantes, les écoles primaires le sont davantage et les collèges beaucoup plus, à cause de la violence qui y règne. Sans que l’Éducation nationale n’ait besoin de publier de statistique sur le sujet, tous les parents d’élèves distinguent les « bons » établissements des « médiocres ». Le niveau est évidement corrélé à la population scolaire. La carte scolaire est sans doute le premier vecteur des stratégies de peuplement. Les familles modestes, et plus particulièrement les familles d’origine africaine, accordent à l’éducation de leurs enfants une grande importance, sachant qu’elles ne peuvent y contribuer sans le soutien de l’école. Dès lors, les stratégies d’évitement renforcent les disparités. De nombreux parents scolarisent leurs enfants dans des établissements sous contrat ou hors contrat, de nature confessionnelle (musulmane ou catholique) ou non-confessionnelle (écoles Espérance banlieues). Les établissements publics y perdent de bons élèves et leur niveau s’affaisse.

3.7 L’accompagnement des personnes très âgées.

14,3 % des locataires en HLM avaient plus de 65 ans en 2020. Le secteur loge un pourcentage très important de personnes âgées, voire très âgées, malgré l’absence d’ascenseurs et de commerces de proximité. Ces personnes âgées sont, d’une certaine façon, les victimes de l’inertie du système. Elles ont payé toute leur vie un loyer sans pouvoir se constituer un capital qu’elles aurait pu transmettre à leurs enfants, et elles n’ont jamais bénéficié des programmes de rénovation urbaine qui auraient pu améliorer la qualité de leur logement. Elles sont les grandes oubliées des politiques du logement social. Ces personnes âgées, en général seules, qui occupent des appartements trop grands pour elles, ne font l’objet d’aucun accompagnement social, malgré leur isolement.

Si, comme tente de le démontrer cette note, la structuration du logement social a accentué les difficultés que connaissent désormais tous les territoires de la métropole, une révision des principes fondés dans les années 1960 paraît s’imposer. Elle suppose de recentrer le logement social sur l’accueil des familles précaires et la meilleure intégration des populations issues des migrations extra-européennes. A tout le moins, il conviendrait que le logement social redevienne ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un habitat temporaire dans un parcours résidentiel accompagné, au cours duquel le locataire pourrait envisager à terme une accession à la propriété. Au-delà, cette idée que l’État, à travers ses satellites, serait un meilleur gestionnaire que les propriétaires privés semble contredite par l’état général du parc HLM. Faute de réflexion approfondie, un moratoire paraît donc s’imposer, sans attendre que la situation financière des bailleurs finisse par l’imposer.

Au-delà, le bailleur social ne peut être un simple gestionnaire de logements. Sa vocation sociale suppose la mise en place de structures d’accompagnement. Les résidents en grande difficulté (familles monoparentales en situation de précarité, personnes âgées isolées) doivent faire l’objet de suivis individuels. Le propriétaire public doit aussi s’assurer que les locataires vivent en paix, ce qui suppose qu’il ait la capacité d’agir pour faire cesser les troubles graves à l’ordre public (agressions, trafic de drogues, rodéos…) qui naissent au sein de son patrimoine.

La seule façon, pour le bailleur, de rappeler aux locataires fauteurs de troubles les obligations qui pèsent sur eux est de mettre en place un bail à durée limitée, qui ouvrirait la possibilité, en dehors des mesures plus coercitives (expulsions locatives), de ne pas le renouveler au-delà de sa durée. Cette échéance permettrait, en amont, un examen de la situation du locataire, justifiant un renouvellement du bail ou un accompagnement vers une autre solution. Seraient ainsi pris en compte lors de ce « rendez-vous » le comportement de la famille, mais aussi ses revenus réels (en cas de condamnation pour trafic de produits stupéfiants) et les biens estimés à l’étranger.

Ces mesures nécessitent que l’accès à la propriété privée soit plus fortement encouragé. La vente des logements sociaux aux locataires n’est pas une solution adaptée, car elle place le locataire en position de participer au financement des rénovations. Le bail réel solidaire (BRS) prive le locataire d’une éventuelle plus-value de son logement, mais le principe sur lequel il se fonde, la dissociation du foncier et du bâti, est sans doute la plus juste pour imaginer des solutions réalisables en secteur tendu.

S’agissant des « quartiers » les plus concentrés, comprenant plus de 5 000 habitants, la création d’un statut juridique spécifique semble s’imposer, sous la forme par exemple de « commune associée ». Nous pensons en effet que la paix publique n’est pas sans lien avec l’exercice de la démocratie locale. Le modèle communal, qui fait ses preuves depuis 1789, a permis l’émergence d’une représentation politique des habitants animée par une « élite » ancrée dans le territoire. Les habitants des quartiers votent peu car les élections locales ne les concernent que de loin. Beaucoup même continuent de suivre l’actualité politique de leur pays d’origine. On ne peut leur refuser ce que l’on accorde aux millions de Français qui vivent dans des villes de moins de 10 000 habitants.

Enfin, il paraît difficile de continuer à gérer le secteur du logement social en faisant fi des mécanismes de peuplement, surtout en situation d’immigration massive. Sans recourir aux statistiques ethniques, la mention de la nationalité d’origine du demandeur, et/ou de sa seconde nationalité doit être un élément de la recevabilité du dossier. Un observatoire national des peuplements paraît même s’imposer. Si l’on voulait éviter que soient discriminées, dans l’accès au logement social, les familles d’origine française, un critère de correction comme la durée de présence en France pourrait utilement compléter la liste de ceux pris en compte pour le classement des demandes.

La période de moratoire serait par ailleurs utile pour établir un bilan et corriger les mesures issues des lois SRU et DALO, dont les effets ont été signalés plus haut et revoir les mécanismes d’expulsions locatives (obligation faite aux juridictions de rendre un jugement sous deux mois, par exemple). Les habitants des cités HLM souffrent beaucoup de la présence d’un petit noyau de familles génératrices des principaux désordres et la présence de certaines d’entre elles depuis trois générations a enfermé les plus jeunes dans une appropriation du territoire qui les retient d’accéder à l’espace de la Nation.

  1. Établir un bilan des lois SRU et DALO, afin d’identifier les ajustements nécessaires pour améliorer l’efficacité des politiques de logement social ;
  2. Instaurer un moratoire, suspendre temporairement de nouvelles initiatives dans le logement social pour permettre une réflexion approfondie sans attendre que la situation financière ne l’impose ;
  3. Recentrer la politique du logement social, en opérant prioritairement l’accueil des familles précaires et l’intégration des populations issues des migrations extra-européennes, en réaffirmant le caractère temporaire du logement social et en le définissant comme une étape vers l’accession à la propriété ;
  4. Considérer la nationalité d’origine du demandeur comme un élément de recevabilité du dossier, sans recourir à des critères ethniques, pour mieux équilibrer les peuplements ;
  5. Ajouter dans la liste des critères pour le classement des demandes de logement social un critère de correction comme la durée de présence en France afin que ne soient plus discriminées les familles d’origine française ;
  6. Identifier les familles génératrices de troubles persistants, et proposer des mesures correctives pour rétablir la paix et favoriser l’intégration des jeunes générations ;
  7. Instaurer un bail à durée limitée afin de dissuader les comportements nuisibles de locataires perturbateurs ;
  8. Examiner les procédures d’expulsion pour les rendre plus rapides, tout en garantissant un traitement équitable pour les locataires concernés ;
  9. Renforcer les structures d’accompagnement pour les résidents en difficulté, en particulier les familles monoparentales précaires et les personnes âgées isolées ;
  10. Encourager l’accès à la propriété privée par la promotion de modèles alternatifs comme le bail réel solidaire pour permettre l’accès à la propriété sans nécessiter une vente des logements sociaux ;
  11. Étudier la création d’un statut juridique distinct pour les « quartiers » les plus concentrés, ceux comprenant plus de 5 000 habitants, sous la forme par exemple de « commune associée », pour renforcer la démocratie locale et l’engagement civique.

  1. Les derniers « désordres » collectifs, sous forme d’émeutes, se sont déroulés en juin-juillet 2023. Il faut y ajouter la longue série de meurtres commis avec des armes de guerre ou des couteaux, dans les quartiers eux-mêmes ou à l’extérieur (affaire de Crépol, novembre 2023).
    ↩︎
  2. La loi SRU (solidarité et renouvellement urbain) du 13 décembre 2000 a eu pour effet de disperser les ensembles de logements sociaux dans des communes suburbaines ou semi-rurales.
    ↩︎
  3. Pour l’Insee, les immigrés se définissent comme étant nés étrangers à l’étranger. Ils peuvent être français ou étrangers. D’autres définitions existent. L’OCDE, par exemple, intègre les Français nés français à l’étranger.
    ↩︎
  4. En 2018, ce pourcentage était de 31%, l’augmentation concernant à titre principal les locataires originaires d’Afrique subsaharienne.
    ↩︎
  5. Insee, Immigrésetdescendantsd’immigrés, [en ligne]. La notion de Français non immigrés désigne les Français qui ne sont ni immigrés ni descendants d’immigrés de deuxième génération. ↩︎
  6. Ibid. Ce pourcentage ne comprend pas les Français de parents immigrés qui ont conservé la nationalité de leurs parents (Français dits de « culture étrangère »). ↩︎
  7. 1.Michel Aubouin, Rapport à l’Association des maires d’Île-de-France sur les rixes entre adolescents, 2022, non publié. Michel Aubouin, « Mourir pour son quartier », Administration, n° 276, janvier 2023, p. 60-61.
    ↩︎
  8. Définition donnée par le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, mise en ligne le 14 octobre 2022. ↩︎
  9. Convention APL (aide personnalisée au logement). ↩︎
  10. 10.Décret n° 58-1464 du 31 décembre 1958 relatif aux zones à urbaniser en priorité, signé par le président du Conseil, Charles de Gaulle, et le ministre de la Construction, Pierre Sudreau. ↩︎
  11. Loi du 7 août 1957. ↩︎
  12. Grigny, dans l’Essonne, est ainsi passée en quelques années de moins de 3 000 habitants à plus de 25 000. ↩︎
  13. Hervé Vieillard-Baron, « Sarcelles aujourd’hui : de la cité-dortoir aux communautés ? », Espace Populations Sociétés, 1996, 2-3, p. 325-333. ↩︎
  14. Robert Lion, éditorial, Revue H, novembre 1975, cité par Agnès Berland-Berthon, La démolition des immeubles de logements sociaux. Histoire urbaine d’une non-politique publique, Editions du CERTU, 2009. La référence à Harlem était étrangement prémonitoire. ↩︎
  15. Marie-Claude Blanc-Chaléard, « Les immigrés et le logement en France depuis le xixe siècle. Une histoire paradoxale », Hommes et Migrations, 2006, p. 20-34. Ces opérations intervenaient moins de dix ans après la guerre d’Algérie, qui avait traumatisé de nombreuses familles d’appelés et chassé d’Algérie un million de Français d’origine espagnole ou italienne. ↩︎
  16. Le 1% patronal (participation des employeurs à l’effort de construction) a été créé en 1943. Il représente aujourd’hui 0,45% de la masse salariale. ↩︎
  17. Opération « anti été chaud » de 1981. ↩︎
  18. Les Minguettes, Vénissieux (Rhône), 1983. ↩︎
  19. Cour des Comptes, Assurer la cohérence de la politique de logement face à ses nouveaux défis, juillet 2023. OCDE, Le logement social, un élément essentiel des politiques d’hier et de demain, 2020. ↩︎
  20. 2 160 000 demandes de logement social étaient enregistrées fin 2020. « Demandeurs de logements sociaux (chiffres clés du logement) » dans Chiffresclésdulogement.Voir édition 2022, Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, juillet 2022. ↩︎
  21. La France comptait en 2022, 275 000 arrivées (premières cartes de séjour), mais seulement 90 000 nouveaux logements. ↩︎
  22. OLS : organisme de logement social ; OPH : office public de l’habitat. ↩︎
  23. Le montant annuel de ce prélèvement est compris entre 1,5 et 2 milliards par an. ↩︎
  24. Loi Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite ELAN, du 23 novembre 2018. ↩︎
  25. Le programme national de rénovation urbaine (PNRU), lancé en 2004, a permis de réhabiliter 600 quartiers et mobilisé 12 milliards d’euros. ↩︎
  26. 3% des occupants du parc social font partie des 20% des personnes les plus aisées. 2/3 d’entre elles résident dans l’aire urbaine de Paris. Insee première, n° 1715, 24/10, 2018. ↩︎
  27. Données de la Caisse des dépôts et consignations. Banque des territoires, « Coûts de construction des logements sociaux : un prix de revient en hausse modérée », Éclairage, n° 25, octobre 2021. ↩︎
  28. 28.Ce phénomène a été mis en évidence par l’étude de la situation de Grigny (Essonne), à travers la copropriété Grigny 2. Voir Michel Aubouin (dir.), Rapport sur l’évaluation et l’orientation des politiques publiques mises en œuvre à Grigny (Essonne), Ministère de l’Intérieur, Inspection générale de l’administration, 2016 (une synthèse du rapport a été mis en ligne par la commune de Grigny). Il a été confirmé par une visite de la commune de Montfermeil (Seine-Saint-Denis). ↩︎
  29. 29.Insee, ministère de l’Intérieur, Le logement des immigrés vivant en France en 2017. ↩︎
  30. Enquête Insee et Ined, Trajectoires et origines, 2, (2019-2020). ↩︎
  31. 31.Ce chiffre est difficile à interpréter. Il semble démontrer que cette catégorie de la population demeure en logement HLM sur deux générations au moins. ↩︎
  32. Chiffres du ministère de l’Intérieur pour 2021. RapportauParlement. Les cartes de séjour étant attribuée aux seuls adultes, le nombre des enfants n’est pas connu. ↩︎
  33. Pour des questions de régularité de leurs revenus, les commerçants n’accèdent pas facilement au logement social. ↩︎
  34. Le droit au maintien dans les lieux résulte de l’article 4 de la loi du 1er septembre 1948. ↩︎
  35. Il va de soi que les promoteurs de ces mesures sont rarement concernés par cet effort de « mixité sociale ». ↩︎
  36. Loi n°2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, legifrance. gouv.fr. Voir en particulier l’article 55. ↩︎
  37. Haut Comité pour le droit au logement, « L’accès au logement des ménages mal-logés », septembre 2023. ↩︎
  38. Les logements PLAI sont financés par le prêt locatif aidé d’intégration. Ces prêts sont réservés au secteur HLM. Ministère chargé de la Ville et du Logement, « Les aides financière au logement », septembre 2022. ↩︎
  39. « Pour favoriser la mixité sociale, Elizabeth Borne demande aux préfets de ne plus attribuer de logements dans les quartiers prioritaires aux plus précaires », LeMonde, 27 octobre 2023. ↩︎
  40. Comité interministériel des villes ↩︎
  41. Une épouse décohabitante est une épouse qui fait toujours partie de la famille polygame mais qui occupe une autre logement. ↩︎