Notre invité
Notre invité
Didier Leschi est le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).
L’OFII est un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, en charge de l’immigration légale, dont les missions incluent notamment la gestion des procédures de l’immigration régulière (familiale, professionnelle) aux côtés ou pour le compte des préfectures, la prise en charge des demandeurs d’asile ainsi que l’intégration des immigrés autorisés à séjourner durablement en France.
M. Leschi est l’auteur de Ce grand dérangement – L’immigration en face, essai publié aux éditions Gallimard en 2020 et réédité en 2023 dans une version augmentée.
Les dispositifs d’aide au retour volontaire apparaissent largement méconnus dans le débat public sur les sujets d’immigration. Quel en est le principe et quel rôle l’OFII joue-t-il dans leur mise en œuvre ?
Didier Leschi
L’aide au retour volontaire a été créée en 1977 à l’initiative de Lionel Stoléru, alors Secrétaire d’Etat chargé de la condition des travailleurs manuels et immigrés. Dans un contexte de crise économique importante (le cap du million de chômeurs venait d’être franchi et le pays ressentait alors fortement les effets de la crise de 1973), le Gouvernement veut favoriser le retour de travailleurs immigrés en complément de politiques plus restrictives après l’arrêt de l’immigration de travail mis en place à partir de 1974.
L’aide au retour volontaire est ainsi instituée au bénéfice des chômeurs étrangers ayant occupé un emploi pendant au moins 5 ans qui peuvent alors se voir verser une somme de 10 000 francs (ce qui va devenir le fameux « million Stoléru » du fait de la mémoire des anciens francs) et une prime de déménagement dès lors qu’ils décident de retourner dans leur pays d’origine.
Cette première version de l’aide au retour, s’adressant à des personnes en situation régulière, sera supprimée en décembre 1981 par la nouvelle majorité de gauche. Elle aura auparavant bénéficié à 94 000 personnes.
Un nouveau dispositif d’aide au retour sera mis en place en 1984 sous la forme d’une aide à la réinsertion dans le pays d’origine sous la terminologie d’Aide Publique à la Réinsertion (APR) dans le contexte des restructurations industrielles qui touchaient les secteurs de l’automobile, de la sidérurgie et de la métallurgie. Cette APR s’adressait aux travailleurs licenciés pour motif économique et ayant un projet de réinsertion économique dans leur pays d’origine. Elle était constituée d’une aide publique d’Etat qui comportait une allocation de financement du projet de réinsertion qui pouvait aller jusqu’à 20 000 francs, d’une prise en charge des frais de transport et de déménagement, d’une capitalisation d’une fraction des allocations chômage et d’une aide versée par l’employeur de 15 000 francs minimum.
En 1987, cette APR a été étendue à l’ensemble des demandeurs d’emploi indemnisés par le régime d’assurance chômage. Entre 1984 et 1988, 30 034 travailleurs (68 866 personnes en comptant les accompagnants) ont quitté la France par l’intermédiaire de ce dispositif. Cette politique publique a été progressivement abandonnée. Entre 1989 et 1999 elle n’a touché qu’à peine 2 925 bénéficiaires et 1 927 accompagnants. Formellement le dispositif d’APR a été abrogé en 2006.
En 1990, dans le cadre d’une opération de régularisation d’étrangers déboutés de leur demande d’asile a été mise en place une aide au retour pour ceux qui ne remplissaient pas les critères de régularisation. Ce sont les premiers dispositifs d’aide au retour volontaire pour les étrangers en situation irrégulière mis en place, pour faciliter le retour de ceux ayant fait l’objet d’une invitation à quitter le territoire français.
Constitutives d’une mesure d’aide sociale, alternative à la reconduite forcée, les aides au retour prévoyaient la prise en charge par l’OFII de l’organisation et du financement du voyage retour ainsi que le versement d’une aide financière.
Ce dispositif n’a ensuite que peu évolué jusqu’en 2005, année qui a vu la mise en place d’un nouveau dispositif d’aide au retour visant à renforcer son attractivité par une réévaluation significative du montant des aides financières accordées aux candidats au retour et un assouplissement des critères d’éligibilités.
Ainsi, le montant de l’aide financière, jusqu’alors limité à 150€ par adulte, a été porté à 2 000€ par adulte en situation irrégulière, versés en trois fractionnements et maintenu à 150€ pour les autres catégories d’étrangers, surtout les ressortissants communautaires et autres étrangers n’ayant pas fait l’objet d’une mesure d’éloignement.
Enfin, en 2015, le dispositif a été fortement rénové afin de renforcer l’attractivité des aides et d’augmenter le nombre de demandeurs d’asile déboutés susceptibles d’en être bénéficiaires, en réévaluant le montant des aides au retour. Par ailleurs, un nouveau barème pour les pécules a été mis en place reposant sur la distinction entre les ressortissants communautaires (50€), les ressortissants de pays tiers soumis à visa (650€) et les ressortissants de pays tiers dispensés de visas (300€).
Enfin, actuellement, le dispositif de l’ARV est fixé par l’arrêté du 9 octobre 2023 qui a mis en place une dégressivité des aides (dont les montants ont été revus) en fonction de la date de notification de l’OQTF.
L’OFII est en charge de la mise en œuvre de l’ARV sur le territoire national qui comprend, outre la remise d’une aide financière (pécule), les aides matérielles suivantes :
- l’organisation du retour et la prise en charge des frais de voyage depuis la ville de départ en France jusqu’au lieu d’arrivée dans le pays de destination pour le bénéficiaire, son conjoint et ses enfants mineurs de moins de 18 ans ;
- le cas échéant la réservation et la prise en charge des frais d’hôtel et de restauration avant le départ pour le bénéficiaire, son conjoint et ses enfants mineurs de moins de 18 ans ; la prise en charge des bagages ;
- une aide administrative et matérielle à l’obtention des documents de voyage (passeport ou Laissez Passer Consulaire).
Sur l’ensemble des éloignements d’étrangers en situation irrégulière, quelle est aujourd’hui la part des retours volontaires aidés ? Quelle a été l’évolution de cette part au cours des dernières années ?
Didier Leschi
En 2023, ont été réalisés 11 722 éloignements forcés (chiffres provisoires) et 6 749 aides au retour volontaire (ARV). Ces dernières ont donc représenté plus d’un tiers (36%) de l’ensemble des éloignements.
Depuis 2019, la part des ARV est relativement stable puisqu’elle oscille entre 30% et 36% selon les années.
Quel est le profil type des étrangers bénéficiaires de ce dispositif, en termes de nationalité, sexe, âge, et canal de présence irrégulière ?
Didier Leschi
Quelques éléments à retenir (année 2023) :
- 6 749 bénéficiaires dont 5 185 adultes et 1 564 enfants mineurs
- Profil type : le bénéficiaire est un homme (63%), âgé de 32 ans (âge moyen), isolé (76%) et ayant déposé sa demande en Ile de France (28%).
- Le top 5 des pays de retour est le suivant : Géorgie ; Albanie ; Algérie ; Chine et Colombie.
- 60% des adultes sont des demandeurs d’asile déboutés (ou qui se sont désistés de leur demande).
Cette procédure du retour volontaire ne signe-t-elle pas un aveu d’échec de l’Etat à appliquer le droit et à faire exécuter ses mesures d’éloignement sans contrepartie pour les immigrés en situation irrégulière ?
Didier Leschi
Je pense plutôt qu’elle est complémentaire et ce d’autant que même avec le versement d’un pécule, le retour volontaire pèse moins sur les finances publiques que le retour contraint selon les calculs de la cour des comptes et des missions parlementaires qui régulièrement s’interroge sur l’avantage du retour volontaire. Concrètement, il est beaucoup plus couteux de reconduire sous escorte une personne en situation irrégulière que de lui faire accepter son retour moyennant un pécule. Enfin, nous avons intérêt qu’une personne qui est reparti se stabilise socialement et n’ait pas la tentation de risquer sa vie pour revenir en Europe quand c’est le cas.
De telles procédures existent-elles chez nos partenaires de l’Union européenne ? Si oui, présentent-elles des différences sensibles avec la nôtre ?
Didier Leschi
Des dispositifs d’ARV existent dans la majorité des pays membres de l’UE ou de l’EEE (notamment Allemagne, Autriche, Suisse, Chypre, Belgique, etc.).
Le retour volontaire est une des priorités de la Commission Européenne qui a créé en 2022 un poste de coordinateur des retours. A ce titre, les pays membres de l’UE qui ne disposent pas d’un programme d’aide au retour sont incités à en définir un et pour ce faire, peuvent être accompagnés par l’agence Frontex dont le mandat couvre également l’aide au retour et à la réinsertion.
La différence majeure entre les programmes d’ARV UE et celui de l’OFII tient au montant de l’allocation financière versée au bénéficiaire au moment du départ.
Quel est le coût global de l’aide au retour volontaire pour le contribuable ? Quel est le coût moyen pour chaque étranger qui en bénéficie ? Ce dispositif est-il financièrement plus intéressant pour l’Etat qu’un éloignement forcé ?
Didier Leschi
En 2023, 6 749 personnes soit 5 185 adultes et 1 564 enfants ont bénéficié de l’aide au retour volontaire mise en œuvre par l’OFII.
Le budget consacré à cette mission s’est élevé en 2023 à 5,42 M€, dont 1,6 M€ au titre de la prise en charge du coût du transport (billets d’avion) et 3,82 M€ au titre de l’allocation forfaitaire (pécules).
En 2019, les Députés Jean-Noël Barrot et Alexandre Holroyd avaient procédé à l’analyse de la politique d’éloignement dans le cadre de l’examen des crédits de la mission Immigration, asile et intégration.
Ils avaient ainsi estimé que le coût d’un éloignement forcé (environ 14 000€) était plus de 4 fois supérieur au coût d’un retour aidé (environ 3 000€).
Peut-on quantifier un éventuel effet d’aubaine, à savoir des étrangers qui toucheraient l’aide pour un départ volontaire avant de revenir sur le territoire français ? Des garde-fous ont-ils été mis en place pour s’en prémunir ?
Didier Leschi
Aucune donnée ne permet de valider (ou d’invalider) ce risque de retour en France après avoir bénéficié de l’ARV.
Pour autant, l’OFII a mis en place dès 2009 un dispositif de biométrie (empreintes et photos) qui permet de s’assurer qu’aucune personne ayant bénéficié d’une ARV puisse en bénéficier une nouvelle fois. Par ailleurs, depuis l’arrêté du 9 octobre 2023, tout bénéficiaire de l’ARV doit avoir fait l’objet d’une notification d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) assortie pour les ressortissants d’un pays dispensé de visa d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) qui rend plus compliquée toute tentative de retour en France.
Le dispositif de retour volontaire pourrait-il être élargi à d’autres catégories d’étrangers, comme les étrangers chômeurs de longue durée en situation régulière ?
Didier Leschi
Ce fut le cas dans les années 80 (voir ci-dessus). Cela relève de la décision politique. Nous avons des demandes de ce type pour certains pays. Mais d’une certaine manière il suffirait à une personne de renoncer à son titre de séjour pour pouvoir bénéficier de cette aide au retour.
Mais, aujourd’hui, le public visé par les dispositifs d’aide au retour est l’étranger en situation irrégulière (ESI). C’est une priorité nationale (renforcer les mesures d’éloignement des publics déboutés de l’asile) et également européenne puisque la directive retour de 2008 prévoit que les bénéficiaires d’une ARV doivent faire l’objet d’une mesure d’éloignement.
Les ressortissants de 23 pays peuvent demander à bénéficier d’une « aide à la réinsertion » : pourriez-vous nous nous expliquer en quoi elle consiste, ainsi que les raisons de sa limitation à un éventail restreint de pays d’origine ?
Didier Leschi
En complément de l’aide au retour volontaire, et dans la mesure où le pays est couvert par un programme de réinsertion (21 pays couverts en 2021), une aide à la réinsertion peut être proposée aux étrangers afin de faciliter et favoriser leur réinstallation durable dans leur pays.
Le dispositif de réinsertion s’articule autour de trois niveaux d’aides :
- une aide à la réinsertion sociale (niveau 1) pour prendre en charge les premiers frais d’installation du bénéficiaire et le cas échéant de sa famille (dans les six premiers mois du retour) liés au logement, à la santé ou à la scolarisation des enfants mineurs et dans la limite de 400 € par adulte et 300 € par enfant mineur ;
- une aide à la réinsertion par l’emploi (niveau 2) par le biais d’une aide à la recherche d’emploi réalisée par un prestataire local spécialisé et d’une aide financière pour prendre en charge une partie du salaire (60 % maximum) sur une durée maximale d’un an et dans la limite de 4 000 €, ou par le financement d’une formation améliorant l’employabilité du candidat et dans la limite de 2 000 € ;
- une aide à la réinsertion par la création d’entreprise (niveau 3) qui comprend la réalisation d’une étude de faisabilité du projet, la prise en charge d’une partie des frais de démarrage de l’entreprise en complément de l’apport personnel mobilisé par le bénéficiaire et le suivi de l’activité pendant un an. Le montant maximal de l’aide dépend des pays (pays prioritaires 6 300 €, pays sans accord 5 200 €, pays dispensés de visa 3 000 €) ;
- En matière d’aide à la réinsertion, l’OFII met en place un dispositif dit « national » (dans les pays couverts par une des 7 représentations de l’OFII à l’étranger1) et un dispositif européen via Frontex2 dans 5 pays (choix opérés par l’OFII et le Ministère de l’Intérieur).
Notes
- Arménie, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, République du Congo, République démocratique du Congo, Gabon, Géorgie, République de Guinée, Mali, Maroc, Sénégal, Togo et Tunisie (+ Maurice couvert par la Direction Territoriale Océan Indien) ↩︎
- Dispositif dénommé EURP (EU Reintegration Program) : Bangladesh, Éthiopie, Irak, Nigéria et Pakistan. ↩︎