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Dispositifs légaux de régularisations – Un appel d’air pour l’immigration illégale

Dispositifs légaux de régularisations – Un appel d’air pour l’immigration illégale

Table des matières

L’essentiel

• L’article L. 412-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) pose l’exigence de visas long séjour pour entrer sur le territoire national, mais ce principe est miné par de très nombreuses exceptions, qui constituent autant de contournements légaux de la règle générale et alimentent une immigration familiale, étudiante, sanitaire et salariée, mais aussi de mineurs isolés et de demandeurs d’asile.

• Par ailleurs, le Conseil d’Etat a reconnu aux préfets l’existence d’un pouvoir de régularisation des étrangers en situation irrégulière, sans base textuelle, et va même jusqu’à censurer « l’erreur manifeste d’appréciation » que commettrait l’administration en refusant de régulariser un étranger en situation irrégulière. Le juge administratif substitue alors sa propre appréciation à celle du préfet, selon ses propres critères et sans réelle base législative ou réglementaire.

• Ainsi, un droit permanent à la régularisation s’est substitué aux grandes circulaires de régularisation, alors même qu’une étude de 2019 démontre que les croyances vis-à-vis des perspectives de régularisation influencent significativement l’intention de maintien. Or, un étranger en situation irrégulière a aujourd’hui deux fois plus de chances d’être régularisé qu’éloigné du territoire national.

• Ces dispositifs constituent un puissant moteur de l’immigration illégale : en 2022, 47 935 titres de séjour ont été accordés à des étrangers sur la base d’une régularisation et 37 864 titres de séjour ont été accordés pour des régularisations au titre de l’asile, soit 26,9% du total des titres accordés. Ils représentent également un véritable mépris pour le travail de la police aux frontières et des gendarmes chargés de lutter contre le travail illégal, mais aussi une injustice pour les ressortissants étrangers et les citoyens français qui respectent les lois de la République.

L’article L. 412-1 du CESEDA dit ceci : « Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues aux articles L. 412-2 et L. 412-3, la première délivrance d’une carte de séjour temporaire ou d’une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à la production par l’étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l’article L. 411-1. »

Cette exigence de visa de long séjour est fondamentale pour la maîtrise de l’immigration, puisqu’elle ne peut être demandée que dans le pays d’origine, au consulat de France (ou un autre consulat pour les visas Schengen), et permet donc de poser un premier filtre à l’immigration avant l’entrée sur notre territoire.

Mais cette règle est immédiatement vidée d’une grande partie de son contenu par les exceptions prévues, entre autres, à l’article L. 412-2, qu’il convient de citer in extenso pour en mesurer la portée :

« Par dérogation à l’article L. 412-1 l’étranger est exempté de la production du visa de long séjour mentionné au même article pour la première délivrance des cartes de séjour suivantes:
1° La carte de séjour temporaire portant la mention  » stagiaire mobile ICT  » prévue à l’article L. 421-31 ;
2° La carte de séjour temporaire portant la mention  » vie privée et familiale  » prévue aux articles L. 423-7, L. 423-13, L. 423-21, L. 423-22, L. 423-23, L. 425-9 ou L. 426-5 ;
3° La carte de séjour temporaire portant la mention  » salarié « ,  » travailleur temporaire « ,  » entrepreneur/ profession libérale « ,  » étudiant  » ou  » visiteur  » délivrée sur le fondement de l’article L. 426-11 ;
4° La carte de séjour temporaire portant la mention  » vie privée et familiale  » prévue aux articles L. 426-12 ou L. 426-13 ;
5° La carte de séjour temporaire portant la mention  » vie privée et familiale  » prévue aux articles L. 425-1 ou L. 425-5 ;
6° La carte de séjour temporaire portant la mention  » salarié « ,  » travailleur temporaire  » ou  » vie privée et familiale  » délivrée sur le fondement des articles L. 435-1 ou L. 435-2 ;
7° La carte de séjour temporaire portant la mention  » salarié  » ou  » travailleur temporaire  » délivrée sur le fondement de l’article L. 435-3 ;
8° La carte de séjour pluriannuelle portant la mention  » talent-carte bleue européenne  » délivrée sur le fondement du dernier alinéa de l’article L. 421-11 ;
9° La carte de séjour pluriannuelle portant la mention  » talent (famille)  » délivrée sur le fondement de l’article L. 421-23 ;
10° La carte de séjour pluriannuelle portant la mention  » salarié détaché mobile ICT  » prévue à l’article L. 421-27 ;
11° La carte de séjour pluriannuelle portant la mention  » salarié détaché mobile ICT (famille)  » prévue à l’article L. 421-29 ;
12° La carte de séjour pluriannuelle portant la mention  » talent-chercheur  » ou  » talent  » délivrée sur le fondement de l’article L. 426-11.
»

Il faut ajouter à ces exceptions les motifs de séjour pour lesquels l’autorité administrative, aux termes de l’article L. 412-3, « (…) peut, sans que soit exigée la production du visa de long séjour mentionné au même article, accorder les cartes de séjour suivantes :
1° La carte de séjour temporaire portant la mention  » étudiant  » prévue à l’article L. 422-1 ;
2° La carte de séjour temporaire portant la mention  » stagiaire  » prévue à l’article L. 426-23 ;
3° La carte de séjour pluriannuelle portant la mention  » étudiant-programme de mobilité  » prévue à
l’article L. 422-6.
»

Cette liste constitue en quelque sorte le droit commun des régularisations, et n’est pas exhaustive : d’autres titres qui n’y sont pas mentionnés prévoient également une dispense de visa de long séjour, comme le regroupement familial sur place (article L. 423-2), le titre délivré en cas de violences conjugales ou polygamie (article L. 423-5), le titre conjoint de réfugié (article L. 424-3), ou encore le titre conjoint de Français marié en France et entré régulièrement (article L. 423-2).

Ces dispositifs de régularisation ne constituent pas des situations périphériques ou anecdotiques de l’immigration, mais bien son cœur vivant : l’immigration familiale, sanitaire, salariée. Il convient d’examiner plus en détail les principaux d’entre eux pour en saisir le mécanisme et la portée concrète.

L’article L. 423-23 est libellé comme suit : « L’étranger qui n’entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention  » vie privée et familiale  » d’une durée d’un an, sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d’existence de l’étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d’origine. / L’insertion de l’étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. »

Il a été créé en transposition de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), qui stipule : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

L’article 8 de la CEDH ne constitue pas le fondement de la demande de titre de séjour, mais il peut être invoqué devant le juge administratif, notamment lorsque l’administration a procédé à une lecture stricte de l’article L. 423-23 : le Conseil d’Etat, faisant application de cet article 8, a par exemple neutralisé la condition posée par l’article L. 423-23 qui subordonne sa délivrance au fait de ne pas entrer dans les catégories ouvrant droit au regroupement familial, typiquement le conjoint d’un ressortissant étranger en situation régulière (CE, sect. cont., 28 décembre 2009, req. n° 308231 : Mme Boudaa : « la circonstance que l’étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l’appréciation portée par l’administration sur la gravité de l’atteinte à la situation de l’intéressé »). Comme si cette neutralisation jurisprudentielle ne suffisait pas, il existe aussi un article spécifique du CESEDA (L. 423-2) qui prévoit la possibilité du regroupement familial sur place (mais il est très peu appliqué).

La combinaison de ces deux articles permet en pratique de régulariser, soit par la voie administrative, soit par la voie contentieuse, les étrangers qui sont arrivés irrégulièrement en France ou avec un visa de tourisme de 3 mois, qui se sont mis en couple avec un compatriote en situation régulière, pour une durée généralement d’au moins 3 ans, et ont eu un ou plusieurs enfants. Ce mécanisme de légalisation du fait accompli, qui vide en partie de son intérêt la procédure légale de regroupement familial, a conduit à la délivrance de 17 156 premiers titres de séjour en 2022. On comprend donc son attrait, archétypal de l’incohérence juridique, puisqu’il fait cohabiter une règle, le regroupement familial autorisé après visa, etson contournement, la régularisation par la voie du fait accompli de l’installation sur place.

Titre de séjour créé en 1997 par Lionel Jospin, presque unique au monde (il existe aussi en Belgique), il est délivré à « l’étranger, résidant habituellement en France, dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention  » vie privée et familiale  » d’une durée d’un an. La condition prévue à l’article L. 412-1 n’est pas opposable. »

Le rapport de 2020 de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), qui gère cette procédure, indique : « Rappelons que ce dispositif de titre de séjour pour soins reste une exception française dans le monde, et qu’il permet chaque année depuis sa création à des dizaines de milliers de personnes étrangères éligibles de se faire soigner, même dans des secteurs en tension, prises en charge à travers des cotisations versées par les partenaires sociaux ou par l’impôt, et ce quel qu’en soit le coût »1.

Si le ministère de l’Intérieur communique le nombre de titres délivrés chaque année (4 900 nouveaux titres en moyenne chaque année entre 2016 et 2020, mais une tendance à la baisse, avec 3291 titres délivrés en 2022), aucun chiffre n’est disponible sur le stock des bénéficiaires, probablement en raison de sa sensibilité politique, étant donné que le coût est entièrement à la charge de la solidarité nationale via la protection universelle maladie (PUMA), pour des pathologies lourdes et donc coûteuses (VIH, hépatites, diabètes, cancers, dialyses, greffes d’organes, troubles mentaux, ces derniers représentant 16,5% des demandes en 2021).

Sur les 24 000 demandeurs en 2020, parmi lesquels on retrouve une part des déboutés du droit d’asile, les plus représentés étaient Algériens (2712 demandeurs, soit 10,4% des dossiers), Ivoiriens (1764 demandeurs), Congolais (1603), Camerounais (1476), Guinéens (1442), Géorgiens (1174), Maliens (1131), Comoriens (1084), mais aussi Haïtiens, Marocains, Tunisiens et Russes.

Réservé aux étrangers qui « résident habituellement en France », sans condition de régularité de l’entrée ou du séjour, ce titre est devenu une voie d’immigration banalisée ouvrant souvent droit, compte tenu du caractère chronique des pathologies concernées, à une admission définitive au séjour, associée à la gratuité des soins, et ce, même à l’issue d’un franchissement irrégulier ou d’un maintien en situation irrégulière.

Pour un étranger qui veut travailler en France, la règle prévoit normalement, par combinaison des articles L. 421-1 du CESEDA et L. 5221-2 du code du travail, l’obligation de solliciter au préalable un visa de long séjour. Mais aussitôt un autre article du CESEDA, le L. 435-1, organise le contournement de cette règle.

L’article L. 435-1 constitue le dispositif phare de ce que l’on nomme l’admission exceptionnelle au séjour, dont la première version date de 2006 (article L. 313-14), et qui résulte de la volonté de donner un cadre légal au pouvoir de régularisation sans texte reconnu aux préfets par le Conseil d’Etat de manière entièrement prétorienne, nous y reviendrons. Cet article est en quelque sorte la « voiture-balai » des régularisations, il est sollicité par les étrangers qui ne rentrent dans aucun autre cadre légal et peut-être mis en œuvre d’office par l’autorité préfectorale, alors que ce n’est pas une obligation si l’étranger concerné n’a pas sollicité un titre de séjour sur ce fondement.

Il est rédigé comme suit : « L’étranger dont l’admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu’il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention  » salarié « ,  » travailleur temporaire  » ou  » vie privée et familiale « , sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1. »

En pratique, cette admission est surtout sollicitée par les étrangers qui travaillent en situation irrégulière, et qui demandent leur régularisation au titre de leur activité salariée. Les critères de régularisation varient d’une préfecture à une autre, certaines appliquant toujours, officieusement ou explicitement, les critères requis par la circulaire Valls du 28 novembre 2012, qui semble être toujours en vigueur, déclinés selon plusieurs cas de figure.

● Pour les étrangers en situation irrégulière qui occupent un emploi :
– Soit 5 ans de présence en France + 8 mois d’activité sur les 24 derniers mois ou 30 mois consécutifs ou non sur les 5 dernières années ;
– Soit 3 ans de présence en France + 24 mois d’activité dont 8 mois consécutifs ou non sur les 12 derniers mois ;
– Soit 5 ans de présence en France + une activité en tant qu’intérimaire sur les 24 derniers mois ;
– Soit 5 ans de présence en France + 12 mois d’activité d’économie solidaire ;
– Soit 3 années d’activité ininterrompue ou 7 ans de présence en France + 12 mois d’activité sur les 36 derniers mois.

L’intéressé doit produire un « pack employeur » comprenant notamment une demande d’autorisation de travail de l’employeur, le tout vérifié par la plateforme de la main d’œuvre étrangère (PMOE). La grande majorité des demandes de titre de séjour sur ce fondement sont satisfaites. En revanche, en cas de recours devant les tribunaux administratifs, depuis une décision du Conseil d’Etat du 4 février 2015, les étrangers ne peuvent plus invoquer cette circulaire en justice, les Cour administratives d’appel faisant en outre une interprétation plutôt stricte de la notion de motif exceptionnel d’admission. Cette divergence est source d’incompréhension chez les étrangers qui se sont vu refuser l’admission en préfecture pour des raisons administratives indépendantes de leur volonté (lorsque l’employeur n’est pas à jour de ses cotisations URSSAF par exemple). Mais ce n’est pas la moindre incohérence de ce titre de séjour, sur lequel nous reviendrons plus loin.

● Pour les étrangers en situation irrégulière parents d’enfants scolarisés : présence en France depuis au moins 5 ans et une scolarisation de l’enfant depuis au moins 3 ans, y compris en école maternelle. Si le demandeur est séparé de l’autre parent de l’enfant, il devra justifier contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant.

● Pour les étrangers en situation irrégulière dont le conjoint est en situation régulière : justification, à titre indicatif, d’une présence en France de 5 ans et d’une durée de 18 mois de vie commune.

● Pour les étrangers en situation irrégulière entrés en France avant l’âge de 16 ans :
– Justification d’un parcours scolaire « assidu et sérieux » ;
– Appréciation sur la stabilité et l’intensité des liens développés par l’étranger sur le territoire français : l’essentiel de ses liens privés ou familiaux doivent se trouver sur le territoire français et celui-ci doit être à la charge effective de la cellule familiale en France – tandis que la régularité du séjour d’un de ses parents constitue un élément d’appréciation favorable.

● Pour certains étrangers en situation irrégulière, des cas plus exceptionnels sont également prévus, à condition de justifier :
– Soit d’un talent exceptionnel ou de services rendus à la collectivité (par exemple dans les domaines culturel, sportif, associatif, civique ou économique) ;
– Soit de circonstances humanitaires particulières justifiant la délivrance d’un titre de séjour ;
– Soit d’avoir été victimes de violences conjugales ou de la traite des êtres humains.

Au passage, il y a lieu d’observer que la circulaire Valls pourrait être regardée comme entachée d’excès de pouvoir en ce qu’elle ne se borne pas à définir les critères généraux d’une admission exceptionnelle au séjour mais crée, du fait de la précision des critères utilisés, qui s’imposent à l’administration, des voies d’admission au séjour qui ne sont pas prévues par la loi.

Ce qu’il faut retenir à ce stade, c’est, d’une part, que le caractère insaisissable des critères d’admission, couplé à la possibilité de contester son refus en justice, ne peut qu’inviter à tenter sa chance et encourage puissamment le travail illégal ; d’autre part, que cette possibilité de régularisation des clandestins salariés légitime, comme pour les autres titres, le contournement de la règle de l’obtention préalable d’un visa de long séjour si l’on veut venir travailler en France.

A ce dispositif général, il faut ajouter le nouvel article L. 435-4 créé par la loi immigration du 26 janvier 2024, qui prévoit un dispositif de régularisation spécifique aux étrangers en situation irrégulière qui travaillent dans un métier en tension (que le ministre de l’intérieur estimait à environ 10 000), et qui a au moins le mérite de définir explicitement des critères précis de durée de travail et de permettre la prise en compte d’autres critères, tels l’intégration à la société française et l’ordre public. On aurait pu imaginer qu’a minima, ce dispositif se substitue au précédent, mais il a en réalité ouvert une nouvelle voie de régularisation du travail clandestin.

Ce nouvel article illustre au passage la propension à utiliser la création de nouvelles voies de régularisation comme un moyen détourné d’absorber l’immigration irrégulière. En témoigne par exemple l’amendement déposé en 1ère lecture du projet de loi immigration par le sénateur Ian Brossat, avec un avis favorable du Gouvernement, qui visait à accorder un titre de séjour temporaire d’un an à un étranger qui déposerait plainte contre un marchand de sommeil, lequel serait renouvelé pendant toute la procédure pénale. Cet amendement a par la suite été censuré par le Conseil Constitutionnel en sa qualité de cavalier législatif.

L’article L. 435-3 dispose : « A titre exceptionnel, l’étranger qui a été confié à l’aide sociale à l’enfance ou à un tiers digne de confiance entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention  » salarié  » ou  » travailleur temporaire « , sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil ou du tiers digne de confiance sur l’insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l’article L. 412-1 n’est pas opposable. »

L’article L. 423-22 prévoit, second dispositif : « Dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s’il entre dans les prévisions de l’article L. 421-35, l’étranger qui a été confié au service de l’aide sociale à l’enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention  » vie privée et familiale  » d’une durée d’un an, sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l’étranger avec sa famille restée dans son pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française. »

En clair, dans le premier cas, la régularisation relève d’une simple faculté, s’agissant de l’étranger pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) entre 16 et 18 ans, et dans le second, c’est un véritable droit à régularisation qui est organisé pour l’étranger confié à l’ASE avant ses 16 ans. Là aussi, la règle de l’immigration familiale est contournée puisque ces mineurs ne sont pas arrivés en France par hasard, ils y ont souvent été envoyés par leur famille (comment autrement payer le voyage et les passeurs ?) et bien sûr au mépris des procédures légales, et dans des conditions parfois dramatiques et dangereuses (risques de mort, noyade, viol, violence, etc.). Là aussi, comment s’étonner de l’attractivité de notre système juridique et social pour les candidats mineurs à l’immigration irrégulière, lorsque le droit lui-même prévoit la régularisation des mineurs isolés dont les pouvoirs publics assurent déplorer la multiplication ?

L’article L. 422-1 du CESEDA est rédigé comme suit : « L’étranger qui établit qu’il suit un enseignement en France ou qu’il y fait des études et qui justifie disposer de moyens d’existence suffisants se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention  » étudiant  » d’une durée inférieure ou égale à un an. / En cas de nécessité liée au déroulement des études ou lorsque l’étranger a suivi sans interruption une scolarité en France depuis l’âge de seize ans et y poursuit des études supérieures, l’autorité administrative peut accorder cette carte de séjour sous réserve d’une entrée régulière en France et sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1. (…) ».

Là aussi, existe une double règle : le droit commun, au 1er alinéa, et son contournement, au 2ème alinéa, pour certains étrangers entrés mineurs. Certes, les critères peuvent apparaître restrictifs, notamment parce qu’ils imposent l’obligation d’une entrée régulière, mais cet article aurait gagné à être explicitement restreint aux seuls étrangers entrés mineurs par la procédure légale du regroupement familial, pour lesquels on peut comprendre que l’on puisse les autoriser à poursuivre leurs études en France dans certaines conditions. Pour les autres, l’effet d’aubaine est maximal (cas par exemple d’étrangers entrés en France sous couvert d’un visa Schengen obtenu pour un autre pays, entrés régulièrement en France, s’étant ensuite maintenus irrégulièrement). Les chiffres communiqués par le ministère de l’intérieur ne distinguent pas les titres étudiants délivrés spécifiquement sur ce fondement des autres titres.

L’article L. 435-2 offre une possibilité de régularisation des étrangers ayant travaillé 3 ans pour des organismes assurant l’hébergement des personnes en difficultés, là aussi sans condition d’entrée ou de séjour régulier. En pratique, ce titre est très majoritairement attribué aux étrangers travaillant pour les Compagnons d’Emmaüs, qui sont ainsi le vecteur d’une véritable filière d’immigration clandestine légalisée par l’État.

La Convention de Genève prohibe, d’une part, en son article 31, l’application de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irrégulier aux réfugiés qui arrivent directement du territoire où leur vie ou leur liberté étaient menacées, d’autre part, consacre, en son article 33, un principe de non-refoulement vers les pays où ils seraient menacés. De ces deux principes ont été déduits, d’une part, un droit à l’entrée irrégulière légalisé par le dépôt d’une demande d’asile, autrement dit le droit de demander l’asile dans la foulée d’une entrée irrégulière, d’autre part la dépénalisation du délit de séjour irrégulier par la loi du 31 décembre 2012.

Autant ces deux principes paraissent inhérents au droit d’asile s’agissant des demandes déposées dans les pays frontaliers de ceux où ont lieu les menaces qui ont conduit au départ, où, à défaut, dans le pays d’arrivée directe, par voie de mer ou d’air, autant ces principes peuvent être questionnés lorsqu’ils sont accordés sans restriction à tous les demandeurs d’asile, y compris ceux ayant déjà traversé de nombreux pays où ils auraient pu trouver refuge ou déposer leur demande. En l’état du droit, la demande d’asile permet de régulariser l’entrée et le séjour de nombreux étrangers qui se disent persécutés dans un pays lointain et dont beaucoup, 60% selon les statistiques actuelles, seront déboutés, c’est-à-dire qu’on ne leur aura pas reconnu la qualité de réfugié. Cette faculté de pouvoir entrer en France sans autorisation pour y demander l’asile est évidemment l’un des moteurs de la filière désormais banalisée de l’immigration économique effectuée sous couvert de l’asile.

Depuis une jurisprudence ancienne, d’abord timide (Sieur Da Silva et CFDT, 13 janvier 1975 n° 90193) puis affirmée (Diop, 7 oct. 1991, n° 100639), le Conseil d’Etat a, par la voie prétorienne, imposé l’existence d’un pouvoir de régularisation des préfets même sans texte, jusqu’à, ultime étape, censurer l’erreur manifeste d’appréciation que commet l’administration en refusant de faire usage de son pouvoir de régularisation (CE 16 oct. 1998, n° 147141), par exemple en cas de conséquences disproportionnées sur la situation personnelle du requérant ou au regard de son intégration professionnelle, pour laquelle le juge détermine ses propres critères en dehors de tout texte – nous y reviendrons en deuxième partie. Le Conseil d’Etat va même plus loin : si un étranger demande à voir sa situation régularisée, le préfet doit examiner sa situation et déterminer si elle relève d’un motif exceptionnel d’admission. Cette faculté a été par la suite encadrée par la création de l’article L. 313-14 du CESEDA, devenu L. 435-1 avec la nouvelle codification intervenue en 2021.

Les conventions bilatérales (comme l’accord franco-algérien de 1968) ne prévoient pas de procédures de régularisation, sauf rare exception, comme le cas des algériens résidant en France depuis 10 ans (et dont la régularisation est de droit s’ils démontrent cette résidence), mais les ressortissants des pays concernés par ces conventions, qui ne peuvent pas tous invoquer l’admission exceptionnelle prévue par le CESEDA, peuvent quand même demander à bénéficier de l’admission exceptionnelle au séjour.

Cette large faculté de régularisation dont disposent les préfets, même si des critères sont parfois venus la restreindre ou au contraire l’élargir (la circulaire Valls du 28 novembre 2012, par exemple, fixe des critères d’admission très permissifs), donne à tout étranger l’espoir d’une régularisation et représente donc un puissant appel d’air.

Du point de vue d’un étranger en situation irrégulière, le refus d’une régularisation par le préfet n’est pas définitif, puisque demeure encore la possibilité d’une censure de ce refus par le juge administratif, qui s’approprie à cette occasion le pouvoir discrétionnaire du préfet pour y substituer sa propre appréciation selon ses propres critères, sans base législative ou réglementaire autre que l’article L. 435-1 du CESEDA dont la formulation très vague ouvre une grand marge d’interprétation. Les tribunaux administratifs censurent régulièrement les refus de régularisation.

Pour donner la mesure de la place prise par le contentieux des étrangers, celui-ci a représenté 43 % des entrées en 2023, soit environ 110 000 recours sur 257 000 affaires nouvelles. En moyenne, les requérants dans le contentieux des étrangers (tous motifs confondus) ont obtenu satisfaction totale ou partielle dans un peu plus de 23% des affaires, soit près du quart. Avec près d’une chance sur 4 de gagner en justice, on peut imaginer que le recours mérite d’être tenté.

A ainsi été exposée, dans cette première partie, l’étendue des dispositifs légaux de contournement des règles d’entrée et de séjour. La partie suivante explore sa dimension numérique et ses conséquences.

Les dernier chiffres définitifs disponibles, pour l’année 20222, font état de 34 302 nouveaux titres accordés au titre de l’admission exceptionnelle au séjour, divisés comme suit :

  • Salariés : 10 775 titres ;
  • Temporaires / saisonniers : 99 titres ;
  • Membres de famille : 5 264 titres ;
  • Liens personnels et familiaux : 17 156 titres ;
  • Étudiants : 1 008 titres.

A priori, ces chiffres ne comprennent que l’admission exceptionnelle au séjour stricto sensu (article L. 435-1), le regroupement familial sur place (article L. 423-2) et la régularisation pour vie privée et familiale au titre de l’article L. 423-23. Le ministère ne communique toutefois pas le détail des fondements légaux des titres accordés.

Il faut toutefois ajouter à ces chiffres :

  • les jeunes majeurs (ou « étrangers entrés mineurs ») : 10 042 titres accordés en 2022 ;
  • les étrangers malades : 3 291 titres accordés en 2022 ;
  • les victimes de traite et de violence conjugales : 300 titres accordés en 2022.

Au total, ce sont donc, hors asile, 47 935 titres de séjour au minimum qui ont été accordés à des étrangers en 2022 sur la base d’une régularisation (au minimum, car il y a 4 238 titres « divers » pour lesquels les motifs ne sont pas précisés par le ministère de l’Intérieur).

Enfin, il faudrait ajouter les régularisations au titre de l’asile (37 864 titres) dont :

  • protection subsidiaire : 10 727 titres ;
  • réfugiés : 27 137 titres.

Si l’on rapporte ces chiffres au total des délivrances de premiers titres de séjour en 2022 (318 926 premiers titres tous motifs confondus, 281 062 hors asile), la proportion des régularisations est donc la suivante :

  • hors asile, 47 935 régularisations sur 281 062 titres, soit 17 % des titres accordés ;
  • asile inclus, 37 864 titres délivrés en 2022, plus les 47 935 régularisations de droit commune sur un total de 318 926 titres, soit 26,9 % des titres accordés.

Hors asile, ce sont donc a minima 17% des titres de séjours, soit près de 50 000 titres qui sont accordés en dépit d’une entrée ou d’un séjour irrégulier, ce qui représente un taux de près d’une chance sur 5 de se voir accorder un titre de séjour sans avoir respecté les règles d’entrée ou de séjour. Si l’on ajoute l’asile, ce sont un quart des étrangers entrés irrégulièrement ou s’étant maintenus irrégulièrement qui obtiennent in fine un titre de séjour.

Une autre comparaison utile est de mettre en rapport ce chiffre avec les 22 704 personnes qui ont été éloignées en 2023 : avec 47 935 titres accordés, on a donc régularisé deux fois plus d’étrangers en situation irrégulière que l’on en a éloignés.

Ce que ces chiffres montrent, c’est que les régularisations de masse ont été pleinement intégrées à notre droit, ce qui « invisibilise » leur impact et qui explique qu’on n’ait plus recours aux « vagues de régularisations » par le biais de mesures politiques isolées et mal perçues par l’opinion. Par comparaison, la dernière grande régularisation de masse date de l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981, avec environ 130 000 délivrances de titres de séjour. Les suivantes seront plus modérées, comme celles ouvertes par les circulaires du 5 août 1987, puis du 23 juillet 1991, permettant à 15 000 demandeurs d’asile déboutés d’accéder à un titre de séjour. Après la circulaire « Debré » du 9 juillet 1996, la circulaire « Chevènement » admet au séjour près de 80 000 étrangers sur 140 000 demandes. La circulaire « Sarkozy » de 2006 conduit à la régularisation de près de 7 000 parents étrangers d’enfants scolarisés, sur un total de près de 34 000 dossiers déposés. La circulaire Valls de 2012 est la dernière grande circulaire de régularisation, et est en pratique toujours largement appliquée dans le cadre de l’admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié.

Aux grandes circulaires de régularisation s’est ainsi substitué un droit permanent à la régularisation, qui constitue une forte incitation à l’immigration irrégulière, Une étude de 20193 explicitée par Maxime Guimard4, a montré que les croyances vis-à-vis des perspectives de régularisation influencent significativement l’intention de maintien, puisque « un point d’augmentation des premières augmente la seconde de 0,43 point. En revanche, les risques d’éloignement, bien que surestimés, ont un effet cinq fois plus faible ». On peut donc penser qu’inversement, plus l’on tendra vers un système de « zéro régularisation », plus l’intention de venir irrégulièrement et de rester irrégulièrement en sera découragée.

Ces chiffres sont à mettre en relation avec la circonstance que les migrants ne sont pas tous des miséreux analphabètes, mais globalement, des personnes informées, connectées et conseillées dès le pays de départ, et dont beaucoup connaissent notre système juridique, notamment grâce aux associations de soutien aux immigrés financées par l’argent public. En 2023, 44 millions d’euros ont été versés au titre de l’éloignement, face à 900 millions d’euros versés en subventions aux 1 350 associations qui assurent des missions d’accueil, d’accompagnement et d’assistance juridiques auprès des immigrés, notamment pour des recours contre les OQTF5.

En prévoyant de nombreux dispositifs de régularisation, le CESEDA organise lui-même non seulement le contournement de la règle d’entrée sous couvert d’un visa de long séjour, et du séjour sous couvert d’un titre de séjour, mais également le contournement de la règle pénalisant l’emploi d’étrangers en situation irrégulière, de manière incohérente et contradictoire.

La pénalisation du séjour irrégulier, prévue par la loi immigration du 26 janvier 2024 mais censurée par le Conseil constitutionnel en raison de sa qualité de cavalier législatif, s’était limitée à une peine d’amende pour ne pas contrevenir au droit européen qui proscrit toute peine privative de liberté pour ce motif. Mais les débats ont fait oublier que trois délits punissent déjà d’une peine d’emprisonnement une entrée ou un séjour irrégulier : le délit d’entrée irrégulière à une frontière extérieure (L. 821-1), le délit de maintien en séjour irrégulier (L. 824-9), et le délit de retour non autorisé sur le territoire français (L. 824-11 et suivants).

Dans de nombreux cas, les mesures de régularisations sont autant d’absolutions de ces dispositions, et annulent le travail difficile de la police au frontière.

Par ailleurs, l’emploi d’étrangers en situation irrégulière est, d’une part, interdit (articles L. 8251-1 et L. 8251-2 du code du travail), d’autre part, aux termes de l’article L. 8256-2 du même code, sévèrement puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros. Pourtant le CESEDA, par son article L. 435-1, n’est rien d’autre, avec la circulaire Valls, qu’un encouragement à travailler en situation irrégulière pour obtenir sa régularisation, soit par la préfecture, soit, et c’est un comble, par le juge administratif.

Cette faculté de régularisation, qui a concerné plus de 10 000 salariés en 2022, constitue en outre un sabotage du travail difficile effectué par les forces de l’ordre contre le travail illégal, plus particulièrement par les 37 gendarmes spécialisés de l’office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI), dont les enquêtes et interventions de terrain6 sont réduites à néant par chaque mesure de régularisation.

La création prétorienne d’un pouvoir de régularisation sans texte des préfets pourrait, à première vue, se comprendre comme la manifestation de la prérogative régalienne d’admettre au séjour un ressortissant étranger. Elle se rattacherait ainsi à une forme d’acte de gouvernement. Mais cette prérogative, à laquelle, on peut le comprendre, les préfets sont très attachés, n’en demeure pas moins questionnable : au nom de quoi le pouvoir exécutif disposerait-il d’une compétence que le législateur, donc le peuple français, ne lui a pas expressément attribuée ? D’une part, depuis la création d’un article spécifique à l’admission exceptionnelle au séjour (L. 435-1), les ressortissants dont la situation est entièrement régie par des accords bilatéraux dans les domaines couverts par cette admission, dont en particulier le titre de séjour salarié (cas des Algériens, Marocains, Maliens), ne devraient, en toute logique, plus pouvoir bénéficier du pouvoir de régularisation prévu par le CESEDA. D’autre part, le pouvoir de régularisation sans texte des préfets aurait dû disparaître à compter de sa « légalisation », qui a précisément été conçue comme un cadre limitant : avec l’article L. 313-14 puis L. 435-1, les préfets ne peuvent plus régulariser selon n’importe quel critère, mais uniquement les étrangers « dont l’admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu’il fait valoir ».

En outre, seconde incohérence, si l’on admet l’existence d’un pouvoir discrétionnaire de l’administration pour régulariser un étranger en situation irrégulière, alors un tel pouvoir ne devrait, par construction, pas pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel. En effet, un pouvoir discrétionnaire dont le non-usage peut être censuré perd immédiatement par-là son caractère discrétionnaire. En vérifiant que ce non-usage n’est pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation, le juge s’approprie en réalité ce pouvoir discrétionnaire, pour imposer, selon ses propres critères, qui ne sont pas ceux de l’administration, mais ceux qu’il détermine lui-même, soit en dehors de tout texte s’agissant du pouvoir de régularisation sans texte, soit, par analogie, sur la base des critères très généraux de l’article L. 435-1 (considérations humanitaires et motifs exceptionnels), la régularisation de l’étranger que le préfet n’a pas voulu régulariser. Autrement dit, lorsque le juge régularise un étranger, il gouverne.

C’est donc contre toute évidence et de manière éminemment contradictoire avec sa propre jurisprudence que l’avis du Conseil d’État du 22 août 1996 indiquait qu’« il ne peut exister un « droit à la régularisation » ». Dès lors que le préfet a le devoir d’examiner la situation personnelle d’un requérant qui demande sa régularisation, et que le juge peut censurer le refus de procéder à cette régularisation, il existe bien, in fine, un droit à la régularisation dont les critères sont dégagés par la jurisprudence, en témoigne le considérant de principe relatif au critère de l’admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié : « Dans l’hypothèse où il serait fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire », un demandeur qui justifierait d’une promesse d’embauche ou d’un contrat de travail ne saurait être regardé, par principe, comme attestant des motifs exceptionnels exigés par la loi. Il appartient, en effet, à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, d’examiner si la qualification, l’expérience et les diplômes de l’étranger, ainsi que les caractéristiques de l’emploi auquel il postule, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l’étranger ferait état à l’appui de sa demande, tel que l’ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l’espèce, des motifs exceptionnels d’admission au séjour. » La jurisprudence des tribunaux administratif est très variable, mais les Cours ont tendance à considérer que 4 à 5 années d’exercice d’une activité professionnelle salariée continue peut justifier un motif exceptionnel d’admission (critères, cela dit, bien plus stricts que ceux, rappelés ci-avant, de la circulaire Valls).

Mais nous sommes là en pleine législation judiciaire, qui peut apparaître d’autant plus choquante que, comme il a été dit au point précédent, l’emploi d’un étranger en situation irrégulière est interdite et pénalement punie par le code du travail. Il est étonnant que la doctrine ne se soit jamais émue de cette aberration juridique majeure contraire à l’ordre public et à l’intérêt général.

Dans son principe même, la régularisation constitue une double injustice :

  • vis-à-vis des étrangers qui respectent les règles d’entrée et de séjour, en attendent patiemment leur visa (qui a coût) ou qui retournent dans leur pays d’origine pour demander un visa lorsque leur situation le commande pour obtenir un titre de séjour (par exemple pour solliciter le bénéfice du regroupement familial) ;
  • vis-à-vis de l’ensemble des citoyens, Français et étrangers, qui respectent les lois.

Ces dispositifs de régularisation n’ont en effet aucun équivalent dans le reste du droit. Aucun article du Code de la route n’autorise le ministre de l’intérieur à rendre discrétionnairement son permis à un contrevenant qui a perdu ses douze points, aucun article du Code des transports n’autorise le ministre des transports à ne pas infliger une contravention au passager d’un train qui n’a pas réglé son billet. La seule équivalence à ce pouvoir discrétionnaire est peut-être le pouvoir de remise gracieuse et de transaction de l’administration fiscale, mais elle est extrêmement encadrée et intervient à la marge et selon des critères bien précis. Elle n’est donc pas susceptible de créer des attentes telles que les contribuables tenteraient massivement d’échapper à l’impôt en espérant en bénéficier.

Ce caractère exorbitant des régularisations est également prégnant dans le domaine de l’ordre public : par exemple, des jugements admettent que l’utilisation de faux papiers doit être relativisée au sens où elle est sans incidence sur l’appréciation de la réalité de l’activité salariée prise en compte pour l’admission exceptionnelle, alors qu’elle est sévèrement sanctionnée dans le code pénal, ou des jugements où l’application de l’article 8 de la CEDH fait primer la vie privée et familiale sur les atteintes à l’ordre public (y compris les atteintes aux personnes).

L’objet de cette analyse a été de démontrer le caractère multiple, délétère, et largement sous-estimé, dans son amplitude, des dispositifs de régularisations, qui ne sont rien d’autre qu’un droit organisant le contournement de la règle commune de l’entrée régulière ou du séjour régulier, c’est-à-dire un passe droit légal, sans équivalent dans le reste du droit français. Pleinement intégrés au corpus juridique du CESEDA, avalisés tant par l’administration que par le juge, ils sont sources d’incohérence juridique et d’iniquité, constituent un puissant appel d’air pour l’immigration illégale par la voie du fait accompli, et, parce qu’ils heurtent directement d’autres règles de droit, comme le délit d’entrée illégale ou le délit d’emploi d’un étranger en situation irrégulière, portent atteinte à la cohérence de la politique migratoire, à l’ordre public et à l’intérêt général.

Les mesures suivantes pourraient en conséquence être mises en œuvre :

  • La règle générale et quasi absolue doit être l’autorisation d’entrée en France depuis le pays d’origine par la délivrance d’un visa ; il y a donc lieu de supprimer tous les dispositifs légaux de régularisation en cas d’entrée irrégulière ou de maintien sur le territoire à l’expiration du visa ou du titre de séjour ;
  • Suppression du pouvoir des préfets de régularisation sans texte : ce pouvoir doit être encadré par un texte, au profit du seul ministre de l’intérieur, sur saisine du préfet ou d’un élu pour les dossiers à caractère exceptionnel (héroïsme, service rendu à la nation, situation humanitaire particulière), insusceptible de recours quand il n’en fait pas usage (il n’appartient pas au juge de procéder à une régularisation, laquelle doit redevenir un acte de gouvernement) ; en revanche, recours ouvert à tout parlementaire contre les régularisations accordées par le ministre de l’intérieur, afin d’en limiter les abus potentiels ;
  • Interdiction par la loi des régularisations de masse par voie de circulaire ; et suppression de la circulaire Valls ;
  • Recours juridictionnel contre le refus de séjour ouvert uniquement après avoir quitté le territoire français si l’on est entré irrégulièrement (comme au Royaume-Uni) ;
  • Suppression de la commission du titre de séjour, procédure administrative sans plus-value réelle.
  1. OFII, « Procédure d’admission au séjour pour soins : rapport au Parlement », 09/12/2021
    https://www.ofii.fr/procedure-dadmission-au-sejour-pour-soins-rapport-au-parlement/ ↩︎
  2. Ministère de l’Intérieur, « Les chiffres de l’immigration en 2023 » (données provisoires), 25 janvier 2024  https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Chiffres-cles-sejour-visas-eloignements-asile-acces-a-la-nationalite/Les-chiffres-2023-publication-annuelle-parue-le-25-janvier-2024 ↩︎
  3. CESifo, « The (Option-) Value of Overstaying, Romuald Méango », François Pinas, juin 2023
    https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4506322 ↩︎
  4. Note de lecture « Le prix de l’attente », Maxime Guimard, 12/01/2024
    https://maximeguimard.fr/2024/01/12/le-prix-de-lattente/ ↩︎
  5. Le Figaro, « Les immigrés viennent-ils en France pour travailler ? », Agnès Verdier-Molinié, 17/12/2023
    https://www.lefigaro.fr/vox/societe/agnes-verdier-molinie-les-immigres-viennent-ils-en-france-pour-travailler-20231217 ↩︎
  6. Le Figaro, « Immigration clandestine, comment la pieuvre du travail illégal se déploie partout en France » 20/11/2023
    https://www.lefigaro.fr/actualite-france/immigration-clandestine-comment-la-pieuvre-du-travail-illegal-se-deploie-partout-en-france-20231120 ↩︎

L’article L. 412-1 du CESEDA dit ceci : « Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues aux articles L. 412-2 et L. 412-3, la première délivrance d’une carte de séjour temporaire ou d’une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à la production par l’étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l’article L. 411-1. »

Cette exigence de visa de long séjour est fondamentale pour la maîtrise de l’immigration, puisqu’elle ne peut être demandée que dans le pays d’origine, au consulat de France (ou un autre consulat pour les visas Schengen), et permet donc de poser un premier filtre à l’immigration avant l’entrée sur notre territoire.

Mais cette règle est immédiatement vidée d’une grande partie de son contenu par les exceptions prévues, entre autres, à l’article L. 412-2, qu’il convient de citer in extenso pour en mesurer la portée :

« Par dérogation à l’article L. 412-1 l’étranger est exempté de la production du visa de long séjour mentionné au même article pour la première délivrance des cartes de séjour suivantes:
1° La carte de séjour temporaire portant la mention  » stagiaire mobile ICT  » prévue à l’article L. 421-31 ;
2° La carte de séjour temporaire portant la mention  » vie privée et familiale  » prévue aux articles L. 423-7, L. 423-13, L. 423-21, L. 423-22, L. 423-23, L. 425-9 ou L. 426-5 ;
3° La carte de séjour temporaire portant la mention  » salarié « ,  » travailleur temporaire « ,  » entrepreneur/ profession libérale « ,  » étudiant  » ou  » visiteur  » délivrée sur le fondement de l’article L. 426-11 ;
4° La carte de séjour temporaire portant la mention  » vie privée et familiale  » prévue aux articles L. 426-12 ou L. 426-13 ;
5° La carte de séjour temporaire portant la mention  » vie privée et familiale  » prévue aux articles L. 425-1 ou L. 425-5 ;
6° La carte de séjour temporaire portant la mention  » salarié « ,  » travailleur temporaire  » ou  » vie privée et familiale  » délivrée sur le fondement des articles L. 435-1 ou L. 435-2 ;
7° La carte de séjour temporaire portant la mention  » salarié  » ou  » travailleur temporaire  » délivrée sur le fondement de l’article L. 435-3 ;
8° La carte de séjour pluriannuelle portant la mention  » talent-carte bleue européenne  » délivrée sur le fondement du dernier alinéa de l’article L. 421-11 ;
9° La carte de séjour pluriannuelle portant la mention  » talent (famille)  » délivrée sur le fondement de l’article L. 421-23 ;
10° La carte de séjour pluriannuelle portant la mention  » salarié détaché mobile ICT  » prévue à l’article L. 421-27 ;
11° La carte de séjour pluriannuelle portant la mention  » salarié détaché mobile ICT (famille)  » prévue à l’article L. 421-29 ;
12° La carte de séjour pluriannuelle portant la mention  » talent-chercheur  » ou  » talent  » délivrée sur le fondement de l’article L. 426-11.
»

Il faut ajouter à ces exceptions les motifs de séjour pour lesquels l’autorité administrative, aux termes de l’article L. 412-3, « (…) peut, sans que soit exigée la production du visa de long séjour mentionné au même article, accorder les cartes de séjour suivantes :
1° La carte de séjour temporaire portant la mention  » étudiant  » prévue à l’article L. 422-1 ;
2° La carte de séjour temporaire portant la mention  » stagiaire  » prévue à l’article L. 426-23 ;
3° La carte de séjour pluriannuelle portant la mention  » étudiant-programme de mobilité  » prévue à
l’article L. 422-6.
»

Cette liste constitue en quelque sorte le droit commun des régularisations, et n’est pas exhaustive : d’autres titres qui n’y sont pas mentionnés prévoient également une dispense de visa de long séjour, comme le regroupement familial sur place (article L. 423-2), le titre délivré en cas de violences conjugales ou polygamie (article L. 423-5), le titre conjoint de réfugié (article L. 424-3), ou encore le titre conjoint de Français marié en France et entré régulièrement (article L. 423-2).

Ces dispositifs de régularisation ne constituent pas des situations périphériques ou anecdotiques de l’immigration, mais bien son cœur vivant : l’immigration familiale, sanitaire, salariée. Il convient d’examiner plus en détail les principaux d’entre eux pour en saisir le mécanisme et la portée concrète.

L’article L. 423-23 est libellé comme suit : « L’étranger qui n’entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention  » vie privée et familiale  » d’une durée d’un an, sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d’existence de l’étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d’origine. / L’insertion de l’étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. »

Il a été créé en transposition de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), qui stipule : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

L’article 8 de la CEDH ne constitue pas le fondement de la demande de titre de séjour, mais il peut être invoqué devant le juge administratif, notamment lorsque l’administration a procédé à une lecture stricte de l’article L. 423-23 : le Conseil d’Etat, faisant application de cet article 8, a par exemple neutralisé la condition posée par l’article L. 423-23 qui subordonne sa délivrance au fait de ne pas entrer dans les catégories ouvrant droit au regroupement familial, typiquement le conjoint d’un ressortissant étranger en situation régulière (CE, sect. cont., 28 décembre 2009, req. n° 308231 : Mme Boudaa : « la circonstance que l’étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l’appréciation portée par l’administration sur la gravité de l’atteinte à la situation de l’intéressé »). Comme si cette neutralisation jurisprudentielle ne suffisait pas, il existe aussi un article spécifique du CESEDA (L. 423-2) qui prévoit la possibilité du regroupement familial sur place (mais il est très peu appliqué).

La combinaison de ces deux articles permet en pratique de régulariser, soit par la voie administrative, soit par la voie contentieuse, les étrangers qui sont arrivés irrégulièrement en France ou avec un visa de tourisme de 3 mois, qui se sont mis en couple avec un compatriote en situation régulière, pour une durée généralement d’au moins 3 ans, et ont eu un ou plusieurs enfants. Ce mécanisme de légalisation du fait accompli, qui vide en partie de son intérêt la procédure légale de regroupement familial, a conduit à la délivrance de 17 156 premiers titres de séjour en 2022. On comprend donc son attrait, archétypal de l’incohérence juridique, puisqu’il fait cohabiter une règle, le regroupement familial autorisé après visa, etson contournement, la régularisation par la voie du fait accompli de l’installation sur place.

Titre de séjour créé en 1997 par Lionel Jospin, presque unique au monde (il existe aussi en Belgique), il est délivré à « l’étranger, résidant habituellement en France, dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention  » vie privée et familiale  » d’une durée d’un an. La condition prévue à l’article L. 412-1 n’est pas opposable. »

Le rapport de 2020 de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), qui gère cette procédure, indique : « Rappelons que ce dispositif de titre de séjour pour soins reste une exception française dans le monde, et qu’il permet chaque année depuis sa création à des dizaines de milliers de personnes étrangères éligibles de se faire soigner, même dans des secteurs en tension, prises en charge à travers des cotisations versées par les partenaires sociaux ou par l’impôt, et ce quel qu’en soit le coût »1.

Si le ministère de l’Intérieur communique le nombre de titres délivrés chaque année (4 900 nouveaux titres en moyenne chaque année entre 2016 et 2020, mais une tendance à la baisse, avec 3291 titres délivrés en 2022), aucun chiffre n’est disponible sur le stock des bénéficiaires, probablement en raison de sa sensibilité politique, étant donné que le coût est entièrement à la charge de la solidarité nationale via la protection universelle maladie (PUMA), pour des pathologies lourdes et donc coûteuses (VIH, hépatites, diabètes, cancers, dialyses, greffes d’organes, troubles mentaux, ces derniers représentant 16,5% des demandes en 2021).

Sur les 24 000 demandeurs en 2020, parmi lesquels on retrouve une part des déboutés du droit d’asile, les plus représentés étaient Algériens (2712 demandeurs, soit 10,4% des dossiers), Ivoiriens (1764 demandeurs), Congolais (1603), Camerounais (1476), Guinéens (1442), Géorgiens (1174), Maliens (1131), Comoriens (1084), mais aussi Haïtiens, Marocains, Tunisiens et Russes.

Réservé aux étrangers qui « résident habituellement en France », sans condition de régularité de l’entrée ou du séjour, ce titre est devenu une voie d’immigration banalisée ouvrant souvent droit, compte tenu du caractère chronique des pathologies concernées, à une admission définitive au séjour, associée à la gratuité des soins, et ce, même à l’issue d’un franchissement irrégulier ou d’un maintien en situation irrégulière.

Pour un étranger qui veut travailler en France, la règle prévoit normalement, par combinaison des articles L. 421-1 du CESEDA et L. 5221-2 du code du travail, l’obligation de solliciter au préalable un visa de long séjour. Mais aussitôt un autre article du CESEDA, le L. 435-1, organise le contournement de cette règle.

L’article L. 435-1 constitue le dispositif phare de ce que l’on nomme l’admission exceptionnelle au séjour, dont la première version date de 2006 (article L. 313-14), et qui résulte de la volonté de donner un cadre légal au pouvoir de régularisation sans texte reconnu aux préfets par le Conseil d’Etat de manière entièrement prétorienne, nous y reviendrons. Cet article est en quelque sorte la « voiture-balai » des régularisations, il est sollicité par les étrangers qui ne rentrent dans aucun autre cadre légal et peut-être mis en œuvre d’office par l’autorité préfectorale, alors que ce n’est pas une obligation si l’étranger concerné n’a pas sollicité un titre de séjour sur ce fondement.

Il est rédigé comme suit : « L’étranger dont l’admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu’il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention  » salarié « ,  » travailleur temporaire  » ou  » vie privée et familiale « , sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1. »

En pratique, cette admission est surtout sollicitée par les étrangers qui travaillent en situation irrégulière, et qui demandent leur régularisation au titre de leur activité salariée. Les critères de régularisation varient d’une préfecture à une autre, certaines appliquant toujours, officieusement ou explicitement, les critères requis par la circulaire Valls du 28 novembre 2012, qui semble être toujours en vigueur, déclinés selon plusieurs cas de figure.

● Pour les étrangers en situation irrégulière qui occupent un emploi :
– Soit 5 ans de présence en France + 8 mois d’activité sur les 24 derniers mois ou 30 mois consécutifs ou non sur les 5 dernières années ;
– Soit 3 ans de présence en France + 24 mois d’activité dont 8 mois consécutifs ou non sur les 12 derniers mois ;
– Soit 5 ans de présence en France + une activité en tant qu’intérimaire sur les 24 derniers mois ;
– Soit 5 ans de présence en France + 12 mois d’activité d’économie solidaire ;
– Soit 3 années d’activité ininterrompue ou 7 ans de présence en France + 12 mois d’activité sur les 36 derniers mois.

L’intéressé doit produire un « pack employeur » comprenant notamment une demande d’autorisation de travail de l’employeur, le tout vérifié par la plateforme de la main d’œuvre étrangère (PMOE). La grande majorité des demandes de titre de séjour sur ce fondement sont satisfaites. En revanche, en cas de recours devant les tribunaux administratifs, depuis une décision du Conseil d’Etat du 4 février 2015, les étrangers ne peuvent plus invoquer cette circulaire en justice, les Cour administratives d’appel faisant en outre une interprétation plutôt stricte de la notion de motif exceptionnel d’admission. Cette divergence est source d’incompréhension chez les étrangers qui se sont vu refuser l’admission en préfecture pour des raisons administratives indépendantes de leur volonté (lorsque l’employeur n’est pas à jour de ses cotisations URSSAF par exemple). Mais ce n’est pas la moindre incohérence de ce titre de séjour, sur lequel nous reviendrons plus loin.

● Pour les étrangers en situation irrégulière parents d’enfants scolarisés : présence en France depuis au moins 5 ans et une scolarisation de l’enfant depuis au moins 3 ans, y compris en école maternelle. Si le demandeur est séparé de l’autre parent de l’enfant, il devra justifier contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant.

● Pour les étrangers en situation irrégulière dont le conjoint est en situation régulière : justification, à titre indicatif, d’une présence en France de 5 ans et d’une durée de 18 mois de vie commune.

● Pour les étrangers en situation irrégulière entrés en France avant l’âge de 16 ans :
– Justification d’un parcours scolaire « assidu et sérieux » ;
– Appréciation sur la stabilité et l’intensité des liens développés par l’étranger sur le territoire français : l’essentiel de ses liens privés ou familiaux doivent se trouver sur le territoire français et celui-ci doit être à la charge effective de la cellule familiale en France – tandis que la régularité du séjour d’un de ses parents constitue un élément d’appréciation favorable.

● Pour certains étrangers en situation irrégulière, des cas plus exceptionnels sont également prévus, à condition de justifier :
– Soit d’un talent exceptionnel ou de services rendus à la collectivité (par exemple dans les domaines culturel, sportif, associatif, civique ou économique) ;
– Soit de circonstances humanitaires particulières justifiant la délivrance d’un titre de séjour ;
– Soit d’avoir été victimes de violences conjugales ou de la traite des êtres humains.

Au passage, il y a lieu d’observer que la circulaire Valls pourrait être regardée comme entachée d’excès de pouvoir en ce qu’elle ne se borne pas à définir les critères généraux d’une admission exceptionnelle au séjour mais crée, du fait de la précision des critères utilisés, qui s’imposent à l’administration, des voies d’admission au séjour qui ne sont pas prévues par la loi.

Ce qu’il faut retenir à ce stade, c’est, d’une part, que le caractère insaisissable des critères d’admission, couplé à la possibilité de contester son refus en justice, ne peut qu’inviter à tenter sa chance et encourage puissamment le travail illégal ; d’autre part, que cette possibilité de régularisation des clandestins salariés légitime, comme pour les autres titres, le contournement de la règle de l’obtention préalable d’un visa de long séjour si l’on veut venir travailler en France.

A ce dispositif général, il faut ajouter le nouvel article L. 435-4 créé par la loi immigration du 26 janvier 2024, qui prévoit un dispositif de régularisation spécifique aux étrangers en situation irrégulière qui travaillent dans un métier en tension (que le ministre de l’intérieur estimait à environ 10 000), et qui a au moins le mérite de définir explicitement des critères précis de durée de travail et de permettre la prise en compte d’autres critères, tels l’intégration à la société française et l’ordre public. On aurait pu imaginer qu’a minima, ce dispositif se substitue au précédent, mais il a en réalité ouvert une nouvelle voie de régularisation du travail clandestin.

Ce nouvel article illustre au passage la propension à utiliser la création de nouvelles voies de régularisation comme un moyen détourné d’absorber l’immigration irrégulière. En témoigne par exemple l’amendement déposé en 1ère lecture du projet de loi immigration par le sénateur Ian Brossat, avec un avis favorable du Gouvernement, qui visait à accorder un titre de séjour temporaire d’un an à un étranger qui déposerait plainte contre un marchand de sommeil, lequel serait renouvelé pendant toute la procédure pénale. Cet amendement a par la suite été censuré par le Conseil Constitutionnel en sa qualité de cavalier législatif.

L’article L. 435-3 dispose : « A titre exceptionnel, l’étranger qui a été confié à l’aide sociale à l’enfance ou à un tiers digne de confiance entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention  » salarié  » ou  » travailleur temporaire « , sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil ou du tiers digne de confiance sur l’insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l’article L. 412-1 n’est pas opposable. »

L’article L. 423-22 prévoit, second dispositif : « Dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s’il entre dans les prévisions de l’article L. 421-35, l’étranger qui a été confié au service de l’aide sociale à l’enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention  » vie privée et familiale  » d’une durée d’un an, sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l’étranger avec sa famille restée dans son pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française. »

En clair, dans le premier cas, la régularisation relève d’une simple faculté, s’agissant de l’étranger pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) entre 16 et 18 ans, et dans le second, c’est un véritable droit à régularisation qui est organisé pour l’étranger confié à l’ASE avant ses 16 ans. Là aussi, la règle de l’immigration familiale est contournée puisque ces mineurs ne sont pas arrivés en France par hasard, ils y ont souvent été envoyés par leur famille (comment autrement payer le voyage et les passeurs ?) et bien sûr au mépris des procédures légales, et dans des conditions parfois dramatiques et dangereuses (risques de mort, noyade, viol, violence, etc.). Là aussi, comment s’étonner de l’attractivité de notre système juridique et social pour les candidats mineurs à l’immigration irrégulière, lorsque le droit lui-même prévoit la régularisation des mineurs isolés dont les pouvoirs publics assurent déplorer la multiplication ?

L’article L. 422-1 du CESEDA est rédigé comme suit : « L’étranger qui établit qu’il suit un enseignement en France ou qu’il y fait des études et qui justifie disposer de moyens d’existence suffisants se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention  » étudiant  » d’une durée inférieure ou égale à un an. / En cas de nécessité liée au déroulement des études ou lorsque l’étranger a suivi sans interruption une scolarité en France depuis l’âge de seize ans et y poursuit des études supérieures, l’autorité administrative peut accorder cette carte de séjour sous réserve d’une entrée régulière en France et sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1. (…) ».

Là aussi, existe une double règle : le droit commun, au 1er alinéa, et son contournement, au 2ème alinéa, pour certains étrangers entrés mineurs. Certes, les critères peuvent apparaître restrictifs, notamment parce qu’ils imposent l’obligation d’une entrée régulière, mais cet article aurait gagné à être explicitement restreint aux seuls étrangers entrés mineurs par la procédure légale du regroupement familial, pour lesquels on peut comprendre que l’on puisse les autoriser à poursuivre leurs études en France dans certaines conditions. Pour les autres, l’effet d’aubaine est maximal (cas par exemple d’étrangers entrés en France sous couvert d’un visa Schengen obtenu pour un autre pays, entrés régulièrement en France, s’étant ensuite maintenus irrégulièrement). Les chiffres communiqués par le ministère de l’intérieur ne distinguent pas les titres étudiants délivrés spécifiquement sur ce fondement des autres titres.

L’article L. 435-2 offre une possibilité de régularisation des étrangers ayant travaillé 3 ans pour des organismes assurant l’hébergement des personnes en difficultés, là aussi sans condition d’entrée ou de séjour régulier. En pratique, ce titre est très majoritairement attribué aux étrangers travaillant pour les Compagnons d’Emmaüs, qui sont ainsi le vecteur d’une véritable filière d’immigration clandestine légalisée par l’État.

La Convention de Genève prohibe, d’une part, en son article 31, l’application de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irrégulier aux réfugiés qui arrivent directement du territoire où leur vie ou leur liberté étaient menacées, d’autre part, consacre, en son article 33, un principe de non-refoulement vers les pays où ils seraient menacés. De ces deux principes ont été déduits, d’une part, un droit à l’entrée irrégulière légalisé par le dépôt d’une demande d’asile, autrement dit le droit de demander l’asile dans la foulée d’une entrée irrégulière, d’autre part la dépénalisation du délit de séjour irrégulier par la loi du 31 décembre 2012.

Autant ces deux principes paraissent inhérents au droit d’asile s’agissant des demandes déposées dans les pays frontaliers de ceux où ont lieu les menaces qui ont conduit au départ, où, à défaut, dans le pays d’arrivée directe, par voie de mer ou d’air, autant ces principes peuvent être questionnés lorsqu’ils sont accordés sans restriction à tous les demandeurs d’asile, y compris ceux ayant déjà traversé de nombreux pays où ils auraient pu trouver refuge ou déposer leur demande. En l’état du droit, la demande d’asile permet de régulariser l’entrée et le séjour de nombreux étrangers qui se disent persécutés dans un pays lointain et dont beaucoup, 60% selon les statistiques actuelles, seront déboutés, c’est-à-dire qu’on ne leur aura pas reconnu la qualité de réfugié. Cette faculté de pouvoir entrer en France sans autorisation pour y demander l’asile est évidemment l’un des moteurs de la filière désormais banalisée de l’immigration économique effectuée sous couvert de l’asile.

Depuis une jurisprudence ancienne, d’abord timide (Sieur Da Silva et CFDT, 13 janvier 1975 n° 90193) puis affirmée (Diop, 7 oct. 1991, n° 100639), le Conseil d’Etat a, par la voie prétorienne, imposé l’existence d’un pouvoir de régularisation des préfets même sans texte, jusqu’à, ultime étape, censurer l’erreur manifeste d’appréciation que commet l’administration en refusant de faire usage de son pouvoir de régularisation (CE 16 oct. 1998, n° 147141), par exemple en cas de conséquences disproportionnées sur la situation personnelle du requérant ou au regard de son intégration professionnelle, pour laquelle le juge détermine ses propres critères en dehors de tout texte – nous y reviendrons en deuxième partie. Le Conseil d’Etat va même plus loin : si un étranger demande à voir sa situation régularisée, le préfet doit examiner sa situation et déterminer si elle relève d’un motif exceptionnel d’admission. Cette faculté a été par la suite encadrée par la création de l’article L. 313-14 du CESEDA, devenu L. 435-1 avec la nouvelle codification intervenue en 2021.

Les conventions bilatérales (comme l’accord franco-algérien de 1968) ne prévoient pas de procédures de régularisation, sauf rare exception, comme le cas des algériens résidant en France depuis 10 ans (et dont la régularisation est de droit s’ils démontrent cette résidence), mais les ressortissants des pays concernés par ces conventions, qui ne peuvent pas tous invoquer l’admission exceptionnelle prévue par le CESEDA, peuvent quand même demander à bénéficier de l’admission exceptionnelle au séjour.

Cette large faculté de régularisation dont disposent les préfets, même si des critères sont parfois venus la restreindre ou au contraire l’élargir (la circulaire Valls du 28 novembre 2012, par exemple, fixe des critères d’admission très permissifs), donne à tout étranger l’espoir d’une régularisation et représente donc un puissant appel d’air.

Du point de vue d’un étranger en situation irrégulière, le refus d’une régularisation par le préfet n’est pas définitif, puisque demeure encore la possibilité d’une censure de ce refus par le juge administratif, qui s’approprie à cette occasion le pouvoir discrétionnaire du préfet pour y substituer sa propre appréciation selon ses propres critères, sans base législative ou réglementaire autre que l’article L. 435-1 du CESEDA dont la formulation très vague ouvre une grand marge d’interprétation. Les tribunaux administratifs censurent régulièrement les refus de régularisation.

Pour donner la mesure de la place prise par le contentieux des étrangers, celui-ci a représenté 43 % des entrées en 2023, soit environ 110 000 recours sur 257 000 affaires nouvelles. En moyenne, les requérants dans le contentieux des étrangers (tous motifs confondus) ont obtenu satisfaction totale ou partielle dans un peu plus de 23% des affaires, soit près du quart. Avec près d’une chance sur 4 de gagner en justice, on peut imaginer que le recours mérite d’être tenté.

A ainsi été exposée, dans cette première partie, l’étendue des dispositifs légaux de contournement des règles d’entrée et de séjour. La partie suivante explore sa dimension numérique et ses conséquences.

Les dernier chiffres définitifs disponibles, pour l’année 20222, font état de 34 302 nouveaux titres accordés au titre de l’admission exceptionnelle au séjour, divisés comme suit :

  • Salariés : 10 775 titres ;
  • Temporaires / saisonniers : 99 titres ;
  • Membres de famille : 5 264 titres ;
  • Liens personnels et familiaux : 17 156 titres ;
  • Étudiants : 1 008 titres.

A priori, ces chiffres ne comprennent que l’admission exceptionnelle au séjour stricto sensu (article L. 435-1), le regroupement familial sur place (article L. 423-2) et la régularisation pour vie privée et familiale au titre de l’article L. 423-23. Le ministère ne communique toutefois pas le détail des fondements légaux des titres accordés.

Il faut toutefois ajouter à ces chiffres :

  • les jeunes majeurs (ou « étrangers entrés mineurs ») : 10 042 titres accordés en 2022 ;
  • les étrangers malades : 3 291 titres accordés en 2022 ;
  • les victimes de traite et de violence conjugales : 300 titres accordés en 2022.

Au total, ce sont donc, hors asile, 47 935 titres de séjour au minimum qui ont été accordés à des étrangers en 2022 sur la base d’une régularisation (au minimum, car il y a 4 238 titres « divers » pour lesquels les motifs ne sont pas précisés par le ministère de l’Intérieur).

Enfin, il faudrait ajouter les régularisations au titre de l’asile (37 864 titres) dont :

  • protection subsidiaire : 10 727 titres ;
  • réfugiés : 27 137 titres.

Si l’on rapporte ces chiffres au total des délivrances de premiers titres de séjour en 2022 (318 926 premiers titres tous motifs confondus, 281 062 hors asile), la proportion des régularisations est donc la suivante :

  • hors asile, 47 935 régularisations sur 281 062 titres, soit 17 % des titres accordés ;
  • asile inclus, 37 864 titres délivrés en 2022, plus les 47 935 régularisations de droit commune sur un total de 318 926 titres, soit 26,9 % des titres accordés.

Hors asile, ce sont donc a minima 17% des titres de séjours, soit près de 50 000 titres qui sont accordés en dépit d’une entrée ou d’un séjour irrégulier, ce qui représente un taux de près d’une chance sur 5 de se voir accorder un titre de séjour sans avoir respecté les règles d’entrée ou de séjour. Si l’on ajoute l’asile, ce sont un quart des étrangers entrés irrégulièrement ou s’étant maintenus irrégulièrement qui obtiennent in fine un titre de séjour.

Une autre comparaison utile est de mettre en rapport ce chiffre avec les 22 704 personnes qui ont été éloignées en 2023 : avec 47 935 titres accordés, on a donc régularisé deux fois plus d’étrangers en situation irrégulière que l’on en a éloignés.

Ce que ces chiffres montrent, c’est que les régularisations de masse ont été pleinement intégrées à notre droit, ce qui « invisibilise » leur impact et qui explique qu’on n’ait plus recours aux « vagues de régularisations » par le biais de mesures politiques isolées et mal perçues par l’opinion. Par comparaison, la dernière grande régularisation de masse date de l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981, avec environ 130 000 délivrances de titres de séjour. Les suivantes seront plus modérées, comme celles ouvertes par les circulaires du 5 août 1987, puis du 23 juillet 1991, permettant à 15 000 demandeurs d’asile déboutés d’accéder à un titre de séjour. Après la circulaire « Debré » du 9 juillet 1996, la circulaire « Chevènement » admet au séjour près de 80 000 étrangers sur 140 000 demandes. La circulaire « Sarkozy » de 2006 conduit à la régularisation de près de 7 000 parents étrangers d’enfants scolarisés, sur un total de près de 34 000 dossiers déposés. La circulaire Valls de 2012 est la dernière grande circulaire de régularisation, et est en pratique toujours largement appliquée dans le cadre de l’admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié.

Aux grandes circulaires de régularisation s’est ainsi substitué un droit permanent à la régularisation, qui constitue une forte incitation à l’immigration irrégulière, Une étude de 20193 explicitée par Maxime Guimard4, a montré que les croyances vis-à-vis des perspectives de régularisation influencent significativement l’intention de maintien, puisque « un point d’augmentation des premières augmente la seconde de 0,43 point. En revanche, les risques d’éloignement, bien que surestimés, ont un effet cinq fois plus faible ». On peut donc penser qu’inversement, plus l’on tendra vers un système de « zéro régularisation », plus l’intention de venir irrégulièrement et de rester irrégulièrement en sera découragée.

Ces chiffres sont à mettre en relation avec la circonstance que les migrants ne sont pas tous des miséreux analphabètes, mais globalement, des personnes informées, connectées et conseillées dès le pays de départ, et dont beaucoup connaissent notre système juridique, notamment grâce aux associations de soutien aux immigrés financées par l’argent public. En 2023, 44 millions d’euros ont été versés au titre de l’éloignement, face à 900 millions d’euros versés en subventions aux 1 350 associations qui assurent des missions d’accueil, d’accompagnement et d’assistance juridiques auprès des immigrés, notamment pour des recours contre les OQTF5.

En prévoyant de nombreux dispositifs de régularisation, le CESEDA organise lui-même non seulement le contournement de la règle d’entrée sous couvert d’un visa de long séjour, et du séjour sous couvert d’un titre de séjour, mais également le contournement de la règle pénalisant l’emploi d’étrangers en situation irrégulière, de manière incohérente et contradictoire.

La pénalisation du séjour irrégulier, prévue par la loi immigration du 26 janvier 2024 mais censurée par le Conseil constitutionnel en raison de sa qualité de cavalier législatif, s’était limitée à une peine d’amende pour ne pas contrevenir au droit européen qui proscrit toute peine privative de liberté pour ce motif. Mais les débats ont fait oublier que trois délits punissent déjà d’une peine d’emprisonnement une entrée ou un séjour irrégulier : le délit d’entrée irrégulière à une frontière extérieure (L. 821-1), le délit de maintien en séjour irrégulier (L. 824-9), et le délit de retour non autorisé sur le territoire français (L. 824-11 et suivants).

Dans de nombreux cas, les mesures de régularisations sont autant d’absolutions de ces dispositions, et annulent le travail difficile de la police au frontière.

Par ailleurs, l’emploi d’étrangers en situation irrégulière est, d’une part, interdit (articles L. 8251-1 et L. 8251-2 du code du travail), d’autre part, aux termes de l’article L. 8256-2 du même code, sévèrement puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros. Pourtant le CESEDA, par son article L. 435-1, n’est rien d’autre, avec la circulaire Valls, qu’un encouragement à travailler en situation irrégulière pour obtenir sa régularisation, soit par la préfecture, soit, et c’est un comble, par le juge administratif.

Cette faculté de régularisation, qui a concerné plus de 10 000 salariés en 2022, constitue en outre un sabotage du travail difficile effectué par les forces de l’ordre contre le travail illégal, plus particulièrement par les 37 gendarmes spécialisés de l’office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI), dont les enquêtes et interventions de terrain6 sont réduites à néant par chaque mesure de régularisation.

La création prétorienne d’un pouvoir de régularisation sans texte des préfets pourrait, à première vue, se comprendre comme la manifestation de la prérogative régalienne d’admettre au séjour un ressortissant étranger. Elle se rattacherait ainsi à une forme d’acte de gouvernement. Mais cette prérogative, à laquelle, on peut le comprendre, les préfets sont très attachés, n’en demeure pas moins questionnable : au nom de quoi le pouvoir exécutif disposerait-il d’une compétence que le législateur, donc le peuple français, ne lui a pas expressément attribuée ? D’une part, depuis la création d’un article spécifique à l’admission exceptionnelle au séjour (L. 435-1), les ressortissants dont la situation est entièrement régie par des accords bilatéraux dans les domaines couverts par cette admission, dont en particulier le titre de séjour salarié (cas des Algériens, Marocains, Maliens), ne devraient, en toute logique, plus pouvoir bénéficier du pouvoir de régularisation prévu par le CESEDA. D’autre part, le pouvoir de régularisation sans texte des préfets aurait dû disparaître à compter de sa « légalisation », qui a précisément été conçue comme un cadre limitant : avec l’article L. 313-14 puis L. 435-1, les préfets ne peuvent plus régulariser selon n’importe quel critère, mais uniquement les étrangers « dont l’admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu’il fait valoir ».

En outre, seconde incohérence, si l’on admet l’existence d’un pouvoir discrétionnaire de l’administration pour régulariser un étranger en situation irrégulière, alors un tel pouvoir ne devrait, par construction, pas pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel. En effet, un pouvoir discrétionnaire dont le non-usage peut être censuré perd immédiatement par-là son caractère discrétionnaire. En vérifiant que ce non-usage n’est pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation, le juge s’approprie en réalité ce pouvoir discrétionnaire, pour imposer, selon ses propres critères, qui ne sont pas ceux de l’administration, mais ceux qu’il détermine lui-même, soit en dehors de tout texte s’agissant du pouvoir de régularisation sans texte, soit, par analogie, sur la base des critères très généraux de l’article L. 435-1 (considérations humanitaires et motifs exceptionnels), la régularisation de l’étranger que le préfet n’a pas voulu régulariser. Autrement dit, lorsque le juge régularise un étranger, il gouverne.

C’est donc contre toute évidence et de manière éminemment contradictoire avec sa propre jurisprudence que l’avis du Conseil d’État du 22 août 1996 indiquait qu’« il ne peut exister un « droit à la régularisation » ». Dès lors que le préfet a le devoir d’examiner la situation personnelle d’un requérant qui demande sa régularisation, et que le juge peut censurer le refus de procéder à cette régularisation, il existe bien, in fine, un droit à la régularisation dont les critères sont dégagés par la jurisprudence, en témoigne le considérant de principe relatif au critère de l’admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié : « Dans l’hypothèse où il serait fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire », un demandeur qui justifierait d’une promesse d’embauche ou d’un contrat de travail ne saurait être regardé, par principe, comme attestant des motifs exceptionnels exigés par la loi. Il appartient, en effet, à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, d’examiner si la qualification, l’expérience et les diplômes de l’étranger, ainsi que les caractéristiques de l’emploi auquel il postule, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l’étranger ferait état à l’appui de sa demande, tel que l’ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l’espèce, des motifs exceptionnels d’admission au séjour. » La jurisprudence des tribunaux administratif est très variable, mais les Cours ont tendance à considérer que 4 à 5 années d’exercice d’une activité professionnelle salariée continue peut justifier un motif exceptionnel d’admission (critères, cela dit, bien plus stricts que ceux, rappelés ci-avant, de la circulaire Valls).

Mais nous sommes là en pleine législation judiciaire, qui peut apparaître d’autant plus choquante que, comme il a été dit au point précédent, l’emploi d’un étranger en situation irrégulière est interdite et pénalement punie par le code du travail. Il est étonnant que la doctrine ne se soit jamais émue de cette aberration juridique majeure contraire à l’ordre public et à l’intérêt général.

Dans son principe même, la régularisation constitue une double injustice :

  • vis-à-vis des étrangers qui respectent les règles d’entrée et de séjour, en attendent patiemment leur visa (qui a coût) ou qui retournent dans leur pays d’origine pour demander un visa lorsque leur situation le commande pour obtenir un titre de séjour (par exemple pour solliciter le bénéfice du regroupement familial) ;
  • vis-à-vis de l’ensemble des citoyens, Français et étrangers, qui respectent les lois.

Ces dispositifs de régularisation n’ont en effet aucun équivalent dans le reste du droit. Aucun article du Code de la route n’autorise le ministre de l’intérieur à rendre discrétionnairement son permis à un contrevenant qui a perdu ses douze points, aucun article du Code des transports n’autorise le ministre des transports à ne pas infliger une contravention au passager d’un train qui n’a pas réglé son billet. La seule équivalence à ce pouvoir discrétionnaire est peut-être le pouvoir de remise gracieuse et de transaction de l’administration fiscale, mais elle est extrêmement encadrée et intervient à la marge et selon des critères bien précis. Elle n’est donc pas susceptible de créer des attentes telles que les contribuables tenteraient massivement d’échapper à l’impôt en espérant en bénéficier.

Ce caractère exorbitant des régularisations est également prégnant dans le domaine de l’ordre public : par exemple, des jugements admettent que l’utilisation de faux papiers doit être relativisée au sens où elle est sans incidence sur l’appréciation de la réalité de l’activité salariée prise en compte pour l’admission exceptionnelle, alors qu’elle est sévèrement sanctionnée dans le code pénal, ou des jugements où l’application de l’article 8 de la CEDH fait primer la vie privée et familiale sur les atteintes à l’ordre public (y compris les atteintes aux personnes).

L’objet de cette analyse a été de démontrer le caractère multiple, délétère, et largement sous-estimé, dans son amplitude, des dispositifs de régularisations, qui ne sont rien d’autre qu’un droit organisant le contournement de la règle commune de l’entrée régulière ou du séjour régulier, c’est-à-dire un passe droit légal, sans équivalent dans le reste du droit français. Pleinement intégrés au corpus juridique du CESEDA, avalisés tant par l’administration que par le juge, ils sont sources d’incohérence juridique et d’iniquité, constituent un puissant appel d’air pour l’immigration illégale par la voie du fait accompli, et, parce qu’ils heurtent directement d’autres règles de droit, comme le délit d’entrée illégale ou le délit d’emploi d’un étranger en situation irrégulière, portent atteinte à la cohérence de la politique migratoire, à l’ordre public et à l’intérêt général.

Les mesures suivantes pourraient en conséquence être mises en œuvre :

  • La règle générale et quasi absolue doit être l’autorisation d’entrée en France depuis le pays d’origine par la délivrance d’un visa ; il y a donc lieu de supprimer tous les dispositifs légaux de régularisation en cas d’entrée irrégulière ou de maintien sur le territoire à l’expiration du visa ou du titre de séjour ;
  • Suppression du pouvoir des préfets de régularisation sans texte : ce pouvoir doit être encadré par un texte, au profit du seul ministre de l’intérieur, sur saisine du préfet ou d’un élu pour les dossiers à caractère exceptionnel (héroïsme, service rendu à la nation, situation humanitaire particulière), insusceptible de recours quand il n’en fait pas usage (il n’appartient pas au juge de procéder à une régularisation, laquelle doit redevenir un acte de gouvernement) ; en revanche, recours ouvert à tout parlementaire contre les régularisations accordées par le ministre de l’intérieur, afin d’en limiter les abus potentiels ;
  • Interdiction par la loi des régularisations de masse par voie de circulaire ; et suppression de la circulaire Valls ;
  • Recours juridictionnel contre le refus de séjour ouvert uniquement après avoir quitté le territoire français si l’on est entré irrégulièrement (comme au Royaume-Uni) ;
  • Suppression de la commission du titre de séjour, procédure administrative sans plus-value réelle.
  1. OFII, « Procédure d’admission au séjour pour soins : rapport au Parlement », 09/12/2021
    https://www.ofii.fr/procedure-dadmission-au-sejour-pour-soins-rapport-au-parlement/ ↩︎
  2. Ministère de l’Intérieur, « Les chiffres de l’immigration en 2023 » (données provisoires), 25 janvier 2024  https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Chiffres-cles-sejour-visas-eloignements-asile-acces-a-la-nationalite/Les-chiffres-2023-publication-annuelle-parue-le-25-janvier-2024 ↩︎
  3. CESifo, « The (Option-) Value of Overstaying, Romuald Méango », François Pinas, juin 2023
    https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4506322 ↩︎
  4. Note de lecture « Le prix de l’attente », Maxime Guimard, 12/01/2024
    https://maximeguimard.fr/2024/01/12/le-prix-de-lattente/ ↩︎
  5. Le Figaro, « Les immigrés viennent-ils en France pour travailler ? », Agnès Verdier-Molinié, 17/12/2023
    https://www.lefigaro.fr/vox/societe/agnes-verdier-molinie-les-immigres-viennent-ils-en-france-pour-travailler-20231217 ↩︎
  6. Le Figaro, « Immigration clandestine, comment la pieuvre du travail illégal se déploie partout en France » 20/11/2023
    https://www.lefigaro.fr/actualite-france/immigration-clandestine-comment-la-pieuvre-du-travail-illegal-se-deploie-partout-en-france-20231120 ↩︎