Table des matières
L’essentiel
• La rétention administrative est une mesure privative de liberté qui permet de s’assurer d’une personne pendant le temps strictement nécessaire à la mise en œuvre de la mesure d’éloignement. Dans le cadre de la directive européenne « Retour » de 2008, celle-ci doit être utilisée en dernier recours – bien que la Cour des comptes salue son efficacité.
• Le territoire national compte 26 centres de rétention administrative, pour une capacité actuelle de 2 000 places – devant être portée à 3 000 à l’horizon 2027, ainsi que 28 locaux de rétention administrative. Or, la France compte 600 000 à 900 000 clandestins sur son territoire et a prononcé 138 739 décisions de retour à l’encontre de ressortissants étrangers en 2023.
• Loin d’être des lieux de non-droit, les CRA font l’objet d’un contrôle strict (associations, droit de visite de la presse, des parlementaires …) et doivent obéir à des normes d’hébergement et d’équipements correspondant à un régime hôtelier ou de la restauration collective. Des efforts ont été consentis pour les conditions de vie des retenus (jeux vidéos, livres …). Néanmoins, 10 à 15% des chambres seraient inutilisables en raison des dégradations.
• Le ratio d’effectifs idéal moyen est de 1,5 policier pour 1 place de rétention ; mais dans les faits, il est parfois plus élevé dans certains CRA. Or, la Cour des comptes déplore des « difficultés de recrutement » pour ces métiers « peu attractifs », alors qu’il est impératif de disposer de personnels formés et aguerris à l’ensemble des missions.
• En effet, la mission de rétention est difficile dans un contexte où, à la fin de l’année 2022, 90% des retenus étaient des étrangers constituant un trouble ou un danger pour l’ordre public, avec des conséquences importantes sur la gestion des CRA (dégradations, tentatives d’incendie, agressions, troubles entre communautés …). Paradoxalement, la sécurisation des abords et de l’intérieur des CRA est insuffisante, pour ne pas leur donner un caractère trop carcéral.
• La rétention administrative n’est pas synonyme pour autant d’un éloignement assuré, avec plus d’une trentaine de causes d’échec : alors que le processus de délivrance des laissez-passer consulaires est régulièrement mis en avant, ce sont d’abord les libérations anticipées prononcées par le juge qui sont la première cause d’échec (par exemple, pour un problème d’accès au téléphone des retenus).
• Face à un système à bout de souffle, Fernand Gontier préconise un ensemble de mesures : multiplier par cinq l’objectif du nombre de places en CRA (de 3 000 à 15 000), porter la durée maximale de la rétention administrative à 18 mois, encadrer le rôle du juge des libertés et de la détention, rendre non-suspensif le recours contre une OQTF pour les étrangers placés en CRA, ou confier la procédure d’éloignement à des « Pôles régionaux du Retour ».
Introduction
Au sein de l’Union européenne, la France est le pays qui prononce le plus de décisions de retour à l’encontre de ressortissants de pays tiers, soit 138 739 en 20231 sur un total de 484 160 pour l’ensemble des 27 pays.2
Les 4 lettres « OQTF » pour Obligation de Quitter le Territoire Français sont désormais largement répandues dans le langage courant, même si l’expression est inappropriée puisque la mesure d’éloignement émise en France est valable pour l’ensemble du territoire européen. Pour rappel, une OQTF est une décision administrative délivrée par la préfecture, qui a pour objectif d’éloigner un ressortissant étranger du territoire national. Elle est notamment édictée en cas de séjour irrégulier en France, de refus ou de retrait d’un titre de séjour. Celle-ci est assortie d’une décision fixant le pays de destination et d’une décision accordant ou non un délai de départ volontaire. Enfin, elle peut être accompagnée d’une interdiction de retour sur le territoire français, d’une assignation à résidence ou d’un placement en rétention – objet de la présente étude. De nombreuses critiques ont été émises à l’encontre des faibles résultats français en matière d’exécution effective de ces mesures. Le rapport de la Cour des comptes de janvier 2024 indique à cet égard un taux d’exécution de l’ordre de 10%.
Face à ces chiffres d’une certaine brutalité, quelle réalité se cache dans le dispositif français : disposons-nous suffisamment de moyens ? Sommes-nous correctement organisés ? Pourquoi tant d’échecs ? Quelle est la stratégie mise en place par les autorités françaises ? Comment pourrions -nous améliorer ces piètres résultats ? Sommes-nous réduits à l’impuissance éternelle ou disposons-nous encore de marges concrètes de progrès ?
En tout état de cause, notre droit européen et français n’est plus en capacité de répondre à une immigration massive.
Dès que l’on parle d’éloignement, on évoque systématiquement la rétention administrative. Pourtant le recours à ce moyen de privation de liberté n’est pas la technique la plus courante ni la plus juridiquement admissible pour réaliser une mesure d’éloignement. Pour autant la rétention administrative constitue pour l’opinion publique comme pour la Cour des comptes la mesure la plus à même de mettre en œuvre un éloignement de façon effective.
En 2023, 47 000 personnes ont été retenues dans les différents centres de rétention dont 17 000 en métropole et 30 000 en outre-mer dont 28 000 à Mayotte. Outre les étrangers sous OQTF (75%) des retenus, on comptabilise aussi les interdits judiciaires du territoire (12%), les expulsés (2,6%), les remises Dublin (8%) …
1 – Le cadre juridique de la rétention administrative
La rétention administrative, comme son nom l’indique, ne relève pas de l’administration pénitentiaire. Il s’agit d’une mesure privative de liberté qui permet de s’assurer d’une personne pendant le temps strictement nécessaire à la mise en œuvre de la mesure d’éloignement. Le recours à ce moyen est strictement limité par la directive retour 2008/115/CE du 16 décembre 2008 : le départ volontaire est privilégié et la rétention administrative constitue une exception, qui ne doit concerner que des personnes présentant notamment un risque de fuite.
1.1 La directive « retour » : la mal nommée
L’article 15 de la directive dispose : « Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise ».
Chaque État européen fixe sa propre durée maximale de rétention sans qu’elle ne soit supérieure à 6 mois, sauf lorsque l’étranger refuse de coopérer ou lorsque les laissez-passer consulaires tardent à être délivrés. Dans ces deux dernières hypothèses, la durée maximale de rétention peut être portée à 18 mois.
Le principe posé par la directive retour est la progressivité dans la mise en œuvre de la mesure d’éloignement, avec tout d’abord un délai de départ volontaire puis si nécessaire une assignation à résidence et en dernier recours la rétention administrative dans un lieu adapté à cet effet. La rétention administrative n’est donc pas systématique, mais marginale dans l’esprit et la lettre de la directive européenne.
Dans les faits, le délai de départ volontaire et l’assignation à résidence sont plutôt mis à profit pour organiser la fuite et la clandestinité. De son côté, la rétention administrative concentre toutes les critiques au regard d’un taux d’exécution d’éloignement insuffisant au regard des moyens engagés. Ce taux moyen général varie de 40 à 50% en métropole mais parfois davantage notamment à Mayotte avec un taux proche de 80% et une durée de rétention inférieure à 48 h. Tout cela est parfaitement détaillé dans le rapport de la Cour des comptes de janvier 2024 sur la politique de lutte contre l’immigration irrégulière.
La rétention administrative, malgré les difficultés détaillées plus loin, reste toutefois le moyen le plus efficace pour éloigner. Ainsi, dans le rapport précité, la Cour des comptes souligne également que la rétention est « indispensable à l’efficacité de l’éloignement forcé » puisque « près de la moitié des personnes placées en centre de rétention administrative ont été effectivement éloignées »3.
1.2 Le droit positif français
La rétention administrative a été introduite dans notre droit en 1981 avec une durée maximale de 7 jours et, depuis 2019, elle est d’une durée maximale de 90 jours sauf cas particulier – notamment pour des étrangers condamnés définitivement pour des faits de terrorisme avec un maximum porté à 210 jours. On voit donc ainsi que la France a décidé de ne pas utiliser toute la latitude offerte par la législation européenne. Si cette directive européenne concentre de nombreuses critiques justifiées sur d’autres aspects, il faut reconnaître que sa transposition insuffisante dans notre droit interne relève d’une responsabilité nationale, celle-ci ayant été limitée s’agissant de la durée maximale de rétention.
2 – Un dispositif de rétention administrative sous dimensionné par rapport aux besoins
Outre les centres de rétention administrative statutaires créés par le ministère de l’Intérieur, il existe des locaux de rétention administrative (LRA) au nombre de 28, dont l’usage est limité à une durée maximale de 48h. Ces derniers peuvent être permanents ou temporaires et sont créés par le préfet du lieu d’implantation.
2.1 Des moyens immobiliers, humains et budgétaires à la hauteur des enjeux ?
2.1.1 Les moyens immobiliers
Le territoire national compte 26 CRA pour une capacité actuelle de l’ordre de 2 000 places devant être portée à 3 000 à l’horizon 2027. A titre de comparaison, le nombre d’étrangers clandestins sur le sol français est compris entre 600 000 à 900 0000 individus selon le ministère de l’Intérieur, tandis que pour la seule année 2023, 138 739 OQTF ont été prononcés.
Le nombre de places en CRA est donc particulièrement limité par rapport aux besoins réels, et représente un frein à l’efficacité de la politique d’éloignement, comme le pointe du doigt la Cour des comptes : « entre 2019 et 2022, seuls 5 % des étrangers en situation irrégulière titulaires d’une obligation de quitter le territoire français ont été placés dans l’une des 1 717 places disponibles en CRA »4.
Ainsi, on peut donc considérer qu’il faudrait environ 15 000 places de rétention pour répondre à l’ensemble à des éloignements forcés à mettre en œuvre.
La capacité maximale d’hébergement pour un CRA est de 140 places mais tous les centres n’atteignent pas ce nombre. Le total des places disponibles dissimule des écarts importants entre des CRA de petite taille comme Hendaye avec 20 places et d’autres de 140 places comme celui du Mesnil Amelot. Le nombre de CRA et leur capacité maximale sont de la compétence de chaque État membre.
Il serait tout à fait logique que l’Union européenne finance intégralement les dépenses liées au retour afin de soulager les efforts.
La cartographie des lieux d’implantation n’est pas toujours logique même si la plupart du temps les CRA sont implantés à proximité des frontières, des grands centres urbains et des points d’éloignement, comme les ports ou les aéroports, à l’instar de Roissy.
Il est arrivé que des CRA soient créés uniquement pour des questions d’opportunité foncière ou que d’autres qui seraient nécessaires ne l’aient pas été pour des raisons de politique locale – l’Etat faisant face à un manque de coopération des municipalités pour accueillir des CRA en leur sein. On peut regretter par exemple qu’il n’existe pas de centre de rétention à proximité de l’aéroport d’Orly. De même, des aléas en matière d’investissements immobiliers sont pointés du doigt par la DGEF (difficile programmation pluriannuelle, mise en œuvre complexe, contraintes liées aux études préalables de faisabilité, à la passation des marchés d’études et de travaux, puis à l’exécution de ces marchés)5. Ainsi, les enveloppes budgétaires dédiées au financement des CRA ne sont pas pleinement utilisées : « pour les dépenses d’investissement immobilier des centres de rétention administrative (CRA), locaux de rétention administrative (LRA) et des zones d’attente, l’écart entre la LFI 2023 et l’exécution 2023 est de 35,4 M€ en AE et de 12,5 M€ en CP »6.
Il existe autant de configurations immobilières que de CRA. Certains parmi les plus récents comme Olivet dans le Loiret sont conformes à un référentiel immobilier national tandis que d’autres plus anciens se trouvent dans des casernes transformées comme Nice Auvare ou des hôtels désaffectés comme Lyon 1. Il existe en effet non pas un « CRA type » mais différentes générations de bâtiments ayant subi des transformations, des évolutions liées à l’hébergement, à la sécurité ou à la capacité d’accueil suite à des opérations d’extension (Coquelles, Perpignan). Ainsi ce parc très disparate génère des difficultés d’entretien et ne répond pas toujours aux besoins des services qui les utilisent. Certaines régions sont mieux pourvues (PACA) alors que d’autres doivent escorter les retenus parfois sur plusieurs centaines de kilomètres (Bourgogne-Franche-Comté) ou encore pour trouver une place disponible en cas de saturation locale.
Pour autant, les centres de rétention administrative obéissent à des normes d’hébergement et d’équipements correspondants ou s’inspirant d’un régime hôtelier ou de la restauration collective, avec par exemple une surface minimale de 10 m² par retenu, des lavabos, des douches et des WC en libre accès et en nombre suffisant etc… Au-delà de 40 retenus, une salle de détente doit avoir une superficie supérieure à 50 m². Les CRA s’inspirent des établissements recevant du public (ERP) au regard des règles de sécurité, sans pour autant y être assimilés.
D’autres installations sont réglementaires comme des salles dotées d’équipements médicaux, un local de visite pour les familles et les consuls, un local pour les avocats, des téléphones en libre accès, un espace de promenade à l’air libre, des locaux pour les associations et l’OFII etc…
Certains CRA récents bénéficient de la présence à leur proximité d’une salle d’audience pour les prolongations de rétention administrative ou d’une salle de visioconférence comme au Mesnil Amelot, à Marseille ou encore à Nîmes. Compte tenu des facilités accordées par la loi du 26 janvier 2024, il est désormais impératif de doter chaque CRA d’une salle de visioconférence et/ou d’audience et de généraliser les audiences selon ces modalités avec les juges judiciaires, les juges administratifs et l’OFPRA. Cependant, il y a encore de fortes réticences voire des refus de magistrats d’utiliser ces moyens modernes alors que cela n’avait posé aucune difficulté durant l’épisode d’épidémie du Covid-19.
Le mobilier respecte également un référentiel national afin de doter les CRA d’équipements comparables comme la literie. Ces mobiliers sont « durcis » à l’instar de ce que l’on trouve dans les centres pénitentiaires compte tenu des dégradations permanentes constatées et commises par les retenus eux-mêmes. Ils doivent résister également aux incendies ou encore à leur utilisation potentielle comme armes par destination.
Des efforts considérables ont été consentis afin d’améliorer les conditions de vie des retenus ainsi que pour la mise en place d’activités récréatives comme des jeux vidéo, des livres etc… compte tenu de l’allongement progressif de la durée moyenne de rétention qui aujourd’hui se situe au-dessus de 30 jours par personne en métropole. Au cas où l’objectif des 3000 places en CRA 2027 était atteint, notre capacité maximale théorique de rétention serait alors de 36 000 retenus par an en métropole contre 24 000 aujourd’hui.

Rapport de la députée Klinkert d’octobre 20247
*SEP : sortants établissements pénitentiaires
Tout cela est bien sûr théorique car de nombreuses chambres font l’objet de dégradations quotidiennes qui les rendent impropres à une utilisation normale. On estime entre 10 et 15% les chambres inutilisables pour des motifs d’entretien ou de réhabilitation.
Cela nécessite donc un pilotage et une priorisation des placements en rétention administrative au regard des capacités disponibles. Il ne faut toutefois pas négliger la possibilité de mettre en œuvre des éloignements aidés ou volontaires de façon ciblée au regard du profil des personnes pour alléger la charge pesant sur le processus de rétention qui est lourd, coûteux voire aléatoire compte tenu des nombreuses causes d’échec. C’est également ce que préconise la Cour des comptes dans un rapport de 2020, pour qui « les départs volontaires aidés, gérés par l’OFII, constituent le moyen le plus efficace et le moins coûteux d’obtenir le départ de personnes obligées de quitter le territoire »8.
2.1.2 Les moyens humains
Afin d’armer les centres de rétention administrative de personnels d’État en charge des missions de garde, d’escorte, de gestion et de suivi juridique, la Police Nationale doit fournir théoriquement 3000 à 3500 policiers. En effet on considère de façon très générique que pour armer une place de rétention il convient d’affecter 1,5 policier. Toutefois cette règle est rarement applicable compte tenu de la diversité des CRA, de leur taille, de la charge des escortes et des transferts, de la dangerosité des retenus etc… Ainsi, dans son rapport de 2024, la Cour des comptes explique que le ratio de référence est parfois plus élevé en réalité, comme 2,2 à Sète.9
Dans notre droit il n’est pas possible d’externaliser les missions régaliennes comme la garde des personnes. Des tentatives d’externalisation de certaines missions ont été partielles, s’agissant de l’accueil des retenus ou encore du transport ou enfin de la sécurité incendie. Les équivalents temps plein économisés (ETP) ont été modestes pour un coût relativement élevé. Le policier est polyvalent alors que les agents privés sont spécialisés voire « monotâches ». En matière de répartition des missions, sur 10 policiers, on considère qu’il faut entre 5 et 6 policiers pour la mission de garde, 3 à 4 pour la mission d’escorte et un à 2 pour les missions de direction et de greffe. Cela est toutefois très variable selon la taille du CRA, sa configuration, sa sécurisation passive ou encore son implantation àproximité des tribunaux, des aéroports, des ports ou des consulats. Plus un CRA est petit et plus il sera coûteux en personnels. Dans l’idéal, une taille de l’ordre de 80 à 100 places est considérée comme optimale.
La question des effectifs est incontournable afin de disposer d’un personnel en qualité et en quantité suffisante pour sécuriser le site et améliorer les résultats d’éloignement. La police aux frontières assure des formations continues pour le chef de centre qui est un cadre polyvalent et pluridisciplinaire, le greffe et le personnel de garde. La mission de rétention est difficile dans un contexte où les retenus sont souvent des auteurs de troubles à l’ordre public ou des sortants de prison.
Néanmoins, la Cour des comptes pointe également « des difficultés de recrutement pour affecter des nouveaux personnels sur ces métiers peu attractifs »10. Face à cette problématique, il conviendrait donc de créer un corps spécifique de policiers auxiliaires dédiés à la rétention administrative – tout en conservant un encadrement policier au niveau du greffe et de la direction des CRA.
Des incidents sont fréquents entre les retenus eux-mêmes (nationalités ou ethnies différentes), contre les policiers, contre les effectifs des services partenaires présents au sein des CRA comme le personnel médical, les associations ou encore l’OFII. Cela demande une attention permanente afin d’éviter également des troubles entre des communautés différentes tant de jour que de nuit notamment à l’occasion de la période sensible du Ramadan.
Les départs d’incendie sont quotidiens et la gestion de l’ordre dans un milieu confiné complexe.
Des formations au maintien et au rétablissement de l’ordre sont réalisées afin de tester les capacités à réagir notamment à des troubles collectifs ou à des tentatives d’évasion groupées.
Les policiers réalisent leur mission avec beaucoup de professionnalisme, d’humanité et de respect du droit des personnes. Il importe que leur mission soit facilitée par une sécurisation suffisante des abords mais aussi de l’intérieur des CRA : en effet sous prétexte d’éviter de donner un caractère trop carcéral à ces bâtiments, on a pu créer ici ou là y compris dans des CRA récents des vulnérabilités (absence de caméras ou de dispositif de détection des personnes, accès facilité pour la montée sur les toits, insuffisance voire absence de chambre de mise à l’isolement, entretien et maintenance des matériels etc…)
Il conviendrait de réaliser systématiquement des diagnostics de sûreté par des personnels formés afin d‘effectuer des missions préventives mais aussi correctives suite à des incidents majeurs.
Outre le personnel de police les centres de rétention administrative accueillent des associations de défense juridique des retenus subventionnées par l’État. Ces associations militantes pourraient être judicieusement remplacées par l’OFII ou par des avocats sans nuire à la défense des droits individuels. À ce titre, les récentes déclarations du Ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau pourraient faire bouger les lignes en ce sens : « Je considère que le conseil juridique et social aux personnes retenues dans les CRA relève de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) et non des associations, qui sont juge et partie »11.
En effet chaque étranger bénéficie déjà des services d’un avocat à chaque étape de sa procédure qu’elle soit judiciaire ou administrative. Leur présence dans les CRA leur permettrait d’avoir un accès plus précoce à chacun des dossiers et de fournir aux juridictions et aux retenus eux-mêmes un meilleur éclairage juridique. D’autres institutions internationales reconnues comme l’OMI pourraient être également légitimes pour exercer cette mission.
Le personnel médical est un élément essentiel de la bonne santé des personnes retenues car il existe de nombreuses pathologies ou fragilités à surveiller qu’elles soient physiques ou psychologiques. Il convient que ces antennes ou annexes médicales des hôpitaux locaux soient correctement dotées et équipées afin d’éviter des transferts et gardes à l’hôpital trop nombreux.
Le personnel de l’OFII apporte également une contribution significative pour faciliter l’éloignement des retenus par une aide matérielle (récupération d’affaires personnelles, fermetures de comptes bancaires etc…). Enfin, comme toute collectivité, les centres de rétention ont besoin d’un personnel qui assure le nettoyage, la fourniture des repas, le blanchissage ou encore l’entretien courant des installations.
2.1.3 Les moyens budgétaires
Le budget est prévu à hauteur de 69 millions d’euros en 2025 pour les CRA, LRA et zones d’attente sur le programme budgétaire 303 géré par la DGEF tant pour l’entretien que pour la construction de nouvelles places de rétention. Il faut y ajouter les dépenses de personnel de la police nationale prévues sur un autre programme budgétaire, le programme 176. Ce dernier doit faire face à des besoins accrus de dépenses pour armer les nouvelles places (1000 en 3 ans) et financer des vacations des réservistes appelés en renfort et /ou des postes de policiers adjoints. La coexistence de ces 2 programmes budgétaires liée à la rétention ne facilite pas une bonne gestion des crédits liés à la rétention comme l’avait souligné la Cour des comptes.
Par ailleurs, le coût moyen d’une rétention est élevé : selon la Cour des comptes, celui-ci était chiffré à 6 234 euros par retenu en 201912, sans compter les autres coûts liés notamment aux moyens de transport et d’éloignement.
2.2 Les missions, l’organisation et l’activité d’éloignement en rétention
2.2.1 Les missions des CRA
La mission principale d’un CRA n’est pas de retenir les étrangers en situation irrégulière mais de préparer leur retour vers leur pays d’origine. De même la rétention administrative n’est pas non plus une peine ou une sanction. Il est important de rappeler ce principe essentiel que la rétention administrative est le délai strictement nécessaire pour permettre d’organiser les préparatifs du retour comme la délivrance le cas échéant d’un laissez-passer consulaire, la mise en place d’une escorte, la réservation d’un moyen de transport etc…
Il existe de nombreuses cases « à cocher ».
2.2.2 L’organisation d’un CRA
Le contrôle juridique du dossier individuel d’un étranger et son suivi pendant l’ensemble de son séjour dans un CRA est une mission sensible qui relève directement de la responsabilité du chef de centre. Il est garant de la régularité de la rétention tant au niveau de sa base juridique pour éviter des détentions arbitraires que des décisions de prolongation, des recours, des transferts et plus généralement de la « vie administrative » des retenus. Le chef de centre est nommé par le préfet du département du lieu d’implantation : il est assisté par un chef de greffe.
Le chef de centre, issu de la police nationale, est le véritable coordonnateur tant de ses propres services que des autres services intervenants (associations, OFII, personnel médical) et des prestataires de service. Il constitue le point de contact pour les autorités administratives et judiciaires. Il est le « chef d’orchestre » avec des compétences policières, juridiques, administratives, budgétaires mais aussi humaines car il pilote toute une communauté dans un espace limité et contraint.
Il est tenu un état détaillé de tous les incidents émaillant la vie du centre notamment les rébellions, les tentatives de suicide, les mises à l’isolement, les destructions etc…
2.2.3 L’activité d’éloignement
2.2.3.1 Les pôles interservices d’éloignement (PIE)
Dans certains CRA ont été créés des pôles interservices d’éloignement (PIE) où ont été expérimentées des délégations préfectorales en matière d’instructions des laissez-passer consulaires, de demande de « routing » ou réservation des moyens de transport ou encore de défense au contentieux administratif ou judiciaire. Cela a pour intérêt de décharger de ces missions chronophages les préfectures et de professionnaliser la mission d’éloignement sous le contrôle et l’autorité des préfets de département qui donnent mandat à ces PIE de les représenter.
Il serait de bonne gestion, au vu des résultats positifs enregistrés, de généraliser ces PIE à l’ensemble des CRA et le cas échéant d’élargir leurs prérogatives. Ces PIE peuvent agir pour plusieurs départements en totale connexion avec les préfectures grâce à certains outils numériques tels que Logicra ou Gestel qui sont des bases de données utilisées par la PAF, sur la situation en temps réel des retenus et les modalités de leur éloignement.
2.2.3.2 La garde et les escortes
Il s’agit de la mission classique mais néanmoins essentielle pour maintenir la sécurité au sein des CRA et surveiller des étrangers qui présentent par définition, un risque de fuite manifeste. Les policiers doivent être formés à cette mission sur le plan juridique, technique avec des gestes appropriés mais également sur le plan psychologique afin d’entretenir avec les personnes retenues un contact respectueux, bienveillant mais ferme. Compte tenu de la typologie des étrangers sortants de prison ou récalcitrants, il est devenu nécessaire de doter les CRA de matériels tels que des pistolets à impulsion électrique ou encore des matériels de rétablissement de l’ordre.
2.2.3.2 La typologie des retenus
Sur 17 000 personnes retenues en métropole en 2023, il y avait 95% d’hommes, 5% des femmes et 87 mineurs accompagnant leur(s) parent(s) – à noter que depuis la récente loi du 26 janvier 2024 « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », le placement de ces derniers en CRA est désormais interdit13. On remarque que plus de 50% des retenus sont des ressortissants issus du Maghreb avec une prédominance des Algériens, qui représentent un tiers du total. Chaque CRA est particulier s’agissant du profil des personnes : par exemple dans celui de Palaiseau les sortants de prison représentent la majeure partie des retenus issus de la prison de Fleury Mérogis tandis que celui de Nice concentre des personnes ayant franchi irrégulièrement la frontière italienne.
Le tableau ci-dessous, issu du rapport commun d’associations sur les centres et locaux de rétention administrative, précise les différentes nationalités qui font l’objet d’une mesure de rétention administrative (données 2023)14.

On remarque également que la durée de moyenne de rétention varie sensiblement selon les nationalités représentées : par exemple plus de 30 jours pour un Algérien et moins de 15 jours pour un Roumain. Le principal facteur de variation de la durée de rétention est constitué par la procédure de délivrance du laissez-passer consulaire et de la bonne volonté (ou pas) du pays de retour.
2.3 Les contrôles
À l’instar de toute mesure privative de liberté, la rétention administrative fait l’objet d’un contrôle étroit et constant de la part d’autorités administratives indépendantes (le contrôleur général des lieux de privation de liberté et le défenseur des droits), du procureur de la République et des juges des libertés et de la détention mais également d’institutions européennes (comme la Commission d’Evaluation Schengen, l’Agence européenne des droits fondamentaux ou encore du comité de prévention de la torture).
Il faut y ajouter des contrôles internes qu’ils soient hiérarchiques ou de l’autorité préfectorale. Enfin il faut signaler la mise en œuvre de droits de visite pour les parlementaires nationaux et européens mais également de la presse. Loin d’être des lieux de non droit, les centres de rétention administrative sont « scrutés » également par les associations qui y sont implantées en permanence. Ce sont donc des lieux accessibles et visitables.
Outre le respect des droits individuels des personnes, les contrôles veillent également aux conditions de vie. Des remarques sont régulièrement formulées s’agissant du vieillissement des bâtiments. Le ministère de l’Intérieur et la Direction générale des étrangers en France engagent chaque année des crédits importants pour l’entretien des infrastructures mais aussi pour améliorer les équipements de loisirs et le mobilier. Il faut regretter que les dégradations soient réalisées par les retenus eux-mêmes.
Les conditions de travail des policiers ne sont pas toujours optimales notamment dans les CRA les plus anciens. La chaîne de maintenance des centres de rétention est relativement complexe avec l’intervention de l’administration centrale, des SGAMI (Secrétariat général pour l’administration du ministère de l’Intérieur) et des chefs de centres de rétention, ce qui peut retarder des réparations et donc la remise en service des chambres neutralisées.
3 – La stratégie du placement en rétention administrative
Au regard des moyens disponibles, une stratégie d’emploi des centres de rétention est nécessaire pour optimiser la capacité d’hébergement forcément limitée ainsi que les personnels disponibles pour assurer l’ensemble des missions d’éloignement. Les centres de rétention ont tous une vocation nationale et le nombre de CRA ne permet pas de mettre à disposition de chacun des préfets de département un centre de rétention spécifique.
Les locaux de rétention administrative qu’ils soient permanents ou temporaires sont créés en revanche par les préfets de département : compte tenu de la faible durée autorisée, ils servent souvent de SAS d’entrée et d’attente pour les CRA. Leur utilité est parfaitement établie pour les départements non pourvus d’un CRA.
3.1 La gestion des entrées et des sorties en centres de rétention administrative
Quatre principes sont mis en œuvre dans la stratégie d’utilisation des centres de rétention : la mutualisation des moyens, la coordination, la priorisation, et la professionnalisation.
3.1.1 La mutualisation des moyens
Cette mutualisation concerne la disponibilité des chambres mais également les moyens disponibles pour assurer l’éloignement c’est-à-dire les escortes et transferts, les moyens de transport, etc…
Il est donc nécessaire que l’information soit partagée avec un chaînage étroit entre les préfectures, les centres de rétention et l’administration centrale. La rétention administrative doit être la plus courte possible et la plus utile possible avec une perspective raisonnable d’éloignement.
3.1.2 La coordination
La coordination vise à éviter de neutraliser inutilement des places de rétention avec des étrangers non éloignables, une coordination est mise en œuvre au niveau zonal et au niveau central. Cette coordination suppose un arbitrage des entrées en anticipant les perspectives d’éloignement mais également en décidant des libérations lorsqu’il n’existe pas de probabilité d’un retour vers le pays d’origine ou un pays où l’étranger est légalement admissible. Il faut éviter également qu’un préfet ayant un CRA implanté dans son département ne favorise ses placements en rétention.
Plusieurs préfets de zone ont mis en place cette coordination avec un référent « Régulation Rétention », mais le plus bel exemple à citer se situe en île de France avec la création d’un préfet délégué à l’immigration qui est amené à jouer ce rôle de pilote et d’intermédiaire avec les préfets de département ayant prononcé un placement en rétention. En cas de difficultés c’est l’administration centrale (DGEF et DNPAF) qui peut être saisie.
Il est souvent utile de rapprocher les futurs éloignés des points d’éloignement que sont les aéroports ou les ports. Des transferts de CRA à CRA sont souvent réalisés dans cette perspective.
3.1.3 La priorisation
Cette orientation a été rendue nécessaire par le décalage entre les besoins et les disponibilités de rétention a été renforcée suite à l’affaire Hannachi en 2017 (homicide par un tunisien sous OQTF élargi du CRA de Lyon faute de place disponible, de deux jeunes femmes à Marseille).
Par une instruction du 16 octobre 2017, le ministre de l’Intérieur entendait afficher clairement cette priorisation à l’égard de tous les étrangers en situation irrégulière ou pas, pouvant constituer une menace de trouble à l’ordre public, les personnes radicalisées ou connues pour activités terroristes et les sortants de prison. Ces consignes ont par la suite été rappelées dans une instruction du 3 août 2022 « la rétention doit être prioritairement destinée aux étrangers en situation irrégulière (ESI) auteurs de troubles à l’ordre public (…) y compris lorsque l’éloignabilité ne paraît pas acquise au jour de la levée d’écrou ou de l’interpellation (…) En cas de manque de places disponibles, il convient de libérer systématiquement les places occupées par les ESI sans antécédents judiciaires non éloignables et de les assigner à résidence » puis dans une circulaire datée du 17 novembre 2022 « Depuis désormais deux ans, je vous ai demandé de prioriser l’éloignement et le refus et retrait de titres de séjour pour les étrangers dont le comportement représente une menace pour l’ordre public ».
A ce titre, la Cour des comptes souligne que ces profils « représentaient plus de 90% des retenus à la fin de l’année 2022, contre moins de 50% six mois auparavant » et pointe « des conséquences importantes sur la gestion des centres de rétention administrative », puisque « le délai moyen de rétention s’est allongé, les dégradations et incidents ont augmenté »15. A ce titre, il convient donc de souligner que tous les étrangers dangereux ou présentant un trouble à l’ordre public ne sont donc pas placés en rétention administrative, faute de places suffisantes.
L’anticipation de l’éloignement des sortants de prison est fermement rappelée car la phase d’incarcération doit être mise à profit pour préparer l’éloignement (délivrance des laissez-passer consulaires, réservation du moyen de transport et de l’escorte etc…). Malgré la généralisation de protocoles départementaux sur la gestion des étrangers incarcérés on constate encore des cas de placement en rétention administrative suite à une absence de traitement en amont (cf affaire Philippine). Il est vrai que la phase d’incarcération oblige à des extractions, ce que certains services de police ou de gendarmerie « rechignent » à faire. Cela reporte ainsi la charge des préparatifs de l’éloignement sur le centre de rétention administrative.
Cette circulaire mobilise l’ensemble des préfets également pour mener des démarches systématiques en vue de procéder à des identifications consulaires. Cette volonté ministérielle a depuis été renouvelée par d’autres circulaires afin de renforcer cette politique de priorisation pleine de bon sens et de réalisme. L’opinion publique ne comprendrait pas que des auteurs de crimes ou de délits soit remis en liberté au détriment d’étrangers en situation irrégulière sans antécédents judiciaires ni profil dangereux. Si l’idée paraît simple en théorie, elle est beaucoup plus complexe au quotidien pour analyser au cas par cas de façon précise la dangerosité, l’éloignabilité et les disponibilités liées aux moyens.
S’il parait « simple » de prioriser les entrées, il est en revanche plus délicat de libérer un étranger dont les perspectives d’éloignement sont minces alors que des dossiers plus « solides »se présentent pour l’admission à l’entrée.
3.1.4 La professionnalisation
Afin de mener à bien le dispositif d’éloignement il est impératif de disposer de personnels formés et aguerris à l’ensemble des missions : le contentieux, le greffe juridique, la garde, les escortes nationales et internationales, l’identification consulaire…
La police aux frontières détient cette expertise et ce savoir-faire sur lesquels s’appuient à juste titre les préfectures et la direction générale des étrangers en France. Ce modèle mérite d’être renforcé tant en termes d’organisation que de moyens ainsi que sur le plan juridique.
Compte tenu du parcours d’obstacles, la réussite de chaque éloignement est un succès pour protéger les citoyens français d’individus indésirables et ayant démontré une capacité de nuisance sur notre territoire.
La remise en liberté pour motif juridique ou pour absence de laisser passer consulaire est vécue comme un échec et un risque pour la sécurité nationale. Ces échecs bien trop nombreux car moins d’un étranger sur deux placés en rétention n’est pas éloigné mérite une analyse précise pour mettre en œuvre des mesures correctives.
3.2 Les causes d’échec de la rétention administrative
Malgré les difficultés enregistrées, l’éloignement depuis les centres de rétention est plus efficace que les autres modalités proposées par la directive retour. La rétention administrative fait néanmoins l’objet de nombreuses causes d’échec exogènes au ministère de l’Intérieur détaillées plus loin.
Si la décision de retour avec délai de départ volontaire ainsi que l’assignation à résidence sont rarement suivies d’un éloignement, la rétention administrative n’est pas synonyme pour autant d’un éloignement assuré. En effet le parcours d’obstacle ou d’embûches est révélé par les nombreuses causes d’échec qui annihilent tous les efforts des services capteurs mais aussi des services préfectoraux.
On recense ainsi plus d’une trentaine de causes d’échec qui font l’objet d’une comptabilité précise : la complexité de la procédure spécifique au contentieux des étrangers, le chaînage des opérations d’éloignement qui engagent plusieurs acteurs, le processus de délivrance des laissez-passer consulaires, ou encore les limites capacitaires liées aux moyens dédiés aux centres de rétention permettent d’expliquer les taux d’éloignement depuis les CRA.
Le tableau ci-dessous publié dans le rapport d’octobre 2024 de la députée Brigitte Klinkert16 présente les principales causes d’échec.

3.2.1 Le rôle du juge des libertés et de la détention
La première cause d’échec est liée aux libérations prononcées par les juges notamment judiciaires lors des phases de prolongation de la rétention administrative. En effet, on observe en la matière un rôle majeur attribué au juge des libertés et de la détention (JLD), qui rend précaire la rétention des étrangers dangereux dans les CRA :
- Après le placement en CRA, au bout de 4 jours, une première autorisation du JLD est nécessaire pour une prolongation de 26 jours ;
- Au terme de 30 jours de rétention, le JLD doit être saisi pour une deuxième autorisation de prolongation d’un délai à nouveau de 30 jours ;
- Une fois ce délai expiré, l’article L. 742-5 du code prévoit une troisième prolongation, dite exceptionnelle, de quinze jours ;
- Enfin, une quatrième et dernière prolongation, encore plus exceptionnelle, doit être sollicitée, celle-ci étant de quinze jours.
A ce titre, on peut pointer du doigt des jurisprudences absurdes, qui ne facilitent pas la tâche des services de l’Etat. Par exemple, dans une ordonnance du 3 février 2024, le juge des libertés et de la détention de Lille a ordonné la remise en liberté de sept étrangers en situation irrégulière sur le fondement d’un problème d’accès au téléphone, le droit prévoyant que les étrangers placés en CRA doivent disposer d’au moins un téléphone en libre accès pour 50 retenus, alors même que ces cabines téléphoniques ont été détériorées par les occupants du centre eux-mêmes17.
Pourtant, cette cause est très rarement citée alors que le défaut de délivrance des laissez-passer consulaires est davantage mis en avant. Le niveau de ces libérations est particulièrement préoccupant et peut être attribué à plusieurs facteurs : une procédure exagérément formaliste dont les agents procéduriers ne maitrisent pas toujours toutes les subtilités mais que les avocats spécialisés (financés par l’Etat) s’ingénient à démonter, une faible défense du contentieux par l’Etat lui-même et des magistrats peu motivés par les sujets migratoires. La libération par un JLD d’un étranger pour motif juridique lié à la rétention ne met pas fin pour autant à la situation irrégulière. Il importe que chaque libération donne lieu systématiquement à une assignation à résidence qui soit inscrite au fichier des personnes recherchées et fasse l’objet d’un suivi. Par ailleurs il est fréquent que des magistrats judiciaires assignent à résidence sans vérification préalable de l’existence d’un lieu réel d’hébergement. On voit ainsi des « sans domicile fixe » assignés à résidence ou encore des assignations à résidence dans un département différent de celui du tribunal judiciaire sans garantie de représentation.
De même, dans un arrêt du 7 janvier 2025, la Cour de cassation a fait savoir que la formule légale « 4 jours » de rétention administrative (appliquée à la décision de l’autorité administrative) ne signifie pas forcément 96 heures. En effet, celle-ci considère qu’il convient de décompter entièrement le premier jour de rétention, quelle que soit l’heure de notification, permettant ainsi de réduire la durée totale de la rétention18. Or, ce n’est pas un détail d’amputer une journée quand il s’agit d’exécuter une OQTF et de réunir l’ensemble des conditions nécessaires.
Il serait particulièrement utile que les préfets de département puissent accéder à la possibilité de déclarer un appel suspensif suite à une libération ordonnée par un juge des libertés et de la détention.
Il importe que le ministère de la justice (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui) rédige une circulaire destinée aux parquets afin de donner des axes d’une politique pénale à l’encontre de l’immigration irrégulière par exemple s’agissant des poursuites pour refus d’embarquer ou pour soustraction à une mesure d’éloignement par refus d’identification.
La formation et la professionnalisation sont les clés d’une amélioration significative des procédures liées au contentieux des étrangers. Il serait souhaitable également que les causes de nullité n’affectent la validité des procédures qu’en cas d’atteinte aux garanties procédurales substantielles.
3.2.2 La problématique de l’identification des étrangers
La deuxième principale cause d’échec relève de l’identification des étrangers : l’administration doit apporter des éléments probants relatifs à l’identité de la personne et à sa nationalité afin de prétendre obtenir un document de voyage auprès d’une représentation consulaire, permettant ainsi la réadmission d’un étranger en situation irrégulière. Il s’agit ici d’un véritable défi car l’administration ne dispose d’aucun moyen d’investigation dans le pays présumé et se trouve par là même à la merci du bon vouloir de son pays d’origine.
Quand de plus l’étranger lui-même fait obstacle à son identification par un refus de communiquer les informations utiles ou encore par un refus de prise de ses empreintes digitales, l’administration est confrontée à une impossibilité de donner suite.
Il existe également des difficultés opérationnelles liées à ce que l’on appelle « la carte consulaire » qui exige qu’un retenu relève de la compétence territoriale du préfet ayant émis une décision d’éloignement et non de celui de son lieu de rétention. Par exemple, un étranger interpellé dans le département du Nord et qui serait transféré au CRA de Lyon doit être présenté au consulat de Lille et non à celui du lieu de rétention. Cela oblige à des transferts pour des raisons purement bureaucratiques. Il est nécessaire de renégocier avec les représentations diplomatiques une modification de ces règles de compétences territoriales – avec, si besoin, une pression diplomatique au plus haut niveau.
Enfin, les formalités de demande de laisser-passer consulaires varient sensiblement d’un pays à l’autre voire d’un consulat à l’autre pour un même pays.
La difficulté n’est pas tant de plus interpeller mais de mieux éloigner malgré les efforts très importants réalisés tant par les services de police et de gendarmerie que par les préfectures.
Le système actuel est à bout de souffle et les personnels de l’État engagés dans la lutte contre l’immigration irrégulière s’épuisent et se découragent. Outre les moyens qui pourraient être réévalués, il est nécessaire de réfléchir à une nouvelle organisation de l’Etat eu égard à la masse de ce contentieux et à sa technicité.
Conclusion
La lutte contre l’immigration irrégulière repose sur 3 piliers, dont le 1er consiste à mettre en œuvre des contrôles aux frontières efficaces, le 2e à détecter les situations irrégulières sur l’ensemble du territoire et le 3e à mettre en œuvre des éloignements certains. En revanche, il conviendrait de réformer sans tarder la directive européenne « Retour » de 2008 et de transposer dans notre législation les dispositions les plus sévères (comme l’allongement de la durée maximale de rétention à 18 mois, ou la rétention et l’éloignement des mineurs étrangers).
Les outils disponibles ne permettent pas de relever les défis actuels et futurs. Les réponses doivent changer afin d’avoir un vrai impact sur les flux. Il faut aussi remettre en question notre organisation nationale, saturée par un contentieux massif. La rétention administrative doit retrouver tout son sens avec une réduction drastique des causes d’échec. Si nous ne le faisons pas l’inefficacité rendra notre territoire encore plus attractif et renforcera la crédibilité des solutions extrêmes.
Synthèse des recommandations
- Améliorer l’état du droit pour faciliter la rétention administrative
Porter la durée maximale de rétention administrative de 90 jours à 18 mois
Abaisser l’âge minimal de placement en rétention administrative à 16 ans pour les mineurs étrangers
Notre législation nationale ne permet pas, malgré la directive « Retour », de mettre en place une rétention administrative et un éloignement pour des mineurs non accompagnés. Cette réserve nationale est particulièrement préjudiciable même si politiquement sensible car elle favorise les flux de mineurs réels ou allégués frauduleusement. À l’instar de la réflexion sur la minorité pénale il serait utile d’abaisser la minorité en matière de législation sur les étrangers à l’âge de 16 ans – alors même que le législateur a récemment interdit le placement en rétention administrative pour les mineurs étrangers.
Étendre la procédure spécifique de rétention administrative des étrangers condamnés définitivement pour des faits de terrorisme aux étrangers connus pour activité terroristes mais non condamnés à ce titre
Il existe une procédure spécifique de rétention administrative pour les étrangers condamnés définitivement pour des faits de terrorisme dans le CESEDA, qui atteint 210 jours. Le CRA de Lille accueille cette population particulière. Cependant, les étrangers connus pour activité terroriste mais non condamnés à ce titre sont retenus dans les centres de droit commun. Il conviendrait dès lors de réviser les articles L 742- 6 et suivants du CESEDA afin d’étendre leur champ d’application à ces derniers.
Généraliser à l’ensemble du pays la possibilité de mettre à exécution une OQTF pour un étranger placé en CRA, sans que le recours ne soit suspensif (comme à Mayotte)
Certaines mesures mises en œuvre en Outre-Mer mériteraient d’être transposées en métropole. Par exemple, à Mayotte, il est possible de mettre à exécution l’OQTF d’un étranger placé en CRA, sans que son recours ne soit suspensif.
Encadrer le rôle du JLD dans les CRA en matière de libération des retenus
- Augmenter le nombre de motifs permettant de prolonger la rétention administrative des étrangers (ceux-ci se restreignant pour l’administration au fur et à mesure des renouvellements) ;
- Permettre aux préfets de départements de faire un appel suspensif suite à une ordonnance de libération d’un retenu par un juge des libertés et de la détention ;
- Faire en sorte que les causes de nullité n’affectent la validité des procédures qu’en cas d’atteinte aux garanties procédurales substantielles.
Développer les éloignements aidés ou volontaires de façon ciblée au regard du profil des personnes pour alléger la charge pesant sur le processus de rétention qui est lourd, coûteux voire aléatoire compte tenu des nombreuses causes d’échec
Rédiger une circulaire du Ministère de la Justice aux Parquets afin de fixer les grands axes d’une politique pénale à l’encontre de l’immigration irrégulière
Par exemple s’agissant des poursuites pour refus d’embarquer ou pour soustraction à une mesure d’éloignement par refus d’identification.
- Améliorer les moyens humains et matériels dédiés à la rétention administrative
Dresser un plan de construction plus ambitieux des centres de rétention administrative à l’échelle nationale
- Porter l’objectif de capacité d’accueil des CRA à 15 000 places ;
- Réaliser des CRA de 100 places maximum afin d’assurer une meilleure sécurité en leur sein. Plusieurs CRA de 100 places peuvent être juxtaposés afin de mutualiser les charges de fonctionnement.
La taille minimale d’un CRA devrait être de 80 places ;
- Définir un cadre juridique spécifique « projet d’intérêt national » (procédure JO) pour faciliter la construction des CRA face aux réticences des élus locaux et lever les obstacles les plus fréquents.
Sécuriser l’intérieur et les abords des CRA pour faciliter le travail du personnel et dans l’intérêt des retenus eux-mêmes
- Mettre en place des caméras et des dispositifs de détection des personnes, limiter les accès au toit, installer des chambres de mise à l’isolement, entretenir le matériel ;
- Doter les CRA de matériels tels que des pistolets à impulsion électrique ou encore des matériels de rétablissement de l’ordre, compte tenu de la typologie des étrangers sortants de prison ou récalcitrants ;
- Réaliser systématiquement des diagnostics de sûreté par des personnels formés afin d‘effectuer des missions préventives, mais aussi correctives suite à des incidents majeurs.
Doter et équiper correctement les antennes ou annexes médicales des hôpitaux locaux afin d’éviter des transferts et gardes à l’hôpital
Créer un corps spécifique de policiers auxiliaires dédiés à la rétention administrative, afin de renforcer l’attractivité du métier
Former et professionnaliser davantage les personnels pour améliorer les procédures liées au contentieux des étrangers
- Améliorer l’organisation de la rétention administrative
Généraliser les Pôles interservices d’éloignement (PIE) à l’ensemble des CRA et élargir leurs prérogatives pour professionnaliser la mission d’éloignement
Comme évoqué dans la présente étude, des pôles interservices d’éloignement (PIE) ont été expérimentés avec succès dans certains CRA, afin de décharger les préfectures de certaines missions chronophages et professionnaliser la mission d’éloignement. L’idée serait donc de généraliser ces pôles à l’ensemble des CRA, et le cas échéant d’élargir leurs prérogatives.
Confier la procédure d’éloignement à des « Pôles régionaux du Retour »
L’organisation actuelle de l’État en matière de législation sur les étrangers repose sur le principe de la compétence des préfets de département. Il conviendrait donc de bâtir des équipes expérimentées, formées, disponibles 7 jours sur 7 dans un cadre supradépartemental c’est-à-dire au niveau régional ou zonal, afin d’appuyer les préfets de département dans les différentes démarches liées à un éloignement.
Ces pôles d’excellence réhausseraient le niveau d’expertise et assureraient un pilotage fin du processus d’éloignement y compris pendant la rétention administrative sous l’autorité d’un préfet délégué à l’immigration. Le préfet de département resterait totalement responsable des procédures engagées et bénéficierait de l’appui d’équipes d’agents préfectoraux et de policiers aux frontières dédiés à la préparation des retours.
Ces pôles d’expertise du retour se concentreraient sur la recherche d’une place en rétention, la rédaction des arrêtés préfectoraux, le suivi juridique, l’asile en rétention, la préparation des recours et la défense au contentieux, la mise en place des escortes, la réservation des moyens de transport, l’identification consulaire etc..)
Un peu à l’image des pôles régionaux Dublin qui ont été généralisés sur l’ensemble du territoire national, on pourrait imaginer que la procédure d’éloignement soit confiée à ces Pôles Régionaux du Retour. Cette restructuration suppose bien évidemment de surmonter nos habitudes afin de trouver de nouvelles marges en termes de moyens et de donner du sens à l’action des acteurs mais aussi et surtout d’obtenir de meilleurs résultats.
La réforme programmée de la directive européenne « retour » ne peut être à elle seule un gage de succès si l’on ne réfléchit pas aussi à une nouvelle méthode de travail.
Renégocier avec les représentations diplomatiques une modification des règles de compétences territoriales
Il existe également des difficultés opérationnelles liées à ce que l’on appelle « la carte consulaire » qui exige qu’un retenu relève de la compétence territoriale du préfet ayant émis une décision d’éloignement et non de celui de son lieu de rétention. Par exemple un étranger interpellé dans le département du Nord et qui serait transféré au CRA de Lyon doit être présenté au consulat de Lille et non à celui du lieu de rétention. Cela oblige à des transferts pour des raisons purement bureaucratiques. Ainsi, il conviendrait de renégocier avec les représentations diplomatiques une modification des règles de compétences territoriales, avec, si besoin, une pression diplomatique au plus haut niveau.
Remplacer les associations militantes par des fonctionnaires de l’OFII en matière de conseil juridique des retenus dans les CRA, comme annoncé par le ministre de l’Intérieur
Pour aller plus loin
- Fernand GONTIER, La face cachée de l’immigration, éditions Baudelaire, 18 janvier 2024
- Rapport parlementaire de la députée Brigitte Klinkert, Avis présenté au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi de finances pour 2025 (n° 324) – Tome VII Immigration, asile et intégratioin, 16 octobre 2024
- Cour des comptes, « La politique de lutte contre l’immigration irrégulière », 4 janvier 2024
- Cour des comptes, « L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères », 5 mai 2020
Notes
- Rapport de la députée Brigitte Klinkert, avis présenté au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi de finances pour 2025 (n° 324), Tome VII Immigration, asile, intégration, 16/10/2024 ↩︎
- Idem ↩︎
- Cour des Comptes, La politique de lutte contre l’immigration irrégulière, janvier 2024, p. 14 ↩︎
- Cour des Comptes, La politique de lutte contre l’immigration irrégulière, janvier 2024 (synthèse), p. 17 ↩︎
- Cour des Comptes, Analyse de l’exécution budgétaire 2023 – Mission Immigration, asile et intégration,
Avril 2024, p. 28 ↩︎ - Idem ↩︎
- Rapport parlementaire de la députée Brigitte Klinkert, Avis présenté au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi de finances pour 2025 (n° 324) – Tome VII Immigration, asile et intégration, 16 octobre 2024
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/rapports/cion_afetr/l17b0459-tvii_rapport-avis# ↩︎ - Cour des Comptes, L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères, avril 2020, p. 24
https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-05/20200505-rapport-entree-sejour-premier-accueil-personnes-etrangeres_0.pdf ↩︎ - Cour des Comptes, La politique de lutte contre l’immigration irrégulière, janvier 2024, p. 84 ↩︎
- Cour des Comptes, La politique de lutte contre l’immigration irrégulière, janvier 2024 (synthèse), p. 17
https://www.ccomptes.fr/fr/documents/67931 ↩︎ - Le Figaro « Les associations d’aide aux migrants dans le viseur du ministère de l’Intérieur » 06/10/2024
https://www.lefigaro.fr/actualite-france/les-associations-d-aide-aux-migrants-dans-le-viseur-de-beauvau-20241006 ↩︎ - Cour des Comptes, L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères, avril 2020 (synthèse), p. 21 ↩︎
- Article L. 741-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ↩︎
- Rapport commun d’associations sur les centres et locaux de rétention administrative, année 2023, 30/04/2024 ↩︎
- Cour des Comptes, La politique de lutte contre l’immigration irrégulière, janvier 2024 (synthèse), p. 17 ↩︎
- Rapport parlementaire de la députée Brigitte Klinkert, Avis présenté au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi de finances pour 2025 (n° 324) – Tome VII Immigration, asile et intégration, 16 octobre 2024 ↩︎
- Le Figaro « Lille : la justice libère sept clandestins en rétention administrative, invoquant un problème d’accès au téléphone » 04/02/2024
https://www.lefigaro.fr/actualite-france/lille-la-justice-libere-sept-clandestins-en-retention-administrative-invoquant-un-probleme-d-acces-au-telephone-20240204 ↩︎ - Cour de Cassation, Première chambre civile – formation de section, 7 janvier 2025, Pourvoi n°24-70.008 ↩︎
Introduction
Au sein de l’Union européenne, la France est le pays qui prononce le plus de décisions de retour à l’encontre de ressortissants de pays tiers, soit 138 739 en 20231 sur un total de 484 160 pour l’ensemble des 27 pays.2
Les 4 lettres « OQTF » pour Obligation de Quitter le Territoire Français sont désormais largement répandues dans le langage courant, même si l’expression est inappropriée puisque la mesure d’éloignement émise en France est valable pour l’ensemble du territoire européen. Pour rappel, une OQTF est une décision administrative délivrée par la préfecture, qui a pour objectif d’éloigner un ressortissant étranger du territoire national. Elle est notamment édictée en cas de séjour irrégulier en France, de refus ou de retrait d’un titre de séjour. Celle-ci est assortie d’une décision fixant le pays de destination et d’une décision accordant ou non un délai de départ volontaire. Enfin, elle peut être accompagnée d’une interdiction de retour sur le territoire français, d’une assignation à résidence ou d’un placement en rétention – objet de la présente étude. De nombreuses critiques ont été émises à l’encontre des faibles résultats français en matière d’exécution effective de ces mesures. Le rapport de la Cour des comptes de janvier 2024 indique à cet égard un taux d’exécution de l’ordre de 10%.
Face à ces chiffres d’une certaine brutalité, quelle réalité se cache dans le dispositif français : disposons-nous suffisamment de moyens ? Sommes-nous correctement organisés ? Pourquoi tant d’échecs ? Quelle est la stratégie mise en place par les autorités françaises ? Comment pourrions -nous améliorer ces piètres résultats ? Sommes-nous réduits à l’impuissance éternelle ou disposons-nous encore de marges concrètes de progrès ?
En tout état de cause, notre droit européen et français n’est plus en capacité de répondre à une immigration massive.
Dès que l’on parle d’éloignement, on évoque systématiquement la rétention administrative. Pourtant le recours à ce moyen de privation de liberté n’est pas la technique la plus courante ni la plus juridiquement admissible pour réaliser une mesure d’éloignement. Pour autant la rétention administrative constitue pour l’opinion publique comme pour la Cour des comptes la mesure la plus à même de mettre en œuvre un éloignement de façon effective.
En 2023, 47 000 personnes ont été retenues dans les différents centres de rétention dont 17 000 en métropole et 30 000 en outre-mer dont 28 000 à Mayotte. Outre les étrangers sous OQTF (75%) des retenus, on comptabilise aussi les interdits judiciaires du territoire (12%), les expulsés (2,6%), les remises Dublin (8%) …
1 – Le cadre juridique de la rétention administrative
La rétention administrative, comme son nom l’indique, ne relève pas de l’administration pénitentiaire. Il s’agit d’une mesure privative de liberté qui permet de s’assurer d’une personne pendant le temps strictement nécessaire à la mise en œuvre de la mesure d’éloignement. Le recours à ce moyen est strictement limité par la directive retour 2008/115/CE du 16 décembre 2008 : le départ volontaire est privilégié et la rétention administrative constitue une exception, qui ne doit concerner que des personnes présentant notamment un risque de fuite.
1.1 La directive « retour » : la mal nommée
L’article 15 de la directive dispose : « Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise ».
Chaque État européen fixe sa propre durée maximale de rétention sans qu’elle ne soit supérieure à 6 mois, sauf lorsque l’étranger refuse de coopérer ou lorsque les laissez-passer consulaires tardent à être délivrés. Dans ces deux dernières hypothèses, la durée maximale de rétention peut être portée à 18 mois.
Le principe posé par la directive retour est la progressivité dans la mise en œuvre de la mesure d’éloignement, avec tout d’abord un délai de départ volontaire puis si nécessaire une assignation à résidence et en dernier recours la rétention administrative dans un lieu adapté à cet effet. La rétention administrative n’est donc pas systématique, mais marginale dans l’esprit et la lettre de la directive européenne.
Dans les faits, le délai de départ volontaire et l’assignation à résidence sont plutôt mis à profit pour organiser la fuite et la clandestinité. De son côté, la rétention administrative concentre toutes les critiques au regard d’un taux d’exécution d’éloignement insuffisant au regard des moyens engagés. Ce taux moyen général varie de 40 à 50% en métropole mais parfois davantage notamment à Mayotte avec un taux proche de 80% et une durée de rétention inférieure à 48 h. Tout cela est parfaitement détaillé dans le rapport de la Cour des comptes de janvier 2024 sur la politique de lutte contre l’immigration irrégulière.
La rétention administrative, malgré les difficultés détaillées plus loin, reste toutefois le moyen le plus efficace pour éloigner. Ainsi, dans le rapport précité, la Cour des comptes souligne également que la rétention est « indispensable à l’efficacité de l’éloignement forcé » puisque « près de la moitié des personnes placées en centre de rétention administrative ont été effectivement éloignées »3.
1.2 Le droit positif français
La rétention administrative a été introduite dans notre droit en 1981 avec une durée maximale de 7 jours et, depuis 2019, elle est d’une durée maximale de 90 jours sauf cas particulier – notamment pour des étrangers condamnés définitivement pour des faits de terrorisme avec un maximum porté à 210 jours. On voit donc ainsi que la France a décidé de ne pas utiliser toute la latitude offerte par la législation européenne. Si cette directive européenne concentre de nombreuses critiques justifiées sur d’autres aspects, il faut reconnaître que sa transposition insuffisante dans notre droit interne relève d’une responsabilité nationale, celle-ci ayant été limitée s’agissant de la durée maximale de rétention.
2 – Un dispositif de rétention administrative sous dimensionné par rapport aux besoins
Outre les centres de rétention administrative statutaires créés par le ministère de l’Intérieur, il existe des locaux de rétention administrative (LRA) au nombre de 28, dont l’usage est limité à une durée maximale de 48h. Ces derniers peuvent être permanents ou temporaires et sont créés par le préfet du lieu d’implantation.
2.1 Des moyens immobiliers, humains et budgétaires à la hauteur des enjeux ?
2.1.1 Les moyens immobiliers
Le territoire national compte 26 CRA pour une capacité actuelle de l’ordre de 2 000 places devant être portée à 3 000 à l’horizon 2027. A titre de comparaison, le nombre d’étrangers clandestins sur le sol français est compris entre 600 000 à 900 0000 individus selon le ministère de l’Intérieur, tandis que pour la seule année 2023, 138 739 OQTF ont été prononcés.
Le nombre de places en CRA est donc particulièrement limité par rapport aux besoins réels, et représente un frein à l’efficacité de la politique d’éloignement, comme le pointe du doigt la Cour des comptes : « entre 2019 et 2022, seuls 5 % des étrangers en situation irrégulière titulaires d’une obligation de quitter le territoire français ont été placés dans l’une des 1 717 places disponibles en CRA »4.
Ainsi, on peut donc considérer qu’il faudrait environ 15 000 places de rétention pour répondre à l’ensemble à des éloignements forcés à mettre en œuvre.
La capacité maximale d’hébergement pour un CRA est de 140 places mais tous les centres n’atteignent pas ce nombre. Le total des places disponibles dissimule des écarts importants entre des CRA de petite taille comme Hendaye avec 20 places et d’autres de 140 places comme celui du Mesnil Amelot. Le nombre de CRA et leur capacité maximale sont de la compétence de chaque État membre.
Il serait tout à fait logique que l’Union européenne finance intégralement les dépenses liées au retour afin de soulager les efforts.
La cartographie des lieux d’implantation n’est pas toujours logique même si la plupart du temps les CRA sont implantés à proximité des frontières, des grands centres urbains et des points d’éloignement, comme les ports ou les aéroports, à l’instar de Roissy.
Il est arrivé que des CRA soient créés uniquement pour des questions d’opportunité foncière ou que d’autres qui seraient nécessaires ne l’aient pas été pour des raisons de politique locale – l’Etat faisant face à un manque de coopération des municipalités pour accueillir des CRA en leur sein. On peut regretter par exemple qu’il n’existe pas de centre de rétention à proximité de l’aéroport d’Orly. De même, des aléas en matière d’investissements immobiliers sont pointés du doigt par la DGEF (difficile programmation pluriannuelle, mise en œuvre complexe, contraintes liées aux études préalables de faisabilité, à la passation des marchés d’études et de travaux, puis à l’exécution de ces marchés)5. Ainsi, les enveloppes budgétaires dédiées au financement des CRA ne sont pas pleinement utilisées : « pour les dépenses d’investissement immobilier des centres de rétention administrative (CRA), locaux de rétention administrative (LRA) et des zones d’attente, l’écart entre la LFI 2023 et l’exécution 2023 est de 35,4 M€ en AE et de 12,5 M€ en CP »6.
Il existe autant de configurations immobilières que de CRA. Certains parmi les plus récents comme Olivet dans le Loiret sont conformes à un référentiel immobilier national tandis que d’autres plus anciens se trouvent dans des casernes transformées comme Nice Auvare ou des hôtels désaffectés comme Lyon 1. Il existe en effet non pas un « CRA type » mais différentes générations de bâtiments ayant subi des transformations, des évolutions liées à l’hébergement, à la sécurité ou à la capacité d’accueil suite à des opérations d’extension (Coquelles, Perpignan). Ainsi ce parc très disparate génère des difficultés d’entretien et ne répond pas toujours aux besoins des services qui les utilisent. Certaines régions sont mieux pourvues (PACA) alors que d’autres doivent escorter les retenus parfois sur plusieurs centaines de kilomètres (Bourgogne-Franche-Comté) ou encore pour trouver une place disponible en cas de saturation locale.
Pour autant, les centres de rétention administrative obéissent à des normes d’hébergement et d’équipements correspondants ou s’inspirant d’un régime hôtelier ou de la restauration collective, avec par exemple une surface minimale de 10 m² par retenu, des lavabos, des douches et des WC en libre accès et en nombre suffisant etc… Au-delà de 40 retenus, une salle de détente doit avoir une superficie supérieure à 50 m². Les CRA s’inspirent des établissements recevant du public (ERP) au regard des règles de sécurité, sans pour autant y être assimilés.
D’autres installations sont réglementaires comme des salles dotées d’équipements médicaux, un local de visite pour les familles et les consuls, un local pour les avocats, des téléphones en libre accès, un espace de promenade à l’air libre, des locaux pour les associations et l’OFII etc…
Certains CRA récents bénéficient de la présence à leur proximité d’une salle d’audience pour les prolongations de rétention administrative ou d’une salle de visioconférence comme au Mesnil Amelot, à Marseille ou encore à Nîmes. Compte tenu des facilités accordées par la loi du 26 janvier 2024, il est désormais impératif de doter chaque CRA d’une salle de visioconférence et/ou d’audience et de généraliser les audiences selon ces modalités avec les juges judiciaires, les juges administratifs et l’OFPRA. Cependant, il y a encore de fortes réticences voire des refus de magistrats d’utiliser ces moyens modernes alors que cela n’avait posé aucune difficulté durant l’épisode d’épidémie du Covid-19.
Le mobilier respecte également un référentiel national afin de doter les CRA d’équipements comparables comme la literie. Ces mobiliers sont « durcis » à l’instar de ce que l’on trouve dans les centres pénitentiaires compte tenu des dégradations permanentes constatées et commises par les retenus eux-mêmes. Ils doivent résister également aux incendies ou encore à leur utilisation potentielle comme armes par destination.
Des efforts considérables ont été consentis afin d’améliorer les conditions de vie des retenus ainsi que pour la mise en place d’activités récréatives comme des jeux vidéo, des livres etc… compte tenu de l’allongement progressif de la durée moyenne de rétention qui aujourd’hui se situe au-dessus de 30 jours par personne en métropole. Au cas où l’objectif des 3000 places en CRA 2027 était atteint, notre capacité maximale théorique de rétention serait alors de 36 000 retenus par an en métropole contre 24 000 aujourd’hui.

Rapport de la députée Klinkert d’octobre 20247
*SEP : sortants établissements pénitentiaires
Tout cela est bien sûr théorique car de nombreuses chambres font l’objet de dégradations quotidiennes qui les rendent impropres à une utilisation normale. On estime entre 10 et 15% les chambres inutilisables pour des motifs d’entretien ou de réhabilitation.
Cela nécessite donc un pilotage et une priorisation des placements en rétention administrative au regard des capacités disponibles. Il ne faut toutefois pas négliger la possibilité de mettre en œuvre des éloignements aidés ou volontaires de façon ciblée au regard du profil des personnes pour alléger la charge pesant sur le processus de rétention qui est lourd, coûteux voire aléatoire compte tenu des nombreuses causes d’échec. C’est également ce que préconise la Cour des comptes dans un rapport de 2020, pour qui « les départs volontaires aidés, gérés par l’OFII, constituent le moyen le plus efficace et le moins coûteux d’obtenir le départ de personnes obligées de quitter le territoire »8.
2.1.2 Les moyens humains
Afin d’armer les centres de rétention administrative de personnels d’État en charge des missions de garde, d’escorte, de gestion et de suivi juridique, la Police Nationale doit fournir théoriquement 3000 à 3500 policiers. En effet on considère de façon très générique que pour armer une place de rétention il convient d’affecter 1,5 policier. Toutefois cette règle est rarement applicable compte tenu de la diversité des CRA, de leur taille, de la charge des escortes et des transferts, de la dangerosité des retenus etc… Ainsi, dans son rapport de 2024, la Cour des comptes explique que le ratio de référence est parfois plus élevé en réalité, comme 2,2 à Sète.9
Dans notre droit il n’est pas possible d’externaliser les missions régaliennes comme la garde des personnes. Des tentatives d’externalisation de certaines missions ont été partielles, s’agissant de l’accueil des retenus ou encore du transport ou enfin de la sécurité incendie. Les équivalents temps plein économisés (ETP) ont été modestes pour un coût relativement élevé. Le policier est polyvalent alors que les agents privés sont spécialisés voire « monotâches ». En matière de répartition des missions, sur 10 policiers, on considère qu’il faut entre 5 et 6 policiers pour la mission de garde, 3 à 4 pour la mission d’escorte et un à 2 pour les missions de direction et de greffe. Cela est toutefois très variable selon la taille du CRA, sa configuration, sa sécurisation passive ou encore son implantation àproximité des tribunaux, des aéroports, des ports ou des consulats. Plus un CRA est petit et plus il sera coûteux en personnels. Dans l’idéal, une taille de l’ordre de 80 à 100 places est considérée comme optimale.
La question des effectifs est incontournable afin de disposer d’un personnel en qualité et en quantité suffisante pour sécuriser le site et améliorer les résultats d’éloignement. La police aux frontières assure des formations continues pour le chef de centre qui est un cadre polyvalent et pluridisciplinaire, le greffe et le personnel de garde. La mission de rétention est difficile dans un contexte où les retenus sont souvent des auteurs de troubles à l’ordre public ou des sortants de prison.
Néanmoins, la Cour des comptes pointe également « des difficultés de recrutement pour affecter des nouveaux personnels sur ces métiers peu attractifs »10. Face à cette problématique, il conviendrait donc de créer un corps spécifique de policiers auxiliaires dédiés à la rétention administrative – tout en conservant un encadrement policier au niveau du greffe et de la direction des CRA.
Des incidents sont fréquents entre les retenus eux-mêmes (nationalités ou ethnies différentes), contre les policiers, contre les effectifs des services partenaires présents au sein des CRA comme le personnel médical, les associations ou encore l’OFII. Cela demande une attention permanente afin d’éviter également des troubles entre des communautés différentes tant de jour que de nuit notamment à l’occasion de la période sensible du Ramadan.
Les départs d’incendie sont quotidiens et la gestion de l’ordre dans un milieu confiné complexe.
Des formations au maintien et au rétablissement de l’ordre sont réalisées afin de tester les capacités à réagir notamment à des troubles collectifs ou à des tentatives d’évasion groupées.
Les policiers réalisent leur mission avec beaucoup de professionnalisme, d’humanité et de respect du droit des personnes. Il importe que leur mission soit facilitée par une sécurisation suffisante des abords mais aussi de l’intérieur des CRA : en effet sous prétexte d’éviter de donner un caractère trop carcéral à ces bâtiments, on a pu créer ici ou là y compris dans des CRA récents des vulnérabilités (absence de caméras ou de dispositif de détection des personnes, accès facilité pour la montée sur les toits, insuffisance voire absence de chambre de mise à l’isolement, entretien et maintenance des matériels etc…)
Il conviendrait de réaliser systématiquement des diagnostics de sûreté par des personnels formés afin d‘effectuer des missions préventives mais aussi correctives suite à des incidents majeurs.
Outre le personnel de police les centres de rétention administrative accueillent des associations de défense juridique des retenus subventionnées par l’État. Ces associations militantes pourraient être judicieusement remplacées par l’OFII ou par des avocats sans nuire à la défense des droits individuels. À ce titre, les récentes déclarations du Ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau pourraient faire bouger les lignes en ce sens : « Je considère que le conseil juridique et social aux personnes retenues dans les CRA relève de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) et non des associations, qui sont juge et partie »11.
En effet chaque étranger bénéficie déjà des services d’un avocat à chaque étape de sa procédure qu’elle soit judiciaire ou administrative. Leur présence dans les CRA leur permettrait d’avoir un accès plus précoce à chacun des dossiers et de fournir aux juridictions et aux retenus eux-mêmes un meilleur éclairage juridique. D’autres institutions internationales reconnues comme l’OMI pourraient être également légitimes pour exercer cette mission.
Le personnel médical est un élément essentiel de la bonne santé des personnes retenues car il existe de nombreuses pathologies ou fragilités à surveiller qu’elles soient physiques ou psychologiques. Il convient que ces antennes ou annexes médicales des hôpitaux locaux soient correctement dotées et équipées afin d’éviter des transferts et gardes à l’hôpital trop nombreux.
Le personnel de l’OFII apporte également une contribution significative pour faciliter l’éloignement des retenus par une aide matérielle (récupération d’affaires personnelles, fermetures de comptes bancaires etc…). Enfin, comme toute collectivité, les centres de rétention ont besoin d’un personnel qui assure le nettoyage, la fourniture des repas, le blanchissage ou encore l’entretien courant des installations.
2.1.3 Les moyens budgétaires
Le budget est prévu à hauteur de 69 millions d’euros en 2025 pour les CRA, LRA et zones d’attente sur le programme budgétaire 303 géré par la DGEF tant pour l’entretien que pour la construction de nouvelles places de rétention. Il faut y ajouter les dépenses de personnel de la police nationale prévues sur un autre programme budgétaire, le programme 176. Ce dernier doit faire face à des besoins accrus de dépenses pour armer les nouvelles places (1000 en 3 ans) et financer des vacations des réservistes appelés en renfort et /ou des postes de policiers adjoints. La coexistence de ces 2 programmes budgétaires liée à la rétention ne facilite pas une bonne gestion des crédits liés à la rétention comme l’avait souligné la Cour des comptes.
Par ailleurs, le coût moyen d’une rétention est élevé : selon la Cour des comptes, celui-ci était chiffré à 6 234 euros par retenu en 201912, sans compter les autres coûts liés notamment aux moyens de transport et d’éloignement.
2.2 Les missions, l’organisation et l’activité d’éloignement en rétention
2.2.1 Les missions des CRA
La mission principale d’un CRA n’est pas de retenir les étrangers en situation irrégulière mais de préparer leur retour vers leur pays d’origine. De même la rétention administrative n’est pas non plus une peine ou une sanction. Il est important de rappeler ce principe essentiel que la rétention administrative est le délai strictement nécessaire pour permettre d’organiser les préparatifs du retour comme la délivrance le cas échéant d’un laissez-passer consulaire, la mise en place d’une escorte, la réservation d’un moyen de transport etc…
Il existe de nombreuses cases « à cocher ».
2.2.2 L’organisation d’un CRA
Le contrôle juridique du dossier individuel d’un étranger et son suivi pendant l’ensemble de son séjour dans un CRA est une mission sensible qui relève directement de la responsabilité du chef de centre. Il est garant de la régularité de la rétention tant au niveau de sa base juridique pour éviter des détentions arbitraires que des décisions de prolongation, des recours, des transferts et plus généralement de la « vie administrative » des retenus. Le chef de centre est nommé par le préfet du département du lieu d’implantation : il est assisté par un chef de greffe.
Le chef de centre, issu de la police nationale, est le véritable coordonnateur tant de ses propres services que des autres services intervenants (associations, OFII, personnel médical) et des prestataires de service. Il constitue le point de contact pour les autorités administratives et judiciaires. Il est le « chef d’orchestre » avec des compétences policières, juridiques, administratives, budgétaires mais aussi humaines car il pilote toute une communauté dans un espace limité et contraint.
Il est tenu un état détaillé de tous les incidents émaillant la vie du centre notamment les rébellions, les tentatives de suicide, les mises à l’isolement, les destructions etc…
2.2.3 L’activité d’éloignement
2.2.3.1 Les pôles interservices d’éloignement (PIE)
Dans certains CRA ont été créés des pôles interservices d’éloignement (PIE) où ont été expérimentées des délégations préfectorales en matière d’instructions des laissez-passer consulaires, de demande de « routing » ou réservation des moyens de transport ou encore de défense au contentieux administratif ou judiciaire. Cela a pour intérêt de décharger de ces missions chronophages les préfectures et de professionnaliser la mission d’éloignement sous le contrôle et l’autorité des préfets de département qui donnent mandat à ces PIE de les représenter.
Il serait de bonne gestion, au vu des résultats positifs enregistrés, de généraliser ces PIE à l’ensemble des CRA et le cas échéant d’élargir leurs prérogatives. Ces PIE peuvent agir pour plusieurs départements en totale connexion avec les préfectures grâce à certains outils numériques tels que Logicra ou Gestel qui sont des bases de données utilisées par la PAF, sur la situation en temps réel des retenus et les modalités de leur éloignement.
2.2.3.2 La garde et les escortes
Il s’agit de la mission classique mais néanmoins essentielle pour maintenir la sécurité au sein des CRA et surveiller des étrangers qui présentent par définition, un risque de fuite manifeste. Les policiers doivent être formés à cette mission sur le plan juridique, technique avec des gestes appropriés mais également sur le plan psychologique afin d’entretenir avec les personnes retenues un contact respectueux, bienveillant mais ferme. Compte tenu de la typologie des étrangers sortants de prison ou récalcitrants, il est devenu nécessaire de doter les CRA de matériels tels que des pistolets à impulsion électrique ou encore des matériels de rétablissement de l’ordre.
2.2.3.2 La typologie des retenus
Sur 17 000 personnes retenues en métropole en 2023, il y avait 95% d’hommes, 5% des femmes et 87 mineurs accompagnant leur(s) parent(s) – à noter que depuis la récente loi du 26 janvier 2024 « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », le placement de ces derniers en CRA est désormais interdit13. On remarque que plus de 50% des retenus sont des ressortissants issus du Maghreb avec une prédominance des Algériens, qui représentent un tiers du total. Chaque CRA est particulier s’agissant du profil des personnes : par exemple dans celui de Palaiseau les sortants de prison représentent la majeure partie des retenus issus de la prison de Fleury Mérogis tandis que celui de Nice concentre des personnes ayant franchi irrégulièrement la frontière italienne.
Le tableau ci-dessous, issu du rapport commun d’associations sur les centres et locaux de rétention administrative, précise les différentes nationalités qui font l’objet d’une mesure de rétention administrative (données 2023)14.

On remarque également que la durée de moyenne de rétention varie sensiblement selon les nationalités représentées : par exemple plus de 30 jours pour un Algérien et moins de 15 jours pour un Roumain. Le principal facteur de variation de la durée de rétention est constitué par la procédure de délivrance du laissez-passer consulaire et de la bonne volonté (ou pas) du pays de retour.
2.3 Les contrôles
À l’instar de toute mesure privative de liberté, la rétention administrative fait l’objet d’un contrôle étroit et constant de la part d’autorités administratives indépendantes (le contrôleur général des lieux de privation de liberté et le défenseur des droits), du procureur de la République et des juges des libertés et de la détention mais également d’institutions européennes (comme la Commission d’Evaluation Schengen, l’Agence européenne des droits fondamentaux ou encore du comité de prévention de la torture).
Il faut y ajouter des contrôles internes qu’ils soient hiérarchiques ou de l’autorité préfectorale. Enfin il faut signaler la mise en œuvre de droits de visite pour les parlementaires nationaux et européens mais également de la presse. Loin d’être des lieux de non droit, les centres de rétention administrative sont « scrutés » également par les associations qui y sont implantées en permanence. Ce sont donc des lieux accessibles et visitables.
Outre le respect des droits individuels des personnes, les contrôles veillent également aux conditions de vie. Des remarques sont régulièrement formulées s’agissant du vieillissement des bâtiments. Le ministère de l’Intérieur et la Direction générale des étrangers en France engagent chaque année des crédits importants pour l’entretien des infrastructures mais aussi pour améliorer les équipements de loisirs et le mobilier. Il faut regretter que les dégradations soient réalisées par les retenus eux-mêmes.
Les conditions de travail des policiers ne sont pas toujours optimales notamment dans les CRA les plus anciens. La chaîne de maintenance des centres de rétention est relativement complexe avec l’intervention de l’administration centrale, des SGAMI (Secrétariat général pour l’administration du ministère de l’Intérieur) et des chefs de centres de rétention, ce qui peut retarder des réparations et donc la remise en service des chambres neutralisées.
3 – La stratégie du placement en rétention administrative
Au regard des moyens disponibles, une stratégie d’emploi des centres de rétention est nécessaire pour optimiser la capacité d’hébergement forcément limitée ainsi que les personnels disponibles pour assurer l’ensemble des missions d’éloignement. Les centres de rétention ont tous une vocation nationale et le nombre de CRA ne permet pas de mettre à disposition de chacun des préfets de département un centre de rétention spécifique.
Les locaux de rétention administrative qu’ils soient permanents ou temporaires sont créés en revanche par les préfets de département : compte tenu de la faible durée autorisée, ils servent souvent de SAS d’entrée et d’attente pour les CRA. Leur utilité est parfaitement établie pour les départements non pourvus d’un CRA.
3.1 La gestion des entrées et des sorties en centres de rétention administrative
Quatre principes sont mis en œuvre dans la stratégie d’utilisation des centres de rétention : la mutualisation des moyens, la coordination, la priorisation, et la professionnalisation.
3.1.1 La mutualisation des moyens
Cette mutualisation concerne la disponibilité des chambres mais également les moyens disponibles pour assurer l’éloignement c’est-à-dire les escortes et transferts, les moyens de transport, etc…
Il est donc nécessaire que l’information soit partagée avec un chaînage étroit entre les préfectures, les centres de rétention et l’administration centrale. La rétention administrative doit être la plus courte possible et la plus utile possible avec une perspective raisonnable d’éloignement.
3.1.2 La coordination
La coordination vise à éviter de neutraliser inutilement des places de rétention avec des étrangers non éloignables, une coordination est mise en œuvre au niveau zonal et au niveau central. Cette coordination suppose un arbitrage des entrées en anticipant les perspectives d’éloignement mais également en décidant des libérations lorsqu’il n’existe pas de probabilité d’un retour vers le pays d’origine ou un pays où l’étranger est légalement admissible. Il faut éviter également qu’un préfet ayant un CRA implanté dans son département ne favorise ses placements en rétention.
Plusieurs préfets de zone ont mis en place cette coordination avec un référent « Régulation Rétention », mais le plus bel exemple à citer se situe en île de France avec la création d’un préfet délégué à l’immigration qui est amené à jouer ce rôle de pilote et d’intermédiaire avec les préfets de département ayant prononcé un placement en rétention. En cas de difficultés c’est l’administration centrale (DGEF et DNPAF) qui peut être saisie.
Il est souvent utile de rapprocher les futurs éloignés des points d’éloignement que sont les aéroports ou les ports. Des transferts de CRA à CRA sont souvent réalisés dans cette perspective.
3.1.3 La priorisation
Cette orientation a été rendue nécessaire par le décalage entre les besoins et les disponibilités de rétention a été renforcée suite à l’affaire Hannachi en 2017 (homicide par un tunisien sous OQTF élargi du CRA de Lyon faute de place disponible, de deux jeunes femmes à Marseille).
Par une instruction du 16 octobre 2017, le ministre de l’Intérieur entendait afficher clairement cette priorisation à l’égard de tous les étrangers en situation irrégulière ou pas, pouvant constituer une menace de trouble à l’ordre public, les personnes radicalisées ou connues pour activités terroristes et les sortants de prison. Ces consignes ont par la suite été rappelées dans une instruction du 3 août 2022 « la rétention doit être prioritairement destinée aux étrangers en situation irrégulière (ESI) auteurs de troubles à l’ordre public (…) y compris lorsque l’éloignabilité ne paraît pas acquise au jour de la levée d’écrou ou de l’interpellation (…) En cas de manque de places disponibles, il convient de libérer systématiquement les places occupées par les ESI sans antécédents judiciaires non éloignables et de les assigner à résidence » puis dans une circulaire datée du 17 novembre 2022 « Depuis désormais deux ans, je vous ai demandé de prioriser l’éloignement et le refus et retrait de titres de séjour pour les étrangers dont le comportement représente une menace pour l’ordre public ».
A ce titre, la Cour des comptes souligne que ces profils « représentaient plus de 90% des retenus à la fin de l’année 2022, contre moins de 50% six mois auparavant » et pointe « des conséquences importantes sur la gestion des centres de rétention administrative », puisque « le délai moyen de rétention s’est allongé, les dégradations et incidents ont augmenté »15. A ce titre, il convient donc de souligner que tous les étrangers dangereux ou présentant un trouble à l’ordre public ne sont donc pas placés en rétention administrative, faute de places suffisantes.
L’anticipation de l’éloignement des sortants de prison est fermement rappelée car la phase d’incarcération doit être mise à profit pour préparer l’éloignement (délivrance des laissez-passer consulaires, réservation du moyen de transport et de l’escorte etc…). Malgré la généralisation de protocoles départementaux sur la gestion des étrangers incarcérés on constate encore des cas de placement en rétention administrative suite à une absence de traitement en amont (cf affaire Philippine). Il est vrai que la phase d’incarcération oblige à des extractions, ce que certains services de police ou de gendarmerie « rechignent » à faire. Cela reporte ainsi la charge des préparatifs de l’éloignement sur le centre de rétention administrative.
Cette circulaire mobilise l’ensemble des préfets également pour mener des démarches systématiques en vue de procéder à des identifications consulaires. Cette volonté ministérielle a depuis été renouvelée par d’autres circulaires afin de renforcer cette politique de priorisation pleine de bon sens et de réalisme. L’opinion publique ne comprendrait pas que des auteurs de crimes ou de délits soit remis en liberté au détriment d’étrangers en situation irrégulière sans antécédents judiciaires ni profil dangereux. Si l’idée paraît simple en théorie, elle est beaucoup plus complexe au quotidien pour analyser au cas par cas de façon précise la dangerosité, l’éloignabilité et les disponibilités liées aux moyens.
S’il parait « simple » de prioriser les entrées, il est en revanche plus délicat de libérer un étranger dont les perspectives d’éloignement sont minces alors que des dossiers plus « solides »se présentent pour l’admission à l’entrée.
3.1.4 La professionnalisation
Afin de mener à bien le dispositif d’éloignement il est impératif de disposer de personnels formés et aguerris à l’ensemble des missions : le contentieux, le greffe juridique, la garde, les escortes nationales et internationales, l’identification consulaire…
La police aux frontières détient cette expertise et ce savoir-faire sur lesquels s’appuient à juste titre les préfectures et la direction générale des étrangers en France. Ce modèle mérite d’être renforcé tant en termes d’organisation que de moyens ainsi que sur le plan juridique.
Compte tenu du parcours d’obstacles, la réussite de chaque éloignement est un succès pour protéger les citoyens français d’individus indésirables et ayant démontré une capacité de nuisance sur notre territoire.
La remise en liberté pour motif juridique ou pour absence de laisser passer consulaire est vécue comme un échec et un risque pour la sécurité nationale. Ces échecs bien trop nombreux car moins d’un étranger sur deux placés en rétention n’est pas éloigné mérite une analyse précise pour mettre en œuvre des mesures correctives.
3.2 Les causes d’échec de la rétention administrative
Malgré les difficultés enregistrées, l’éloignement depuis les centres de rétention est plus efficace que les autres modalités proposées par la directive retour. La rétention administrative fait néanmoins l’objet de nombreuses causes d’échec exogènes au ministère de l’Intérieur détaillées plus loin.
Si la décision de retour avec délai de départ volontaire ainsi que l’assignation à résidence sont rarement suivies d’un éloignement, la rétention administrative n’est pas synonyme pour autant d’un éloignement assuré. En effet le parcours d’obstacle ou d’embûches est révélé par les nombreuses causes d’échec qui annihilent tous les efforts des services capteurs mais aussi des services préfectoraux.
On recense ainsi plus d’une trentaine de causes d’échec qui font l’objet d’une comptabilité précise : la complexité de la procédure spécifique au contentieux des étrangers, le chaînage des opérations d’éloignement qui engagent plusieurs acteurs, le processus de délivrance des laissez-passer consulaires, ou encore les limites capacitaires liées aux moyens dédiés aux centres de rétention permettent d’expliquer les taux d’éloignement depuis les CRA.
Le tableau ci-dessous publié dans le rapport d’octobre 2024 de la députée Brigitte Klinkert16 présente les principales causes d’échec.

3.2.1 Le rôle du juge des libertés et de la détention
La première cause d’échec est liée aux libérations prononcées par les juges notamment judiciaires lors des phases de prolongation de la rétention administrative. En effet, on observe en la matière un rôle majeur attribué au juge des libertés et de la détention (JLD), qui rend précaire la rétention des étrangers dangereux dans les CRA :
- Après le placement en CRA, au bout de 4 jours, une première autorisation du JLD est nécessaire pour une prolongation de 26 jours ;
- Au terme de 30 jours de rétention, le JLD doit être saisi pour une deuxième autorisation de prolongation d’un délai à nouveau de 30 jours ;
- Une fois ce délai expiré, l’article L. 742-5 du code prévoit une troisième prolongation, dite exceptionnelle, de quinze jours ;
- Enfin, une quatrième et dernière prolongation, encore plus exceptionnelle, doit être sollicitée, celle-ci étant de quinze jours.
A ce titre, on peut pointer du doigt des jurisprudences absurdes, qui ne facilitent pas la tâche des services de l’Etat. Par exemple, dans une ordonnance du 3 février 2024, le juge des libertés et de la détention de Lille a ordonné la remise en liberté de sept étrangers en situation irrégulière sur le fondement d’un problème d’accès au téléphone, le droit prévoyant que les étrangers placés en CRA doivent disposer d’au moins un téléphone en libre accès pour 50 retenus, alors même que ces cabines téléphoniques ont été détériorées par les occupants du centre eux-mêmes17.
Pourtant, cette cause est très rarement citée alors que le défaut de délivrance des laissez-passer consulaires est davantage mis en avant. Le niveau de ces libérations est particulièrement préoccupant et peut être attribué à plusieurs facteurs : une procédure exagérément formaliste dont les agents procéduriers ne maitrisent pas toujours toutes les subtilités mais que les avocats spécialisés (financés par l’Etat) s’ingénient à démonter, une faible défense du contentieux par l’Etat lui-même et des magistrats peu motivés par les sujets migratoires. La libération par un JLD d’un étranger pour motif juridique lié à la rétention ne met pas fin pour autant à la situation irrégulière. Il importe que chaque libération donne lieu systématiquement à une assignation à résidence qui soit inscrite au fichier des personnes recherchées et fasse l’objet d’un suivi. Par ailleurs il est fréquent que des magistrats judiciaires assignent à résidence sans vérification préalable de l’existence d’un lieu réel d’hébergement. On voit ainsi des « sans domicile fixe » assignés à résidence ou encore des assignations à résidence dans un département différent de celui du tribunal judiciaire sans garantie de représentation.
De même, dans un arrêt du 7 janvier 2025, la Cour de cassation a fait savoir que la formule légale « 4 jours » de rétention administrative (appliquée à la décision de l’autorité administrative) ne signifie pas forcément 96 heures. En effet, celle-ci considère qu’il convient de décompter entièrement le premier jour de rétention, quelle que soit l’heure de notification, permettant ainsi de réduire la durée totale de la rétention18. Or, ce n’est pas un détail d’amputer une journée quand il s’agit d’exécuter une OQTF et de réunir l’ensemble des conditions nécessaires.
Il serait particulièrement utile que les préfets de département puissent accéder à la possibilité de déclarer un appel suspensif suite à une libération ordonnée par un juge des libertés et de la détention.
Il importe que le ministère de la justice (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui) rédige une circulaire destinée aux parquets afin de donner des axes d’une politique pénale à l’encontre de l’immigration irrégulière par exemple s’agissant des poursuites pour refus d’embarquer ou pour soustraction à une mesure d’éloignement par refus d’identification.
La formation et la professionnalisation sont les clés d’une amélioration significative des procédures liées au contentieux des étrangers. Il serait souhaitable également que les causes de nullité n’affectent la validité des procédures qu’en cas d’atteinte aux garanties procédurales substantielles.
3.2.2 La problématique de l’identification des étrangers
La deuxième principale cause d’échec relève de l’identification des étrangers : l’administration doit apporter des éléments probants relatifs à l’identité de la personne et à sa nationalité afin de prétendre obtenir un document de voyage auprès d’une représentation consulaire, permettant ainsi la réadmission d’un étranger en situation irrégulière. Il s’agit ici d’un véritable défi car l’administration ne dispose d’aucun moyen d’investigation dans le pays présumé et se trouve par là même à la merci du bon vouloir de son pays d’origine.
Quand de plus l’étranger lui-même fait obstacle à son identification par un refus de communiquer les informations utiles ou encore par un refus de prise de ses empreintes digitales, l’administration est confrontée à une impossibilité de donner suite.
Il existe également des difficultés opérationnelles liées à ce que l’on appelle « la carte consulaire » qui exige qu’un retenu relève de la compétence territoriale du préfet ayant émis une décision d’éloignement et non de celui de son lieu de rétention. Par exemple, un étranger interpellé dans le département du Nord et qui serait transféré au CRA de Lyon doit être présenté au consulat de Lille et non à celui du lieu de rétention. Cela oblige à des transferts pour des raisons purement bureaucratiques. Il est nécessaire de renégocier avec les représentations diplomatiques une modification de ces règles de compétences territoriales – avec, si besoin, une pression diplomatique au plus haut niveau.
Enfin, les formalités de demande de laisser-passer consulaires varient sensiblement d’un pays à l’autre voire d’un consulat à l’autre pour un même pays.
La difficulté n’est pas tant de plus interpeller mais de mieux éloigner malgré les efforts très importants réalisés tant par les services de police et de gendarmerie que par les préfectures.
Le système actuel est à bout de souffle et les personnels de l’État engagés dans la lutte contre l’immigration irrégulière s’épuisent et se découragent. Outre les moyens qui pourraient être réévalués, il est nécessaire de réfléchir à une nouvelle organisation de l’Etat eu égard à la masse de ce contentieux et à sa technicité.
Conclusion
La lutte contre l’immigration irrégulière repose sur 3 piliers, dont le 1er consiste à mettre en œuvre des contrôles aux frontières efficaces, le 2e à détecter les situations irrégulières sur l’ensemble du territoire et le 3e à mettre en œuvre des éloignements certains. En revanche, il conviendrait de réformer sans tarder la directive européenne « Retour » de 2008 et de transposer dans notre législation les dispositions les plus sévères (comme l’allongement de la durée maximale de rétention à 18 mois, ou la rétention et l’éloignement des mineurs étrangers).
Les outils disponibles ne permettent pas de relever les défis actuels et futurs. Les réponses doivent changer afin d’avoir un vrai impact sur les flux. Il faut aussi remettre en question notre organisation nationale, saturée par un contentieux massif. La rétention administrative doit retrouver tout son sens avec une réduction drastique des causes d’échec. Si nous ne le faisons pas l’inefficacité rendra notre territoire encore plus attractif et renforcera la crédibilité des solutions extrêmes.
Synthèse des recommandations
- Améliorer l’état du droit pour faciliter la rétention administrative
Porter la durée maximale de rétention administrative de 90 jours à 18 mois
Abaisser l’âge minimal de placement en rétention administrative à 16 ans pour les mineurs étrangers
Notre législation nationale ne permet pas, malgré la directive « Retour », de mettre en place une rétention administrative et un éloignement pour des mineurs non accompagnés. Cette réserve nationale est particulièrement préjudiciable même si politiquement sensible car elle favorise les flux de mineurs réels ou allégués frauduleusement. À l’instar de la réflexion sur la minorité pénale il serait utile d’abaisser la minorité en matière de législation sur les étrangers à l’âge de 16 ans – alors même que le législateur a récemment interdit le placement en rétention administrative pour les mineurs étrangers.
Étendre la procédure spécifique de rétention administrative des étrangers condamnés définitivement pour des faits de terrorisme aux étrangers connus pour activité terroristes mais non condamnés à ce titre
Il existe une procédure spécifique de rétention administrative pour les étrangers condamnés définitivement pour des faits de terrorisme dans le CESEDA, qui atteint 210 jours. Le CRA de Lille accueille cette population particulière. Cependant, les étrangers connus pour activité terroriste mais non condamnés à ce titre sont retenus dans les centres de droit commun. Il conviendrait dès lors de réviser les articles L 742- 6 et suivants du CESEDA afin d’étendre leur champ d’application à ces derniers.
Généraliser à l’ensemble du pays la possibilité de mettre à exécution une OQTF pour un étranger placé en CRA, sans que le recours ne soit suspensif (comme à Mayotte)
Certaines mesures mises en œuvre en Outre-Mer mériteraient d’être transposées en métropole. Par exemple, à Mayotte, il est possible de mettre à exécution l’OQTF d’un étranger placé en CRA, sans que son recours ne soit suspensif.
Encadrer le rôle du JLD dans les CRA en matière de libération des retenus
- Augmenter le nombre de motifs permettant de prolonger la rétention administrative des étrangers (ceux-ci se restreignant pour l’administration au fur et à mesure des renouvellements) ;
- Permettre aux préfets de départements de faire un appel suspensif suite à une ordonnance de libération d’un retenu par un juge des libertés et de la détention ;
- Faire en sorte que les causes de nullité n’affectent la validité des procédures qu’en cas d’atteinte aux garanties procédurales substantielles.
Développer les éloignements aidés ou volontaires de façon ciblée au regard du profil des personnes pour alléger la charge pesant sur le processus de rétention qui est lourd, coûteux voire aléatoire compte tenu des nombreuses causes d’échec
Rédiger une circulaire du Ministère de la Justice aux Parquets afin de fixer les grands axes d’une politique pénale à l’encontre de l’immigration irrégulière
Par exemple s’agissant des poursuites pour refus d’embarquer ou pour soustraction à une mesure d’éloignement par refus d’identification.
- Améliorer les moyens humains et matériels dédiés à la rétention administrative
Dresser un plan de construction plus ambitieux des centres de rétention administrative à l’échelle nationale
- Porter l’objectif de capacité d’accueil des CRA à 15 000 places ;
- Réaliser des CRA de 100 places maximum afin d’assurer une meilleure sécurité en leur sein. Plusieurs CRA de 100 places peuvent être juxtaposés afin de mutualiser les charges de fonctionnement.
La taille minimale d’un CRA devrait être de 80 places ;
- Définir un cadre juridique spécifique « projet d’intérêt national » (procédure JO) pour faciliter la construction des CRA face aux réticences des élus locaux et lever les obstacles les plus fréquents.
Sécuriser l’intérieur et les abords des CRA pour faciliter le travail du personnel et dans l’intérêt des retenus eux-mêmes
- Mettre en place des caméras et des dispositifs de détection des personnes, limiter les accès au toit, installer des chambres de mise à l’isolement, entretenir le matériel ;
- Doter les CRA de matériels tels que des pistolets à impulsion électrique ou encore des matériels de rétablissement de l’ordre, compte tenu de la typologie des étrangers sortants de prison ou récalcitrants ;
- Réaliser systématiquement des diagnostics de sûreté par des personnels formés afin d‘effectuer des missions préventives, mais aussi correctives suite à des incidents majeurs.
Doter et équiper correctement les antennes ou annexes médicales des hôpitaux locaux afin d’éviter des transferts et gardes à l’hôpital
Créer un corps spécifique de policiers auxiliaires dédiés à la rétention administrative, afin de renforcer l’attractivité du métier
Former et professionnaliser davantage les personnels pour améliorer les procédures liées au contentieux des étrangers
- Améliorer l’organisation de la rétention administrative
Généraliser les Pôles interservices d’éloignement (PIE) à l’ensemble des CRA et élargir leurs prérogatives pour professionnaliser la mission d’éloignement
Comme évoqué dans la présente étude, des pôles interservices d’éloignement (PIE) ont été expérimentés avec succès dans certains CRA, afin de décharger les préfectures de certaines missions chronophages et professionnaliser la mission d’éloignement. L’idée serait donc de généraliser ces pôles à l’ensemble des CRA, et le cas échéant d’élargir leurs prérogatives.
Confier la procédure d’éloignement à des « Pôles régionaux du Retour »
L’organisation actuelle de l’État en matière de législation sur les étrangers repose sur le principe de la compétence des préfets de département. Il conviendrait donc de bâtir des équipes expérimentées, formées, disponibles 7 jours sur 7 dans un cadre supradépartemental c’est-à-dire au niveau régional ou zonal, afin d’appuyer les préfets de département dans les différentes démarches liées à un éloignement.
Ces pôles d’excellence réhausseraient le niveau d’expertise et assureraient un pilotage fin du processus d’éloignement y compris pendant la rétention administrative sous l’autorité d’un préfet délégué à l’immigration. Le préfet de département resterait totalement responsable des procédures engagées et bénéficierait de l’appui d’équipes d’agents préfectoraux et de policiers aux frontières dédiés à la préparation des retours.
Ces pôles d’expertise du retour se concentreraient sur la recherche d’une place en rétention, la rédaction des arrêtés préfectoraux, le suivi juridique, l’asile en rétention, la préparation des recours et la défense au contentieux, la mise en place des escortes, la réservation des moyens de transport, l’identification consulaire etc..)
Un peu à l’image des pôles régionaux Dublin qui ont été généralisés sur l’ensemble du territoire national, on pourrait imaginer que la procédure d’éloignement soit confiée à ces Pôles Régionaux du Retour. Cette restructuration suppose bien évidemment de surmonter nos habitudes afin de trouver de nouvelles marges en termes de moyens et de donner du sens à l’action des acteurs mais aussi et surtout d’obtenir de meilleurs résultats.
La réforme programmée de la directive européenne « retour » ne peut être à elle seule un gage de succès si l’on ne réfléchit pas aussi à une nouvelle méthode de travail.
Renégocier avec les représentations diplomatiques une modification des règles de compétences territoriales
Il existe également des difficultés opérationnelles liées à ce que l’on appelle « la carte consulaire » qui exige qu’un retenu relève de la compétence territoriale du préfet ayant émis une décision d’éloignement et non de celui de son lieu de rétention. Par exemple un étranger interpellé dans le département du Nord et qui serait transféré au CRA de Lyon doit être présenté au consulat de Lille et non à celui du lieu de rétention. Cela oblige à des transferts pour des raisons purement bureaucratiques. Ainsi, il conviendrait de renégocier avec les représentations diplomatiques une modification des règles de compétences territoriales, avec, si besoin, une pression diplomatique au plus haut niveau.
Remplacer les associations militantes par des fonctionnaires de l’OFII en matière de conseil juridique des retenus dans les CRA, comme annoncé par le ministre de l’Intérieur
Pour aller plus loin
- Fernand GONTIER, La face cachée de l’immigration, éditions Baudelaire, 18 janvier 2024
- Rapport parlementaire de la députée Brigitte Klinkert, Avis présenté au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi de finances pour 2025 (n° 324) – Tome VII Immigration, asile et intégratioin, 16 octobre 2024
- Cour des comptes, « La politique de lutte contre l’immigration irrégulière », 4 janvier 2024
- Cour des comptes, « L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères », 5 mai 2020
Notes
- Rapport de la députée Brigitte Klinkert, avis présenté au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi de finances pour 2025 (n° 324), Tome VII Immigration, asile, intégration, 16/10/2024 ↩︎
- Idem ↩︎
- Cour des Comptes, La politique de lutte contre l’immigration irrégulière, janvier 2024, p. 14 ↩︎
- Cour des Comptes, La politique de lutte contre l’immigration irrégulière, janvier 2024 (synthèse), p. 17 ↩︎
- Cour des Comptes, Analyse de l’exécution budgétaire 2023 – Mission Immigration, asile et intégration,
Avril 2024, p. 28 ↩︎ - Idem ↩︎
- Rapport parlementaire de la députée Brigitte Klinkert, Avis présenté au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi de finances pour 2025 (n° 324) – Tome VII Immigration, asile et intégration, 16 octobre 2024
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/rapports/cion_afetr/l17b0459-tvii_rapport-avis# ↩︎ - Cour des Comptes, L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères, avril 2020, p. 24
https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-05/20200505-rapport-entree-sejour-premier-accueil-personnes-etrangeres_0.pdf ↩︎ - Cour des Comptes, La politique de lutte contre l’immigration irrégulière, janvier 2024, p. 84 ↩︎
- Cour des Comptes, La politique de lutte contre l’immigration irrégulière, janvier 2024 (synthèse), p. 17
https://www.ccomptes.fr/fr/documents/67931 ↩︎ - Le Figaro « Les associations d’aide aux migrants dans le viseur du ministère de l’Intérieur » 06/10/2024
https://www.lefigaro.fr/actualite-france/les-associations-d-aide-aux-migrants-dans-le-viseur-de-beauvau-20241006 ↩︎ - Cour des Comptes, L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères, avril 2020 (synthèse), p. 21 ↩︎
- Article L. 741-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ↩︎
- Rapport commun d’associations sur les centres et locaux de rétention administrative, année 2023, 30/04/2024 ↩︎
- Cour des Comptes, La politique de lutte contre l’immigration irrégulière, janvier 2024 (synthèse), p. 17 ↩︎
- Rapport parlementaire de la députée Brigitte Klinkert, Avis présenté au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi de finances pour 2025 (n° 324) – Tome VII Immigration, asile et intégration, 16 octobre 2024 ↩︎
- Le Figaro « Lille : la justice libère sept clandestins en rétention administrative, invoquant un problème d’accès au téléphone » 04/02/2024
https://www.lefigaro.fr/actualite-france/lille-la-justice-libere-sept-clandestins-en-retention-administrative-invoquant-un-probleme-d-acces-au-telephone-20240204 ↩︎ - Cour de Cassation, Première chambre civile – formation de section, 7 janvier 2025, Pourvoi n°24-70.008 ↩︎