Résumé
L’Observatoire de l’immigration a lu pour vous le dernier livre de Didier Leschi, haut-fonctionnaire et directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Ce livre, paru en novembre 2020, est par ailleurs mentionné dans notre bibliographie.
Directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) depuis fin 2015, Didier Leschi était depuis 2013 et jusqu’alors préfet pour l’égalité des chances auprès du préfet de la Seine-Saint-Denis. Militant communiste dans ses jeunes années puis proche de Jean-Pierre Chevènement, il a travaillé dans diverses administrations centrales et déconcentrées et s’intéresse en particulier aux questions relatives à la laïcité et à l’immigration.
L’auteur propose dans son livre une réflexion sur la situation migratoire en France et en Europe, ses enjeux et ses perspectives. L’un des principaux apports de ce livre réside dans les comparaisons européennes qu’il dresse en matière de politique migratoire et d’accueil des migrants : dans quasiment tous les domaines, il montre ainsi que la France est plus accueillante, généreuse voire parfois laxiste que ses voisins européens.
Que faut-il retenir de ce livre ?
Première partie : principales définitions et grandes tendances.
Didier Leschi commence tout d’abord par un rappel des définitions. Les immigrés appartiennent à différentes catégories : il y a les demandeurs d’asile et ceux qui en obtiennent le statut, les immigrés économiques, les familles avec le regroupement familial, les étudiants, les clandestins…
Il revient également sur certains éléments de contexte permettant de comprendre les grands enjeux autour de l’immigration, non seulement pour la France mais également pour l’Europe. Parmi ces éléments, il évoque l’évolution de la démographie mondiale. Ainsi, certaines projections démographiques prévoient 400 millions de Nigérians pour 2050, ce qui en ferait le premier pays anglophone devant… les États-Unis ! Plus généralement, l’Afrique était peuplée d’environ 300 millions de personnes au début des années 1960, au moment des indépendances des pays africains, et est aujourd’hui peuplée d’1,3 milliards d’habitants. Elle comptera, selon certaines projections, 4 milliards d’Africains en 2100, avec une population plus jeune qu’en Europe.
Didier Leschi évoque également la révolution des transports qui entraîne une circulation plus facile des hommes dans l’espace.
Enfin, il évoque la très forte attractivité du continent européen dont il qualifie les États de « pays-bulles enviés », qui attirent par leurs systèmes sociaux, de soin, l’éducation et les perspectives qu’ils offrent à leurs habitants. Il évacue d’ailleurs l’idée que l’Europe serait une forteresse fermée qui maltraiterait les migrants. « En 2017, l’ONU évaluait à près de 78 millions le nombre d’immigrants en Europe. Ils étaient 56,3 millions en 2000. Surtout, à plus de 38 millions le nombre d’immigrants nés dans un pays non européen contre 33,5 millions en 2014. » Il rappelle la manière dont sont traités certains migrants dans les pays africains : « En Algérie, sans autre forme de procès, la police peut vous déposer sans eau aux portes du désert en vous indiquant la direction du Sud. La Tunisie et le Maroc ne se comportent pas mieux. »
Deuxième partie : un niveau d’immigration inédit pour la France
Didier Leschi fournit, dans la deuxième partie de son livre, les bases de la discussion en décrivant les principales voies d’immigration pour venir en France. Il explique qu’aujourd’hui « les migrants nous choisissent plus qu’on ne les choisit ». Il rappelle la décomposition des 274 000 nouveaux titres de séjour délivrés en 2019 : 38 000 délivrances au titre du travail, 90 000 au titre des études, l’essentiel des flux étant réalisé par le regroupement familial.
Il revient ensuite sur l’enjeu de l’origine des immigrés qui met la société française face à un choc des cultures : « L’intégration est un processus d’acculturation à la société d’accueil. Soyons francs, il ne peut être le même pour un Tchétchène musulman que pour un Polonais catholique. » Si l’assimilation a été abandonnée par les élites politiques, Didier Leschi rappelle que l’intégration est également rendue plus difficile par le fait qu’avec internet, la télévision satellitaire, les écoles communautaires, etc., les immigrés et leurs descendants n’adoptent plus forcément la culture du pays d’accueil. Les écarts entre société d’origine et société française sont parfois très importants : « En Algérie, on peut être condamné à la prison à vie pour avoir possédé chez soi un Coran dont une des pages est déchirée, au Maroc pour avoir eu des relations extra-conjugales. Dans tous ces pays pour avoir mangé pendant la période du jeûne du ramadan. »
Didier Leschi revient ensuite sur l’importance très forte de l’immigration en France et son niveau inégalé jusqu’alors : « Depuis que les étrangers sont recensés, c’est-à-dire depuis le Second Empire, il n’y a jamais eu autant d’immigrés dans notre pays qu’aujourd’hui, entre 9 et 11% de notre population en fonction du mode de comptage. […] Quel que soit le mode de calcul, force est de reconnaître que la population immigrée est deux fois plus importante que dans les années 1930 ». Didier Leschi met également en lumière l’importance du nombre des enfants d’immigrés, ce qu’on appelle la « seconde génération » : « En ajoutant les enfants d’immigrés nés sur le territoire français, près du quart de la population française a un lien avec l’immigration. Aux USA, souvent pris en exemple comme grand pays d’immigration, c’est 26%. »
Didier Leschi évoque également le poids croissant de l’immigration extra-européenne, essentiellement issue d’Afrique et du Maghreb : « Vivent en France 10% des nationaux tunisiens, 90% de l’immigration algérienne présente en Europe a choisi la France. […] Enfin vit en France la plus grande diaspora marocaine d’Europe constituée de plus du tiers de ceux qui ont émigré et qui sont plus de 3 millions. ». « Près d’un résident sur dix en France a une origine africaine. »
L’un des éléments les plus intéressants de l’état des lieux dressé par le haut-fonctionnaire réside sans doute dans la mise en lumière de la concentration des populations d’origine immigrée sur certains territoires, concentration qui devrait naturellement s’accentuer en raison de la relative plus grande jeunesse de ces populations par rapport à celles non immigrées. Il prend notamment l’exemple de la Seine-Saint-Denis, 4e département le plus peuplé de France : « En Seine-Saint-Denis, 70% de la population est constituée d’immigrés et de descendants d’immigrés. […] A Aubervilliers, à la Courneuve, près d’un résident sur deux est un immigré. Plus de 8 jeunes sur 10 de moins de vingt-cinq ans y ont au moins un parent immigré. » Cette concentration de la population ne fait que renforcer les difficultés d’assimilation et d’intégration et creuse un fossé avec la société française.
Paris fait office d’exception au sein du territoire francilien : à Paris, à l’intérieur du périphérique, d’années en années, la part des immigrés diminue. « Paris, si l’on me permet l’expression, un peu osée, est une ville où la fraternité généreuse est la plus présente dans les cœurs et les affiches et la moins présente dans la réalité des faits. »
Pour connaître les principaux chiffres liés à l’immigration, n’hésitez pas à consulter ces deux articles de synthèse :
- L’immigration aujourd’hui : les données essentielles du débat – Partie 1 : les flux
- L’immigration aujourd’hui : les données essentielles du débat – Partie 2 : les stocks.
Troisième partie : la France beaucoup plus généreuse que ses voisins européens dans l’accueil des migrants et parfois laxiste
Didier Leschi s’intéresse dans la dernière partie de son livre aux conditions d’accueil des immigrés de tous types – droit commun, demandeurs d’asile et clandestins – et montre que les bonnes intentions débouchent très souvent sur un dévoiement des procédures. Il réalise des comparaisons européennes qui révèlent que, quasi-systématiquement, la France est plus généreuse que ses voisins.
Accueil des demandeurs d’asile
Le directeur de l’OFII explique tout d’abord que la France est moins sévère dans l’examen des situations des demandeurs d’asile : « Viennent à nous tous les perdants du système européen de l’asile, ceux qui ont été rejetés des pays où ils espéraient s’établir […]. Ils obtiennent chez nous plus facilement le statut de réfugié qu’Outre-Rhin, qu’en Suède, qu’en Norvège, qu’en Autriche, qu’au Danemark. »
Hébergement
Il explique ensuite que les conditions d’accueil sont beaucoup plus favorables en France que dans les autres pays européens : « A situation comparable, les demandeurs d’asile dans notre pays reçoivent une allocation supérieure à celle qui est versée dans la plupart des pays d’Europe. […] En Allemagne, une personne hébergée par l’État reçoit 135 euros, en France 204 euros. […] En Italie, une personne non hébergée par l’État ne reçoit aucune allocation. En France, elle touche 426 euros par mois. »
La France fait beaucoup en matière d’hébergement des demandeurs d’asile mais également des clandestins. Didier Leschi explique que l’action de l’État est jugée insuffisante par certaines associations alors qu’en réalité celui-ci fait beaucoup mais il se heurte à des flux migratoires beaucoup plus importants. Là encore, l’auteur se livre à des comparaisons européennes très intéressantes. « […] en plus des places qui leur sont réservées, les demandeurs d’asile accèdent aux hébergements d’urgence que notre législation permet d’ouvrir plus rapidement que ceux, très normés, des centres d’accueil. A l’inverse de ce qui se pratique en Italie, en Grande-Bretagne, en Finlande ou encore au Danemark, nous mettons à l’abri sans condition. »
Il évoque l’hébergement inconditionnel auquel ont notamment droit certains immigrés, même clandestins : « Nous appelons cela l’ « hébergement inconditionnel ». C’est une notion que nous sommes le seul pays à avoir inscrite par la loi comme un droit imprescriptible. C’est un hébergement gratuit sans limite de durée. Il peut concerner tout autant des demandeurs d’asile, des sans-papiers, des résidents en difficulté sociale. Il n’est pas rare que des sans-papiers y soient hébergés pendant des années. En octobre 2020, tous les soirs, l’État mettait ainsi à l’abri plus de 176 000 personnes. […] En 2020, l’État consacre 3 milliards d’euros pour l’abri d’urgence [contre] 1 milliard en 2006. »
En ce qui concerne les campements, Didier Leschi montre également la façon dont la France se singularise par ses largesses et parfois même ses contradictions puisque de nombreuses associations financées par de l’argent public contribuent de facto à nourrir certains phénomènes : « Nous fermons les yeux quand des associations, dont certaines subventionnées par l’État, distribuent des tentes pour que des migrants puissent occuper une place, un trottoir ou un jardin. Il n’y a qu’en France que la police rend ces mêmes tentes à ces associations, une fois les personnes évacuées vers des hébergements pérennes, pour qu’elles puissent organiser quelque temps plus tard un nouveau campement. […] En Angleterre, mendier ou laver ses affaires dans la rue constituent des délits. Dormir dans la rue peut entraîner votre expulsion du pays. »
Aide médicale d’État (AME)
Concernant l’aide médicale d’État, les choses sont mieux connues. Didier Leschi rappelle néanmoins que l’AME est une couverture santé pour les clandestins qui prend en charge gratuitement « bien plus que les situations d’urgence. Elle donne accès à un panier de soins quasi-équivalent à celui des résidents. […] Sont seulement exclues de ce panier les cures et la procréation médicalement assistée. » Là encore, il se livre à une comparaison européenne utile puisque « Dans l’ensemble des pays européens, au-delà de l’urgence où la vie de la personne serait en danger, un sans-papier ne peut prétendre à la même gratuité des soins. »
Citoyenneté et d’octroi de la nationalité
Didier Leschi revient par ailleurs sur la question de la citoyenneté et montre qu’une partie importante des immigrés des dernières décennies ont acquis la nationalité française. Cela explique que certains démographes peu scrupuleux arrivent à dire que le nombre d’étrangers demeure relativement stable dans notre pays. C’est vrai car « depuis des décennies, entre 100 000 et 150 000 personnes acquièrent chaque année la nationalité française. Nous sommes plus ouverts que bien d’autres. » Nous avons consacré un article à la nationalité française : tant l’octroi de la nationalité à la naissance que les différentes procédures d’acquisition de la nationalité sont beaucoup plus aisés que dans d’autres pays. Comment se passent les choses chez nos voisins ? « En Espagne, aux Pays-Bas et dans d’autres pays de l’Union, celui qui souhaite acquérir la nationalité doit renoncer à la sienne. »
Pour poursuivre la question : notre article sur l’acquisition de la nationalité française
Jusqu’où ? L’exemple des clandestins.
Le patron de l’OFII pose en guise de conclusion une question évidente – jusqu’où ? – à laquelle il répond avec pragmatisme : « Qu’est-ce que l’hospitalité ? Je n’hésite pas à répondre crûment, une hospitalité pour tous est une hospitalité pour personne. »
Le haut-fonctionnaire prend l’exemple des clandestins. 24 000 personnes ont été reconduites dans leur pays de manière forcée en 2019 tandis que 35 000 clandestins ont été régularisés. « C’est encore un domaine où la France est en réalité moins dure que ses voisins. Dans notre pays, le séjour irrégulier n’est plus un délit depuis 2012 et l’aide au séjour irrégulier, qui est fait [sic] de manière altruiste par des militants […], n’est plus punissable. » Il prend l’exemple de la rétention administrative : « La rétention pour que l’administration puisse préparer le renvoi d’un clandestin peut durer un an en Angleterre, six mois en Allemagne, être illimitée au Japon… Elle ne peut dépasser quatre-vingt-dix jours en France. Dans les faits, elle dépasse rarement les vingt jours et demeure en permanence sous le contrôle du juge de la liberté et de la détention. »
Les raisons pour lesquelles les clandestins ne sont pas renvoyés dans leurs pays sont bien connues : les pays d’origine rechignent à récupérer les leurs et à fournir les laissez-passer consulaires (LPC), documents nécessaires au retour des clandestins. C’est pourquoi la France tente de favoriser les retours dits volontaires avec des dispositifs incitatifs voire… très incitatifs : « Nous donnons une prime à celui qui « retrouvera » son passeport, 150 euros, ce qui évitera de devoir demander un laissez-passer consulaire (LPC). Nous offrons jusqu’à 1 800 euros pour que l’étranger en situation irrégulière accepte de prendre l’avion. Plus, nous construisons avec l’intéressé son projet de retour volontaire. Nous lui proposons de prendre en charge, pendant plusieurs mois, une partie du salaire qui éventuellement l’attend ou qu’il trouvera. Nous pouvons investir pour lui jusqu’à 10 000 euros dans son pays, une somme qui pourra lui permettre de monter une activité, un commerce, un élevage, une entreprise. »
Didier Leschi évoque enfin un exemple concret qui fera réfléchir le lecteur : « Dès que la police contraint un étranger à intégrer un centre de rétention afin de préparer son départ, elle le présente immédiatement à une association subventionnée par l’État censée l’aider à faire valoir des droits qui auraient encore échappé à l’administration. Nous subventionnons ainsi une activité dont le but avoué est d’éviter que la reconduite puisse être menée à son terme. »
Pour conclure, saluons le travail de Didier Leschi et l’écriture de ce livre courageux et sans langue de bois alors que son auteur est préfet en exercice : il prend ainsi le risque de critiquer les politiques publiques qu’il doit appliquer. L’ouvrage est par ailleurs clair, synthétique (56 pages) et abordable (3 euros 90).
Le lecteur pourra néanmoins être quelque peu déçu en raison du faible nombre de recommandations concrètes formulées – même si l’auteur annonçait d’emblée en rester aux faits dans le livre – ainsi que de l’absence d’évocation de certains enjeux – notamment les obstacles juridiques qui empêchent à l’heure actuelle de mieux maîtriser l’immigration. Certains considèreront enfin que, sous la direction de Didier Leschi, l’OFII participe aussi aux dérives qu’il pointe dans son ouvrage (connivence avec les associations, sanctions très faibles du non-respect du contrat d’intégration républicaine – comme l’a dénoncé la Cour des Comptes dans un rapport en avril 2020).