Grand entretien : Jean-Paul Gourévitch et la mesure des coûts de l’immigration

 Jean-Paul Gourévitch est écrivain, essayiste et universitaire. Il a notamment enseigné l'image politique et l’histoire de la littérature à l'Université Paris XII. Il est l’auteur d’une soixante-dizaine d’ouvrages, dont les principaux thèmes se rapportent à la littérature, à l’Afrique et à l’immigration. Il est en particulier reconnu pour ses travaux relatifs aux coûts de l’immigration.

OID (Observatoire de l’immigration et de la démographie) : À partir des années 2000, vous avez publié plusieurs études relatives aux coûts de l’immigration, dont nous avons repris les principales conclusions dans notre article consacré à ce sujet. Avez-vous rencontré des difficultés pour accéder aux données publiques nécessaires à la conduite de ces travaux ?

Jean-Paul Gourévitch : Au cours de mes 26 ans de mission d’expertise en Afrique, j’ai été amené à me pencher très tôt sur les questions de migrations que je vivais au quotidien. Mais je n’avais ni les données ni les compétences nécessaires pour les traiter de façon scientifique et dépassionnée. Au bout de 10 ans, dans mon premier ouvrage L’Afrique, le fric, la France (1997), j’ai commencé à aborder timidement la question par le seul biais de l’immigration subsaharienne francophone, me réservant le droit d’y revenir ultérieurement.

À l’époque, nous disposions principalement que des données de l’INSEE et de l’INED sur les étrangers et les immigrés, de celles de la Direction de la Population et des Migrations sur les naturalisations, de celles de l’OMI pour les entrées, de celles de l’OFPRA pour les réfugiés et demandeurs d’asile, de celles du Ministère de l’Intérieur et de celui de la Justice. Ces statistiques n’étaient pas cohérentes ente elles, minoraient les flux et les stocks et ignoraient les migrants en situation irrégulière.

En face, si l’on ose dire, Pierre Milloz avait publié, entre 1990 et 1996 aux Éditions Nationales, divers ouvrages sur le coût de l’immigration et une synthèse en 1997 intitulée L’Immigration sans haine ni mépris, sous-titrée « les chiffres que l’on vous cache », mais dont chaque haut de page paire portait la mention « L’immigration, une malchance pour la France ». L’année suivante, Michèle Tribalat et Pierre-André Taguieff, dans Face au Front National : arguments pour une contre-offensive (La Découverte) se lançaient dans une contestation systématique des chiffres du FN mais finissaient par y renoncer, en argumentant (p. 83) :

« Il n’est donc pas utile de poursuivre le bilan comptable jusqu’au bout en reprenant la "démonstration" pied à pied, d’autant que les informations disponibles se raréfient lorsqu’il s’agit d’évaluer le coût des services publics dont « profitent » les étrangers et que… c’est l’ensemble de la question posée par Pierre Milloz (celle du coût de l’immigration NDLR) qui se révèle privée de sens. »

Bref, le chantier du coût de l’immigration était gigantesque, les données malaisément disponibles et les coups à prendre de tous côtés bien plus nombreux que les encouragements à recevoir.

OID : Que pensez-vous de la qualité des données publiques relatives aux coûts de l’immigration en France ?

Jean-Paul Gourévitch : En décembre 1989, Michel Rocard avait institué un « Haut Conseil à l’Intégration » chargé de l’harmonisation, du contrôle, et de la publicité des informations sur l’immigration et l’intégration. Ce Haut Conseil a été complété en 2004 par un Observatoire des Statistiques de l’immigration et de l’Intégration qui n’a jamais fonctionné. Le Haut Conseil à l’Intégration a été supprimé en décembre 2012. Plus aucun organisme indépendant de collecte et de validation n’existe sur l’immigration, ni l’expatriation, ni les coûts pour les contribuables de ces phénomènes actuels tous deux en expansion. Ceci a permis au début du XXIe siècle aux fake news d’inonder la toile, à des experts autoproclamés ou à des militants peu soucieux de la véracité de leurs sources d’avancer des estimations à la louche sans être contredits, et aux journalistes de la pensée dominante de psittaciser ces informations, en les accompagnant de trémolos sur la détresse de ceux qui avaient eu le tort d’avoir foi en la France des droits de l’homme. Les autres étaient systématiquement accusés d’être « nauséabonds », de « stigmatiser » les populations immigrées, ou de « rouler pour la fachosphère ».

La situation est en train de changer. La question des coûts de l’immigration n’est plus taboue. Elle est loin la période où les grands médias, s’appuyant sur une étude de 2010 de Xavier Chojnicki qu’ils instrumentalisaient, proclamaient que « l’immigration rapporte 12 milliards à la France ». Plus personne n’ose avancer qu’en France l’immigration, dans l’ensemble de ses dimensions, est financièrement bénéfique. Des experts de tous bords politiques ou indépendants, en France et à l’étranger, s’efforcent de clarifier les zones d’ombre en élargissant ces coûts à toutes les formes de recettes et de dépenses qui devraient y figurer. Plus globalement les connexions entre immigration irrégulière, délinquance d’origine étrangère et islamisme radical commencent à être explorées. Même si le « padamalgam » reste la ligne rouge au-delà de laquelle votre mise en examen réclamée par les associations droitsdelhommistes et la suppression de vos comptes facebook, twitter et autres est un risque majeur.

OID : Comment expliquez-vous plus généralement les différences d’appréciation des coûts de l’immigration selon les études publiées sur le sujet, même provenant d’organismes publics comme l’OCDE et le CEPII ? Plus généralement, quelle serait, selon vous, la méthode idéale pour apprécier les coûts de l’immigration en France ?

Jean-Paul Gourévitch : Il n’y a pas de méthode idéale. Le CEPII, irrigué notamment par les études de Xavier Chojnicki et de Lionel Ragot publiées en 2018, ne s’est attaché qu’à la période 1979-2011 où il mentionne néanmoins un déficit pour toute la période qu’il situe entre 0,2 et 0,5% du PIB. Les économistes « de gauche », comme François Gemenne ou l’OCDE, positionnent le déficit annuel de l’immigration pour l’État français entre 4 et 15 milliards d’euros. Ceux « d’extrême droite », comme André Posokhow, Gérard Pince ou Yves-Marie Laulan, évoquent des fourchettes allant de 70 à 90 milliards. Tous sont en désaccord sur les sources et les paramètres utilisés.

La première démarche scientifique est quantitative. Elle consiste à expliciter les données disponibles sur le nombre d’immigrés au sens du Haut Conseil à l’intégration (nés à l’étranger de parents étrangers) et le nombre de personnes d’origine étrangère (descendants directs d’un couple de deux immigrés et d’un couple mixte). Dans ce dernier cas, un débat existe effectivement pour savoir s’il faut compter le descendant à part entière ou pour 50% (ce qui est ma position).

À noter que pour le calcul des coûts de l’immigration, le problème des étrangers n’est pas une variable pertinente. Les immigrés devenus Français et les immigrés restés étrangers sont tous des immigrés. Ce n’est pas parce qu’un immigré acquiert la nationalité française que son attitude se modifie. Ainsi, comme la presse grand public le fait, décompter la proportion de délinquants étrangers en occultant ceux des délinquants qui ont la nationalité française et leurs enfants devenus Français qui commettent des délits, c’est camoufler une réalité que connaissent bien ceux qui en souffrent, développer la méfiance vis-à-vis de l’information officielle et peut-être également la xénophobie dans une partie de la population qui constate qu’on lui cache la vérité.

Ces données doivent être en priorité celles qui figurent dans les statistiques officielles récentes et non pas celles qui datent de 5 ou 10 ans. Ainsi Didier Leschi, directeur général de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration, auteur de la publication Fondapol Migrations : la France singulière (octobre 2018), avance qu’il y a 11% d’immigrés en France et que si l’on ajoute les descendants directs nés de deux parents étrangers ou d’un couple mixte, c’est « près d’un quart de la population française qui a un lien direct avec l’immigration ».

Enfin, on ne peut pas faire comme si l’immigration irrégulière n’existait pas. Les diverses estimations situent cette population entre 300 000 et 1 500 000 hors Mineurs Non Accompagnés, dont la progression en France est exponentielle. Une fourchette ou plutôt un râteau dont les dents peuvent être cependant resserrées.

La seconde démarche scientifique est qualitative et doit lister les paramètres qui tiennent compte des recettes et des dépenses générées par cette population d’origine étrangère. On ne peut pas, comme Chojnicki et Ragot dans leur ouvrage On entend dire que l’immigration coûte cher à la France (Les Echos, Eyrolles 2012), se contenter d’une règle de 3, comme si les recettes apportées à la communauté nationale par la population d’origine étrangère étaient directement proportionnelles à celle de la population autochtone. Il faut aller plus finement dans l’analyse.

D’un côté il y a les recettes fiscales et sociales locales et nationales générées par les immigrés, la participation par leur consommation à la TVA et à la TICPE mais aussi la contribution par leur travail à l’augmentation du PIB de la nation.

De l’autre, il faut compter les dépenses sociales de toute nature (emploi-réinsertion, santé, vieillesse, survie, famille, pauvreté-exclusion allocations, aide au logement, etc.) mais aussi les coûts structurels, sociétaux, fiscaux, éducatifs et sécuritaires.

Enfin, il faut ajouter les coûts spécifiques à l’immigration irrégulière tant en recettes (consommation et travail) qu’en dépenses (demandes d’asile, hébergement, scolarisation, reconduites…) et en séparant les coûts spécifiques (type reconduites), des coûts partagés avec l’immigration légale (type demande d’asile) et des coûts proportionnels (type consommation).

De mon point de vue - mais je suis minoritaire sur la question -, il faut mentionner également les investissements faits pour cette population et ses descendants directs par l’État, tant extérieurs (part de l’aide au développement destinée à freiner la demande de migration) qu’intérieurs (alphabétisation, éducation, formation, politique de la ville, soutien des associations de migrants…) et mesurer leur rentabilité à court et moyen terme.

Cette question est donc complexe et ne peut être portée que par un observatoire général de l’immigration, indépendant et diversifié, qui ne doit pas viser un consensus impossible tant le sujet est clivant, mais contribuer à un débat dépassionné listant les points d’accord et ceux de désaccord, comme le font parfois les commissions d’enquête du Sénat ou celles de l’Assemblée Nationale, pour faciliter un état des lieux permettant à chacun de construire son opinion en connaissance de cause. Cela fait dix ans que nous portons cette revendication et encore récemment en mars 2018 dans le memorandum de Contribuables Associés sur la loi Macron sur l’immigration envoyé à tous les députés et sénateurs. Sans aucun succès sinon d’estime. Si votre observatoire constituait une première réponse, ce ne pourrait être que bénéfique, à condition de développer sa visibilité.

Si j’osais ajouter deux lignes à cette réponse déjà longue, je souhaiterais que cet organisme prenne en charge l’ensemble du coût des migrations, c’est à dire également celui de l’expatriation des citoyens français, ouvre des fenêtres sur ce qui se fait à l’étranger, et s’intéresse particulièrement aux étudiants étrangers qui représentent aujourd’hui, devant les migrations familiales, le flux le plus important d’immigration légale. Quelle rentabilité pour quel coût ? J’ai fait des propositions en ce sens au Ministère des Affaires Étrangères, de l’Enseignement Supérieur et de la recherche, à Campus France et à la future Cité de la francophonie. Quand par chance on me répond, c’est pour me dire que je devrais m’adresser ailleurs…

OID : En 2008 vous concluiez à un coût de l’immigration de 36,4 milliards d'euros (1,96% de PIB) en France. En 2017, vous avez fait descendre ce chiffre à 17,7 milliards (0,8% de PIB). Comment expliquez-vous cette baisse ?

Jean-Paul Gourévitch : Sur ce point vous avez raison. Cette baisse n’est pas justifiable. Je m’en suis expliqué dans plusieurs articles à partir de 2010 que je résume ici brièvement. Ma monographie n° 14 de mars 2008 pour Contribuables Associés sur « le coût réel de l’immigration en France » qui rappelait que tous les chiffres sont à consommer avec modération, ambitionnait de faire une première évaluation comparée de l’ensemble des recettes et des dépenses générées par la population immigrée et issue directement de l’immigration, destinée à être actualisée en tant que de besoin.

Dans ces 72 pages s’est malheureusement glissée une erreur de taille, l’oubli de la différence entre les contributions sociales des employeurs français employant des immigrés et celles des employeurs immigrés. Je ne l’ai pas vue immédiatement, puis alerté par des lecteurs autant que par des contradicteurs, je me suis efforcé de la corriger notamment dans la monographie n° 27 de novembre 2012 pour Contribuables Associés : « L’immigration en France : dépenses, recettes, investissements, rentabilité ». Mais le mal était fait et certains de mes contradicteurs comme David Doucet (Les Inrocks) n’en ont tenu aucun compte et continuent à me présenter dans Google comme « le chercheur préféré de l’extrême droite ». Première référence sur Google quand on tape mon nom. J’ai plusieurs fois demandé aux Inrocks un droit de réponse et à Google qu’on supprime cette référence obsolète devenue diffamatoire, sans grand succès jusqu’à présent.

Au-delà de cet écart dommageable, la question des coûts des migrations ne peut être abordée s’il n’y a pas une actualisation permanente des coûts qui ne peut être faite en permanence. De ce point de vue, le chiffre de 17,7 milliards que vous citez pour 2017 (Les véritables enjeux des migrations, Éditions du Rocher) et que j’assume, est aujourd’hui dépassé tant en raison de l’augmentation du nombre d’immigrés légaux et irréguliers, que de l’arrivée massive des MNE, de l’explosion des dépenses sociales, sociétales et sécuritaires , des modifications de la courbe du chômage, de la prolifération de la fraude dans toutes ses dimensions dont les immigrés et leurs descendants ne sont évidemment pas les seuls responsables. J’envisage de faire une actualisation en 2021 ou 2022 mais c’est un travail colossal, chronophage et quasiment bénévole, même si les données sont aujourd’hui un peu plus disponibles.

OID : Avez-vous subi des pressions ou une forme d’exclusion dans les médias et le milieu universitaire à la suite de la publication de vos travaux relatifs aux coûts de l’immigration ?

Jean-Paul Gourévitch : L’ostracisme dont je suis victime ne date pas d’hier. Alors que les organismes internationaux continuent à faire appel à moi comme une source fiable de l’information sur les migrations, je pourrais faire un inventaire des médias nationaux qui m’ont systématiquement occulté. Je n’ai jamais été invité à une seule émission de France Culture depuis 1998, de RFI depuis 10 ans, n’ai pas eu l’honneur d’une chronique voire d’une simple mention de mes travaux dans Télérama ou dans l’Obs, qui m’a d’ailleurs fait savoir par sa directrice adjointe de l’époque que, quel que soit le sujet que je traiterai, je suis dorénavant sur liste rouge.

Mais surtout au cas où certains l’ignoreraient, j’ai été victime d’un « bashing médiatique » à la sortie de l’ouvrage Les Migrations sur les Nuls (First, septembre 2014). Je me permets d’y revenir. Le jour même de la parution, un article venimeux et diffamatoire de Charlotte Plantive de l’AFP a été repris immédiatement par 51 journaux de la presse écrite, audiovisuelle et du net qui n’ont ni lu l’ouvrage, ni consulté l’auteur et l’éditeur. Cet article tentait de me situer très à droite, s’attardant sur les organismes de cette mouvance qui me demandaient des interviews - je les donne à qui le souhaite mais exige qu’on ne déforme pas mes propos -, oubliait les organismes de gauche pour lesquels d’intervenais (LICRA de Toulouse, Metz, Besançon, SOS-Racisme…) et où je continue d’intervenir, comme Solidarité Internationale dont j’ai coordonné scientifiquement l’exposition sur la « Caravane de la Mémoire » (à partir de 2015) et l’ouvrage sur Les Forces Noires Africaines pendant, avant et après la Grande Guerre (SPM, décembre 2018). Pour étayer scientifiquement ses dires, la journaliste s’était appuyée sur trois spécialistes très à gauche, Virginie Giraudon de Sciences-Po dont on connaît les engagements, François Héran qui, sans avoir ouvert probablement l’ouvrage pas encore en librairie, y a découvert une « théorie du complot » (!!) et Benjamin Stora qui a eu le courage de me présenter ses excuses six mois après, pour avoir été instrumentalisé par une question de la journaliste alors qu’il n’avait pas ouvert l’ouvrage. Elle aurait pu s’adresser à Michèle Tribalat ou à Gérard-François Dumont, mais la réponse ne lui aurait probablement pas convenu. Bref, une partie des libraires ont renvoyé immédiatement les offices à l’éditeur, « pour ne pas polluer l’esprit de mes lecteurs » a commenté l’un d’entre eux ; d’autres l’ont soigneusement camouflé derrière les rayons, « mais si on nous le demande, nous le fournirons » (FNAC Italie) ; le procès intenté par mon avocat contre l’AFP et deux des journaux qui avaient relayé cette information n’a eu que des résultats mitigés et m’a coûté beaucoup plus cher que mes droits d’auteur mais l’honneur n’a pas de prix. Les médias qui m’invitaient régulièrement pour commenter l’actualité (BFM TV, France 24, LCI) se sont systématiquement décommandés. Et si le directeur de la collection First de l’époque m’a effectivement soutenu, le « grand patron » de la maison ne voulait pas « se brouiller avec l’AFP » pour quelqu’un qui n’était qu’un des auteurs d’une des collections de sa maison. L’ouvrage a d’ailleurs été pilonné peu de temps après sans que j’en aie été averti, mais, grâce à l’intervention de la Société des Gens de Lettres, je me suis donné le petit plaisir d’obliger la maison à retirer et me livrer à leurs frais quelques dizaines d’exemplaires.

Ce qui est extraordinaire, c’est que, quand vous êtes blacklisté pour un ouvrage, c’est toute votre œuvre qui en subit le contrecoup. Ainsi, Le Monde dont un des chroniqueurs au salon du livre de Montreuil avait encensé mon Abcdaire illustré de la littérature jeunesse, premier dictionnaire de cette littérature du XVIe siècle à nos jours en France et dans tous les pays du monde, publié après de 40 ans de travail, n’y a pas consacré une ligne, pas plus qu’à mon Tour du Monde en 80 cocktails illustré de 80 aquarelles de Pierre Estable (prix Spirit Bas 2015), à La Méditerranée, conquête, puissance, déclin, finaliste du prix Méditerranée, ou à Grilles Mortelles, mon premier polar interactif à coups de mots croisés. Cette affaire, sur laquelle je me suis suffisamment attardé, dépasse en fait largement mon cas personnel et fait partie des dénis de l’information dont la pensée dominante est coutumière. J’en profite donc pour remercier ceux qui m’ont accordé ça ou là un droit de réponse : Le Point, Challenges, La Croix, Le Courrier de l’Atlas, Rue 89, Charlie-Hebdo… et Mediapart.

OID : Dans vos travaux, vous essayez de prendre en compte la fraude dans le calcul des coûts de l’immigration. À la suite des révélations du magistrat Charles Prats sur la fraude sociale, pensez-vous que ce phénomène ait été sous-estimé, par vous et par d’autres ?

Jean-Paul Gourévitch : J’ai évidemment acheté et lu Le cartel des fraudes de Charles Prats (Ring 2020), ainsi que les études de la Cour des comptes et le rapport Goulet-Grandjean qu’il cite largement. Je suppose que ce travail, qui porte essentiellement sur la fraude sociale qu’il évalue à 50 milliards par an et dans lequel il détecte 5 millions de fraudeurs, n’est que le premier volume d’une collection dans laquelle il reviendra plus largement sur la fraude documentaire, et abordera également la fraude fiscale, la fraude sociétale, etc. J’ai moi-même démontré que la simple fraude aux transports de la RATP en Ile-de-France (Les Dossiers du Contribuable N° 13 juin-juillet 2013), coûtait plus de 2,5 milliards par an aux seuls contribuables franciliens.

Ces chiffres sont évidemment largement supérieurs à mes estimations de 2012, mais ils ne concernent pas que les seuls immigrés et leurs descendants. Nous sommes en présence d’une croissance exponentielle de la fraude qu’il faut aussi lier à la disparition progressive de l’État de droit, à l’incapacité de notre système de contrôle de faire respecter les lois qu’il a votées, et à une acceptation progressive par l’opinion publique de l’utilité sociale de la fraude. J’y reviendrai sans doute plus largement dans un prochain ouvrage, quand Charles Prats aura poursuivi et publié ses nouvelles investigations.

OID : Pensez-vous que la question des coûts de l’immigration soit aujourd’hui prise au sérieux par nos dirigeants administratifs et politiques ?

Jean-Paul Gourévitch : Question difficile qui demanderait de très longs développements et à laquelle j’aurais tendance à répondre par une boutade : « aujourd’hui un peu plus qu’hier et bien moins que demain ».

OID : Pensez-vous que les Français sont aujourd’hui bien informés sur les enjeux de l’immigration, notamment financiers ?

Jean-Paul Gourévitch : Toutes les enquêtes et sondages effectués récemment montrent que globalement - et peut-être encore plus maintenant, du fait de la pandémie et de ses conséquences psychologiques, économiques, sociales, sociétales et géopolitiques -, l’aspect financier des migrations l’emporte dans l’opinion publique sur son aspect émotionnel et idéologique.

Si l’on examine l’enquête IFOP du JDD du 02/12/2018 faite avec le concours de l’American Jewish Committee et de la Fondation Jean-Jaurès, on constate que près de trois quarts de sondés, toutes opinions confondues, considèrent que l’immigration coûte à la France plus qu’elle ne rapporte et que 70% estiment que le pays n’a plus les moyens d’accueillir de nouveaux immigrés. Si l’on rapproche les aspects financiers des considérations sociétales et idéologiques, deux tiers des sondés estiment que l’immigration a un effet négatif en matière de délinquance et de sécurité et un peu plus de la moitié pensent même qu’elle augmente le terrorisme. La comparaison de cette enquête à celle faite deux ans auparavant par le même organisme montre la radicalisation de l’opinion.

Une analyse plus fine en fonction des préférences politiques montre que l’aspect négatif du coût économique est mentionné par 88 à 89% des sympathisants des Républicains et du RN, alors que les sympathisants LREM sont plus partagés, se rapprochant parfois des militants de gauche, plus nombreux à considérer que les coûts sont positifs ou que cette question est secondaire. Cette « droitisation » de l’opinion publique sur l’immigration ne prouve pas que les Français sont bien informés sur ses enjeux financiers car les amalgames et schématisations sont nombreux dans les réponses. Elle traduit néanmoins une évolution sur deux points : le travail des experts n’a pas été totalement inutile, mais un débat dépassionné sur la question entre personnes informées et de bonne volonté relève encore aujourd’hui de l’utopie.

Pour aller plus loin :
  • Jean-Paul Gourévitch, 2017, Les véritables enjeux des migrations

  • Observatoire de l’immigration et de la démographie, rubrique Finances publiques