Peut-on évaluer le nombre de musulmans vivant en France ?

Ahmed Nashed
L'essentiel :
  • La France est le pays de l’Union européenne qui compte le plus grand nombre de musulmans

  • Il y aurait en France en 2016 entre 6 et 10,5% de musulmans

  • Selon une étude du Pew Research Center, la France compterait en 2050 entre 12,7% de musulmans (en cas d’arrêt total de l’immigration) et 18% (en cas de poursuite de celle-ci)

  • Près d’un nouveau-né sur 5 porte un prénom le rattachant culturellement et familialement à l’immigration arabo-musulmane en 2016 contre moins de 1% en 1960 selon les calculs de Jérôme Fourquet

  • Il y aurait en France environ 2 500 mosquées et lieux de culte musulmans selon des estimations convergentes de la Grande Mosquée de Paris et du Bureau des cultes du ministère de l’Intérieur contre moins d’une centaine en 1970

 Disposer d’informations quantitatives et qualitatives sur la population d’un pays est un sujet essentiel pour qui veut conduire des politiques publiques pertinentes et efficaces mais aussi, plus simplement, pour qui s’intéresse aux évolutions de la société dans laquelle il vit et au devenir de son pays. Si la connaissance de la religion des individus n’a pas lieu d’être, la connaissance des religions majoritaires ou minoritaires d’un pays, auxquelles se réfèrent les différents groupes humains est primordiale dans la mesure où celles-ci soulèvent des enjeux politiques, géopolitiques ou culturels - comme l’explique remarquablement l’ancien patron de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) Pierre Brochand dans une analyse faite lors d’un colloque de la Fondation Res Publica consacré à l’immigration en 2019[1]. Il s’agit également et par ailleurs d’un sujet qui intéresse fortement les Français comme le montrent fréquemment les sondages d’opinion (voir article dédié).

 Si certains avancent qu’il est difficile de réaliser une estimation sérieuse - comme Hervé Le Bras qui évoquait dans un article de 2016 « 50 nuances de vérité » - ou qu’elles ne sont pas souhaitables - le même Hervé Le Bras affirmait dans une interview de 2017 au journal Le Parisien que les projections démographiques « font peur » , il existe cependant des études et travaux sérieux qu’il convient d’évoquer.

 Au-delà des fakes news que s’évertuent à combattre les agences de presse[2] et les médias (Libération[3], France Info[4]) avec plus ou moins de justesse, qu’en est-il vraiment ?

1. Abritant la plus grande population musulmane d’Europe, la France compterait entre 6 et 10,5% de Musulmans sur son territoire

1.1. S’il n’existe pas de recensement de la population française par religion, tant la statistique publique que les instituts privés apportent des éléments permettant d’estimer de façon relativement fiable la répartition de la population en fonction de la religion

 Tandis que des démographes comme Hervé Le Bras préfèrent considérer la question comme incertaine[5] voire trop anxiogène[6], un rapport sénatorial de 2016 intitulé De l'Islam en France à un Islam de France, établir la transparence et lever les ambiguïtés[7] propose quant à lui une fourchette qui synthétise les différents travaux et études existants afin d’évaluer l’importance de la population musulmane en France.

 Pourquoi est-ce un sujet complexe ? Car il n’y a pas en France de recensement de la population en fonction de sa religion.

 Néanmoins, la statistique publiques (INSEE), les travaux des instituts publics spécialisés (INED) ainsi que les études réalisées par des instituts privés spécialisés sur les thématiques religieuses ou encore les instituts de sondage et les travaux des think tanks permettent d’estimer la population musulmane présente en France et en Europe. Nous vous en proposons ici une recension et la mise en lumière des enseignements principaux. Il convient de noter, comme le précise le Sénat, « Les différences d’approche sur ce sujet expliquent les écarts, parfois substantiels, entre les estimations avancées, [...]. Cette amplitude traduit simplement le fait que l’estimation du nombre de musulmans en France ne décrit pas la même réalité selon qu’elle retient les seuls pratiquants ou les musulmans sociologiques « .

1.2. Il y aurait en France entre 6 et 10,5% de musulmans

 Selon les études relayées par le rapport sénatorial mentionné ci-dessus, il y avait en France en 2016 entre 6 et 10,5% de musulmans, en fonction des définitions retenues.

 Parmi les dernières études réalisées sur le sujet, celle du Pew Research Center, institut américain indépendant et reconnu pour ses recherches en matière de démographie religieuse, indique qu’en 2016, il y avait 8,8% de musulmans en France, soit près de 6 millions de personnes, ce qui fait de la France le premier pays d’Europe en terme de population musulmane présente sur son territoire. La France serait suivie par l’Allemagne (6,1% et 4,95 millions de musulmans), le Royaume-Uni (6,3% de la population et 4,13 millions de personnes musulmanes) et l’Italie (4,8% et 2,87 millions de personnes musulmanes).

Source : Pew Research Center, 2017

Une étude réalisée par l’Institut Montaigne en 2016, Un islam français est possible, sur la base d’un sondage aboutissait au résultat selon lequel 5,6% des plus de quinze ans étaient musulmans - selon la déclaration des sondés. Il convient de noter que l’on assiste parfois à des sous-déclarations lorsque l’on pose ce type de questions. Fait plus intéressant, l’étude précisait que cette proportion dépassait 10% chez les moins de vingt-cinq ans, preuve du dynamisme de la religion musulmane - dont les variables seront esquissées ci-après. Intéressant, ce résultat n’en demeure pas moins déjà connu comme le soulignaient en 2008 des chercheurs de l’INED qui, s’appuyant sur des données de 2005 notaient alors que « la religion musulmane est de plus en plus représentée « au sein de la population française puisqu’à la différence d’autres cultes, sa population est plus jeune (moins de 2 % des 65-79 ans mais 7 % des 18-24 ans).

2. Plusieurs études et travaux se sont intéressées à la dynamique démographique des musulmans de France et d’Europe et montrent qu’il pourrait y avoir en France entre 12 et 18% de musulmans à horizon 2050

2.1. La population musulmane : une population en forte augmentation et qui devrait continuer de croître

 La plupart des études consacrées au dynamisme démographique des musulmans convergent et montrent que la religion est très dynamique du fait de l’immigration d’un côté et de la plus forte fécondité des femmes musulmanes par rapport aux femmes non-musulmanes. En comparant les estimations réalisées par le Pew Research Center concernant la population musulmane de France, on observe que celle-ci aurait progressé de un million de personnes en six ans, entre 2010 et 2016.

 Dans son ouvrage L’Archipel français, naissance d’une nation multiple et divisée, le sondeur et politologue Jérôme Fourquet analyse le dynamisme de la population musulmane à travers le dynamisme de sa fécondité, mesuré par les prénoms (voir fiche dédiée). Le graphique ci-dessous, extrait de son livre, illustre cette dynamique spectaculaire.

 

Source : L'Archipel français. Naissance d'une nation multiple et divisée, de Jérôme Fourquet

 

 Pour l’auteur, « la trajectoire de cette courbe est des plus impressionnantes et montre de manière très nette l’une des principales métamorphoses qu’a connue la société française au cours des dernières décennies : alors que la population issue de l’immigration arabo-musulmane était quasiment inexistante en métropole jusqu’au milieu du XXe siècle, les enfants portant un prénom les rattachement culturellement et familialement à cette immigration représentaient 18,8% des naissances en 2016, soit près d’une naissance sur cinq » . Comme l’a montré la démographe Michèle Tribalat, cette trajectoire de courbe est très clairement indexée sur celle des flux d’immigrés[8]. Alors qu’il était à moins de 1% en 1960, le pourcentage de prénoms arabo-musulmans atteint près de 19% chez les garçons en 2016.

 L’explication la plus fine de ce dynamisme est fournie par la démographe Michèle Tribalat dans un article intitulé Dynamique démographique des musulmans de France et parue en 2011 dans le numéro 136 de la revue Commentaire[9]. Celle-ci se base notamment sur l’enquête Trajectoires et origines (TeO) conduite en 2008 et qui recueille la religion précise des enquêtés. Le dynamisme démographique des musulmans de France s’explique ainsi notamment par l’importance de l’immigration arabo-musulmane que connaît la France depuis plusieurs décennies ainsi que par la fécondité plus importante des musulmanes par rapport aux non musulmanes. Comme le note Michèle Tribalat, « l’avantage fécond, sans être colossal, appliqué à une structure par âge beaucoup plus jeune, est loin d’être négligeable » . Comme le précise la démographe, naître de parents d’une religion ne signifie pas que l’on partage soi-même cette religion même si l’affiliation religieuse des parents détermine en grande partie celle des enfants, en particulier lorsque les deux parents partagent la même religion. Elle montre cependant dans le même temps que la transmission de la religion est beaucoup plus forte chez les musulmans que pour les autres religions : « en termes de transmission, l’islam est sans conteste la religion la plus dynamique. Cette transmission s’est améliorée au fil du temps, tout particulièrement parmi les enfants d’immigrés. Seuls 43% des enfants ‘immigrés nés dans les années 1958-1964 ayant au moins un parent musulman se déclarent eux-mêmes musulmans [...]. Ceux qui sont nés à peu près vingt-cinq ans plus tard sont 87% à avoir conservé la religion de leur(s) parent(s) musulman(s) » . Concernant l’endogamie religieuse - facteur facilitant la transmission de la religion, c’est-à-dire le fait de se marier avec une personne de la même religion, la démographe note que « les musulmans se marient avec des musulmans, ce qui est particulièrement vrai des enfants d’immigrés nés en France et des immigrés entrés dans leur enfance et en partie scolarisés en France » . Elle précise cependant que l’exogamie n’est pas davantage pratiquée par les autres religions. Enfin, Michèle Tribalat précise que les conversions ne jouent qu’un rôle marginal dans le dynamisme de l’islam en France.

Les principales raisons du dynamisme démographique de la religion musulmane en France sont ainsi l’immigration en provenance de pays arabo-musulmans, la plus forte fécondité des femmes musulmanes et la transmission beaucoup plus importante de la religion musulmane des parents à leurs enfants par rapport aux autres religions.

2.2. L’étude prospective du Pew Research Center : « La croissance de la population musulmane en Europe »

 L’Institut américain spécialiste de démographie religieuse Pew Research Center a réalisé une grande étude prospective sur l’évolution de la population musulmane en Europe d’ici 2050 selon différents scénarios dont on peut retrouver une recension détaillée dans un article de blog de décembre 2017 sur le site de Médiapart[10]. Nous en rappelons ici les principaux éléments et principaux enseignements. L’étude repose sur trois scénarios plus ou moins restrictifs : un premier scénario, « bas » où l’immigration serait entièrement stoppée (l’augmentation de la population musulmane résulterait alors essentiellement des naissances), un scénario « intermédiaire » où l’immigration continuerait au même rythme à l’exception des flux de réfugiés qui seraient stoppés et un scénario « haut » où l’immigration traditionnelle ainsi que celle liée aux réfugiés continueraient.

 Les résultats au niveau européen sont résumés dans les deux graphiques ci-dessous :

 

Source : Pew Research Center
Source : Pew Research Center

 

 Plusieurs enseignements peuvent être tirés. Il convient d’abord de noter que les musulmans vont représenter une fraction certainement croissante de la population européenne et qu'en 2050, celle-ci se situera à un niveau qui pourrait être le double, voire davantage, du niveau actuel. Il convient ensuite de noter que même si l’immigration tombait à zéro jusqu’en 2050, la part de la population musulmane en Europe augmenterait néanmoins d'environ 50%, passant de 4.9% en 2016 à 7.4% en 2050 au niveau européen : ce chiffre résulte quasi-exclusivement de la plus forte fécondité des femmes musulmanes que celle des non musulmanes et de l'âge moyen beaucoup plus faible des premières

 De façon synthétique et afin de comparer la situation en France et dans le reste de l’Europe figurent ci-dessous les estimations du Pew Research Center en fonction des différents scénarios.

ScenariiFrance 2050UE 2050

Scénario « bas » : soldes migratoires égaux à zéro jusqu'en 2050 (augmentation de la population musulmane exclusivement due aux naissances)

8,6 millions de musulmans soit 12,7% de la population française. La France demeurerait le premier pays européen en termes de population musulmane35.7 millions de musulmans ( environ 10 millions de plus qu'aujourd'hui) soit 7,4% population UE 28
Scénario « moyen » : poursuite de l'immigration régulière mais arrêt des flux de réfugiés

12.6 millions de musulmans (17,4% - doublement par rapport aux 8,8% actuels).

La France se classerait au deuxième rang européen

58 millions de musulmans en Europe en 2050 (contre 25.8 millions en 2016) soit 11.2% de la population européenne (contre 4.9% en 2016).

Excepté Chypre, c'est en Suède que la part de la population musulmane serait alors la plus élevée : 20.5% (contre 8.1% en 2016).

Scénario « haut » : poursuite de l'immigration régulière et poursuite de l'afflux de réfugiés13,2 millions de personnes soit 18% de la population française

75 millions en 2050 soit 14% de la

population européenne.

 Au-delà des éléments quantitatifs mentionnés dans cet article, il convient de noter qu’un certain nombre d’études se sont aussi interrogées sur des aspects plus qualitatifs liés à la religion (importance de la pratique, radicalité de la pratique et des populations, etc.). Sans prétendre à l’exhaustivité de la recension, mentionnons notamment le rapport Un islam français est possible[11] réalisé par l’Institut Montaigne en 2016 ou encore l’étude Les Musulmans en France 30 ans après l’affaire des foulards de Creil[12] réalisée en 2019 par l’IFOP dont on peut retrouver certains éléments synthétiques dans une interview accordée par le sondeur Jérôme Fourquet au média Le Point[13].

Pour aller plus loin :
  • Michèle TRIBALAT, « Dynamique démographique des musulmans de France » in Commentaire n°136 (2011) (Lien)

  • Michèle TRIBALAT, « La diversité des populations en France » in Commentaire °155 (2016) (Lien)

  • Pew Research Center, La croissance de la population musulmane en Europe (synthèse en français), novembre 2017 (Lien)

  • Pew Research Center, Europe’s growing muslim population (synthèse plus complète en anglais), novembre 2017 (Lien)

  • Blog Médiapart, Recension plus complète de l’étude du PRC en français, décembre 2017 (Lien)

  • Rapport d’information fait au nom de la mission d’information du Sénat sur l’organisation, la place et le financement de l’Islam en France et de ses lieux de culte, 2016 (Lien)

  • Etude IFOP auprès de la population musulmane 30 ans après l’affaire des foulards de Creil, réalisée en 2019 pour Le Point (Lien)


  1. trFondation Res Publica, Table ronde « Immigration et Intégration » autour de Pierre Brochand, ancien patron de la DGSE, 2 juillet 2019 (Lien

  2. Agence France Presse, Fact-checking sur le nombre de Musulmans en France, 2018, consulté en juin 2020 (Lien

  3. Libération Check News, « Bill Clinton a déclaré qu’en France 10% de la population était musulmane et née dans un autre pays. Est-ce vrai ? », 2018, consulté en juin 2020 (Lien)

  4. France TV Info, « Vrai ou Fake. Musulmans en France : la valse des chiffres »,  6 juin 2018, consulté en juin 2020 (Lien)

  5. Hervé Le Bras, 50 nuances de vérité : le nombre de Musulmans en France (2016)

  6. 20 Minutes, « 18% de Musulmans en France en 2050 ? », 2017, consulté en juin 2020 (Lien

  7. Rapport sénatorial, De l'Islam en France à un Islam de France, établir la transparence et lever les ambiguïtés, 2016 (Lien PDF

  8. Michèle Tribalat, Assimilation : la fin du modèle français.

  9. Michèle TRIBALAT, « Dynamique démographique des musulmans de France » in Commentaire n°136 (2011) http://www.micheletribalat.fr/435658488

  10. Blog Médiapart, Recension plus complète de l’étude du PRC en français, décembre 2017 https://blogs.mediapart.fr/sycophante/blog/291217/la-croissance-de-la-population-musulmane-en-europe-dici-2050

  11. Institut Montaigne, Rapport Un islam français est possible, 2016, (Lien PDF)

  12. IFOP, Etude auprès de la population musulmane en France, 30 ans après l’affaire des foulards de Creil, 2019, (Lien PDF)

  13. IFOP, Etude auprès de la population musulmane en France, 30 ans après l’affaire des foulards de Creil, 2019, (Lien PDF)