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Étiquette : Michèle Tribalat

Étude critique de Michèle Tribalat sur l’approche des populations d’origine étrangère par le service statistique français

Le site de l’Insee est un des plus bordéliques qui soit. C’est un Google un peu amélioré à la française. On y trouve parfois, par hasard, ce que l’on a longtemps cherché sans succès et, quelquefois, on trouve plus vite en passant par Google maison mère. Aux utilisateurs de se débrouiller. Il ne propose pas de base de données comme le font de nombreux instituts statistiques européens, notamment Eurostat. Sur un sujet aussi important dans le débat public que la population d’origine étrangère, les données glanées à travers les publications de l’Insee font apparaître, comme nous allons le voir, des défaillances et un manque de cohérence qui nuisent à la crédibilité de la statistique française.

Ce grand désordre vient d’une priorisation de la production statistique à destination interne et d’une indifférence à l’égard de l’utilisateur. L’Insee produit avant tout pour son propre usage. Il est donc courant d’accéder à des données par l’intermédiaire de ses publications (Insee PremièreInsee RéférencesInsee FocusPortrait social…). Ce qui ne signifie pas qu’il soit sourd à la demande d’informations du public, laquelle transite en particulier par le Conseil national de l’information statistique (CNIS). Mais il n’a pas vraiment pensé à l’utilisateur de données qui voudrait les traiter lui-même, sans se contenter de recueillir des informations dans ses publications. 

On aimerait ainsi pouvoir disposer de séries, sans avoir à les constituer soi-même à partir de différentes publications, sans toujours y parvenir avec succès. Certes, l’Insee a une rubrique sur les séries chronologiques par thème (https://www.insee.fr/fr/information/2860802), mais selon une sélection de son cru et d’une grande pauvreté. Alors que d’autres instituts de statistiques disposent de bases de données qui proposent à l’utilisateur, par thème, la possibilité de choisir lui-même ses variables, l’Insee présente un prémâché peu élaboré. Pour lui, une série chronologique ne peut porter que sur une caractéristique et non sur une collection de plusieurs d’entre elles qui aurait du sens.

Prenons par exemple le thème Démographie. Il se décline selon les sous-thèmes suivants :

  • Population et structure de la population
  • Naissances et fécondité
  • Décès et mortalité
  • Mariages, nuptialité et Pactes civils de solidarité (PACS)

 Voyons ce que l’on peut obtenir sur le sous-thème « Population et structure de la population » en données annuelles pour la France ou la France métropolitaine : 

Le chiffre entre parenthèses indique le nombre de séries disponibles. L’Insee propose ainsi 19 séries sur la population de la France au 1er janvier. Pas de quoi se frotter les mains car, si l’on a la population totale (c’est le moins) depuis 1982, les autres séries portent sur des groupes d’âges (moins de 15 ans, moins de 20 ans, 20-59 ans, 60 ans+, 75 ans+ et 15-49 ans) depuis 1991, pour les hommes, les femmes et le total. Et c’est tout ! Pas de décomposition, par exemple entre immigrés et natifs (non immigrés comme les appelle l’Insee) ou de structure par âge complète, que l’on pourra, avec un peu de chance, trouver ailleurs sur le site, mais pas dans la rubrique « Séries chronologiques ».

J’ai donc tenté de reconstituer moi-même une série portant sur la population d’origine étrangère sur deux générations par pays d’origine, qui ne remonte pas bien loin, à partir de la série sur les immigrés en France de 2006 à 2023, que j’ai fini par trouver[1] et un début de série pour les nés en France d’au moins un parent immigré figurant dans l’Insee RéférencesAnnée 2023, consacré aux immigrés et aux descendants d’immigrés[2]

Présentons d’abord le tableau de référence page 12 de cette publication.

en milliers

Figure 1.- Nombre d’immigrés et descendants d’immigrés vivant en France selon le pays d’origine.
nd : non disponible.

Notes : changement de nomenclature géographique en 2006, les pays d’Afrique sahélienne et guinéenne sont classés avec les autres pays d’Afrique jusqu’en 1999. Les questions relatives au pays et à la nationalité de naissance des parents ont été introduites en 2005 dans l’enquête Emploi.
Champ : France métropolitaine de 1968 à 1990, France hors Mayotte de 1999 à 2013, France depuis 2014 pour les personnes immigrées ; France hors Mayotte, personnes vivant en logement ordinaire pour les descendants d’immigrés.
Sources : Insee, base Saphir (1968 à 1999), recensements de la population (2006 et 2010) et estimations de population (2021) pour les immigrés ; Insee, enquêtes Emploi 2005, 2011 et 2021 pour les descendants d’immigrés.

J’ai donc essayé de boucher les trous qui pouvaient l’être. Mais avant d’examiner ce que cela donne, quelques remarques s’imposent.

  1. Problème des dates choisies : l’Insee n’a pas songé qu’il pourrait être utile de disposer de dates identiques pour les immigrés et les descendants d’immigrés lorsque c’était possible. Pourquoi avoir choisi l’enquête Emploi 2005 alors que celle de 2006 aurait permis d’avoir la correspondance avec les immigrés de la même année ? 
  2. Champ géographique à géométrie variable : l’Insee précise bien le champ géographique qui évolue au fil des ans pour les immigrés et diffère de celui des descendants. II avait la possibilité de conserver le même champ géographique tout au long de la période pour les immigrés et les descendants en retenant « France métropolitaine ». Une série temporelle doit, lorsque c’est possible, porter sur le même champ géographique. Et là, c’était possible. Par ailleurs, la ligne « population totale » se réfère, pour les deux dernières années à celle de la France entière, avec Mayotte en 2021, y compris pour les descendants alors que l’enquête Emploi porte sur la France hors Mayotte.
  3.  Incohérences des choix de l’Insee : Les données sur les immigrés concernent toute la population, y compris celle qui vit en communauté (foyer, prison, ehpad…). Ce n’est pas le cas des données sur les descendants, l’enquête Emploi ne retenant que les logements ordinaires. Cependant, les totaux gardés par l’Insee sont les mêmes dans les deux cas. Et lorsque les auteurs calculent la proportion de descendants, c’est bien à la population totale qu’ils rapportent leur nombre et non à celle des seuls logements ordinaires : 7,349 millions/ 67,626 millions, soit 10,9 % en 2021 : « En 2021, 7,3 millions de personnes vivant en logement ordinaire en France hors Mayotte sont des descendants d’immigrés de deuxième génération, c’est‑à‑dire des personnes nées en France d’au moins un parent immigré. Elles représentent 10,9 % de la population totale. » (p. 14). Je ne leur en ferais pas grief si l’Insee consentait à en tirer les conclusions en ajoutant la proportion d’immigrés et celle des descendants, pour mesurer la proportion de personnes d’origine étrangère sur deux générations. 

Dans l’Insee Première n° 1906, Chantal Brutel analysait les informations sur les personnes vivant en communauté, c’est-à-dire hors logement ordinaire en 2019. Ils étaient au nombre de 1,6 million, chiffre qui était déjà celui de l’année 2009[3]. Si l’on suppose que ce chiffre est encore valide en 2021, c’est, en toute rigueur, à 66 millions qu’il faudrait rapporter les 7,3 millions de descendants, soit 11,1 %. En supposant, hypothèse extrême, qu’aucun immigré ne réside en communauté, 10,9 % de descendants vaudrait pour la population totale. En supposant qu’ils y résident autant que les autres, c’est 11,1 % qu’il faudrait garder. La différence est minime. En faisant fi de la différence de champ géographique (avec ou sans Mayotte), il y aurait ainsi eu, en 2021, 10,3% d’immigrés + 10,9 % de descendants, soit 21,2 % de personnes d’origine étrangère sur deux générations dans le premier cas, mais 21,4 % dans le deuxième cas[4]. L’Insee ferait bien d’économiser ses réticences, qu’il applique d’ailleurs de manière inconstante, et avoir le courage, en s’en expliquant, de faire les additions. Pour plus de rigueur ces additions devraient porter sur un champ géographique identique : France métropolitaine pour les séries longues et France hors Mayotte pour les séries à partir de 2014.

  • Chiffres manifestement erronés : Les données sur les descendants en 2005 paraissent très peu crédibles par rapport aux années 2011 et 2021. Une estimation conduite à partir de l’enquête Famille de 2011 donnait un résultat voisin (6,6 millions), mais pour la France métropolitaine[5], à celui tiré de l’enquête Emploi ici. Si l’on en croit les données publiées par l’Insee, leur nombre aurait ainsi augmenté de 2,3 millions en 6 ans (de 2005 à 2011), soit une progression de 53 %, alors que, dans les dix années qui suivent, il n’aurait augmenté que de 12 % ! Une estimation de Gérard Bouvier, tirée de l’exploitation de l’enquête Emploi 2008 et de l’enquête Trajectoires et origines de 2008, conduisait au chiffre de 4,5 millions des personnes âgées d’au moins 18 ans[6]. Je me demande donc si l’estimation de 2005 ne porterait pas sur la même tranche d’âge. Cependant, Gérard Bouvier y ajoutait le nombre de mineurs vivant dans une famille dont au moins un parent est immigré d’après l’enquête Emploi et parvenait à un total de 6,7 millions.
  • La comparaison avec 2005 est encore plus aberrante puisqu’elle supposerait que le nombre de personnes nées en France d’au moins un parent immigré ait augmenté de 56 % en trois ans seulement ! Les auteurs ne font d’ailleurs aucun commentaire sur une évolution temporelle, pourtant contraire à une publication précédente, qui aurait dû leur sembler aberrante. Au lecteur de se débrouiller. C’est désolant.

Je n’ai pu retrouver les données sur les enfants nés en France d’au moins un parent immigré que pour quelques années, complétant ainsi très partiellement la figure 1 ci-dessus : 2008 entre 2005 et 2011 (mais le total toutes origines seulement), quatre années introuvables entre 2015 et 2020 sans compter une discontinuité méthodologique en 2021[7]. Pour l’année 2015, deux chiffres différents ont été publiés dans deux publications différentes. Dans le Portrait social 2018, le nombre de descendants d’immigrés en 2015 serait de 7,2 millions. Dans l’Insee Première publié en 2017, il serait de de 7,3 millions[8]. Quel chiffre garder ? J’ai choisi la publication la plus récente – Portrait social – en me disant que l’Insee n’aurait pas rectifié le chiffre précédemment publié sans raison. Je ne suis pas très sûre de mon choix car Chantal Brutel, dans son Insee Première, indique le recours à deux sources (Enquête Emploi, Enquête annuelle de recensement) quand le Portrait social n’indique qu’une source (Enquête Emploi). Or, il se trouve que l’enquête Emploi n’interroge que les personnes âgées d’au moins 15 ans. Les plus jeunes peuvent être repérés comme enfants d’au moins un parent immigré s’ils vivent chez leurs parents, dans l’enquête Emploi comme dans le recensement. Dans son Insee Première, Chantal Brutel écrit que l’estimation est meilleure à partir du recensement : « L’estimation issue du RP est alors privilégiée, car l’évolution du nombre d’enfants descendants d’immigrées est plus régulière avec cette source qu’avec l’EEC compte tenu de la taille des échantillons » (EEC pour enquête Emploi en continu ; je fais l’hypothèse que « descendants d’immigrées » au féminin est une coquille).

Mises bout à bout, ces données donnent une série à trous à l’évolution peu cohérente, surtout si on la compare à celle des immigrés (figure 2 ci-dessous). 

Une estimation de la population d’origine étrangère en 1999 en France métropolitaine, à partir de l’enquête Famille, donnait un nombre de personnes nées en France d’au moins un parent immigré déjà supérieur au nombre d’immigrés : 5,5 millions pour 4,3 millions d’immigrés en France métropolitaine[9]. Il est peu vraisemblable que le rapport se soit inversé six ans plus tard, pour s’inverser à nouveau en trois ans ! La valeur pour 2005 est donc fausse. Celle de 2008 est bien haute et la discontinuité dans la méthode en 2021 après un changement de questionnaire très visible. En quoi entache-t-elle la série 2011-2015 (sans parler de 2008 !) ?

Figure 2.- Évolution du nombre d’immigrés et de personnes nées en France d’au moins un parent immigré depuis 2005 d’après différentes publications de l’Insee.

Sans remonter jusqu’en 2005, année pour laquelle les données sont manifestement fausses, examinons ce que ces données, certes imparfaites, nous disent de l’évolution de la population d’origine étrangère sur douze ans (2011-2023). 

Les différences de champ géographique (avec ou sans Mayotte en 2023) jouent peu sur la proportion de personnes nées en France d’au moins 1 parent immigré. Si celle-ci avait été calculée sur la population France-hors Mayotte, cela ne changerait pas le 1er chiffre après la virgule. Par contre la différence de champ (tous ménages ; ménages ordinaires), non prise en compte, a tendance à sous-estimer la proportion de personnes nées en France d’origine étrangère de quelques points après la virgule.

En 2023, la population d’origine étrangère serait voisine de 15,3 millions, contre 12,1 millions douze ans plus tôt, soit un accroissement d’un peu plus de 3 millions (+26 %), plus forte sur la partie immigrée (+30%). Et ceci dans un contexte de stagnation du nombre de natifs au carré (Figure 3 ci-dessous). La contribution de l’Europe a légèrement faibli en raison de l’érosion de l’apport des courants d’Europe du Sud, en dépit du développement de nouveaux flux. C’est la population d’origine africaine qui a le plus augmenté, surtout celle hors Maghreb qui a cru de 76 % en douze ans. C’est aussi la diversification des flux en provenance d’Asie qui a boosté la part des personnes originaires de ce continent. Le nombre d’originaires de Turquie et du Sud-Est asiatique a peu augmenté, malgré une progression du nombre de natifs de ces origines.  

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Figure 3.- Évolution 2011/2023 de la population d’origine étrangère composée d’immigrés et de personnes nées en France d’au moins un parent immigré.
Source : tableau composé à partir des données Insee.

Les tentatives de l’Insee pour appréhender la population née en France d’origine étrangère et son évolution à partir des enquêtes Emploi n’est pas très réussie. Le recours au recensement s’imposait depuis des années pour améliorer la connaissance. Mais la nécessité d’y introduire les questions utiles à l’observation des populations d’origine étrangère n’a convaincu le CNIS que tardivement, partiellement, et pas pour des questions de dénombrement. Dans son avis du 10 avril 2024[10], le Comité du label du CNIS annonce l’introduction d’une nouvelle question dans les enquêtes annuelles de recensement sur le lieu de naissance des parents à partir de 2025. Il faudra donc attendre la dernière collecte du cycle quinquennal, celle de l’année 2029, avant de disposer de données définitives pour l’année 2027 : « la diffusion grand public des données individuelles anonymisées relatives aux nouvelles questions n’interviendra qu’après l’EAR 2029, pour le recensement 2027 en cumul (selon le calendrier actuel de diffusion du recensement). Une première exploitation des résultats pourra avoir lieu avant cela sous forme d’étude… Une mise à disposition annuelle des nouvelles données individuelles des EAR pourra également être envisagée en amont de la diffusion publique à destination des chercheurs (via le Centre d’accès sécurisé aux données—CASD). (p. 5)» Le Comité du label ajoute qu’il constate « l’existence de débats concernant l’introduction du lieu de naissance des parents. Il invite en conséquence le service à préciser sa stratégie d’ensemble de diffusion des résultats de cette variable en lien avec les objectifs annoncés. (p. 5)»

Je rappelle que le CNIS ne s’est montré favorable à l’introduction du lieu de naissance des parents que dans la mesure où il pourrait permettre de mesurer les discriminations qui seraient, selon lui, lisibles à travers les disparités, favorisant ainsi le point de vue de la Ligue des droits de l’homme et de la défenseure des droits qui y voyait un possible usage dans les tribunaux[11]. Le CNIS y a donc consenti pour servir une bonne cause.

Mais on perçoit ses réticences à l’usage du pays de naissance des parents pour dénombrer (une mauvaise cause ?) alors que l’Insee dénombre déjà, à sa manière et mal, à partir des enquêtes Emploi, et qu’il pourrait le faire avec plus de sécurité à partir du recensement. Ajoutons que les scrupules n’étranglent pourtant pas l’Insee lorsqu’il publie par exemple qu’il y aurait 10 000 personnes nées en France d’au moins un parent immigré de Chine en 2005, à partir du petit échantillon de l’enquête Emploi (cf. figure 1). 

Le problème réside évidemment, comme je l’ai déjà signalé[12], dans le changement de définition de l’immigré qui, jusque-là, désignait la personne née à l’étranger et de nationalité étrangère à la naissance. Étaient ainsi exclus les Français nés français à l’étranger. Pour poursuivre avec cette définition, il aurait fallu recueillir aussi la nationalité de naissance des parents. Ce ne sera pas le cas puisque la nationalité de naissance a déjà été jugée inutile par l’Insee et le CNIS pour les individus. Aucune chance qu’elle soit collectée pour leurs parents. La France finira donc par passer à la définition de l’immigré retenue par les organismes internationaux tels qu’Eurostat, l’OCDE, les Nations unies, qui font au plus simple pour des facilités de comparaison, et la Suède par exemple.

Le CNIS, qui s’engage en faveur des causes à la mode (lutte contre les discriminations par exemple), pourrait utilement s’engager pour une très bonne cause, celle de l’utilisateur. Il lui faudrait convaincre l’Insee qu’il est temps de s’en préoccuper en révolutionnant sa conception du service statistique auprès du public et en mettant, au service de ce dernier, un site avec une base de données digne de l’institution. Les bons exemples européens ne manquent pas. L’Insee pourrait utilement s’en inspirer. Au CNIS de l’y pousser !


[1] https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381755.

[2] https://www.insee.fr/fr/statistiques/6793314?sommaire=6793391&q=Figure+1+-%20Nombre+d%E2%80%99immigr%C3%A9s+et+descendants+d%27immigr%C3%A9s+vivant+en+France+selon+le+pays+d%E2%80%99origine.

[3] https://www.insee.fr/fr/statistiques/6462842#encadre.

[4] Ce serait un peu moins avec le chiffre définitif de population : 67 697 en 2021 au lieu de 67 626 comme indiqué dans le tableau.

[5]  Michèle Tribalat, « Une estimation des populations d’origine étrangère en France », Espace populations sociétés, 2015/1-2,  https://journals.openedition.org/eps/6073.

[6] Gérard Bouvier, « Les descendants d’immigrés plus nombreux que les immigrés : une position française originale en Europe », Insee Référence, 10/10/2012 ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/1374014?sommaire=1374025.

[7] Année 2012 :  France, portrait social, édition 2015 – Insee Références, page 151 ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/1906593?sommaire=1906605

Année 2013 : France, portrait social, édition 2016 – Insee Références, page 151 ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/2492220?sommaire=2492313.

Année 2014 : France, portrait social, édition 2016 – Insee Références, page 159 ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/3197277?sommaire=3197289.

Année 2015 : France, portrait social, édition 2017 – Insee Références, page 153 ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/3646124?sommaire=3646226.

Année 2020 : France, portrait social, édition 2021 – Insee Références, page 131 ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/5432149?sommaire=5435421. ; ou « Femmes et hommes, l’égalité en question », Insee références, édition 2022, page 9 ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/6047719?sommaire=6047805&q=descendants+d%27immigr%C3%A9s au millier près !

Année 2021 : « Immigrés et descendants d’immigrés », Insee Références Edition 2023, page 81 ;  https://www.insee.fr/fr/statistiques/6793230?sommaire=6793391#tableau-figure2.

Année 2022 : France, portrait social, édition 2021 – Insee Références, page 81 ;    https://www.insee.fr/fr/statistiques/7666833?sommaire=7666953.

Année 2023 : Origine géographique des descendants d’immigrés, Données annuelles 2023, Chiffres clés, 29/08/2024 ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/4186761#tableau-figure1.

La discontinuité méthodologique conduit à un chiffre en 2021 inférieur à celui de 2020 que l’Insee explique ainsi : « En 2021, le questionnaire de l’enquête Emploi, source utilisée pour mesurer le nombre de descendants d’immigrés de la deuxième génération, a changé et une révision importante à la baisse des mages de calage démographique a été effectuée. Par rapport aux derniers chiffres publiés, le nombre de descendants d’immigrés en 2021 est révisé à la baisse par rapport à 2020 (7,35 millions contre 7,62 millions), principalement à la suite de cette révision à la baisse des marges démographiques) ».

[8] Chantal Brutel, « Être né en France d’un parent immigré », Insee Première n°1634, février 2017, https://www.insee.fr/fr/statistiques/2575541.

[9] Michèle Tribalat, « Une estimation des populations d’origine étrangère en France en 1999 », Population 59(1), 2004.

[10] https://www.cnis.fr/wp-content/uploads/2024/05/ac-2024-insee-ear-annuelle.pdf.

[11] https://micheletribalat.fr/435108953/452329412.

[12] Ibid.

Comprendre l’évolution de la fécondité à partir de l’exemple des pays nordiques

L’ICF doit être distingué d’un taux de fécondité.

Le taux global de fécondité rapporte l’ensemble des naissances aux femmes en âge d’avoir des enfants, généralement âgées de 15-49 ans. Il est, par exemple, de 4,45 % en Suède en 2023. Un taux s’exprime en pourcentage, en pour mille…

Au contraire, l’indicateur conjoncturel de fécondité additionne les taux de fécondité par âge calculés dans une année et s’exprime en nombre d’enfants par femme : 1,45 enfant par femme en 2023 en Suède par exemple. Une somme de taux n’est pas un taux.

Chaque femme, appartient, en fonction de son âge à une génération particulière. Faute de pouvoir cumuler les taux de fécondité à chaque âge dans une génération, sauf pour celles qui sont à la fin de leur vie féconde, les démographes ont transposé ce calcul dans l’année. L’adjectif « conjoncturel » est donc là pour signifier qu’il s’agit d’un calcul dans l’année et non dans une génération. Les démographes disent que l’ICF est une mesure de la fécondité d’une génération fictive connaissant les conditions de l’année.

Ainsi le taux de fécondité à 20 ans en 2023 est celui de femmes nées en 2003, le taux à 30 ans celui de femmes nées en 1993, le taux à 40 ans celui de femmes nées en 1983… L’indicateur conjoncturel de fécondité est ainsi très fortement conditionné par le calendrier de fécondité des femmes des générations successives. Supposons que les générations x aient eu leurs enfants de bonne heure et que les femmes des générations suivantes, appelons les y, aient eu ensuite leurs enfants de plus en plus tard. L’ICF se trouvera affaibli aux jeunes âges correspondant aux générations y tandis que la fécondité aux âges plus élevés restera encore faible car relevant de générations passées qui ont eu leurs enfants alors qu’elles étaient jeunes. Mais l’ICF pourra finir par remonter lorsque la fécondité aux âges élevés transcrira l’allongement de l’âge des femmes à la naissance des enfants. L’ICF peut ainsi fluctuer à la hausse ou à la baisse en raison des changements de l’âge auquel les femmes mettent au monde leurs enfants. La courbe de l’ICF peut ainsi afficher successivement des creux et des bosses qu’il serait un peu vain de chercher à expliquer par des événements particuliers.

Ce graphique retrace l’évolution de l’indicateur conjoncturel de fécondité dans les pays nordiques de 1970 à 2023. On constate aisément qu’en un peu plus de 50 ans, il a connu des hauts et des bas. Pour l’Islande, la Norvège et le Danemark, le plus haut fut atteint au début des années 1970 (respectivement 3,09, 2,50 et 2,04 enfants par femme), pour la Finlande en 2010 (1,87) et pour la Suède en 1990 (2,14). Le plus bas se situe en fin de période, sauf pour le Danemark qui avait connu une fécondité plus basse en 1983 (1,38).

Évolution du nombre d’enfants par femme (ICF) de 1970 à 2023 dans les pays nordiques (2022 seulement pour l’Islande).

Source : Eurostat et instituts statistiques nationaux.

C’est la décomposition par groupe d’âges qu’il faut regarder pour comprendre les fluctuations au fil du temps, comme nous allons l’illustrer avec la Suède.

Contribution de chaque groupe d’âges à l’indicateur conjoncturel de fécondité en Suède de 1970 à 2022. L’année 2023 n’est pas encore disponible à Eurostat.
Source : Eurostat.

Ainsi, la baisse de l’ICF jusqu’en 1978 est principalement due à celle de la fécondité avant 25 ans. Cette baisse est suivie d’un plateau entre 1978 et 1983, lié principalement à la hausse de la fécondité après 30 ans. Dans les années qui suivent, jusqu’en 1990, la fécondité augmente dans tous les groupes d’âge. Suit une chute fortement impulsée par celle de la fécondité avant 30 ans qui dure tout au long des années 1990. Lors de la décennie suivante, l’allongement de l’âge à la maternité se fait sentir, avec une forte remontée de la fécondité après 30 ans, alors que celle avant cet âge connaît une faible progression. Après 2010, le groupe d’âges 30-34 ans se joint à la chute qui se poursuit dans les âges plus jeunes. La fécondité à 35-39 ans connaît même un léger recul. La fécondité à 40 ans ou plus, qui a progressé, reste beaucoup trop faible pour compenser le déclin constaté avant cet âge. La fécondité avant 25 ans, qui dominait au début des années 1960, semble en passe de la rejoindre. C’est le groupe d’âges 30-34 ans qui, depuis 2001 contribue le plus à l’indicateur de fécondité conjoncturel.

La fécondité avant 30 ans, qui a représenté jusqu’à 75% de l’ICF dans les années 1973-1976, n’a cessé de baisser ensuite pour n’en représenter plus que 39 % en 2022. Ce vieillissement de l’âge auquel les femmes suédoises ont eu leurs enfants est particulièrement frappant sur le graphique ci-dessous. Il se retrouve pour tous les pays nordiques à des degrés divers.

L’évolution de l’âge à la naissance du 1er enfant en témoigne. Notamment en Norvège où les femmes qui avaient eu leur 1er enfant à 23,2 ans en moyenne en 1970 l’ont eu à 30,2 ans en 2022. En Islande cet âge est passé de 21,3 ans à 28,9 sur la même période.

Évolution du cumul des fécondités partielles par groupe d’âges en Suède de 1970 à 2022. L’année 2023 n’est pas encore disponible à Eurostat
Source : Eurostat.

En France, on invoque souvent les mesures de restriction de la politique familiale prise par François Hollande en 2014 pour expliquer la baisse récente de la fécondité qui, en fait, a commencé un peu plus tôt, le point le plus haut étant 2010. Que dire de la baisse de fécondité qui démarre à peu près en même temps dans les pays nordiques enviés pour l’accompagnement des familles ? C’est le cas en Finlande où, par exemple, l’allocation pour congé parental (à partager entre les parents) de 26 semaines atteignait, en 2016, 70 % du revenu mensuel, avec un minimum de 593 euros par mois.1 Sans parler du dispositif de soin et de garde très élaboré. Cela n’a pas empêché la fécondité finlandaise de flirter avec le niveau de la fécondité espagnole et italienne.

  1. https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/2158244019885389#:~:text=Approximately%2030%25%20of%20fathers%20had,around%2020%25%20of%20the%20fathers ↩︎

La fécondité des immigrées en France : questions de méthodes

Les deux principaux indicateurs de fécondité visant à mesurer son intensité sont la descendance finale (DF) et l’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF). Tous deux cumulent les taux de fécondité par âge de la femme1, dans une génération pour le premier, dans l’année pour le second. Dans un pays dont l’écrasante majorité des femmes y sont nées, c’est l’arrivée en âge de procréer qui détermine le début de la vie féconde. Vie féconde que l’on peut suivre au fil des âges.

Pour les femmes nées à l’étranger, c’est l’année d’arrivée en France qui détermine leur entrée en observation dans les statistiques françaises. Apparaît ainsi une « génération 0 » dont le destin devrait se mesurer dans des cohortes d’année d’entrée, au fil des durées de séjour selon leur âge à l’entrée. La migration est souvent à l’origine d’une discontinuité dans le comportement des femmes. Elle a pu retarder ou précipiter une mise en couple et influer sur le calendrier de la fécondité2. La migration a de grandes chances de se traduire par une sous-fécondité avant la migration et un rattrapage après, lorsqu’elle intervient aux âges de procréation3.

Les indicateurs de fécondité selon l’âge ne sont donc pas le bon outil pour étudier la fécondité des femmes nées à l’étranger, dont celle des immigrées. C’est en fonction de l’année d’arrivée et l’âge à l’entrée qu’il faudrait l’étudier, si l’on veut couvrir leur fécondité sur l’ensemble de leur vie féconde et distinguer la fécondité réalisée dans le pays d’origine et celle intervenue après la migration. Ces données sont rarement disponibles en France. Elles le sont lors des enquêtes Famille et d’enquêtes spécifiques telles que les enquêtes TeO, mais sur des échantillons forcément réduits.

Observations conjoncturelles (par année) ou rétrospectives (longitudinales)

Il faut distinguer les observations conjoncturelles des observations rétrospectives. Les données d’état civil sur les naissances sont des données dites conjoncturelles car publiées tous les ans. De même que celles sur la population par âge obtenues à partir des enquêtes annuelles de recensement (EAR) et, avant 2004, des recensements. Ces données se cantonnent aux personnes effectivement présentes une année donnée.

Les informations contenues dans les enquêtes rétrospectives sur la constitution des familles portent sur les personnes présentes en France au moment de l’enquête. Et donc à l’exclusion, par définition, de celles qui arriveront plus tard et viendront ajouter leur histoire à celle des femmes précédemment enquêtées qui sont encore présentes en France (ni décédées ni parties de France).

Didier Reynaud insiste sur l’inadéquation de l’ICF pour mesurer correctement la fécondité des immigrées, et plus généralement des femmes nées à l’étranger, à partir des données d’état civil et des EAR. Si l’Insee avait établi des séries longues sur les naissances en France (donc après la migration pour les femmes nées à l’étranger) par âge de la mère selon que la mère est née en France ou à l’étranger et disposait des mêmes séries sur les effectifs de femmes par âge, la descendance finale qu’il serait en mesure de calculer en fonction du lieu de naissance ne refléterait pas non plus la fécondité des femmes nées à l’étranger. Comme on va le voir, c’est l’outil d’observation (état civil/EAR) et non le recours à l’ICF qui est en cause.

« A la manière de » l’INSEE lorsqu’il recourt à l’état civil et aux EAR/recensements

Le calcul « à la manière de », à partir de l’enquête Famille et logements (EFL) de l’Insee de 2011, permet de reproduire approximativement ce qu’aurait pu faire l’Insee s’il avait disposé chaque année des naissances en France de mère immigrée dans les données d’état civil et des effectifs de femmes immigrées par âge. Si l’on retient les femmes immigrées nées en 1960, au fil du temps se sont ajoutées des femmes nées la même année. Ainsi, d’après les données de l’enquête EFL, leur effectif s’en serait trouvé multiplié par 4 entre 14 et 49 ans. La descendance finale y aurait été de 2,98 enfants. Il en va tout autrement si l’on s’écarte du calcul de type état-civil/EAR pour garder l’ensemble des femmes immigrées nées en 1960 et l’ensemble de leurs enfants qu’ils soient nés en France ou non. L’effectif est le même à chaque âge et la DF est plus faible – 2,47 – en raison de la sous-fécondité des femmes immigrées avant la migration. Très clairement, cette deuxième mesure a plus de consistance que la première, mais elle ne mesure que la fécondité des femmes nées en 1960 et encore présentes en 20114.

L’enquête rétrospective a donc un avantage sur l’observation conjoncturelle, celui d’avoir les mêmes femmes en observation au cours de leur vie féconde jusqu’à la date de l’enquête et dont la composition ne change pas au fil du temps au gré des nouvelles arrivées.

C’est simplement parce que la descendance finale des femmes immigrées (ou nées à l’étranger) n’est connue que lors d’enquêtes rétrospectives que leur fécondité s’en trouve mieux appréhendée que par l’ICF calculé à partir des données d’état civil et d’EAR et non en raison d’un défaut intrinsèque de l’ICF. Si l’Insee avait les moyens de la calculer, à partir de l’état civil (qui, par construction, n’inclut que les naissances intervenues sur le sol français) et des EAR (qui n’incluent, par construction, que les femmes présentes en France), la descendance finale des femmes nées à l’étranger surestimerait, elle aussi, leur fécondité.

C’est l’outil d’observation qui fait la différence et non le type d’indice.

Si l’on calcule, à partir de l’enquête Famille et logements de 20115, un ICF à la manière de l’Insee lorsqu’il utilise les données d’état civil, cet ICF est supérieur à celui calculé sur l’ensemble des enfants nés en France et à l’étranger, tout particulièrement aux dates les plus éloignées de l’enquête. Plus on se rapproche de 2011 plus cet ICF se rapproche de celui calculé sur toutes les naissances tout simplement parce que, en fin de période, les naissances se rapportent à l’ensemble des femmes présentes dans les deux cas (voir graphique 1). C’est bien ce qu’a également observé Didier Reynaud à partir de l’enquête TeO26, dont les effectifs sont beaucoup plus petits que ceux de l’enquête EFL.

En 1995, l’ICF à la manière de la méthode état-civil/EAR est de 2,48 enfants par femme, contre 2,04 lorsqu’il est calculé à partir des naissances avant et après l’immigration (soit -0,44 enfant). En 2009, l’écart s’est considérablement réduit (-0,09 enfant). En 1995, l’ICF tel qu’on pourrait le calculer à l’état civil sur les seules naissances en France comprend les femmes entrées avant cette date, et seulement elles, alors que l’ICF total, sans distinction du lieu de naissance des enfants, comprend aussi celles entrées pendant les quinze ans qui suivent et qui, en 1995, vivaient au pays d’origine. Les évolutions de ces indices sont en grande partie factices.

Si l’on considère l’ICF calculé à la manière de la méthode état-civil/EAR sur la période 1995-2009, la composition par âge à l’arrivée inclut, par construction, au fil des années, de moins en moins de femmes arrivées très jeunes et de plus en plus de femmes arrivées à un âge plus tardif. Par exemple, 35 % des femmes immigrées présentes en 2011 et entrées en France avant 1995 avaient moins de 15 ans au moment de la migration. En 2011, cette proportion était descendue à 23 % parmi les femmes entrées avant cette date.

Descendance par âge des femmes nées à l’étranger

Didier Reynaud a raison. L’examen des descendances finales dans les générations, qui ont passé l’âge d’avoir des enfants, à partir d’une enquête rétrospective est une voie plus sûre d’examiner la fécondité des femmes nées à l’étranger que l’indicateur conjoncturel de fécondité calculé dans l’année à partir de données d’état civil. Mais les taux par âge sont extrêmement composites en termes de pays d’origine, d’âges à l’entrée, de durées de séjour. Au moins, dans les cohortes d’années d’arrivée, la composition par origine et âge à l’entrée reste la même au fil des durées de séjour.

L’examen, par Didier Reynaud, des différences de descendance finale des immigrées nées en 1960-1974 d’avec la génération de leur mère est intéressante, notamment pour celles nées en Afrique (dominée en France par les flux maghrébins). Il amène l’auteur à la conclusion suivante : ces différences traduisent « sans doute une rupture, du fait de la migration, comparativement aux fécondités élevées dans les pays d’origine » (p. 32). Il y a probablement eu aussi un effet de génération lié à la baisse de fécondité dans certains pays, notamment celle fulgurante mais tardive en Algérie à partir des années 1980 et une sélectivité des flux, notamment sur les niveaux de diplôme.

Il est beaucoup moins confortable de raisonner sur les descendances partielles par génération car les cohortes ne sont pas complètes. Par exemple, toutes les femmes nées en 1997 ne sont pas encore arrivées, ce qu’a du reste bien compris Didier Reynaud lorsqu’il cherche un moyen de corriger l’ICF mais qu’il n’applique pas aux descendances partielles (Figure 26 reproduite ci-dessous et figures 27 et 28 p. 28 à 31).

Si l’on veut étudier la fécondité des femmes immigrées et son évolution, il faut sortir des mesures habituelles. C’est ce qu’a tenté Laurent Toulemon en construisant un ICF un peu particulier combinant descendance atteinte au moment de l’entrée en France et fécondité mesurée dans l’année après l’arrivée7. Laurent Toulemon cherche à retomber sur un indicateur que l’on pourrait comparer à celui que l’on calcule habituellement. Cet indicateur hybride nécessite des données d’enquête rétrospective. Or, lorsqu’on dispose de ces enquêtes, pourquoi ne pas construire des indicateurs structurés autour des variables fondamentales et définitives que sont l’année d’arrivée en France et l’âge à l’entrée ? Pour chaque immigrée, ces données ne changent pas au fil de leur vie. La fécondité est alors mesurée en fonction de la durée de séjour dans des cohortes d’années d’arrivée par âge à l’entrée. Il est aussi possible de construire un indicateur de référence pour les natives qui corresponde à la fécondité de celles qui ont atteint l’âge à l’entrée des immigrées en même temps8. C’est ce qui est présenté dans le tableau 1 pour trois cohortes d’arrivée décennales à partir de l’enquête EFL 2011.

On a là des éléments qui permettent de comparer ce qu’a été la fécondité des femmes immigrées présentes en 2011 par âge à l’entrée à celles des natives. A-t-on résolu parfaitement la question de la comparabilité d’évolution dans le temps de la fécondité des immigrées au sens d’une pure évolution temporelle ? Non. En effet les femmes entrées dans les années 1960-69 sont différentes de celles arrivées plus tard, par leur pays d’origine, mais aussi par bien d’autres caractéristiques, notamment la catégorie sociale. Dans cette cohorte, les différents âges à l’entrée ne portent pas non plus forcément sur les mêmes courants migratoires. Mais, au fond, c’est aussi le cas lorsqu’on examine la descendance des femmes nées en France au fil du temps dont les caractéristiques sociales varient elles aussi.

Didier Reynaud a bien vu la difficulté posée par les défauts de l’ICF tel qu’on le calculerait à partir de l’état civil si l’Insee décidait de travailler l’information selon le lieu de naissance de la mère.

L’état civil ne contient pas d’informations sur les immigrés

Il faut rappeler ici que s’il est possible de collecter des informations sur la fécondité des femmes immigrées dans des enquêtes dédiées, forcément rares, ce n’est pas le cas des données d’état civil qui n’enregistrent que le pays de naissance de la mère et non sa nationalité de naissance. L’état civil ne permet donc de distinguer que la fécondité des femmes nées en France de celles nées à l’étranger (avec la possibilité d’indiquer le groupe de pays de naissance). En distinguant ces naissances par âge de la mère, l’Insee pourrait facilement calculer, chaque année, des taux de fécondité par âge selon le lieu de naissance de la mère, les données tirées des EAR fournissant les effectifs de femmes de chaque catégorie par âge au dénominateur.9

Mais c’est à travers l’ICF que Didier Reynaud entreprend de mettre en évidence la discontinuité entraînée par la migration, dans l’espoir de trouver un moyen d’en corriger le défaut. Au lieu de la montrer simplement à partir de cohortes d’année d’entrée en France distinguant l’avant et l’après migration, il calcule une chose assez bizarre : un ICF moyen (cumul des taux de fécondité par âge) selon la durée de séjour (négative avant et positive après l’entrée en France) des années 2005-2017 (voir encadré et reproduction de la figure 33 page 34 ci-dessous).

Calcul Insee de l’ICF par durée de séjour

Pour les femmes considérées l’année de leur entrée en France (durée zéro), Didier Reynaud ajoute les taux de fécondité par âge des femmes âgées de 15 à 50 ans obtenus en rapportant les naissances intervenues lors de l’année d’arrivée de femmes d’un âge x aux femmes de cet âge à la durée de séjour zéro. Les femmes entrées en France et présentes dans l’enquête ont évidemment connu des durées avant la migration (ici de -10 à -1) et, en fonction de leur année d’entrée, une ou plusieurs années de séjour après (ici jusqu’à 20 ans). 

Ainsi, les femmes entrées à 20 ans en 2015 avaient 10 ans en 2005 et ne contribuent donc pas à l’indicateur de fécondité à la durée – 10 ans. Elles commencent à entrer dans le calcul à la durée -5 ans (année 2010) et figurent dans le calcul des indicateurs de fécondité jusqu’à la durée +2 ans (année 2017). Elles sont donc absentes dans les durées postérieures. Elles interviennent dans le calcul de l’ICF entre 15 ans et 22 ans des années 2010-2017. De même, celles qui sont entrées à 35 ans en 2015 seront présentes dans le calcul des indicateurs de fécondité des durées -10 ans à +2 ans, c’est-à dire entre 25 et 37 ans. Les immigrées entrées à 20 ans en 1995 étaient en France depuis 10 ans en 2005 et contribuent donc aux indicateurs de fécondité des durées +10 ans à + 20 ans, soit entre 30 ans et 40 ans. Celles qui sont entrées à 20 ans en 1980 ne contribuent pas aux indicateurs de fécondité car en 2005, elles sont là depuis 25 ans, durée non prise en compte.

On ne voit pas bien quel sens donner à cet ICF composite qui, à chaque durée, est formé de cohortes d’années d’arrivée et d’âges à l’entrée différents. Je n’en vois pas bien l’intérêt, surtout si c’est pour finir par écrire que « les femmes immigrées ont [eu] tendance à repousser leur maternité après la migration » (page 35). Ce qui est infiniment plus facile à montrer dans les cohortes d’année d’arrivée selon l’âge à l’entrée. On ne comprend pas pourquoi Didier Reynaud retient l’ICF pour conduire cette démonstration si l’on ne garde pas à l’esprit que son projet est de corriger l’ICF, tel qu’il est d’habitude calculé, de ce biais. Cela aurait été, en effet, plus facile et plus probant de le démontrer autrement à partir des données d’enquête rétrospective. L’enquête TeO2 est sans doute un peu juste en effectifs pour le faire, mais elle me paraît l’être également pour calculer ces ICF composites sur 30 durées de séjour. Il aurait sans doute été plus sage d’attendre l’exploitation de l’enquête Familles de 2025 dont l’échantillon sera beaucoup plus étoffé.

L’idée de Didier Reynaud est de calculer, pour chaque année, un ICF se rapportant non seulement aux femmes effectivement présentes mais également à celles, absentes, mais qui entreront en France avant 50 ans de 2020 à 2055. Ainsi, pour espérer avoir (eu) 15 ans en 2021, il faut avoir 15 ans cette année-là ou 16 ans en 2022 ou 17 ans en 2023 ou 18 ans en 2024… ou 49 ans en 2055. Didier Reynaud complète donc rétrospectivement l’effectif des femmes nées à l’étranger et âgées de 15 ans en 2021 par les entrées projetées des femmes à 15 ans en 2021, à 16 ans en 2022, à 17 ans en 2023, à 18 ans en 2024… et à 49 ans en 2055. 

Il fait de même à tous les âges. Au fil des âges, de moins en moins d’années d’entrées sont intégrées. À 50 ans, en 2021, il n’y a plus d’entrées avant cet âge à ajouter.

Les entrées de personnes nées à l’étranger d’ici 2055 non encore présentes sont par définition inconnues. Il faut donc les simuler.

Didier Reynaud va chercher l’information dans l’enquête annuelle de recensement réalisée en 2020 qui, grâce au recueil de l’année d’entrée des personnes nées à l’étranger, complété par celui du pays de résidence antérieure un an auparavant, permet d’estimer le nombre de femmes entrées en 2019. Toutes les caractéristiques de ces femmes cette année-là sont reportées sur les femmes « attendues » pour les années 2020 à 2055.

Didier Reynaud a établi trois scénarii principaux : même nombre d’entrées qu’en 2019 pendant 35 ans (scénario dit central) ; un accroissement du flux de 2 % par an ; une diminution du flux de 1 % par an. Il en déduit un profil du rapport des femmes nées à l’étranger non encore arrivées à celles effectivement présentes correspondant, à chaque âge de 15 à 50 ans, rapport qu’il peut appliquer aux femmes nées à l’étranger présentes. Les effectifs qui s’en trouveront ainsi les plus accrus sont ceux des femmes les plus jeunes censées entrer dans les années suivantes à différents âges. C’est bien ce qu’indiquent les résultats de l’opération sur les effectifs de l’année 2021 (figure 37 page 39 ci-dessous).

Encore faut-il reconstituer des naissances à l’étranger dont ces femmes non encore arrivées en France sont ou seront les mères. Didier Reynaud va chercher, dans l’enquête TeO2, les taux de fécondité des femmes enquêtées avant leur arrivée en France, mais aussi les taux de fécondité des femmes ayant eu des enfants à l’étranger après leur arrivée en France (très faibles évidemment)10.

Ces taux de fécondité permettent à Didier Reynaud de mettre en face des femmes nées à l’étranger dont il a estimé les effectifs futurs, des naissances à l’étranger, par simple application des taux de fécondité par âge. Comme ces derniers, pourtant établis sur une période assez longue (2000-2014 pour les taux avant migration ; 2000-2017 pour les taux après migration), sont très chahutés en fonction de l’âge, en raison des effectifs réduits (5760 femmes nées à l’étranger dans l’enquête TeO2), il a été nécessaire de les lisser sur cinq ans d’âge.

Ces naissances à l’étranger ajoutées aux naissances en France permettent à Didier Reynaud de recomposer un indicateur conjoncturel de fécondité en les rapportant, à chaque âge aux effectifs de femmes présentes auxquels viennent s’ajouter les effectifs de celles qui pourraient l’être d’ici leurs 50 ans, indépendamment du lieu de naissance de leurs enfants. Rien d’étonnant à ce que l’ICF ainsi construit soit inférieur à celui obtenu à partir des naissances en France en raison de taux de fécondité bas avant la migration et d’un effet de rattrapage après la migration.

Didier Reynaud en conclut :

« Après ajustement, toujours en moyenne sur la période 2017-2021, l’ICF des femmes nées à l’étranger est de 2,37 enfants par femme et celui des femmes nées en France de 1,67 enfant par femme, soit un écart de 0,70 enfant par femme au lieu des 1,31 avant ajustement. La fécondité des femmes nées à l’étranger (2,37 enfants par femme) reste supérieure à celle des femmes nées en France (1,67) -, mais avec un écart moins marqué – presque divisé par deux – qu’avant ajustement. » (page 42 de l’étude, texte en gras de l’auteur). 

L’ajout, aux effectifs de femmes nées à l’étranger présentes, de celles qui ne sont pas encore là mais pourraient l’être avant d’atteindre 50 ans au plus tard en 2055 permet à Didier Reynaud de calculer aussi un ICF ajusté total de la France. Cet ICF total ajusté intègre ainsi des naissances à l’étranger de femmes absentes pour le moment mais dont on pressent qu’elles viendront dans le futur. L’impact de cet ajustement sur l’ICF global France entière de 2017-2021 est de -0,03 enfant.

Ce qui permet à Didier Reynaud de calculer une contribution ajustée des femmes nées à l’étranger à l’ICF de la France, lui aussi réduit (+0,16 enfant contre +0,19 enfant sans ajustement) : « Le surcroît de l’ICF attribué aux femmes nées à l’étranger passe donc de 0,19 à 0,16 du fait de l’ajustement » (page 44, en gras dans le texte).

Avec cet ajustement, plus les flux à venir seront importants, plus l’ICF des femmes nées à l’étranger s’en trouvera réduit puisque ces femmes, qui ne sont pas encore là, occupent plus de place. Dans le scenario envisageant un accroissement de 2 % par an du nombre d’entrées de femmes d’ici 2055, l’ICF ajusté des femmes nées à l’étranger en 2017-2021 serait de 2,31, au lieu de 2,37 dans le scenario central. Mais avec une diminution de 1 % par an, l’ICF gagnerait 0,03 enfant (2,40).

On en arrive à se demander si la seule vertu de l’ICF ajusté de Didier Reynaud n’est pas tout simplement de donner à voir un indicateur conjoncturel de fécondité plus faible que celui calculé habituellement. Le risque est que plus personne ne comprenne quoi que ce soit à cet ICF ajusté, le public ayant déjà du mal à comprendre l’ICF sans ajustement. Ajoutons que le nouvel indicateur se trouverait ainsi déconnecté du nombre de naissances en France.

Didier Reynaud ne s’est pas arrêté là. Il a calculé un ICF ajusté ou non de 2017 à 2021, pour différents groupes de pays de naissance, ce qui est quelque peu audacieux compte tenu des effectifs présents dans l’enquête TeO2. L’écart le plus grand entre ICF ajusté et ICF « normal » concerne les femmes nées aux Amériques ou en Océanie (-073 enfant). Les immigrés de cette origine sont très peu nombreux en France. D’après les estimations de l’Insee, en 2021 ils ne représenteraient que 5,8 % de l’ensemble des immigrés. Si l’on applique ce ratio à l’ensemble des femmes nées à l’étranger enquêtées dans TeO2, cela ne donne pas plus de 334 femmes, nombre qu’il faut subdiviser encore en fonction de l’âge pour calculer des taux de fécondité par âge. Avec de tels effectifs, les profils de fécondité par âge qui en résultent sont forcément très chahutés. Si l’on prend ces résultats au sérieux, je ne vois qu’une explication à ce grand écart (-0,73 enfant) : la quantité élevée de femmes incluses dans le flux migratoire anticipé par rapport à l’effectif présent. Ce qui pourrait tout aussi bien signifier que les sorties du territoire ne sont pas rares et que l’impasse faite sur ce phénomène dans l’ajustement est lui-même à l’origine d’un biais. Didier Reynaud fait comme si toutes les femmes appelées à venir en France jusqu’en 2055 devaient y rester. Ce qui est faux en toute rigueur et peut-être très faux pour les Américaines.

En somme, plus les migrations seraient de courte durée, plus cette addition de flux par anticipation pèserait dans l’estimation de l’ICF et plus la correction par l’introduction des migrations futures de femmes appelées à rester est problématique. C’est pourquoi il ne me paraît pas utile de rentrer plus avant dans la variété de résultats proposés par Didier Reynaud.

Par ailleurs alors que l’histoire des dernières décennies montre à quel point les flux migratoires ont évolué (nombre, composition par âge, origine), on ne voit pas pourquoi, soudainement, il n’en irait plus de même.

Didier Reynaud ne demande pas à ce que l’Insee ajuste chaque année ses calculs de l’ICF pour la France, lors de ses bilans démographiques. Il propose de réserver l’ajustement à l’étude comparative ponctuelle de la fécondité des femmes nées à l’étranger et des femmes nées en France. La force d’entraînement de l’INSEE sur la statistique européenne n’est pas telle qu’il peut espérer convaincre les instituts statistiques de l’UE de partager cette innovation. Nous échapperons donc, dans les bilans démographiques aux ICF ajustés :

« On préconise donc, au vu des résultats et des difficultés de réalisation du correctif (hypothèse sur les flux à venir, données de l’enquête TeO2 non reproduites chaque année) de ne pas effectuer le correctif chaque année sur l’estimation de l’ICF de la population totale (celle du bilan démographique annuel ou pour les comparaisons internationales notamment), mais seulement pour les études sur la fécondité des femmes nées à l’étranger, lors des comparaisons avec les femmes nées en France » (page 44, en gras dans le texte de l’étude).

Si l’on veut bien suivre Didier Reynaud pour qui « le principal résultat de ce document de travail est que l’ICF, tel qu’il est classiquement calculé, surestime nettement pour les femmes nées à l’étranger le nombre moyen d’enfants qu’elles auront au cours de leur vie » (p. 62, en gras dans le texte), la principale vertu de son nouvel indicateur est de relativiser la fécondité des immigrées en France. Cet ICF ajusté a pourtant le défaut de se fonder sur une projection bien incertaine de flux, une hypothèse – bien téméraire – de stabilité de leur composition par origine et par âge à l’entrée et une hypothèse peu crédible de sorties nulles pour ces entrées anticipées.

Au total, la correction est donc très fragile et l’on perd le fil entre indicateur conjoncturel de fécondité et natalité en France. Au moins l’ICF « normal » a la vertu d’apporter, au simple commentaire sur le nombre et la part des naissances de mères nées à l’étranger, un élément de comparaison avec la fécondité des natives par élimination de l’effet de la structure par âge. Rien n’interdit de garder en tête que cet ICF des femmes nées à l’étranger (ou immigrées) est marqué chaque année par un effet de rattrapage et de réserver l’étude de la fécondité des femmes nées à l’étranger (ou immigrées) au cours de leur vie à l’analyse de données rétrospectives. Plutôt que de s’en servir pour corriger de manière hasardeuse et fragile nos indicateurs familiers, il serait plus productif de travailler ces données d’enquêtes autrement pour calculer des indicateurs plus adaptés par cohorte d’année d’arrivée et d’âge à l’entrée.

Article de Michèle Tribalat à retrouver également sur son site internet.

  1. Les plus courants, pour des raisons assez évidentes. Mais on peut étudier aussi la fécondité des hommes. ↩︎
  2. Michèle Tribalat., 1988, « Problèmes liés à l’étude de la nuptialité des migrants », Population, 43(2), p. 375-390, https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1988_num_43_2_17043. Michèle Tribalat, 2005, « Fécondité des immigrées et apport démographique de l’immigration étrangère », dans Christophe Bergouignan, Chantal Blayo, Alain Parant, Jean-Paul Sardon, Michèle Tribalat, La Population de la France, Tome II, CUDEP, p. 727-770. ↩︎
  3. Laurent Toulemon, « La fécondité des immigrantes : nouvelles données, nouvelle approche », Population et Sociétés, n°400, Avril 2004, 4p, https://www.ined.fr/fr/publications/editions/population-et-societes/la-fecondite-des-immigrees-nouvelles-donnees-nouvelle-approche/. ↩︎
  4. Si, ce qui est peu probable, s’installaient en France, après 2011, des femmes d’un âge avancé nées la même année, la DF calculée quelques années plus tard pourrait s’en trouver changée, sans compter les effets de sélection possibles liés à l’émigration et à la mortalité. ↩︎
  5. La prochaine s’appellera Enquête Familles et sera réalisée en 2025. ↩︎
  6. Voir figure 31, p. 33. https://www.insee.fr/fr/statistiques/6802839. ↩︎
  7. Laurent Toulemon, 2005 , art. cit. ↩︎
  8. Michèle Tribalat, 2005, op. cit. ↩︎
  9. Une autre méthode, dont il ne sera pas question ici, est celles des enfants au foyer lors des recensements ou EAR. ↩︎
  10. Mais nous sommes là sur le champ géographique de la France métropolitaine, ce qui suppose une autre hypothèse : l’équivalence de ces taux de fécondité pour les DOM. ↩︎

Michèle Tribalat – Fécondité française : sur les traces de la fécondité espagnole ?

Le dernier bilan démographique de l’Insee1 a été accompagné, et c’est une excellente initiative, de la diffusion de tableaux, téléchargeables en format excel, non seulement sur la France entière mais aussi sur la France métropolitaine. Pour cette dernière les tableaux remontent jusqu’à 1946. En raisonnant sur la France métropolitaine, on évite les discontinuités de champ (avec ou sans Mayotte) et la profondeur historique est plus grande. La population estimée au 1er janvier 2023 est encore provisoire, ainsi que celle des années 2020 à 2022 et les soldes migratoires des trois dernières années. En janvier de chaque année, l’Insee procède à l’estimation de la population. Celle-ci est faite à partir des données d’état civil, qui sont connues avec précision, et des soldes migratoires que l’lnsee estime de façon provisoire. Ces derniers font la moyenne des soldes des trois dernières années dont les résultats sont définitifs. Ceux de 2020, 2021, 2022 sont ainsi estimés à 173 0002. Autant dire qu’il est encore plus imprudent d’en tirer des conclusions sur les migrations qu’il ne l’est pour les années antérieures présentant les estimations définitives.

2010 est l’année où l’on a observé le plus grand nombre de naissances depuis 40 ans. De 2010 à 2022, la France métropolitaine a perdu près de 119 000 naissances et « gagné » près de 111 000 décès. D’où la dégringolade du solde naturel (excédent des naissances sur les décès). En 2022, c’est le plus bas enregistré depuis 1946. Il n’y a eu que 32 000 naissances de plus que de décès (tableau ci-dessous). Vieillissement de la population3 et baisse de la fécondité expliquent cette dégringolade.

Le nombre de naissances diminue sous l’effet d’une baisse de la fécondité et de l’évolution du nombre de femmes en âge d’avoir des enfants. Cette+ dernière somme les évolutions contrastées des différents groupes quinquennaux d’âges qui reproduisent, approximativement, les hausses et les baisses du groupe d’âges précédent avec cinq ans de décalage, comme le montre le graphique ci-dessous sur lequel figurent les principaux groupes d’âges à la maternité.

Évolution du nombre de naissances, de l’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF), et du nombre
de femmes âgées de 25-99 ans, de 30-34 ans et de 35-39 ans ainsi que leur totalisation (25-39 ans)
en France métropolitaine de 2010 à 2022. Base 1 en 2010.
Source : Insee.

2010 est aussi l’année où le nombre moyen d’enfants par femme (2,02) a été le plus élevé depuis très longtemps. Il faut, en effet remonter à 1974 pour trouver un nombre moyen d’enfants par femme supérieur à 2 en France métropolitaine (2,11). Il diminue doucement depuis 2010, jusqu’à un plateau en 2013-2014 à 1,97 enfant par femme. Cette tendance à la baisse s’accélère ensuite et le nombre moyen d’enfants par femme en 2022 est estimé à 1,76 (graphique ci-dessous). Si le confinement en raison de la pandémie de 2020 a pu freiner la fécondité, il ne faut pas en exagérer son effet. La baisse équivaut à peine à celle de 2015. Le rattrapage de 2021 est lui aussi bien modeste et ne mérite pas l’appellation de rebond utilisée par l’Insee. En effet, rebond suggère une reprise qui dure, ce qui n’est visiblement pas le cas.

Rappelons aussi que les chiffres pour les trois dernières années sont provisoires. La courbe avec les points bleus représente ce qu’aurait été l’évolution de l’ICF, au cours de ces trois années, s’il avait baissé en moyenne comme il l’a fait sur la période 2014-2019. Ce qui nous conduit à un nombre moyen d’enfants par femme équivalent à celui estimé par l’Insee en 2022. Si, comme l’écrit l’Insee, « la France est le pays de l’UE le plus fécond » en 2020, dernière année disponible à Eurostat, il serait sans doute plus exact d’écrire qu’elle est le pays le moins mal en point quant au niveau de sa fécondité.

Évolution de l’indicateur conjoncturel de fécondité en France métropolitaine de 2010 à 2022.

Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/6686521.

L’âge moyen des femmes à la naissance des enfants a augmenté de quatre ans en quarante ans (27 ans en 1981, 31 ans en 2021). En 2022, il est estimé à 31,1 ans par l’Insee.

Le graphique ci-dessous représente le nombre moyen d’enfants par femme pour différents groupes d’âges dont le cumul donne l’indicateur conjoncturel de fécondité, de 1971 à 2022. En 1971, en France métropolitaine, les femmes ont eu en moyenne 2,5 enfants par femme, dont 69 % étaient nés avant 30 ans. Alors que la fécondité atteinte avant 25 ans baisse de façon quasi-ininterrompue, le report sur les âges suivants laisse aux femmes âgées de 25-29 ans une fécondité qui se maintient relativement bien et une fécondité en hausse entre 30 et 34 ans jusqu’en 2007. Entre 1987 et 2007, ce sont les femmes âgées de 25-29 ans et de 30-34 ans qui participent le plus à la fécondité, soutenues en cela par les femmes âgées de 35-39 ans dont la fécondité s’est accrue presque continument depuis 1977. Après 2007, ce sont les femmes âgées de 30-34 ans qui participent le plus à la fécondité, mais sur une tendance légèrement baissière, cependant moindre que celle qui affecte la fécondité des femmes de 25-29 ans, laquelle se cumule à celle observée avant 25 ans. Ni le report à 35-39 ans ni la remontée de la fécondité à 40-44 ans ne sont suffisants pour contrarier la baisse de fécondité avant 35 ans. Le report toujours plus tard des naissances doit s’accommoder d’une fertilité déclinante avec l’âge. En 1971, les femmes avaient déjà eu 1,73 enfant en moyenne avant 30 ans. Ce n’est guère moins que le nombre moyen d’enfants des femmes âgées de 15-49 ans en 2022 (1,76).

Nombre moyen d’enfants par femme de différents groupes d’âges en France métropolitaine de 1971 à 2022.
Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/6686521.

Par ailleurs, il faut, à la lumière de cette évolution sur une cinquantaine d’années, relativiser le fameux « rebond » dont parle l’Insee pour 2021, minime à 30-34 ans et à peine visible à 35-39 ans.

D’après l’Institut de statistiques espagnol (Ine), les femmes ont eu en moyenne 1,19 enfant par femme en 2021. Les taux de fécondité par groupe d’âges retenus sont ceux communiqués par l’Ine à Eurostat pour les années 1971-2020, auxquels ont été ajoutés ceux de l’Ine pour l’année 2021. Ces données permettent de décomposer l’indicateur conjoncturel de fécondité par groupe d’âges de la même manière que pour la France. Avant d’y venir, il faut rappeler que la fécondité espagnole était encore de 2,9 enfants par femme en 1971, qu’elle a subi une chute vertigineuse jusqu’à 1,13 en 1998, pour remonter jusqu’à 1,44 en dix ans, avant de décliner à nouveau. Une chute beaucoup plus profonde et rapide qu’en France qui s’est accompagnée d’une augmentation de l’âge moyen à la maternité. Il est de 32,6 ans en 2021 contre 28,2 ans en 1980.

Si l’on regarde maintenant la participation des groupes d’âge à l’indicateur conjoncturel de fécondité, ce qui a différencié la France de l’Espagne, c’est d’abord la bonne tenue de la fécondité des femmes âgées de 25-29 ans, alors qu’elle a été divisée par 4,2 en près de cinquante ans en Espagne. Cette chute s’est conjuguée à celle non moins abrupte de la fécondité à 20-24 ans et celle à 30-34 ans jusqu’au milieu des années 1980. La remontée de la fécondité à 30-34 ans et à 35-39 ans contrebalance un temps la poursuite de la baisse de la fécondité aux âges plus jeunes et explique la remontée de l’ICF qui atteindra 1,44 enfant par femme en 2008. Mais cette compensation n’a qu’un temps et le plafonnement de la fécondité à 35-39 ans conjugué au repli de celle à 30-34 ans va ramener la fécondité espagnole en-dessous de 1,2 enfant par femme en 2020 et 2021. En 2010, la fécondité à 25-29 ans est passée en dessous de celle à 35-39 ans. Ce qui n’est pas le cas en France. Mais, en France, si la fécondité à 25-29 ans poursuivait sa tendance à la baisse, elle pourrait finir par rejoindre celle des femmes âgées de 35-39 ans, dont la marge de progression semble, quant à elle, bien étroite. Pour descendre à un niveau de fécondité aussi bas que celui de l’Espagne, il faudrait aussi que flanche la fécondité des femmes âgées de 30-34 ans qui est actuellement touchée par une légère baisse.

Si nous sommes, comme le répète l’Insee à longueur de publications, le champion de la fécondité dans l’UE, la situation française n’est cependant pas brillante. Nous serions bien inspirés d’interroger à nouveaux frais notre politique familiale et songer à ce qui pourrait être entrepris pour éviter que ne s’effondre la fécondité des femmes âgées de 25-29 ans et pour que la baisse de la fécondité des femmes âgées de 30-34 ans qui se profile ne s’approfondisse pas afin d’éviter ainsi de descendre la pente parcourue par nos voisins espagnols.

  1. Sylvain Papon, Bilan démographique 2022. L’espérance de vie stagne et reste inférieure à celle de 2019, Insee Première, n°1935, 17 janvier 2023. https://www.insee.fr/fr/statistiques/6687000#consulter. ↩︎
  2. (166 654 + 211 349 + 139 849)/3 = 172617, arrondi à 173 000. ↩︎
  3. Lequel accentue les effets du Covid sur la mortalité. ↩︎