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Auteur/autrice : calf-mc

Les transferts financiers des immigrés : 155 milliards d’euros perdus pour la France en 15 ans

Les immigrés, arrivés récemment ou non en France, constituent bien souvent une source de revenus pour leurs proches restés dans leurs pays d’origine. C’est évidemment le cas lorsque leur émigration poursuit précisément des buts économiques : quitter le pays, avec l’aide de la famille ou de la communauté pour financer la migration1, peut alors être vu comme un investissement dont les fruits (salaires, aides sociales…) sont ensuite partagés avec la famille restée sur place. Mais c’est aussi un phénomène plus général, compte tenu du différentiel de niveau de vie entre les pays développés et les pays d’émigration, et des liens qu’entretiennent les immigrés avec leurs pays d’origine.

Les transferts de fonds des migrants sont des flux privés, qui constituent une des facettes des échanges financiers et économiques entre l’Europe et le reste du monde. À la différence de l’aide publique au développement, ils ne sont pas financés par le contribuable – du moins pas directement. Pour autant, il importe de ne pas s’en désintéresser car ils connaissent une dynamique avérée et ont naturellement un impact sur l’économie française. Ils représentent aussi une source de revenu pour les pays d’émigration, qui sont en conséquence susceptibles d’être affectés par toute évolution – spontanée ou résultant de décisions politiques – du volume de ces transferts. 

La présente note s’est d’abord attachée à exploiter les données disponibles concernant les transferts et à les mettre en perspective, du point de vue de la France et des pays européens. Elle analyse ensuite les grands enjeux qui sous-tendent ces transferts, depuis la problématique des transferts informels jusqu’à leur incidence économique. Elle formule enfin des propositions pour réduire et contrôler les transferts de fonds des migrants. Par ailleurs, une annexe apporte des précisions sur les données utilisées dans la présente note.

1.1 La notion de « transfert de fonds des migrants »

La notion de transferts de fonds des migrants2, bien qu’assez parlante (il s’agit en substance d’argent que des immigrés font parvenir dans leur pays d’origine), appelle une définition précise pour être appréhendée statistiquement. 

La définition qui fait référence est celle de la Banque mondiale3 : elle recouvre les transferts personnels de ménages résidents vers des ménages non-résidents, en argent mais éventuellement aussi en nature, ainsi que les rémunérations versées à des travailleurs qui sont employés dans un pays dont ils ne sont pas résidents (travailleurs transfrontaliers, saisonniers et autres travailleurs à court terme). 

Les transferts sont dits personnels car ils émanent de personnes physiques et sont sans contrepartie pour la partie versante : il ne s’agit donc ni d’un investissement ni de l’acquisition d’un bien ou service mais simplement d’une aide. Ces dons peuvent éventuellement être faits en nature (transferts de véhicules, d’équipements divers ou de vêtements par exemple) il est alors délicat de les appréhender d’un point de vue statistique. 

Quant aux rémunérations salariales mentionnées ci-dessus, elles sont assimilées par la Banque mondiale à des transferts dans la mesure où ces sommes, perçues au titre d’une activité dans un pays donné, sont versées dans le pays de résidence du salarié : économiquement, il s’agit bien un transfert de fonds entre deux pays.4

Il est important de souligner que, d’un point de vue technique, les transferts reposent sur la notion de résidence et non sur la nationalité ou l’origine : on mesure des transferts entre des ménages qui résident dans un pays donné et des ménages qui résident dans un autre pays.

Concrètement, il peut ainsi s’agir de transferts d’un Marocain résidant en France vers le Maroc, mais aussi de ce même Marocain vers la Mauritanie ou d’un Français résidant en France vers l’Algérie – que ce dernier ait, ou non, une ascendance migratoire algérienne.

En pratique, ces transferts sont néanmoins motivés par les liens qu’entretient la personne envoyant les fonds avec son pays d’origine, notamment avec les membres de sa famille5. Rappelons que les transferts sont effectués sans contrepartie et auprès de personnes physiques : de telles aides se conçoivent dans un cadre familial, ou tout au moins communautaire. Les transferts émanent ainsi généralement d’immigrés, raison pour laquelle on parle communément de transferts de fonds des migrants.

Les transferts peuvent naturellement intervenir dans les deux sens. Lorsque des résidents français envoient des fonds à l’étranger – cas le plus fréquent –, on parle de transferts sortants (ou payés). A l’inverse, lorsque des résidents français bénéficient de transferts de fonds de personnes résidant dans d’autres pays, il s’agit de transferts entrants (ou reçus). La différence entre les deux constitue le solde : il est dit négatif lorsque les transferts sortants excèdent les transferts entrants.

1.2 Une augmentation tendancielle du volume mondial des transferts

À l’échelle mondiale, le volume des transferts entrants a atteint 823 Md$ en 2023 selon la Banque mondiale. Ce volume augmente de manière tendancielle depuis 1970 (cf. graphique 1). On ne constate des diminutions que certaines années et pour une courte durée, souvent en lien avec une conjoncture économique dégradée. La hausse s’est accélérée au cours des années 2000 et s’est poursuivie au moins jusqu’en 20236.

Graphique 1 : Evolution des transferts entrants au niveau mondial de 1970 à 2023 (en US$ courants)

La hausse des transferts est globalement corrélée au nombre de migrants internationaux (cf. graphique 2), même s’il existe d’autres facteurs explicatifs (tels que l’évolution des revenus des migrants ou encore le recours plus ou moins importants aux canaux informels) et que les personnes à l’origine des transferts n’entrent pas tous dans la catégorie des migrants (par exemple les descendants d’immigrés).

Graphique 2 : Evolution du nombre de migrants internationaux de 1970 à 2020

Source : données issues de : OIM, État de la migration dans le monde 2024.

Les transferts de fonds des migrants ont augmenté plus rapidement que l’aide publique au développement (APD) et même que les investissements directs étrangers (IDE) : ils dépassent les montants consacrés à l’APD depuis le milieu des années 1990 et se rapprochent des IDE7. L’enjeu économique des transferts de fonds est donc important, bien qu’il suscite globalement moins d’attention de la part des médias et même des économistes que l’APD ou les IDE.

Ce dynamisme des transferts se traduit par une augmentation non seulement en valeur absolue mais aussi en valeur relative. Si l’on rapporte les transferts entrants au PIB mondial (cf. graphique 3), on observe, après une phase de fluctuation entre 0,3 et 0,4 % du PIB entre 1977 et 2000, une forte hausse depuis 2001. Depuis lors, le ratio transferts / PIB est passé progressivement à environ 0,8 % du PIB pour les années 2020-2023. 

Autrement dit, la croissance du volume des transferts ne s’explique pas seulement par la progression du PIB mais va bien au-delà, le poids économique des transferts ayant doublé en une vingtaine d’année.

Graphique 3 : Evolution des transferts entrants au niveau mondial en pourcentage du PIB (1977-2023)

Source : Banque mondiale. Données disponibles depuis 1977.

1.3 Une ressource substantielle pour les pays bénéficiaires

Pour 2023, la Banque mondiale recense 741 Md€8 de transferts monétaires (envois de fonds des migrants et rémunérations des travailleurs migrants) au niveau mondial, soit 0,78 % du PIB mondial9.

Les catégories de pays pour lesquels les transferts représentent le pourcentage du PIB le plus élevé sont les pays d’Afrique occidentale et centrale (4,16 %), les pays dans la tranche inférieure des revenus intermédiaires (4,89 %) ou encore les pays dits de dividende démographique précoce10 (3,00 %). Ainsi, pour ces catégories de pays, qui sont des pays relativement pauvres, les transferts représentent pour les ménages un revenu important et contribuent de manière substantielle à leur économie – même si les effets économiques restent discutés, comme nous le verrons plus loin. Les moyennes citées cachent cependant des singularités, les chiffres étant parfois beaucoup plus élevés dans certains pays – par exemple : les Comores, dont les transferts reçus représentent 22,6 % du PIB.

En pourcentage du PIB, parmi les pays recevant les montants relatifs les plus importants, on compte, pour évoquer les différentes régions du monde, le Tadjikistan (38,4 %), les Samoa (28,2 %), le Népal (25,4 %), le Nicaragua (26,2 %), le Honduras (26,1 %), le Lesotho (22,9 %), les Comores (22,6 %), le Yémen (20,1 %), le Kosovo (17,5 %). 

Différents facteurs se combinent pour expliquer l’importance du volume financier des transferts en faveur de ces pays : importance relative de la population expatriée, faiblesse du PIB, proximité de pays plus riches…

Le détail des données par pays et catégories de pays figure en annexe.

1.4 Les pays européens, grands perdants des transferts

La France et, plus largement, la plupart des pays européens sont une des sources de ces transferts financiers. Rien d’étonnant à cela dès lors que ces pays sont de facto des pays d’immigration. 

Certes, certains d’entre eux ayant bénéficié de la libre circulation depuis l’élargissement de l’Union européenne aux pays d’Europe centrale et orientale (Roumanie, Bulgarie, Pologne, Hongrie, pays baltes…) peuvent compenser les flux sortants par des flux entrants issus de leurs propres travailleurs expatriés. 

Les flux entre l’Europe et le reste du monde sont néanmoins nettement déséquilibrés en défaveur du vieux continent.

Ainsi, concernant l’Union européenne (UE 2711), nous constatons, en 2023 un solde des transferts entre ménages résidant dans l’UE et ménages résidant hors de l’UE déficitaire à hauteur de 35,9 Md€12

Ce solde se dégrade fortement depuis le milieu des années 2010, le déficit ayant presque triplé, passant de 12,4 Md€ en 2014 à 35,9 Md€ en 2023 (cf. graphique 4). La crise migratoire commencée en 2015 (afflux d’immigrants, issus entre autres de Syrie et d’Afghanistan, empruntant plus particulièrement la voie balkanique) a assurément contribué à ce bond des transferts financiers des migrants depuis l’Europe – et donc à l’aggravation du déficit correspondant.

Graphique 4 : Evolution du solde des transferts pour l’UE27 entre 2014 et 2023

Le détail des dernières données en date par pays européen figure en annexe. Notons d’ores et déjà qu’en 2023, à elle seule, la France représente près de la moitié de ce déficit européen (44 %).

1.5 La France, source de transferts croissants

La France suit la tendance haussière précédemment décrite. Comme nous venons de la souligner, elle est même le premier pays européen à l’origine de transferts de fonds des migrants, avec un déficit de 15,8 Md€ (sur un total de 35,9 Md€ pour l’UE27, soit 44,0 %) et un volume de transferts sortants de 16,1 Md€ (sur un total de 65,4 Md€, soit 24,6 %). La France devance ainsi l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne.

Le solde français des transferts tend à se dégrader nettement depuis 2008 : le déficit a plus que doublé en 15 ans (en euros courants), passant de -7,2 Md€ en 2008 à -15,8 Md€ en 2023 (cf. graphique 5). Ce solde a été en baisse constante, sauf durant les deux années au cours desquelles le PIB français a reculé (2009 et 2020), la conjoncture étant alors moins favorable aux transferts.

Graphique 5 : Evolution du solde des transferts pour la France entre 2008 et 2023

Source : Eurostat.

En cumulant les 15 dernières années (2009-2023), le volume des transferts sortants atteint 162,5 Md€, contre des transferts entrants de seulement 7 Md€ – soit un solde négatif de 155,5 Md€. Ce montant cumulé sur quinze ans équivaut à 5,3 % du PIB de la France l’an dernier. Le volume des transferts est donc significatif. 

1.6 Des transferts qui bénéficient majoritairement aux pays africains

À qui profitent ces sommes transférées par des migrants depuis la France ? Si l’on regarde par grande région géographique, la destination des fonds reflète les origines des immigrés présents en France (Afrique du Nord et Afrique subsaharienne, Europe, Asie). 

En 2023, plus de la moitié du déficit de la France en termes de transferts entre ménages résidents et non-résidents provient de l’Afrique, à savoir 51,4 % (cf. graphique 6). Plus précisément, il s’agit principalement de l’Afrique du Nord (41,2 %), l’Afrique centrale et australe venant nettement derrière (10,2 %). Viennent ensuite les autres pays européens (24,6 %) – principalement des Etats membres de l’UE (19,6 %) – puis l’Asie (18,5 %), dont notamment l’Asie du Sud et de l’Est (15,6 %). 

L’Amérique représente une proportion plus faible (5,4 %), uniquement due à l’Amérique centrale et à l’Amérique du Sud. Les données détaillées sont reprises en annexe.

Graphique 6 : Décomposition par région géographique du déficit des transferts personnels de la France en 2023

Source : données Eurostat (transferts courants entre ménages résidents et non-résidents, France, 2023).

En revanche, les données publiques disponibles ne permettent pas d’avoir une photographie exhaustive pays par pays.  En effet, si les données mentionnées ci-dessus sont censées intégrer l’intégralité des transferts versés par des résidents français quel que soit le pays bénéficiaire, le détail par pays n’est publié par Eurostat que pour un nombre limité de pays – une soixantaine sur quelques 200 pays dans le monde. 

Le caractère tronqué des données publiées, qui peut certes s’expliquer par un manque de fiabilité des données dont disposent les organismes statistiques, est d’autant plus regrettable que l’absence de détail ne concerne pas seulement des pays avec lesquels la France a peu de liens mais aussi des pays comme l’Algérie.

Autrement dit, nous ne disposons pas de l’évaluation de la Banque de France concernant les transferts français bénéficiant à l’Algérie, alors que nous en avons pour le Maroc. Pourtant, l’Algérie reçoit des transferts : la Banque mondiale recense des transferts en faveur de l’Algérie à hauteur de 1,9 Md$ (soit 1,7 Md€) en 2023 (transferts personnels + rémunérations des salariés).  Or, à l’évidence, une partie de ces transferts provient de France, qui concentre à elle seule 84% des titres de séjour en cours de validité pour des Algériens dans l’UE 13

En outre, une étude empirique menée à Montreuil par la Banque mondiale évaluait en 2015 à 1 269 € par immigré le montant annuel moyen des transferts versés à destination de l’Algérie14.

En se limitant aux données disponibles, nous présentons ci-après (cf. tableau 1) le « top 10 » des pays ayant bénéficié de transferts depuis la France15. En première position apparaît le Maroc (solde de -3,5 Md€, soit 22,4 % du solde total de la France), suivi par deux pays d’Europe du Sud (le Portugal et l’Espagne), auxquels il faut ajouter, plus bas dans le classement, l’Italie et la Roumanie. On distingue également plusieurs grands pays émergents (Chine, Inde, Brésil) ou en développement (Egypte, Nigeria).

Tableau 1 : Solde des transferts personnels depuis la France en 2023 – Les 10 premiers pays (connus) récipiendaires de transferts depuis la France

Pays de destination des fondsEn M€En %
Maroc-3 53022,4%
Portugal-1 2768,1%
Espagne-1 1557,3%
Chine (hors Hong Kong)-3872,5%
Inde-3582,3%
Égypte-2741,7%
Italie-2661,7%
Roumanie-2161,4%
Nigeria-2101,3%
Brésil-1901,2%

Source : Eurostat (transferts courants entre ménages résidents et non-résidents, France, 2023). 

Dès lors que le détail des données par pays (disponible en annexe) n’est pas exhaustif, nous sommes en fait confrontés à un « effet lampadaire » : Eurostat ne donne à voir que les données afférentes à certains pays, probablement considérées comme fiables, à la différence de celles non reprises dans les données détaillées. 

Le risque est de se focaliser sur ces seules données visibles, à l’instar de la personne ayant perdu ses clés et les cherchant sous le lampadaire en raison du fait qu’il s’agit du seul endroit éclairé…

1.7 Les transferts français, une ressource importante pour de nombreux pays

Sur la base de ces données, nous avons rapporté les transferts personnels émanant de France aux transferts personnels reçus de toutes origines par les pays destinataires. 

Ce rapport permet de mesurer le poids de la France dans la ressource financière que constituent ces transferts personnels pour les pays récipiendaires. En moyenne, il apparaît que les transferts depuis la France représentent 2,75 % de la totalité des transferts à destination du reste du monde (cf. tableau 2), ce qui est cohérent avec le poids économique de la France (2,8 % du PIB mondial). 

Dans le détail, le Maroc et la Turquie ont une dépendance assez forte aux transferts français (respectivement 33,3 % et 13,1 % de leurs transferts totaux). Cette donnée n’est malheureusement disponible pour aucun pays d’Afrique subsaharienne, à part pour le Nigéria (1,2 %), qui n’entretient toutefois pas de liens étroits avec la France. 

Dans le top 10 des pays pour lesquels la part des transferts personnels français est importante, on trouve ensuite divers pays européens, ainsi que la Chine (6,2 %) et le Brésil (5,3 %). Le détail des données par pays est en annexe.

Tableau 2 : Part des transferts personnels émanant de France parmi l’ensemble des transferts reçus par chaque pays en 2023 – Les 10 pays pour lesquels les transferts français représentent la part de leurs transferts totaux la plus importante

Pays de destination des fonds%
Maroc33,34%
Pays-Bas15,79%
Turquie13,09%
Italie13,08%
Allemagne6,67%
Chine (hors Hong Kong)6,22%
Brésil5,30%
Roumanie4,91%
Royaume-Uni3,92%
Luxembourg3,51%
Moyenne mondiale2,75%

Source : Eurostat (transferts personnels sortant de France) et Banque mondiale (transferts personnels totaux reçus).

Dans le cas du Maroc, pour lequel les transferts personnels représentent 8,14 % du PIB, on constate que les transferts personnels depuis la France contribuent directement à 2,7 % du PIB marocain, ce qui est très significatif. 

Pour les autres pays récipiendaires cités, la contribution des transferts français au PIB est en revanche anecdotique (0,01 % pour la Turquie, le Brésil et l’Italie par exemple).

En définitive, on constate que la France connaît un déficit croissant dans les transferts de fonds des migrants et constitue une source importante de revenus pour certains pays bénéficiaires. 

Au terme de l’analyse de l’ensemble de ces données, nous proposons de nous arrêter sur certaines problématiques que soulèvent les transferts personnels, pour les pays d’origine comme pour ceux de destination.

2.1 La question des transferts informels

Les données disponibles, à savoir notamment celles de la Banque mondiale, qui servent par ailleurs de source à Eurostat, n’appréhendent qu’imparfaitement les transferts informels. En effet, les données fournies par les pays ne corrigent pas toutes – et le cas échéant pas de manière homogène – le volume des transferts qui ne sont pas appréhendés par les canaux officiels. 

Nous avons déjà pu observer que, s’agissant des transferts français, nous ne disposions pas de données pour certains pays de destination comme l’Algérie. Les données disponibles pour les pays de destination sont parfois étonnantes : les transferts représentent 8,14 % du PIB du Maroc et 5,92 % de celui de la Tunisie mais seulement 0,75 % du PIB de l’Algérie… De même, ils représentent 7,09 % du PIB du Togo contre 1,19 % pour le Bénin. 

Si la situation de chaque pays est spécifique (ampleur de la diaspora, dynamisme des liens avec le pays d’origine…), il est probable que ces écarts s’expliquent aussi par l’existence de transferts informels qui échappent aux organismes statistiques. D’ailleurs, les fluctuations d’une année sur l’autre sont parfois expliquées par l’évolution en sens contraire des transferts informels16

Aussi, pour appréhender de manière exhaustive l’ampleur des transferts vers les pays bénéficiaires, il serait nécessaire de chiffrer ceux d’entre eux qui transitent par des canaux informels. Au-delà de la problématique technique pour les autorités statistiques, se pose également la question du contrôle de ces flux informels, qui peuvent participer à du blanchiment de capitaux.

Les canaux informels sont variés : il peut s’agir de transferts d’argent liquide via des proches ou de systèmes plus évolués tel que le système dit Hawala. La Hawala (de son nom arabe signifiant mandat ou virement) est un système occulte d’envois de fonds. Une transaction Hawala n’implique pas l’envoi physique d’espèces d’un pays à un autre. Le système s’appuie sur un réseau d’opérateurs appelés Hawaldars ou intermédiaires Hawala. Une personne désireuse de transférer de l’argent contacte un opérateur Hawala dans son lieu de résidence (par exemple la France). Cet opérateur Hawala perçoit l’argent et l’indication du bénéficiaire. Il contacte ensuite un autre opérateur Hawala dans le pays de destination (par exemple l’Algérie), qui livrera l’argent au bénéficiaire désigné.

Selon des études déjà anciennes17, les flux informels ont été estimés à entre 5 et 70 % des envois de fonds totaux mais la situation est très variable selon les pays et les années concernés. 

Les données empiriques disponibles sur les transferts de source française se situent dans cette fourchette. Une enquête IPSOS sur les transferts de la France vers l’Afrique relève que 19 % des répondants ont eu recours à des réseaux informels (15 % pour les transferts à destination de l’Afrique subsaharienne et 21 % pour ceux à destination du Maghreb), parfois en parallèle à d’autres canaux formels18

L’enquête précitée déployée à Montreuil relève quant à elle que plus de la moitié (53 %) des transferts auraient lieu en espèces et même bien davantage pour la communauté algérienne (92 %). 

Ces transferts de cash ne reposent cependant pas nécessairement sur des intermédiaires de type Hawala mais peuvent être réalisés de la main à la main lors d’un voyage, soit directement de la personne qui transfère les fonds soit d’un de ses proches. 

Il faut néanmoins relever que ces données résultant de sondages sont sujettes à caution, dans la mesure où les répondants peuvent être réticents à reconnaître qu’ils ont recours à des réseaux informels, de sorte que ce phénomène est susceptible d’être minoré.19

2.2 Les transferts, reflets des liens entre les immigrés et leurs pays d’origine

L’existence des transferts démontre que les immigrés entretiennent des liens avec des personnes physiques demeurées dans leur pays d’origine – généralement leur famille. 

Selon l’INSEE20, 28 % des immigrés versent une aide financière régulière à des proches (famille ou amis) ou à une association. L’enquête Ined-INSEE sur les « pratiques transnationales » des immigrés et descendants d’immigrés, à la base de cette donnée, permet de constater que les transferts financiers sont plus de deux fois plus fréquents vers l’Afrique sahélienne (62 %) ou l’Afrique guinéenne ou centrale (57 %) : il est manifeste que les migrants subsahariens deviennent un soutien financier important de la famille restée au pays. 

C’est aussi vrai, en partie, pour le Maroc et la Tunisie, qui se situent dans la moyenne (30%). Viennent ensuite l’Algérie (22 %), la Turquie et le Moyen-Orient (19 %), l’Asie du Sud-Est et la Chine (17 %). L’Europe se situe en dessous de la moyenne (11 % pour l’Espagne et l’Italie, 13 % pour le Portugal et 19 % pour les autres pays de l’UE27). 

L’INSEE relève également que les transferts financiers sont moins élevés pour les descendants d’immigrés (8 %), ce qui peut refléter le fait que les liens avec le pays d’origine tendent à se distendre, d’autant plus que – regroupement familial aidant – ces descendants n’ont plus forcément de famille proche au pays. 

Les transferts sont également plus élevés quand le migrant est arrivé à 16 ans ou plus (33 %) que quand il est arrivé plus jeune (17 %) – généralement avec ses parents. 

Les liens économiques avec le pays d’origine peuvent par ailleurs prendre d’autres formes, sur lesquelles nous ne nous attarderons pas ici, telle que la propriété immobilière. Ainsi, selon la même étude de l’INSEE, 15 % des immigrés sont propriétaires d’un bien foncier, immobilier, industriel ou commercial à l’étranger.

2.3 Des méfaits inattendus pour les économies bénéficiaires

En première approche, les transferts des migrants vers leur pays d’origine sont favorables à ces derniers21.

D’une part, ils augmentent le revenu disponible des ménages, stimulant leur consommation, réduisant directement la pauvreté et permettant l’accès à l’éducation, ce qui concourt au développement des populations. D’autre part, ils augmentent la capacité d’épargne des ménages, favorisant l’investissement dans l’économie et augmentant les liquidités disponibles (y compris via le système bancaire).

Pour autant, des effets négatifs peuvent apparaître : les ménages vivant de ces transferts peuvent être moins incités à travailler et investir (phénomène d’aléa moral), des déséquilibres économiques (consommation de produits importés), financiers (appréciation du taux de change) et sociaux (inégalités entre ménages selon qu’ils reçoivent des transferts ou non) peuvent en résulter. 

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM), une agence de l’ONU, explicite ces défauts d’une forte dépendance aux transferts de fonds, qui expose en outre les pays bénéficiaires à des effets déstabilisateurs en cas de fluctuations des transferts ou des taux de change22. Le rapport de l’OIM va jusqu’à affirmer qu’une forte dépendance à l’égard des fonds rapatriés risque de « nourrir une culture de dépendance dans le pays bénéficiaires, ce qui risque non seulement de réduire la participation au marché du travail, mais aussi de ralentir la croissance économique ».23

Dans ce contexte, le déploiement des effets positifs des transferts dépend de certaines conditions tenant à l’environnement institutionnel et financier du pays considéré : développement du système bancaire et du système éducatif, sécurité juridique, stabilité politique… Selon Imad El Hamma, cité en bibliographie, l’impact économique des transferts serait ainsi positif au Maroc mais négatif en Algérie. 

Ainsi, bénéficier de transferts n’est pas le tout : encore faut-il, pour qu’ils aient un impact positif sur le long terme pour la croissance et le développement du pays d’origine des migrants, que les ménages qui en bénéficient soient incités à les consacrer à des investissements productifs. 

Si les transferts peuvent être une solution commode pour capter des ressources financières à l’étranger et contribuer au financement du niveau de vie d’un pays donné grâce à sa diaspora, ils ne sont néanmoins pas suffisants pour bâtir l’avenir du pays et peuvent même, en certains cas, le desservir. Il convient donc de nuancer l’idée selon laquelle les transferts seraient intrinsèquement un facteur de développement des pays d’émigration.

2.4 Des effets négatifs sur les économies des pays d’origine

Les effets économiques des transferts de fonds pour les pays dont ils émanent sont, à notre connaissance, peu ou pas étudiés, tout du moins en France24

En fait, autorités et chercheurs s’interrogent davantage sur la contribution des transferts au développement des pays d’émigration que sur leur impact pour l’économie et les finances publiques des pays d’immigration25. Cette question rejoint la problématique plus large des effets économiques de l’immigration, dont on sait qu’ils sont très discutés et auxquels nous avons récemment consacré une note26

Dans le cadre de la présente note, nous entendons présenter et discuter les effets économiques, sous plusieurs angles, des transferts pour la France et les autres pays développés déficitaires en la matière.

  • Une contribution négative à la balance courante

En premier lieu, il est utile de resituer les transferts en comptabilité nationale. Les transferts (entrants et sortants) font partie des « revenus secondaires »27, qui sont eux-mêmes une des composantes de la balance des transactions courantes (ou balance courante), au même titre que les biens, les services et les revenus primaires. 

Le déficit de la France en termes de transferts personnels concourt au déficit du poste « revenus secondaires » (cf. tableau 3). A l’instar du poste « biens » (la balance commerciale), les revenus secondaires contribuent négativement au solde de la balance courante de la France, au total légèrement excédentaire en 2024 – mais qui a été le plus souvent déficitaire depuis 2013, notamment en 2022-2023.

Tableau 3 : Balance des transactions courantes de la France (2023-2024) (en Md€)

 20232024
Biens-78,3-60,0
Services39,556,5
Revenus primaires60,054,9
Revenus secondaires-50,6-48,8
Dont envois de fonds des travailleurs-15,5-15,8
Compte de transactions courantes-29,42,7

Source : Banque de France. La balance des paiements et la position extérieure de la France – rapport annuel 2024. 2025.

  • Un impact négatif sur la consommation et plus généralement sur le PIB

Si l’incidence des transferts sur le développement des pays d’émigration est discutée, leur impact sur l’économie des pays d’immigration est manifeste. 

Ils viennent d’abord diminuer la consommation, ce qui a pour conséquence concrète de réduire le PIB. En effet, la consommation des ménages est la principale composante du PIB, auquel elle contribue pour plus de moitié28. Certes, en l’absence de transferts, une part des sommes actuellement transférées pourrait être épargnée, mais les ménages composés d’immigrés sont en moyenne moins riches29 et ont donc une propension à consommer plus élevée que la moyenne des ménages habitant en France30

Au demeurant, l’épargne permet une consommation différée et peut également être investie, sachant que l’investissement des ménages contribue lui aussi au PIB, certes plus marginalement31. En outre, la partie des sommes transférées qui aurait été non pas consommée mais épargnée serait venue alimenter les dépôts bancaires et les différents dispositifs d’épargne (réglementée ou non), contribuant directement ou indirectement au financement de l’économie. Cette moindre épargne – puisque les transferts ne sont pas une épargne mais un acte de disposition des revenus des ménages qui les versent – est donc également susceptible de pénaliser l’économie.

Sur cette question de l’arbitrage consommation/épargne, l’enquête IPSOS précitée relative aux transferts de fonds vers les pays africains montre que lorsqu’un immigré compte augmenter ses transferts vers son pays d’origine, il le fait le plus souvent en diminuant ses dépenses32 (solution avancée par 52 % des répondants) plutôt qu’en usant de son épargne (35 % des répondants). 

L’ensemble de ces éléments permet de faire l’hypothèse que les transferts vers l’étranger se font davantage au détriment de la consommation dans le pays d’accueil qu’aux dépends de l’épargne. L’impact négatif sur le PIB du pays d’accueil est ainsi plus direct.

Si l’on simplifie l’équation et que l’on fait l’hypothèse que 1 € de transfert sortant a pour conséquence 1 € de PIB en moins33, le déficit de 15,8 Md€ relevé en France en 2023 pour les transferts personnels se traduit par un impact négatif sur le PIB d’autant, soit une contribution négative au PIB à hauteur de 0,56 %. 

Ce n’est pas anodin au vu de la croissance française de 2025, qui devrait être du même ordre selon les dernières prévisions de la Banque de France (+0,6 %). De ce point de vue, si – par hypothèse – les transferts s’étaient arrêtés en 2025, la croissance serait deux fois supérieure.

  • Un impact négatif sur les recettes fiscales

L’impact négatif sur l’économie se répercute nécessairement sur les finances publiques, via une diminution des ressources fiscales. En particulier, la baisse de la consommation des ménages a pour effet de réduire les recettes de TVA. La baisse de l’épargne a quant à elle un effet négatif sur les impositions sur les revenus. 

En règle générale et bien qu’elle soit très variable, on estime que l’élasticité des prélèvements obligatoires (PO) au PIB est égale à 1, c’est-à-dire qu’une baisse du PIB de 1 % (par exemple) se traduit par une baisse des PO de 1 %34

Ainsi, un impact négatif des transferts sur le PIB de 0,56 %, pour reprendre le chiffre mentionné ci-dessus, s’accompagne, eu égard au ratio actuel de PO (43 %), d’une diminution des PO de 0,24 point de PIB, soit une perte de recettes fiscales et sociales d’environ 7 Md€ par an.

Cette somme peut être rapprochée du plan de redressement des finances publiques présenté par le gouvernement Bayrou en juillet 2025, qui prévoit entre autres des économies de 7 Md€ au titre de « l’année blanche » (gel du barème de l’impôt sur le revenu et de la CSG, gel des pensions et prestations…) : cet effort est en fait équivalent à l’impact négatif des transferts de fonds des migrants sur les recettes fiscales. 

Les transferts étant récurrents et croissants, comme nous l’avons vu en première partie, leur impact économique et budgétaire négatif s’amplifie également d’année en année.

Enfin, ajoutons que les transferts sont susceptibles d’avoir un impact négatif sur les recettes d’impôt sur le revenu par un autre biais, à savoir la déductibilité des pensions alimentaires35.

En effet, les sommes versées en vertu d’une obligation alimentaire sont déductibles du revenu imposable même si le bénéficiaire (parent, conjoint, enfants…) réside à l’étranger. Pourtant, dans ce cas de figure, les sommes reçues par le bénéficiaire ne peuvent pas être imposées par la France (elles le sont éventuellement par le pays de résidence du bénéficiaire). 

La déductibilité des pensions alimentaires se traduit alors par une perte sèche pour les finances de l’Etat. Nous ne disposons d’aucune information quant à la part des transferts de fonds qui sont déclarés – à juste titre ou non – comme pensions alimentaires par les contribuables, ce qui rend tout chiffrage de cet impact difficile.

3.1 Réduire les flux migratoires

Commençons par une évidence : les transferts de fonds des migrants dépendent d’abord de l’importance du phénomène migratoire (nombre d’immigrés présents en France) et sont alimentés par les flux d’immigration. 

Pour diminuer les transferts, la mesure la plus directe et la plus efficace est donc de réduire l’immigration, plus particulièrement celle issue des pays dont les émigrés reversent fréquemment des fonds, à savoir notamment les pays d’Afrique subsaharienne, d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (cf. point 2.2 ci-dessus).

3.2 Créer une taxe européenne sur les transferts de fonds privés à destination des pays tiers

Pour atténuer l’impact négatif des transferts sur l’économie et les finances publiques de la France et des autres pays européens, il serait souhaitable de taxer les transferts de fonds à destination des pays tiers à l’Union européenne et à l’Espace économique européen.

L’objectif ne serait pas tant de dissuader les transferts de fonds – au risque de détourner les auteurs des transferts vers des systèmes informels – que de générer des recettes fiscales permettant de compenser une petite partie des pertes induites par ces transferts. 

A l’échelle de la France, une taxe au taux de (par exemple) 2 %, appliquée à 16 Md€ de transferts, procurerait 320 M€ – un rendement qui serait supérieur à celui de la taxe de solidarité sur les billets d’avion. Accessoirement, cette taxe permettrait de recenser précisément les transferts de fonds.

Aux Etats-Unis, l’administration Trump a pris l’initiative d’une telle « remittance tax », qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2026. Il s’agit en l’occurrence d’une taxe fédérale de 1 % (contre un taux initialement envisagé de 5 %) sur les transferts de fonds de particuliers vers l’étranger. 

Ne sont assujetties à la taxe que les sommes remises aux opérateurs à partir de certains supports de paiement physiques uniquement, tel l’argent liquide, de sorte que le champ de la taxe paraît assez étroit. Cette taxe poursuit ainsi à la fois un objectif budgétaire et un objectif de lutte contre le blanchiment d’argent. Il sera intéressant d’évaluer les effets de cette taxe américaine une fois mise en œuvre.

Pour autant, en Europe, un obstacle juridique important se dresse devant ce projet : une taxe ciblée sur les transferts vers les pays tiers serait probablement jugée incompatible avec le principe de libre circulation des capitaux36, qui a une portée mondiale en vertu des traités européens et qui fait l’objet d’une interprétation extensive par la Cour de justice de l’Union européenne37. Il a déjà été envisagé de réduire la portée de ce principe en cessant d’en faire bénéficier les pays tiers ou en posant une condition de réciprocité mais, en l’état de la jurisprudence, il serait nécessaire de réviser le Traité sur le fonctionnement de l’UE.

3.3 Lutter contre les circuits de transferts de fonds informels

Les transferts dits informels, c’est-à-dire occultes, sont un des nombreux défis à la légalité que soulève l’immigration. Toute activité bancaire ou assimilée est strictement réglementée et est notamment soumise à la politique de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). 

Le propre des systèmes de type Hawala est qu’ils se situent en dehors de ce cadre légal. Indépendamment même de la problématique des transferts de fonds des migrants, les transferts informels sont un phénomène qui doit être réprimé, dans la mesure où ils sont un instrument au service de la criminalité38, du terrorisme et du financement illégal d’organisations religieuses ou politiques. La diffusion des cryptomonnaies est toutefois de nature à faciliter les transferts informels, y compris en se passant d’un intermédiaire.

En tout état de cause, les inconvénients que présentent les transferts de fonds des migrants (cf. partie 2 de la présente note) et les opportunités qu’ils peuvent éventuellement offrir (taxe, moyen de pression sur les pays bénéficiaires) justifient qu’ils soient strictement contrôlés.

Certains opérateurs Hawala en France ont déjà été poursuivis et condamnés, généralement dans un contexte de blanchiment d’argent39. La poursuite de ces opérateurs devrait être une priorité des autorités compétentes (notamment la police judiciaire, au niveau central40 et au niveau territorial). Compte tenu de ce que les transferts informels semblent très répandus et fonctionner sur une base communautaire, un recours accru au renseignement humain est nécessaire pour identifier et démanteler les filières.

3.4 Utiliser les transferts comme levier de négociation avec les pays d’émigration

Que les transferts favorisent le développement à long terme des pays bénéficiaires des fonds ou pas, ces sommes apparaissent comme une manne financière bienvenue, qui injecte du pouvoir d’achat dans la population et nourrit au moins à court terme l’économie.

La disparition ou la suspension de cette manne serait donc un coup dur pour les pays bénéficiaires, notamment ceux pour lesquels les transferts représentent une proportion élevée de leur PIB, tels les pays d’Afrique subsaharienne.

Dans ce contexte, la possibilité de bloquer les transferts apparaît comme un élément susceptible de peser dans les négociations avec les pays d’émigration, notamment en ce qui concerne la réadmission de leurs ressortissants en situation irrégulière ou encore le paiement de leurs dettes (hospitalières par exemple). 

Bloquer les transferts vers un pays donné ne se heurte en soi pas à des difficultés techniques – sauf naturellement pour les transferts informels – mais soulève des questions juridiques et d’efficacité. Pour que les blocages soient efficaces, ils devraient être mis en œuvre au niveau européen, à défaut de quoi le contournement serait aisé. 

Or, à ce jour, ni la loi française ni la réglementation européenne n’autorise à suspendre des mouvements de capitaux vers un pays donné sur la base de critères liés à la politique migratoire. 

Il conviendrait donc de faire évoluer les textes. Il existe à cet égard un fondement juridique dans les traités européens41, qui permet au Conseil de l’UE d’adopter des décisions de sanctions et notamment de prévoir « l’interruption ou la réduction, en tout ou partie, des relations économiques et financières avec un ou plusieurs pays tiers ». 

C’est sur ce fondement que le Conseil de l’Union a adopté plusieurs règlements prévoyant des sanctions financières à l’égard de la Russie et de la Biélorussie, conduisant à faire obstacle aux mouvements de capitaux avec ces pays et même à geler des avoirs. 

On peut imaginer qu’à l’avenir le Conseil interdise les transferts de fonds, ainsi d’ailleurs aussi que la délivrance de visas Schengen42, en faveur de pays refusant de coopérer efficacement dans la réadmission de leurs ressortissants en situation irrégulière en Europe.  

Dans le domaine de l’immigration, certaines données sont bien précises, d’autres sont plus approximatives. On connaît par exemple avec exactitude le nombre de titres de séjour délivrés à des étrangers et la nationalité de leurs bénéficiaires. 

On connaît, déjà, beaucoup moins exactement le nombre d’étrangers en France et leurs nationalités. En ce qui concerne les transferts de fonds des migrants, les statistiques existent mais sont peu diffusées et imparfaites, dépendant notamment de la fiabilité des comptes nationaux des pays qui bénéficient des transferts. L’existence parfois massive de transferts occultes renforce l’opacité autour de ce sujet. 

Les impacts économiques de ces transferts de fonds attirent également moins l’attention que le débat sur l’impact plus direct de l’immigration sur l’économie (marché du travail, recettes fiscales, dépenses publiques…). Pour autant, la réalité des faits est assez claire. 

Les immigrés conservent des liens avec leur pays d’origine. Ils y font parvenir, entre autres, des sommes d’argent – par des canaux qui ne sont au demeurant pas bien maîtrisés, pas plus que l’origine des sommes. Cet argent, qui n’est pas dépensé ou investi en France, représente une perte économique pour la France : les transferts dégradent notre balance courante et pèsent sur le PIB – un impact négatif que nous évaluons à plus de 0,5 point de PIB chaque année – et en conséquence sur les recettes des administrations publiques, contribuant à dégrader le déficit public et le ratio dette/PIB. Les transferts sont ainsi un des canaux par lesquels l’immigration impacte négativement nos comptes publics.

D’un point de vue géographique, l’Afrique est plus concernée par les transferts que le reste du monde – l’Afrique du Nord davantage en termes absolus (en euros), l’Afrique subsaharienne davantage en termes relatifs (en proportion du PIB). 

La France est en outre le premier pays européen par le déficit dans ces transferts de fonds. Si la France est spécialement concernée par le phénomène des transferts de fonds, elle est d’autant plus fondée à s’interroger sur les moyens de maîtriser et réduire ces flux, voire à s’en servir comme levier d’action diplomatique.

EL HAMMA, Imad. (2018). « Migrant Remittances and Economic Growth: The Role of Financial Development and Institutional Quality » (Transferts de fonds des migrants et croissance économique : le rôle du développement financier et de la qualité institutionnelle »). Economie et Statistique / Economics and Statistics, 503‑504, 123-142.

Federation for American Immigration Reform (FAIR), Remittances Continue to Grow at America’s Expense, Issue Brief, July 2025. 

INSEE, Immigrés et descendants d’immigrés en France, Insee Références, édition 2023.

IPSOS, Enquête sur la diaspora africaine en France et les transferts d’argent vers le continent africain, 2020.

OID, L’impact de l’immigration sur l’économie française : sortir du « cercle vicieux » et prioriser l’emploi, note, juin 2025.

Organisation internationale pour les migrations (ONU Migration), État de la migration dans le monde 2024 (version interactive : https://worldmigrationreport.iom.int/msite/wmr-2024-interactive/?lang=FR ). Voir notamment p. 36-41 (« Rapatriements de fonds internationaux »).

World Bank Group, Migrants’ Remittances from France. Findings of a survey on migrants’ financial needs and remittance behavior in Montreuil. 2015.

1.1 Données Eurostat et Banque de France relatives aux transferts personnels44

L’organisme européen de statistiques Eurostat fournit des données sur les transferts pour l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne (UE), sauf ceux qui considèrent ces données comme confidentielles (Danemark, Portugal), ainsi que pour certains autres Etats européens ou candidats à l’UE. On dispose ainsi des transferts sortants de France, des autres pays cités et de l’UE en général.

En revanche, les données mises à disposition par Eurostat ne permettent pas de ventiler ces transferts de manière fine entre les différents pays bénéficiaires des transferts : les flux entrants sont précisés pour certains Etats (le Maroc par exemple) mais pas pour tous (cf. Algérie). Eurostat propose toutefois une ventilation par grande région, au niveau continental et infra-continental, par exemple « Afrique septentrionale », « Afrique centrale et australe ».

Les données en question sont les « Revenus secondaires : transferts personnels (transferts courants entre ménages résidents et non-résidents) », qui sont une composante de la balance des paiements (et en l’occurrence, plus précisément, de la balance des transactions courantes). Ces flux comprennent les transferts émanant des travailleurs étrangers (« workers’ remittances »)45. Ils ne comprennent pas les salaires des travailleurs transfrontaliers (ces derniers étant des personnes travaillant dans un autre pays que leur pays de résidence), à la différence des chiffres de la Banque mondiale (cf. infra).

Eurostat précise que ces données relatives aux transferts monétaires sont une estimation basée sur des données de la Banque mondiale relatives aux populations migrantes et aux flux parvenant dans les pays de réception et sont aussi affinées par les données des opérateurs desdits transferts46 (pour les données françaises, voir cependant ci-dessous les précisions données par la Banque de France). 

Au regard des paramètres retenus, ces statistiques sont marquées par certaines limites, tenant à l’estimation des transferts reçus dans les pays de destination, avec notamment un risque de sous-évaluation des flux informels, et à l’estimation des populations immigrées présentes dans les pays de source des fonds, dont une part est constituée d’étrangers en situation irrégulière.

Eurostat indique pour une entité donnée les flux créditeurs, débiteurs et le solde qui en résulte. Pour assurer une présentation équilibrée et économiquement réaliste, qui tienne compte des flux dans les deux sens, il est pertinent de se référer au solde.

On dispose de l’historique des données avec une profondeur variable selon les pays. Pour la France, les données sont connues depuis 2008, permettant de procéder à des comparaisons dans le temps. À la date de la rédaction de la présente note, les données 2024 n’étaient pas encore disponibles : nous nous sommes donc appuyés sur les données 2023.

Nous avons retenu les données en euros (le cas échéant, elles sont disponibles en monnaie nationale). Il convient de préciser que ces données sont en euros courants. Pour les comparaisons dans le temps, il convient donc de tenir compte de ce que l’évolution des prix n’est pas neutralisée.

Précisons que ces données Eurostat puisent leur source, pour la France, de la Banque de France. Elles sont donc identiques aux données communiquées par la Banque de France et afférentes à la balance des paiements47.

Toutefois, ces données communiquées par la Banque de France sont présentées de manière globalisée, sans ventilation par pays de destination (ou d’origine respectivement) des fonds. Ces données Banque de France ne permettent donc pas de connaître la destination des transferts vers l’étranger, raison pour laquelle il est nécessaire de se référer à la banque de données Eurostat.

Il est par ailleurs intéressant de relever les précisions méthodologiques apportées par la Banque de France sur ces données (voir encadré ci-après). Il en ressort que la France est dépendante des données fournies par les pays d’émigration quant aux transferts qu’ils reçoivent. De même, les chiffres des transferts dépendent des estimations sur le nombre et la localisation de migrants et reposent sur des hypothèses telle que l’homogénéité, pour un pays d’émigration donné, du montant transféré par migrant, indépendamment du pays où il réside. 

Toute méthode a ses avantages et ses défauts et ces limites méthodologiques sont sans doute inévitables. Mais force est de constater que, volontairement ou non, un pays d’émigration peut induire en erreur les pays d’origine des fonds quant aux montants effectivement perçus.

1.2 Données de la Banque mondiale

De 2013 à 2024, la Banque mondiale a produit des travaux sur les transferts dans le cadre du KNOMAD (Global Knowledge Partnership on Migration and Development), qui est un centre d’expertise sur les migrations et le développement48 qu’elle a constitué avec plusieurs partenaires (Commission européenne, Société allemande pour la coopération internationale, Agence suisse pour la coopération et le développement).  Le KNOMAD a néanmoins cessé son activité en 2025, vraisemblablement pour des raisons budgétaires. Les travaux publiés par ce partenariat sont accessibles via le site www.KNOMAD.org

Pour autant, la Banque mondiale continue à publier chaque année des données sur les transferts de fonds des migrants au niveau mondial, avec un détail pays par pays. Ces données sont issues de celles relatives à la balance des paiement communiquées par chaque pays au FMI et à la Banque mondiale. Pour chaque pays, une estimation est donnée tant pour les transferts reçus (entrants) que pour les transferts payés (sortants). 

La notion de transferts (« remittances ») recouvre ici les transferts personnels de ménages résidents vers des ménages non-résidents, en argent mais éventuellement aussi en nature, ainsi que les rémunérations des salariés non résidents (travailleurs transfrontaliers, saisonniers…) versées dans le pays de résidence49

Cette définition extensive, qui intègre le travail transfrontalier, explique que les transferts dont bénéficient certains pays développés comme la France soient élevés. 

Dans le cadre de la présente note, nous avons fait le choix de ne pas revenir sur cette convention adoptée par la Banque mondiale et donc de présenter ces chiffres, dans la mesure où ils sont connus et font autorité. 

Nous n’avons exclu des chiffres Banque mondiale les rémunérations des travailleurs transfrontaliers que lorsqu’il s’agissait de les comparer aux chiffres Eurostat, de manière à être à périmètre identique. 

Les montants des transferts sont donnés en dollars américains (nous les avons convertis en euros50 par souci de lisibilité et de comparabilité avec les données Eurostat). La Banque mondiale rapporte en outre le montant des transferts au PIB du pays bénéficiaire, ce qui permet de comparer l’importance relative des transferts pour les économies de chaque pays.

La dernière mise à jour de la base de données, au 1er juillet 2025, intègre l’année 2024 mais sans exhaustivité (les données concernant certains pays sont absentes). Les chiffres les plus fiables sont donc ceux afférents à l’année 2023, raison pour laquelle nous nous y sommes limités.

Enfin, précisons que les données Banque mondiale, qui, comme les données Eurostat, se basent sur les données communiquées par les Etats, n’appréhendent qu’imparfaitement les transferts informels. En effet, les données fournis par les pays ne corrigent pas tous – et le cas échéant pas de manière homogène – le volume des transferts qui ne sont pas appréhendés par les canaux officiels. D’ailleurs, les fluctuations d’une année sur l’autre sont parfois expliquées par l’évolution en sens contraire des transferts informels51

Aussi, pour appréhender complètement l’ampleur des transferts vers les pays d’origine des migrants, il serait nécessaire de chiffrer ceux d’entre eux qui transitent par des canaux informels. Cependant, compte tenu des incertitudes, de l’hétérogénéité du phénomène et du manque d’études récentes, nous nous sommes limités aux données disponibles, sans chercher à reconstituer les transferts totaux intégrant ceux transitant par des systèmes informels.

Les données présentées de manière synthétique dans le corps de la note sont reprises ici, avec un niveau de détail plus fin, dans l’ordre dans lequel elles sont évoquées dans la note.

2.1 Les transferts reçus au niveau mondial – présentation par catégorie de pays et par pays (Banque mondiale52, 2023)

Pour la synthèse, cf. point 1.3 de la note.

Transferts personnels (envois de fonds des travailleurs) et rémunérations des salariés, reçus (2023, M€ et % du PIB)
Pays/régionTransferts entrants en M€Transferts entrants en % PIB
Par régions
Afrique du Nord et Moyen-Orient52 4731,37
Afrique du Nord et Moyen-Orient (hors revenu élevé)49 9442,99
Afrique du Nord et Moyen-Orient (BIRD et IDA)47 0222,82
Afrique occidentale et centrale29 9334,16
Afrique orientale et du sud19 6731,67
Afrique subsaharienne49 6062,65
Afrique subsaharienne (hors revenu élevé)49 5962,65
Afrique subsaharienne (BIRD et IDA)49 6062,65
Amérique latine et Caraïbes141 3042,42
Amérique latine et Caraïbes (hors revenu élevé)139 5342,63
Amérique latine et Caraïbes (BIRD et IDA)140 9982,43
Amérique du Nord9 3080,03
Le monde arabe54 4651,82
Asie de l’Est et Pacifique117 9040,43
Asie de l’Est et Pacifique (hors revenu élevé)102 9000,54
Asie de l’Est et Pacifique (BIRD et IDA)102 9020,54
Asie du Sud166 6724,12
Asie du Sud (BIRD et IDA)166 6724,12
Petits états des Caraïbes1 1912,48
Zone euro104 8370,74
Union européenne137 2650,82
Europe centrale et les pays baltes38 2781,87
Europe et Asie centrale203 9500,82
Europe et Asie centrale (hors revenu élevé)56 3272,94
Europe et Asie centrale (BIRD et IDA)82 8911,67
Monde741 2180,78
Par revenu
Pays pauvres très endettés (PPTE)39 9183,93
Faible revenu18 0963,16
Revenu faible et intermédiaire564 9731,66
Revenu intermédiaire, tranche inférieure332 9414,89
Revenu intermédiaire546 8771,63
Revenu intermédiaire, tranche supérieure213 9360,81
Revenu élevé176 2440,29
Par situation démographique
de dividende précoce démographique (Early-demographic dividend)393 0813,00
de dividende tardif démographique (Late-demographic dividend)138 9580,53
de Pré-dividende démographique (Pre-demographic dividend)43 0182,99
de Post-dividende démographique (Post-demographic dividend)162 4040,30
Par situations diverses
Fragile et les situations de conflit touchées (Fragile and conflict affected situations)65 1104,09
Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) seulement407 1281,24
BIRD et Interim Disability Assistance (IDA)590 0921,57
IDA totale152 6765,94
IDA mélange63 3266,58
IDA seulement90 4735,56
Pays les moins avancés: classement de l’ONU60 1774,35
Pays membres de l’OCDE220 3820,38
Petits états5 6021,94
Petits états insulaires du Pacifique1 19210,05
Autres petits états3 2191,46
Afrique
Afrique du Sud7240,21
Algérie1 6830,75
Angola110,01
Bénin2101,19
Botswana630,36
Burkina Faso5262,88
Burundi1787,49
Cap Vert28512,49
Cameroun7091,60
République centrafricaine00,00
Côte d’Ivoire9391,32
Congo, République démocratique du2 9714,97
Congo, République du400,29
Comores27522,60
Djibouti531,43
Égypte17 5964,93
Érythrée0
Eswatini721,80
Éthiopie4860,33
Gabon170,10
Ghana2 1913,18
Guinée4482,24
Gambie47321,90
Guinée-Bissau18610,06
Guinée équatoriale00,00
Kenya3 8093,91
Lesotho43622,87
Libéria72118,87
Libye00,00
Mali9425,06
Maroc10 5908,14
Madagascar3472,44
Mozambique5993,17
Mauritanie1511,57
Maurice2842,15
Malawi1621,41
Namibie790,71
Niger5623,71
Nigéria17 6125,37
Rwanda4673,67
Sao Tomé-et-Principe91,47
Sénégal2 94310,59
Seychelles100,53
Sierra Leone3946,82
Somalie1 56315,82
Soudan9010,92
Soudan du Sud1 059
Tchad00,00
Togo5867,09
Tunisie2 5885,92
Tanzanie6840,96
Ouganda1 2892,93
Zambie2210,89
Zimbabwe2 9749,37
Amérique
Antigua-et-Barbuda311,72
Argentine9100,16
Aruba351,07
Bahamas560,44
Belize1354,88
Bermudes1 57721,49
Bolivie1 3063,21
Brésil3 9940,20
Barbade771,27
Îles Caïmans110,18
Canada7630,04
Chili630,02
Colombie9 1102,78
Costa Rica5960,77
Cuba0
Curacao1595,38
Dominique315,27
République dominicaine9 5678,74
Équateur4 9124,59
États-Unis6 9680,03
Grenade635,34
Groenland0
Guatemala18 00119,13
Guyana4923,18
Haïti3 38118,91
Honduras8 07926,07
Jamaïque3 24418,54
Saint-Kitts-et-Nevis343,52
Sainte-Lucie572,60
Sint Maarten (Dutch part)432,95
Saint-Martin (fr)0
Mexique59 6743,70
Nicaragua4 20026,15
Panama4650,62
Paraguay6721,74
Pérou4 0061,66
Porto Rico0
El Salvador7 38124,09
Suriname1324,25
Trinité-et-Tobago1820,74
Îles Turques-et-Caïques00,00
Uruguay1210,17
Venezuela0
Saint-Vincent-et-les Grenadines838,60
Îles Vierges britanniques0
Îles Vierges (EU)0
Asie
Afghanistan2881,86
Arabie saoudite2810,03
Arménie1 3086,03
Azerbaïdjan1 7232,64
Bahreïn00,00
Bangladesh19 8835,05
Brunéi Darussalam10,01
Bhoutan97
Cambodge2 5066,57
Chine26 2250,16
Chine, Région administrative spéciale de Hong Kong4090,12
Chine, Région administrative spéciale de Macao1000,24
Corée, République de6 8950,45
Corée, République démocratique de0
Émirats arabes unis0
Géorgie3 78513,65
Inde107 6813,35
Indonésie13 0331,06
Iran00,00
Iraq1 0470,46
Israël8840,19
Jordanie4 0368,79
Japon4 2230,11
Kazakhstan2740,12
Kirghizistan2 56820,38
Koweït190,01
Laos2591,81
Liban6 033
Malaisie1 5360,43
Maldives50,08
Mongolie4102,24
Myanmar9911,65
Népal9 36625,41
Oman350,04
Ouzbékistan12 76513,95
Pakistan23 9267,86
Territoires palestiniens (Cisjordanie et Gaza)2 92318,62
Philippines35 2228,94
Qatar1 2950,67
Singapour00,00
Sri Lanka5 4267,14
République arabe syrienne0
Tadjikistan4 17538,42
Thaïlande8 7321,88
Timor-Leste1749,28
Turkménistan00,00
Turquie9270,09
Viet Nam12 6133,26
Yémen, Rép. du3 39720,05
Europe
Albanie1 8348,65
Allemagne18 9570,46
Andorre431,27
Îles Anglo-Normandes0
Autriche2 9390,64
Bélarus1 1361,75
Belgique13 3892,30
Bosnie-Herzégovine2 54410,26
Bulgarie2 1212,30
Chypre5601,83
Croatie5 4747,20
Danemark1 2880,35
Espagne4 8000,33
Estonie4391,18
Finlande6120,23
France33 2511,21
Îles Féroé1434,05
Gibraltar0
Grèce4880,22
Hongrie4 5652,39
Île de Man0
Irlande5140,10
Islande1960,70
Italie10 9040,53
Kosovo1 65117,51
Liechtenstein0
Lituanie8801,22
Luxembourg2 2042,85
Lettonie1 1122,92
Macédoine du Nord4172,93
Malte140,07
Monaco0
Moldova1 81312,17
Monténégro72510,69
Norvège5400,12
Pays-Bas3 6590,35
Pologne7 6951,06
Portugal1 6500,63
Royaume-Uni4 0420,13
Roumanie8 9772,84
Russie2 2960,13
Suisse3 0910,39
Saint-Marin20
Serbie5 2007,10
Slovaquie2 1571,80
Slovénie8331,34
Suède3 7580,71
Tchéquie4 0241,30
Ukraine13 4848,37
Océanie
Australie1 5560,10
Fidji4509,19
Guam0
Kiribati104,17
Mariannes0
Îles Marshall3113,29
Micronésie, États fédérés de215,07
Nauru10,57
Nouvelle-Calédonie560
Nouvelle-Zélande7350,32
Palaos20,69
Papouasie-Nouvelle-Guinée100,03
Polynésie française524
Îles Salomon765,18
Samoa23928,24
Samoa américaines0
Tonga229
Tuvalu23,21
Vanuatu13112,87

2.2 Solde des transferts personnels pour les pays européens (Eurostat53, 2023)

Cf. point 1.4 de la note.

 en Md€
UE27-35,9
Belgique-4,4
Bulgarie1,4
Tchéquie-1,2
Danemarknd
Allemagne-7,4
Estonie-0,0
Irlande-1,4
Grèce-1,1
Espagne-8,1
France-15,8
Croatie2,3
Italie-6,8
Chypre-0,3
Lettonie0,3
Lituanie0,5
Luxembourg-0,0
Hongrie0,5
Malte0,0
Pays-Bas-0,8
Autriche-1,1
Pologne1,0
Portugalnd
Roumanie3,7
Slovénie-0,1
Slovaquie0,2
Finlande-0,6
Suède-0,3
Islande-0,2
Norvègend
Suissend
United Kingdomnd
Bosnie-Herzégovine1,8
Monténégro0,3
Macédoine du Nord0,3
Albanie1,2
Serbie4,6
Turquiend
Kosovo1,3

Source : Eurostat (Revenus secondaires: transferts personnels (transferts courants entre ménages résidents et non-résidents)), décembre 2024.

Nota : pour la plupart des pays pour lesquels les données ne sont pas disponibles, les données y sont expressément considérées comme confidentielles.

2.3 Solde des transferts personnels pour la France – détail par région géographique et par pays (Eurostat, 2023)

Cf. point 1.6 de la note.

 Revenus secondaires : transferts personnels (transferts courants entre ménages résidents et non-résidents) – France – 2023
Entité géopolitique (partenaire)Solde (en M€)Solde (en %)
Afrique-8 11651,45 %
Afrique centrale et australe-1 61010,21 %
Afrique septentrionale-6 50641,24 %
Amérique-8575,43 %
Amérique centrale-4863,08 %
Amérique septentrionale18-0,11 %
Amérique du Sud-3892,47 %
Asie-2 91618,48 %
Pays arabes du Golfe-30,02 %
Autre(s) pays d’Asie (agrégat variable en fonction du contexte)-2 46215,61 %
Asie occidentale incluant l’Iran-4552,88 %
Autre(s) pays d’Asie occidentale-4522,87 %
Europe-3 88624,63 %
Zone euro – 20 pays (à partir de 2023)-2 78517,65 %
Union européenne – 27 pays (à partir de 2020)-3 09819,64 %
Pays européens hors UE27 (à partir de 2020) et hors AELE-7945,03 %
Océanie et régions polaires du Sud-10,01 %
Extra-zone euro – 20 pays (à partir de 2023)-12 99282,35 %
Extra-UE27 (à partir de 2020)-12 67880,36 %
Reste du monde-15 776100,00 %
Centres financiers extraterritoriaux-4672,96 %
DÉTAIL PAYS (données non exhaustives)
Afrique-8 11651,45 %
Afrique du Sud00,00 %
Égypte-2741,74 %
Maroc-3 53022,38 %
Nigeria-2101,33 %
Amérique-8575,43 %
Argentine-110,07 %
Brésil-1901,20 %
Canada4-0,03 %
Chili00,00 %
États-Unis14-0,09 %
Mexique-900,57 %
Uruguay-10,01 %
Venezuela00,00 %
Asie-2 91618,48 %
Chine hors Hong Kong-3872,45 %
Corée du Sud-640,41 %
Hong Kong00,00 %
Indonésie-140,09 %
Inde-3582,27 %
Japon-1340,85 %
Malaisie00,00 %
Philippines-1000,63 %
Singapour00,00 %
Taïwan00,00 %
Thaïlande-1300,82 %
Turquie-630,40 %
Europe-3 88624,63 %
Allemagne9-0,06 %
Autriche-50,03 %
Belgique-290,18 %
Bulgarie-260,16 %
Chypre-30,02 %
Croatie-240,15 %
Danemark1-0,01 %
Espagne-1 1557,32 %
Estonie-10,01 %
Finlande00,00 %
France00,00 %
Grèce-30,02 %
Hongrie-80,05 %
Irlande1-0,01 %
Islande00,00 %
Italie-2661,69 %
Liechtenstein00,00 %
Lituanie-40,03 %
Luxembourg-70,04 %
Lettonie-60,04 %
Malte-10,01 %
Norvège1-0,01 %
Pays-Bas-130,08 %
Pologne-570,36 %
Portugal-1 2768,09 %
Roumanie-2161,37 %
Russie-210,13 %
Slovénie00,00 %
Slovaquie-20,01 %
Suède-90,06 %
Suisse6-0,04 %
Tchéquie00,00 %
United Kingdom-750,48 %
Institutions et organes de l’Union européenne00,00 %
Océanie et régions polaires du Sud-10,01 %
Australie1-0,01 %
Nouvelle-Zélande-20,01 %

2.4 Transferts sortants de ménages résidant en France vers des ménages résidant hors de France (Eurostat, 2023)

En complément des données ci-dessus relatives au solde des transferts, les montants des transferts sortants (sans déduction des transferts entrants) sont présentés ci-après. Rappelons que le volume des transferts sortants (de ménages résidant en France vers des ménages résidant hors de France) est légèrement plus élevé (16,1 Md€) que le solde des transferts (-15,8 Md€), la différence étant liée aux transferts entrants, dont le montant est relativement marginal (0,3 Md€). 

Revenus secondaires: transferts personnels (transferts courants entre ménages résidents et non-résidents) – France – 2023
Entité géopolitique (partenaire)Débits (en M€)Débits (en %)
Afrique8 29651,53 %
Afrique centrale et australe1 78811,11 %
Afrique septentrionale6 50840,42 %
Amérique8805,47 %
Amérique centrale4883,03 %
Amérique septentrionale00,00 %
Amérique du Sud3922,43 %
Asie2 93418,22 %
Pays arabes du Golfe90,06 %
Autre(s) pays d’Asie (agrégat variable en fonction du contexte)2 46915,34 %
Asie occidentale incluant l’Iran4652,89 %
Autre(s) pays d’Asie occidentale4562,83 %
Europe3 98824,77 %
Zone euro – 20 pays (à partir de 2023)2 84917,70 %
Union européenne – 27 pays (à partir de 2020)3 17119,70 %
Pays européens hors UE27 (à partir de 2020) et hors AELE8165,07 %
Océanie et régions polaires du Sud30,02 %
Extra-zone euro – 20 pays (à partir de 2023)13 25182,30 %
Extra-UE27 (à partir de 2020)12 92980,30 %
Reste du monde16 100100,00 %
Centres financiers extraterritoriaux4702,92 %
DÉTAIL PAYS (données non exhaustives)
Afrique8 29651,53 %
Afrique du Sud00,00 %
Égypte2741,70 %
Maroc3 53121,93 %
Nigeria2101,30 %
Amérique8805,47 %
Argentine120,07 %
Brésil1911,19 %
Canada00,00 %
Chili00,00 %
États-Unis00,00 %
Mexique900,56 %
Uruguay10,01 %
Venezuela00,00 %
Asie2 93418,22 %
Chine hors Hong Kong3922,43 %
Corée du Sud640,40 %
Hong Kong00,00 %
Indonésie140,09 %
Inde3582,22 %
Japon1340,83 %
Malaisie00,00 %
Philippines1000,62 %
Singapour00,00 %
Taïwan00,00 %
Thaïlande1300,81 %
Turquie670,42 %
Europe3 98824,77 %
Allemagne10,01 %
Autriche70,04 %
Belgique370,23 %
Bulgarie430,27 %
Chypre30,02 %
Croatie240,15 %
Danemark00,00 %
Espagne1 1687,25 %
Estonie10,01 %
Finlande00,00 %
France00,00 %
Grèce60,04 %
Hongrie80,05 %
Irlande00,00 %
Islande00,00 %
Italie2821,75 %
Liechtenstein00,00 %
Lituanie40,02 %
Luxembourg80,05 %
Lettonie60,04 %
Malte10,01 %
Norvège00,00 %
Pays-Bas180,11 %
Pologne590,37 %
Portugal1 2817,96 %
Roumanie2201,37 %
Russie250,16 %
Slovénie10,01 %
Slovaquie30,02 %
Suède100,06 %
Suisse00,00 %
Tchéquie00,00 %
United Kingdom870,54 %
Institutions et organes de l’Union européenne00,00 %
Océanie et régions polaires du Sud30,02 %
Australie00,00 %
Nouvelle-Zélande20,01 %

2.5 Rapprochement entre les transferts depuis la France et les transferts mondiaux (Eurostat et Banque mondiale, 2023)

Cf. point 1.7 de la note.

Transferts émanant de France rapportés aux transferts reçus par les pays bénéficiaires (en %, 2023)
 Transferts personnels sortant de France (Eurostat, 2023, M€)Transferts personnels reçus (Banque mondiale, 2023, M€)Part des transferts issus de France
    
Reste du monde16 100585 5352,75%
    
Afrique8 296  
Égypte27417 5961,56%
Maroc3 53110 59033,34%
Nigeria21017 3641,21%
    
Amérique880  
Argentine128341,44%
Brésil1913 6015,30%
Mexique9057 0440,16%
Uruguay11180,85%
    
Asie2 934  
Chine hors Hong Kong3926 3016,22%
Corée du Sud645 6601,13%
Indonésie1412 8080,11%
Inde358101 1110,35%
Japon1344 0383,32%
Philippines10026 8540,37%
Thaïlande1307 9221,64%
Turquie6751213,09%
    
Europe3 988  
Allemagne1156,67%
Autriche72732,56%
Belgique371 3762,69%
Bulgarie431 4133,04%
Chypre34880,61%
Croatie242 5580,94%
Estonie1591,69%
Finlande0740,00%
Grèce62852,11%
Hongrie85781,38%
Islande0610,00%
Italie2822 15613,08%
Lituanie48130,49%
Luxembourg82283,51%
Lettonie66230,96%
Pays-Bas1811415,79%
Pologne592 9651,99%
Roumanie2204 4784,91%
Royaume-Uni872 2193,92%
Slovénie1911,10%
Slovaquie32941,02%
Suède103103,23%
Tchéquie06580,00%

Source : données Banque mondiale (transferts totaux) et Eurostat (transferts issus de France).

  1. Hugo Bréant. Migrations et flux monétaires : quand ceux qui restent financent celui qui part. Autrepart – Revue de sciences sociales au Sud, 2013, Migrations et flux monétaires : quand ceux qui restent financent celui qui part – Archives ouvertes de la Sociologie ↩︎
  2. On parle indifféremment de transferts de fonds, d’envois de fonds ou encore de remises migratoires voire, assez improprement, de « rapatriements » de fonds. Le terme anglais est remittances. ↩︎
  3. “Personal remittances comprise personal transfers and compensation of employees. Personal transfers consist of all current transfers in cash or in kind made or received by resident households to or from non-resident households. Personal transfers thus include all current transfers between resident and non-resident individuals. Compensation of employees refers to the income of border, seasonal, and other short-term workers who are employed in an economy where they are not resident and of residents employed by non-resident entities. Data are the sum of two items defined in the sixth edition of the IMF’s Balance of Payments Manual: personal transfers and compensation of employees.” (cf. glossaire de la banque de données de la Banque mondiale). ↩︎
  4. Selon les organismes, les rémunérations salariales ne sont néanmoins pas toujours prises en compte dans les données. ↩︎
  5. Comme il est précisé dans l’annexe méthodologique, l’évaluation des transferts personnels entre ménages résidents et non-résidents s’appuie sur l’estimation du nombre d’immigrés issus d’un pays donné qui résident dans le pays de source (en France par exemple). On parle d’ailleurs communément de transferts de fonds des migrants pour désigner ces flux.  ↩︎
  6. Les premières données disponibles pour l’année 2024 marquent un retrait (741 Md$) mais sont encore incomplètes. ↩︎
  7. Cf. OIM, L’état de la migration dans le monde 2024, p. 37. Selon l’OIM, en 2022, l’APD s’est élevée à environ 210 Md$, les IDE à environ 525 Md$ et les transferts de fonds des migrants à environ 640 Md$, plaçant ainsi ces derniers en tête de ces différents flux financiers internationaux. Toutefois, nous relevons que les statistiques habituellement retenues pour mesurer les IDE (1 572 Md$ en 2022, 1 465 Md€ en 2023 et 1 485 Md€ en 2024 pour les flux mondiaux d’IDE selon l’OCDE) sont plus élevées qu’indiqué par l’OIM et dépassent encore significativement les montants des transferts des migrants (de 78 % en 2023). ↩︎
  8. Source : https://data.worldbank.org/indicator/BX.TRF.PWKR.CD.DT. Voir précisions méthodologiques en annexe. ↩︎
  9. Source : https://data.worldbank.org/indicator/BX.TRF.PWKR.DT.GD.ZS. ↩︎
  10. C’est-à-dire les pays ayant commencé la « transition démographique » et dont le rapport entre la population active et la population dépendante est favorable. La Banque mondiale donne la définition suivante : « Early-dividend countries are mostly lower-middle-income countries further along the fertility transition. Fertility rates have fallen below four births per woman and the working-age share of the population is likely rising considerably. ». Cf. glossaire de la banque de données de la Banque mondiale. ↩︎
  11. Soit dans sa configuration actuelle à 27 Etats membres postérieurement au retrait du Royaume-Uni intervenu en 2020 ↩︎
  12. A la différence des données Banque mondiale mentionnées plus haut, ces données Eurostat ne tiennent pas compte des rémunérations des travailleurs transfrontaliers. Pour une présentation des données concernant les transferts personnels et les rémunérations des travailleurs, cf. la page suivante d’Eurostat : Personal transfers and compensation of employees – Statistics Explained – Eurostat ↩︎
  13. Cf Eurostat (données au 31/12/2023), fichier « migr_resvalid » : https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/migr_resvalid__custom_18510679/default/table ↩︎
  14. World Bank Group, Migrants’ Remittances from France. Findings of a survey on migrants’ financial needs and remittance behavior in Montreuil.2015. Cf. p.19. ↩︎
  15. Les données pour 2022 sont assez similaires. ↩︎
  16. Cf. Migration and Development Brief 40. Par exemple : “Remittances to the Middle East and North Africa fell by 15 percent to $55 billion in 2023, primarily due to a sharp decline in flows to Egypt, where the divergence between official and parallel foreign exchange rates likely diverted remittances to unofficial channels. After the unification of exchange rates in March 2024, there are signs of recovery in flows through official channels. Flows are projected to recover by 4.3 percent in 2024. The cost of sending $200 to the region averaged 5.9 percent, down from 6.7 percent the previous year.” ↩︎
  17. Une étude du FMI et de la Banque mondiale a dégagé, pour une sélection de pays une estimation de 5 à 70 % des fonds enregistrés pour l’année 2000 : El  Qorchi,  M.,  Munzele,  M.  S.  &  Wilson,  J.  F. (2003). „Informal Funds Transfer Systems: An Analysis of the Informal Hawala System“. IMF Occasional Paper N° 222. Également disponible sur le site de la Banque mondiale. Voir notamment le tableau page 56, qui retient par exemple une proportion estimée de l’Hawala dans les transferts personnels de 23 % pour l’Algérie en 2000 (et même 73% sur la période 1981-2000). ↩︎
  18. IPSOS, Enquête sur la diaspora africaine en France et les transferts d’argent vers le continent africain, 2020. Cf. p.26. ↩︎
  19. World Bank Group, Migrants’ Remittances from France. Findings of a survey on migrants’ financial needs and remittance behavior in Montreuil.2015. Cf. p. 23-25. ↩︎
  20. Immigrés et descendants d’immigrés en France – Insee Références – Édition 2023 (fiches thématiques, « Flux d’immigration et trajectoires migratoires », 2.7 « Rapport au pays d’émigration et pratiques transnationales », p.109s). ↩︎
  21. Sur les impacts économiques positifs et négatifs des transferts pour les pays d’origine, voir EL HAMMA (2018), qui fait le point sur la littérature économique sur ce sujet et souligne les conditions nécessaires pour que les effets positifs des transferts se déploient. ↩︎
  22. OIM, État de la migration dans le monde 2024, p.39. ↩︎
  23. Ibid. p.39. ↩︎
  24. Cette question est davantage étudiée aux Etats-Unis, cf. Federation for American Immigration Reform (FAIR), Remittances Continue to Grow at America’s Expense, Issue Brief, July 2025.  ↩︎
  25. Voir par exemple cette étude du Parlement européen, qui traite des transferts uniquement sous l’angle du développement des pays bénéficiaires des fonds : Iliana OLIVIÉ and María SANTILLÁN O’SHEA, The role of remittances in promoting sustainable developmentEuropean Parliament (Directorate General for External Policies of the Union), June 2022. ↩︎
  26. OID, L’impact de l’immigration sur l’économie française : sortir du « cercle vicieux » et prioriser l’emploi, note, juin 2025. ↩︎
  27. A l’exception des revenus des travailleurs transfrontaliers, qui relèvent quant à eux des « revenus primaires ». ↩︎
  28. En 2024, la consommation effective des ménages constitue 52,4 % des emplois finals (source : INSEE, comptes nationaux 2024). Les comptes de la Nation en 2024 − Comptes nationaux | Insee ↩︎
  29. INSEE, Les revenus et le patrimoine des ménages (INSEE Références), édition 2024. Cf. point 1.18 Niveau de vie et pauvreté des immigrés. Le constat vaut plus particulièrement pour les immigrés d’origine africaine. ↩︎
  30. En effet, la propension à consommer décroît avec le niveau de richesse. Cf. ACCARDO Jérôme, BILLOT Sylvain, Plus d’épargne chez les plus aisés, plus de dépenses contraintes chez les plus modestes, Insee Première n°1815, septembre 2020. ↩︎
  31. En 2024, la formation brute de capital fixe (FBCF) des ménages constitue 3,5 % des emplois finals (source : INSEE, comptes nationaux 2024). Les comptes de la Nation en 2024 − Comptes nationaux | Insee ↩︎
  32. IPSOS, Enquête sur la diaspora africaine en France et les transferts d’argent vers le continent africain, 2020. Cf. p.34. Les autres solutions mentionnées sont d’augmenter ses revenus (26 % des répondants) ou d’emprunter de l’argent (13 % des répondants), ce qui permet d’atténuer l’impact négatif sur la consommation, étant précisé que plusieurs réponses étaient possibles dans ce sondage. ↩︎
  33. La répercussion des transferts sur le PIB est certainement légèrement inférieure à 100 %. Mais le chiffre ainsi obtenu de l’impact sur le PIB est malgré tout un minorant dans la mesure où les transferts, tels que mesurés par la Banque de France, sont vraisemblablement sous-évalués comme nous l’avons évoqué plus haut. A noter que nous n’avons pas identifié dans la littérature économique d’évaluation de l’impact des transferts sur le PIB des pays de source comme la France. ↩︎
  34. Sur l’élasticité des PO, cf. Eric Dubois, Haut Conseil des finances publiques, Note méthodologique HCFP 2023-1.pdf, note méthodologique n° 2023-01.  
    En 2025, l’élasticité des PO était estimée à 0,9 par le gouvernement (cf. rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2025, p.55).  ↩︎
  35. En vertu du 2° du II de l’article 156 du code général des impôts, les pensions versées conformément aux dispositions du code civil relatives à l’obligation alimentaire sont déductibles du revenu brut global soumis à l’impôt sur le revenu. Les conditions de déduction sont précisées par la doctrine administrative↩︎
  36. Article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. ↩︎
  37. Cf. par exemple l’arrêt Keva e.a. du 29/07/2024 C-39/23. Un dispositif fiscal ne doit pas constituer une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements. Une telle restriction peut éventuellement être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général mais la CJUE est très restrictive sur ce point.  ↩︎
  38. On peut penser entre autres à l’argent du trafic de drogues, dont on peut penser qu’une partie est mise à l’abri et investie à l’étranger, dans des pays moins sourcilleux quant au blanchiment d’argent. Il en va de même des réseaux de prostitution (qu’on songe à la filière nigériane). Les filières de passeur recourent aussi à l’Hawala. ↩︎
  39. Cf. par exemple ces condamnations prononcées le 7 avril 2022 par le tribunal de la juridiction interrégionale spécialisée de Rennes à l’encontre de membres de deux réseaux de blanchiment africain et pakistanais : https://www.ouest-france.fr/faits-divers/trafic/plus-de-40-millions-d-euros-blanchis-par-des-reseaux-internationaux-jusqu-a-8-ans-de-prison-ddd51fa2-b695-11ec-b116-e879225002a2 ↩︎
  40. L’Office central pour la répression de la grande délinquance financière a spécifiquement pour mission de traiter, notamment, les affaires de blanchiment les plus importantes. ↩︎
  41. Article 29 du traité sur l’UE et article 215 du traité sur le fonctionnement de l’UE. Sur le cadre juridique des sanctions de l’UE, cf. https://eur-lex.europa.eu/FR/legal-content/summary/general-framework-for-eu-sanctions.html ↩︎
  42. Sur ce point, cf. OID, Sauver Schengen. Face à l’urgence : la nécessaire réforme, note de juin 2024, p. 17 (proposition 4.1.3). ↩︎
  43. Par ordre alphabétique. Quelques références ponctuelles figurent par ailleurs au fil de la note. ↩︎
  44. Cf. https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/bop_rem6/default/table?lang=fr&category=bop_6 ↩︎
  45. Dans le cas de la France, les chiffres apparaissent en pratique identiques pour la catégorie « Revenus secondaires: transferts personnels (transferts courants entre ménages résidents et non-résidents) » [D752] et la sous-catégorie « Revenus secondaires: envois de fonds des travailleurs » [D752W]. Nous supposons que la différence n’est pas faite entre envois de fonds des travailleurs étrangers et envois de fonds d’étrangers hors travailleurs. La notion de travailleurs apparaît ici comme un abus de langage. ↩︎
  46. Remittances: Outward remittances are estimated based on World Bank data on migrant populations and incoming transfers in receiving countries. Data from French money transfer operators are used as a secondary source.↩︎
  47. BPM6, Transactions courantes – Revenus secondaires – Dont : envois de fonds des travailleurs (code BPM6.A.N.FR.W1.S1W.S1.T.B.D752W._Z._Z._Z.EUR._T._X.N.ALL pour le solde France vis-à-vis Reste du monde). Accessible sous le lien https://webstat.banque-france.fr/fr/themes/balance-des-paiements-et-position-exterieure/transactions-courantes-et-compte-de-capital/ ↩︎
  48. Le KNOMAD se définit ainsi : “a global hub of knowledge and policy expertise on migration and development. It aims to create and synthesize multidisciplinary knowledge and evidence; generate a menu of policy options for migration policy makers; and provide technical assistance and capacity building for pilot projects, evaluation of policies, and data collection.” ↩︎
  49. “Personal remittances comprise personal transfers and compensation of employees. Personal transfers consist of all current transfers in cash or in kind made or received by resident households to or from nonresident households. Personal transfers thus include all current transfers between resident and nonresident individuals. Compensation of employees refers to the income of border, seasonal, and other short-term workers who are employed in an economy where they are not resident and of residents employed by nonresident entities. Data are the sum of two items defined in the sixth edition of the IMF’s Balance of Payments Manual: personal transfers and compensation of employees. Data are in current U.S. dollars.” ↩︎
  50. Pour 2023 : 1,11 $ pour 1 € (il s’agit du cour de change à la fin de l’année 2023). Pour 2024 : 1,04. ↩︎
  51. Cf. Migration and Development Brief 40. Par exemple : “Remittances to the Middle East and North Africa fell by 15 percent to $55 billion in 2023, primarily due to a sharp decline in flows to Egypt, where the divergence between official and parallel foreign exchange rates likely diverted remittances to unofficial channels. After the unification of exchange rates in March 2024, there are signs of recovery in flows through official channels. Flows are projected to recover by 4.3 percent in 2024. The cost of sending $200 to the region averaged 5.9 percent, down from 6.7 percent the previous year.” ↩︎
  52. Données accessibles via https://www.worldbank.org/en/topic/migration/brief/remittances-knomad (à droite, rubrique « KNOMAD/Remittance-related Data »), sur le lien https://data.worldbank.org/indicator/BX.TRF.PWKR.DT.GD.ZS
    Données dans leur mise à jour du 15/04/2025. Des mises à jour régulières (la dernière en date a eu lieu au 01/07/2025) conduisent à des ajustements, généralement mineurs, dans le temps. ↩︎
  53. Données accessibles sous https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/bop_rem6/default/table?lang=fr&category=bop_6 (données décembre 2024). ↩︎

La « transplantation culturelle » de l’immigration en France | Essai d’application des analyses de Garett Jones

Les êtres humains se déplacent. Ce faisant, ils emportent avec eux leur culture, leur attitude envers l’épargne, leur conception du rôle des femmes dans la société, leur rapport à la confiance en autrui, et bien d’autres choses encore. 

Il est assez unanimement admis que les immigrés de première génération sont généralement très différents des citoyens natifs — parfois pour le mieux, parfois pour le pire — mais beaucoup espèrent que les enfants de ces immigrés se conformeront aux normes locales, s’assimileront. La plupart des gens espèrent que les immigrés, ou du moins les enfants d’immigrés, s’assimileront.

Je n’espère pas que les enfants d’immigrés s’assimilent complètement, en partie parce que je sais que ce n’est pas réaliste. Ce que j’espère plutôt, c’est que les enfants d’immigrés seront meilleurs que les autres citoyens du pays, qu’ils élèveront le niveau des compétences intellectuelles, de la bonté humaine, de la volonté de travailler ensemble pour construire une société meilleure. J’espère que les immigrés rendront la société meilleure, précisément parce que cette société a été assez intelligente pour inviter des personnes qui, en moyenne, étaient meilleurs que la plupart des citoyens natifs.

Quiconque dirige une entreprise sait que des décisions d’embauche intelligentes sont la cléf du succès. La politique d’immigration est l’occasion pour un pays d’embaucher les meilleurs, d’élever le niveau et d’importer une meilleure culture. 

Il est facile de voir la théorie de la transplantation culturelle comme un avertissement contre les risques d’une politique d’immigration mal choisie, et cela fait certainement partie de mon message. J’ai écrit mon ouvrage The Culture Transplant: How Migrants Make the Economies the Move to a Lot Like the Ones They Left (La transplantation culturelle : comment les immigrés transforment les économies en économies très similaires à celles qu’ils ont quittées) afin de faire savoir au monde ce que mes collègues économistes savaient depuis plus d’une décennie : que les enfants et petits-enfants d’immigrés ne finissent pas par devenir comme les natifs, du moins pas en moyenne. 

Si le public savait ce que les professeurs se disaient entre eux dans les séminaires et les revues scientifiques, j’espère que les pays riches pourraient passer de leurs politiques d’immigration utopiques à une politique d’immigration réaliste, fondée sur le fait que les immigrés apportent une transplantation culturelle qui dure pendant des générations, voire pour toujours.

C’est pourquoi je suis si heureux de voir cette nouvelle note de l’OID, qui applique la théorie de la transplantation culturelle à la France. La France a toujours été façonnée par les valeurs de ses ancêtres, et les immigrés français des dernières générations ont donné à la République de nouveaux ancêtres dont les valeurs façonneront l’avenir social et économique de la France.

J’ai toujours considéré et je continue de considérer mon livre comme un avertissement contre un optimisme excessif à l’égard de l’immigration. Mais il existe également une manière positive d’envisager le pouvoir de la transplantation culturelle liée à l’immigration : c’est un moyen pour une nation de choisir un excellent enrichissement des valeurs actuelles par des valeurs encore meilleures. Et la manière la plus réaliste d’améliorer les valeurs des citoyens d’une nation est d’inviter de nouveaux citoyens immigrés dont les enfants, et les enfants de leurs enfants, sont susceptibles d’apporter ces nouvelles valeurs, meilleures, de leur pays d’origine. 

Ces nouveaux citoyens peuvent améliorer la nation française ou n’importe quelle autre nation, non seulement en étant de meilleurs épargnants et de meilleurs voisins, mais aussi en devenant des exemples dont nous pouvons tous tirer des leçons.

Les êtres humains se déplacent et apprennent les uns des autres. Choisissons de bons voisins dont nous pouvons tous tirer des leçons.

Garett Jones

Professeur d’économie

Université George Mason

« It’s just obvious you can’t have free immigration and a welfare state. » Cette formule célèbre de Milton Friedman rappelle que la question migratoire ne peut être séparée du cadre institutionnel et social du pays d’accueil. En France, l’immigration est généralement discutée sous l’angle économique de court terme (emploi, prestations sociales, coûts fiscaux) ou sous l’angle humanitaire.

Le présent travail cherchera, à l’aune des travaux de l’économiste américain Garett Jones, à comprendre la manière dont les valeurs et attitudes sociales des populations immigrées peuvent perdurer, se transmettre et progressivement transformer la société d’accueil1. Ensuite, en comparant la société française avec les pays d’origine des populations qu’elle accueille, nous chercherons à identifier les changements susceptibles de s’opérer en France à l’avenir.

Le travail de Jones s’inscrit en cohérence avec les travaux économiques d’Alberto Alesina et Paola Giuliano, qui résument ainsi  leurs conclusions principales : « lorsque des immigrés s’installent dans des pays dotés d’institutions différentes, leurs valeurs culturelles évoluent peu — si tant est qu’elles évoluent — et rarement en l’espace de deux générations ».

Dans le sillage de cette théorie de la persistance des valeurs par-delà les générations, Jones théorise l’idée d’un rapprochement progressif et lent des valeurs des nouveaux arrivants vers celle de la population locale, mais aussi le constat parallèle – moins souvent évoqué – d’une hybridation des valeurs des autochtones avec celles des nouveaux arrivants.

Garett Jones est professeur d’économie à la George Mason University et Senior Research Fellow au Mercatus Center. Spécialiste de l’économie institutionnelle, de la macroéconomie politique et de l’économie de la culture, ses recherches portent sur le rôle du capital humain, des normes sociales et des institutions dans la prospérité à long terme des nations.
 
Il a contribué à renouveler l’analyse économique de l’immigration en insistant sur la persistance intergénérationnelle des préférences collectives et sur leur influence durable sur la gouvernance, la productivité et la confiance sociale. Enfin, son ouvrage The Culture Transplant: How Immigrants make the Economies They Move to a Lot Like the Ones They Left (2022) met en avant l’idée que les migrations transportent non seulement des personnes, mais aussi des préférences institutionnelles et culturelles persistantes. Ses travaux le placent à l’intersection de l’économie politique et des débats contemporains sur la mondialisation, la diversité culturelle et la qualité des institutions.

Ces préférences collectives influencent la vie institutionnelle et politique des pays d’accueil : aux États-Unis, par exemple, des travaux empiriques montrent que l’origine des immigrés explique une partie des différences régionales en matière de pratiques démocratiques, de productivité ou de fiscalité2. Toutefois, si ces approches comparatives existent à l’échelle mondiale, elles restent encore peu appliquées au cas français, où les effets institutionnels et culturels de l’immigration sont largement sous-étudiés.

Afin d’appliquer le modèle de Jones au contexte français la présente note s’appuiera sur les nationalités les plus représentatives de l’immigration reçue en France, via l’indicateur du nombre de titres de séjour valides au 31 décembre 20243, qui reflète la réalité des politiques migratoires sur lesquelles les responsables politiques peuvent avoir un degré de contrôle.

Afin d’évaluer dans quelle mesure et dans quelles directions les préférences culturelles et institutionnelles de ces groupes sont susceptibles d’influencer à long terme la trajectoire culturelle et institutionnelle française, chacun sera comparé à la France en fonction de divers indicateurs (développement humaine, confiance sociale, droits des femmes et des LGBT…).

Cette partie se propose de revenir sur les apports théoriques et empiriques qui expliquent pourquoi les normes migrent avec les individus, dans quelles conditions elles s’assimilent ou persistent, avant de comprendre ce qu’elles impliquent dans le cas français.

1.1 La persistance intergénérationnelle ou le mythe de l’assimilation

Dans The Culture Transplant (2022), Garett Jones développe une thèse centrale : les immigrés importent avec eux un capital culturel et institutionnel — attitudes vis-à-vis de l’État, normes de confiance, perception de la redistribution, rapport à l’autorité — qui persiste au-delà de la première génération4.

Jones cherche donc à trouver des indicateurs quantifiables de cette transmission intergénérationnelle. La littérature reprise montre que des attitudes clés – telles que la confiance envers autrui – se transmettent à hauteur d’environ 40–46 %, parfois jusqu’à la 4ᵉ génération5. Les données mobilisées se fondent sur  par Francesco Giavazzi6, de l’université Bocconi de Milan, sur la persistance des traits culturels des immigrés arrivés en Amérique, de leurs descendants à la deuxième et à la quatrième génération, issus de sept groupes différents7.

Au sein de chacun des groupes (nouveaux arrivants et leurs descendants), l’auteur a cherché à déceler la persistance de huit traits principaux que sont les attitudes relatives à :

  • La confiance interpersonnelle ;
  • Le rôle du gouvernement ;
  • La religiosité ;
  • La famille ;
  • L’égalité des genres et la répartition des rôles ;
  • L’avortement ;
  • La sexualité ;
  • Mobilité sociale.

Pour l’ensemble de ces sujets, l’étude montre qu’à la quatrième génération, « sur les huit attitudes, […] un peu moins de 60 % de l’écart d’attitude est comblé. L’assimilation complète, même une assimilation à 90 %, semble une fois de plus être un mythe. »8. Cela signifie qu’en moyenne, sur lesdits sujets, 40% de la différence entre société d’origine et société d’accueil persiste au bout de quatre générations sur le territoire.

Les travaux de Giavazzi soulignent par ailleurs que la convergence vers les valeurs du pays d’accueil s’opère particulièrement lentement pour des traits tels que les valeurs morales, religieuses et sociales (avortement, morale sexuelle…). En revanche, la perception de la place de la femme dans le marché du travail évolue rapidement – car elle répond à une nécessité et produit un gain – là où la perception de sa place en politique n’évolue que très lentement9.

De la même manière, l’économiste Yann Algan évoque le fort effet prédictif du niveau de confiance sociale dans un pays d’origine sur celui constaté chez les descendants d’immigrés issus de ce pays plusieurs générations après la migration. Chacun conserve – en moyenne – des résultats largement liés à ceux constatés dans le pays d’origine de ses ancêtres. Preuve que la confiance sociale est un trait transmis au sein des familles par-delà les générations et partiellement en dépit de la culture d’accueil.

Les éléments déclaratifs issus des immigrés eux-mêmes confortent cette idée d’une transmission à dimension partiellement volontaire – qui se double d’une large part involontaire. À ce titre, une récente enquête Ipsos/RMDA10 sur la diaspora africaine en France (juil. 2020) indique que 88 % des parents déclarent transmettre activement la culture du pays d’origine à leurs enfants. Le détail par génération montre que la propension à transmettre la culture d’origine reste très élevée ,même longtemps après la migration (93 % des répondants pour la 1ère génération, 86 % pour la 2ᵉ et 87 % à la 3ᵉ).

Même après deux générations dans le pays d’accueil, la volonté de transmission de la culture d’origine demeure présente et volontaire. Cela ne quantifie par ailleurs pas l’ensemble de la transmission de préférences et de normes qui peuvent, en partie, être involontaires ou inconscientes. La transmission a lieu principalement au cours de vacances dans le pays, d’évènements familiaux ou de moments plus formels tels que des cours de langue ou un enseignement culturel spécifique11.

1.2 La Spaghetti Theory : comment les immigrés changent les natifs

Samuel Bazzi (professeur d’économie politique de l’université de Californie San Diego) et Martin Fiszbein (professeur associé de l’université de Boston) écrivent que, si l’assimilation peut exister, « les immigrés peuvent également conserver des traditions culturelles de leurs lieux d’origine, parfois en les préservant à travers les générations. Dans certains cas, les immigrés redéfinissent même la culture de leurs communautés d’accueil »12.

À cette aune, Garett Jones insiste sur l’impact à long terme de la « transplantation culturelle » générée par l’immigration. Non seulement les préférences et les normes perdurent largement dans le temps et sont transmises dans les familles mais encore, elles façonnent la culture et les normes du pays d’accueil autant que les immigrés sont façonnés par celui-ci.  Il en tire cette formule : « les immigrés changent les natifs, parfois en bien, parfois en mal »13.

Cette « transplantation culturelle » peut, avec le temps, modifier la trajectoire des sociétés d’accueil14 et créer une forme d’hybridation culturelle entre les personnes nouvellement arrivées et la culture préexistante. Jones l’explique en dressant un constat sous forme de question : « Mais le changement culturel n’est-il pas une rue à double sens ? Les immigrés ne changent-ils pas souvent les résidents de longue date, et les résidents de longue date ne changent-ils pas les immigrés, les deux parties se rencontrant quelque part au milieu ? »15. Jones souligne que ce changement se produit dans les deux sens16 ; l’assimilation est partielle et, pendant que les immigrés se rapprochent des normes locales, ils transforment en retour la culture d’accueil.

C’est la Spaghetti theory – nom issu de l’intégration des spaghettis à la cuisine américaine suite à l’arrivée d’immigrés italiens : les valeurs des immigrés et celles des autochtones finissent par s’hybrider pour que celles du pays se retrouvent quelque part entre les deux.

Cette idée va à rebours de celle d’une assimilation systématique. L’auteur constate empiriquement que dans la longue histoire des mouvements de population, dans les cinq derniers siècles, les personnes qui se sont déplacées « ne se sont presque jamais pleinement assimilées »17. L’universitaire explique ainsi sa théorie :

« On ne peut pas dire si les migrants s’assimilent à la culture préexistante simplement en regardant la culture post-migration. Pourquoi ? […] car si les immigrés changent la culture préexistante, alors ce que vous pourriez considérer comme « assimilation des immigrés » une assimilation de chacun des groupes à l’autre. […][Sa théorie apporte] cet élément concernant la rencontre [des deux cultures] dans un entre-deux qui est majeur pour expliquer l’assimilation partielle et incomplète que nous avons vu et continuerons de voir dans les données. […] En fin de compte, la Spaghetti Theory est simplement une nouvelle façon de penser les effets des pairs – à la manière dont ceux qui nous entourent nous façonnent au moins légèrement, que ce soit consciemment ou inconsciemment. ».

Si son livre se concentre sur les préférences économiques (confiance, frugalité, rapport à la régulation), il évoque également la question du rapport aux minorités, à la religion ou à la famille, citant les travaux de Giavazzi à ce propos.  Le mécanisme de transmission par la famille et les pairs éclaire ainsi l’ensemble des inclinations sociales — rapport à la loi, aux femmes, aux minorités sexuelles — que nous documenterons et mettrons en regard d’études de cas.

Garett Jones retrace, dans son chapitre « South Asia’s Glorious Chinese Diaspora » et « Chinese Immigrants: Building the Capitalist Road », les raisons pour lesquelles la diaspora chinoise est associée à des trajectoires de croissance dans des territoires qui l’ont massivement reçue : (Taïwan, Singapour, Macao, Hong Kong…).

Il cite notamment I. Priebe et R. Rudolf, World Development, 2015 : « The Chinese diaspora has certain unique cultural characteristics that potentially could be conducive to economic growth » (trad. : « La diaspora chinoise présente certaines caractéristiques culturelles spécifiques susceptibles de favoriser la croissance économique »).

Cet exemple concret de la mise en application des thèses de Jones – ici dans un sens positif – illustre ce en quoi les immigrés changent leurs pays d’arrivée et ses habitants.

1.3 Confiance sociale et redistribution

Dans le même esprit, Yann Algan et Pierre Cahuc18 mettent en évidence un « capital de confiance hérité » chez les descendants d’immigrés, et montrent que cette confiance — ressource sociale centrale — a des effets économiques tangibles. La confiance au sein des sociétés, écrit Yann Algan « est l’un des principaux déterminants du développement économique actuel ». Ces idées, cumulées, cadrent avec l’intuition de Jones : non seulement une part des préférences collectives migre avec les individus et s’inscrit dans la durée mais, plus encore, elle a des impacts concrets sur les pays d’arrivée.

Sur le plan des politiques publiques, Alesina, Glaeser et Sacerdote19 soulignent qu’un État-providence étendu requiert un haut niveau de confiance sociale. Lorsque l’hétérogénéité ethno-culturelle s’accroît, la confiance moyenne et l’acceptabilité de la redistribution tendent à diminuer, ce qui pèse indirectement sur la soutenabilité de l’État-providence. Ce dernier nécessitant un haut niveau de confiance et de cohésion sociale est rendu plus difficile dans le cadre d’une société multiculturelle.

Le sociologue Ruud Koopmans20 apporte un complément d’analyse empirique dans le contexte européen : en Allemagne, une plus grande diversité résidentielle est associée à une baisse de la confiance envers les voisins, avec des indices de causalité passant par la qualité des contacts interethniques. En cela, il explique que le modèle proposé par les précédents concernant les Etats-Unis peut s’appliquer à l’Europe et probablement être généralisé.

Le poids croissant des populations issues de l’immigration extra-européenne renforce la pertinence du prisme de Jones : si les préférences liées à la confiance, au rôle de l’État ou aux normes civiques se transmettent partiellement et si la distance culturelle freine leur convergence, alors la « moyenne institutionnelle » du pays d’accueil peut, à long terme, se déplacer.

Le défi français n’est donc pas seulement l’intégration économique immédiate, mais aussi l’articulation, dans le temps, entre politiques d’assimilation et dynamique de transmission intergénérationnelle des normes.

L’analyse ici présenté des effets institutionnels de l’immigration repose sur un cadre théorique inspiré des travaux de Garett Jones (The Culture Transplant, 2022) et complété par des indicateurs internationaux permettant de comparer les environnements culturels et économiques des principaux pays d’origine des immigrés en France avec leur pays d’accueil.

L’idée centrale est que les immigrés ne transportent pas seulement une force de travail, mais aussi des préférences collectives relatives au rôle de l’État, à la corruption, aux droits fondamentaux ou encore à la confiance interpersonnelle. Ces préférences peuvent influencer à long terme la culture sociale, politique et économique du pays d’accueil.

2.1 Sources et indicateurs retenus

Pour opérationnaliser ce cadre théorique, plusieurs indices internationaux ont été mobilisés :

  1. Les données officielles relatives aux flux et stocks migratoires en France, notamment celles du ministère de l’Intérieur21.
  2. Le Corruption Perception Index (Transparency International, 2024), qui mesure la perception de la corruption dans le secteur public sur une échelle de 0 (forte corruption) à 100 (très faible corruption)22.
  3. L’Index Women, Peace and Security (Georgetown Institute for Women, Peace and Security, 2023), qui évalue l’autonomie, la sécurité et l’inclusion des femmes dans divers pays23.
  4. L’Equality Index (Equaldex, 2025), qui mesure le degré de reconnaissance légale et sociale des droits LGBT+ à travers différents pays24.
  5. Les données issues de l’indicateur “Share of people agreeing with the statement: Most people can be trusted” (Our World in Data), permettant d’évaluer le niveau de confiance interpersonnelle dans les sociétés d’origine25.
  6. L’Indice de Développement Humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), valeurs 2023 publiées dans le Rapport sur le développement humain 202526.  Quantifié sur une échelle allant de 0 à 1(très élevé ≥ 0,800 ; élevé 0,700–0,799 ; moyen 0,550–0,699 ; faible < 0,550), il agrège santé (espérance de vie), éducation (années de scolarisation) et niveau de vie (RNB/hab.). Nous retenons la dernière année disponible et harmonisons les comparaisons sur cette base.

Afin d’harmoniser les résultats, toutes les valeurs numériques ont été arrondies à l’unité. L’objectif n’est pas de fournir un classement précis des États, mais de comparer la France avec ses principaux pays d’immigration selon des indicateurs institutionnels et culturels robustes.

2.2 Vers un changement des normes de la société française ?

À partir de ces indicateurs, notre hypothèse est la suivante : si les immigrés conservent une partie de leurs préférences institutionnelles et culturelles, alors les préférences, la culture et les institutions du pays d’accueil peuvent être modifiés par la provenance des flux migratoires.

Avant d’engager une comparaison avec la France, nous présenterons, pays par pays, le profil institutionnel et social des pourvoyeurs d’immigration à destination de la France. Ce n’est qu’ensuite que nous discuterons des effets possibles en France (assimilation, transformation de la culture et des normes…). Ce cadre théorique conduit à considérer que l’immigration peut modifier à long terme la « moyenne institutionnelle » d’un pays :

  1. Si la majorité des flux provient de pays où la confiance interpersonnelle est faible, la gouvernance plus fragile et les normes moins protectrices des droits des femmes et des minorités sexuelles, l’effet attendu est un affaiblissement de la confiance sociale et du respect des règles communes. À terme, cela peut peser sur la coopération civique, la sécurité juridique et la croissance, et donc sur la soutenabilité de l’État-providence, qui repose précisément sur un haut niveau de cohésion et de confiance généralisée.
  2. À l’inverse, si l’immigration est issue de pays institutionnellement proches, l’effet sur les préférences collectives demeure limité.
  3. Dans le cas où l’immigration provient de pays où les niveaux de formation, les normes et les valeurs collectives seraient plus favorables que celles présentes en France, leur présence pourrait, à terme, faire pression à la hausse sur les niveaux de même nature constatés dans le pays d’accueil.

3.1 Quantifier les différences et les similitudes

Tableau 1 : nombre de titres et documents de séjour valides au 31/12/2024, par nationalité

Pays2024
Algérie649 991
Maroc617 053
Tunisie304 287
Turquie232 421
Chine130 786
Côte d’Ivoire119 079
Sénégal114 956
Mali108 042
RDC94 059
Afghanistan88 816

Source : Direction générale des étrangers en France (ministère de l’Intérieur)

Pour évaluer le possible impact des politiques d’immigration sur les normes socio-culturelles, nous avons choisi de croiser les titres de séjour en cours de validité en France avec les divers indicateurs précédemment énoncés. Le « stock » des titres de séjour reflète la réalité des politiques migratoires sur lesquelles les responsables politiques peuvent avoir un degré de contrôle, à la différence des migrations intérieures à l’Union européenne (dont le paysage des normes et des valeurs d’origine apparaît très proche de celui de la France, par ailleurs).

Le nombre des titres de séjour valides en France a atteint 4,16 millions en 2024 – soit une hausse de 35% par rapport à 2017, 60% par rapport à 2012 et 77% par rapport à 2007 ; Parmi les étrangers accueillis, dix nationalités dominent (voir tableau 1) : Algérie, Maroc, Tunisie, Turquie, Chine, Côte d’Ivoire, Sénégal, Mali, République démocratique du Congo (RDC) et Afghanistan. Ensemble, elles représentent plus de la moitié du total des titres, traduisant une forte concentration des origines.

À travers l’étude du niveau de vie, de la corruption, des droits fondamentaux, de l’égalité LGBT et de la confiance interpersonnelle, il est possible de mesurer l’ampleur des écarts institutionnels et d’en déduire leurs conséquences potentielles sur la trajectoire française. Par l’ampleur de l’immigration reçue et par les différences culturelles et institutionnelles constatées entre les principaux pays de départ et celui d’arrivée, la France constitue un terrain d’application particulièrement pertinent de la thèse de Jones.

3.2 Développement économique et niveau de vie

Tableau 2 : PIB par habitant (2023) en dollars courants

PaysPIB/habitantEcart relatif à la France (%)
Base (France)44 691      =
Algérie536488%
Maroc377191,56%
Tunisie395091,16%
Turquie13 10670,67%
Chine12 95171,02%
Côte d’Ivoire255594,28%
Sénégal169896,20%
Mali103687,68%
RDC63398,58%
Afghanistan35799,2%

Ecart relatif à la France calculé en %.

Données Banque mondiale (PIB par habitant ($ US courants) | Data)

Le premier constat repose sur le niveau de vie (voir tableau 2). En 2023, le produit intérieur brut par habitant s’élevait en France à 44 691 dollars. Aucun des principaux pays d’origine ne s’en approche. L’Algérie atteint 5 364 dollars, soit un écart négatif de 88 %, le Maroc se situe à 3 771 dollars (-91,5%) et l’Afghanistan ferme la marche avec 357 dollars (-99,2%).

Même la Turquie et la Chine, pourtant engagées dans une forte dynamique de développement, affichent respectivement 13 106 dollars et 12 951 dollars, soit encore 70 % en dessous du niveau français. Cette comparaison souligne une fracture structurelle : la majorité des immigrés présents en France proviennent de contextes économiques caractérisés par un faible revenu moyen et des institutions de marché moins solides.

Des écarts aussi marqués de PIB par habitant signalent, en moyenne, des différences de capital humain (éducation, santé) et de productivité. À l’arrivée, ces derniers peuvent se traduire par une insertion initiale difficile ou cantonnée à des emplois peu qualifiés, un rattrapage lent des revenus et un recours plus fréquent aux dispositifs d’accompagnement – langue, formation, logement…

Ces pays à bas PIB par habitant, moins créateurs de valeur, sont aussi moins propices au développement de compétences transférables et porteuses de croissance dans une économie moderne telle que celle de la France. Ces différences de niveau de vie s’articulent avec des écarts institutionnels et sociaux (corruption perçue, droits, confiance interpersonnelle) qui peuvent influer sur les normes de comportement au travail et vis-à-vis de la loi.

3.3 Qualité et transparence de la gouvernance

Tableau 3 : Indice de corruption perçue (2023)

PaysIndice de corruption perçueEcart relatif à la France (%)
Base (France)71=
Algérie3649%
Maroc3846,5%
Tunisie4044%
Turquie3452%
Chine4241%
Côte d’Ivoire4043,5%
Sénégal4339,5%
Mali2860,5%
RDC2072%
Afghanistan2072%

Ecart relatif à la France calculé en %. Données Transparency international (Indice de Perception de la Corruption 2023 de Transparency International : la France stagne encore, la faute au manque d’exemplarité du pouvoir exécutif et au manque d’indépendance de l’autorité judiciaire – Transparency France International)

Les écarts apparaissent tout aussi importants lorsqu’on s’intéresse à la perception de la corruption, mesurée par l’indice de Transparency International (voir tableau 3).

La France obtient un score de 71 points, indiquant un niveau modéré de corruption perçue. En comparaison, la RDC est à 20 points, soit 72 % de moins, ce qui traduit une défiance institutionnelle très forte27.

Les résultats résumés dans ce tableau confirment que les principaux pays d’origine de l’immigration en France sont marqués par une gouvernance moins transparente et un rapport différent à la légalité institutionnelle. Des scores nettement plus faibles que celui de la France indiquent des contextes d’origine où la corruption perçue et le clientélisme sont plus présents dans la vie publique. Les individus y développent souvent des stratégies détournées d’accès aux services publics (intermédiaires, “arrangements”, contournement des règles…) et une tolérance plus élevée aux pratiques informelles.

Transposé dans la société d’accueil, cela peut se traduire par une moindre confiance dans les institutions, une « morale fiscale »plus faible (plus grande propension à frauder), des coûts de conformité perçus comme inutiles et, plus largement, un rapport aux règles moins intériorisé. De là, découle un risque accru d’informalité (travail non déclaré, fraudes mineures).

L’étude A Crook Is a Crook… But Is He Still a Crook Abroad ? des économistes Eugen Dimant, Tim Krieger et Margarete Redlinprécise à ce sujet que « l’immigration en provenance de pays d’origine touchés par la corruption favorise la corruption dans le pays de destination »28 et prouve que, dans le cas de migrations issues de pays où la corruption est présente, elle sera probablement « transmise » au pays d’accueil.

3.4 Droits des femmes et des minorités sexuelles

Tableau 4 : tranquillité et sécurité des femmes

PaysIndice WPSEcart relatif à la France (%)
Base (France)0,864=
Algérie0,622 28%
Maroc0,63726%
Tunisie0,669 22%
Turquie0,665 23%
Chine0,700 19%
Côte d’Ivoire0,573 33,5%
Sénégal0,619 28,5%
Mali0,481 44%
RDC0,384 55,5%
Afghanistan0,286 67%

Indice Women peace and security (du plus faible au plus fort taux de respect des femmes, 0 à 100). Source : 2023 Women, Peace & Security Index Georgetown Institut for Women, Peace and Security

La question du respect des droits des femmes dans les divers pays de provenance de l’immigration reçue en France est centrale. Là où la France présente un score de 0,864 (1 étant la valeur maximale), les pays extra-européens pourvoyeurs d’immigrés se situent à 0,637 (Maroc), 0,622 (Algérie) ou encore 0,286 pour l’Afghanistan. Seuls la Chine (0,7) présente un score relativement peu éloigné de la France.

Comme cela a déjà été démontré, la transmission intergénérationnelle des valeurs liées à la famille et au rôle des sexes demeure généralement forte. Ici, elle se traduit par une corrélation potentielle avec le taux d’infractions sexuelles commises envers les femmes. Le niveau de respect des droits des femmes dans les pays d’origine, importé – au moins partiellement – par les immigrés arrivant en France engendrerait donc des frictions avec la norme locale qui pourraient expliquer une part cette surreprésentation constatée.

Alors que les étrangers ne représentent que 8% de la population, ils représentent 13%29 des mis en cause pour infractions sexuelles en France. La granularité faisant défaut, il n’est pas possible de connaître les parts de chaque nationalité d’origine parmi l’ensemble des infractions pour établir des comparaisons plus fines. Aussi pouvons-nous chercher parmi les chiffres mieux disponibles dans le cadre des transports en commun, lesquels indiquent une très large surreprésentation des étrangers originaires d’Afrique hors-Maghreb par exemple.

En 2024, 11% des mis en cause pour des violences sexuelles perpétrées dans les transports en commun étaient des étrangers ressortissants de pays d’Afrique hors-Maghreb alors qu’ils ne représentaient que 1,37% de la population30 soit une surreprésentation d’un facteur 8. Or, les principales nationalités des immigrés d’Afrique hors Maghreb en France présentent des scores particulièrement bas en ce qui concerne l’indice de paix et de sécurité des femmes (Côte d’Ivoire, 0,573, Sénégal 0,619 et Cameroun, 0,466).

Evidemment, la composition socio-culturelle (niveau de vie, chômage, niveau académique etc…) explique une part de cette surreprésentation. Cependant, comme l’explique le sociologue Hugues Lagrange, une part de la surreprésentation de certains groupes immigrés dans la criminalité peut être due à des structures familiales persistantes31 (l’idée de persistance des normes étant centrale chez Jones).

Tableau 5 : droits LGBT

PaysIndice d’égalité LGBTEcart relatif à la France (%)
Base (France)74=
Algérie1382%
Maroc1382%
Tunisie1481%
Turquie3257%
Chine5427%
Côte d’Ivoire2566%
Sénégal495%
Mali889%
RDC3059%
Afghanistan199%

Indice d’égalité LGBT (2023) par ILGA World (de 0, absence totale de tolérance à 100, pleine égalité). Source : LGBT Rights by Country & Travel Guide | Equaldex

Les disparités se font plus importantes encore concernant l’indice lié au respect des personnes LGBT (voir tableau 6). La France atteint un score de 74 sur 100. En comparaison, l’Algérie et le Maroc obtiennent la note de 13, soit un écart de 82 % et l’Afghanistan obtient un score 67% inférieur. Même la Turquie (32) et la Chine (54) accusent un retard important, avec des écarts de 57 % et 27 %.

L’Afghanistan, avec le score de 1 point, est à ce titre le pays le moins favorable aux droits des personnes LGBT dans le monde (à égalité avec la Somalie).

Ces données mettent en lumière un fossé considérable, particulièrement entre la France et ses principaux pays d’immigration extra-européens, concernant la reconnaissance et la protection des minorités sexuelles. Par ailleurs, les statistiques SSMSI indiquent que les étrangers représentent 17 % des auteurs d’infractions anti-LGBT+ (Info rapide n° 53), alors que leur part dans la population est bien plus faible (8 % : ordre de grandeur déjà cité) — soit une surreprésentation d’environ 2 fois.

De fait, l’arrivée de populations issues de pays légalement et socialement extrêmement opposés aux droits des personnes LGBT implique une hausse de ce trait au sein de la population, et ce sur plusieurs générations – car, ainsi que l’ont démontré Francesco Giavazzi, Ivan Petkov et Fabio Schiantarelli, les traits liés à la morale sexuelle font partie de ceux dont la persistance est la plus longue32.

3.5 La confiance sociale, une ressource économique majeure

Tableau 6 : niveau de confiance sociale

PaysIndice de confiance interpersonnelleEcart relatif à la France (%)
Base (France)26=
Algérie1735%
Maroc1735%
Tunisie14 46%
Turquie14 46%
Chine63      +      142%
Côte d’IvoireNc.Nc.
SénégalNc.Nc.
MaliNc.Nc.
RDCNc.Nc.
AfghanistanNc.Nc.

Enquête sur les valeurs, nombre de personnes répondant positivement à la question « On peut faire confiance à la plupart des gens ». Source : Share of people agreeing with the statement « most people can be trusted », 2022

Des niveaux de confiance interpersonnelle plus faibles dans plusieurs pays d’origine (≈ 14–17 % au Maghreb/Turquie, vs 26 % en France) (voir tableau 7) renvoient à des environnements où la coopération interpersonnelle se fait plus rare et moins sereine. In fine, cela peut se traduire par une moindre capacité à établir les conditions nécessaires à la croissance du pays, sur les plans économiques et humains.  En effet, il est admis, ainsi que l’écrit Felix Roth33, professeur à l’université de Hambourg, que :

« La confiance est un facteur essentiel de la performance économique. Le bien-être d’une nation et sa capacité à concurrencer dépendent du niveau de confiance au sein de la société [car] l’activité économique fait partie de la vie sociale et se constitue conformément aux normes, règles et obligations morales d’une société. ».

De fait, une forte confiance sociale (Chine = 63 %) pose les prémices d’une possible croissance économique.

Ces chiffres illustrent clairement la fracture entre la France et plusieurs de ses principaux pays d’immigration en matière de confiance interpersonnelle, alors même celle-ci est déjà l’une des plus faibles en France par rapport au reste de l’UE. Alors que 26 % des Français déclarent que « la plupart des gens peuvent être dignes de confiance », les niveaux relevés en Algérie (environ 17 %), au Maroc (17 %), en Tunisie (14 %) ou encore en Turquie (14 %) se situent très en dessous, traduisant une confiance sociale beaucoup plus faible.

Ces écarts révèlent que l’immigration en provenance de ces pays tend à importer des normes de défiance interpersonnelle qui contrastent fortement avec les standards européens.

Cette faible confiance, introduite et perpétuée par des personnes issues de cultures différentes risque de grever le lien social et par là même, d’amenuiser les possibilités de croissance économique et de consentement à la redistribution fiscale.

3.6 L’indice de développement humain : éducation, santé, revenus

Tableau 7 : IDH

PaysIndice de développement humainEcart relatif à la France (%)
Base (France)0,92=
Algérie0,7617%
Maroc0,7123%
Tunisie0,7518%
Turquie0,858%
Chine0,80      –      13%
Côte d’Ivoire0,58      –      37%
Sénégal0,53      –      42%
Mali0,42      –      54%
RDC0,52      –      43%
Afghanistan0,50      –      46%

Indice de développement humain (IDH).

Source : ONU, PNUD, Rapport sur le développement humain 2025, hdr2025reporten.pdf

La France présente un score de 0,92 (référence) (voir tableau 8). Parmi les principales origines accueillies, seule la Chine est relativement proche (0,80 ; –13%), tandis que le Maghreb et l’Inde se situent dans une zone intermédiaire. Quatre pays présentent des écarts forts (–0,30 point) : Afghanistan 0,50, Sénégal 0,53, Mali 0,42, Côte d’Ivoire 0,58.

En moyenne, l’écart des pays d’origines avec la France est de près de 30%, ce qui traduit un différentiel structurel de développement humain pour une majorité des groupes considérés.

En ce qu’il agrège santé, éducation et niveau de vie, l’IDH éclaire la nature des besoins d’intégration : des écarts de –0,17 à –0,46 point suggèrent, à l’arrivée, une nécessité de rattrapage éducatif/linguistique, de soins et d’accompagnement vers l’emploi — surtout pour les origines très éloignées (Afghanistan, Afrique subsaharienne). Une large part des caractères perdurant à travers les générations et le risque d’hybridation de la société d’accueil avec les immigrés qu’elle reçoit est susceptible d’en faire, à terme, baisser l’IDH global.

Sur le plan scolaire34, les écarts d’IDH que nous documentons se reflètent dans PISA 2022 : en France, les élèves issus de l’immigration obtiennent en moyenne de 51 points inférieur en mathématiques et –52 points en lecture par rapport aux non-immigrés ; après prise en compte du profil socio-économique, un écart significatif subsiste (–17 et –16 points). Les élèves d’origine immigrée sont aussi deux fois plus souvent en situation défavorisée (48 % contre 25 %). Ces résultats indiquent que la langue, le niveau socio-économique et le parcours migratoire expliquent une part des écarts, mais pas la totalité ; le reste étant probablement au moins en partie lié à une persistance de traits issus de leur culture d’origine.

De plus, d’après les données Eurostat35, la France se singularise par une part d’immigrés originaires de pays à faible IDH (éducation, santé, revenus) environ trois fois supérieure à la moyenne de l’Union européenne, et parmi les plus élevées d’Europe. Ce constat éclaire la composition qualitative des flux et des stocks et le risque de déclassement qu’ils font peser sur le pays, son économie et sa culture.

3.7 Comparaison globale des sociétés et institutions des divers pays

Tableau 8 : récapitulatif

PaysImmigrés en 2024IDHIndice de confiance interpersonnelleIndice WPSIndice d’égalité LGBTIndice de corruption perçuePIB/habitant
Base (France) 0,92260,864747144 691
Algérie649 9910,76170,62213365364
Maroc617 0530,71170,63713383771
Tunisie304 2870,75140,66914403950
Turquie232 4210,85140,665323413 106
Chine130 7860,80630,700544212 951
Côte d’Ivoire119 0790,58Nc.0,57325402555
Sénégal114 9560,53Nc.0,6194431698
Mali108 0420,42Nc.0,4818281036
RDC94 0590,52Nc.0,3843020633
Afghanistan89 0000,50Nc.0,286120357

Reprise de chaque indice déjà évoqué.

En rouge : résultat inférieur à la norme française. En vert : résultats supérieurs.

La mise en parallèle de ces indicateurs révèle une tendance générale : la majorité des flux migratoires vers la France proviennent de pays au sein desquels les indicateurs économiques, de confiance et de respect des droits sont très défavorables par rapport aux standards français et européens.

L’idée de « moyenne institutionnelle » proposée par Garett Jones trouve ici une application concrète : si une part importante de la population de la France est constituée de groupes issus de contextes culturels et institutionnels plus fragiles en tout point (comme le prouvent les données présentées précédemment), il est probable que cela exerce une influence à long terme sur les préférences collectives du pays d’accueil, et influe même sur les préférences constatées au sein de la population sans ascendance migratoire.

Ainsi sont soulevées les possibilités d’une fragmentation culturelle ou d’une infusion des normes importées au sein de la société française, qui s’établirait dans une moyenne entre les valeurs des arrivants et celles aujourd’hui majoritaires.

Les écarts relatifs au respect des droits des femmes et de l’égalité LGBT révèlent des positions difficilement conciliables entre arrivants et groupe majoritaire. Si, comme le suggèrent les études, les préférences et normes concernant la morale sexuelle et l’égalité des genres figurent parmi les plus persistantes entre les générations : les valeurs libérales avancées de la société française se trouveront mécaniquement fragilisées.

Autrement dit, la dynamique actuelle ne correspond pas à une immigration porteuse de plus de richesses institutionnelles, mais à des flux qui, bien souvent, importent des préférences collectives éloignées de celles qui structurent l’ordre social français.

Ces dynamiques culturelles et sociales sont amplifiées par la fécondité différenciée entre populations. Les données démographiques de l’INSEE36 indiquent que les femmes immigrées, notamment originaires d’Afrique subsaharienne (3,3 enfants par femme) et du Maghreb (2,5 enfants par femme), présentent en moyenne un indice de fécondité supérieur à celui des femmes natives (1,7 enfant par femme).

Or, dans la perspective de Garett Jones, chaque génération supplémentaire constitue un vecteur de transmission partielle mais persistante des normes d’origine. L’effet de nombre accroît ainsi mécaniquement le poids relatif de ces préférences collectives dans la « moyenne institutionnelle » française, renforçant le caractère structurel des transformations évoquées. De ce renforcement découle une forte probabilité que, tant par effet de nombre et de conservation des valeurs que par l’effet de la Spaghetti theory, le socle de valeurs communes aujourd’hui admises en France se trouve bouleversé.

De la même manière, la baisse de la confiance sociale induite par le phénomène migratoire en tant que tel37, et d’autant plus par l’arrivée de personnes issues de pays à faible confiance interpersonnelle, risque de peser tant sur la cohésion sociale que sur les prérequis à l’existence même de l’Etat-providence « à la française ». En effet, il est attesté que la confiance sociale est un préalable au fonctionnement des systèmes redistributifs38. Ainsi, il paraît très difficile de concilier l’Etat-providence et les types d’immigration reçus sur le long terme..

Cette baisse de la confiance sociale est également – comme déjà évoqué – un puissant facteur bloquant de la prospérité économique, laquelle est étroitement corrélée à la confiance. Combiné à l’arrivée de personnes moins qualifiées, il va sans dire que la structure de l’immigration reçue ne prédispose pas à une croissance économique structurelle.

À travers l’ensemble de ces éléments, il est possible de deviner certains des changements voués à affecter le cadre anthropologique de la société française à moyen et long terme. L’usage d’une telle approche dans l’élaboration des politiques migratoires apparaitrait pleinement pertinent, afin de sortir d’un court-termisme parfois aveuglant.

  1. Sur la persistance des préférences (confiance interpersonnelle, rôle de l’État, respect des règles, épargne, redistribution), Garett Jones, The Culture Transplant: How Immigrés Make the Economies They Move to a Lot Like the Ones They Left, Stanford, Stanford University Press, 2022, chap. 1 « The Assimilation Myth », pp. 6–25. Jones ouvre ce chapitre par une citation d’Alberto Alesina et Paola Giuliano : « Lorsque des immigrés s’installent dans des pays dotés d’institutions différentes, leurs valeurs culturelles évoluent peu — si tant est qu’elles évoluent — et rarement en l’espace de deux générations » (traduction française libre), tirée de « Culture and Institutions », Journal of Economic Literature, 2015, p.904 (Lien) ↩︎
  2. Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move to a Lot Like the Ones They Left, Stanford, Stanford University Press, 2022, chap. « Migration of Good Government », pp. 67–77. Ce chapitre montre que l’origine des immigrés contribue à expliquer, partiellement, des différences régionales en pratiques démocratiques, productivité et fiscalité dans les sociétés d’accueil. ↩︎
  3. Les dix premiers pays en nombre de titres de séjour. Soit : l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Turquie, la Chine, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Mali, la République démocratique du Congo et l’Afghanistan. Le Royaume-Uni, intégré pour la première fois au classement de la DGEF publié en juin 2024, représente un cas particulier lié à son statut d’ancien Etat membre de l’UE – qui a longtemps dispensé ses citoyens de posséder un titre de séjour. Il n’est donc pas intégré dans la présente étude. ↩︎
  4. Voir aussi : Bazzi, S., & Fiszbein, M. (2025). « When do immigrants shape culture? National Bureau of Economic Research”, Working Paper, p.1. Cette étude prolonge directement les travaux de Garett Jones en montrant que l’impact des immigrés sur la culture de la société d’accueil dépend de dynamiques spécifiques de sélection, de transplantation et d’interaction institutionnelle. (Lien) ↩︎
  5. Voir Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move To a Lot Like the Ones They Left, p. 145 ↩︎
  6. Francesco Giavazzi, Ivan Petkov, Fabio Schiantarelli, “Culture : persistence and evolution”, Nber working paper series. ↩︎
  7. Voir Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move To a Lot Like the Ones They Left, p. 145 ↩︎
  8. Voir Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move To a Lot Like the Ones They Left, (Stanford Business Books, 2022), p.147. ↩︎
  9. Francesco Giavazzi, Ivan Petkov, Fabio Schiantarelli, “Culture : persistence and evolution”, Nber working paper series, p.6. ↩︎
  10. Ipsos/RMDA, Enquête sur les transferts d’argent vers les pays d’origine, juillet 2020, p. 18. (Lien) ↩︎
  11. Ibid. ↩︎
  12. Bazzi, S., & Fiszbein, M. (2025). When do immigrants shape culture? National Bureau of Economic Research, Working Paper, p.1 (Lien) ↩︎
  13. Garett Jones : « Les immigrés changent les natifs, parfois en bien, parfois en mal » – L’Express ↩︎
  14. Pour un exemple probant, voir Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move to a Lot Like the Ones They Left, Stanford, Stanford University Press, 2022, chap. 7 « The Chinese Diaspora: Building the Capitalist World », pp. 120–137 ↩︎
  15. Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move to a Lot Like the Ones They Left, Stanford, Stanford University Press, 2022, p.17. ↩︎
  16. Sur ce point, voir Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move To a Lot Like the Ones They Left, (Stanford Business Books, 2022), chapiter 1 «The Assimilation Myth», p.17 et 19 ; plus précisément la section «The Spaghetti Theory of Cultural Change», p.18–19. ↩︎
  17. voir Garett Jones, The Culture Transplant: How immigrants Make the Economies They Move To a Lot Like the Ones They Left, p. 5 ↩︎
  18. Algan & CahucInherited Trust and Growth (AER, 2010). Montre que la confiance « héritée » des descendants d’immigrés aux États-Unis explique la croissance – preuve directe d’un capital de confiance transmis. ↩︎
  19. Alesina, Glaeser & SacerdoteWhy Doesn’t the US Have a European-Style Welfare State? (NBER WP 8524, 2001; version BPEA). Rôle des préférences collectives et de l’hétérogénéité pour expliquer une redistribution plus faible aux USA. ↩︎
  20. Ruud Koopmans, Ethnic diversity, trust, and the mediating role of positive and negative interethnic contact (Social Science Research, 2014) ↩︎
  21. Ministère de l’Intérieur – Direction générale des étrangers en France (DGEF). Les chiffres de l’immigration en France – Études et statistiques, Édition 2025 (publié le 25 juin 2025). Disponible en ligne : (Lien) ↩︎
  22. Transparency International. Corruption Perceptions Index (CPI), 2024. Disponible en ligne : (Lien) ↩︎
  23. Georgetown Institute for Women, Peace and Security. Women, Peace, and Security Index 2023. Disponible en ligne : (Lien) ↩︎
  24. Equaldex. Equality Index (LGBT+ Rights), 2025. Disponible en ligne : (Lien) ↩︎
  25. Our World in Data. Share of people agreeing with the statement “Most people can be trusted”. Disponible en ligne : (Lien) ↩︎
  26. Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). « Human Development Index (HDI) – valeurs 2023 », Rapport sur le développement humain 2025. Disponible en ligne : (Lien) ↩︎
  27. Eugen Dimant, Tim Krieger et Margarete Redlin, A Crook Is a Crook… But Is He Still a Crook Abroad? On the Effect of Immigration on Destination-Country Corruption, German Economic Review 16, no. 4 (2015): 464–489, DOI 10.1111/geer.12064. Les auteurs montrent, à partir d’un large panel de pays de l’OCDE et de données couvrant 1984–2008, que l’immigration en provenance de pays fortement corrompus tend à accroître les niveaux de corruption dans les pays de destination.  ↩︎
  28. Ibid. ↩︎
  29. Ministère de l’Intérieur et des Outre-mer — Interstats (SSMSI), « Insécurité et délinquance en 2024 : bilan statistique et atlas départemental », en ligne : (Lien) ↩︎
  30. « Etrangers, immigrés en 2022, France entière, NAT1 – Population par sexe, âge et nationalité » en 2022, Chiffres détaillés, Insee, Juin 2025. (Lien) 930 886 parmi 67 760 573 ↩︎
  31. Lagrange, H. Le déni des cultures, Paris, Ed. du Seuil, 2010. ↩︎
  32. Francesco Giavazzi, Ivan Petkov, Fabio Schiantarelli, “Culture: persistence and evolution”, Nber working paper series, p.6. ↩︎
  33. Roth, F. (2022). Social Capital, Trust, and Economic Growth. In: Intangible Capital and Growth. Contributions to Economics, p.173. (Lien), traduit ↩︎
  34. Note : pour les chiffres PISA 2022 cités (écarts en maths/lecture avant et après contrôle socio-éco), voir l’OCDE – Education GPS (France, PISA 2022) et PISA 2022 Results (fiche pays France + Volume I “Immigrant background and student performance”). Liens : (Lien 1), (Lien 2↩︎
  35. Voir Eurostat (statistiques annuelles de l’immigration par pays d’origine) appariées aux catégories de l’Indice de développement humain duPNUD (valeurs 2023, Rapport sur le développement humain 2025). ↩︎
  36. « Immigrés et descendants d’immigrés », INSEE références, Edition 2023, (Lien) ↩︎
  37. Annual Review of Political Science, Ethnic Diversity and Social Trust: A Narrative and Meta-Analytical Review, Peter Thisted Dinesen, Merlin Schaeffer, Kim Mannemar Sønderskov (Lien) ↩︎
  38. European journal of political economy, Trust, welfare states and income equality: Sorting out the causality, Andreas Bergh, Christian Bjørnskov (Lien) ↩︎

L’immigration étudiante : entre réussites personnelles et échec collectif

Chaque année universitaire, le nombre d’étudiants étrangers au sein du système d’études supérieures français va croissant. Il a ainsi connu une progression de 17% entre l’année scolaire 2018/2019 et 2023/20241 – une hausse supérieure à celle du nombre d’étudiants français.

Avec 419 694 étudiants2 étrangers sur son territoire en 2024, la France – et son système d’éducation supérieure – fait figure de pôle d’attraction majeur. Notre pays est le septième au monde en nombre d’étudiants étrangers accueillis.3

Cette immigration étudiante recouvre des réalités contrastées en matière de durée de séjour, de diplômes préparés, de situation des personnes et même de taux de réussite.

Deux grands cas de figure sont à distinguer parmi les étudiants étrangers :

  • 99 821 d’entre eux résidaient déjà en France avant leurs études ;
  • 319 8734 autres sont « en mobilité », c’est-à-dire venus spécialement suivre des études en France. Parmi ceux-ci :
    • 92% sont en « mobilité diplômante » : il s’agit d’étrangers venant en France suivre intégralement un cursus sanctionné par l’obtention d’un diplôme Français ;
    • 8% sont en « mobilité d’échange » : ils ont une université dans un autre pays, qui leur permet de passer un certain temps en France (souvent un semestre ou une année).

Depuis 2019, les étudiants étrangers extra-communautaires doivent – dans certains cas et en théorie – s’acquitter de droits d’inscription différenciés, à hauteur de 2 895 € pour une année de licence et de 3 941 € pour une année de master en 2025/20265. Cette somme ne couvre en réalité pas l’intégralité du coût de leur scolarité, estimée en moyenne à 11 530€ annuels (chiffres 2019)6, et les exemptions à ce système sont extrêmement nombreuses7.

Dans un système universitaire exsangue, du propre aveu de France Université8, l’allocation de telles ressources à des étudiants étrangers et le « coût net de 1 milliard d’euros »9 constaté par la Cour des comptes dans son rapport de mars 2025 devraient a minima être justifiés par des retours probants.

Outre ses coûts financiers, l’immigration étudiante est devenue, par la création de l’article L422 – 110 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, une sorte de « droit opposable » pour toute personne admise dans un établissement français d’enseignement et disposant de ressources théoriquement suffisantes pour subvenir à ses besoins11.

Ainsi, la question proprement migratoire induite par cette présence mérite d’être regardée avec la plus grande attention. En effet : en ne dépendant pas du ministère de l’Intérieur qui n’a pour rôle que l’enregistrement des arrivées et la dispense des visas et de titres de séjour, elle ne s’inscrit pas pleinement dans une politique migratoire qui se voudrait volontaire et maîtrisée.

L’argument – souvent invoqué dans le débat public – selon lequel l’immigration étudiante serait largement bénéfique au pays mérite donc d’être analysé à l’aune des faits.

1.1 Une hausse continue du nombre d’étudiants d’étrangers

Du fait d’objectifs essentiellement quantitatifs en ce qui concerne leur accueil, le nombre d’étrangers accueillis pour motif étudiant ne cesse de croître, tant en volume absolu qu’en part relative parmi les étudiants du supérieur en France. 

Source : « Parcours et réussite des étudiants étrangers en mobilité internationale »,
note d’information 20.10 du SIES – Ministère de l’Enseignement supérieur (2019)

En 2024, leur part représente 14% des étudiants au sein du système d’enseignement supérieur français12. Ils sont ainsi 419 69413, soit 4,5% de plus que l’année universitaire précédente et 17% de plus que cinq ans auparavant. Cette hausse constante répond aux objectifs quantitatifs fixés par le plan « Bienvenue en France »14.

Sur le territoire français, les étudiants étrangers – tout comme les établissements d’enseignement supérieur – ne sont pas répartis uniformément.

L’essentiel de l’immigration étudiante se concentre en Île-de-France (150 039 étudiants étrangers en 2024), région la plus pourvue en établissements, suivie par Auvergne-Rhône-Alpes, pour les mêmes raisons. À l’inverse, le Centre-Val de Loire et la Corse sont les moins concernées par le phénomène, avec respectivement 7259 et 407 étudiants étrangers.

Source : « Chiffres clés de la mobilité étudiante dans le monde », Campus France (2025)15

1.2 Des origines diverses mais une prédominance africaine

Les étudiants internationaux présents en France viennent essentiellement d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (28%), ainsi que d’Afrique subsaharienne (25%) – cette dernière origine étant en croissance de 34% sur cinq ans. Au total, 53% des étudiants étrangers sont originaires du continent africain ou du Moyen-Orient16.

Si les primo-arrivants enregistrés en 2023 sont de 149 nationalités différentes, la croissance des flux est essentiellement portée par le continent africain17 : 6 étrangers sur 10 ayant obtenu un premier titre de séjour pour motif étudiant sont originaires d’Afrique ou du Moyen Orient18.

Source : « Le profil et les parcours administratifs des étudiants primo-arrivants : des situations contrastées selon les pays d’origines », Direction générale des étrangers en France (2025)

Le nombre annuel de primo-titres de séjour pour motif étudiant accordés à des ressortissants d’Afrique subsaharienne a quasiment triplé en dix ans, atteignant 31 600 titres en 2023 (contre 11 200 en 2013)19. Le nombre des primo-titres accordés à des étudiants originaires d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient a lui aussi doublé sur cette période, tandis que toutes les autres origines ont connu des variations beaucoup plus légères et concernent des nombres d’étudiants plus faibles.

Ainsi, non seulement le continent africain est-il le plus important pourvoyeur d’étudiants étrangers en France, mais il est aussi celui dont le nombre croît le plus rapidement20.

Source : « Le profil et les parcours administratifs des étudiants primo-arrivants : des situations contrastées selon les pays d’origines », Direction générale des étrangers en France (2025)

Concernant le nombre d’étudiants étrangers présents sur le territoire : il est à noter qu’entre 2018 et 2023, le « stock » total des étudiants étrangers a cru de 17%, tandis que celui des étudiants originaires d’Afrique subsaharienne a augmenté de 34%21. Le nombre de ces derniers a donc augmenté deux fois plus vite que la moyenne.

À elle seule, la France accueille 45% des étudiants subsahariens venant étudier en Europe22. Elle est même la première destination dans le monde pour les étudiants de cette origine23. Les principaux pays de provenance des étudiants étrangers en France peuvent être mis en corrélation avec les pays de provenance de l’immigration en général. Le Maroc et l’Algérie, représentent à eux seuls 18% de l’immigration étudiante24, soit plus de 77 500 personnes. Parmi les immigrés vivant en France en 2023, 12,2% étaient originaires d’Algérie et 11,7% du Maroc25 : ces deux pays d’origine étaient les plus représentées, tout comme parmi les étudiants.

Source : « Chiffres clés de la mobilité étudiante dans le monde », Campus France (2025)

Dès 2013, un rapport de France Stratégie a documenté le lien entre la présence de diasporas particulières dans un pays et la venue d’une immigration étudiante issue de la même origine26. L’existence de cette diaspora permet de faciliter l’installation, de créer des liens et de regrouper les nouveaux arrivants.  Nous verrons27 que cela est préjudiciable aux bons résultats de cette politique en France car, statistiquement, les étudiants d’origine subsaharienne et maghrébine connaissent de plus forts taux d’échecs académiques.

1.3 Des inscriptions concentrées sur les bas niveaux de diplômes, avec de fortes disparités suivant la nationalité

Les étudiants étrangers connaissent une répartition inégale entre les différents niveaux de diplôme, qui s’est accentuée ces dernières années. Entre les année universitaires 2018/2019 et 2023/2024, le nombre de doctorants étrangers a chuté de 14%, tandis que celui des étudiants étrangers en licence a augmenté de 14%28. La hausse quantitative rapide de l’immigration étudiante apparaît donc s’accompagner d’un déclin « qualitatif ».

Source : « Chiffres clés de la mobilité étudiante dans le monde », Campus France (2025)

Si les étrangers sont beaucoup plus nombreux dans l’absolu parmi les personnes préparant les plus bas niveaux de diplômes de l’enseignement supérieur, ils restent cependant plus présents en proportion parmi les doctorants. La tendance à former davantage d’étudiants de faible niveau académique tend néanmoins à se renforcer avec le temps. Cette dynamique de fond fait de la France un pays dispensant des formations de base à de nombreux étrangers, mais formant de moins en moins de profils susceptibles d’apporter une forte valeur ajoutée à son économie.

Les établissements dans lesquels étudient les étrangers en mobilité internationale ne sont pas non plus répartis équitablement : pour l’année 2023-2024, 65% des étudiants étrangers en France étaient inscrits en université, 5% en formation d’ingénieurs hors université, 16% en école de commerce et le reste répartis entre les classes préparatoires aux grandes écoles (1%) et d’autres cursus.29

La prévalence des inscriptions dans les filières n’appliquant que peu de filtres à l’entrée (université) peut être constatée, alors que des filières sélectives – telles que les CPGE ou les écoles d’ingénieurs – ne regroupent qu’une faible proportion des étrangers étudiant en France.

Source : « Repères et références statistiques 2024 », SIES et DEPP (2024)

L’on s’aperçoit que les filières de prédilections parmi ceux qui vont à l’université sont les sciences et sport (86 850) puis les lettres et sciences sociales (78 678)30. Soit respectivement 33 et 30% des étudiants étrangers à l’université31. 15%32 des effectifs des Français en université sont inscrits en médecine et santé, ce n’est le cas que de 10% des étrangers33.

Cependant, évoquer « les étudiants étrangers » comme une catégorie uniforme relèverait d’une analyse superficielle.  En particulier, leurs différentes origines géographiques sont corrélées à des paramètres aussi divers que le niveau de diplôme préparé, la filière choisie ou encore le taux de réussite aux examens.

Tout d’abord, concernant les proportions, rappelons que pour l’année scolaire 2023-2024, la répartition par origine géographique et niveau des étudiants étrangers inscrits à l’université était la suivante34 :

Source : « Les étudiants étrangers en mobilité internationale dans l’enseignement supérieur français – 2023-2024 », Direction générale des étrangers en France

Les diplômes préparés ne sont pas équivalents suivant le pays d’origine des étudiants. Parmi les étudiants asiatiques présents en France, 18 898 préparent une licence et 6005 un doctorat, tandis que parmi les étudiants africains, 51 951 préparent une licence et 6313 sont doctorants35. L’Asie et l’Afrique ont approximativement le même nombre de doctorants en France, alors même que l’Afrique compte près de trois fois plus d’étudiants dans le pays.

Aire géographiqueLicenceMasterDoctoratTotal
Afrique46,5%47,8%5,7%100%
Asie47,6%37,3%15,1%100%
Europe47%41,1%11,9%100%
Autres pays46,2%44,4%8,4%100%
Pourcentage d’étudiants étrangers par niveau d’inscription à l’université, selon l’origine géographique (ex : 15,1% des étudiants étrangers asiatiques en France sont inscrits en doctorat)

De fait, il est intéressant de noter que la France forme une masse importante d’étudiants africains à des grades universitaires de premier et second cycle là où, proportionnellement, les asiatiques préparent beaucoup de troisièmes cycles.  Il semble que l’université française porte partiellement la charge du manque d’universités dans les pays d’origine de certains étudiants36, d’où leur plus forte propension à suivre des mobilités diplômantes à faibles niveaux d’études.

Nous pouvons nous apercevoir que certaines nationalités ne viennent à l’université française quasiment qu’en mobilité « diplômante » (suivent un cursus uniquement en France). Les ressortissants de pays africains sont ainsi 98,1% à le faire – 99,6% pour les Algériens, par exemple37. A l’inverse, les Britanniques ne sont que 50% à suivre une mobilité diplômante.

Naturellement, se pose la question des filières choisies par chaque origine migratoire au sein du système français.

La prévalence de l’inscription en université est plus forte pour certaines origines. Elle se porte à 86% pour les Algériens (première nationalité en nombre), contre seulement 46% pour les Américains du Nord (USA et Canada), qui se tournent davantage vers des écoles spécialisées et des écoles de commerce38.

Concernant les matières choisies au sein de l’université, le constat général recouvre aussi des réalités contrastées suivant les origines géographiques. Ainsi, 25,3% des Algériens étudient les lettres et sciences sociales contre 11% des Marocains39.

Il est utile de noter que les pays accueillis ne permettent pas, du fait de leurs systèmes d’études supérieures souvent moins dotés que le système français, une réciprocité intéressante.  Si les arrivants en France proviennent d’abord d’Algérie et du Maroc, les étudiants français suivant des années à l’étranger se concentrent sur la Belgique, la Canada et la Suisse40. Ainsi, notre « balance » des coûts concernant les études à l’étranger est très déficitaire vis-à-vis du continent africain, largement formé en France mais ne formant que très peu de Français.

1.4 Une surreprésentation des filières à faibles débouchés, au détriment des besoins réels

Dans la mesure où aucune politique nationale ne définit d’objectifs autres que quantitatifs à leur accueil : les étudiants étrangers s’inscrivent suivant leur choix et se voient accueillis quel que soit celui-ci, pourvu qu’ils soient acceptés par l’université, sous réserve de minces critères41.

C’est ainsi que des filières dont l’augmentation du nombre d’étudiants bénéficierait à l’économie et à la société française se trouvent délaissées – à l’instar de la médecine où les étrangers sont sous-représentés d’un tiers (en proportion de leur nombre total)42 – et que certaines, pourtant connues pour être moins riches en débouchés, sont amplement pourvues en élèves étrangers.

La médecine, secteur connu43 pour son manque de professionnels dans certains territoires – du fait, notamment, de politiques restrictives anciennes mises en place envers les étudiants intéressés – ne représente que 8,4% des étudiants étrangers en mobilité internationale à l’université, soit 5,5% du total des étudiants étrangers44. À ce compte, il semblerait opportun de privilégier la venue d’étudiants étrangers pouvant combler des manques identifiés (bien qu’en l’espèce, il soit probablement possible de compenser le manque avec des étudiants français).

De la même manière, la France ne forme aujourd’hui pas suffisamment d’ingénieurs pour subvenir aux besoins de ses entreprises ; il est estimé que « l’économie française devra recruter près de 100 000 ingénieurs et techniciens nets par an d’ici 2035. » et qu’atteindre cet objectif impliquera « la formation de quelque 60 000 diplômés supplémentaires chaque année. »45.

Malgré cet état de fait alarmant pour une économie moderne, seuls 5% des étudiants étrangers accueillis, et donc – en partie – financés par le système français, le sont en école d’ingénieurs46. Dans une économie où 70% des recruteurs peinent à trouver des profils d’ingénieurs47, il serait pertinent de cibler ces profils parmi les étudiants étrangers venant dans notre pays afin d’optimiser la dépense induite par la présence d’étudiants étrangers.

Il est ici patent que la venue d’étudiants étrangers ne vise pas à combler des manques de professionnels mais à leur permettre de bénéficier des cursus qu’ils souhaitent. Cette inadéquation entre profils accueillis et nécessités du pays est le fruit de la politique visant à faire de l’immigration étudiante une immigration nombreuse et largement subie, plutôt qu’une immigration choisie et bénéfique pour le pays.

Les étudiants étrangers sont surreprésentés dans les filières ayant le moins de débouchés professionnels : la Cour des comptes note que « les cursus qui présentent une insertion de 99 % ou plus pour leurs diplômés français ont une part médiane d’étudiants internationaux de 9 %, tandis que les formations qui ont taux d’insertion de moins de 80 % ont une part médiane d’étudiants internationaux de 14 % ».48

1.5 De très faibles taux de réussite

Parmi les statistiques liées aux étudiants en études en France, celles relatives aux taux d’échec comptent parmi les plus frappantes.

Alors que les étudiants en mobilité internationale viennent en France – a priori – exclusivement pour suivre des études, ils connaissent un taux d’échec en licence à l’université (ici, ne pas réussir sa licence en trois ans) de 66,2%49. Ce taux demeure de 54,5% pour une licence en 3 ou 4 années. Cela signifie que plus de la moitié des étudiants étrangers en mobilité venus suivre une licence en France n’en sont toujours pas diplômés après quatre années universitaires (Ce qui induit a minima deux échecs).

Certaines nationalités connaissent même des taux d’échec supérieurs : ainsi les étudiants ressortissants de pays du Maghreb connaissent-ils le plus fort taux d’échec, avec 75,4% d’entre eux qui ne parviennent pas à valider de licence en 3 ans et 62,5% en 3 ou 4 années.

En master, les taux de réussite descendent en-dessous de la moyenne générale : 56,5% des étudiants étrangers en mobilité internationale ne parviennent pas à valider un master en 2 ans, contre 45% des Français ou résidents étrangers habituels – soit 11 points de plus.

Là encore, les origines ne sont pas réparties équitablement, avec une réussite particulière des Asiatiques et des Océaniens dont le taux d’échec au master en 2 ans est de 50,2% alors que celui des étudiants subsahariens est de 62,5%.

Source : « Parcours et réussite des étudiants étrangers en mobilité internationale »,
note d’information 20.10 du SIES – Ministère de l’Enseignement supérieur (2019)

Ces chiffres, trop élevés pour les Français également, témoignent d’un système promouvant l’orientation en université de nombreux profils dont le niveau est trop faible ou dont les choix de filières furent malheureux. Dans ce contexte, accueillir des étudiants étrangers sans sélection sérieuse et financer leurs échecs successifs est non seulement couteux mais contreproductif pour notre système éducatif.  Les coûts et l’engorgement des universités découlant de ces redoublements d’étudiants étrangers ne sont pas négligeables et doivent être pris en compte dans l’élaboration des politiques publiques.

En revanche, les étudiants recrutés sur des critères d’excellence reconnus par certaines bourses du ministère des Affaires étrangères connaissent des réussites importantes, de l’ordre de 95%50 en licence et 88% en master. La sélection par l’excellence permet donc de s’assurer de ne pas financer les échecs successifs d’étudiants dont la famille n’a pas contribué au financement de l’université mais de privilégier un véritable rayonnement académique afin que l’immigration étudiante soit réellement une opportunité pour la France.

Les étudiants sélectionnés selon ces derniers critères représentent environ 5 600 personnes – soit seulement 1,8% du total des 320 000 étudiants étrangers en mobilité internationale.

L’échec massif des étrangers dans l’enseignement supérieur français pose une double question ; les montants qui leurs sont alloués ne pourraient-ils pas l’être pour améliorer les conditions d’enseignement offertes à ceux dont la famille finance le système universitaire ? Les étrangers venus spécialement pour motif d’études ne devraient-ils pas être sélectionnés pour que le financement de leur échec ne vienne pas peser sur le système universitaire français ?

Le consentement à l’impôt pourrait se trouver largement entaché par ce type de procédés dépourvus de résultats probants autant que coûteux au profit de personnes qui ne contribuent pas – ni leurs familles – au financement du système. Si chacun accepte de financer indirectement l’université et plus largement le système d’études supérieures au profit – tout aussi indirect – de sa propre famille, il semble moins assuré que cette acceptation vaille pour des étrangers non-contributeurs et essentiellement en situation d’échec.

2.1 Une stratégie floue mais des coûts bien réels

Depuis 2022, l’immigration étudiante est devenue le premier motif de délivrance des nouveaux titres de séjour dans notre pays. À elle seule, elle a représenté près d’un tiers (32%) de l’ensemble des primo-titres de séjour accordés par la France en 202451. Malgré l’ampleur de ces arrivées, les orientations politiques qui président à cette voie migratoire n’évoquent clairement ni les bénéfices qui en sont attendus, ni de véritable stratégie d’accueil autre que quantitative.

La stratégie « Bienvenue en France »52, qui pilote ces dispositifs, présente en effet des objectifs quasi-exclusivement qualitatifs, résumés dans cet horizon explicite :

« Objectif : 500 000 étudiants étrangers en 2027 ».

Du reste, elle évoque la simplification des procédures relatives à l’obtention de visas, le fait de les rendre prioritaires ou encore de créer un label qualité d’accueil. Pour autant, aucun objectif lié à l’adéquation desdits étudiants étrangers avec les besoins du pays n’est véritablement posé, aucune stratégie promouvant l’excellence ou les partenariats académiques n’est clairement dessinée.

La stratégie se résume donc à accueillir beaucoup, afin de demeurer parmi les premiers pays d’accueil d’étudiants étrangers et non pas à rentabiliser les venues en termes de qualité académique, de prestige ou de rentabilité financière.

Ce parti pris d’une immigration étudiante massive et faiblement sélectionnée et d’une politique d’attractivité fondée sur d’importantes aides engendre inévitablement des dépenses pour le contribuable : les coûts des formations mais aussi les APL, les bourses sur critères sociaux… Celles-ci sont estimées à 2,130 milliards d’euros bruts par an par la Cour des comptes.

Au regard des recettes pour les finances publiques estimées à 1,13 milliard d’euros, en comptant jusqu’à la TVA issue de la consommation des étudiants sur place (qui peut résulter d’aides préalables), laquelle représente à elle seule la moitié des gains enregistrés : le coût net pour les finances publiques est d’environ 1 milliard d’euros par an selon la Cour des comptes53. Sachant que ces chiffres n’englobent pas les dépenses d’assurance-maladie ni d’autres postes onéreux, le coût annuel réel dépasse très certainement cette estimation prudente54.

Le rapport de la Cour note cependant que des externalités positives peuvent en être attendues à long terme, tout en précisant qu’elles ne sont pas véritablement quantifiables. Certains pays concurrents estiment pouvoir être bénéficiaires in fine de leur accueil des étudiants internationaux. Cependant, ils ne reçoivent généralement pas une immigration étudiante aux caractéristiques semblables à celle reçue en France.

2.2 Sur le plan juridique : une logique de « droit opposable »

Les visas de long séjour valant titre de séjour (VLS-TS) mention étudiant (valables entre 4 mois et 1 an) et les cartes de séjour temporaire étudiant (valable 1 an) ou pluriannuelle étudiant répondent à l’article L422 – 155 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Ce dernier dispose que :

« L’étranger qui établit qu’il suit un enseignement en France ou qu’il y fait des études et qui justifie disposer de moyens d’existence suffisants se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention  » étudiant  » d’une durée inférieure ou égale à un an. »

Du fait de la structure même de l’article, qui indique que l’effet juridique se produit automatiquement une fois les conditions remplies, l’immigration étudiante devient par conséquent un droit opposable.

Ce simple choix rédactionnel est cause d’une faille majeure et d’une absence de contrôle de l’État sur cette voie migratoire en l’état actuel des textes. 

« La majorité des étudiants internationaux s’inscrivent et sont acceptés directement par les […] établissements d’enseignement, sous le contrôle de Campus France. À ce stade, les consulats refusent environ 25 % des demandes de visas, les refus exprimés par les préfectures au stade du titre de séjour étant en revanche peu nombreux avec seulement 3 228 demandes écartées en 2018. »56.

Ainsi l’État n’a que peu de prise sur le flux étudiants, essentiellement déterminé par les deux critères « faibles » que sont :

  • Le fait de disposer des moyens de subsistance nécessaires ;
  • Le fait d’être inscrit dans un établissement d’enseignement en France.

2.3 Les conséquences et détournements de ce droit

De ce « droit opposable » naissent de nombreuses difficultés concernant le coût des étudiants étrangers, leur niveau et leur apport potentiel pour le pays, mais aussi en matière de contrôle de l’immigration. La loi relative à l’immigration étudiante ouvre la porte, par la largeur de ses critères, à la création d’écoles ou de documents frauduleux permettant à des personnes de parvenir sur le territoire en situation régulière.

En témoignent les procès intentés à des écoles parfois « fictives » qui se proposent de délivrer des certificats de scolarité de complaisance, ainsi que les venues de personnes inscrites dans de réels cursus mais ne souhaitant pas les suivre, afin d’entrer légalement sur le territoire et pouvoir s’y maintenir ensuite.

Prenons l’exemple de l’European School of Business and International Affairs : en se prévalant de la loi sur l’immigration étudiante, cette école située au Mans a pu faire entrer nombre de ressortissants étrangers sur le territoire dans des conditions légales57 sans leur dispenser de formation. Le Figaro rend compte du communiqué du procureur de la République affirmant que l’école cachait un « réseau d’escroquerie aggravée, où des gérants et responsables […] sont suspectés d’avoir vendu de faux documents à l’en-tête de leur établissement permettant à des étudiants étrangers d’entrer ou de se maintenir sur le territoire national »58.

Un rapport parlementaire de 2024, signé par les députées Béatrice Descamps et Estelle Folest, corrobore cette idée en évoquant des « établissements « fantômes » dont l’objet semble être de vendre à de jeunes étrangers extra-communautaires une inscription dans un établissement d’enseignement supérieur, pièce indispensable pour la délivrance d’un visa étudiant »59.

La surveillance des établissements supérieurs privés étant « faible »60 et les services consulaires n’ayant aucun moyen de contrôle à propos des inscriptions que leurs présentent les demandeurs, la fraude demeure extrêmement simple. Il est intéressant de noter que, « entre 2010 et 2022, les effectifs étudiants totaux accueillis dans ces établissements ont cru de 72 % contre 14 % pour l’enseignement supérieur public, représentant […] 84 000 étudiants internationaux »61. Autant d’inscriptions dont la véracité demeure invérifiée, autant d’entrées sur le territoire potentiellement frauduleuses.

L’inscription dans des établissement trop peu reconnus entraîne parfois un refus de délivrance de titre de séjour de la part des services dédiés62. Cependant, derrière ce phénomène de fraudes caractérisées, se cachent les abus relatifs à la présence d’étudiants venant dans de véritables cursus sans intention – ou sans capacité – de les mener à terme afin de profiter de la possibilité, largement incontrôlée, de travailler en parallèle des études.

Si l’obtention d’un titre est un droit pour une primo-inscription, à condition de pouvoir subvenir à ses besoins et d’être régulièrement inscrit, les renouvellements ne sont pas automatiques. Ainsi, les cas de refus de renouvellement par les préfets existent et se soldent parfois par des recours devant les tribunaux administratifs afin d’apprécier de la nature « réelle et sérieuse »63 des études suivies.

Cette appréciation repose sur quelques critères exposés par la circulaire du 7 octobre 2008 relative aux étudiants étrangers64. Force est de constater qu’elle ne va pas dans le sens d’une restriction élitiste et d’un choix des meilleurs profils :

« Au terme de sa troisième année d’études, vous apprécierez si la progression de l’étudiant étranger est de nature à lui permettre d’obtenir sa licence au terme de cinq ans de présence en France »65

La circulaire précise ensuite qu’il faut « conserver une certaine souplesse dans l’appréciation de l’absence momentanée de progression dans les études »66.

Elle poursuit en demandant de considérer comme des motifs de refus « trois échecs successifs » ou le fait de ne« pas [avoir] été en mesure de valider une seule année au terme de trois années d’études ».

De la même manière, la circulaire invite les Préfets à vérifier les « certificats d’assiduité aux travaux dirigés » et à prendre comme un motif de refus « l’absence d’inscription ou de présentation aux examens »67.

Les changements de cursus sont quant à eux tolérés mais doivent répondre à une forme de cohérence. Quant aux changements de cursus post-diplôme, elles doivent, sauf cas particulier, ne pas se faire « dans un cursus de niveau inférieur ou équivalent ».68

Sur l’ensemble des demandes de renouvellement des années 2016 à 2018, « l’administration ne souhaitant pas se substituer aux établissements pour apprécier les résultats obtenus, même en cas de redoublement, de réorientation ou d’échec à la diplomation : sur les 355 698 demandes de renouvellement ‘’Étudiant’’ déposées […] les refus ne représentent que 6 070 dossiers, soit 1,7 %. »69.

Ainsi, les attentes sont assez minimales :

  1. Ne pas redoubler plus de trois fois la même année,
  2. Se présenter aux examens et aux TD obligatoires s’ils existent,
  3. Ne pas se réorienter dans des filières dépourvues de lien avec son cursus.

En considérant le faible taux de réussite académique des étudiants étrangers70, nous pouvons nous apercevoir que le renouvellement est quasiment accordé de manière systématique du fait de règles extrêmement « souples » (terme que la circulaire elle-même utilise).

Il est à noter qu’une fois le titre de séjour acquis, l’étudiant est en droit d’occuper un emploi à hauteur de 60% du temps de travail légal (964 heures par an) ; cependant, la Cour des comptes notait en 2020 que les services visités par ses magistrats avaient tous indiqué que « le respect de ces conditions ne faisait l’objet d’aucun contrôle »71. Ainsi, il est possible de faire de l’entrée sur le territoire à fins d’études une voie détournée d’immigration de travail non-officielle.

Enfin, il convient de relever que « selon le ministère de l’Intérieur, on observe surtout ce type d’abus pour les ressortissants de pays à forte pression migratoire. »72. Ce qui pourrait partiellement expliquer la juxtaposition des origines migratoires (tous motifs confondus) et celles des étudiants73.

Dans ce cas de figure, « le détournement de l’objet du visa serait essentiellement appréhendé lors des renouvellements des titres de séjour, ce qui conduirait à refuser le renouvellement ».

Comme nous l’avons précédemment mentionné, le faible niveau de refus des renouvellements et les consignes mettant l’accent sur la souplesse laissent entendre qu’un nombre conséquent de fraudes peuvent être envisagées.

De plus, le contrôle du départ effectif des personnes en fin de droit au séjour n’est pas nécessairement effectué et donne très probablement lieu à un phénomène d’overstaying, dont l’ampleur exacte apparaît difficile à quantifier sur la base des données publiques existantes.

2.4 La nécessité de subvenir à ses besoins : une contrainte faible et contournée

De plus, l’une des deux seules conditions prévues par la loi – avec l’inscription dans un établissement d’enseignement supérieur – pour obtenir un titre de séjour portant la mention « étudiant » est le fait de pouvoir justifier « disposer de moyens d’existence suffisants ».

L’article suivant, L422-2 du CESEDA, dispose quant à lui que « la carte de séjour prévue à l’article L. 422-1 est également délivrée lors de sa première admission au séjour, sans avoir à justifier de ses conditions d’existence et sans que soit exigée la condition prévue à l’article L. 412-1, à l’étranger ayant satisfait aux épreuves du concours d’entrée dans un établissement d’enseignement supérieur ayant signé une convention avec l’Etat ». Ainsi, une première voie d’exception à l’obligation est ouverte au sein même de la loi.

Le seuil retenu par les autorités concernant la condition de ressources s’élève à 615 euros par mois et peut être liée à une bourse issue du pays d’origine (les bourses internationales du gouvernement français exemptent de paiement) ou à des transferts familiaux. Ces derniers, font, du propre aveu de la Cour des compte, l’objet d’un « contrôle succinct en préfecture »74.

La Cour des comptes va plus loin en admettant que « les contrôles des services consulaires et préfectoraux sont en partie inopérants. Lorsque les ressources ne sont pas garanties par des bourses ou des rémunérations, il s’agit dans près de 45 % des cas d’attestations sur l’honneur de membres de l’entourage des étudiants, face auxquelles les services consulaires et préfectoraux ne disposent pas ou de peu de moyens de vérification de l’authenticité des documents, et sont contraints de procéder par faisceau d’indices »75.

2.5 Les droits d’inscription différenciés : une mesure nécessaire mais largement inappliquée

Si les règles régissant l’admission des étrangers et ses modalités semblent claires, elles souffrent de nombreuses exemptions.

Ainsi, des droits d’admission différenciés à l’université pour les étrangers extra-communautaires ont été introduits en 2019 dans le cadre de la stratégie « Bienvenue en France ». Pour l’année 2025-2026, ils sont de 2 895 € contre 178 € en licence, et de 3 941 € contre 254 € en master76. Cependant, de nombreux établissements ne se plient pas à la règle ou ne la respectent que partiellement.

Le droit commun concernant ces frais différenciés admet des exemptions dans les cas suivants :

  • Etudiants ressortissants de l’Union Européenne, de l’Espace économique européen, Suisse, Monaco, Andorre, Province de Québec (au Canada) ;
  • Etudiants membres de la famille (fils ou filles) d’un résident de l’un de ces Etats ;
  • Les inscrits en Classe préparatoire aux Grandes écoles ;
  • Les étudiants en doctorat ;
  • Les étudiants préparant une habilitation à diriger des recherches ;
  • Les détenteurs d’une carte de séjour de longue durée en France (10 ans minimum) ;
  • Etudiants domiciliés fiscalement en France depuis plus de deux ans ;
  • Étudiant inscrit sans interruption dans l’Enseignement supérieur français depuis 2018 ;
  • Etudiants bénéficiaires d’une bourse du Gouvernement Français (BGF) ou d’une bourse d’Ambassade.

Certaines conditions donnent même droit à une exemption totale de frais :

  • Etudiants en programme d’échange ;
  • Bénéficiaires de l’asile, de la protection subsidiaire ou apatrides.

Ainsi, parmi les 319 900 étudiants étrangers en France pour l’année scolaire 2024/2025, seuls 137 800 se trouvent éligibles au paiement plein des frais différenciés.

Des exemptions supplémentaires à ce paiement sont prévues par les écoles et contribuent encore à faire baisser considérablement ce nombre. En effet, pour l’année scolaire 2024/2025, de nombreuses universités exemptent totalement leurs étudiants étrangers de frais différenciés (ramenant donc leur paiement au niveau standard de 170€ en licence et 243€ en master) – citons notamment77 :

  • Sorbonne Paris Nord ;
  • Université de Poitiers ;
  • Université de Montpellier ;
  • Université d’Angers ;
  • Université de Bourgogne ;
  • Université de Corse ;
  • Université de Franche Comté.

Selon les informations consolidées par l’agence de presse éducative AEF Info en 202378, 42 universités françaises exemptent l’intégralité de leurs élèves étrangers de paiement de droits différenciés, soit 57% d’entre elles tandis que 16 autres proposent des exemptions sur critères. En tout, ce sont donc 79% des universités françaises qui permettent de contourner le dispositif.

Par exemple : l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne « appliquera pour l’année universitaire 2025-2026 les mêmes droits d’inscription aux étudiantes et étudiants français et étrangers, qu’ils soient d’origine intra ou extra-européenne »79.

Certaines universités délivrent des exemptions partielles concernant des cursus spécifiques ou des conditions diverses. Il en est ainsi de l’Université Paris Sorbonne, qui exempte des frais différenciés les élèves inscrits en licence l’année précédente et passant dans l’année supérieure, tous ceux s’inscrivant en master et même, sous conditions, les étudiants redoublants80.

L’université de Strasbourg, quant à elle exempte de paiement des frais différenciés l’ensemble des étudiants étrangers inscrits en premier cycle (licence), et ceux inscrits en second cycle (master) qui ont déjà été précédemment inscrits à l’Université de Strasbourg. Dans la mesure ou le droit commun exempte de paiement différencié les étudiants en doctorat, pratiquement aucun étudiant étranger ne paie de frais différenciés à l’université de Strasbourg.

Ces quelques situations sont exemplaires d’une réalité plus large qui aboutit à ce que, pour l’année 2024/2025, seuls 9600 étudiants sur les 108 100 potentiellement concernés – inscrits au sein d’établissements relevant du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, n’étant pas ressortissants d’un pays de l’UE, etc81paient réellement le tarif annoncé des frais différenciés, soit moins de 10% de l’ensemble82

Le système des frais différenciés se trouve ainsi entièrement vidé de sa substance et de son rôle d’équilibrage des finances des universités, malgré sa légitimité consistant à faire payer une part du coût réel de leur scolarité aux étudiants qui ne sont pas français ou européens, et dont la famille n’a pas cotisé afin de supporter les coûts de l’enseignement supérieur. Moins de 10% des étudiants internationaux au sein du périmètre d’application – déjà restreint – des droits différenciés inscrits en licence en paient le plein tarif83.

La Cour des comptes affirme que le paiement des droits différenciés est « estimé en moyenne à 15 M€ par an, représentent moins de 0,1 % de la dépense intérieure d’enseignement supérieur de l’État […] En l’absence de possibilité d’exonération, le produit maximal de ces droits pourrait atteindre 334 M€ »84.

Cette politique qui entendait apporter un équilibre budgétaire partiel est rendue, de fait, totalement inopérante.

3.1 Une allocation des moyens défavorable aux étudiants français

La part d’étudiants étrangers au sein des établissements français constitue, nous l’avons vu, un coût majeur pour les structures d’enseignement comme pour toutes les structures de support du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche (bourses, CROUS, logement …). Les moyens alloués – qui, en l’état et au vu de leurs résultats, engendrent un faible gain académique – peuvent engendrer un « manque à gagner » au détriment des étudiants français.

Si les universités se plaignent d’un manque de moyens de l’ordre de « 240 millions d’euros » par an (ici, le président de France Université)85 pour assurer correctement leurs missions, se pose la question des 1,629 milliard d’euros86 que coûtent annuellement les formations suivies par les étudiants internationaux dans l’enseignement supérieur public – sans décompter ici les autres coûts associés, évoqués plus haut dans la présente étude.

De la même manière, la précarité étudiante – enjeu majeur pour plus du quart des étudiants87 – pourrait partiellement être résolue en usant des 227 millions d’euros annuels des APL et des 194 millions d’euros de bourses sur critères sociaux du CROUS versés annuellement à destination des étudiants internationaux en France.

Une partie de ces 420 millions d’euros annuels, destinés à des personnes dont la famille ne contribue pas au financement de l’enseignement supérieur par la fiscalité, pourrait constituer une solution à ces problèmes. Ils représenteraient, s’ils étaient utilisés intégralement à cette fin, environ 900 € de plus par an et par étudiant boursier88.

Les logements en CROUS, eux aussi, sont largement occupés par des étudiants étrangers, posant une nouvelle fois la question de l’allocation des ressources en faveur de ceux dont la famille a contribué au financement de ce système d’aides. Plus du tiers (34%) des places au sein des résidences du CROUS89 sont occupées par des étudiants étrangers, alors que ceux-ci comptent seulement pour 14% des étudiants dans l’enseignement supérieur – et que beaucoup d’étudiants français peinent à se loger90.

De la même manière, les aides d’urgence du CROUS, faute d’un plafond de ressources suffisamment relevé et d’un véritable contrôle des moyens financiers des arrivants, bénéficient essentiellement aux étudiants étrangers. Depuis l’année scolaire 2021, 60% du total de ces aides leur est ainsi alloué91, un besoin est souvent lié « à des ressources initiales insuffisantes ».

En outre, les universités leurs permettent de bénéficier d’aides ponctuelles prises sur leurs budgets propres. À titre d’exemple : Sorbonne Université a alloué 648 000€ de son budget 2022-2023 à des aides aux étudiants étrangers, souvent pour des questions de logement92.

De tels constats invitent à reconsidérer le montant minimum requis par notre droit pour attester des « moyens d’existence suffisants » des étudiants étrangers, ainsi qu’à instaurer l’obligation préalable de prouver avoir obtenu un logement avant de pénétrer sur le territoire. Avec un seuil mensuel de ressources relevé à seulement 750€ par mois (au lieu de 615 € aujourd’hui), la Cour des comptes estime que 40% des demandes de visas se trouveraient écartées, ainsi que 60% des demandes renouvellement de titres de séjour93.

Par ailleurs, la venue massive d’étudiants étrangers au sein de certaines filières peu attractives car à faibles débouchés, qui ne parviennent plus à recruter suffisamment d’étudiants français permettrait, d’après la Cour des comptes, de justifier superficiellement la perpétuation de leur existence : « le risque de maintien de formations à faible insertion professionnelle, ne parvenant plus à recruter d’étudiants que par la voie des candidatures d’étudiants internationaux, mérite un suivi périodique au sein des établissements et un examen du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur lors de l’évaluation des formations »94, indique ainsi son rapport de mars 2025 à ce sujet.

Ce maintien de formations, parfois quasi-intégralement remplies d’étudiants étrangers95 induit inévitablement des coûts importants pour l’université et des bénéfices négligeables dans la mesure où « l’insertion professionnelle élevée des diplômés et leur adéquation aux besoins des entreprises du territoire »96 ne sont pas des critères de leur maintien.

Le risque d’un effet d’éviction dans certaines écoles : l’exemple de Sciences Po

Outre la question de la répartition des crédits alloués aux établissements d’enseignement supérieur, certaines écoles, pourtant amplement financées par des fonds publics, réservent une part considérable de leurs places aux étudiants étrangers
 
Sciences Po Paris, école en grande partie financée par des fonds publics (quoique moins que les universités en proportion de son budget)97, réserve ainsi 50% de ses places à des étudiants internationaux98. La question peut être posée de la justesse de ce choix au vu de la nature des financements et de leur origine – les résidents fiscaux français.
 
S’il est évident que le prestige et la vitalité d’un système d’enseignement supérieur et de recherche peuvent tirer le plus grand profit de la venue d’étudiants étrangers dument sélectionnés, le fait que ceux-ci puissent représenter à eux seuls 50% des effectifs d’un établissement pose question. Cela induit une éviction de fait à l’endroit des contributeurs à son financement, qui souhaiteraient s’y inscrire et en remplissent les conditions.

3.2 Les risques d’ingérence étrangères : le cas chinois

La venue d’étudiants étrangers peut, dans un certain nombre de cas, leur permettre de se confronter à des données relevant du secret industriel – dans le cas de stages ou de laboratoires de recherches notamment – qui peuvent, par la suite, être exploitées par des puissances étrangères. Un rapport du Sénat souligne à ce titre que :

« Les méthodes du Parti communiste chinois à cet égard sont proches de celles qu’utilisaient des régimes communistes au temps de la guerre froide. Le développement des moyens de renseignement et des technologies de l’information lui donne toutefois une portée particulièrement importante, et qui représente un véritable risque pour l’intégrité de la recherche française et de notre souveraineté nationale. Il a été rapporté en ce sens devant la mission que les moyens mis en œuvre par la Chine dans le renseignement relatif au monde académique sont hors commune mesure par rapport aux autres pays. »99

Plusieurs exemples d’espionnage mené par des étudiants chinois sont ainsi documentés, notamment celui d’une doctorante chinoise accusée « d’avoir dérobé des informations sensibles dans un laboratoire de recherches à Metz »100. Il en va de même pour une étudiante ayant profité d’un stage chez l’équipementier Valéo pour y réaliser des copies de données confidentielles. Elle a, pour cela, été condamnée à une peine de douze mois de prison dont dix de sursis par le tribunal correctionnel de Versailles en 2008101.

La Chine a été le 3ème pays d’origine des bénéficiaires d’un premier titre de séjour pour motif « étudiant » en 2023, derrière le Maroc et l’Algérie102.

3.3 L’insertion sur le marché de l’emploi

Une fois les études terminées – pour ceux qui réussissent à obtenir un diplôme – , se pose inévitablement la question de l’accès au marché de l’emploi. Dans ce cadre, plusieurs possibilités s’offrent aux étudiants étrangers ayant suivi leurs études en France. Soit ils parviennent à trouver un emploi en France et à y entamer leur carrière (ce qui peut être bénéfique pour le pays au vu de l’investissement réalisé pour leurs études) soit ils peuvent retourner dans leur pays ou un autre, voir même rester en France sans travailler.

Afin de faire valoir leur diplôme dans le monde du travail, les étudiants étrangers titulaires d’une licence professionnelle, d’un master ou d’un doctorat obtenu en France et souhaitant demeurer en France peuvent passer un an sur le territoire national pour rechercher un emploi,103 via la demande d’une carte de séjour « recherche d’emploi / création d’entreprise ».

Les ressortissants de certains pays tels que le Bénin ou le Burkina-Faso ont le droit, en vertu d’accords bilatéraux, de demeurer deux ans sur le territoire en recherche d’emploi104.

Si ces facilités peuvent offrir les conditions d’une bonne insertion des étrangers sur le marché du travail, elles occasionnent également un droit de séjour pour des personnes inactives.

L’obtention d’un emploi, s’il est rémunéré plus de 27 02€ bruts mensuels105 (le salaire moyen d’un employé du secteur privé étant de 2 730€ nets106) et est en lien avec leurs études, permet aux diplômés étrangers d’accéder à un titre de séjour « salarié ou travailleur temporaire ».

Ce dispositif est censé permettre de ne conserver sur le territoire, avec des titres de travailleurs, que des personnes ayant trouvé un emploi à la hauteur de leurs études. Cependant, il est également accessible aux étudiants décrochant un emploi, caractérisé par des difficultés de recrutement, figurant dans la liste des métiers en tension107.

Si ces dispositifs peuvent offrir les conditions d’une bonne insertion des étrangers sur le marché du travail, elles occasionnent également un droit de séjour pour des personnes inactives sur le territoire.

Malheureusement, les informations relatives aux carrières des étudiants sont très parcellaires et ne permettent pas de savoir s’ils viennent combler des manques réels du marché de l’emploi ou s’ils occupent des métiers sans tension majeure. S’il est indéniable que des réussites individuelles existent et profitent à notre économie, il demeure difficile de les quantifier.

De la même manière, les données précises (poste, type de contrat…) concernant les étudiants rentrés dans leurs pays d’origine demeurent inconnues et, par ailleurs, leur réussite ou non sur place pose toujours la question du coût qu’ils ont représenté durant leurs études en France et du retour sur investissement induit s’ils n’y demeurent pas.

La France forme ainsi de très nombreux étudiants étrangers sans garantie de la qualité de leur cursus et sans garantie que ceux connaissant la réussite ne demeureront sur place pour que la pays puisse en bénéficier.

Concernant la recherche, les détenteurs étrangers d’un doctorat obtenu en France connaissent une insertion professionnelle quasi-équivalente à celle de leurs homologues Français108. Parmi les 53% d’entre eux qui travaillent en France trois ans après l’obtention de leur doctorat (contre 82% pour les Français), 70% ont un emploi stable (contre 77% pour les Français). 97% des emplois de ces docteurs de nationalité étrangère relèvent d’un statut de cadre.

Il est patent que leur insertion, quoique légèrement moindre que celle des Français, demeure bonne. Elle pose en revanche la question de l’octroi d’une coûteuse formation doctorale aux 47% ayant quitté le pays dans les trois ans après leur thèse. Si leur contribution académique a son importance, il serait utile de bénéficier également de leur implication professionnelle.

De manière générale, les immigrés arrivés en France aux fins d’études et demeurant au moins cinq ans dans le pays connaissent des taux d’emploi et de déclassement – le fait d’occuper un emploi « inférieur » à son niveau de diplôme – meilleurs que les autres immigrés, et même légèrement meilleur que les natifs109. Cependant, ces calculs ne se fondent que sur les immigrés venus étudier en France et y demeurant ensuite au moins cinq ans ; ainsi, les chiffres présentent un biais induisant une surreprésentation des intégrations réussies sur le marché de l’emploi. Un rapport de Campus France souligne que « le taux de rétention des étudiants cinq ans après leur diplôme était de 43% sur la cohorte diplômée en 2015 »110

D’autres données de France Stratégie – à considérer avec prudence car elles sont anciennes (sur les années 2009 / 2011) – témoignent d’un taux d’inactivité constaté chez les diplômés étrangers ayant suivi leurs études en France plus faible que celui des immigrés ayant suivi leur scolarité ailleurs (environ 12% contre 27%)111. Il reste beaucoup plus élevé que celui des diplômés français (6%, soit un rapport du simple au double).

3.4 Qui sont « ceux qui restent » ? De très forts écarts selon le pays d’origine

L’analyse de la trajectoire des étrangers extra-européens ayant obtenu un premier titre de séjour pour motif « étudiant » en 2015, permise par la mise en ligne de données issues de la Direction générale des étrangers en France (DGEF), donne une idée de la grande hétérogénéité des parcours migratoires selon le pays d’origine des étudiants en question.

Huit années après avoir entamé leurs études en France (en 2023), 68,5% de ces étrangers n’ont plus de titre de séjour en cours de validité – soit qu’ils ont quitté le territoire, qu’ils y demeurent clandestinement ou qu’ils ont acquis la nationalité française. Les 31,5% qui possèdent toujours un titre valide relèvent de motifs répartis comme suit112 :

  • 17,4% ont des titres à motif économique (de travail) ;
  • 9,8% ont des titres familiaux ;
  • 2,8% sont encore étudiants ;
  • 1,5% ont d’autres titres.

Ce qui signifie que 55% de ceux qui possèdent encore un titre de séjour l’ont pour un motif économique et 31% pour un motif familial.


Source : « Le profil et les parcours administratifs des étudiants primo-arrivants : des situations contrastées selon les pays d’origine », Direction générale des étrangers en France (2025)

NB : « sortie » signifie sortie des bases administratives AGDREF qui concernent les titres de séjour, ce qui n’équivaut pas forcément à une sortie du territoire français

Les étudiants issus de certaines nationalités, notamment celles dont la France accueille une forte diaspora, sont très représentés parmi ceux qui restent sur le territoire. Il en va ainsi des ressortissants algériens : 8 ans après leur arrivée pour motif étudiant, 61% des Algériens disposent encore d’un titre de séjour en France – dont les deux tiers pour motif familial. On peut ici discerner un effet fort de l’accord franco-algérien de 1968, qui prévoit notamment des dispositions dérogatoires spécialement favorables en matière d’immigration familiale113.

Lorsqu’ils se maintiennent sur le territoire avec un titre de séjour, les ressortissants des divers pays de l’immigration étudiante le font sur la base de motifs très différents. Ainsi, moins d’un quart (22%) des Libanais détiennent toujours un titre 8 ans après le début de leurs études en France114 ; mais parmi eux, plus des deux tiers restent pour un motif économique (de travail).

Les étudiants asiatiques, dont les résultats académiques en France sont supérieurs à la moyenne des étudiants étrangers115, ont tendance à quitter le pays dès leurs études terminées. Il en est ainsi des Sud-Coréens, qui sont moins de 25% à rester en France trois ans après leur arrivée pour études, et moins de 10% huit ans après cette arrivée (six fois moins que parmi les Algériens). Même genre de constat pour les ressortissants chinois : seuls 14% d’entre eux ont toujours un titre de séjour huit ans après le début de leurs études en France116.

Source : « Le profil et les parcours administratifs des étudiants primo-arrivants : des situations contrastées selon les pays d’origine », Direction générale des étrangers en France (2025)

Par ailleurs, il est à noter que les étrangers ayant étudié en France disposent de facilités dans le cadre des demandes de naturalisation : toute personne ayant validé deux années d’études en France (pas nécessairement un diplôme) peut voir son temps de résidence minimal pour déposer un dossier abaissé à 2 ans, au lieu de 5, et ainsi obtenir plus rapidement la nationalité117.

Attendu que les deux années ne sont soumises à aucun critère de niveau de la formation suivie, il apparaît discutable qu’ils constituent nécessairement des atouts académiques et économiques majeurs pour le pays. Il apparaît donc que les chiffres relatifs aux étudiants étrangers restant sur le territoire sont nécessairement biaisés par le nombre de ces naturalisations simplifiées.

3.5 La double dépense des aides au développement

La défense de l’accueil inconditionnel des étudiants étrangers est parfois liée à des considérations d’ordre humanitaire ou développementaliste, cherchant à y voir une forme d’aide apportée à des pays plus en difficulté et à leurs habitants.

Cependant, il est à noter que lesdits pays connaissent souvent d’importants transferts financiers de la part de la France afin d’améliorer leurs propres systèmes éducatifs.

Ainsi, les deux principaux pays d’origine des étudiants étrangers en France, que sont l’Algérie et la Maroc, perçoivent annuellement des aides au développement françaises dans le domaine de l’« éducation », de l’ordre de 130 millions d’euros pour l’Algérie et 184,7 millions pour le Maroc en 2023. Le total des fonds alloués à ces pays pour la période des six années comprises entre 2018 et 2023 se monte à 990 millions € pour le Maroc et 688 millions € pour l’Algérie118.

Dans ce cadre, la justification de l’accueil d’étudiants selon un motif d’aide internationale au développement apparaît clairement redondante.

3.6 Comparaisons internationales

3.6.1 Généralités

Les politiques d’accueil des étudiants étrangers diffèrent grandement suivant les pays. À ce titre, il est intéressant de comparer la position française avec celle de plusieurs pays développés dotés d’un système universitaire attrayant.

La composition géographique des étudiants entrants varie de façon forte entre les pays d’accueil, et il est flagrant que celle constatée en France est assez éloignée de celle de l’OCDE en général. Alors que le premier pays d’origine des étudiants étrangers dans l’OCDE est la Chine et le second l’Inde119, la France accueille principalement des étrangers marocains et algériens.

Cette disparité est plus flagrante encore en constatant que le pays le plus reçu en France, le Maroc, se classe seulement 15e parmi les pays les plus reçus au sein de l’OCDE.

De la même manière, la France est le seul pays de l’OCDE dont la part d’étudiants étrangers originaires du continent africain approche les 50%. Ainsi, « un étudiant sur trois originaire d’un pays africain et étudiant dans un pays de l’OCDE étudiait en France » en 2020120.

 De la même manière que les pays d’origine en France diffèrent de ceux constatés au sein de l’OCDE, les niveaux d’inscriptions des étudiants y sont différents. « En moyenne dans les pays de l’OCDE, les étudiants internationaux représentaient 5 % des étudiants inscrits en licence, 14 % des étudiants inscrits en master et 24 % des doctorants au cours de l’année universitaire 2020 »121 là où ils représentaient en France 9,1% des étudiants en licence, 15,7% en master et 39,5% des doctorants122. Non seulement la France accueille proportionnellement plus d’immigrés que les pays membres de l’OCDE, mais encore, elle accueille une proportion d’étudiants en licence près de deux fois supérieure à la moyenne de l’OCDE.

Ainsi, le système français offre à des personnes massivement issues de pays au système scolaire plus faible que le sien des études pratiquement gratuites qui se solderont par un nombre considérable d’échecs aux frais des contribuables résidant en France.

À l’inverse, nombre de pays cherchent soit à attirer des élèves au niveau élevé qui apporteront à leurs établissements innovation et prestige, soit à attirer des élèves susceptibles de contribuer au financement de leur système.

3.6.2 Les frais et modalités

Là où la France (dans les universités publiques) ne pratique que très rarement des frais différenciés, la majeure partie des pays de l’OCDE surfacture les étudiants étrangers. Par exemple, « l’Australie, le Canada et Israël appliquent des frais différenciés pour les étudiants nationaux et étrangers. En Israël, les frais d’inscription moyens facturés par les établissements publics aux étudiants internationaux en licence sont plus de trois fois supérieurs aux frais facturés aux étudiants nationaux. »123.

Le système canadien pour les étudiants internationaux
 
Le Canada accueille annuellement 468 087 étudiants étrangers124, soit 21,2% du nombre total des étudiants dans le pays, un chiffre en constante augmentation.
 
Alors que les étudiants canadiens paient en moyenne 6800$ canadiens125 en premier cycle, les étudiants étrangers doivent s’acquitter de frais moyens de 36 100 $ canadiens (23 000€) en premier cycle d’études supérieures et de 21 100 (13 450€) en second cycle126. Les coûts différenciés suivant les grades universitaires préparés peuvent avoir pour effet d’attirer majoritairement des personnes ayant déjà fait leurs preuves dans le monde académique et venant recevoir une formation de relativement haut niveau.
 
Par ailleurs, il leur faut être inscrit au sein d’un établissement approuvé par le gouvernement pour l’accueil d’étudiants étrangers127, ce qui permet d’éviter la création de « fausses écoles » devenant des voies migratoires. La preuve d’une capacité à mobiliser au moins 13 000€ par année est également demandée, en plus des frais de scolarité afin de s’assurer que l’étudiant puisse subvenir à ses besoins.

L’ensemble de cette étude nous conduit à conclure que le système français d’accueil des étudiants étrangers est amplement marqué par un contrôle faible des admissions comme des renouvellements des visas et des titres de séjour, ainsi qu’une surreprésentation des étudiants originaires d’Afrique (en proportion unique dans l’OCDE), un fort taux d’échec académique et un coût net important pour les finances publiques.

D’une politique sans direction claire, uniquement guidée par une perspective quantitative, résulte un accueil indifférencié de personnes à fort potentiel et de personnes en situation d’échec académique, suivant des parcours à faible valeur ajoutée pour le système universitaire français et les ambitions économiques du pays d’accueil. La France se trouve accueillir des étudiants largement en échec, majoritairement financés par les derniers publics et sans aucune certitude de « retour sur investissement » concernant ceux qui réussissent.

Ainsi, nous pouvons voir que l’immigration étudiante est aujourd’hui, malgré ce qui peut en être dit, une filière migratoire largement « subie », permettant à des personnes de suivre plusieurs années dans l’enseignement supérieur public, sans contribuer à son financement, et à y échouer en grand nombre. Cependant, cette situation n’est pas une fatalité : les pouvoirs publics ont encore la main sur cette voie d’entrée sur le territoire et ne sont pas liés par des traités supranationaux ou des jurisprudences lourdement contraignantes, au contraire de nombreuses autres voies d’immigration – celle pour motifs familiaux, celle du droit d’asile…

En l’état, il semble raisonnable de dire que le système de l’immigration étudiante en France n’est pas façonné pour apporter au pays de bénéfices ni financiers, ni académiques. Il est donc urgent de le réformer – car il est indéniable qu’une immigration étudiante choisie, bien orientée et d’un bon niveau peut apporter beaucoup au pays, à ses universités et au monde.

  • Remplacer, dans l’article L422-1 du CESEDA, la formule « se voit délivrer une carte de séjour » par « peut se voir délivrer une carte de séjour », afin de laisser la main au ministère de l’Intérieur quant à l’attribution des titres de séjour pour motif étudiant, et de mettre un terme au « droit opposable » créé par la forme actuelle dudit article.
  • Mettre en œuvre une politique de choix n’accordant des places qu’aux étudiants :
    • Se destinant à des études correspondant à des domaines connaissant une pénurie d’effectifs qualifiés en France (ingénierie, médecine, etc) ;
    • Ou à des études d’un niveau académique particulièrement élevé : grandes écoles sur condition de concours, doctorat, sur conditions d’excellence dans leur pays et d’acceptation par l’université – selon les mêmes critères que l’obtention d’un financement pour un étudiant français ;
    • Faire payer le coût plein de leurs études (sans possibilité d’aides publiques) ou refuser l’admission aux étudiants ne correspondant pas à ces critères.
  • Supprimer la voie d’accès à un visa ou un titre de séjour étudiant sur présentation d’une admission délivrée hors-procédure, obtenue directement auprès d’établissements non répertoriés sur la plateforme « Études en France ».
  • Restreindre l’obtention des visas étudiants à une liste d’écoles et de cursus déterminés par arrêté, en fonction de leur excellence reconnue et des besoins économiques.
  • Privilégier les échanges à destination d’étudiants déjà en étude dans leur pays et dont les établissements disposent de partenariats avec des établissements français.
  • Supprimer le titre de séjour pour motif étudiant ou ne pas le renouveler dans les cas suivants, afin d’éviter les phénomènes de maintien d’opportunité sur le territoire et de ne pas faire peser les coûts d’une scolarité en échec sur l’ensemble du système :
    • Manque d’assiduité aux travaux dirigés et aux examens ;
    • Non-obtention d’une année d’études – sauf motif exceptionnel justifié.
  • Rehausser le montant minimum de ressources mensuelles exigés pour attester que l’étudiant étranger est en mesure de subvenir à ses propres besoins : le passer de 615 € à 750 € au moins – dans un premier temps.
  • Exiger la preuve préalable de l’obtention d’un logement par l’étudiant étranger avant d’autoriser son entrée sur le territoire français.
  • Limiter fortement, par la loi, la possibilité pour les universités d’exempter les étudiants extra-communautaires du paiement des droits d’admission différenciés, sous peine de sanction administrative
  1. Campus France “Les chiffres clefs de la mobilité étudiante dans le monde”, Agence française pour la promotion de l’enseignement supérieur, l’accueil et la mobilité internationale, Mai 2025, p.35 (Lien) ↩︎
  2. Ibid. p.34 (incluant 10 772 apprentis étrangers en section de technicien supérieur) ↩︎
  3. Ibid. p.34 ↩︎
  4. Ibid. p.34 (pour tout le paragraphe) ↩︎
  5. Voir les sites des universités Sorbonne Nouvelle et Aix-Marseille (Lien 1) & (Lien 2) ↩︎
  6. (Lien) consulté le 07/07/2025 ↩︎
  7. Voir partie II. e. ↩︎
  8. Communiqué de presse de France Université du 2 décembre 2024 (Lien) ↩︎
  9. Rapport public thématique, « Une évaluation de l’attractivité de l’enseignement supérieur français pour les étudiants internationaux », Cour des Comptes, p.114 (Lien) ↩︎
  10. Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, Article L422-1 (Lien) ↩︎
  11. Dispositions qui souffrent plusieurs exceptions ↩︎
  12. Campus France “Les chiffres clefs de la mobilité étudiante dans le monde”, Agence française pour la promotion de l’enseignement supérieur, l’accueil et la mobilité internationale, Mai 2025, p. 34 (Lien) ↩︎
  13. Ibid. p.34 ↩︎
  14. Voir partie II. a ↩︎
  15. Ibid. p.42 ↩︎
  16. Ibid. p.39 ↩︎
  17. Le profil et les parcours administratifs des étudiants primo-arrivants : des situations contrastées selon les pays d’origines, Info Migration, Direction générale des étrangers en France, Ministère de l’Intérieur, numéro 120, Juin 2025, p.2 (Lien) ↩︎
  18. Ibid, p.2. ↩︎
  19. Ibid, p.3. ↩︎
  20. Ibid, p.3. ↩︎
  21. Campus France, « Les chiffres clefs de la mobilité étudiante dans le monde », Agence française pour la promotion de l’enseignement supérieur, l’accueil et la mobilité internationale, mai 2025 (Lien) ↩︎
  22. Ibid. ↩︎
  23. Ibid. ↩︎
  24. Campus France “Les chiffres clefs de la mobilité étudiante dans le monde”, Agence française pour la promotion de l’enseignement supérieur, l’accueil et la mobilité internationale, Mai 2025, p.38 (Lien) ↩︎
  25. « L’essentiel sur…les immigrés et les étrangers », Insee, 22/05/2025 (Lien) ↩︎
  26. N. Charles, C. Jolly, Rapport ”Etudiants étrangers et marché du travail”, Commissariat général à la stratégie et à la prospective, Novembre 2013, p.50 (Lien) ↩︎
  27. Voir partie I. d. ↩︎
  28. Campus France « Les chiffres clefs de la mobilité étudiante dans le monde », Agence française pour la promotion de l’enseignement supérieur, l’accueil et la mobilité internationale, Mai 2025, p.44 (Lien) – Chiffres parmi les inscrits à l’université, seul type d’établissement pour lequel la ventilation par niveau est disponible. ↩︎
  29. « Repères et référence statistiques, enseignement, formation, recherche », Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (MESER), 2024, p.239 (Lien) ↩︎
  30. Campus France « Les chiffres clefs de la mobilité étudiante dans le monde », Agence française pour la promotion de l’enseignement supérieur, l’accueil et la mobilité internationale, Mai 2025, p.45 (Lien) ↩︎
  31. Ibid. p.45 ↩︎
  32. « État de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation en France », Ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche (Lien) ↩︎
  33. Campus France « Les chiffres clefs de la mobilité étudiante dans le monde », Agence française pour la promotion de l’enseignement supérieur, l’accueil et la mobilité internationale, Mai 2025, p.48 (Lien) ↩︎
  34. « Les étudiants étrangers en mobilité internationale dans l’enseignement supérieur français – 2023-2024 », L’essentiel de l’Immigration n°2024-118, Direction générale des étrangers en France, Ministère de l’Intérieur Octobre 2024 (Lien) ↩︎
  35. Ibid. ↩︎
  36. E. Terrier et R. Séchet, « Les étudiants étrangers : entre difficultés de la mesure et mesures restrictives. Une application à la Bretagne », Norois, 203, 2007, P.41. (Lien) ↩︎
  37. « Repères et référence statistiques, enseignement, formation, recherche », La Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, 2024, p.241 (Lien) ↩︎
  38. Ibid. ↩︎
  39. Ibid. ↩︎
  40. Rapport public thématique, « Une évaluation de l’attractivité de l’enseignement supérieur français pour les étudiants internationaux », Cour des Comptes (Lien) ↩︎
  41. Voir partie II. b ↩︎
  42. Partie I. c. ↩︎
  43. « L’accès aux soins se dégrade dans les zones rurales », INSEE Pays de la Loire (Lien) ↩︎
  44. ”Repères et référence statistiques, enseignement, formation, recherche”, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, 2024 (Lien) p.241 ↩︎
  45. (Lien), mai 2025 ↩︎
  46. (Lien), p.239 ↩︎
  47. (Lien), mai 2025 ↩︎
  48. Rapport public thématique de la Cour des Comptes, « Une évaluation de l’attractivité de l’enseignement supérieur français pour les étudiants internationaux », p.124 (Lien) ↩︎
  49. Informations du SIES, note d’information 20.10 « Parcours et réussite des étudiants étrangers en mobilité internationale », Ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche (Lien)  – tous les taux d’échec sont issus de ce document et se rapportent à l’année scolaire 2018/2019, seule pour laquelle les données en question sont trouvables ↩︎
  50. Campus France « Les bourses du gouvernement français pour les étudiants étrangers », Agence française pour la promotion de l’enseignement supérieur, l’accueil et la mobilité internationale (Lien) ↩︎
  51. « Les titres de séjours », L’essentiel de l’Immigration n°2025-128, Direction générale des étrangers en France, Ministère de l’Intérieur, Juin 2025 (Lien) ↩︎
  52. « « Bienvenue en France »:  la stratégie d’attractivité pour les étudiants internationaux », Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, 08/04/2029 (Lien) ↩︎
  53. « « Bienvenue en France »:  la stratégie d’attractivité pour les étudiants internationaux », Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, 08/04/2029 (Lien) ↩︎
  54. Ibid. ↩︎
  55. Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, Article L422-1 (Lien) ↩︎
  56. Rapport public thématique de la Cour des Comptes, “ L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères”, 2023, p.58 (Lien) ↩︎
  57. « Une école de commerce accusée de laisser entrer des étudiants étrangers illégalement sur le territoire », Le Figaro, 11/28/23 (Lien) ↩︎
  58. Ibid. ↩︎
  59. Rapport d’information déposé par la commission des affaires culturelles et de l’éducation, n° 2458, 16e législature, Assemblée Nationale, 10 avril 2024 (Lien) ↩︎
  60. Rapport public thématique de la Cour des Comptes, « Une évaluation de l’attractivité de l’enseignement supérieur français pour les étudiants internationaux », 2025, p.106 (Lien) ↩︎
  61. Ibid. p. 106 ↩︎
  62. P. Hermelin, Propositions pour une amélioration de la délivrance des visas, Rapport d‘avril 2023,  p.18 (Lien) ↩︎
  63. Circulaire IMII0800042C du 7 octobre 2008 Étudiants étrangers – ”Appréciation du caractère réel et sérieux des études”, du ministre de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire et de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche (Lien) ↩︎
  64. Ibid. ↩︎
  65. Ibid. ↩︎
  66. Ibid. ↩︎
  67. Ibid. ↩︎
  68. Ibid. ↩︎
  69. Rapport public thématique, Cour des Comptes, « L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères », p.59 (Lien) ↩︎
  70. Voir partie I. e. ↩︎
  71. Rapport public thématique, Cour des Comptes, « L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères », p.59 (Lien) ↩︎
  72. L’immigration des étudiants étrangers en France, Réseau européen des migrations, Ministère de l’intérieur, 2012 (Lien) ↩︎
  73. Partie II. a. ↩︎
  74. Rapport public thématique, Cour des Comptes, « L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères », p.59 (Lien) ↩︎
  75. Rapport public thématique de la Cour des Comptes, « Une évaluation de l’attractivité de l’enseignement supérieur français pour les étudiants internationaux », 2025, p.130 (Lien) ↩︎
  76. Voir les sites des universités Sorbonne Nouvelle et Aix-Marseille : (Lien 1) & (Lien 2) ↩︎
  77. Campus France, ”Droits différenciés”, 9/10/2024 (Lien) ↩︎
  78. A. Miallier, ”Droits différenciés : seules 13 universités les appliquent complètement”, AEF, 3/04/2 (Lien) ↩︎
  79. Site de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, « Étudiant(e) en mobilité individuelle » (consulté le 02/08/2025) (Lien) ↩︎
  80. Campus France, ”Droits différenciés”, 9/10/2024 (Lien) ↩︎
  81. Voir exemptions prévues dans le droit commun ↩︎
  82. « Droits différenciés : profil des étudiants internationaux concernés en 2023-2024 », Note-flash du SIES n°2, Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Février 2025 (Lien) ↩︎
  83. « Droits différenciés : profil des étudiants internationaux concernés en 2023-2024 », Note-flash du SIES n°2, Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Février 2025 (Lien) ↩︎
  84. Rapport public thématique de la Cour des Comptes, « Une évaluation de l’attractivité de l’enseignement supérieur français pour les étudiants internationaux », 2025 (Lien) ↩︎
  85. « On a une dépense supplémentaire forcée d’environ 500 millions d’euros » : les universités inquiètes de la baisse attendue des dotations”, Le Parisien, 29 janvier 2025 (Lien) ↩︎
  86. Rapport public thématique de la Cour des Comptes, « Une évaluation de l’attractivité de l’enseignement supérieur français pour les étudiants internationaux », 2025 p.119 – les coûts évoqués ensuite proviennent tous du même rapport 2025 (Lien) ↩︎
  87. Rapport « Précarité étudiante Des arbitrages au quotidien pour les jeunes », Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, Anne-Cécile CASEAU, avril 2025, p.7 (Lien) ↩︎
  88. « Les boursiers sur critères sociaux en 2023-2024 », Note-flash du SIES n°24, Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, Septembre 2024 – Hors échelon 0bis, soit 467 323 personnes. Évaluation a minima du montant car il est probable que les étrangers boursiers soient compris dans le chiffre (Lien) ↩︎
  89. Rapport d’information n°1527 déposé par la commission des affaires étrangères valant avis sur le projet de contrat d’objectifs et de performance de Campus France pour 2023-2025, M. Bruno FUCHS et Mme. Sabrina SEBAIHI, Assemblée nationale, 2023 (Lien) ↩︎
  90. Rapport d’information n° 4817 sur « sur le logement et la précarité des étudiants, des apprentis et des jeunes actifs », David CORCEIRO et Richard LIOGER, Assemblée nationale, 2021 (Lien) ↩︎
  91. Rapport public thématique de la Cour des Comptes, « Une évaluation de l’attractivité de l’enseignement supérieur français pour les étudiants internationaux », 2025, p. 127 (Lien) ↩︎
  92. Ibid. ↩︎
  93. Ibid. p.130 ↩︎
  94. Rapport public thématique de la Cour des Comptes, « Une évaluation de l’attractivité de l’enseignement supérieur français pour les étudiants internationaux », 2025 (Lien) ↩︎
  95. Ibid. p.105 ↩︎
  96. Ibid. ↩︎
  97. Observations définitives, « La situation et les perspectives financières de Sciences Po », Cour des Comptes, 2025 (Lien) ↩︎
  98. Site de Sciences Po, « Sciences Po en un coup d’œil » (Lien) ↩︎
  99. Rapport d’information au nom de la mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences, A. GATTOLIN, 29 septembre 2021 (Lien) ↩︎
  100. R. ADAMS, ”L’offensive cognitive chinoise dans les universités”, EGE, 20 novembre 2023 (Lien) ↩︎
  101. (Lien) ↩︎
  102. « Le profil et les parcours administratifs des étudiants primo-arrivants : des situations contrastées selon les pays d’origine », Direction générale des étrangers en France, Ministère de l’intérieur (Lien) ↩︎
  103. Perspectives des migrations internationales 2022, OCDE, 2023, p.185 (Lien) ↩︎
  104. Perspectives des migrations internationales 2022, OCDE, 2023, p.185 (Lien) ↩︎
  105. « Comment travailler en France après ses études », République française (Lien) ↩︎
  106. « L’essentiel sur… les salaires », Insee, 17/12/2024 (Lien) ↩︎
  107.  (Lien) ↩︎
  108. « Repères et référence statistiques, enseignement, formation, recherche », La Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, 2024, p.292 (Lien) ↩︎
  109. Rapport public thématique de la Cour des Comptes, « Une évaluation de l’attractivité de l’enseignement supérieur français pour les étudiants internationaux », 2025, p.124 (Lien) ↩︎
  110. Brèves #13 – CAMPUS FRANCE ↩︎
  111. N. Charles, C. Jolly, Rapport ”Étudiants étrangers et marché du travail”, Commissariat général à la stratégie et à la prospective du Premier ministre, Novembre 2013, p.48 (Lien) ↩︎
  112. « Le profil et les parcours administratifs des étudiants primo-arrivants : des situations contrastées selon les pays d’origine », Direction générale des étrangers en France, Ministère de l’intérieur (Lien) ↩︎
  113. Voir étude OID « L’immigration des Algériens », juin 2025 (Lien) ↩︎
  114. ”Le profil et les parcours administratifs des étudiants primo-arrivants : des situations contrastées selon les pays d’origine”, Info Migration, Direction générale des étrangers en France, Ministère de l’Intérieur, numéro 120, Juin 2025 (Lien) – l’ensemble des chiffres sur les étudiants demeurant sur le territoire de ce paragraphe proviennent de cette source. Le fait qu’ils soient exprimés en ordres de grandeur résulte de l’imprécision des graphiques présentés par la DGEF et de l’absence de publication des données détaillées. ↩︎
  115. Voir partie I.e. ↩︎
  116. Ibid. ↩︎
  117. Comment devient-on citoyen français, Vie Publique, République Française (Lien) ↩︎
  118. ”Les chiffres de l’aide publique au développement, Répartition géographique”, République française (Lien) ↩︎
  119. Perspectives des migrations internationales 2022, OCDE, 2023, p.135 (Lien) ↩︎
  120. Perspectives des migrations internationales 2022, OCDE, 2023, p.148 (Lien) ↩︎
  121. Perspectives des migrations internationales 2022, OCDE, 2023, p.137 (Lien) ↩︎
  122. Informations du SIES, note d’information 20.10 « Parcours et réussite des étudiants étrangers en mobilité internationale », Ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche (Lien) ↩︎
  123. Perspectives des migrations internationales 2022, OCDE, 2023, p.173 (Lien) ↩︎
  124. ”Effectifs et diplômés postsecondaires au Canada, 2022-2023”, Le Quotidien, 20 novembre 2024 ↩︎
  125. (Lien) ↩︎
  126. « Frais d’études pour les étudiants internationaux au Canada », EduCanada (Lien) ↩︎
  127. « Permis d’études et visas », EduCanada (Lien) ↩︎

L’immigration tunisienne en France : une croissance rapide qui pose question

Le 15 août 2024, à l’occasion des commémorations du 80ème anniversaire du débarquement de Provence à Saint-Raphaël, le ministre tunisien des Affaires étrangères, Nabil Ammar, a transmis au président Emmanuel Macron les salutations du président Kaïs Saïed, réitérant la volonté de la Tunisie de renforcer ses relations avec la France. Emmanuel Macron a, de son côté, exprimé sa gratitude et affirmé l’engagement de la France à consolider le partenariat entre les deux pays.

Ce moment de cordiale diplomatie est intervenu après une période de plusieurs mois difficiles, au cours desquels les deux pays ont connu des tensions croissantes. En effet, en septembre 2021, la France avait réduit de 30% l’octroi de visas aux ressortissants tunisiens1, en raison de la réticence de la Tunisie à délivrer des laissez-passer consulaires pour la réadmission de ses ressortissants en situation irrégulière. Cette décision prise unilatéralement par la France a été vivement critiquée outre-Méditerranée, avant d’être assouplie un an plus tard.

Cet épisode récent de la relation franco-tunisienne révèle, à bien des égards, les tensions qui s’exercent autour du sujet migratoire entre la Tunisie et la France – ainsi que les limites des accords bilatéraux en vigueur dans cette matière. Peuplée de 12 millions d’habitants seulement, la Tunisie est le quatrième pays d’origine des immigrés2 et représente la troisième nationalité titulaire d’un titre de séjour en cours de validité3 en France.

Elle constitue un sujet d’études pertinent car la diaspora tunisienne en France, bien que moins médiatisée que ses équivalentes algériennes et marocaines, s’est considérablement développée au fil des ans, bénéficiant depuis longtemps d’un cadre juridique dérogatoire du droit commun.

1.1 Le protectorat français en Tunisie, prélude aux relations migratoires futures

L’immigration tunisienne en France s’est amorcée au XXème siècle. Auparavant, les mouvements migratoires entre la Tunisie et la France étaient rares et peu significatifs4. La Tunisie, sous domination ottomane jusqu’en 1881, n’avait pas encore de liens suffisamment directs avec la France pour permettre une immigration notable. Quelques échanges commerciaux et diplomatiques existaient, mais ils n’entraînaient aucun mouvement de population.

En 1881, la France établit un protectorat sur la Tunisie avec le traité du Bardo, marquant le début d’une relation coloniale qui influencera les migrations futures. Pendant cette période, les déplacements de Tunisiens vers la France restent encore marginaux, et les Français installés en Tunisie (colons, administrateurs, commerçants) forment une communauté nettement plus visible que les Tunisiens en métropole. On assiste à une croissance rapide des Français en Tunisie après 1881, passant de moins de 1 000 à plus de 16 000 civils en 1896, sans compter les militaires5.

1.2 Un démarrage de l’immigration tunisienne dans le contexte des Trente glorieuses et l’indépendance de la Tunisie

Durant les deux guerres mondiales, des Tunisiens sont mobilisés dans l’effort de guerre français, comme tirailleurs ou travailleurs dans les usines d’armement. Après la Première Guerre mondiale (1914-1918), certains restent en France, mais leur nombre est encore faible : environ 18 500 Tunisiens viennent en France comme travailleurs coloniaux pendant la guerre, mais la grande majorité repart après 1918. La population tunisienne installée durablement en France reste très faible, probablement inférieure à quelques milliers de personnes à cette période6.

La Seconde Guerre mondiale (1939-1945) voit également des Tunisiens participer à l’effort de guerre, mais la migration reste temporaire et liée aux besoins de la production militaire7.

C’est après la Seconde Guerre mondiale, puis dans le contexte de forte croissance économique des « Trente Glorieuses » que vont se manifester des évolutions notables, avec un important besoin de main-d’œuvre, une industrialisation rapide et une urbanisation croissante. De même, l’indépendance de la Tunisie, proclamée le 20 mars 1956, marque un tournant dans l’intensification des flux, alors quele nombre de Tunisiens sur le territoire français est alors d’environ 5 000 personnes8.

On observe à ce titre « une certaine symétrie entre le développement de l’immigration tunisienne et le reflux de la population française de Tunisie » : alors que la population tunisienne en France est multipliée par 10 entre 1956 et 1965 (passant de 5 570 à 52 179), la population française en Tunisie est divisée par 9 sur la même période (passant de 182 300 à 19 700)9.

Abderrazek Oueslati, docteur en géographie (Migrinter, CNRS-Université de Poitiers) résume ainsi la situation : « Au cours de la période coloniale, et juste après l’indépendance, la Tunisie était une société en crise : sous-emploi, déséquilibre entre villes et campagnes, expansion démographique, faiblesse du niveau de vie… Cette situation a poussé des milliers d’hommes jeunes à émigrer […] L’émigration apparaissait alors à la société tunisienne comme un processus inéluctable et même bénéfique, allégeant la charge démographique et atténuant les tensions sociales ». Ainsi, l’immigration tunisienne en France « a débuté au moment de l’indépendance (le 20 mars 1956) » avant de « s’amplifier de façon anarchique autour des années 60 »10.

L’immigration tunisienne en France est également encouragée et structurée par les accords de main d’œuvre signés entre la France et la Tunisie. Ainsi, la convention franco-tunisienne du 9 août 196311 (convention « Granval » – du nom du ministre français du Travail de l’époque) a constitué le premier cadre juridique organisant cette immigration, avant d’être complétée par d’autres accords, notamment celui du 17 mars 1988 relatif au séjour et au travail12.

La France devient ainsi la première destination d’immigration tunisienne. En 1970, 96 821 Tunisiens sont recensés en France, avant d’atteindre 149 274 en 1973, soit une quasi-multiplication par 30 depuis 195613 –en moins de 20 ans.

En 1972, le géographe Gildas Simon constate que : « du fait de son développement récent, cette migration ouvrière ne possède pas encore de tradition migratoire comparable à celle de deux autres pays du Maghreb (Algérie et Maroc) où le phénomène a débuté depuis deux ou trois générations » ce qui explique « certaines difficultés quant à l’insertion des Tunisiens sur le marché du travail »14.

De même, pour l’année 1973, celui-ci fait savoir que, selon le ministère français de l’Intérieur, environ 161 000 Tunisiens vivent en France, dont 80 % dans trois régions (Île-de-France, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur), révélateur selon lui d’une concentration beaucoup plus dense que les diasporas issues des autres pays du Maghreb15.

1.3 Une immigration tunisienne encadrée par des accords bilatéraux, mais de plus en plus familiale

Le choc pétrolier de 1973 est à l’origine d’un tournant majeur dans les politiques d’immigration en France. En 1974, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, la France suspend officiellement l’immigration de travail16 : alors que l’immigration tunisienne était auparavant principalement économique et temporaire, elle prend un nouveau visage avec l’institutionnalisation du regroupement familial, autorisé à partir de 1976. De nombreux travailleurs tunisiens, initialement venus seuls, font venir leurs épouses et enfants, féminisant les flux migratoires et amorçant un processus d’installation durable. Entre 1975 et 1983, les femmes représentent jusqu’à 61%17 des nouveaux entrants maghrébins, avant un retour à l’équilibre entre les sexes dans les années 199018.

En 2008, sous l’impulsion du président français Nicolas Sarkozy, la Tunisie devient le premier et seul pays maghrébin à signer un accord de gestion concertée des flux migratoires avec la France. Cet accord ambitionne de faciliter l’accès de professionnels tunisiens à l’admission sur le territoire français, tout en renforçant les contrôles sur l’immigration irrégulière. Il reflète une volonté affichée de privilégier une migration « choisie » plutôt que « subie ».

La révolution de 2011, qui renverse le régime de Ben Ali, a un impact majeur sur les migrations. La chute du régime, combinée à l’instabilité économique et politique, pousse des milliers de jeunes Tunisiens à tenter leur chance en Europe via la « harga » (migration irrégulière par bateau). Entre janvier et mars 2011, dans les semaines qui suivent le renversement du pouvoir, environ 20 000 Tunisiens arrivent sur l’île italienne de Lampedusa19, dont une grande partie vise la France en raison des liens historiques et familiaux. La France réagit en renforçant ses contrôles aux frontières et en négociant avec la Tunisie pour limiter ces flux. Claude Guéant, alors ministre de l’Intérieur, visite Tunis en mai 2011 pour évoquer notamment la question des étrangers irréguliers20. Malgré ces mesures, la « harga » reste un phénomène persistant, alimenté par le chômage et le désespoir des jeunes.

2.1 État des lieux de la diaspora tunisienne en France : la population immigrée du Maghreb en plus forte croissance

L’INSEE recensait 347 000 immigrés tunisiens stricto sensu sur le territoire national en 202322. Ainsi, 70 ans, après l’indépendance de la Tunisie, les immigrés originaires de Tunisie constituent la 4ème communauté immigrée en France (4,8% du total de la population immigrée en 2023) après l’Algérie (12,2%), le Maroc (11,7%) et le Portugal (7,9%)23. De même, les Tunisiens représentent la troisième nationalité bénéficiaire de titres de séjour en cours de validité (304 287 en 2024, soit une hausse de 4,9% par rapport à 2023)24.

Cependant, pour les descendants d’immigrés (de deuxième génération) de la même année 2023, l’INSEE fusionne les données en une catégorie unique « Maroc, Tunisie », ce qui rend de fait impossible toute consolidation des chiffres au fil des générations25.

Si l’on tente d’extrapoler certaines données publiques pour estimer la diaspora tunisienne sur trois générations, une certaine « clé de répartition » peut être opérée à partir des immigrés de première génération issus des pays du Maghreb26 : elle permet d’évaluer une diaspora tunisienne en France d’un peu moins de 900 000 personnes sur trois générations.

   Algérie    Maroc  Tunisie  Total
Immigrés (1ère génération)27 en 2023      

  892 000 (42,6%)  853 000 (40,8%)  347 000 (16,6%)  2 092 000 (100%)
Descendants d’immigrés (2ème génération)28 en 2023    
  1 106 322  1 059 576  431 102    2 597 00029
Descendants d’immigrés (3ème génération) de moins de 60 ans en 2019-2020    306 720  293 760  119 520  720 00030
Total immigrés et descendants d’immigrés sur 3 générations  
  2 305 042  2 206 336  897 622  5 409 000

Par ailleurs, le nombre d’immigrés tunisiens au sens strict – nés tunisiens en Tunisie et vivant en France – a augmenté de 52,9% entre 2006 et 2023, ce qui en fait la plus forte progression parmi les pays du Maghreb (presque deux fois plus rapide que le nombre d’immigrés algériens).

   Algérie    Maroc    Tunisie
Nombre d’immigrés en 200631   691 800  634 200  226 900
Nombre d’immigrés en 202332  892 000  853 000  347 000
  Progression %
  +28,9%    +34,5%  +52,9%

De plus, les Tunisiens sont les ressortissants qui bénéficient du plus haut ratio de nouveaux titres de séjour en France / habitants parmi les pays du Maghreb : 182 primo-titres de séjour pour 100 000 habitants dans le pays d’origine en 2024 – trois fois plus que l’Algérie. 

   Algérie    Maroc    Tunisie
Primo-titres de séjour en France en 202433    29 270  36 815  22 456
Nombre d’habitants dans le pays d’origine en 202434    46,63 millions  37,37 millions  12,34 millions
Ratio nouveaux titres de séjour / 100 000 habitants    63    99  182

Sur le plan géographique, les immigrés tunisiens en France se concentrent particulièrement dans le Sud-Est du pays et la vallée du Rhône. Ils forment notamment la population immigrée la plus nombreuse dans les Alpes-Maritimes.35

2.2 Une croissance démographique portée par les flux migratoires et la natalité

La diaspora tunisienne renforce sa présence en France du fait de flux migratoires soutenus et d’une importante fécondité des femmes immigrées tunisiennes :

  • Avec 22 456 premiers titres de séjour délivrés en 2024 (un quasi-doublement depuis 2012, soit la plus forte progression des pays du Maghreb36), les ressortissants de Tunisie se placent en 3ème position des nationalités primo-récipiendaires37.
 Primo-titres de séjour en France    Algérie    Maroc    Tunisie
  201238  24 460  21 616  11 374
  201739  30 003  28 479  15 010
  202240  29 271  39 254  21 860
  202341  32 003  36 845  22 832
  202442  29 270  36 815    22 456
  % 2012-2024    +19,7%  +70,3%  +97,4%
  • Corrélativement, le nombre d’immigrés tunisiens au sens strict – nés tunisiens en Tunisie et vivant en France – a augmenté de 200% entre 1968 et 2023 (soit une multiplication par trois), passant de 114 900 à 347 000 personnes43.
  • De même, en ce qui concerne la fécondité des immigrées tunisiennes en France : une étude de l’INED faisait valoir que celles-ci avaient en moyenne 3,5 enfants par femme en France en 2014, bien au-dessus de la moyenne des femmes non-immigrées cette année-là (1,88) et même des femmes tunisiennes en Tunisie (2,2)44. Néanmoins, les indices généraux de fécondité constatés en France comme en Tunisie ont diminué depuis lors. Selon les dernières données issues de l’INSEE, les femmes nées en Algérie, au Maroc et en Tunisie qui vivaient en France avaient en moyenne 2,51 enfants en 2021, un indice supérieur de moitié à celui des femmes nées en France (1,67)45.
  • Plus particulièrement : 57% des femmes tunisiennes primo-arrivantes ont au moins un enfant dans les quatre ans suivant leur installation en France46 – ce qui en fait la plus forte proportion parmi l’ensemble des primo-arrivantes issues des 15 principales nationalités des femmes détentrices d’un premier titre de séjour de plus d’un an, à égalité avec les Algériennes primo-arrivantes, alors même que l’indice de fécondité en Tunisie est descendu à 1,8 enfant par femme en 202447. Cette proportion est supérieure à celles d’autres nationalités dont l’indice de fécondité dans le pays d’origine est beaucoup plus élevé. Par exemple : alors que l’indice de fécondité était de 6 enfants par femme en République Démocratique du Congo pour l’année 2024, la part des femmes congolaises qui ont au moins un enfant dans les quatre ans suivant leur arrivée en France est de 38% seulement48.

L’installation en France apparaît donc constituer un déclencheur de fécondité particulièrement puissant pour les femmes tunisiennes. Le ministère de l’Intérieur souligne le constat suivant : « à nombre d’enfants à l’arrivée en France, âge à la migration, raison déclarée de la migration et fécondité dans le pays d’origine égaux, les primo-arrivantes maghrébines ont entre 20 % et 50 % plus de chances de faire un enfant les 4 années après leur installation que les autres primo-arrivantes ».49

Source : « La fécondité des femmes primo-arrivantes », Ministère de l’Intérieur (2025)

3.2 Emploi, éducation, sécurité : des difficultés notables

Malgré cette démographie dynamique, l’immigration tunisienne en France accuse, en moyenne, un retard conséquent sur les différents indicateurs d’intégration disponibles – à l’image des autres immigrations issues du Maghreb.

  • Marché de l’emploi :
    • Selon les plus récentes données de l’INSEE, 34,8% des étrangers tunisiens (âgés de 15 ans ou plus) n’étaient ni en emploi, ni en études ni à la retraite en 2022, contre 12,6% des Français – soit près du triple. Sous l’angle du pays de naissance et non plus de la nationalité : cette situation concernait 29,2% des immigrés originaires de Tunisie de plus de 15 ans, contre 12,3% des non-immigrés :
    • Cette faible intégration sur le marché du travail est particulièrement marquée chez les femmes issues de l’immigration tunisienne : 49,5% des étrangères tunisiennes et 41,5 des immigrées originaires de Tunisie n’étaient ni en emploi, ni en études, ni à la retraite en 202250 ;
    • Le taux de chômage des immigrés tunisiens et marocains s’élevait à 14,7% en 2023, contre 6,5% pour les personnes sans ascendance migratoire, soit plus du double. Pour les descendants d’immigrés tunisiens et marocains (deuxième génération), ce taux de chômage s’élève toujours à 13,9%51 ;
    • Enfin, le taux d’emploi des immigrés tunisiens et marocains s’élevait à 58,8% en 2023, contre 70,7% pour les personnes sans ascendance migratoire – soit 12 points en-dessous. Or, ce taux d’emploi est encore plus faible pour les descendants d’immigrés tunisiens et marocains (deuxième génération) puisqu’il descend à 54,1%52.
  • Niveau d’éducation, qualifications et maîtrise de la langue française :
    • En 2023, 39,5% des immigrés tunisiens et marocains n’avaient aucun diplôme ou un niveau brevet / CEP, contre 13,5% des personnes sans ascendance migratoire. A l’inverse, 23,2% des immigrés tunisiens et marocains étaient titulaires d’un diplôme supérieur à Bac+2, contre 27,1% des personnes sans ascendance migratoire. L’écart se réduit nettement mais persiste à la deuxième génération : 17,7% des descendants d’immigrés tunisiens et marocains n’avaient aucun diplôme ou un brevet / CEP, et 27,8% d’entre eux étaient titulaires d’un diplôme supérieur à Bac +253 ;
    • Néanmoins, les indicateurs sont meilleurs en ce qui concerne la maîtrise de la langue française à l’oral : en 2019-2020, 18% des immigrés tunisiens et marocains n’avaient aucune maitrise de la langue française à l’oral, contre une moyenne de 30% pour l’ensemble des immigrés. A l’inverse, 35% des immigrés tunisiens et marocains avaient une excellente maîtrise de la langue française à l’oral, contre une moyenne de 33% pour l’ensemble des immigrés54.
  • Représentation dans le système pénal : 1 442 ressortissants tunisiens (hors binationaux) étaient écroués dans une prison française au 1er janvier 2024, contre 659 au 1er janvier 2004, soit une hausse de 119% en 20 ans. Ceux-ci représentent donc 7,1% du total des étrangers écroués – soit une part supérieure, à eux seuls, à celle du total des étrangers ressortissants des pays d’Asie et d’Océanie (5,5%)55.
  • Occupation des logements sociaux / des quartiers prioritaires de la politique de la ville, et taux de propriétaires :
    • 44% des ménages immigrés tunisiens et marocains vivaient dans un logement social en 2019-2020, soit un taux 4 fois supérieur à celui des ménages sans ascendance migratoire ou ultramarine (11%). Pour la deuxième génération, cette part est toujours de 38%56.
    • Par ailleurs, 33% des immigrés tunisiens et marocains vivaient dans un quartier prioritaire de la politique de la ville en 2019-2020, un taux 11 fois supérieur aux personnes sans ascendance migratoire ou ultramarine (3%)57 ;
    • Enfin, seuls 29% des immigrés tunisiens et marocains sont propriétaires de leur logement, contre 59% des personnes sans ascendance migratoire ou ultramarine, soit un taux deux fois inférieur. Pour les descendants d’immigrés tunisiens et marocains (deuxième génération), ce taux monte à 35%58.
  • Endogamie :
    • 74% des hommes immigrés tunisiens et marocains et 80% des femmes immigrées tunisiennes et marocaines forment une union endogame59 ;
    • 55% des descendants de deux parents immigrés du Maroc et de la Tunisie vivaient en couple avec un conjoint de la même origine migratoire en 2019-2020, contre une moyenne de 35% pour l’ensemble des descendants d’immigrés et un taux de 14% pour les descendants de deux parents immigrés d’Asie du Sud-est60 (c’est-à-dire près de 4 fois inférieur).
  • Cette situation s’explique sans doute, en partie, du fait que les immigrés et descendants d’immigrés tunisiens entretiennent des liens significatifs avec leur pays d’origine61 :
    • 97% des immigrés tunisiens et marocains âgés de 18 à 59 ans avaient visité au moins une fois leur pays d’origine depuis leur migration en France en 2018-2020, ce qui en fait le 2ème taux le plus élevé derrière les immigrés portugais (98%), contre 70% pour les immigrés d’Asie du Sud-est. Ce taux est toujours à 84% pour les descendants d’immigrés tunisiens et marocains (deuxième génération), soit le 3ème plus élevé derrière les descendants d’immigrés portugais (91%) et ceux originaires de Turquie ou du Moyen-Orient (87%) ;
    • 93% des immigrés tunisiens et marocains âgés de 18 à 59 ans avaient des contacts avec leur pays d’origine (y compris téléphoniques ou électroniques) en 2019-2020, soit le 2ème taux le plus élevé derrière les immigrés issus de l’Afrique Sahélienne (95%), ex aequo avec la Chine et ceux issus des « autres pays de l’Union européenne » (c’est-à-dire hors Portugal, Espagne et Italie) ;
    • En revanche, seuls 3% des descendants d’immigrés tunisiens et marocains souhaitent partir vivre dans le pays d’origine de leurs parents, ce qui en fait le taux le plus faible derrière les descendants d’immigrés algériens (2%).
  • Vote des immigrés et ressortissants Tunisiens en France :
    • 16% des immigrés tunisiens et marocains ont participé à une élection dans un autre pays que la France en 2019-2020, contre une moyenne de 19% pour l’ensemble des immigrés62 ;
    • Or, à l’occasion des élections tunisiennes organisées en 2011, au lendemain de la chute du régime de Ben Ali : le parti islamiste Ennahda est arrivé en tête dans les deux circonscriptions de France, obtenant 4 sièges sur 10 avec respectivement 33,70 % et 30,23 % des suffrages exprimés63.
  • Une diaspora contributrice à l’égard de son pays d’origine : la Tunisie bénéficiait de 2,4 milliards d’euros de transferts de fonds de sa diaspora dans le monde en 2023, ce qui représentait 5,6% de son PIB pour cette même année64. Or, la France abritait 61% du total des 385 000 émigrés tunisiens en 2015-2016 selon un rapport de l’OCDE65.

3.1 De l’accord migratoire franco-tunisien du 17 mars 1988 à l’accord-cadre du 28 avril 2008 : une volonté de rapprochement avec le droit commun

Après l’indépendance de la Tunisie en 1956, plusieurs accords bilatéraux ont été conclus pour encadrer la circulation et le séjour des ressortissants des deux pays, notamment la convention de main-d’œuvre du 9 août 1963 visant à « faciliter le recrutement des Tunisiens désirant travailler en France »66.

Dans les années 1980, l’évolution des politiques migratoires françaises et les besoins économiques des deux pays ont nécessité une mise à jour de ces cadres juridiques. En 1988, le président François Mitterrand cherche à renforcer ses liens avec les pays du Maghreb dans un contexte de coopération euro-méditerranéenne naissante. La Tunisie, dirigée par Zine el-Abidine Ben Ali à partir de 1987, souhaite faciliter l’accès de ses ressortissants au marché du travail français, tout en sécurisant les droits des Français résidant sur son sol.  L’accord bilatéral du 17 mars 1988 reflète une volonté d’adaptation aux réalités migratoires de l’époque.

Cet accord a été modifié à trois reprises par un avenant du 19 décembre 199167, lui-même ayant fait l’objet d’un avenant du 8 septembre 200068, ainsi que par l’accord-cadre du 28 avril 200869. Ce dernier, qui rentre dans la catégorie des « accords de gestion concertée et de co-développement », est revenu sur plusieurs dispositions dérogatoires au droit commun et est considéré comme « le cadre de référence actuel de la coopération migratoire entre les deux pays », selon l’ambassadrice de France en Tunisie, Anne Guéguen (ambassadrice à Tunis depuis 2023)70.

Plus précisément, l’accord-cadre du 28 avril 2008 se voit adosser deux protocoles :

  • Un premier protocole, qui est relatif à la gestion concertée des migrations et qui repose sur 3 piliers :
    • La circulation : facilitation des visas de circulation (1 à 5 ans) pour certaines catégories (hommes d’affaires, médecins, membres de famille proche), ainsi que de visas simples pour des motifs spécifiques (visite de ressortissants tunisiens hospitalisés en France) ;
    • L’admission au séjour : conditions plus favorables pour les motifs économiques, étudiants et familiaux. L’accord supprime l’admission de plein droit après dix ans de séjour et introduit des critères comme le contrat d’intégration républicaine pour les jeunes majeurs ;
    • La réadmission : coopération pour le retour des personnes en situation irrégulière, avec un appui technique (matériel de surveillance, formations).
  • Un second protocole, qui encadre le « développement solidaire » : financement de centres de formation professionnelle, projets de prévention de l’émigration irrégulière, et soutien à des projets locaux de développement. En revanche, il convient de souligner que « ces trois volets sont traités isolément, sans qu’aucune conditionnalité ne soit explicitement établie entre eux dans les accords »71.
Que sont les accords de gestion concertée et de co-développement ?
 
Les accords de gestion concertée et de développement ont été conclus avec 7 Etats entre 2007 et 2009 sous le quinquennat du Président Nicolas Sarkozy : le Bénin (28 novembre 2007), le Burkina-Faso (10 janvier 2009), Cap-Vert (24 novembre 2008), le Gabon (5 juillet 2007), la République du Congo (25 octobre 2007), le Sénégal (23 septembre 2006) et la Tunisie (28 avril 2008).
 
Ceux-ci se décomposent généralement en trois parties :
L’organisation de voies d’immigration légales, avec des conditions d’admission au séjour parfois plus favorables que le droit commun, notamment pour les travailleurs ;
La lutte contre l’immigration irrégulière, avec un volet « réadmission » pour faciliter le retour des ressortissants en situation irrégulière ;
Le financement d’actions de « développement solidaire » au profit des pays d’émigration.
 
Cependant, un rapport d’information du Sénat déplore un « bilan peu satisfaisant » et souligne que « seuls les accords conclus avec la Tunisie et le Sénégal sont encore actifs ».72

Enfin, si l’accord franco-tunisien du 17 mars 1988 « ne s’écarte désormais qu’à la marge du droit commun »73, certaines dérogations subsistent encore aujourd’hui.

3.2 Des dérogations subsistantes en matière d’immigration familiale et de travail

Certaines dispositions de l’accord migratoire franco-tunisien du 17 mars 1988 dans sa version en vigueur74 sont plus favorables que le droit commun en matière d’immigration de travail :

  • Les ressortissants tunisiens peuvent obtenir un titre de séjour « salarié » sans que la situation de l’emploi ne leur soit opposable pour certains métiers en tension listés dans l’annexe de l’accord de 200875. Un quota annuel de 3 500 titres est réservé76 ;
  • Les travailleurs saisonniers peuvent recevoir un titre de séjour temporaire valable trois ans, avec un maximum de six mois de travail par an. 2 500 titres sont garantis chaque année depuis 200877 ;
  • Depuis 2008, les Tunisiens qualifiés (ingénieurs, médecins, entrepreneurs) peuvent accéder à une carte « compétences et talents » de trois ans, renouvelable une fois (1 500 places par an78) ;
  • L’accord prévoit également l’admission de 1 500 jeunes professionnels par an pour des séjours allant jusqu’à 24 mois79.

Selon l’ambassade de France en Tunisie, la très grande majorité des titres de séjour économiques concernent les métiers en tension prévus par l’accord80. L’immigration tunisienne a donc une dimension plus économique que certains autres pays du Maghreb, mais qui reste minoritaire. Ainsi, en ce qui concerne les primo-titres de séjour délivrés en 2024 : la part des motifs économiques est de 35,7% pour la Tunisie, 29,5% pour le Maroc, et 9,2% pour l’Algérie81.

La délivrance des premiers titres de séjour : principales nationalités par motif en 2024.

Néanmoins, une étude de l’OCDE déplore que « la signature des accords n’a eu aucun impact sur les flux de travailleurs qualifiés venant de ces sept pays [couverts par un accord de gestion concertée et de co-développement] ; par contre, elle a permis un nombre d’entrées plus importantes de travailleurs peu qualifiés, notamment les employés dans la restauration »82.

Les résultats économiques des accords de gestion concertée et de co-développement sont donc largement en deçà des attentes, y compris pour la Tunisie :

  • Seuls 116 Tunisiens ont bénéficié du dispositif « jeunes professionnels » en 2021, pour un quota fixé à 1 500 personnes par an. Néanmoins, la Tunisie a représenté à elle seule « près de 60% du contingent total de jeunes actifs bénéficiaires des programmes jeunes professionnels entre 2015 et 2021 »83. A l’heure actuelle, ce dispositif n’est plus appliqué qu’avec la Tunisie ;
  • Seules 52 cartes « compétences et talents » ont été délivrées chaque année en moyenne à des ressortissants tunisiens depuis l’entrée en vigueur des accords, alors que le quota était également fixé à 1 500 personnes par an84 ;
  • Entre 2005 et 2014, seules 340 arrivées de travailleurs dans des métiers en tension ont été dénombrées pour l’ensemble des pays signataires après l’entrée en vigueur des accords (contre 240 avant). Toutefois, il convient de préciser que ces flux proviennent à 40% de la Tunisie85.

Selon Patrick Stefanini, représentant spécial sur l’immigration du ministre de l’Intérieur, auditionné par la commission des Lois du Sénat : si « l’objectif de dynamisation des migrations étudiantes et professionnelles a indéniablement été rempli », en revanche « l’immigration familiale n’aurait quant à elle fait que se stabiliser, et ce alors même que l’objectif initial était de la réduire »86.

En effet,certaines dispositions de l’accord précités ont également plus favorables en matière d’immigration familiale :

  • Pour les Tunisiens conjoints de Français : un titre de séjour d’une durée de 10 ans est délivré de plein droit au conjoint tunisien d’un ressortissant français marié depuis au moins un an87, contre trois ans en droit commun88. Certaines conditions doivent être respectées : la communauté de vie entre époux ne doit pas avoir cessé, le conjoint doit avoir conservé sa nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l’étranger, celui-ci doit avoir été transcrit préalablement sur les registres de l’état-civil français ; enfin, le séjour sur le territoire français doit être régulier.
  • Pour les parents tunisiens d’un enfant français : un titre de séjour d’une durée de 10 ans est délivré de plein droit au ressortissant tunisien qui est père ou mère d’un enfant français résidant en France, sans critère de durée de résidence89, alors que trois années de carte de séjour temporaire sont exigées en droit commun90. De même, certaines conditions doivent être respectées : exercer, même partiellement, l’autorité parentale à l’égard de cet enfant, ou subvenir effectivement à ses besoins, et résider régulièrement sur le territoire national.
  • Pour les Tunisiens en situation régulière depuis plus de 10 ans : un titre de séjour d’une durée de 10 ans est délivré de plein droit (sauf s’il a été pendant toute cette période titulaire d’une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant »)91. Cette disposition spécifique aux ressortissants tunisiens n’a pas d’équivalent en droit commun92.

Au total, 56 699 titres de séjour ont été délivrés pour motif familial dans le cadre de cet accord entre 2014 et 2023, dont 5 382 titres de séjour pour la seule année 202393

Tous ces dispositifs sont en théorie réciproques : les ressortissants français peuvent bénéficier de mesures similaires pour leur séjour en Tunisie ; mais les flux migratoires ne sont évidemment pas les mêmes dans les deux sens.

Enfin, après une suspension entre mars 2021 et mars 2024 (due au Covid-19 et aux tensions sur les visas), l’exécution de l’accord de 2008 a repris ; mais si celui-ci reste aujourd’hui le socle de la politique migratoire entre la France et la Tunisie, force est de constater que la France se heurte à un manque de coopération des autorités tunisiennes.

3.3 Une faible coopération des autorités tunisiennes pour le retour des ressortissants en situation irrégulière

En 2024, 13 414 Tunisiens en situation irrégulière ont été interpellés par les forces de l’ordre, ce qui place ces ressortissants en deuxième position en la matière94 et en première position des pays du Maghreb pour le nombre d’interpellés par rapport à la population ressortissante en France.95

  2020  2021  2022  2023  2024
  Tunisiens    7 064  8 219  9 624  11 795  13 414
  Algériens    16 450  25 056  32 565  31 858  33 754
  Marocains    8 712  10 219  10 077  10 705  12 956

Nombre d’interpellations d’étrangers en situation irrégulière ressortissants de pays du Maghreb par nationalité, entre 2020 et 202496

Malgré la facilitation d’un certain nombre de voies légales d’immigration, les ressortissants tunisiens représentent à l’échelle nationale la deuxième nationalité la plus interpellée en situation irrégulière sur le territoire national, avec une hausse de presque 40% (39,4%) entre 2022 et 2024, alors qu’ils ne sont que la troisième nationalité titulaire d’un titre de séjour en cours de validité.
 
Corrélativement, 1 949 Tunisiens ont été placés dans un centre de rétention administrative en 2024, ce qui en fait la deuxième nationalité la plus représentée (12,1%) derrière les Algériens (31,9%)97. A ce titre, le délai moyen de rétention des Tunisiens était de 38,6 jours, le deuxième plus long après les Algériens (41,6 jours)98 – signe du manque de coopération de Tunis.

Or, si les ressortissants tunisiens étaient la 2ème nationalité la plus interpellée pour situation irrégulière et la 2ème plus représentée dans les centres de rétention administrative en 2024, ceux-ci n’ont représenté parallèlement que la cinquième nationalité la plus éloignée du territoire national l’an dernier – malgré une hausse de 46% entre 2023 et 202499.

   2023  2024  Évolution 2023-2024  
  Tunisiens    887  1 295  +46%
  Algériens    2 562  2 999  +17,1%
  Marocains    1 104  1 658  +50,2%
  Total    4 553  5 952  +30,7%  

Nombre d’éloignements d’étrangers ressortissants de pays du Maghreb par nationalité, entre 2023 et 2024100

Ainsi, selon la Cour des comptes, il n’apparaît pas que les accords de gestion concertée et de co-développement « aient amélioré la coopération avec les pays d’origine pour l’organisation des retours de personnes en situation irrégulière ». En effet : « l’ouverture des contingents de jeunes professionnels, auxquels n’est pas opposable le droit commun des métiers en tension, devait se faire sous stricte condition de retour à l’expiration du titre de séjour, ce retour étant réputé contrôlé par les administrations du pays d’origine : devant le constat d’une carence généralisée sur ce plan, les services français admettent restreindre l’usage de ces contingents »101.
 
En effet, la coopération des autorités tunisiennes pour le retour de leurs ressortissants en situation irrégulière est particulièrement limitée : en 2023, seules 887 mesures d’éloignement ont été exécutées sur 12 006 mesures prononcées, soit un taux d’environ 7,4%102. De même, le taux de délivrance des laissez-passer consulaires dans les délais est tombé à 33,9 % à 2023, contre 43,9 % en 2022 (-10 points), illustrant une difficulté persistante malgré la relance des discussions bilatérales103.
 
À ce titre, selon le récent rapport sénatorial précité : « si certains indicateurs révèlent un frémissement […] Ces niveaux sont encore inférieurs à ceux observés avant la pandémie de la Covid-19 et le taux de délivrance des laissez-passer consulaires dans les délais utiles à l’éloignement demeure largement perfectible ». C’est pourquoi, celui-ci estime que « le lien entre un volontarisme accru en matière d’aide au développement et l’obtention d’un surcroît de coopération en matière de réadmission semble à tout le moins ténu »104.

La singularité de l’immigration tunisienne en France ne saurait occulter les défis croissants qu’elle pose en matière d’intégration, de cohésion nationale et de souveraineté. Si la Tunisie est souvent perçue comme un partenaire « modéré » dans l’espace méditerranéen, la réalité de sa diaspora en France (en très forte croissance démographique au cours des dernières années) est marquée par des difficultés manifestes d’intégration.

Dans ce contexte, le cadre juridique dérogatoire dont bénéficie l’immigration tunisienne, mis en place par l’accord franco-tunisien du 17 mars 1988 et modifié pour la dernière fois par un avenant de 2008 ne remplit pas les objectifs qui lui ont été assignés, la coopération des autorités tunisiennes n’étant pas au rendez-vous en matière de délivrance des laissez-passer consulaires. Ce constat soulève donc la question de la renégociation ou de la dénonciation de l’accord franco-tunisien précité.

Enfin, l’immigration tunisienne est symptomatique des difficultés rencontrées plus globalement dans la réalité de l’immigration issue des pays du Maghreb, notamment en termes d’intégration économique et d’assimilation à la communauté nationale.

  • Rapport d’information sénatorial n°304 du 5 février 2025 (Mme Muriel JOURDA et M. Olivier BITZ) sur les accords internationaux conclus par la France en matière migratoire
  • Daniel LEFEUVRE, Pour en finir avec la repentance coloniale, Flammarion
  • Accord-cadre franco-tunisien du 28 avril 2008
 Accord franco-tunisien du 17 mars 1988  Droit communComparatif
  Carte de séjour temporaire  
Article 7 bis et 7 ter b) Jeune majeur (ou par anticipation) entré au titre du regroupement familial, lorsque le parent est titulaire d’un titre de séjour d’un an.  Article L. 423-15 du CesedaÉquivalent au droit commun
Article 7 bis d) Tunisien résidant habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de 10 ans.Article L. 423-21 du Ceseda Conditions : obtention à la majorité uniquement, avec un seuil fixé à 13 ans.   Article L. 423-23 du Ceseda Conditions : appréciation discrétionnaire « de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d’autoriser le séjour porterait au droit au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ».  Plus favorable que le droit commun (voie autonome d’accès au séjour)
  Carte de résident  
Article 10 a) Conjoint de français Conditions : régularité du séjour, 1 an de mariage, communauté de vie continue, conjoint ayant conservé la nationalité française, le cas échéant transcription du mariage réalisé à l’étranger.  Article L. 423-6 du Ceseda Conditions : identiques, à l’exception du délai de mariage qui est porté à 3 ans.Plus favorable que le droit commun
Article 10 b) Enfant ou ascendant de français Conditions : régularité du séjour, enfant de moins de 21 ans ou à la charge de ses parents, ascendant (et son conjoint) à la charge du français.Article L. 423-11 (ascendant) et L. 423-12 (enfant) du Ceseda Conditions : identiques.Équivalent au droit commun
Article 10 c) Parent d’enfant français Conditions : régularité du séjour, exercice même partiel de l’autorité parentale ou subvention effective aux besoins de l’enfants.  Article L. 423-10 du Ceseda Conditions : identiques pour l’entretien de l’enfant, en revanche une condition de résidence de 3 ans est exigée.Plus favorable que le droit commun
Article 10 d) Titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle Conditions : régularité du séjour, taux d’incapacité permanente supérieur ou égal à 20 %.  Article L. 426-6 du Ceseda Conditions : identiques.Équivalent au droit commun
Article 10 e) Conjoint et enfants entrés via le regroupement familial Conditions : régularité du séjour et regroupant titulaire d’un titre de 10 ans.  Article L. 423-16 du Ceseda Conditions : un titre de 10 ans n’est délivré qu’à l’issue d’une résidence régulière ininterrompue de 3 ans.Plus favorable que le droit commun
Article 10 f) Résidence régulière depuis plus de 10 ans (hors statut étudiant)  Absence d’équivalence en droit commun
Article 10 g) Résidence régulière depuis plus de 5 ans, avec un titre annuel et pour motif familial (de droit commun)  Article L. 426-17 du Ceseda Conditions : 5 ans de résidence, ressources stables régulières et suffisantes, assurance maladie.Plutôt plus favorable que le droit commun
  1. Les Echos, La France va réduire drastiquement le nombre de visas accordés aux pays du Maghreb, 28/09/2021 (Lien) ↩︎
  2. INSEE, L’essentiel sur… les immigrés et les étrangers, paru le 22/05/2025 (Lien) ↩︎
  3. DGEF, Les titres de séjour, paru le 26/06/2025 (Lien) ↩︎
  4. Khalifa Chater, « Les mouvements migratoires entre la France et la Tunisie aux XIXe et XXe siècles : la dichotomie du langage ». In: Cahiers de la Méditerranée, n°54, 1, 1997. (Lien) ↩︎
  5. « La population française en Tunisie », Journal de la Société de statistique de Paris, Tome 38 (1897), pp. 434-435 (Lien) ↩︎
  6. Musée de l’Histoire de l’immigration, « L’appel aux travailleurs étrangers, coloniaux et chinois pendant la Grande Guerre » (Lien) ↩︎
  7. Aliénor Cadiot & Hugo Mulonnière, « Les travailleurs nord-africains pendant la Seconde Guerre mondiale, » Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 12/11/21 (Lien) ↩︎
  8. Frise historique analytique des mobilisations collectives des Tunisien(nes) en France – Grdr Migration-Citoyennete-Developpement 2021 (Lien) ↩︎
  9. Khalifa Chater, « Les mouvements migratoires entre la France et la Tunisie aux XIXe et XXe siècles : la dichotomie du langage », Cahiers de la Méditerranée, Année 1997, n°54, pages 37-54 (Lien) ↩︎
  10. Abderrazek Oueslati. Les Tunisiens en France, 40 ans après : nouvelle photographie et dynamique spatio-temporelle. G. Dubus et A. Oueslati. Regards sur les migrations tunisiennes, Agadir (Maroc). Editions Sud Contact, pp.13-32, 2009 (Lien) ↩︎
  11. Convention de main d’œuvre entre la France et la Tunisie du 9 août 1963 (Lien) ↩︎
  12. Accord franco-tunisien du 17 mars 1988 (Lien) ↩︎
  13. Khalifa Chater, « Les mouvements migratoires entre la France et la Tunisie aux XIXe et XXe siècles : la dichotomie du langage », Cahiers de la Méditerranée, Année 1997, n°54, pages 37-54 (Lien) ↩︎
  14. Gildas Simon, « L’émigration tunisienne en 1972 ». In: Méditerranée, deuxième série, tome 15, 4-1973. pp. 95-109 (Lien) ↩︎
  15. Gildas Simon – L’espace migratoire des Tunisiens en France (revue L’Espace géographique – 1976 p. 115 à 120) (Lien) ↩︎
  16. Conseil des Ministres du 3 juillet 1974 ↩︎
  17. Cris Beauchemin, Catherine Borrel et Corinne Régnard, « Les immigrés en France : en majorité des femmes », Population & sociétés 2013/7 N°502 (Lien) ↩︎
  18.  Ibid. ↩︎
  19. France 24, « Des milliers d’immigrés nord-africains ont débarqué sur les côtés italiennes », 29/03/2011 (Lien) ↩︎
  20. Déclaration de M. Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, sur la politique de l’immigration, à Tunis le 17 mai 2011 (Lien) ↩︎
  21. OCDE (2018), Talents à l’étranger : Une revue des émigrés tunisiens, Éditions OCDE, Paris (Lien) ↩︎
  22. INSEE, En 2023, 3,5 millions d’immigrés nés en Afrique vivent en France, paru le 29/08/2024 (Lien) ↩︎
  23. INSEE ; « L’essentiel sur… les immigrés et les étrangers – 2. Où sont nés les immigrés vivant en France ? », paru le 22/05/2025 (Lien) ↩︎
  24. DGEF, « Les titres de séjour », 26/06/2025 (Lien) ↩︎
  25. INSEE, « Origine géographique des descendants d’immigrés – Données annuelles 2023 », paru le 29/08/2024 (Lien) ↩︎
  26. Calcul OID : une clé de répartition est appliquée aux descendants d’immigrés de deuxième génération par rapport à la part des immigrés de première génération, ainsi qu’aux descendants d’immigrés de la troisième génération par rapport à la part des descendants d’immigrés de deuxième génération pour chacun des trois pays du Maghreb. Cette méthodologie comporte des limites puisqu’elle ne prend pas en compte la différenciation des flux migratoires et de la natalité de ces trois pays. Par ailleurs, les seules données disponibles concernant les descendants d’immigrés de troisième génération sont pour l’année 2019-2020 sont relatives aux moins de 60 ans. ↩︎
  27. INSEE, « En 2023, 3,5 millions d’immigrés nés en Afrique vivent en France », paru le 29/08/2024 (Lien) ↩︎
  28. Calcul OID ↩︎
  29. INSEE, « Origine géographique des descendants d’immigrés – Données annuelles 2023 », paru le 29/08/2024 (Lien) ↩︎
  30. Calcul OID : 15% des 4,8 millions de descendants d’immigrés de troisième génération de moins de 60 ans sont des descendants d’immigrés de troisième génération âgés de moins de 60 ans sont d’ascendance maghrébine, soit 720 000 personnes.
    INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés – Édition 2023 », paru le 30/03/2023 (Lien) ↩︎
  31. INSEE, « Étrangers et immigrés en 2019, Nationalités et pays de naissance détaillés – Recensement de la population », paru le 26/07/2022 (Lien) ↩︎
  32. INSEE, « En 2023, 3,5 millions d’immigrés nés en Afrique vivent en France – Séries longues », paru le 29/08/2024 (Lien) ↩︎
  33. DGEF, Les titres de séjour, paru le 26/06/2025 (Lien) ↩︎
  34. Statista, Population totale de l’Algérie de 2014 à 2028 (en millions) (Lien) / Population totale du Maroc de 2014 à 2024 (en millions) (Lien) / Population totale de la Tunisie de 2010 à 2028 (en millions) (Lien) ↩︎
  35. INSEE, « Population immigrée selon les principaux pays de naissance en 2021 – Comparaisons régionales et départementales » (Lien) ↩︎
  36. INED, « Titres de séjour par nationalité », (mise à jour : février 2025) (Lien) ↩︎
  37. DGEF, « Les titres de séjour », 26/06/2025 (Lien) ↩︎
  38. INED, « Titres de séjour par nationalité » (mise à jour : février 2025) (Lien) ↩︎
  39. Ibid. ↩︎
  40. DGEF, « Les titres de séjour », 27/07/2024 (Lien) ↩︎
  41. INSEE, « Les titres de séjour », 26/06/2025 (Lien) ↩︎
  42. Ibid. ↩︎
  43. « Étrangers et immigrés en 2019, Nationalités et pays de naissance détaillés – Recensement de la population – Immigrés par pays de naissance détaillé – Séries longues depuis 1968 », paru le 26/07/2022 (Lien)
    & INSEE, « En 2023, 3,5 millions d’immigrés nés en Afrique vivent en France – Séries longues », paru le 29/08/2024 (Lien) ↩︎
  44. F. Héran, S. Volant et G. Pison, « La France a la plus forte fécondité d’Europe. Est-ce dû aux immigrées ? ». Population & Sociétés n°568, INED, juillet 2019 (Lien) ↩︎
  45. INSEE, « Combien les femmes immigrées ont-elles d’enfants ? », 21/02/2023 (Lien) ↩︎
  46. Direction générale des étrangers en France, IM n°117, « La fécondité des femmes primo-arrivantes », 13/03/2025 (Lien) ↩︎
  47. Ibid. ↩︎
  48. Ibid. ↩︎
  49. Ibid. ↩︎
  50. Calcul OID : la part des personnes « ni en emploi, ni en études, ni à la retraite » se calcule comme suit : (chômeurs + femmes ou hommes au foyer + autres inactifs) / population totale â
    INSEE, « Étrangers – Immigrés en 2022 France entière », paru le 26/06/2025 (Lien) ↩︎
  51. INSEE, « Inactivité, chômage et emploi des immigrés et des descendants d’immigrés par origine géographique – Données annuelles 2023 », paru le 29/08/2024 (Lien) ↩︎
  52. Ibid. Le taux d’emploi rapporte le nombre de personnes en emploi à la population totale en âge actif (15-64 ans) ↩︎
  53. INSEE, « Niveau de diplôme des immigrés et des descendants d’immigrés par origine géographique – Données annuelles 2023 », paru le 29/08/2024 (Lien) ↩︎
  54. INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés – Edition 2023 », paru le 30/03/2023 (Lien) ↩︎
  55. Ministère de la Justice, « Séries statistiques des personnes placées sous main de justice », 1980-2024, p. 30 (Lien) ↩︎
  56. INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés – Conditions de logement », paru le 30/03/2023 (Lien) ↩︎
  57. Ibid. ↩︎
  58. Ibid. ↩︎
  59. INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés – Origine des conjoints des immigrés et des descendants d’immigrés, édition 2023 », paru le 30/03/2023 (Lien) ↩︎
  60. Ibid. ↩︎
  61. INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés – Rapport au pays d’émigration et pratiques transnationales », édition 2023, paru le 30/03/2023 (Lien) ↩︎
  62. INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés – Rapport au pays d’émigration et pratiques transnationales », édition 2023, paru le 30/03/2023 (Lien) ↩︎
  63. Selon les résultats définitifs diffusés par l’Instance régionale indépendante pour les élections (IRIE) le 25 octobre 2011
    Le Monde, « Tunisie : le parti islamiste Ennahda arrive en tête en France », 25/10/2011 (Lien) ↩︎
  64. Organisation internationale des migrations – Bureau de Tunisie, 6 mai 2025 (Lien) ↩︎
  65. OCDE (2018), « Talents à l’étranger : Une revue des émigrés tunisiens », Éditions OCDE, Paris, p. 13 (Lien) ↩︎
  66. Article 1er de la convention de main-d’œuvre entre la France et la Tunisie signée le 9 août 1963 (Lien) ↩︎
  67. Décret n° 92-498 du 10 juin 1992 portant publication de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne portant modification de l’accord du 31 août 1983 relatif au régime de circulation des personnes, signé à Paris le 19 décembre 1991 (Lien) ↩︎
  68. Décret n° 2003-976 du 8 octobre 2003 portant publication de l’avenant à l’accord du 17 mars 1988, tel que modifié par l’avenant du 19 décembre 1991, entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne en matière de séjour et de travail, fait à Tunis le 8 septembre 2000 (Lien) ↩︎
  69. Accord cadre relatif à la gestion concertée des migrations et au développement solidaire entre le Gouvernement de la République Française et le Gouvernement de la République Tunisienne, signé le 28 avril 2008 (Lien) ↩︎
  70. Rapport d’information n°304 sur les accords internationaux conclus par la France en matière migratoire, sénateurs Muriel Jourda et Olivier Bitz, 05/02/2025 (Lien) ↩︎
  71. Ibid. ↩︎
  72. Ibid. ↩︎
  73. Ibid. ↩︎
  74. Accord migratoire franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié (Lien) ↩︎
  75. La liste des métiers en tension figurant en annexe I de l’accord franco-tunisien comprend 77 métiers, allant du bâtiment à la banque, en passant par la restauration, l’hôtellerie, la mécanique, le travail des métaux, l’électricité, l’électronique, la maintenance, l’ingénierie, le transport, le tourisme, la logistique, l’informatique, la gestion, l’administration des entreprises, les banques, les assurances, l’agriculture, le commerce et l’enseignement… ↩︎
  76. Article 2.3.3 du Protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne (Lien) ↩︎
  77. Article 2.3.4 du Protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne (Lien) ↩︎
  78. Article 2.3.2 du Protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne (Lien) ↩︎
  79. Article 2.3.1 du Protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne (Lien) ↩︎
  80. Rapport d’information sénatorial n°304 du 5 février 2025 (Mme Muriel JOURDA et M. Olivier BITZ) sur les accords internationaux conclus par la France en matière migratoire (Lien) ↩︎
  81. DGEF, « Les titres de séjour », 26/06/2025 (Lien) ↩︎
  82. OCDE, Le recrutement des travailleurs immigrés, « Les accords relatifs à la gestion concertée des
    flux migratoires en France », 2017 (Lien) ↩︎
  83. Rapport d’information n°304 sur les accords internationaux conclus par la France en matière migratoire, sénateurs Muriel Jourda et Olivier Bitz, 05/02/2025 (Lien) ↩︎
  84. Ibid. ↩︎
  85. OCDE, Le recrutement des travailleurs immigrés, « Les accords relatifs à la gestion concertée des
    flux migratoires en France », 2017 (Lien)
    ↩︎
  86. Rapport d’information n°304 sur les accords internationaux conclus par la France en matière migratoire, sénateurs Muriel Jourda et Olivier Bitz, 05/02/2025 (Lien) ↩︎
  87. Article 10 a) de l’accord migratoire franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié (Lien) ↩︎
  88. Article 423-6 du CESEDA (Lien) ↩︎
  89. Article 10 c) de l’accord migratoire franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié (Lien) ↩︎
  90. Article L. 423-10 du CESEDA (Lien) ↩︎
  91. Article 10 f) de l’accord migratoire franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié (Lien) ↩︎
  92. Rapport d’information n°304 sur les accords internationaux conclus par la France en matière migratoire, sénateurs Muriel Jourda et Olivier Bitz, 05/02/2025 (Lien) ↩︎
  93. Ibid. ↩︎
  94. DGEF, « Lutte contre l’immigration irrégulière », 26/06/2025 (Lien) ↩︎
  95. INSEE, « Nationalités et pays de naissance détaillés – Recensement de la population », 26/07/2022 (Lien) ↩︎
  96. Rapport d’information n°304 sur les accords internationaux conclus par la France en matière migratoire, sénateurs Muriel Jourda et Olivier Bitz, 05/02/2025 (Lien)
    & DGEF, Lutte contre l’immigration irrégulière, 26/06/2025 (Lien) ↩︎
  97. Rapport commun des associations, Centres et locaux de rétention administrative, p. 14 (Lien) ↩︎
  98. Ibid. p. 21 ↩︎
  99. DGEF, « Lutte contre l’immigration irrégulière », 26/06/2025 (Lien) ↩︎
  100. DGEF, « Lutte contre l’immigration irrégulière », 26/06/2025 (Lien) ↩︎
  101. Cour des comptes, « L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères », mai 2020 (Lien) ↩︎
  102. Rapport d’information n°304 sur les accords internationaux conclus par la France en matière migratoire, sénateurs Muriel Jourda et Olivier Bitz, 05/02/2025 (Lien) ↩︎
  103. Ibid. ↩︎
  104. Ibid. ↩︎

L’aide médicale de l’État : une singularité française en Europe

1.1 L’AME : une création récente, caractérisée par un panier de soins quasiment équivalent aux nationaux et une prise en charge à 100%

Jusqu’en 1993, l’Aide médicale départementale (AMD) couvrait les soins des étrangers en situation irrégulière (et de l’ensemble des personnes les plus précaires). Par la suite, la loi du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France1, surnommée « loi Pasqua-Debré » a introduit un critère de régularité du séjour pour bénéficier des prestations de l’Assurance maladie. Dans ce contexte, l’Aide médicale de l’Etat (AME) a été créée par la loi n°99-641 du 27 juillet 19992 sous le gouvernement de Lionel Jospin, afin que les étrangers irréguliers puissent bénéficier d’un dispositif spécifique de financement des soins.

Selon un rapport de 2019 de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des finances (IGF)3, la mise en place de l’AME répondrait à trois objectifs principaux :

  • Un principe d’ordre éthique et humanitaire, visant à assurer une couverture santé à toutes les personnes présentes sur le territoire national, à soulager les souffrances et à reconnaître le statut de malade à toute personne, quel que soit son statut administratif ;
  • La mise en œuvre d’une politique de santé publique cohérente, notamment en matière de prophylaxie et de lutte contre la propagation des maladies contagieuses, dans l’intérêt général ;
  • Une meilleure maîtrise de la dépense publique, en partant du postulat que refuser l’accès aux soins primaires à certaines personnes pourrait conduire la société à devoir prendre en charge des dépenses encore plus importantes, notamment hospitalières.

Concrètement, l’AME se décompose en trois régimes distincts :

  • Une AME de droit commun4 qui s’adresse, sous certaines conditions (cf infra), aux étrangers en situation irrégulière résidant en France, et qui fait l’objet de la présente étude ;
  • L’AME dédiée aux soins urgents5, qui s’adresse aux étrangers irréguliers résidant en France sans remplir les conditions d’accès à l’AME de droit commun, ainsi qu’aux demandeurs d’asile majeurs pendant un délai de 3 mois après l’enregistrement de leur demande d’asile (ceux-ci bénéficiant ensuite de la protection universelle maladie après ce délai). Comme son nom l’indique, elle finance les soins urgents, c’est-à-dire ceux « dont l’absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de l’état de santé de la personne ou d’un enfant à naître » ;
  • Les autres formes d’AME, réunies sous l’appellation « AME humanitaire » :
    • Les soins hospitaliers dispensés à toute personne (sur décision du ministre de la Santé) qui, ne résidant pas en France, est présent sur le territoire national, et dont l’état de santé le justifie6 ;
    • L’aide médicale (en soins infirmiers et en médicaments) accordée aux étrangers (qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière) placés en garde à vue7 ;
    • L’aide médicale fournie aux personnes placées dans les centres de rétention administrative, pour les seuls soins prodigués à l’extérieur des lieux de rétention.

Deux conditions majeures sont requises pour bénéficier de l’AME de droit commun :

  • Résider en France sans titre de séjour depuis plus de 3 mois (le caractère irrégulier du séjour est vérifié depuis 2020 par la CNAM)8 ;
  • Des ressources ne dépassant pas un plafond de 10 339 euros annuels (soit environ 862 euros par mois) pour une personne seule en métropole à partir du 1er avril 2025.

L’AME de droit commun ouvre droit à la prise en charge à 100 % des soins avec dispense d’avance de frais, sans que ses bénéficiaires ne soient soumis au dispositif du médecin traitant (parcours de soins coordonnés), à quelques exceptions près concernant le panier de soins pour les bénéficiaires majeurs – en sont exclus :

  • Les cures thermales ;
  • L’assistance médicale à la procréation ;
  • Le remboursement des médicaments princeps et à service médical faible (remboursés à 15% par l’Assurance maladie).

Sont également exclus, pour les bénéficiaires majeurs et mineurs de l’AME :

  • Les frais d’hébergement et de traitement des enfants ou adolescents handicapés9 ;
  • Les frais de fonctionnement liés à l’activité sociale ou médico-sociale des établissements d’aide par le travail10 ;
  • Les frais de l’examen de prévention bucco-dentaire pour les enfants11.

Par ailleurs, une liste de 16 actes non urgents ne peuvent être pris en charge qu’après un délai de 9 mois après admission à l’AME (sauf exceptions pour les soins hospitaliers et les soins de ville, sous réserve d’un accord préalable du service médical de l’Assurance maladie)12 :

  • Libérations de nerfs superficiels à l’exception du médian au canal carpien ;
  • Libérations du médian au canal carpien ;
  • Interventions sur le cristallin avec ou sans vitrectomie ;
  • Allogreffes de cornée ;
  • Interventions sur le cristallin avec trabéculectomie ;
  • Rhinoplasties ;
  • Pose d’implants cochléaires ;
  • Interventions de reconstruction de l’oreille moyenne ;
  • Interventions pour oreilles décollées ;
  • Prothèses de genou, ;
  • Prothèses d’épaule ;
  • Prothèses de hanche pour des affections autres que des traumatismes récents ;
  • Interventions sur la hanche et le fémur sauf traumatismes récents ;
  • Interventions sur le sein pour des affections non malignes autres que les actes de biopsie et d’excision locale ;
  • Gastroplasties pour obésité ;
  • Interventions digestives autres que les gastroplasties, pour obésité.

Enfin, le dispositif 100% santé, destiné à offrir un panier d’équipements et soins audio, dentaires et optiques sans reste à charge, est exclu du régime de l’AME.

1.2 Un dispositif hors de contrôle ? Une forte hausse tendancielle du nombre de bénéficiaires et des dépenses de l’AME

La très forte hausse tendancielle du nombre de bénéficiaires de l’AME, et donc corrélativement des dépenses, pose la question de la soutenabilité de ce régime.

En effet, le nombre de bénéficiaires de l’AME « de droit commun » a triplé en moins de vingt ans (2004-2023), passant de 154 971 à 456 000 bénéficiaires13. Pour l’ensemble des dispositifs AME (droit commun, soins urgents, humanitaire), le rapport rédigé par MM. Evin et Stefanini dénombrait 466 000 bénéficiaires au total en décembre 2023 (+13% par rapport à l’an dernier).

Pour l’année 2024, selon les dernières données disponibles, un rapport de la députée Véronique Louwagie estime que le nombre total de bénéficiaires pour l’ensemble des dispositifs de l’AME était d’environ 480 00014.

Enfin, selon un rapport d’information du Sénat, 14% des bénéficiaires de l’AME seraient des personnes déboutées du droit d’asile, tandis que 5 862 bénéficiaires de l’AME seraient des individus constituant une menace pour l’ordre public15

NB : nombre de bénéficiaires de l’Aide médicale de droit commun
entre 2004 et 2023

On observe une reprise de la dynamique haussière des dépenses de l’AME depuis la fin de la crise du Covid-19 : entre 2021 et 2024, les dépenses pour les trois volets d’AME sont passées de 991 millions d’euros à 1,387 milliards d’euros, soit une progression de +40%16.

L’évolution du coût global pour les trois volets de l’AME est principalement corrélée à la hausse du nombre de ses bénéficiaires : ce coût a augmenté de 67,6% entre 2014 et 2024.

Néanmoins, cela n’explique qu’une partie de cette hausse du coût global : « depuis 2020, il est possible d’estimer que l’augmentation du nombre de bénéficiaires a entrainé une hausse de 243 millions d’euros de dépenses d’AME de droit commun, sur un total de 426,6 millions d’euros »17

Dans le cadre du PLF 2025, un montant initial de l’AME a été budgété à hauteur de 1,319 milliard d’euros (+9,2% par rapport à l’an dernier), réparti comme suit18 :

  • 1,248 milliard d’euros pour l’AME de droit commun ;
  • 70 millions d’euros pour l’AME « soins urgents » ;
  • 1 million d’euros pour les autres dispositifs.

Cependant, il convient de souligner que l’Etat ne programme pas suffisamment de crédits budgétaires pour financer les dépenses de l’AME, malgré les obligations légales qui pèsent sur lui en la matière19. Or, l’AME étant une dépense de guichet, il en résulte nécessairement une dette de l’Etat à l’égard de la Sécurité sociale. Ainsi, le décret d’annulation du 21 février 2024 ayant supprimé près de 50 millions d’euros de crédits pour l’AME, l’Etat a alors contracté une dette de 185,1 millions d’euros à l’égard de la CNAM (+969,9% par rapport à 2023)20.

Par ailleurs, la dépense annuelle moyenne des bénéficiaires de l’AME s’élève à 2 396,4 euros par personne pour l’année 2023, contre 3 658,9 euros de consommation de soins et de biens médicaux pour les résidents français sur le territoire métropolitain21.

Dans le détail, les dépenses des bénéficiaires de l’AME sont réparties comme suit22 :

  • 60,8 % de prestations hospitalières ;
  • 12,7% de produits de santé (les principaux traitements concernent la lutte contre le VIH et l’hépatite C) ;
  • 26,5% de soins de ville.

En 2010, un rapport conjoint de l’IGAS et l’IGF estimait qu’un bénéficiaire de l’AME consommait davantage de soins qu’un bénéficiaire du régime général (1 741 euros de soins par an en moyenne à cette époque, contre 1 580 euros)23 ; alors même que le premier ne cotise pas à l’Assurance maladie, contrairement au second. En effet, un quart des bénéficiaires de l’AME étant mineurs et la quasi-totalité d’entre eux étant en situation de dépendance financière (au regard du critère de ressources considéré), ces dépenses ne sont aucunement compensées par d’éventuelles contributions de la part desdits bénéficiaires.

À ce titre, alors que la loi de finances pour 2011 avait mis une place, pour les demandes déposées à compter du 1er mars 2011, une participation financière de 30 euros pour les étrangers majeurs24, cette disposition a été supprimée par la loi de finances rectificative du 31 juillet 201225.

Enfin, il est à noter qu’au-delà de l’AME, il existe 10 autres dispositifs de soins spécialement dédiés ou bénéficiant aux étrangers (en situation régulière ou irrégulière). Selon une estimation de la députée Véronique Louwagie, le coût de 6 d’entre eux, cumulé avec l’AME, atteindrait 1,78 milliards d’euros pour l’année 2022 ; soit un montant près de 50% supérieur à celui de l’AME seule26.

1.3 Consommations de l’AME : des anomalies qui accréditent l’hypothèse d’une migration pour soins

Le rapport IGF-IGAS publié le 5 novembre 2019 affirme que la « migration pour soins […] n’est clairement pas un phénomène marginal » :

  • Plus d’un quart des étrangers en situation irrégulière « citeraient les soins parmi les raisons de leur migration » ;
  • Il « existe une suspicion de migration pour soins » pour 43% des patients AME en dialyse et 25% des patients AME en chimiothérapie oncologique.

De même, ce rapport a également relevé plusieurs situations atypiques notables dans le cadre de l’AME27 :

  • Une surreprésentation des maladies du sang, des cancers, des insuffisances rénales chroniques, ou des accouchements ;
  • Un rythme de croissance des séances d’hémodialyse, de chimiothérapie et radiothérapie particulièrement élevé (plus de 10%) pour les bénéficiaires de ce dispositif ;
  • Des dépenses hospitalières moyennes par tête plus élevées chez les bénéficiaires de l’AME par rapport aux assurés sociaux de droit commun, notamment pour les maladies dues à une infection par le VIH (+991%), les transplantations d’organes (+84%) ou les affections rénales et urinaires (+23%).

De même, ce même rapport évoque une « prévalence des naissances sous le dispositif des soins urgents et vitaux » (dispositif de soins pour les étrangers irréguliers présents depuis moins de 3 mois sur le territoire national) qui « interroge et conforte les dires de soignants évoquant lors des entretiens avec la mission la possibilité d’arrivées parfois récurrentes sur le territoire pour une prise en charge obstétricale ».

Enfin, les bénéficiaires de l’AME ont bénéficié de 38 greffes d’organes en 2023, soit 0,7% du total, pour un coût global de 2 millions d’euros. En effet, seuls des critères médicaux et de résidence sont appliqués dans l’attribution des greffes28

2.1 Des bénéficiaires de l’AME parfois mieux couverts que les assurés sociaux de droit commun, sans cotisations à l’Assurance maladie

Pour les assurés sociaux de droit commun, la structure de paiement des soins, dénommée contribution à la « consommation de soins et de biens médicaux totale » (CSBM)29 est répartie comme suit :

  • 79,5% pour l’Assurance maladie ;
  • 12,4% pour les complémentaires ;
  • 7,5% de reste à charge ;
  • 0,6% pour l’État.

En d’autres termes, sur 100 euros de dépenses pour l’ensemble des ménages en France, on note :

  • 20 euros d’autofinancement si on tient compte des complémentaires (en incluant le reste à charge de 7,5 euros) ;
  • Les 80 euros restants sont la contrepartie des cotisations sociales versées à l’Assurance maladie.

Selon une étude de la DREES, le reste à charge par habitant en France s’élève en moyenne à 274 euros par an30, réparti comme suit :

  • 98 euros pour les soins ambulatoires ;
  • 61 euros pour les médicaments ;
  • 61 euros pour les dispositifs médicaux ;
  • 54 euros pour les soins hospitaliers.

Les bénéficiaires de l’AME n’ont pas de reste à charge pour un ensemble de soins, alors même qu’ils ne contribuent pas à l’Assurance maladie. Par ailleurs :

  • Les bénéficiaires de l’AME sont dispensés du paiement de certains forfaits acquittés par les assurés de droit commun (ticket modérateur et forfait patient urgences notamment). Il est à noter que si de nombreux étrangers irréguliers n’ont pas ouvert de droits à l’AME, cela ne signifie pas une absence de dépenses de santé prises en charge ; ceux-ci peuvent être soignés à l’hôpital, qui décidera ensuite de ne pas leur facturer de reste à charge – selon la politique de l’établissement ;
  • De même, les permanences d’accès aux soins de santé hospitalière (PASS)31, présentes dans tous les départements, permettent non seulement de donner des consultations médicales mais aussi des prestations paramédicales (actes infirmiers) et un accompagnement social, notamment pour demander des aides, obtenir le bénéfice de l’AME ou ouvrir des droits à l’Assurance maladie pour les personnes éligibles. Les publics cibles des PASS sont des personnes en situation de précarité, qui ont besoin de soins ambulatoires et qui ne peuvent y accéder pour diverses raisons :
    • En raison de l’absence d’une couverture sociale ou de son incomplétude ;
    • Parce qu’ils sont dans l’impossibilité d’honorer les frais du reste à charge ;
    • Pour d’autres raisons : forte désocialisation, difficultés à s’orienter dans le système de santé … On pense en particulier aux personnes allophones, aux personnes souffrant de troubles psychiques ou psychiatriques, aux personnes marginalisées et devant être accompagnées dans leur parcours de soins par la PASS, le temps nécessaire à un relai pérenne par un autre dispositif de droit commun …
    • Au vu de leur profil socio-économique et des critères de ressources pour en bénéficier, les étrangers irréguliers ont une probabilité plus forte de recourir au PASS, par rapport aux assurés sociaux de droit commun, comme en témoigne des données de l’ARS en Occitanie32 :

A l’échelle nationale, malgré l’absence de données collectées par l’Assurance maladie, l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires sociales ont pu estimer que « l’Afrique du nord et l’Afrique subsaharienne représentaient plus de deux tiers des bénéficiaires de l’AME et des soins urgents », tandis que « les Algériens sont la nationalité la plus représentée »33

  • Il convient également de souligner que le taux de remboursement de l’AME pour les bénéficiaires de ce dispositif (100% pour les bénéficiaires de ce dispositif) peut être supérieur à celui pratiqué par l’Assurance maladie pour les assurés sociaux de droit commun, notamment pour les médicaments à service médical rendu majeur ou important (65% pour les assurés sociaux) et à service médical rendu modéré et certaines préparations magistrales (30% pour les assurés sociaux) ;
  • Enfin, certains citoyens français non affiliés à la Sécurité sociale (travailleurs frontaliers, expatriés …) ne bénéficient quant à eux d’aucun dispositif national spécifique de prise en charge des soins, ce qui les expose à de graves ruptures de couverture avant d’obtenir leur réaffiliation.

2.2 Exemples concrets de différences de traitements à l’avantage des bénéficiaires de l’AME par rapport aux assurés sociaux de droit commun

Appareils auditifs de classe 1, pour un patient de plus de 20 ans34

NB : les dépassements d’honoraires du dentiste, qui peuvent être conséquents, restent à la charge du bénéficiaire de l’AME.

NB : à la différence de la CSS35, l’AME ne propose pas de forfait supplémentaire pour le remboursement des prothèses dentaires36.

Précisions :

  • La prise en charge par l’Assurance maladie des équipements d’optique étant très faible, le reste à charge peut être très important pour les bénéficiaires de l’AME, malgré un taux de remboursement affiché à 100%37 ;
  • Néanmoins, un maillage associatif important peut compléter les remboursements de l’AME, parfois avec le concours de fonds publics. Par exemple, l’association Vision Solidarité « donne accès à la santé visuelle et aux lunettes aux personnes dont la couverture sociale ne permet pas leur prise en charge ». Celle-ci affiche notamment comme partenaires publics la mairie de Paris, les conseils départementaux de l’Essonne, de Seine-Saint-Denis, du Val de Marne, du Val d’Oise, l’Assurance maladie du Val d’Oise …38

NB : ces médicaments ne doivent pas être confondus avec les médicaments à « service médical rendu faible », qui ne sont pas pris en charge à 100% par l’AME.

Il convient néanmoins de préciser que les bénéficiaires de l’AME ont généralement des revenus faibles, n’ont pas de complémentaire santé et ne sont pas éligibles au dispositif « 100% santé »39, à l’inverse des assurés de droit commun en France, qui sont pour la plupart des salariés et disposent donc d’une couverture complémentaire obligatoire.

Ce dispositif apparaît unique en Europe – comme s’accordent à le diagnostiquer les plus récentes analyses :

  • Selon Didier Leschi, directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) : « Dans l’ensemble des pays européens, au-delà de l’urgence où la vie de la personne serait en danger, un sans-papiers ne peut prétendre à la même gratuité des soins »40 ;
  • Selon la Fondapol : « Par comparaison, on voit que, dans l’ensemble des pays européens, en dehors de l’aide d’urgence, lorsque la vie de la personne est en danger, un sans-papiers ne peut prétendre à la gratuité des soins. En Allemagne et en Italie, les migrants irréguliers présents sur le sol ne peuvent pas avoir accès à la gratuité des soins, sauf urgence »41 ;
  • Selon l’IGS-IGAS, ce dispositif est « l’un des plus généreux d’Europe »42.

Une analyse détaillée des systèmes de soins dédiés aux étrangers en situation irrégulière dans différents pays européens, menée dans le cadre de cette étude et dont les résultats figurent ci-dessous, confirme ce constat du caractère singulier de l’AME en Europe43.

Pourtant, ce dispositif de financement des soins dédié aux étrangers en situation irrégulière s’inscrit dans un contexte plus global où les étrangers extra-européens présents en France sont, en moyenne, en moins bonne santé comparativement à ceux installés dans d’autres pays européens, pour tout un ensemble d’indicateurs :

  • La part des personnes nées hors UE et vivant en France qui déclarent un mauvais état de santé (12,7%) en 2024 est la plus élevée d’Europe occidentale44 ;
  • La part des étrangers extra-européens en France qui déclarent avoir des symptômes dépressifs (19,1% en 2019) est la plus élevée des pays de l’Union européenne, le double des citoyens français (10,3% la même année)45 ;
  • La part des étrangers extra-européens en France qui déclarent avoir de l’asthme (9,9%) est la plus élevée des pays de l’Union européenne46.

Parallèlement, certains citoyens français non affiliés à la Sécurité sociale (travailleurs frontaliers, expatriés …) ne bénéficient d’aucun dispositif national de financement de leurs soins. Ces derniers peuvent faire face à de graves ruptures de couverture dans l’intervalle de leur réaffiliation à la Sécurité sociale, processus particulièrement long et complexe. Ce constat soulève d’importantes questions d’équité, puisque des étrangers irréguliers sont éligibles dès leur entrée en France à un dispositif de soins urgents, dont les Français sont exclus.

Enfin, alors que ce dispositif est censé être transitoire, son taux de recours s’accroît à mesure qu’augmente la durée du séjour irrégulier sur le territoire national : « le taux de personnes couvertes passe de 24% parmi les personnes vivant en France depuis plus de 3 mois mais moins d’un an, à 65% parmi celles résidant en France depuis plus de 5 ans ». En moyenne, l’IRDES estime que 51% des étrangers irréguliers éligibles à ce dispositif y ont recours47.

3.1 Tableau : comparatif synthétique des systèmes de soins européens dédiés aux étrangers irréguliers par rapport à l’AME française

Sources :

  • Inspection générale des finances (IGF) / Inspection générale des affaires sociales (IGAS), L’Aide médicale d’Etat : diagnostics et propositions, octobre 2019
  • M. Claude Evin et M. Patrick Stefanini, Rapport sur l’Aide médicale de l’Etat, décembre 2023
  • Sénateur Vincent Delahaye, Rapport d’information n°841 fait au nom de la commission des finances sur l’Aide médicale d’Etat, 9 juillet 2025

3.2 Comparatif détaillé des systèmes de soins européens dédiés aux étrangers irréguliers

  • Transformer l’Aide médicale d’Etat (AME) en Aide médicale d’Urgence (AMU), ou faire du dispositif « soins urgents » c’est-à-dire les soins « dont l’absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de l’état de santé de la personne ou d’un enfant à naître » (article L. 254-1 du Code de l’action sociale et des familles) le nouveau régime de droit commun des bénéficiaires de l’AME.
  • Réinstaurer un droit d’entrée de 30 € annuel à destination des personnes éligibles à l’AME, afin qu’elles participent symboliquement au financement de ce dispositif.
  • A minima, réduire le panier de soins dont bénéficient les étrangers irréguliers par voie réglementaire.
  • A minima, exclure du droit à l’AME les étrangers en situation irrégulière frappés d’une mesure d’éloignement du territoire pour un motif d’ordre public, hors soins urgents (comme préconisé par le rapport Stefanini / Evin sur l’Aide médicale d’Etat).
  • A minima, subordonner la poursuite de soins chroniques et lourds à la vérification que l’étranger en situation irrégulière ne peut bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine (comme préconisé par le rapport Stefanini / Evin sur l’Aide médicale d’Etat).
  • À l’instar de la Belgique et de l’Allemagne, introduire un contrôle a priori et a posteriori des soins délivrés aux étrangers irréguliers pour responsabiliser les structures de santé et les praticiens, et également réduire les abus dénoncés par le rapport de l’IGF / IGAS du 5 novembre 2019 :
    • En amont, demander aux étrangers irréguliers de présenter un certificat médical attestant de la nécessité des soins non-urgents ;
    • En aval, sanctionner financièrement et dérembourser la structure de santé ou le praticien si le critère d’urgence n’est pas retenu a posteriori par les services de l’Assurance maladie.
  • À l’instar du Royaume-Uni, mettre en place un « garde-fou » contre le phénomène des migrations pour soins (un quart des étrangers irréguliers citeraient les soins parmi les raisons de leur migration) : rendre les soins payants s’il est établi que la personne est venue en France dans le but exclusif de les recevoir.
  • À l’instar de l’Espagne, démontrer une résidence sur le territoire national depuis 2 ans pour accéder à la liste d’attente des greffes.
  1. Loi n° 93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France
    https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000530357 ↩︎
  2. Loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle
    https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000198392/ ↩︎
  3. Inspection générale des finances (IGF) / Inspection générale des affaires sociales (IGAS), L’Aide médicale d’Etat : diagnostics et propositions, octobre 2019 p. 16
    https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/Rapports%20de%20mission/2019/2019-M-039-04_AME.pdf ↩︎
  4. Article L. 251-1 du Code de l’action sociale et des familles (CASF)
    https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041474140 ↩︎
  5. Article L. 254-1 du CASF
    https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041474149 ↩︎
  6. Article L. 251-1 du CASF
    https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041474140 ↩︎
  7. Article L. 251-1 du CASF et décret n° 2009-1026 du 25 août 2009
    https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041474140
    & https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000020996013 ↩︎
  8. Projet de loi de finances 2023, annexe PAP, Santé, p. 81
    https://www.budget.gouv.fr/themes/custom/budget/images/docu-telecharger.svg ↩︎
  9. voir le point a) du 3° de l’article L160-8 du Code de la sécurité sociale page 8 ↩︎
  10. voir le point b) du 3° de l’article L160-8 du Code de la sécurité sociale page 8 ↩︎
  11. Article L2132-2-1 du Code, de la santé publique
    https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037950139 ↩︎
  12. Site web Améli, Aide médicale de l’Etat et soins urgents
    https://www.ameli.fr/assure/remboursements/aide-medicale-etat-soins-urgents ↩︎
  13. Projet annuel de performance 2025, Annexe au projet de loi de finances pour 2025, Budget général, Mission ministérielle Santé, p. 76
    https://www2.assemblee-nationale.fr/static/17/Annexes-DL/PLF-2025/Sante.pdf ↩︎
  14. Véronique Louwagie, Rapport fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2025 (n° 324), annexe n°40 santé, 19 octobre 2024, p. 13
    https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/rapports/cion_fin/l17b0468-tiii-a40_rapport-fond.pdf ↩︎
  15. Sénateur Vincent Delahaye, Rapport d’information n°841 fait au nom de la commission des finances sur l’Aide médicale d’Etat, 9 juillet 2025 ↩︎
  16. Ibid. ↩︎
  17. Ibid. ↩︎
  18. Véronique Louwagie, Rapport fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2025 (n° 324), annexe n°40 santé, 19 octobre 2024 p. 10 ↩︎
  19. Article L. 253-2 du Code de l’action sociale et des familles ↩︎
  20. Sénateur Vincent Delahaye, Rapport d’information n°841 fait au nom de la commission des finances sur l’Aide médicale d’Etat, 9 juillet 2025 ↩︎
  21. Ibid. ↩︎
  22. Ibid. ↩︎
  23. Inspection générale des finances (IGF) / Inspection générale des affaires sociales (IGAS), Analyse de l’évolution des dépenses au titre de l’Aide médicale d’Etat, novembre 2010 p. 13
    https://igas.gouv.fr/sites/igas/files/files-spip/pdf/rm2010-162p_analyse_de_l_evolution_des_depenses_au_titre_de_l_aide_medicale_d_etat.pdf ↩︎
  24. Article 188 de la Loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011
    https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/JORFARTI000023315880/2024-06-21 ↩︎
  25. Article 41 de la Loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012
    https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000026289235 ↩︎
  26. Assemblée nationale, rapport d’information n° N° 1244 présenté par Mme Véronique Louwagie, p.36, 17 mai 2023
    https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_fin/l16b1244_rapport-information.pdf ↩︎
  27. Inspection générale des finances (IGF) / Inspection générale des affaires sociales (IGAS), L’Aide médicale d’Etat : diagnostics et propositions, octobre 2019
    https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/Rapports%20de%20mission/2019/2019-M-039-04_AME.pdf ↩︎
  28. Sénateur Vincent Delahaye, Rapport d’information n°841 fait au nom de la commission des finances sur l’Aide médicale d’Etat, 9 juillet 2025
    https://www.senat.fr/rap/r24-841/r24-8411.pdf ↩︎
  29. DREES, Les dépenses de santé en 2023, édition 2024
    https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2024-11/CNS24.pdf p. 114 ↩︎
  30. DREES, Les dépenses de santé en 2023 – Résultats des comptes de la santé – Edition 2024
    https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse-documents-de-reference/panoramas-de-la-drees/241120-Panorama-CNS24 ↩︎
  31. Instruction n° DGOS/R4/2022/101 du 12 avril 2022 relative au cahier des charges des permanences d’accès aux soins de santé hospitalières (PASS)
    https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/l_instruction_du_12_avril_2022_pass.pdf ↩︎
  32. ARS Occitanie, Activité des permanences d’accès aux soins de santé (PASS) d’Occitanie – Bilan d’activité 2022 ↩︎
  33. Inspection générale des finances (IGF) / Inspection générale des affaires sociales (IGAS), L’Aide médicale d’Etat : diagnostics et propositions, octobre 2019 ↩︎
  34. Ameli, Aides auditives : quelle prise en charge ? 26/02/2025
    https://www.ameli.fr/assure/remboursements/rembourse/soins-protheses-dentaires-optique-audition/protheses-auditives ↩︎
  35. « Mise en place le 1er novembre 2019, la complémentaire santé solidaire (CSS) est un dispositif de couverture complémentaire en faveur des personnes modestes, issu de la fusion de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et de l’aide au paiement d’une complémentaire santé (ACS) »
    https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-09/Fiche%2035%20-%20La%20compl%C3%A9mentaire%20sant%C3%A9%20solidaire%20%28CSS%29.pdf ↩︎
  36. Prévissima, Quels sont les soins couverts par l’AME ? 11/02/2025
    https://www.previssima.fr/question-pratique/quels-sont-les-soins-couverts-par-laide-medicale-detat-ame.html#aide-medicale-detat-quel-remboursement-des-soins-dentaires ↩︎
  37. Ibid. ↩︎
  38. Site internet de l’association Vision Solidarité
    https://www.visionsolidarite.org/ ↩︎
  39. « Depuis le 1er janvier 2021, 100% Santé propose à tous les Français, bénéficiant d’une complémentaire santé responsable ou de la Complémentaire santé solidaire, des soins et un large choix d’équipements en audiologie, optique et dentaire, qui sont pris en charge à 100% »
    https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/100pourcent-sante/ ↩︎
  40. Didier Leschi, Ce grand dérangement. L’immigration en face, Tracts Gallimard n°22, novembre 2020, 56 p. ↩︎
  41. Fondapol, Immigration, comment font les Etats européens, mars 2023
    https://www.fondapol.org/etude/immigration-comment-font-les-etats-europeens/ ↩︎
  42. Inspection générale des finances (IGF) / Inspection générale des affaires sociales (IGAS), L’Aide médicale d’Etat : diagnostics et propositions, octobre 2019
    https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/Rapports%20de%20mission/2019/2019-M-039-04_AME.pdf ↩︎
  43. Ibid.
    & M. Claude Evin et M. Patrick Stefanini, Rapport sur l’Aide médicale de l’Etat, décembre 2023
    https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_ame-decembre-2023.pdf ↩︎
  44. Eurostat, Self-perceived health by sex, age and groups of country of birth (dernière mise à jour : 24/07/2025)
    https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/hlth_silc_23__custom_16076338/default/table?lang=en ↩︎
  45. Eurostat, Current depressive symptoms by sex, age and country of citizenship (dernière mise à jour : 16/06/2023)
    https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/hlth_ehis_mh1c__custom_16076253/default/table?lang=en&page=time:2019 ↩︎
  46. Eurostat, Persons reporting a chronic disease, by disease, sex, age and broad group of citizenship (dernière mise à jour : 08/11/2022)
    https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/hlth_ehis_cd1c__custom_16076109/default/table?lang=en&page=time:2019 ↩︎
  47. IRDES, Le recours à l’Aide médicale de l’État des personnes en situation irrégulière en France : premiers enseignements de l’enquête Premiers pas, novembre 2019
    https://www.irdes.fr/recherche/2019/qes-245-le-recours-a-l-aide-medicale-de-l-etat-des-personnes-en-situation-irreguliere-en-france-enquete-premiers-pas.html ↩︎

L’impact de l’immigration sur l’économie française : sortir du « cercle vicieux » et prioriser l’emploi

Note méthodologique :


Pour l’OCDE, comme pour les Nations Unies, est immigrée toute « personne née dans un autre pays que celui où elle réside ». Cette définition ne tient pas compte de la nationalité de la personne. Elle diffère donc de la définition ordinairement utilisée par la statistique publique en France, telle que retenue par le Haut Conseil à l’Intégration (dissous en 2012) : « un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France ».

Lorsque les données employées dans la présente note sont issues de l’OCDE, elles reprennent évidemment les définitions employées par cette organisation.

Des personnes nées à l’étranger avec la nationalité française peuvent alors être incluses dans la catégorie « immigrés ». Cependant, au regard du profil socio-économique des expatriés français : il apparaît très probable que la soustraction des Français nés à l’étranger de cette catégorie OCDE ne ferait que renforcer le constat, ici documenté, des impacts économiques et budgétaires négatifs de l’immigration actuellement reçue en France.

L’économie française est affaiblie par trois grandes déficiences structurelles en matière d’emploi :

  1. L’insuffisance de travail qui se matérialise par un taux d’emploi faible ;
  2. Le recul de la productivité du travail ;
  3. La désindustrialisation qui résulte d’un record de prélèvements obligatoires, mais également de difficultés de recrutement pour les entreprises industrielles.

Ces trois enjeux sont cruciaux pour le redressement de l’économie française et celui des comptes publics.

Quel est l’apport de l’immigration pour remédier à ces trois déficiences ?

1.1 Le faible taux d’emploi des immigrés et des descendants d’immigrés pénalise notre croissance

Le taux d’emploi est la proportion de personnes occupant un emploi parmi celles en âge de travailler. Cet indicateur constitue un enjeu primordial, car le travail est le moteur de la croissance économique et de la prospérité d’un pays. Or, le taux d’emploi constaté en France (69 % des 15-64 ans en emploi au T2 2024) est inférieur de 5 à 13 points à celui d’autres pays voisins : Royaume Uni (74,5 %), Allemagne (77,4 %) , Suisse (80,4 %), Pays-Bas (82,5 %)1.

Notre sous-emploi a d’importantes conséquences économiques, pour trois raisons principales :
• Moins de travailleurs, c’est moins de production pour le pays et donc moins de revenus par habitant ;
• Moins de production, c’est moins de recettes fiscales et sociales pour l’Etat et donc des impôts plus élevés pour ceux qui produisent. Ils sont davantage taxés pour compenser cette perte de recettes et financer le fonctionnement de l’Etat ;• Moins de travailleurs, c’est également plus de chômeurs et d’inactifs qu’il faut aider pour leur permettre de vivre, avec encore une fois une redistribution financée par les impôts de ceux qui produisent.

L’immigration est régulièrement évoquée comme une solution pour pallier les pénuries de main d’œuvre, augmenter la croissance et ainsi rétablir nos comptes publics. Qu’en est-il exactement ?

Malheureusement, la France se caractérise par le 2ème plus faible taux d’emploi des immigrés en Europe2 :

  Pays  Taux d’emploi des immigrés en 2023  
  Belgique    61,4%
  France    62,4%
  Grèce    62,5%
  Moyenne OCDE    71,8%
  Moyenne UE 27    67,5%

Les immigrés en âge de travailler sont beaucoup moins en emploi en France que les natifs (62,4% contre 69,5%) soit un écart de 7,1 points3.

De même, selon l’INSEE, 1,74 million d’immigrés stricto sensu – nés étrangers à l’étranger – n’étaient ni en emploi, ni en études ni en retraite en France en 2021. Ce nombre représentait 27% de la population immigrée de « première génération » âgée de 15 ans et plus, soit plus du double du taux observé dans la population non-immigrée (13%)4.

Si l’on choisit de retenir plutôt le critère de la nationalité, le constat apparaît encore plus marqué : 30,5% des étrangers de plus de 15 ans n’étaient ni en emploi, ni en études, ni en retraite la même année 2021, contre 13% des Français. 1,27 million de ressortissants étrangers se trouvaient ainsi dans le spectre du chômage ou de l’inactivité sur le territoire national5.

L’immigration n’améliore donc pas le taux d’emploi défaillant de la France, mais au contraire le dégrade fortement. Dans d’autres pays, à l’inverse du nôtre, on identifie une amélioration du taux d’emploi grâce à l’immigration – avec des immigrés qui sont, en moyenne, davantage en emploi que les natifs :

  Pays  Écarts des taux d’emploi entre immigrés et personnes nées dans le pays (2023)  
  Luxembourg    +10,5 points
  Slovaquie    +6,6 points
  Portugal    +4,7 points
  Irlande    +4,2 points
  Etats-Unis    +3,1 points

Dans 18 des 35 pays de l’OCDE et 13 des 27 pays européens, le taux d’emploi des immigrés est supérieur à celui des natifs, mais quand on pondère par la population, leur taux d’emploi s’avère inférieur de -0,6 point pour l’ensemble de l’OCDE et de -3,4 points pour l’Union européenne6.
L’enquête emploi INSEE 20237 permet d’approfondir l‘analyse en distinguant :

  Origine migratoire    Taux d’emploi en 2023
  Personnes sans ascendance migratoire    70,7%
  Immigrés (1ère génération)    62,5%
  Descendants d’immigrés (2ème génération)    59,7%
  Ensemble de la population    68,4%

Le faible taux d’emploi concerne une part importante de la population d’origine immigrée sur deux générations, laquelle représente 22,7 % de la population de la France selon l’INSEE8 (les immigrés représentant 10,6% de la population générale, et les descendants d’immigrés de deuxième génération 12,1 %). Le fait que le taux d’emploi des descendants d’immigrés soit inférieur à celui de leurs parents témoigne des échecs du processus d’intégration ; il indique que l’immigration a un effet négatif durable sur le taux d’emploi et, par contrecoup, sur l’économie du pays.

La part des jeunes nés en France de parents immigrés qui n’étaient ni en emploi, ni en scolarité, ni en formation, était de 24% pour les années 2020-2021 selon les données OCDE. Il s’agissait du 2ème taux le plus élevé d’Europe et du monde occidental, derrière la seule Belgique9.

Enfin, si l’on tient compte de la nationalité et non de l’origine géographique : à peine la moitié (56,2%) des étrangers extra-européens en âge actif occupaient un emploi en 2024, soit un taux inférieur de 14 points à celui des citoyens français (69,9%), mais aussi de 22 points à celui des étrangers extra-européens en Irlande, 15 points de moins qu’au Danemark ou 5 points de moins qu’en Italie10.

1.2 L’immigration tend à réduire la productivité du travail

La productivité apparente du travail en France, mesurée comme le rapport du PIB à l’emploi exprimé en personnes physiques, a reculé de 3,5 % entre 2019 et 202311 alors qu’elle progressait de +0,5 à +0,6 % en moyenne par an entre 2011 et 2019. En comparant le niveau de la productivité en 2023 à son niveau tendanciel, c’est-à-dire celui qui aurait été atteint si le ratio avait évolué depuis 2020 au rythme annuel moyen observé entre 2011 et 2019, le déficit de productivité est donc de l’ordre de 5,5 points12.

Or, à long terme, l’évolution du niveau de vie mesurée par le PIB/habitant reflète avant tout celle de la productivité par tête (PIB/emploi), outre celle du taux d’emploi par habitant que nous avons analysée précédemment. Un recul de la productivité se traduit donc par une baisse des salaires réels et/ou une baisse des profits des entreprises – c’est ce que l’on observe aujourd’hui en France. Le recul de la productivité joue un rôle sous-estimé dans la crise budgétaire actuelle, car il entraine de moindres rentrées d’impôts sur les personnes et les entreprises.

Les principaux ressorts de la productivité résident dans le niveau de qualification et d’expertise des travailleurs ainsi que dans la dynamique d’innovation, et ce sera probablement encore plus le cas demain avec la révolution de l’intelligence artificielle.

Quel est l’apport de l’immigration pour agir sur ces leviers ?

Les données disponibles ne permettent pas de quantifier l’impact de l’immigration sur la productivité du travail, mais plusieurs indicateurs montrent qu’elle la dégrade.

L’immigration pèse sur la productivité par un niveau de qualification (mesuré par le diplôme) très inférieur à celui des natifs : 31 % des immigrés âgés de 30 à 39 ans ne possèdent aucun diplôme, contre 10 % pour les personnes sans ascendance migratoire13 – et la proportion s’avère encore plus élevée pour les personnes plus âgées. La diplomation progresse chez les descendants d’immigrés, tout en restant inférieure à celle des personnes sans ascendance migratoire :

Par ailleurs, alors même que la France accueille un nombre important d’étudiants internationaux, les immigrés qu’elle attire s’engagent moins fréquemment dans des parcours propices à l’innovation, notamment dans le domaine des nouvelles technologies. La France apparaît ainsi loin derrière les États-Unis, le Canada, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni, avec moins de 10 % de propriétaires de brevet d’origine étrangère entre 2011 et 201514 :

De la même façon, les immigrés contribuent un peu moins à la dynamique entrepreneuriale que les natifs en France lorsqu’on considère « l’entrepreneuriat par choix »15 , c’est-à-dire ceux qui sont porteurs d’un projet entrepreneurial :

Dans quelques pays (Pays-Bas, États-Unis, Portugal, Espagne), les immigrés sont porteurs d’une dynamique d’entreprenariat choisi légèrement meilleure que les non-immigrés.

« Si la France avait eu la même évolution de la productivité que l’ensemble de la zone euro et si la France avait le taux d’emploi des pays de la zone euro où le taux d’emploi est élevé, le niveau du PIB de la France serait supérieur de 15,3 % à celui d’aujourd’hui, et le déficit public serait inférieur en France de 8,3 points de PIB. C’est-à-dire que la France aurait un excédent budgétaire et le revenu des Français serait en moyenne supérieur de 15%. » Natixis (Flash Economie 23 novembre 2023 n° 675).
Dans sa forme actuelle, l’immigration nous éloigne de ce double objectif d’amélioration du taux d’emploi et de la productivité, qui devrait être au cœur des politiques publiques.

1.3 L’immigration ne résout pas les difficultés de recrutement de l’industrie

La réindustrialisation du pays est indispensable pour trois raisons :
● Pour équilibrer notre balance commerciale et notre balance des paiements, dont le déficit nous oblige à nous endetter tout simplement pour le financer ;
● L’industrie est le plus important pourvoyeur de gains de productivité, dans un contexte où le recul de la productivité mine notre croissance et le pouvoir d’achat. Elle crée des emplois qualifiés bien rémunérés qui irriguent les territoires et qui ne nécessitent pas d’être complétés par des aides ;
● L’industrie est le meilleur pourvoyeur de recettes fiscales et sociales grâce à sa plus forte valeur ajoutée et grâce à ses effets d’entrainements : un emploi industriel crée 1,3 emploi en moyenne dans le reste de l’économie.

Si nous revenions au même niveau d’industrialisation que la moyenne européenne (15 % du PIB contre 10 % pour la France)16, nous aurions un million d’emplois industriels supplémentaires (4,3 millions d’emplois au lieu de 3,3), qui créeraient par ailleurs 1,3 million d’emplois dans le reste de l’économie (coefficient multiplicateur de 1,3) et entraineraient un supplément de recettes publiques de 100 milliards d’euros par an. Nos problèmes budgétaires (et de pouvoir d’achat) seraient largement résolus. Il ne peut y avoir de redressement des finances publiques sans redressement productif.

Or, 62% des dirigeants de PME-ETI industrielles déclarent rencontrer des difficultés régulières de recrutement, et pour 64% d’entre eux, elles sont structurelles17.

Pourtant, malgré les difficultés de recrutement, l’industrie figure parmi les secteurs accueillant le moins de main d’œuvre étrangère (6%), loin derrière la construction (13 % d’effectifs étrangers)18. Seuls 32 % des dirigeants d’entreprises industrielles estiment qu’il faudrait plus d’immigration professionnelle19.

Ce moindre recours à la main d’œuvre étrangère est logique. Ne subsistent, en France du fait de leur surtaxation et des charges sociales record, que les industries à haute valeur ajoutée demandant des qualifications élevées, qui ne correspondent pas aux qualifications des immigrés en général. Les industries à faible valeur ajoutée ont été grandement délocalisées. Les PME et ETI industrielles ont particulièrement besoin de recruter des ouvriers qualifiés et des techniciens (cités respectivement par 74 % et 42 % des dirigeants industriels20). Ce besoin devrait encore s’accroitre, compte tenu des évolutions technologiques.

L’immigration dans sa forme actuelle ne constitue pas un levier de réindustrialisation.

Si les immigrés et les descendants d’immigrés étaient autant en emploi que les personnes sans ascendance migratoire :
• Le taux d’emploi en France serait celui des personnes sans ascendance migratoire soit 70,7 % au lieu de 68,4 % actuellement, soit une augmentation de 3,36%.
• Grâce à ce taux d’emploi plus élevé de 3,36%, le PIB français se serait élevé en 2024 à 3015 milliards d’euros au lieu de 2917 milliards d’euros21, soit une augmentation de 98 milliards d’euros.
• Les comptes publics 2024 auraient bénéficié d’un apport supplémentaire de 45 milliards d’euros22, ce qui aurait réduit notre déficit public de 1,5 point de PIB.

Le moindre taux d’emploi des immigrés et descendants d’immigrés représente une perte de PIB de 3,4 % et une perte de recettes fiscales et sociales de 1,5 points de PIB.

Cette évaluation du déficit de contribution de l’immigration est un minorant car elle ne tient pas compte de la moindre qualification des immigrés.
Ces chiffres sont cohérents avec le ratio budgétaire total calculé par l’OCDE23 qui mesure le rapport entre les recettes publiques versées par les immigrés et les dépenses publiques qui leur sont consacrées (voir données complètes en annexe 1).
En France, les recettes budgétaires apportées par les immigrés ne financent que 86 % des dépenses publiques qui leur sont affectées, alors que l’immigration est, par exemple, particulièrement bénéfique pour le budget du Portugal avec un ratio de 140 % :

  Pays  Ratio budgétaire total immigration : recettes / dépenses publiques (2017)  
  Portugal    140%
  Grande Bretagne    127%
  République Tchèque    126%
  Italie    124%
  France    86%

Au sein de l’OCDE, seules l’Estonie et la Lituanie présentent de plus mauvais ratios budgétaires que la France.

Le taux de pauvreté relative (calculé par rapport au salaire médian de chaque pays) des étrangers extra-européens en France était de 47,6% en 2020, contre 11,5% pour les citoyens français, soit un taux quatre fois supérieur et un écart record de 36 points. Il est le plus élevé d’Europe pour les étrangers hors-UE, à égalité avec l’Espagne24. De même, selon l’INSEE : 51% des bénéficiaires de l’aide alimentaire sont des immigrés25, soit une part 5 fois supérieure à celle des immigrés dans la population générale.

Corrélativement, en écartant les prestations de retraite (corrélées à l’âge) et les allocations chômage (qui concernent plus fortement les immigrés mais résultent d’une cotisation préalable) : les immigrés perçoivent un montant moyen annuel de prestations sociales deux fois supérieur à celui des personnes sans ascendance migratoire (2 380 euros contre 1 200 euros en 2019), voire près de trois fois supérieur pour les immigrés originaires d’Afrique (3 130 euros). Cet écart persiste à la deuxième génération, puisque le montant moyen de prestations sociales perçu par les descendants d’immigrés est encore de 2 300 euros par an26.

Par ailleurs, 35% des immigrés âgés de 18 à 59 ans occupaient un logement social en 2019-2020, contre 11% des individus sans ascendance migratoire, cette moyenne recouvrant de fortes disparités selon l’origine (57% des immigrés originaires d’Afrique sahélienne, 52% des immigrés originaires de pays d’Afrique guinéenne ou centrale, 49% des immigrés algériens)27.

En France, l’immigration dégrade les comptes publics et réduit le pouvoir d’achat des natifs, ces derniers devant être davantage imposés pour compenser ce déficit contributif.

En France, ce sont les secteurs abrités de la concurrence internationale28 qui recourent le plus à la main d’œuvre immigrée faiblement qualifiée et qui militent pour cette solution :

Les secteurs économiques abrités produisent pour satisfaire exclusivement la demande intérieure (par exemple services à la personne, sécurité, construction, travaux publics). Les secteurs exposés produisent des biens et des services pouvant être produits dans un pays et consommés dans un autre (automobile). Le secteur du tourisme est partiellement exposé, car les consommateurs étrangers peuvent opter pour d’autres destinations.

L’immigration apparait comme une solution pour certains secteurs ou certaines entreprises du secteur abrité au niveau micro, mais elle pénalise l’ensemble de l’économie au niveau macro : son déficit contributif, entrainé par son faible taux d’emploi, nécessite une hausse globale des prélèvements sur l’ensemble de l’économie pour le compenser.

Les secteurs abrités sont indifférents au poids de ces contributions car ils ne sont pas confrontés à la concurrence internationale. Au contraire, les secteurs en concurrence sont frappés de plein fouet par cette surimposition. L’immigration amplifie ainsi le biais fondamental du système fiscalo-redistributif français, qui opère des transferts financiers massifs des activités et des emplois à haute valeur ajoutée vers les secteurs et les emplois à faible valeur ajoutée, et des secteurs exposés à la concurrence internationale (ceux dont nous avons le plus besoin) vers les secteurs qui en sont protégés. En effet, nous avons d’un côté, des records d’impôts de production, d’imposition et de sur-cotisations sur les hauts salaires ; et de l’autre côté des records d’aides sociales et d’exonérations de charge sur les bas salaires.

Deux secteurs tirent un double bénéfice de l’immigration, avec, en plus d’un accès facilité à une main d’œuvre peu qualifiée, une augmentation de leur activité générée par l’immigration.

C’est d’abord le cas de la construction : plus d’immigration induit pour ce secteur plus d’activité, car il faut construire des logements et des infrastructures pour cette nouvelle population.

     % de l’activité dans la valeur ajoutée nationale29
  Secteur    2000  2021
  Construction    4,8%  5,7%
  Industrie    18,8%  12,5%

C’est également le cas de la sécurité privée, qui est l’un des secteurs faisant le plus appel à l’immigration (28 % des salariés30) et connaît un développement fulgurant : 130 000 emplois en 2010, 180 000 en 202331. On peut estimer qu’il bénéficie d’un besoin accru de protection découlant de l’accroissement de l’immigration depuis le début des années 2000. On observe en effet une surreprésentation des étrangers dans les statistiques sur la délinquance. En 2024, les étrangers (qui comptaient pour 8,2% de la population) ont été mis en cause dans 38 % des cambriolages, 30% des vols violents sans armes, 22 % des vols avec armes, 18 % des homicides32.

L’immigration bénéficie ainsi aux secteurs abrités de la concurrence internationale (en particulier dans la construction et la sécurité) et pénalise indirectement les secteurs exposés comme l’industrie par leur surimposition (induite par le plus faible taux d’emploi des immigrés), alors que nous avons un besoin absolu de les relancer pour redresser nos finances.

En cela, elle amplifie le mal français caractérisé par l’insuffisance de production de biens et services exportables – alimentant notre déficit de la balance des paiements.

Dans sa forme actuelle, l’immigration présente donc des effets contradictoires sur notre économie. D’une part, elle contribue à résoudre des pénuries de travail sectorielles dans les secteurs abrités ; de l’autre part, elle dégrade globalement le taux d’emploi du pays au niveau macro et accentue ainsi le déséquilibre de nos finances publiques, ainsi que notre déficit de production de biens et services exportables. Elle ne cause pas, mais accentue les principaux maux de l’économie française.

Plusieurs réformes permettraient de moins et mieux recourir à l’immigration.

4.1 Réorienter notre politique de diplomation vers la réalité des besoins de l’économie

La France a mis en place une politique du « droit aux études », menée depuis près de 40 ans, devenue « droit aux études supérieures » au fil du temps, En 2023, la proportion de bacheliers dans une génération s’est élevée à 79,6 % et, en moyenne entre 2019 et 2021, 52 % des jeunes sortants de formation initiale sont diplômés de l’enseignement supérieur. Les jeunes générations sont ainsi de plus en plus diplômées, mais les postes de travail qualifiés, notamment de cadres supérieurs, ne se développent pas suffisamment pour absorber le flux de diplômés. En 2021, 96 000 français de moins de 30 ans ont obtenu un master à l’université33. Au sein de ces derniers, 27,4 % ont poursuivi ou repris des études en France dans les deux années suivantes34. Parmi ceux entrés dans la vie active, 78,1 % occupent un emploi salarié en France 18 mois après la fin de leur cursus35. Ce taux d’emploi semble élevé, mais si l’on considère que le master a une finalité professionnelle, le taux d’emploi réel des diplômés en sortie de Master est de 57 % (diplômés en emploi / nombre de diplômés), soit beaucoup moins que le taux d’emploi moyen.

Les diplômés de master finissent par trouver un emploi, mais en acceptant souvent des postes habituellement attribués à des personnes moins qualifiées. Un phénomène de file d’attente se forme ainsi, où les moins qualifiés sont repoussés vers le bas. Les bac+5 prennent la place des bac+3, qui prennent la place des bacheliers …

De plus, notre enseignement supérieur prépare beaucoup à des postes « administratifs » au sens large du terme, comme en atteste une étude de l’OCDE36 :

     Destination des diplômés de l’enseignement supérieur en 2021  
  Domaine    France  Allemagne
  Commerce, administration, droit, social, santé    46%  34%
  Sciences, techniques, mathématiques    24%  35%

Cette politique de diplomation « administrative » est en ligne avec le modèle économique que nous avons mis en place après les chocs pétroliers de 1973 et 1979 (le dernier budget à l’équilibre date de 1974). Nous avons sacrifié notre industrie, en lui faisant « payer la facture » des chocs pétroliers par une augmentation massive des impôts à la production pour sauvegarder le pouvoir d’achat des Français. La désindustrialisation qui en a résulté a amené à créer de l’emploi public (qualifié d’amortisseur social), en remplacement des emplois industriels perdus dans les territoires :

  Effectifs    1975  2019  Évolution  Évolution %
  Fonction publique État    2 423 000  2 507 000  + 84 000  + 3,4%
  Fonction publique territoriale    959 000  1 968 000  + 1 009 000  + 105%
  Fonction publique hospitalière    600 000  1 153 000  + 553 000  + 92%
  Industrie    5 928 000  2 315 000  – 2 613 000  – 44%
Source : Fondation Concorde, Débureaucratiser pour réduire la dépense publique et relancer la croissance37

Cette politique est surtout en très fort décalage avec la réalité des besoins de l’économie. Par exemple, les diplômes supérieurs ne préparent qu’à un seul des métiers (animateur socioculturel) figurant dans le top 10 des professions les plus recherchées de France Travail38 :

Plus de 90 % des emplois pour les métiers des 10 emplois les plus recherchés ne nécessitent pas de diplômes supérieurs. Or, notre politique de forte diplomation (soit 52 % d’une génération) :
• Produit trop de qualifications administratives et sociales, aboutissant en réalité à un taux d’emploi médiocre des diplômés et à un prolongement des études, avec des perspectives d’emploi incertaines – et mène souvent à la déqualification des emplois occupés ;
• Ne satisfait pas les besoins en qualifications scientifiques (ingénieurs, mathématiques) qui sont à la base du progrès et de la croissance d’un pays ;
• Ne satisfait pas les besoins en qualifications supérieures dans le secteur de la santé (médecins, infirmiers) ;
• Crée une forte inadéquation entre réalité des besoins en emplois et formations, qui ne peut se résoudre que par le recours à la main d’œuvre immigrée. En effet, cette politique de diplomation détourne des emplois à faible qualification en les dévalorisant et crée une immense frustration, dangereuse pour les équilibres politiques et sociaux. Qui est en effet prêt à occuper un emploi de chauffeur routier avec un diplôme supérieur ? Alors que cet emploi est tout aussi utile à la société qu’un autre.

Cette inadéquation entre des diplômes élevés à vocation juridique, administrative, sociale et la réalité des besoins en emploi de l’économie est une des causes du faible taux d’emploi en France. D’un côté, il entraine un taux d’emploi médiocre des diplômés (en 2024, 10% des personnes actives ayant un diplôme de niveau bac + 2 ou plus et ayant achevé leur formation initiale depuis 1 à 4 ans sont au chômage) ; de l’autre côté, il faut recourir à l’immigration pour pourvoir des emplois dans les secteurs dont se détournent les Français sans ascendance migratoire trop diplômés, alors qu’au niveau macroéconomique l’immigration réduit encore davantage le taux d’emploi. C’est un véritable cercle vicieux qui s’est ainsi mis en place.

On observe ainsi une forme « d’apartheid » de l’emploi en France39 :

• L’on compte globalement peu de salariés étrangers dans les secteurs ouverts à la concurrence internationale (moins que dans les autres pays développés) ;
• Dans les secteurs abrités, la situation est plus contrastée : les postes peu qualifiés dans le BTP, le commerce, le transport sont souvent occupés par des étrangers ; les postes à statut dans l’administration sont plutôt occupés par des Français (près de 35 % de ces derniers sont ainsi employés dans l’administration, l’enseignement, la santé ou l’action sociale).

Pour rompre ce cercle vicieux nous proposons plusieurs priorités concernant les études supérieures :
• Acter l’échec du droit aux études supérieures ;
• Réintroduire de la sélectivité en réhaussant le niveau d’exigences pour l’obtention du baccalauréat : le taux de réussite au baccalauréat général était de 95,7 % en 202340, contre 63,9 % en 198041. Il doit redevenir une garantie d’un niveau suffisant pour entreprendre des études supérieures. Cela permettrait de réorienter les élèves vers les filières courtes préparant à la réalité du marché du travail ;
• Réduire le poids des filières universitaires sans débouchés ;
• Symétriquement, renforcer les enseignements scientifiques à l’université. Nous ne formons actuellement que 48 000 ingénieurs par an42 alors que l’économie française en a besoin de 58 000 à 60 000 supplémentaires43 ;
• Restreindre l’accueil des étudiants étrangers aux filières scientifiques après évaluation de leur niveau. Nous formons actuellement beaucoup les étudiants étrangers (17 % des étudiants en Master chaque année44) aux filières administratives, ce qui ne rend pas forcément service à leur pays quand ils y rentrent et ne rend pas service à la France lorsqu’ils restent sur le territoire français.

4.2 Réformer fondamentalement le lycée professionnel qui est en échec

Alors que les lycées professionnels devraient représenter la « voie royale » pour former les élèves à la réalité des besoins des entreprises, leurs taux d’insertion professionnelle sont beaucoup plus faibles que ceux des centres d’apprentissage45. Leur inefficacité, dans leur forme actuelle, est sanctionnée par un constat sans appel : au-delà de leurs faibles taux d’insertion professionnelle, ils n’apportent aucune plus-value sous la forme d’un gain financier en salaires à leurs élèves46 alors que la France bénéficie d’un des meilleurs taux d’encadrement de l’OCDE avec un enseignant pour 8 élèves47. C’est-à-dire qu’un enfant qui ne fait pas d’études aura les mêmes revenus de travail qu’un enfant qui suit le cursus d’un lycée professionnel. Nous sommes le seul pays de l’OCDE avec la Finlande dans cette situation48.
La première cause de cet échec de grande ampleur réside dans l’inadéquation des formations professionnelles proposées par l’Education nationale avec les besoins des entreprises. L’Education nationale offre les formations en fonction des profils de compétence de son réservoir de professeurs et non pas en fonction des besoins des entreprises.

C’est un terrible gaspillage humain, car un élève bien formé dans une filière professionnelle peut trouver un bon emploi, souvent mieux rémunéré que ce que peut obtenir un « mauvais » master, comme en témoigne la réussite des élèves qui suivent un parcours d’apprentissage.

Nos propositions :
• Basculer le plus possible l’enseignement professionnel vers l’apprentissage et les écoles de production qui s’adressent aux jeunes déscolarisés ;
• Supprimer les filières d’enseignements professionnels sans débouchés ;
• Confier les lycées professionnels aux collectivités locales en cogestion avec les chambres de commerce et d’industrie, de façon à déployer les formations répondant aux besoins des bassins d’emploi.
Ces mesures augmenteraient considérablement les chances des jeunes de s’insérer dans l’emploi, tout en réduisant les dépenses d’éducation. Mais surtout, l’effet de levier sur les recettes de l’Etat serait considérable. Si l’on obtenait à terme, grâce à ces réformes, 500 000 personnes de plus en emploi : les recettes fiscales et sociales de l’Etat augmenteraient de 20 milliards d’euros et feraient baisser notre déficit de 0,7 % du PIB.

4.3 Redresser le taux d’emploi de l’immigration en réformant notre système social

Comme nous l’avons constaté, le taux d’emploi des immigrés (62,4 %) est particulièrement faible en France comparativement à d’autres pays49. Les comparaisons internationales permettent de prendre conscience de la désincitation au travail du système social français, qui concerne aussi bien les natifs que les immigrés, et de l’ampleur du chemin à parcourir50 :

  Pays  Taux d’emploi des immigrés  Taux d’emploi des natifs  
  France    62,4%  69,5%
  Pays-Bas    71,6%  84,7%
  Suisse    77%  82,5%

Le taux d’emploi des immigrés en Suisse et aux Pays-Bas est inférieur à celui des natifs de ces pays mais est supérieur au taux d’emploi des natifs français.

Grâce notamment à ces taux d’emplois plus élevés, les finances de ces pays sont quasiment à l’équilibre et le revenu de leurs habitants est très supérieur à celui des Français : plus du double pour les Suisses, 44 % supérieur pour les Néerlandais.51

Différer de 3 ans le bénéfice des prestations sociales non contributives (RSA, allocation logement, allocations familiales, minimum vieillesse, prime d’activité c’est-à-dire sans contrepartie de cotisations sur le travail) permettrait d’inciter au travail et de redresser fortement le taux d’emploi des immigrés. La proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales, déposée le 3 février 2025 devant le Sénat, vise à conditionner le versement des prestation sociales non contributives à une durée de résidence d’au moins deux ans sur le territoire français. Elle fait suite à une décision rendue le 11 avril 2024 par le Conseil constitutionnel, qui avait censuré un délai de carence de 5 ans en la matière.

Symétriquement, il pourrait être envisagé de mettre en place une allocation sociale unique significativement inférieure au SMIC afin de redresser le taux d’emploi des natifs.

4.4 Intégrer le critère de taux d’emploi dans la politique d’octroi des visas

Source : Inactivité, chômage et emploi des immigrés et descendants d’immigrés – Données annuelles INSEE 202352

Intégrer ce critère devrait amener des politiques beaucoup plus restrictives et sélectives pour les pays dont le taux d’emploi des ressortissants en France est inférieur à 60%. Comme nous l’avons exprimé précédemment, il faut en particulier recentrer les visas et les titres de séjour pour études sur les filières scientifiques.

Cette politique contribue à la réussite technologique des États-Unis :

  1. OCDE, communiqué de presse  « Situation du marché du travail », 15 octobre 2024 :
    https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/data/perspectives/publications-statistiques/2024/10/labour-market-situation-oecd-10-2024-Fr.pdf ↩︎
  2. OCDE, « Perspectives des migrations internationales 2024 », page 63 :
    https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/publications/reports/2024/11/international-migration-outlook-2024_c6f3e803/4fa9de98-fr.pdf ↩︎
  3. Idem ↩︎
  4. Calcul OID à partir du fichier de recensement IMG2A (INSEE) pour l’année 2021, paru le 27/06/2024 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8202714 ↩︎
  5. Calcul OID à partir du fichier de recensement NAT2 (INSEE) pour l’année 2021, paru le 27/06/2021 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8202752 ↩︎
  6. OCDE, « Perspectives des migrations internationales 2024 » page 63 :
    https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/publications/reports/2024/11/international-migration-outlook-2024_c6f3e803/4fa9de98-fr.pdf ↩︎
  7. INSEE, « Inactivité, chômage et emploi des immigrés et descendants d’immigrés », Données annuelles 2023 :
    https://www.insee.fr/fr/statistiques/4195420 ↩︎
  8. INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés », paru le 21/11/2024 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8242329?sommaire=8242421 ↩︎
  9. OCDE « Les indicateurs de l’intégration des immigrés 2023 », parution du 15/06/2023, chapitre 7.12 :
    https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/publications/reports/2023/06/indicators-of-immigrant-integration-2023_70d202c4/d5253a21-fr.pdf ↩︎
  10. Eurostat, « Taux d’emploi par sexe, âge et nationalité », mise à jour du 14/04/2025 : https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/lfsa_ergan__custom_16959174/default/table?lang=fr ↩︎
  11. Le blog de l’INSEE, « À la recherche des gains de productivité perdus depuis la crise sanitaire, 19/07/2024 :
    https://blog.insee.fr/la-productivite-du-travail-fr-depuis-la-crise-sanitaire/ ↩︎
  12. Idem ↩︎
  13.  INSEE, « Activité, emploi et chômage en 2021 » – Enquête emploi en continu – Fichier détail, 18/11/2022 :
    https://www.insee.fr/fr/statistiques/6654604 ↩︎
  14. « L’immigration qualifiée : un visa pour la croissance ». Note du conseil économique et social numéro 67, 2021 : https://www.cae-eco.fr/limmigration-qualifiee-un-visa-pour-la-croissance ↩︎
  15. EFT-UE 2017-19 ; CPS 2017-19 ; Australie, Participation, Job Search and Mobility 2017-19 ↩︎
  16. Fondation Concorde, « Débureaucratiser pour réduire la dépense publique et relancer la croissance », 15/10/2024 :
    https://www.fondationconcorde.com/etudes/debureaucratiser-pour-reduire-la-depense-publique-et-relancer-la-croissance/ ↩︎
  17. BPI France, « Les collaborateurs étrangers dans les PME et ETI industrielles, une des réponses aux difficultés de recrutement », 19/06/2023 :
    https://lelab.bpifrance.fr/Etudes/les-collaborateurs-etrangers-dans-les-pme-et-eti-industrielles-une-des-reponses-aux-difficultes-de-recrutement ↩︎
  18. Idem ↩︎
  19. Idem ↩︎
  20. Idem ↩︎
  21. Ministère de l’Economie et des Finances, « Quel est le PIB de la France ? » :
    https://www.economie.gouv.fr/cedef/fiches-pratiques/quel-est-le-pib-de-la-france ↩︎
  22. Étant donné le taux de prélèvements obligatoires de 45,6 % : 98 milliards d’euros x 0,456 = 44,7 milliards d’euros ↩︎
  23. OCDE, « Perspectives des migrations internationales 2021 », page 162 :
    https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/publications/reports/2021/10/international-migration-outlook-2021_ea4f9277/da2bbd99-fr.pdf ↩︎
  24. OCDE « Les indicateurs de l’intégration des immigrés 2023 », parution du 15/06/2023, chapitre 8.9 :
    https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/publications/reports/2023/06/indicators-of-immigrant-integration-2023_70d202c4/d5253a21-fr.pdf ↩︎
  25. INSEE, « France portrait social | Edition 2022 », publication du 22 novembre 2022 :
    https://www.insee.fr/fr/statistiques/6535297?sommaire=6535307#encadre1 ↩︎
  26. INSEE, « Niveau de vie et pauvreté monétaire », 30/03/2023 :
    https://www.insee.fr/fr/statistiques/6793278?sommaire=6793391#tableau-figure2 ↩︎
  27. INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés » – Conditions de logement, 30/03/2023 :
    https://www.insee.fr/fr/statistiques/6793286?sommaire=6793391 ↩︎
  28. DARES, « Les métiers des immigrés », note 254, septembre 2021, page 16 :
    https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/603e003378fb28cf5870f021de8a0ff4/Document%20d%27%C3%A9tudes_metiers_immigr%C3%A9s.pdf ↩︎
  29. INSEE, « Valeur ajoutée par branche » : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2830197 ↩︎
  30. Idem ↩︎
  31. « En toute sécurité, L’état des lieux des entreprises de sécurité privée en France en 2023 et les perspectives en 2024 », 03/04/2024 :
     https://www.entoutesecurite.fr/etat-des-lieux-entreprises-securite-privee-france/ ↩︎
  32. Ministère de l’Intérieur, « Insécurité et délinquance en 2024 : Première photographie et atlas départemental » :
    https://mobile.interieur.gouv.fr/Media/SSMSI/Donnees-bilan-provisoire-20242 ↩︎
  33. Note Flash du SIES numéro 32, Le taux d’emploi salarié en France des diplômés en 2021 de master à 6, 12 et 18 mois, décembre 2023 :
    https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/le-taux-d-emploi-salarie-en-france-des-diplomes-en-2021-de-master-6-12-et-18-mois-94047 ↩︎
  34. Idem ↩︎
  35. Idem ↩︎
  36. OCDE, Regards sur l’éducation 2023, page 248 :
    https://www.oecd.org/fr/publications/2023/09/education-at-a-glance-2023_581c9602.html ↩︎
  37. Fondation Concorde, « Débureaucratiser pour réduire la dépense publique et relancer la croissance » :
    https://www.fondationconcorde.com/etudes/debureaucratiser-pour-reduire-la-depense-publique-et-relancer-la-croissance/ ↩︎
  38. France Travail, « Enquête besoins en main d’œuvre – Top 10 en nombre de projets de recrutement en 2025 par Métier » :
    https://statistiques.francetravail.org/bmo/bmo?graph=1&in=1&le=0&tu=10&pp=2025&ss=1 ↩︎
  39. Rencontres CESE, « L’immigration, parlons-en, 24/10/2023 », page 44 :
    https://www.lecese.fr/actualites/les-rencontres-du-cese-limmigration-parlons-en ↩︎
  40. Note DEPP n°23.33, « Le baccalauréat 2023 : session de juin, juillet 2023 » :
    https://archives-statistiques-depp.education.gouv.fr/Default/doc/SYRACUSE/53515/le-baccalaureat-2023-session-de-juin-fanny-thomas?_lg=fr-FR ↩︎
  41. Baccalauréat en France – Définition :
    https://www.techno-science.net/glossaire-definition/Baccalaureat-en-France-page-2.html#:~:text=En%201980%20%3A%20347%20000%20candidats,117%20000%20en%20fili%C3%A8re%20professionnelle ↩︎
  42. CDEFI, « Les écoles françaises d’ingénieurs, chiffres clés 2023 – 2024 » :
    http://www.cdefi.fr/fr/la-cdefi/chiffres-cles ↩︎
  43. https://www.syntec-ingenierie.fr/actualites/penurie-professionnels-repondez-enquete/ ↩︎
  44. Etat de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en France n°12 :
    https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/FR/EESR12_ES_15/les_etudiants_etrangers_dans_l_enseignement_superieur/#:~:text=Aujourd’hui%2C%2015%20%25%20des,et%2041%20%25%20en%20doctorat ↩︎
  45. Note DEPP n°22.44, Le parcours sur deux ans des apprentis et des lycéens sortis en 2019 de formations professionnelles de niveau CAP à BTS :
    https://www.education.gouv.fr/les-parcours-sur-deux-ans-des-apprentis-et-des-lyceens-sortis-en-2019-de-formations-professionnelles-343906 ↩︎
  46. OCDE, Regards sur l’éducation 2020, page 91 :
    https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/publications/reports/2020/09/education-at-a-glance-2020_19b01e87/7adde83a-fr.pdf ↩︎
  47. OCDE, Regards sur l’éducation 2020, page 376 :
    https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/publications/reports/2020/09/education-at-a-glance-2020_19b01e87/7adde83a-fr.pdf ↩︎
  48. Idem ↩︎
  49. OCDE, « Perspectives des migrations internationales 2024 », page 63 : https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/publications/reports/2024/11/international-migration-outlook-2024_c6f3e803/4fa9de98-fr.pdf ↩︎
  50. Idem ↩︎
  51. Banque Mondiale, « PIB par habitant ($ US courants) », consulté le 16/06/2025 : https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NY.GDP.PCAP.CD?name_desc=false ↩︎
  52. INSEE, Inactivité, chômage et emploi des immigrés et descendants d’immigrés – Données annuelles 2023
    https://www.insee.fr/fr/statistiques/4195420 ↩︎

L’immigration afghane en France : un événement de grande ampleur

Voilà quarante ans que l’Afghanistan connaît une situation chaotique. Cette situation explique que les Afghans fassent partie des populations de réfugiés parmi les plus importantes au monde. Entre le coup d’État communiste en 19781 et le retrait russe en 1992, les Afghans, engagés dans une stratégie de survie, ont représenté la plus grande vague de migration depuis la Seconde Guerre mondiale. La prise de Kaboul par les Talibans en août 2021 a de nouveau poussé des centaines de milliers d’Afghans sur les routes. En particulier ceux qui ont bénéficié des années de présence occidentale, classes moyennes, anciens collaborateurs des forces occidentales ou des ONG et des femmes, hélas dans un nombre trop limité. Le retrait américain a matérialisé l’échec d’une politique qui n’a ni réussi à vaincre sur le plan militaire ni à engendrer le développement économique, politique et humain de l’Afghanistan. La principale explication de cet échec a été le choix d’une stratégie fondée plus sur l’usage de la force que sur le soutien au développement alors que, pendant leurs vingt années de présence, les seuls Américains auront englouti plus de 2.000 milliards de dollars dont la moitié pour les budgets militaires2. À titre de comparaison, le plan Marshall, destiné à aider les pays européens à reconstruire leur économie entre 1947 et 1951, a coûté aux États-Unis 150 milliards de dollars (prix actuels), soit moins de 7% du coût de la guerre d’Afghanistan pour les Américains.

« 10,9 millions d’Afghans demeurent déplacés, presque tous au sein de l’Afghanistan ou dans les pays voisins. En 2023, le nombre de réfugiés afghans a globalement augmenté de 741.400 personnes pour atteindre 6,4 millions de réfugiés, reflétant de nouvelles estimations de la République islamique d’Iran et du Pakistan3 ». D’abord dans les pays voisins, le Pakistan, l’Iran, la Turquie, puis vers l’Amérique du Nord et l’Europe. Pendant longtemps l’Iran et le Pakistan ont accueilli 85% des réfugiés afghans.

L’Iran comptait encore 3.752.000 de réfugiés afghans sur son territoire en 2023, et le Pakistan en comptait 1.987.7004. Cependant, au Pakistan, ces Afghans sont assignés à certaines parties du territoire et à certains métiers. L’accès à l’éducation leur est interdit. En Iran, plus de 2 millions d’Afghans sont en situation irrégulière du fait de la perte de validité de leur visa, de leur titre de séjour et même de leur carte de réfugié5.

Pourquoi les Afghans émigrent au Pakistan

Source : “Afghans in Pakistan: drivers, risks and access to assistance”, Mixed Migration Center, décembre 2024.

Tout est fait pour restreindre la présence afghane sur leur territoire. Il en va de même en Turquie où stationneraient aux alentours de 300.000 Afghans. Depuis la chute de Kaboul, le gouvernement turc a mis en place l’expulsion vers l’Afghanistan de milliers de réfugiés à l’aide de vols spécialement dédiés. Toutes ces politiques de refoulement se sont accélérées depuis 20216, ce qui précipite vers l’Europe un nombre croissant d’Afghans. Car, dans ce contexte, l’Europe apparaît comme la zone à atteindre pour bénéficier de meilleures conditions de vie. D’autant plus que les 20 ans de présence occidentale active, aux lendemains des attentats du 11 septembre 2001, ont permis la mise en place de liens qui ont, en retour, incité les Afghans à venir en Europe en particulier.

Durant toutes ces décennies, la migration afghane a été aussi suscitée par les difficultés économiques que les pluies de dollars n’ont pas réussi à combler, dans un pays où la classe politique installée protégée par les forces de l’OTAN s’est avérée particulièrement corrompue. Aujourd’hui, le PIB par habitant en Afghanistan demeure un des plus faibles au monde. Il est cent fois inférieur à la moyenne européenne7.

Subsistence Insecurity Index
Foyers dont les conditions d’existence élémentaires ne sont pas assurées

Source : “Afghanistan Socio-Economic Review”, Programme des Nations Unies pour le développement, avril 2025.

Remarque : l’indice de subsistance (“Subsistence insecurity index”) a été créé par le PNUD pour pallier le manque de statistiques sur la pauvreté en Afghanistan. C’est un sondage qui questionne les foyers afghans sur 16 aspects de leur vie quotidienne (nutrition, accès aux soins, logement…), les réponses permettent de mesurer le sentiment de foyers afghans de vivre dans la pauvreté.

Taux de chômage selon l’âge et le sexe
% de la population en âge de travailler

Source : “Afghanistan Welfare Monitoring Survey (AWMS)”, Banque Mondiale, octobre 2023.
Note : En raison de fortes variations saisonnières de l’emploi, les estimations issues de l’IELFS 2019-2020 ont été calculées sur les mois correspondant au travail de terrain de la phase R3.

Dans l’histoire de la migration afghane vers l’Europe, l’année 2015 a été un moment charnière. Cette année-là, l’Union européenne a délivré 2,6 millions de nouveaux titres de séjour dont de nombreux titres pour des Afghans, pour 320 millions d’Européens, soit, en proportion, beaucoup plus de migrants que pour les États-Unis, réputés être un grand pays d’immigration, qui en ont délivré, la même année, 1 million pour 340 millions d’habitants. Et, à partir de cette date, ce n’est pas uniquement le volume des arrivées qui est notable, c’est aussi la reconfiguration des lieux d’arrivée de l’immigration afghane dans les différents pays comme l’ouverture de nouvelles routes vers l’Union européenne.

Ainsi va apparaître un couloir d’accès vers l’Union européenne traversant la Serbie. Il va être emprunté par plusieurs centaines de milliers de demandeurs d’asile, issus principalement du Moyen Orient et d’Asie méridionale. Les Afghans vont s’y engouffrer. En particulier ceux qui voient dans l’Allemagne et les pays scandinaves, une sorte de « Graal8 ».

Routes de l’immigration afghane vers l’Europe

Source : “Afghan Displacement Summary Migration to Europe”, Danish Refugee Council, novembre 2017.

En chiffres absolus la demande d’asile afghane, au sein de l’Union européenne a été multipliée par cinq. Au cours de l’année 2015, en arrondissant, la demande d’asile passe de 42.000 à 195.000. Elle diminue légèrement en 2016, pour chuter en 2017. Ce qui atteste de l’effet aspirant qu’a eu, en 2015, l’initiative de la chancelière allemande Angela Merkel de suspendre le règlement Schengen pour son compte, c’est-à-dire d’ouvrir les frontières de son pays à tous ceux qui souhaitaient s’y installer. À cette époque, l’accélération des arrivées afghanes en Europe n’est pas liée aux évolutions ou aux basculements de la situation en Afghanistan, même si la poursuite de la guerre civile, le début du retrait des forces américaines et l’intensification des attentats de l’État islamique au Khorasan peuvent en partie l’expliquer.

Fondapol : Les attentats islamistes en Afghanistan (1979-2024)

Source : Les attentats islamistes dans le monde 1979-2024, Fondapol, octobre 2024.
Note : Dans les trois éditions de notre étude, parues en 2019, 2021 et 2024, l’Afghanistan est à chaque fois le pays le plus touché par le terrorisme islamiste, en nombre de morts et nombre d’attentats.

Indice de souffrance ressentie en Afghanistan (2008–2023)

Source : Khorshied Nusratty et Julie Ray, “Freedom Fades, Suffering Remains for Women in Afghanistan”, Gallup, 10 novembre 2023.

Autre chose se joue. Globalement, la situation était restée constante. C’est bien « l’opportunité syrienne », c’est-à-dire la fuite des Syriens vers l’Europe, qui est le moteur de l’asile afghan. La route vers l’Europe s’est « ouverte » du fait de l’exode syrien, qui a créé une fenêtre géopolitique favorable aux migrations – que d’autres populations, comme les Afghans, ont pu utiliser.

S’amorce ainsi dans la période, un déport vers l’Europe à travers l’Iran, le Pakistan et la Turquie qui deviennent en partie des pays de transit, même si de nombreux Afghans continuent d’y demeurer. On quitte ces pays dès que l’on peut, pour atteindre l’Europe occidentale ou septentrionale. En Europe, de manière concrète, le pays de première entrée est théoriquement celui qui accorde ou non l’asile, et qui a la charge de reconduire celui qui est débouté. Ces règles ont été précisées par les États membres de l’UE lors d’une rencontre à Dublin, d’où le nom « d’accords de Dublin ».

Au sein même de l’Union européenne, les implantations afghanes se reconfigurent, ce que le vocabulaire administratif nomme des « mouvements secondaires ». Un mouvement secondaire est le déplacement d’une personne de l’État membre responsable d’une demande d’asile vers un autre État membre. Ce phénomène a gravement endommagé le système Dublin au moment des arrivées importantes, en 2015 et 2016, puisqu’il a désorganisé le processus de désignation de l’État responsable et mis à mal le principe de demande d’asile unique dans l’Union. C’est ainsi que dans cette conjoncture, les mouvements secondaires ont subverti le principe de demande d’asile unique.

Les accords de Dublin

Lorsqu’un État reçoit une personne souhaitant demander l’asile, il se doit de vérifier si un autre État n’est pas responsable de sa demande, notamment dans le cas où le candidat y aurait transité, voire y aurait déjà déposé une demande d’asile. C’est le règlement dit « Dublin » qui visait initialement à responsabiliser les États de première entrée et à rassurer les États de destination secondaire au sein de l’Union. Le règlement « Dublin » s’est montré défectueux puisqu’il n’empêche pas une personne de redéposer, au bout de 18 mois, une demande d’asile dans un autre pays. De plus, le demandeur d’asile, dans l’attente d’être renvoyé dans le pays de première entrée, c’est-à-dire dans le pays où il a été une première fois enregistré lors de son passage, doit bénéficier de l’allocation de demandeur d’asile et d’un hébergement.

C’est cette faiblesse que le nouveau Pacte migratoire tente de corriger, non en interdisant le dépôt d’une nouvelle demande d’asile, mais en privant de toute ressource le demandeur qui relève d’un autre État afin de l’obliger d’y retourner.

Le règlement de Dublin : « Note de synthèse : Les mouvements secondaires des bénéficiaires de la protection internationale », Réseau Européen des Migrations (REM), 20 septembre 2022.

Ces mouvements secondaires découlent, en outre, d’une autre faiblesse majeure: les écarts de taux de protection dans l’Union européenne. Le taux de protection correspond au nombre de personnes protégées par rapport au nombre de ceux qui demandent une protection au titre de la convention de Genève sur le droit d’asile. Ce taux n’est pas harmonisé dans l’ensemble des États membres. En 2024 (deux à trois ans après la chute de Kaboul), la variation du taux de protection des Afghans en première instance est comprise entre 11% et 92% dans les pays de l’Union9.

C’est donc ces divergences d’appréciation ainsi que l’absence d’une liste européenne des pays d’origine qualifiant leur niveau de sécurité et d’une analyse partagée des risques connus dans ces pays, qui ont poussé les demandeurs d’asile afghans à se déplacer vers les plus offrants depuis 2015.

Les règles fixées par les accords de Dublin n’empêchent pas les demandeurs d’asile déboutés d’un pays de l’Union d’en rejoindre un autre. Ainsi, nombre d’Afghans déjà présents au sein de l’Union, en Grèce, mais aussi en Hongrie, par exemple, se tournent vers les pays d’Europe du Nord. Cette analyse est corroborée par les chiffres. Si, en 2015, la Hongrie enregistre 46.000 demandes afghanes, elles ne sont plus que 11.000 en 2016. Cette diminution s’explique également par la décision de fermeture de la frontière hungaro-serbe et hungaro-croate par les autorités hongroises alors que dans le même temps s’ouvrent les frontières austro-hongroise et germano-autrichienne. Les Afghans présents en Hongrie peuvent alors quitter le pays par le nord. Cette fermeture des frontières méridionales de la Hongrie entraîne une progression des passages par la Croatie. Alors que les demandes d’asile dans ce pays étaient presque inexistantes en 2015, elles vont atteindre 700 en 2016. Cependant, ces demandes ne signifient pas un renoncement à poursuivre le chemin plus à l’ouest et au nord, et par la Slovénie. À partir de 2016, ce pays enregistre aussi quelques centaines de demandes. Mais c’est bien à l’ouest et au nord que le phénomène est particulièrement notable.

En Suède, les demandes d’asile passent de 3.000 en 2014 à 41.000 en 2015. Face à cet afflux massif, le pays réagit rapidement en adoptant des politiques de fermeture: il restreint les droits des demandeurs d’asile, limite les reconnaissances du besoin de protection, et intensifie les expulsions des personnes déboutées10. Contrôles aux frontières, réduction des droits liés au statut de réfugié, baisse des taux de protection des demandeurs d’asile afghans, mise en œuvre d’expulsions vers Kaboul, autant de mesures qui visent à détourner la demande afghane d’asile11. L’effet dissuasif est notable dès 2016, la Suède n’enregistre plus que 3.000 demandes afghanes ce qui confirme qu’il y a bien un rapport entre une politique d’accueil ou de fermeture interne et le nombre d’arrivées.

Il en va de même pour le Danemark. Ce pays enregistre, en 2015, environ 21.000 demandes d’asile. Si elles sont majoritairement syriennes, dans le flux se présentent 3.500 Afghans. Dès 2019 une politique dite « zéro réfugié » est mise en place par les autorités danoises (le pays n’étant pas signataire des conventions de Dublin). En 2020, le Danemark n’enregistre plus que 1.500 demandes d’asile, 860 en 2024. Les Afghans ont quasiment disparu. La Norvège et la Finlande connaissent des évolutions analogues.

Demandes d’asile déposées par les Afghans dans les pays de l’Union européenne

Source : « Demandeurs d’asile par type, nationalité, âge et sexe – données annuelles agrégées », Eurostat.

La politique de fermeture des pays du nord de l’Europe provoque un déport vers l’Europe occidentale. Non seulement les nouveaux entrants dans l’espace Schengen ne se précipitent plus vers les pays scandinaves, mais c’est aussi l’Allemagne qui devient moins attractive. Après le « wir schaffen das12 » qui avait fait de l’Allemagne la première destination des Afghans, les demandes d’asile afghanes décroissent. De 127.000 en 2016 elles ne sont plus que 18.000 dès 2017.

Dans ce contexte, après l’Allemagne, la France est destinataire depuis 2015 de mouvements secondaires afghans, alors que jusque-là, l’hexagone était essentiellement considéré comme un pays de transit, en particulier vers la Grande-Bretagne d’où la forte présence des Afghans à Calais, à partir de 2016, avant le démantèlement du campement de la Lande de Calais13. Cette attractivité du Royaume-Uni s’explique par ses liens historiques avec l’Afghanistan14. L’Office for National Statistics (ONS) estime qu’il y avait 79.000 personnes nées en Afghanistan vivant au Royaume-Uni en 2019. Ce chiffre est passé à 85.693 lors du recensement de 2021 pour l’Angleterre et le Pays de Galles à 116.167 en 2024. En 2024, près de 8.500 Afghans y ont demandé l’asile, soit quasiment 8% du total. Les Afghans sont depuis 2015, la nationalité la plus représentée parmi les arrivées par « small boats ». En 2024, ils ont été 5.900 à débarquer en Angleterre par ce moyen. Mais contrairement à la France, la migration afghane s’étale sur une plus longue période. Entre 1994 et 2006, environ 36.000 Afghans ont demandé l’asile au Royaume-Uni. Les demandes d’asile afghanes en France ne dépassaient pas 472 en 2014. Cette faiblesse peut être vue aussi comme la résultante de liens quasi inexistants avec ce pays, contrairement à ceux qui se sont tissés avec la Grande- Bretagne. Même s’il a existé à partir des années 1920, une coopération dans le domaine archéologique15, le lien tangible, et le plus récent, avec la France a été la participation de notre pays à la coalition militaire entre 2001 et 2012. Or, contre toute attente, à partir de 2015 la demande d’asile afghane devient exponentielle. En 2015 sont enregistrées 2.200 demandes. En 2016 un peu moins de 6.000 demandes (5.989). On comptait en 2023 17.550 premières demandes dont 812 mineurs non accompagnés (MNA), contre 9.455 en 2018. Ceux-ci représentaient en 2023, 61% du total des MNA ayant déposé une demande d’asile. Les Afghans sont en tête des nationalités demandant l’asile en France. Ils sont encore plus de 13.000 à avoir déposé une demande en 2024, n’étant dépassés en nombre que par les demandes exceptionnelles formulées par les Ukrainiens, qui occupent désormais la première place parmi les primo-demandeurs16.

Source : « Rapport d’activité 2023. À l’écoute du monde », Ofpra, 9 juillet 2024, p.53.

Nationalités d’origine des premières demandes d’asile en France

Source : « Les demandes d’asile », Ministère de l’Intérieur, 4 février 2025.

Alors que les autres pays de l’Union européenne restreignent l’accès à l’asile, la demande afghane en France demeure soutenue, portée par des taux d’accord de l’Ofpra nettement plus élevés qu’ailleurs en Europe, à l’exception de l’Italie où, toutefois, les conditions d’accueil restent moins favorables que de l’autre côté des Alpes.

Ces dispositions françaises plus favorables aux Afghans demeurent. En 2024, le taux moyen de protection des Afghans en Europe se situait à 63%, il demeurait très bas en Suède avec 40%17, il est resté au-dessus de 70% en France18. C’est du reste ce type d’écart qui avait déjà motivé des Afghans à quitter la Suède pour tenter leur chance en France comme pays de « rebond » dans le cadre des mouvements secondaires déjà décrits19.

De 2018 à 2023, entre 41 et 55% des Afghans ayant déposé une première demande d’asile en France en avaient déjà déposé une ailleurs dans l’UE, principalement en Suède ou en Allemagne. Cette part est descendue à 24% en 202420.

Répartition par procédure des primo-demandes d’asile afghanes en France

En l’espace de dix ans, un groupe afghan de plus de 100.000 personnes, inattendu par son ampleur, s’est constitué en France, dont les trois quarts sont arrivés après 2016. Le nombre des seuls adultes bénéficiant d’un titre de séjour en France est de 89.000 adultes en 202421. À titre de comparaison, en 2015 le total des protégés ne dépassait pas 4.500 (4.397) personnes. En 2007, l’Insee ne recensait que 1.600 Afghans sur le territoire22. Aux bénéficiaires actuels d’un titre de séjour s’ajoutent les 10.376 personnes qui étaient en cours de procédure Ofpra en 2024 et qui, en fonction des délais d’instruction, se verront délivrer un titre de séjour dans le courant de 2025, ou en 2026. Reste qu’elles sont déjà présentes sur le territoire puisqu’en cours de procédure de demande d’asile en France. Au cours des cinq premiers mois de l’année 2025, plus de 3.000 adultes afghans se sont enregistrés comme demandeurs d’asile. L’ensemble de ces données confirment la constitution en quelques années sur notre territoire, d’un groupe dépassant largement les 100.000 personnes.

Les Afghans figurent désormais parmi les dix premières nationalités titulaires d’un titre de séjour en France. Leur nombre dépasse même celui des Syriens détenteurs d’un titre de séjour, avec un effectif deux fois supérieur, alors même que les liens historiques entre la France et la Syrie sont bien plus anciens et profonds, la France ayant exercé un mandat sur ce pays à partir de 191823.

Le groupe des Afghans demeure dans une marginalité sociale, culturelle et cultuelle, tant les croyants trouvent peu de solidarité au sein d’un monde musulman dominé, en France, par les Maghrébins24. Des villes, petites ou moyennes, aussi inattendues qu’Aurillac, Vannes ou encore Colmar connaissent une présence afghane. Ce qui atteste de l’efficacité des politiques de répartition des demandeurs d’asile effectuées par les pouvoirs publics à partir du dispositif national d’accueil géré par l’OFII25. Après avoir obtenu leur protection, ces Afghans sont restés dans la ville ou le département où l’OFII les avait initialement orientés pour leur hébergement.

Les personnes protégées par l’Ofpra reçoivent automatiquement un titre de séjour pluriannuel de quatre ans (pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire) ou une carte de résident de dix ans (pour les réfugiés). Théoriquement, elles ne sont pas obligées de signer le contrat d’intégration républicaine (CIR), contrairement aux autres nouveaux titulaires d’un titre de séjour — à l’exception des ressortissants algériens. Toutefois, en pratique, l’OFII les oriente systématiquement vers la signature de ce contrat, qui leur donne accès à des cours de français gratuits et à un accompagnement vers l’emploi.

C’est cette prise en charge qui a permis de dresser un profil social de ce groupe afghan, d’autant qu’un bilan de situation, appelé « bilan de fin de CIR », est réalisé 12 à 18 mois après le premier contact avec l’OFII pour la mise en œuvre de leur contrat d’intégration.

Il en ressort comme caractéristique principale un faible niveau de scolarisation au sein du groupe afghan. Plus de 40% des personnes interrogées ont déclaré ne jamais avoir été scolarisées26. Vingt années de « république islamique » sous influence occidentale n’ont pas permis d’améliorer de façon significative la prise en charge scolaire des Afghans, qu’ils viennent des zones rurales ou urbaines. En 2021, avant la chute de Kaboul, seul un peu plus d’un quart de la population afghane vivait en zone urbaine. 30% des enfants âgés de 5 à 17 ans étaient recensés comme exerçant une activité contraire à toute scolarisation. La moyenne d’âge des primo-demandeurs d’asile afghans (majeurs) en France était de 27,4 ans en 202327. Cela veut dire que le moment éventuel de leur scolarisation se situait dans les 20 ans de la présence occidentale. On en mesure ainsi un des aspects de l’échec.

Près de 19% des Afghans déclarent avoir un niveau scolaire ne dépassant pas celui de l’école primaire, et même un niveau inférieur à ce qu’était notre certificat d’étude primaire, en raison de difficultés en lecture et en écriture. Et 10% ne savent ni lire ni écrire dans leur langue maternelle. Enfin, 17% déclarent un niveau d’étude supérieur au baccalauréat.

Cela a des incidences sur leur insertion sociale, et leur accès à l’emploi. C’est ainsi que 18 mois après la signature du CIR et la fin des cours de français, 57% des signataires déclarent être sans emploi28. Cela s’explique en grande partie par le fait que seuls un peu plus de la moitié des apprenants en français langue étrangère atteignent le niveau A1, correspondant à un niveau de langue élémentaire du français. Ces données justifient les efforts faits en leur direction par l’administration. En 2024, 30% des bénéficiaires du programme AGIR29 qui vise à accompagner les réfugiés afin qu’ils puissent accéder à une formation, à l’emploi et à un hébergement, étaient des Afghans.

Faible niveau de formation et difficultés dans l’apprentissage de la langue, conduisent à penser que si des données existaient, elles souligneraient probablement les fortes difficultés d’intégration. Cependant, ces données sociales ne sont pas disponibles dans notre pays, les Afghans ayant été intégrés, dans les données de France Travail, dans la rubrique générale des personnes relevant du continent asiatique.

D’autres pays ont cependant mis en place un suivi plus fin. Ainsi en Allemagne, autre grand pays de la présence afghane avec une population estimée à 425.000 personnes30, le taux de chômage des Afghans – des deux sexes – était de 30% en octobre 2024, soit six fois plus élevé que celui des Allemands (5,3%). Il s’élève même à 53% parmi les Afghanes. Le taux d’emploi des Afghans des deux sexes – c’est-à-dire la part de ceux qui sont dans l’âge actif et qui occupent effectivement un emploi – est de 42%… soit un taux inférieur de près de 30 points au taux d’emploi des Allemands (71%). La sous-intégration des Afghanes dans le marché du travail allemand est particulièrement marquée: seules 21% des Afghanes en âge de travailler occupent un emploi soit presque 50 points de moins que les Allemandes (70%), ce qui conforte le constat d’un très fort écart culturel en la matière et vient relativiser l’idée selon laquelle les flux d’asile permettraient de fournir les pays d’accueil en main-d’œuvre employable31.

Une étude du Pew Research Center de 2013 faisait apparaître la difficulté d’intégrer les Afghans, ceux-ci se déclarant à 99% favorables à la charia et 85% à la lapidation en cas d’adultère32.

Soutien à la charia comme loi officielle
% des musulmans qui disent que la charia devrait être la loi officielle

Source : “The World’s Muslims: Religion, Politics and Society”, Pew Research Center, 30 avril 2013.
*Le Liban reconnait 18 communautés religieuses (dont certaines non-musulmanes).

Soutien aux attentats-suicides
% des musulmans qui disent que les attentats suicides pour défendre l’islam sont…

Source : “The World’s Muslims: Religion, Politics and Society”, Pew Research Center, 30 avril 2013.

De fait, comme pour d’autres nationalités, les difficultés d’intégration se mesurent, en particulier, à l’implication dans des troubles à l’ordre public. La France n’a pas dans ce domaine de statistiques disponibles, si ce n’est que la part des étrangers parmi les condamnés détenus est de 25%, alors que la part des étrangers dans la population totale est de 8,2%33. Il ressort des données allemandes que, alors que les Afghans ne comptaient que pour 0,5% de la population de l’Allemagne fin 2024, ils sont 5 fois plus représentés parmi les mis en cause pour l’ensemble des infractions enregistrées dans ce pays durant l’année 2024 (2,3%).34 Si une part de la délinquance peut être liée à des nécessités de survie ou à des facteurs de précarité, cette surreprésentation est particulièrement marquée pour des crimes et délits de nature sexuelle, ce qui a en partie un lien avec les difficultés des rapports femmes-hommes et la dévalorisation des femmes qui est un problème culturel majeur, comme on le sait, en Afghanistan.

Entre 2015 et 2024, 85% des demandeurs d’asile ont été des hommes. Par comparaison, sur la même période, 1.064.946 personnes ont signé un CIR, 47,81% étaient des femmes. Ce constat souligne plus encore la dominante masculine au sein de l’immigration afghane.

La part des femmes dans l’ensemble des personnes afghanes présentes en France et bénéficiant d’un titre de séjour n’atteint pas 18%. La mixité lors des arrivées d’Afghans demandant l’asile ne s’est vue que lors des opérations réalisées, entre 2021 et 2022, après la chute de Kaboul, dans le cadre de ce qui avait été appelé les opérations « Apagan35 ».

Cependant, une certaine féminisation passe par le regroupement et la réunification familiale. La réunification familiale concerne une personne désignée comme partenaire par le demandeur d’asile, ce qui lui confère le droit de le rejoindre après l’obtention du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. Le regroupement familial concerne une personne qui a été déclarée comme conjoint ou conjointe après l’obtention de l’asile ; après l’accès à la nationalité, la procédure de rapprochement passe par l’octroi du titre « Famille de Français ». De 2015 à 2024, 1.398 personnes sont arrivées par le biais de la réunification familiale et ont signé un CIR, 601 par le biais du regroupement familial. Des femmes à 80%. On note une accélération des regroupements familiaux. En 2015, seuls 25 étaient comptabilisés. Jusqu’en 2020, ils demeurent inférieurs à 200 par an. On en compte 479 en 2022, après la période Covid, 701 en 2023, 1.094 en 2024. Enfin, 410 Afghanes sont arrivées en France en tant qu’épouses de ressortissants français.

36Cette faiblesse de la présence des femmes mérite d’être analysée, et ce d’autant plus qu’elles constituent, selon la CJUE et la CNDA un « groupe social » collectivement éligible à l’asile. Sur les 600.000 personnes, toutes nationalités confondues, actuellement protégées, la part des femmes est de 41%. Alors même que leurs routes migratoires passent généralement par les zones effroyables que sont la Lybie, le Niger, et dans une moindre mesure la Tunisie. Les migrations africaines qui traversent la Méditerranée sont davantage mixtes. Ainsi, 46% des résidents venant du continent africain, sur les plus de 220.000 personnes bénéficiaires d’une protection, sont des résidentes. Certaines nationalités sont même majoritairement représentées par des femmes. C’est ainsi que 70% des Ivoiriens sont des Ivoiriennes. Certes le taux de protection des hommes ivoiriens est faible, ce qui explique cela. Sont présentes en France plus de Sénégalaises protégées (60%) que de Sénégalais, plus de Nigérianes (64%) que de Nigérians. Il faut noter que la « traite des êtres humains », c’est-à-dire essentiellement dans ce cas, l’obligation de se soumettre à la prostitution, une traite organisée par les membres de leur communauté, explique en grande partie cette surreprésentation des femmes.

La part des femmes dans les bénéficiaires d’une protection venant du continent asiatique est de 33% sur plus de 235.000 personnes protégées soit un pourcentage inférieur aux migrations africaines. Mais malgré cela, la surreprésentation des hommes afghans étonne en comparaison d’autres pays de la même aire géographique. Ainsi parmi les dizaines de milliers de Syriens présents en France, on compte une part de femmes qui dépasse 46% ; chez les Sri-Lankais, cette part est de 37%.

Le faible nombre de femmes afghanes présentes sur le sol français ne peut s’expliquer uniquement par les difficultés des routes migratoires. Il est aussi le reflet d’une mentalité profondément enracinée dont les hommes, même réfugiés, demeurent imprégnés. Car si l’on relève des tentatives de prise en compte du sort des femmes en Afghanistan dans une volonté de modernisation, ce fut des périodes très courtes, avec quelques acquis aussitôt remis en cause, jusqu’à leur complète disparition depuis 2021. Ainsi, en 1928, sous l’impulsion de la reine Soraya, épouse du roi Amanullah Khan (1919-1928), qui ne portait pas le voile en permanence, l’âge de mariage des filles avait été fixé à 18 ans et la polygamie interdite. L’instruction des filles était encouragée. Il était également décidé que des filles seraient envoyées à l’étranger pour y poursuivre des études. Tout cela a été remis en cause, à partir de 1929, sous le règne de Nadir Shah (1929-1933). Il ferme toutes les écoles pour filles, préfigurant ainsi la mesure que viennent de prendre les Talibans. À partir de 1933 s’ouvre une nouvelle période qui se prolongera jusqu’en 1973 sous le règne de Zahir Shah. Des filles retrouvent le chemin de l’école dans le même temps où des femmes accèdent à des fonctions publiques comme à diverses professions. En 1959 est déclaré facultatif le port du hijab. Des femmes sont représentantes au sein de la Loya Jirga, c’est-à-dire le parlement traditionnel, et entrent au gouvernement.

Cette politique d’égalité sociale, dans le cadre d’une politique qui se veut marxisante, se poursuit sous le gouvernement communiste qui se met en place à partir de 1978. L’égalité des droits entre les femmes et les hommes est inscrite dans la loi. L’alphabétisation devient obligatoire pour les femmes. Elles sont incitées à travailler. Des jardins d’enfants sont créés. Des femmes conduisent des autobus et, plus généralement, travaillent dans les services publics. Cette présence des femmes dans l’espace public est contestée par les forces religieuses. Face à un gouvernement affaibli du fait des luttes internes entre fractions communistes, et qui ne peut plus compter sur le soutien des troupes soviétiques, les Moudjahidines prennent le pouvoir en 1996. C’est le début de la première expérience talibane. Elle va correspondre à une première période de soumission totale des femmes, accompagnée de tous les types de violences.

Scolarisation dans le secondaire selon le sexe

Source : “Afghanistan Welfare Monitoring Survey (AWMS)”, Banque Mondiale, octobre 2023.
ALCS = Annual Living Conditions Survey : Enquête annuelle sur les Conditions de Vie des Ménages
IELFS = Integrated Economic and Labor Force Survey : Enquête intégrée sur l’économie et la population active
ITA = Interim Taliban Administration

Une stricte séparation entre les femmes et les hommes est instaurée; les femmes ne peuvent quitter leur domicile sans être accompagnées d’un mahram, un membre masculin de la famille. La nouvelle restriction imposée par les Talibans entrave la fuite des femmes et des filles vers la frontière pakistanaise. La scolarisation des filles est remise en cause. Les femmes désobéissant aux règles en vigueur sont fouettées publiquement. Aujourd’hui, les mesures se durcissent davantage encore, sous prétexte que l’émancipation des femmes relèverait d’une influence occidentale imposée à partir de 2001.

Il s’agit donc pour les Talibans de remettre en cause ce qui avait été acquis, et de renouer avec une histoire bien ancrée de l’oppression des femmes dans ce pays. Durant les vingt années de république qui ont suivi la chute des Talibans en 2001, les droits des femmes figuraient dans la Constitution. Des sièges leur étaient réservés au Parlement. Mais le soutien apporté à des gouvernements qui revendiquent une vision conservatrice de l’islam, dans le but de composer à la fois avec les forces religieuses et une partie des Talibans, n’a pas permis une véritable transformation intellectuelle et culturelle en faveur de l’égalité des droits pour les femmes.

Avez-vous le sentiment de pouvoir choisir votre vie ?

Source : Khorshied Nusratty et Julie Ray, “Freedom Fades, Suffering Remains for Women in Afghanistan”, Gallup, 10 novembre 2023.

L’amélioration des conditions des femmes n’a concerné que des secteurs limités de la société. Leur maintien dans l’analphabétisme a été organisé sans grande résistance interne. Pour de nombreux hommes, la soumission des jeunes filles au mariage forcé autant que la polygamie, sont demeurées un sujet de fierté, en milieu, rural comme dans des zones urbaines. L’assimilation des femmes à des êtres mentalement déficients, inférieurs et devant être soumis aux hommes demeure un point de vue partagé par la plupart des Afghans et même par une part des femmes. Du fait de ces a priori profondément ancrés dans les mentalités, les hommes qui quittent l’Afghanistan aujourd’hui, pour des raisons multiples mais avant tout économiques, se préoccupent rarement d’associer des femmes à leur projet initial de migration, alors qu’il leur est interdit de circuler seules. D’où la proportion particulièrement faible de femmes au sein des groupes d’Afghans protégés.

Pourcentage de mineures mariées
2017 – par région (la majorité est fixée en Afghanistan à 18 ans)

Source : “Afghanistan”, The Child Marriage Data Portal.

Cette faiblesse de la présence féminine a des conséquences, au regard des enjeux d’intégration tant l’expérience montre que l’intégration par la famille, la présence d’enfants, permet, au travers de la dimension affective, d’accélérer bien souvent les mécanismes de socialisation. Des jeunes hommes ayant obtenu l’asile éprouvent des difficultés à intégrer les normes de civilité régissant les relations entre hommes et femmes, ce qui entraîne une multiplication d’incidents, plus ou moins graves, relayés dans la presse de faits divers. Il n’est pas facile de nouer des relations affectives légitimes lorsque d’importants écarts culturels entrent en jeu.

Pourcentage des mariées parmi les mineures selon le lieu de résidence, le niveau de revenus et le niveau d’éducation

Source : “Afghanistan”, The Child Marriage Data Portal.

La migration afghane met en lumière les obstacles à l’intégration de communautés qui, en raison de leur développement rapide, n’ont pas eu le temps nécessaire pour s’approprier en profondeur les valeurs de la culture républicaine. Cette difficulté est d’autant plus marquée que ces vagues migratoires se produisent dans un contexte où nos structures d’intégration sont affaiblies. Il en résulte que, plus encore que pour les anciennes immigrations, les structures communautaires, pour ne pas dire d’enfermement ou d’anomie, se sont substituées aux partis, aux syndicats au sein des lieux de travail, et même à l’école.

Le groupe d’accueil, ainsi renforcé, devient même un frein à l’intégration dans une nation civique, et ce d’autant plus que les écarts culturels ou religieux se sont durcis. À cet égard, s’il n’existe pas d’études précises concernant la France, on peut craindre qu’il n’y ait que peu d’écart entre la mentalité des Afghans présents en France et ceux présents en Europe.

  1. En 1978, le Parti communiste clandestin avec le soutien d’officiers afghans formés en URSS fomente
    un coup d’État. Si celui-ci réussit, le pouvoir en place fait rapidement face à une forte résistance populaire, amenant l’armée soviétique à intervenir massivement. ↩︎
  2. “US Costs to date for the war in Afghanistan 2001-2021”, Costs of war project institute international and public affairs, Brown university, avril 2021 https://watson.brown.edu/costsofwar/files/cow/imce/figures/2021/Human%20and%20Budgetary%20Costs%20of%20Afghan%20War%2C%202001-2021.pdf ↩︎
  3. “Global Trends. Forces Displacement in 2023”, UNHCR, 13 juin 2024, p.9 https://www.unhcr.org/sites/default/files/2024-06/global-trends-report-2023.pdf ↩︎
  4. “Refugee Data Finder”, UNHCR https://www.unhcr.org/refugee-statistics/download?data_finder%5BdataGroup%5D=displacement&data_finder%5Bdataset%5D=population&data_finder%5BdisplayType%5D=totals&data_finder%5BpopulationType%5D%5B%5D=REF&data_finder%5BpopulationType%5D%5B%5D=ASY&data_finder%5BpopulationType%5D%5B%5D=IDP&data_finder%5BpopulationType%5D%5B%5D=OIP&data_finder%5BpopulationType%5D%5B%5D=STA&data_finder%5BpopulationType%5D%5B%5D=HST&data_finder%5BpopulationType%5D%5B%5D=OOC&data_finder%5Byear__filterType%5D=range&data_finder%5Byear__rangeFrom%5D=2023&data_finder%5Byear__rangeTo%5D=2024&data_finder%5Bcoo__displayType%5D=all&data-finder=on&data_finder%5Bcoa__displayType%5D=custom&data_finder%5Bcoa__country%5D%5B%5D=147&data_finder%5Bcoa__country%5D%5B%5D=91&data_finder%5Byear__%5D=&data_finder%5Bcoo__%5D=&data_finder%5Bcoa__%5D=&data_finder%5Badvanced__%5D=&data_finder%5Bsubmit%5D= ↩︎
  5. “Afghanistan situation”, Operational Data Portal https://data.unhcr.org/en/situations/afghanistan ↩︎
  6. Plus de 250 000 Afghans ont été expulsés d’Iran et du Pakistan vers Kaboul depuis 2021. Voir « Le HCR appelle à aider les réfugiés afghans contraints de quitter le Pakistan et l’Iran », ONU Info, 29 avril 2025 https://news.un.org/fr/story/2025/04/1155091. Et la Turquie en a expulsé près de 45 000 vers l’Afghanistan. Voir « La Turquie refoule des Afghans à sa frontière avec l’Iran », Human Rights Watch, 18 octobre 2022 https://www.hrw.org/fr/news/2022/11/18/la-turquie-refoule-des-afghans-sa-frontiere-avec-liran ↩︎
  7. En 2023, la moyenne du PIB par habitant de la zone euro était de 37 910 dollars https://donnees.banquemondiale.org/indicator/NY.GDP.PCAP.KD?locations=XC, et estimé à 415 dollars pour l’Afghanistan, de 4 466 dollars pour l’Iran et de 1 365 dollars pour le Pakistan https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NY.GDP.PCAP.CD?locations=IR-AF-PK ↩︎
  8. Organisation internationale des migrations (IMO-OIM), “Migration, asylum and refugees in Germany:
    Understanding the data”, janvier 2016. ↩︎
  9. Eurostat, « Décisions de première instance sur les demandes d’asile par type de décision, nationalité,
    âge et sexe – données annuelles agrégées », mise à jour du 22 mai 2025 https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/migr_asyappctza__custom_16696022/default/table?lang=fr ↩︎
  10. Voir la note de Tino Sanandaji, Les Suédois et l’immigration, fin de l’homogénéité ?, Fondapol, septembre 2018 https://www.fondapol.org/etude/suede/ ↩︎
  11. Avant la prise de Kaboul en 2021, les taux de reconnaissance des Afghans – soit la part des décisions
    d’octroi d’une protection sur le nombre total de décisions – variaient fortement en fonction des États
    membres de l’Union responsables de l’instruction de la demande d’asile. Ainsi, l’Italie accordait une protection internationale à 93,8 % des demandeurs d’asile afghans en 2020, tandis que la Suède oscillait autour des 40 %. La France était autour de 80 % ↩︎
  12. « Nous le faisons » sont les mots prononcés par Angela Merkel le 31 août 2015 lorsqu’elle accueillit à bras ouverts, sans formalités administratives, le million de migrants Syriens, Afghans, Irakiens venus par le train en Allemagne. ↩︎
  13. Voir le rapport de l’IGA, Jean Aribaud et Jérôme Vignon, « Rapport à Monsieur le ministre de l’Intérieur sur la situation des migrants dans le Calaisis », Ministère de l’Intérieur, juin 2015 https://www.interieur.gouv.fr/Publications/Rapports-de-l-IGA/Rapports-recents/La-situation-des-migrants-dans-le-Calaisis/?nomobredirect=true. Les derniers comptages faisaient état, au moment du démantèlement, de la présence de 7 000 migrants dans le bidonville de la Lande de Calais. ↩︎
  14. Les Anglais y sont arrivés la première fois en 1839, pour y mener la première guerre anglo-afghane,
    de 1839 à 1842 qu’ils ont perdue. Ils ont ensuite obtenu une accréditation pour une mission diplomatique permanente à Kaboul pour contrebalancer l’influence russe. Par la suite, la Grande Bretagne est devenue un des pays de l’asile afghan. ↩︎
  15. La famille royale afghane, notamment sous le règne de Mohammed Zaher Shah, avait des liens étroits avec la France. Le roi Mohammed Zaher Shah, qui a régné de 1933 à 1973, avait été éduqué en partie en France. Cette éducation avait influencé son ouverture culturelle et son approche modernisatrice du royaume. Plusieurs membres de la famille royale parlaient le français et affichaient leur francophilie. ↩︎
  16. Des Ukrainiens déposent une demande d’asile tout en étant bénéficiaires de la protection temporaire, dispositif activé par l’Union qui leur donne droit à une allocation, à pouvoir travailler immédiatement, et à des droits sociaux, avantages que n’ont pas les simples demandeurs d’asile. Pour des raisons sans doute liées au choix des autorités françaises de les obliger à renouveler tous les 6 mois le titre de protégés temporaires, des Ukrainiens s’inscrivent dans la demande d’asile. C’est une anomalie française puisque 50 % de la demande d’asile ukrainienne au sein de l’Union est enregistrée en France. ↩︎
  17. Le nombre de personnes ayant demandé l’asile en Suède en 2024 s’est élevé à 9 645, soit le chiffre le
    plus bas depuis 1996 et une baisse de 42 % par rapport à 2022. En 2015, au plus fort de la crise des migrants, la Suède a enregistré quelque 162 877 demandeurs d’asile, soit le nombre le plus élevé par habitant dans l’UE. “Asylum seekers 2002-2024”, Statistics Sweden, 21 février 2025 https://www.scb.se/en/finding-statistics/statistics-by-subject-area/population-and-living-conditions/population-composition-and-development/population-statistics/pong/tables-and-graphs/asylum-seeker/asylum-seekers ↩︎
  18. En 2024, le taux de protection Ofpra s’élève à 67,4 %. Le taux de protection global (après recours à la
    CNDA) est de 79,7 %. Les femmes représentent 1/3 de la demande d’asile en 2024 ↩︎
  19. La presse avait évoqué ce sujet : « Les familles et citoyens suédois conseillent à ces jeunes Afghans
    qu’ils ont aidés, hébergés, soutenus, de se rendre en France, où le taux d’acceptation des demandes
    d’asile déposées par des Afghans est élevé. Le réseau d’aide aux migrants passant notamment par les paroisses, le bouche-à-oreille conduit ces jeunes hommes à frapper, au bout de leur route, à la porte de l’Église suédoise de Paris. » Voir Delphine Evenou, « Les réfugiés afghans de l’église suédoise de Paris », France Inter, 15 octobre 2018 https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/grand-angle/les-refugies-afghans-de-l-eglise-suedoise-de-paris-4709884 ↩︎
  20. Données OFII. ↩︎
  21. La communauté afghane ne peut cependant se réduire aux seules personnes en possession d’un titre de séjour. Aux adultes s’ajoutent ceux dont la situation de minorité fait qu’ils ne relèvent pas d’un titre de séjour, et ceux ayant acquis la nationalité française. ↩︎
  22. « Étrangers et immigrés en 2019 », Insee, 26 juillet 2022 https://www.insee.fr/fr/statistiques/6478069?sommaire=6478362 ↩︎
  23. Sans oublier la prétention de la France à être protectrice des chrétiens de l’Empire ottoman depuis
    François 1er et qu’une tradition francophone y est très ancienne. ↩︎
  24. Les Afghans se retrouvent plutôt au sein des mosquées turques. ↩︎
  25. 20 % du parc d’hébergement des demandeurs d’asile qui comprend près de 120 000 places est situé
    dans des départements de moins de 500 000 habitants (rapport annuel de l’OFII pour l’année 2023) ↩︎
  26. Les données présentées ont été élaborées à partir de questions posées à 69 115 Afghans ayant obtenu le statut de réfugié ou de protégé subsidiaire. ↩︎
  27. Rapport Ofpra pour 2023, annexe VII, page 132. ↩︎
  28. Du fait de la faiblesse numérique du nombre d’Afghans, il n’y a pas de statistique sur le taux d’emploi. Cependant la comparaison internationale avec des marchés de l’emploi plus dynamiques permettent de considérer que les difficultés doivent être comparables. En Autriche le taux de chômage des Afghans était de 20,6 % en 2022 tandis qu’en Allemagne il était de 29,9 % en octobre 2024. Voir : „Zahlen, Daten, Fakten: Neue ÖIF-Factsheets über Syrer/innen und Afghan/innen in Österreich”, Ôsterreichischer Integrations Fonds, 2 juin 2023https://www.integrationsfonds.at/newsbeitrag/zahlen-daten-fakten-neue-oeif-factsheets-ueber-syrer-innen-und-afghan-innen-in-oesterreich-17360/ ; „Migration une Arbeitsmarkt”, Bundesagentur für Arbeit https://statistik.arbeitsagentur.de/DE/Navigation/Statistiken/Interaktive-Statistiken/Migration-Zuwanderung-Flucht/Migration-Zuwanderung-Flucht-Nav.html?Thema%3Dzr%26DR_Region1%3Dd%26DR_Indikator1%3D18%26DR_Staat1%3D153%26mapHadSelection%3Dfalse%26toggleswitch%3D0 ↩︎
  29. AGIR signifie « Accompagnement global et individualisé des réfugiés ». En 2024, 47 millions d’euros ont été consacrés au programme AGIR. Pour une information plus complète sur ce programme, voir Clément Soulignac et Alessio Raskine, « IM n° 113 – Les trajectoires professionnelles et résidentielles des réfugiés accompagnés par le programme AGIR », ministère de l’Intérieur, 13 décembre 2024 https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Etudes/Infos-migrations/Trajectoires-des-beneficiaires-d-AGIR ↩︎
  30. La plus grande communauté afghane d’Europe occidentale réside en Allemagne. En 2024, l’Office fédéral de la statistique d’Allemagne a estimé à 442 020 le nombre de personnes d’origine afghane résidant en Allemagne. Voir “Foreign population by place of birth and selected citizenships”, Statistiches Bundesamt, 10 avril 2025 https://www.destatis.de/EN/Themes/Society-Environment/Population/Migration-Integration/Tables/foreigner-place-of-birth.html ↩︎
  31. „Migration une Arbeitsmarkt”, Bundesagentur für Arbeit https://statistik.arbeitsagentur.de/DE/Navigation/Statistiken/Interaktive-Statistiken/Migration-Zuwanderung-Flucht/Migration-Zuwanderung-Flucht-Nav.html ↩︎
  32. Chapter 1 : Beliefs About Sharia in “The World’s Muslims: Religion, Politics and Society”, Pew Research Center, 30 avril 2013 https://www.pewresearch.org/religion/2013/04/30/the-worlds-muslims-religion-politics-society-beliefs-about-sharia/ ↩︎
  33. Parmi les détenus, les Afghans étant intégrés dans la rubrique générale « Asie-Océanie ». ↩︎
  34. „T62 Straftaten und Staatsangehörigkeit nichtdeutscher Tatverdächtiger (V1.0)”, Bundeskriminalamt https://www.bka.de/DE/AktuelleInformationen/StatistikenLagebilder/PolizeilicheKriminalstatistik/PKS2024/PKSTabellen/BundTVNationalitaet/bundTVNationalitaet.html. Il pourrait être ajouté aux troubles à l’ordre public en France que, sur 15 872 enquêtes administratives qui ont été mises en œuvres en 2017 (contre 3 742 en 2015) pour l’application des clauses d’exclusion de la protection subsidiaire, 47 % concernaient des Afghans. Voir Catherine Teitgen-Colly, Le droit d’asile, PUF, 2025, p. 50. Les Afghans ont aussi été la première nationalité pour les retraits et cessations de statuts de protection en 2023. Voir « Rapport d’activité 2023. À l’écoute du monde », Ofpra, 9 juillet 2024, annexe 13, p. 145 https://www.ofpra.gouv.fr/libraries/pdf.js/web/viewer.html?file=/sites/default/files/2024-07/Rapport%20d%27activit%C3%A9%202023%20de%20l%27Ofpra_0.pdf ↩︎
  35. En janvier 2023 ces opérations ont concernées 6 131 personnes lors d’évacuations qui se sont étalées sur plusieurs mois. Le rapport femmes/hommes était de l’ordre de 50 %. Depuis 2023, seules des opérations ponctuelles demeurent et concernent uniquement des femmes. Voir : « Opération APAGAN : accueillir les réfugiés menacés par les Talibans », Ministère de l’Intérieur, 23 janvier 2023 https://accueil-integration-refugies.fr/operation-apagan-accueillir-les-refugies-menaces-par-les-talibans/ ↩︎
  36. Voir à ce sujet l’article de Catherine Maia, « La reconnaissance par la CJUE de l’appartenance des
    femmes à un groupe social susceptible d’ouvrir droit au statut de réfugié », Club des juristes, 1 mars
    2024 https://www.leclubdesjuristes.com/international/la-reconnaissance-par-la-cjue-de-lappartenance-des-femmes-a-un-groupe-social-susceptible-douvrir-droit-au-statut-de-refugie-4994/. Le 16 janvier 2024, dans son arrêt WS rendu dans l’affaire C-621/21 en réponse à une demande de décision préjudicielle par le juge bulgare, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est venue fournir d’importantes précisions sur les motifs permettant aux femmes victimes de violences dans leur pays de bénéficier d’une protection internationale. Réunie en grande chambre, la CJUE a jugé que les femmes, dans leur ensemble, peuvent être regardées comme appartenant à un groupe social au sens de la directive 2011/95/UE (directive « qualification ») de l’Union européenne (UE) et bénéficier du statut de réfugié si les conditions prévues par cette directive sont remplies. Tel est le cas lorsque, dans leur pays d’origine, elles sont exposées, en raison de leur sexe, à des violences physiques ou mentales, y compris des violences sexuelles et domestiques. Si les conditions d’octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies, elles peuvent bénéficier du statut de la protection subsidiaire, notamment lorsqu’elles courent un risque réel d’être tuées ou de subir des violences. ↩︎

L’immigration des Algériens

Lors de sa première visite officielle en Algérie après son élection, au mois de décembre 2017, le président Emmanuel Macron fut interpellé dans les rues de la capitale par de jeunes Algériens lui demandant « des visas » pour la France. Cette scène faisait écho à celles observées lors de la venue de Jacques Chirac en 2003, lorsque celui-ci fut accueilli par des foules enthousiastes lui réclamant ce même octroi1

Ces moments marquants témoignent de l’attirance que la perspective d’une émigration en France continue d’exercer sur les nouvelles générations de ce pays, enlisé dans ses problèmes économiques et politiques. Une telle aspiration est encouragée et facilitée par le régime dérogatoire favorable dont les Algériens disposent dans leurs démarches d’admission au séjour, au titre de l’Accord franco-algérien (AFA) du 27 décembre 1968.

Survivance de la décolonisation, ce droit spécial n’a aujourd’hui plus de raison d’être – compte tenu du changement radical de contexte économique, de l’importante population algérienne déjà installée au fil des décennies, de ses difficultés objectivables d’intégration ainsi que de l’absence revendiquée de coopération du régime algérien dans la gestion des flux migratoires. L’examen du projet de loi Immigration offre aux parlementaires l’occasion de dénoncer cet état de fait et de revendiquer sa dénonciation par notre pays.

1.1 L’immigration algérienne en France s’est massifiée très rapidement durant les Trente Glorieuses

Les considérations historiques souvent évoquées à l’appui de ce statut privilégié nécessitent un retour sur l’histoire de l’immigration algérienne en France.

La conquête de l’Algérie par la France est réalisée entre 1830 et 1847, mettant un terme à la domination ottomane sur cette partie de l’Afrique du Nord – qui n’a alors jamais été constituée en Etat souverain. Les premiers départs significatifs de ses habitants indigènes vers la métropole n’ont cependant lieu qu’en 1916 : 80 000 travailleurs algériens (sur 190 000 travailleurs coloniaux au total)2 rejoignent alors les usines et les champs d’une France dont la population active se trouve largement mobilisée sur le front de la Première Guerre mondiale. Cette main d’œuvre est quasi-intégralement rapatriée au terme du conflit.

Les Algériens comptent peu dans la vague d’immigration que la France connaît dans l’entre-deux-guerres. En 1931, plus de 9 travailleurs immigrés sur 10 sont originaires de pays européens3. Les rares Algériens bénéficient néanmoins d’un statut avantageux lors de la crise économique des années 1930 : n’étant pas considérés comme « étrangers », ils ne sont pas concernés par les quotas restrictifs ni par les mesures d’expulsion qui touchent alors les extra-nationaux exerçant une profession dans les secteurs touchés par le chômage4. En 1946, les Algériens ne représentent encore que 3% de l’ensemble des populations immigrées en métropole5.

Cette situation change radicalement au cours des Trente Glorieuses. Le nombre d’immigrés algériens est multiplié par 10 entre 1946 et 1954, passant de 22 000 à 210 000. Il augmente encore fortement au cours de la Guerre d’Algérie, atteignant 350 000 en 19626.

Contrairement à certaines idées reçues, cet apport tient peu aux nécessités de la « reconstruction » du pays : les historiens s’accordent à considérer que celle-ci est achevée dès 1951, or l’ensemble des coloniaux (Algériens compris) représente à cette date moins de 1% de la population active7. L’augmentation exponentielle de l’immigration algérienne s’explique par d’autres facteurs :

  • La priorité volontariste accordée aux Algériens par le gouvernement français et répercutée par les grandes entreprises, avec pour objectif le maintien de l’Algérie dans la République face aux velléités indépendantistes ;
  • Les besoins en main d’œuvre d’une économie en pleine expansion (jusqu’à 8% de croissance / an), particulièrement dans les secteurs industriels ;
  • La crise économique et sociale qui frappe l’Algérie : tandis que la colonie connaît une explosion de sa population, sa production agricole stagne voire recule. On estime par exemple que « les transferts de salaires et d’allocations correspondantes représentent près de la moitié des moyens de vie » dans le département de Grande Kabylie en 1958.8

Durant cette même période, la guerre d’Algérie fait rage et se transpose parfois dans la diaspora algérienne en métropole, qu’il s’agisse des attentats contre des policiers à Paris ou bien des affrontements entre le FLN et ses rivaux indépendantistes du MNA9 – causant près de 4 000 morts en France. Le conflit se solde par la signature des accords d’Evian le 19 mars 1962.

Outre le cessez-le-feu et les modalités d’autodétermination (qui aboutiront à l’indépendance de l’Algérie le 5 juillet de cette même année), ces accords prévoient une liberté totale de circulation et d’installation des Algériens en France. Ils stipulent en effet que «sauf décision de justice, tout Algérien muni d’une carte d’identité est libre de circuler entre l’Algérie et la France » et que « les ressortissants algériens résidant en France, et notamment les travailleurs, auront les mêmes droits que les nationaux français, à l’exception des droits politiques »10. Cette garantie est notamment conçue comme corollaire au maintien de droits équivalents pour les Français d’Algérie – lesquels seront pourtant contraints à l’exil par la violence dans les mois qui suivront.

Par ailleurs, certains Algériens nés avant 1962 et relevant du statut civil de droit commun (par opposition au statut local d’inspiration coranique) peuvent conserver la nationalité française11.

1.2 L’accord franco-algérien de 1968 et ses révisions ont consolidé un régime de faveur exorbitant du droit commun, qui reste actuellement en vigueur

Assez tôt, le gouvernement français cherche à ralentir et à organiser le courant d’immigration que l’indépendance n’a pas tari ; on compte 720 000 immigrés algériens en 197212, soit 65% de plus qu’en 1962. Après plusieurs années de négociation, un accord est signé avec le gouvernement de l’Algérie le 27 décembre 1968, « relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ». Communément désigné comme « Accord franco-algérien » (AFA), celui-ci est modifié par trois avenants de 1985, 1994 et 2001 pour aboutir finalement à son état actuel13.

Cet accord bilatéral régit de manière exclusive les conditions de séjour et de travail en France des immigrés algériens et de leurs familles ; le CESEDA (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) ne leur est pas applicable14. L’AFA se concrétise notamment dans un titre de séjour spécial : le « certificat de résidence » réservé aux Algériens.

Ainsi, selon un rapport d’information de la commission des lois du Sénat15, les Algériens sont « soumis à un droit intégralement dérogatoire sans équivalent ». Plus particulièrement ce rapport souligne que « le régime établi par l’accord est très favorable aux Algériens en matière d’immigration familiale », « l’immigration algérienne se distingue des autres par sa nature, à savoir une immigration principalement familiale et d’installation ». Ce même rapport retrace les propos tenus par le Ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau devant la mission d’information, ayant affirmé que les avantages découlant de l’accord du 27 décembre 1968 en matière d’immigration familiale ont « profondément structuré l’immigration algérienne en une immigration d’installation, au contraire des immigrations marocaine et tunisienne, aujourd’hui davantage économiques et estudiantines ».

Selon la DGEF, l’immigration familiale représente plus de la moitié (54,6%) des premiers titres délivrés à des ressortissants algériens en 2024, contre 32,4% pour les ressortissants marocains et 38,4% pour les ressortissants tunisiens. Elle est deux fois supérieure à la moyenne de l’ensemble des autres nationalités (26,9%). Pour les Algériens, cette délivrance des primo-titres pour motif familial est 5 fois supérieure aux primo-titres pour motif économique (9,4%)16.

S’il met un terme au principe de libre-circulation, le régime de l’AFA recouvre trois grands types de spécificités plus favorables que le droit commun :

1.2.1 L’admission des Algériens au séjour en France est facilitée

Cela vaut particulièrement au sujet des titres « Vie privée et familiale » : pour obtenir une première carte « conjoint de Français », les Algériens sont dispensés de la condition d’une vie commune en France avec leur époux / épouse depuis 6 mois au moins – contrairement aux exigences normales appliquées aux autres étrangers non-européens.17

D’autres conditions facilitent l’obtention d’un titre de séjour « Vie privée et familiale » d’un an :
o Après 10 années de présence habituelle en France (sans condition de régularité du séjour)18 ;
o Pour les conjoints de Français, sans exigence d’une présentation d’un visa long séjour ou d’une communauté de vie effective dès la primo-délivrance – laquelle sera examinée pour le seul renouvellement)19 ;
o Pour les parents d’un enfant français mineur, sans que ceux-ci n’aient à établir qu’ils contribuent effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant depuis au moins deux ans)20 .

Dans le cadre du regroupement familial : titre identique à celui dont bénéficie le regroupant

(certificat de résidence de 1 ou 10 ans) si :
o Le regroupant est présent en France depuis au moins un an, avec des ressources stables et suffisantes, un logement considéré comme normal pour une famille vivant dans la même région géographique, une situation matrimoniale conforme à la législation française ;
o Le regroupé (conjoint, enfants mineurs ou à charge) présente un visa long séjour.
o Le régime de l’Accord franco-algérien permet dans ce cadre la possibilité d’accès immédiat à un titre longue durée avec :
o Une condition de résidence raccourcie à 1 an contre 18 mois dans le droit commun des étrangers ;
o Un montant de ressources minimum correspondant à un SMIC mensuel sur un an, non majoré selon la taille de la famille contrairement au droit commun des étrangers21.

1.2.2 Les Algériens bénéficient de la liberté d’établissement pour exercer une activité de commerçant ou une profession indépendante

Pour obtenir un certificat de résidence « Commerçant », le ressortissant algérien doit simplement s’immatriculer au registre du commerce et des sociétés ou à la chambre des métiers (selon la nature de son activité), respecter certaines conditions de qualification professionnelle et présenter le justificatif à la préfecture22. En particulier, il bénéficie du droit que la viabilité économique de son projet ne soit pas évaluée – contrairement aux autres étrangers non-européens23.

Lors du renouvellement de ce certificat, le ressortissant algérien n’a pas à justifier de conditions de ressources24 – tandis que pour les autres étrangers, le CESEDA prévoit l’obligation de vérifier que les ressources qu’ils en tirent « sont d’un niveau équivalent au salaire minimum de croissance correspondant à un emploi à temps plein »25.

1.2.3 Les ressortissants algériens peuvent accéder plus rapidement que les ressortissants d’autres États à la délivrance d’un titre de séjour valable 10 ans.

En effet, certaines dérogations au droit commun de l’immigration prévues par l’accord franco-algérien favorisent particulièrement l’immigration familiale, avec :

• La délivrance d’un certificat de résidence de 10 ans discrétionnaire, si séjour régulier et ininterrompu en France depuis au moins 3 ans (contre 5 ans dans le droit commun des étrangers)26.

• La délivrance d’un certificat de résidence de 10 ans de plein droit :
o Pour les conjoints de Français si séjour régulier et mariage depuis au moins un an avec un Français ayant conservé sa nationalité et, le cas échéant, transcrit sur les registres d’état civil (ancienneté du mariage limitée à un an par rapport au droit commun des étrangers)27 ;
o Pour les enfants et ascendants d’un Français, si séjour régulier, moins de 21 ans (pour les enfants), à condition d’être à la charge de son descendant français ou de son époux (dispense du visa long-séjour et notion « d’ascendants » au lieu de « parents » par rapport au droit commun des étrangers)28 ;
o Si résidence habituelle en France depuis l’âge de 10 ans révolu au maximum (accès immédiat à un titre de 10 ans par rapport au droit commun des étrangers)29 ;
o Si résidence régulière en France depuis plus de 10 ans – le certificat de résidence « étudiant » étant exclu (voie autonome d’accès au séjour, sans équivalent en droit commun des étrangers)30 ;
o A l’échéance d’un certificat de résidence d’un an, pour les parents d’enfant français, en cas de séjour régulier, si l’enfant est mineur, même en cas d’exercice partiel de l’autorité ou subvention effective aux besoins de l’enfant (durée de résidence plus courte qu’en droit commun des étrangers) ;
o Si détention d’un certificat de résidence « Vie privée et familiale » depuis au moins 5 ans (voie autonome d’accès au séjour, sans équivalent en droit commun des étrangers)31.

Si en principe la procédure de la kafala (mesure de protection étrangère qui permet à une personne seule ou à un couple de prendre en charge un enfant mineur, mais sans créer de filiation32) n’ouvre pas droit au regroupement familial pour le mineur concerné, des règles spécifiques s’appliquent pour l’Algérie où une décision judiciaire de kafala ouvre bien droit au regroupement familial en France33. Pourtant, si les consulats refusent de délivrer le visa au profit de l’enfant, le juge annule ce refus considérant qu’il n’appartient pas à l’administration consulaire de « contester le bien-fondé d’une décision de justice algérienne »34. Selon Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie : « Cela revient à donner au juge algérien – décideur en dernier ressort des kafalas – le pouvoir de délivrer les autorisations d’entrer sur le territoire français et donc la maîtrise de ce flux migratoire »35. Par ailleurs, bon nombre de dossiers de kafala sont manifestement frauduleux.

D’autres droits exorbitants sont également applicables, en particulier dans l’accès aux prestations sociales

Il est à noter aussi qu’en vertu d’une jurisprudence constante du Conseil d’Etat : « aux termes du troisième alinéa de l’article 7 bis de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié, le certificat de résidence valable dix ans est renouvelé automatiquement ; qu’il résulte de ces stipulations qu’aucune restriction n’est prévue au renouvellement de ce certificat tenant à l’existence d’une menace à l’ordre public ».36

Les conditions de retrait éventuel d’une carte de 10 ans « conjoint de français » sont plus restreintes lorsqu’il s’agit d’un Algérien : ledit retrait par un juge n’est envisageable qu’en cas de fraude avérée au mariage. Cette preuve est très exigeante : il doit être établi avec certitude que le ressortissant algérien a contracté un mariage exclusivement dans le but d’obtenir un titre de séjour.

Une autre sorte de faveur porte sur le coût administratif de l’émission des certificats de résidence : leur délivrance est gratuite pour les Algériens, c’est-à-dire entièrement prise en charge par les contribuables français37. A l’inverse et dans la même situation, les étrangers issus d’autres pays non-européens doivent s’acquitter d’une somme de 225 € (droit de timbre de 25 € + taxe de 200 €)38. Pour ce qui est des certificats de résidence de 10 ans, leur renouvellement automatique est aussi gratuit – en plus de leur délivrance initiale39.

Enfin – et de manière plus structurante : la Convention générale de Sécurité sociale entre la France et l’Algérie en date du 01/10/1980 consacre « le principe de l’égalité de traitement des ressortissants des deux États au regard de la législation de sécurité sociale de chacun d’eux »40. Ainsi, contrairement aux étrangers extra-européens de droit commun, des conditions préalables ne s’appliquent pas aux Algériens pour bénéficier de certaines prestations sociales.

Par exemple :
• Pour percevoir le RSA, ceux-ci n’ont pas besoin de détenir depuis au moins 5 ans un titre de séjour permettant de travailler en France.41
• Pour bénéficier de l’ASPA (« minimum vieillesse »), ceux-ci n’ont pas à justifier d’une résidence stable et régulière en France depuis au moins 10 ans (ils doivent néanmoins séjourner pendant plus de 9 mois en France l’année de versement de l’ASPA).42

2.1 60 ans après l’indépendance, les Algériens constituent la principale communauté immigrée en France et présentent d’apparentes difficultés d’intégration

Bien qu’à un rythme ralenti après 1973, l’immigration des Algériens en France s’est poursuivie jusqu’à nos jours. L’estimation de leur nombre sur le territoire national fait l’objet de polémiques récurrentes. Le président algérien Abdelmadjid Tebboune déclarait ainsi en 2020 que « près de 6 millions d’Algériens vivent en France »43. Cette estimation, exagérée de toute évidence, révèle cependant comment les dirigeants d’Alger s’appliquent à utiliser la masse de la diaspora comme levier de pression dans leurs relations avec Paris.

Les données fiables en la matière sont rares et parcellaires, mais elles existent. L’INSEE nous apprend ainsi que les Algériens constituent la première cohorte immigrée (personnes nées étrangères à l’étranger) de France en 2023, avec 892 000 personnes44. Ce nombre ne se confond pas avec celui des nationaux algériens vivant en France, que l’on peut supposer plus élevé : certains d’entre eux sont nés sur le territoire français, tout en héritant de la nationalité de leur(s) parent(s) qu’ils ont conservée (avec ou sans bi-nationalité), ce qui les exclut du décompte des seuls « immigrés » – définis comme des personnes nées étrangères à l’étranger.

Un indice de l’ampleur plus large des populations concernées nous vient également de l’INSEE : en 2023, sur les 7,6 millions de personnes nées en France d’au moins un parent immigré (parfois dénommées « deuxième génération »), 1,238 million étaient d’origine algérienne45.  En  ce  qui  concerne  les  petits-enfants  d’immigrés  algériens  (« troisième génération »), la démographe Michèle Tribalat estimait leur nombre à 563 000 en 201146 – un volume ayant sans doute augmenté depuis dix ans.

En ajoutant ces chiffres à ceux des immigrés officiellement recensés, on peut estimer que la diaspora algérienne en France représente 2,7 millions de personnes a minima. Sa croissance est représentée dans le graphique OID ci-dessous :

Au 31 décembre 2024, 649 991 ressortissants algériens étaient titulaires d’un titre valide ou d’un document provisoire de séjour (+0,5% par rapport à 2023). Ceux-ci représentent 15,6% du total des titres et documents de séjour en cours de validité47 ; les Algériens en sont la principale nationalité bénéficiaire en France, suivis des Marocains. La France a octroyé les deux tiers des premiers titres de séjour accordés aux Algériens dans l’ensemble de l’Union européenne en 202348.

NB : la différence avec le nombre d’immigrés originaires d’Algérie (892 000) tel que recensé par l’INSEE s’explique par trois facteurs principaux ; un certain nombre de ces immigrés ont acquis la nationalité française ; d’autres sont mineurs et n’ont pas besoin de titre de séjour ; d’autres encore sont présents sur le territoire national en situation irrégulière.

Entre le 1er janvier 2016 et le 1er février 2025 :

• Environ 44 300 personnes nées en Algérie ont été naturalisées par décret ;
6 400 ont été « réintégrées » dans la nationalité française ;
2 600 ont acquis la nationalité française par effet collectif.

53 300 personnes nées en Algérie ont donc acquis la nationalité française via l’un de ces trois canaux entre début 2016 et début 2025. Il faut y ajouter celles ayant obtenu la nationalité française par mariage (environ 16% du total des acquisitions de la nationalité depuis l’an 2000) et par le « droit du sol » (environ ¼ du même total des acquisitions), pour lesquelles les données par pays de naissance n’ont pu être reconstituées en l’absence de documentation publique.

L’arrivée en France est un puissant déclencheur de natalité : 57 % des immigrées algériennes ont au moins 1 naissance dans les 4 années suivant leur arrivée en France.49

Par ailleurs, le démographe François Héran – professeur au Collège de France – évalue que le taux de fécondité des immigrées algériennes vivant en France en 2014 était de 3,69 enfants par femme50, soit le double des femmes non-immigrées (1,88 enfant) et même… un indice supérieur à celui constaté en Algérie (3 enfants) !

De tels nombres ne vont pas sans poser question, en eux-mêmes comme au regard des difficultés d’intégration identifiées au sein cette population. Si ce dernier constat peine parfois à être quantifié, un faisceau d’éléments objectifs vient néanmoins l’appuyer :

  • Les Algériens constituent la nationalité étrangère la plus représentée dans les prisons françaises : au 1er Janvier 2024, parmi l’ensemble des étrangers écroués, les Algériens étaient à eux seuls plus nombreux que les ressortissants de tous les pays de l’UE et du Royaume-Uni réunis ; ils représentaient 20,8% du total des étrangers écroués51.
  • L’ensemble des éléments disponibles porte à considérer que les Algériens représentent les ressortissants les plus nombreux dans l’immigration clandestine. 33 754 Algériens ont été interpellés en situation irrégulière en 2024 (+6% par rapport à 2023)52, soit la nationalité la plus interpellée en la matière, et 5 159 Algériens ont été retenus dans un centre de rétention administrative (CRA) en 2024 (31,9% du total des étrangers placés en CRA), ce qui en fait également la nationalité la plus retenue en CRA.
  • 38,9% des Algériens de plus de 15 ans vivant en France n’étaient ni en emploi, ni en études, ni en retraite en 2021, soit un taux trois fois plus élevé que celui des Français (12,9%)53.
  • Seuls 35% des Algériens de plus de 15 ans vivant en France étaient en emploi en 2021, soit un taux inférieur de 15 points à celui des Français de naissance (50,4%)54.
  • 49% des immigrés originaires d’Algérie et 44% des descendants d’immigrés de la même origine vivaient en logement social en 2019-2020, soit un taux quatre fois supérieur à celui des personnes sans ascendance migratoire (11%) et nettement plus élevé que la moyenne des immigrés et descendants de toutes origines (35% des immigrés, 27% des descendants)55.
  • Parmi la population en âge actif, seuls 56,2% des immigrés originaires d’Algérie occupaient un emploi, soit 14 points de moins que les personnes sans ascendance migratoire (70,7%)56.
  • Dans ces mêmes catégories d’âge, seuls 48,9% des descendants d’immigrés d’origine algérienne occupaient un emploi en 2023, soit 22 points de moins que les personnes sans ascendance migratoire (70,7%)57.
  • Le taux de chômage des immigrés originaires d’Algérie était de 13,5% en 2023, et celui des descendants d’immigrés de la même origine était de 14,7%, soit le double des personnes sans ascendance migratoire (6,5%). source : INSEE58
  • 37,9% des immigrés originaires d’Algérie en âge actif n’avaient aucun diplôme ou seulement un niveau brevet-CEP en 2023, soit un taux trois fois plus élevé que celui des personnes sans ascendance migratoire (13,5%). Pour les descendants d’immigrés algériens, il reste deux fois supérieur (27,1%)59.
  • 73% des enfants d’immigrés algériens déclaraient « accorder de l’importance à la religion » en 2016, soit trois fois plus que dans la population non-issue de l’immigration (24%), d’après l’enquête Trajectoires et Origines publiée par l’INED.60

Par ailleurs, les Algériens fournissent un contingent majeur de l’immigration illégale en France. Si l’ampleur de celle-ci est par nature difficile à estimer précisément, plusieurs indicateurs dessinent cependant une surreprésentation algérienne parmi les clandestins. Il en va ainsi des données concernant la répartition par nationalité des bénéficiaires de l’Aide médicale d’Etat (AME), réservée aux immigrés présents irrégulièrement sur le territoire : les Algériens comptaient à eux seuls pour 42,7% de l’ensemble des récipiendaires de l’AME traités dans les hôpitaux publics de Marseille en 2018, et pour 31,5% de ceux traités dans les hôpitaux publics de Lyon cette même année –source: rapport IGF / IGAS61.

De plus, les Algériens représentent la 1ère nationalité des demandeurs d’un titre de séjour pour soins entre 2017 et 2023 (soit 10,9% du total)62.

L’opportunité du régime spécial d’immigration dont disposent toujours les Algériens n’est donc clairement pas établie. Et cela d’autant plus que les tendances démographiques et économiques à l’œuvre en Algérie laissent prévoir une forte vague migratoire à venir. En 2018, d’après la Banque Mondiale, 53% de la population algérienne avait moins de 30 ans ; 37% avait moins de 20 ans ; 22% avait moins de 10 ans.63

Le taux de chômage était déjà de 29,3% chez les 18-24 ans en mai 202464. L’économie algérienne pâtit de sa dépendance excessive à la production d’hydrocarbures, dont les réserves s’amenuisent.

Il est probable que l’émigration vers la France apparaîtra de plus en plus comme une solution pour nombre de jeunes Algériens. Elle pourrait être encouragée par le gouvernement algérien lui-même, qui y verrait un mode de régulation de ses déséquilibres intérieurs. Dès 1966 et devant les promesses non-tenues de l’indépendance, Alger avait déjà réclamé de la France « l’entrée d’un contingent annuel de 50 000 ouvriers de 1967 à 1975 » afin de résorber ses 3,5 millions de chômeurs65.

Pour l’année universitaire 2023-2024, 34 269 étudiants algériens étaient en France (+10% en 5 ans). Notre pays est le premier pays d’accueil des étudiants originaires d’Algérie66 :
o Un quart des étudiants algériens à l’université sont en Lettres, Langues, Sciences humaines et sociales (filières à faibles débouchés).

Cet encouragement du gouvernement algérien à l’émigration vers la France se manifeste notamment par sa très faible coopération dans le renvoi des clandestins présents sur notre territoire, en particulier dans la délivrance des laissez-passer consulaires (LPC) – nécessaires pour que l’étranger en situation irrégulière soit effectivement reconduit dans son pays. Au mois de mars 2023, la presse révèle que le régime d’Alger a décidé de suspendre purement et simplement la délivrance de ces LPC, et cela jusqu’à une date indéterminée67.

De tels constats rendent nécessaire de revoir entièrement le droit en vigueur.

2.2 Il importe aujourd’hui de dénoncer l’Accord franco- algérien de 1968 et d’aligner le régime d’immigration des Algériens sur le droit commun

Six décennies après les accords d’Evian, la page de la décolonisation est tournée. Par ailleurs, le contexte économique de la France a radicalement changé : la recherche d’un surplus de main d’œuvre francophone et « bon marché » dans le cadre de la croissance exceptionnelle des Trente Glorieuses, qui sous-tendait la signature de l’accord de 1968, n’a plus d’actualité.

Les circonstances politiques et sociales qui l’entouraient sont révolues.

Plusieurs tentatives de révision de ses dispositions ont été initiées par le passé. Ce fut notamment le cas en 2012, l’essai en question s’étant heurté au refus des autorités algériennes68. Une proposition de loi en ce sens a également été déposée à l’Assemblée nationale en avril 2018, dans le cadre de l’examen du projet de loi « Immigration maîtrisée, droit d’asile effectif et intégration réussie »69; elle fut rejetée par la majorité des députés.

L’Algérie n’a pas attendu la France pour engager un rapport de forces sur la question migratoire, comme en témoigne à nouveau la suspension récente de la délivrance des laissez- passer consulaires. Les Algériens tiennent à l’AFA, car ils connaissent les avantages – lesquels constituent une part notable ce qu’il est convenu d’appeler la « spécificité algérienne »70.

Il est désormais temps pour notre pays de procéder à la dénonciation unilatérale de cet accord. Celle-ci s’impose clairement au regard de l’intérêt national.

L’immigration algérienne serait alors régie par les mêmes normes applicables aux autres nationalités non-européennes, et concernée par les mêmes réformes majeures devant être entreprises sur ce terrain – dont le projet de loi Immigration ne traite hélas presque pas.

Accord franco-algérien du 27 décembre 1968 (version modifiée en vigueur)

Daniel LEFEUVRE, Pour en finir avec la repentance coloniale, Flammarion, 2006, 229 p.

Akram BELKAID, L’Algérie en 100 questions : Un pays empêché, Tallandier, 2019, 332

Xavier DRIENCOURT, L’énigme algérienne : chroniques d’une ambassade à Alger, éditions de l’Observatoire, 2022, 252 p.

Xavier DRIENCOURT, France-Algérie, le double aveuglement : Réseaux immigration, diplomatie, qui tient qui ?, éditions de l’Observatoire, 2025, 176 p.

  1. https://www.ledevoir.com/monde/21600/chirac-des-visas ↩︎
  2. Daniel LEFEUVRE, Pour en finir avec la repentance coloniale, Flammarion, 2006. Chapitre 9, p.144 ↩︎
  3. Daniel LEFEUVRE, op. cit. p.145 ↩︎
  4. Décret du 6 février 1935 prévoyant l’expulsion des étrangers exerçant une profession dans un secteur touché par le chômage ↩︎
  5. Jacques DUPAQUIER, Histoire de la population française de 1914 à nos jours, PUF, 1995, p. 464 ↩︎
  6. Musée national de l’histoire de l’immigration, « L’immigration algérienne en France » : L’immigration
    algérienne en France | Musée de l’histoire de l’immigration (histoire-immigration.fr) ↩︎
  7. Daniel LEFEUVRE, op. cit. Chapitre 10, p.155 ↩︎
  8. Daniel LEFEUVRE, op. cit. Chapitre 11, p.173  ↩︎
  9. Pour plus de détails : Gregor MATHIAS, La France ciblée : Terrorisme et contre-terrorisme pendant la guerre d’Algérie, Vendémiaire, 2017 ↩︎
  10. Accords d’Evian : « Déclaration des garanties » / Première partie : « Dispositions générales » / « 2° De la liberté de circuler entre l’Algérie et la France » ↩︎
  11. Ordonnance du 21 juillet 1962, article 1er ↩︎
  12. Daniel LEFEUVRE, op.cit.Chapitre 11, p.180 ↩︎
  13. Accord franco-algérien du 27 décembre 1968 (version modifiée en vigueur) ↩︎
  14. Cf jurisprudence – Cour administrative d’appel de Lyon, arrêt n° 07LY01505 du 23 avril 2008 :
    https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000019080817/  ↩︎
  15. Sénat, Rapport d’information sur les accords internationaux conclus par la France en matière migratoire, 05/02/2025 https://www.senat.fr/rap/r24-304/r24-3041.pdf ↩︎
  16. DGEF, Les titres de séjour, 04/02/2025 https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Les-chiffres-de-l-immigration-en-France/Sejour ↩︎
  17. L’époux étranger d’un Français peut-il séjourner en France ? | Service-public. ↩︎
  18. Accord franco-algérien du 27 décembre 1968, article 6, 1° https://www.immigration.interieur.gouv.fr/content/download/119881/961556/file/Accord-Franco-Algerien-27-decembre-1968-19680021.pdf ↩︎
  19. Accord franco-algérien du 27 décembre 1968, article 6, 2° et dernier alinéa https://www.immigration.interieur.gouv.fr/content/download/119881/961556/file/Accord-Franco-Algerien-27-decembre-1968-19680021.pdf ↩︎
  20. Accord franco-algérien du 27 décembre 1968, article 6, 4° https://www.immigration.interieur.gouv.fr/content/download/119881/961556/file/Accord-Franco-Algerien-27-decembre-1968-19680021.pdf ↩︎
  21. Accord franco-algérien du 27 décembre 1968, article 4 https://www.immigration.interieur.gouv.fr/content/download/119881/961556/file/Accord-Franco-Algerien-27-decembre-1968-19680021.pdf ↩︎
  22. Accord franco-algérien, article 5  ↩︎
  23. Pour le droit commun, cf article R313-16-1 du CESEDA : Article R313-16-1 – Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile – Légifrance (legifrance.gouv.fr) ↩︎
  24. Ainsi que le rappelle la circulaire ministérielle du 29 octobre 2007 : ↩︎
  25. Article R313-16-1 du CESEDA, op.cit ↩︎
  26. Accord franco-algérien du 27 décembre 1968, article 7 bis, alinéas 1 à 3 https://www.immigration.interieur.gouv.fr/content/download/119881/961556/file/Accord-Franco-Algerien-27-decembre-1968-19680021.pdf ↩︎
  27. Accord franco-algérien du 27 décembre 1968, article 7 bis a) https://www.immigration.interieur.gouv.fr/content/download/119881/961556/file/Accord-Franco-Algerien-27-decembre-1968-19680021.pdf ↩︎
  28. Accord franco-algérien du 27 décembre 1968, article 7 bis b) https://www.immigration.interieur.gouv.fr/content/download/119881/961556/file/Accord-Franco-Algerien-27-decembre-1968-19680021.pdf ↩︎
  29. Accord franco-algérien du 27 décembre 1968, article 7 bis e) https://www.immigration.interieur.gouv.fr/content/download/119881/961556/file/Accord-Franco-Algerien-27-decembre-1968-19680021.pdf ↩︎
  30. Accord franco-algérien du 27 décembre 1968, article 7 bis f) https://www.immigration.interieur.gouv.fr/content/download/119881/961556/file/Accord-Franco-Algerien-27-decembre-1968-19680021.pdf ↩︎
  31. Accord franco-algérien du 27 décembre 1968, article 7 bis h) https://www.immigration.interieur.gouv.fr/content/download/119881/961556/file/Accord-Franco-Algerien-27-decembre-1968-19680021.pdf ↩︎
  32. Service-public.fr, La kafala est-elle reconnue en France ? 27/09/2024 https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F36174 ↩︎
  33. Op. Cit. ↩︎
  34. Fondapol, Politique migratoire : que faire de l’accord franco-algérien de 1968 ? (Xavier Driencourt), mai 2023 https://www.fondapol.org/etude/politique-migratoire-que-faire-de-laccord-franco-algerien-de-1968/ ↩︎
  35. Op. Cit. ↩︎
  36. Conseil d’Etat, 14 février 2001, n°206914 https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000008045282/ ↩︎
  37. Accord franco-algérien, article 7 ↩︎
  38. Par exemple, pour les cartes de séjour « Vie privée et familiale », voir : Carte de séjour « vie privée et familiale » d’un étranger en France | Service-public.fr ↩︎
  39. Accord franco-algérien, article 7 bis ↩︎
  40. Convention générale entre la France et l’Algérie en date du 01/10/1980 https://www.cleiss.fr/pdf/conv_algerie.pdf ↩︎
  41. Service-public.fr, RSA : demandeur de 25 ans et plus, 01/04/2025 https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F19778/personnalisation/resultat?lang=&quest1=1&quest= ↩︎
  42. Service-public.fr, Allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), 01/01/2025 https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F16871/personnalisation/resultat?lang=&quest1=1&quest= ↩︎
  43. Entretien avec France 24, 4 juillet 2020 : https://www.youtube.com/watch?v=bw4gjBmnDVk ↩︎
  44. INSEE, « Répartition des immigrés par groupe de pays de naissance » : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8237722#tableau-figure1 ↩︎
  45. INSEE, Origine géographique des descendants d’immigrés : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4186761#tableau-figure1 ↩︎
  46. Michèle Tribalat, Une estimation des populations d’origine étrangère en France en 2011, 2015 : https://journals.openedition.org/eps/6073 ↩︎
  47. DGEF, Les titres de séjour – La délivrance des premiers titres de séjour : principales nationalités, 04/02/2025 https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Les-chiffres-de-l-immigration-en-France/Sejour ↩︎
  48. Eurostat, 2023 ↩︎
  49. Direction générale des étrangers en France, « La fécondité des femmes primo-arrivantes », 13 mars 2025 : https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Etudes/Infos-migrations/La-fecondite-des-femmes-primo-arrivantes ↩︎
  50. F. Héran, S. Volant et G. Pison, « La France a la plus forte fécondité d’Europe. Est-ce dû aux immigrés ? ». Population & Sociétés n°568, INED, juillet 2019 : https://www.ined.fr/fr/publications/editions/population-et- societes/france-plus-forte-fecondite-europe-immigrees ↩︎
  51. Ministère de la Justice, « Séries statistiques des personnes placées sous main de justice : 1980-2024 », p. 29 : https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/2024-12/series_statistiques_ppsmj.pdf ↩︎
  52. DGEF, Lutte contre l’immigration irrégulière, 04/02/2025 https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Les-chiffres-de-l-immigration-en-France/Lutte-contre-l-immigration-irreguliere ↩︎
  53. INSEE, recensement de la population 2021, fichier NAT2 (mis en ligne le 27/06/2024) : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8202139?sommaire=8202145&geo=BV2022-97101 ↩︎
  54. INSEE, recensement de la population 2021, fichier NAT2 (mis en ligne le 27/06/2024), op. cit. ↩︎
  55. INSEE, Immigrés et descendants d’immigrés – Conditions de logement, édition 2023, 30 mars 2023 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/6793286?sommaire=6793391 ↩︎
  56. INSEE, « Inactivité, chômage et emploi des immigrés et des descendants d’immigrés par origine géographique Données annuelles 2023 », 29 août 2024 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4195420#tableau-figure1_radio1 ↩︎
  57. INSEE, « Inactivité, chômage et emploi des immigrés et des descendants d’immigrés par origine géographique », 29 août 2024 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4195420#tableau-figure1_radio1 ↩︎
  58. INSEE, « Inactivité, chômage et emploi des immigrés et des descendants d’immigrés par origine géographique », 29 août 2024 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4195420#tableau-figure1_radio1 ↩︎
  59. INSEE, Niveau de diplôme des immigrés et des descendants d’immigrés par origine géographique Données annuelles 2023, 29 août 2024 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4187349#figure1_radio2 ↩︎
  60. Chris BEAUCHEMIN, Christelle HAMEL, Patrick SIMON (sous la direction de), Trajectoires et Origines. Enquête sur la diversité des populations en France, INED Editions, 2016, 624 p. ↩︎
  61. L’aide médicale d’Etat : diagnostic et propositions, Inspection générale des finances et Inspection générale des affaires sociales, octobre 2019, p. 115 et 116 : https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/AME.pdf ↩︎
  62. OFII, Rapport au parlement sur la procédure d’admission au séjour pour soins pour l’année 2023, 17/03/2025 https://www.ofii.fr/wp-content/uploads/2025/03/Rapport-au-Parlement-2023-admission-au-s%C3%A9jour-pour-soins.pdf ↩︎
  63. Données de la Banque Mondiale, reprises sur le site de l’Université de Sherbrooke (consulté le
    15/11/2020) : https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMPagePyramide?codePays=DZA&annee=2018 ↩︎
  64. « Selon l’enquête de l’ONS sur l’emploi : le taux de chômage a atteint 12,7% en octobre 2024 », El Watan , 29 décembre : https://elwatan-dz.com/selon-lenquete-de-lons-sur-lemploi-le-taux-de-chomage-a-atteint-127-a-octobre-2024 ↩︎
  65. Daniel LEFEUVRE, op.cit ↩︎
  66. France Campus, Fiche mobilité : Algérie, janvier 2025 https://ressources.campusfrance.org/publications/mobilite_pays/fr/algerie_fr.pdf ↩︎
  67. Voir par exemple Europe 1, « Crise diplomatique : l’Algérie décide de suspendre les laissez-passer consulaires français », 2 mars 2023 : https://www.europe1.fr/politique/crise-diplomatique-lalgerie-decide-de- suspendre-les-laissez-passer-consulaires-francais-4169888  ↩︎
  68. Le Point, « Immigration : Paris renonce à amender l’accord de 1968 avec l’Algérie », 11 décembre 2012 : https://www.lepoint.fr/societe/immigration-paris-renonce-a-amender-l-accord-de-1968-avec-l-algerie-11-12- 2012-1557633_23.php  ↩︎
  69. Amendement n°376, déposé le mercredi 11 avril 2018 : Immigration maîtrisée, droit d’asile effectif et intégration réussie (no 857) Amendement n°376 – Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)  ↩︎
  70. Lire à ce sujet Xavier DRIENCOURT, L’énigme algérienne. Chroniques d’une ambassade à Alger, Editions de l’Observatoire, 2022, 256 p ↩︎
  71.  Rapport du Sénat adopté n° 304 (2024-2025), déposé le 5 février 2025 , Accords internationaux conclus par la France en matière migratoire, par les sénateurs Mme Muriel JOURDA et M. Olivier BITZ https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/commissions/commission-des-lois/accords-internationaux-conclus-par-la-france-en-matiere-migratoire.html ↩︎

La rétention administrative : un outil indispensable à rénover

Au sein de l’Union européenne, la France est le pays qui prononce le plus de décisions de retour à l’encontre de ressortissants de pays tiers, soit 138 739 en 20231 sur un total de 484 160 pour l’ensemble des 27 pays.2

Les 4 lettres « OQTF » pour Obligation de Quitter le Territoire Français sont désormais largement répandues dans le langage courant, même si l’expression est inappropriée puisque la mesure d’éloignement émise en France est valable pour l’ensemble du territoire européen. Pour rappel, une OQTF est une décision administrative délivrée par la préfecture, qui a pour objectif d’éloigner un ressortissant étranger du territoire national. Elle est notamment édictée en cas de séjour irrégulier en France, de refus ou de retrait d’un titre de séjour. Celle-ci est assortie d’une décision fixant le pays de destination et d’une décision accordant ou non un délai de départ volontaire. Enfin, elle peut être accompagnée d’une interdiction de retour sur le territoire français, d’une assignation à résidence ou d’un placement en rétention – objet de la présente étude. De nombreuses critiques ont été émises à l’encontre des faibles résultats français en matière d’exécution effective de ces mesures. Le rapport de la Cour des comptes de janvier 2024 indique à cet égard un taux d’exécution de l’ordre de 10%.

Face à ces chiffres d’une certaine brutalité, quelle réalité se cache dans le dispositif français : disposons-nous suffisamment de moyens ? Sommes-nous correctement organisés ? Pourquoi tant d’échecs ? Quelle est la stratégie mise en place par les autorités françaises ? Comment pourrions -nous améliorer ces piètres résultats ? Sommes-nous réduits à l’impuissance éternelle ou disposons-nous encore de marges concrètes de progrès ?

En tout état de cause, notre droit européen et français n’est plus en capacité de répondre à une immigration massive.

Dès que l’on parle d’éloignement, on évoque systématiquement la rétention administrative. Pourtant le recours à ce moyen de privation de liberté n’est pas la technique la plus courante ni la plus juridiquement admissible pour réaliser une mesure d’éloignement. Pour autant la rétention administrative constitue pour l’opinion publique comme pour la Cour des comptes la mesure la plus à même de mettre en œuvre un éloignement de façon effective.

En 2023, 47 000 personnes ont été retenues dans les différents centres de rétention dont 17 000 en métropole et 30 000 en outre-mer dont 28 000 à Mayotte. Outre les étrangers sous OQTF (75%) des retenus, on comptabilise aussi les interdits judiciaires du territoire (12%), les expulsés (2,6%), les remises Dublin (8%) …

La rétention administrative, comme son nom l’indique, ne relève pas de l’administration pénitentiaire. Il s’agit d’une mesure privative de liberté qui permet de s’assurer d’une personne pendant le temps strictement nécessaire à la mise en œuvre de la mesure d’éloignement. Le recours à ce moyen est strictement limité par la directive retour 2008/115/CE du 16 décembre 2008 : le départ volontaire est privilégié et la rétention administrative constitue une exception, qui ne doit concerner que des personnes présentant notamment un risque de fuite.

1.1 La directive « retour » : la mal nommée

L’article 15 de la directive dispose : « Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise ».

Chaque État européen fixe sa propre durée maximale de rétention sans qu’elle ne soit supérieure à 6 mois, sauf lorsque l’étranger refuse de coopérer ou lorsque les laissez-passer consulaires tardent à être délivrés. Dans ces deux dernières hypothèses, la durée maximale de rétention peut être portée à 18 mois.

Le principe posé par la directive retour est la progressivité dans la mise en œuvre de la mesure d’éloignement, avec tout d’abord un délai de départ volontaire puis si nécessaire une assignation à résidence et en dernier recours la rétention administrative dans un lieu adapté à cet effet. La rétention administrative n’est donc pas systématique, mais marginale dans l’esprit et la lettre de la directive européenne.

Dans les faits, le délai de départ volontaire et l’assignation à résidence sont plutôt mis à profit pour organiser la fuite et la clandestinité. De son côté, la rétention administrative concentre toutes les critiques au regard d’un taux d’exécution d’éloignement insuffisant au regard des moyens engagés. Ce taux moyen général varie de 40 à 50% en métropole mais parfois davantage notamment à Mayotte avec un taux proche de 80% et une durée de rétention inférieure à 48 h. Tout cela est parfaitement détaillé dans le rapport de la Cour des comptes de janvier 2024 sur la politique de lutte contre l’immigration irrégulière.

La rétention administrative, malgré les difficultés détaillées plus loin, reste toutefois le moyen le plus efficace pour éloigner. Ainsi, dans le rapport précité, la Cour des comptes souligne également que la rétention est « indispensable à l’efficacité de l’éloignement forcé » puisque « près de la moitié des personnes placées en centre de rétention administrative ont été effectivement éloignées »3.

1.2 Le droit positif français

La rétention administrative a été introduite dans notre droit en 1981 avec une durée maximale de 7 jours et, depuis 2019, elle est d’une durée maximale de 90 jours sauf cas particulier notamment pour des étrangers condamnés définitivement pour des faits de terrorisme avec un maximum porté à 210 jours. On voit donc ainsi que la France a décidé de ne pas utiliser toute la latitude offerte par la législation européenne. Si cette directive européenne concentre de nombreuses critiques justifiées sur d’autres aspects, il faut reconnaître que sa transposition insuffisante dans notre droit interne relève d’une responsabilité nationale, celle-ci ayant été limitée s’agissant de la durée maximale de rétention.

Outre les centres de rétention administrative statutaires créés par le ministère de l’Intérieur, il existe des locaux de rétention administrative (LRA) au nombre de 28, dont l’usage est limité à une durée maximale de 48h. Ces derniers peuvent être permanents ou temporaires et sont créés par le préfet du lieu d’implantation.

2.1 Des moyens immobiliers, humains et budgétaires à la hauteur des enjeux ?

2.1.1 Les moyens immobiliers

Le territoire national compte 26 CRA pour une capacité actuelle de l’ordre de 2 000 places devant être portée à 3 000 à l’horizon 2027. A titre de comparaison, le nombre d’étrangers clandestins sur le sol français est compris entre 600 000 à 900 0000 individus selon le ministère de l’Intérieur, tandis que pour la seule année 2023, 138 739 OQTF ont été prononcés.

Le nombre de places en CRA est donc particulièrement limité par rapport aux besoins réels, et représente un frein à l’efficacité de la politique d’éloignement, comme le pointe du doigt la Cour des comptes : « entre 2019 et 2022, seuls 5 % des étrangers en situation irrégulière titulaires d’une obligation de quitter le territoire français ont été placés dans l’une des 1 717 places disponibles en CRA »4.

Ainsi, on peut donc considérer qu’il faudrait environ 15 000 places de rétention pour répondre à l’ensemble à des éloignements forcés à mettre en œuvre.

La capacité maximale d’hébergement pour un CRA est de 140 places mais tous les centres n’atteignent pas ce nombre. Le total des places disponibles dissimule des écarts importants entre des CRA de petite taille comme Hendaye avec 20 places et d’autres de 140 places comme celui du Mesnil Amelot. Le nombre de CRA et leur capacité maximale sont de la compétence de chaque État membre.

Il serait tout à fait logique que l’Union européenne finance intégralement les dépenses liées au retour afin de soulager les efforts.

La cartographie des lieux d’implantation n’est pas toujours logique même si la plupart du temps les CRA sont implantés à proximité des frontières, des grands centres urbains et des points d’éloignement, comme les ports ou les aéroports, à l’instar de Roissy.

Il est arrivé que des CRA soient créés uniquement pour des questions d’opportunité foncière ou que d’autres qui seraient nécessaires ne l’aient pas été pour des raisons de politique locale – l’Etat faisant face à un manque de coopération des municipalités pour accueillir des CRA en leur sein. On peut regretter par exemple qu’il n’existe pas de centre de rétention à proximité de l’aéroport d’Orly. De même, des aléas en matière d’investissements immobiliers sont pointés du doigt par la DGEF (difficile programmation pluriannuelle, mise en œuvre complexe, contraintes liées aux études préalables de faisabilité, à la passation des marchés d’études et de travaux, puis à l’exécution de ces marchés)5. Ainsi, les enveloppes budgétaires dédiées au financement des CRA ne sont pas pleinement utilisées : « pour les dépenses d’investissement immobilier des centres de rétention administrative (CRA), locaux de rétention administrative (LRA) et des zones d’attente, l’écart entre la LFI 2023 et l’exécution 2023 est de 35,4 M€ en AE et de 12,5 M€ en CP »6.

Il existe autant de configurations immobilières que de CRA. Certains parmi les plus récents comme Olivet dans le Loiret sont conformes à un référentiel immobilier national tandis que d’autres plus anciens se trouvent dans des casernes transformées comme Nice Auvare ou des hôtels désaffectés comme Lyon 1. Il existe en effet non pas un « CRA type » mais différentes générations de bâtiments ayant subi des transformations, des évolutions liées à l’hébergement, à la sécurité ou à la capacité d’accueil suite à des opérations d’extension (Coquelles, Perpignan). Ainsi ce parc très disparate génère des difficultés d’entretien et ne répond pas toujours aux besoins des services qui les utilisent. Certaines régions sont mieux pourvues (PACA) alors que d’autres doivent escorter les retenus parfois sur plusieurs centaines de kilomètres (Bourgogne-Franche-Comté) ou encore pour trouver une place disponible en cas de saturation locale.

Pour autant, les centres de rétention administrative obéissent à des normes d’hébergement et d’équipements correspondants ou s’inspirant d’un régime hôtelier ou de la restauration collective, avec par exemple une surface minimale de 10 m² par retenu, des lavabos, des douches et des WC en libre accès et en nombre suffisant etc… Au-delà de 40 retenus, une salle de détente doit avoir une superficie supérieure à 50 m². Les CRA s’inspirent des établissements recevant du public (ERP) au regard des règles de sécurité, sans pour autant y être assimilés.

D’autres installations sont réglementaires comme des salles dotées d’équipements médicaux, un local de visite pour les familles et les consuls, un local pour les avocats, des téléphones en libre accès, un espace de promenade à l’air libre, des locaux pour les associations et l’OFII etc…

Certains CRA récents bénéficient de la présence à leur proximité d’une salle d’audience pour les prolongations de rétention administrative ou d’une salle de visioconférence comme au Mesnil Amelot, à Marseille ou encore à Nîmes. Compte tenu des facilités accordées par la loi du 26 janvier 2024, il est désormais impératif de doter chaque CRA d’une salle de visioconférence et/ou d’audience et de généraliser les audiences selon ces modalités avec les juges judiciaires, les juges administratifs et l’OFPRA. Cependant, il y a encore de fortes réticences voire des refus de magistrats d’utiliser ces moyens modernes alors que cela n’avait posé aucune difficulté durant l’épisode d’épidémie du Covid-19.

Le mobilier respecte également un référentiel national afin de doter les CRA d’équipements comparables comme la literie. Ces mobiliers sont « durcis » à l’instar de ce que l’on trouve dans les centres pénitentiaires compte tenu des dégradations permanentes constatées et commises par les retenus eux-mêmes. Ils doivent résister également aux incendies ou encore à leur utilisation potentielle comme armes par destination.

Des efforts considérables ont été consentis afin d’améliorer les conditions de vie des retenus ainsi que pour la mise en place d’activités récréatives comme des jeux vidéo, des livres etc… compte tenu de l’allongement progressif de la durée moyenne de rétention qui aujourd’hui se situe au-dessus de 30 jours par personne en métropole. Au cas où l’objectif des 3000 places en CRA 2027 était atteint, notre capacité maximale théorique de rétention serait alors de 36 000 retenus par an en métropole contre 24 000 aujourd’hui.

Rapport de la députée Klinkert d’octobre 20247

*SEP : sortants établissements pénitentiaires

Tout cela est bien sûr théorique car de nombreuses chambres font l’objet de dégradations quotidiennes qui les rendent impropres à une utilisation normale. On estime entre 10 et 15% les chambres inutilisables pour des motifs d’entretien ou de réhabilitation.

Cela nécessite donc un pilotage et une priorisation des placements en rétention administrative au regard des capacités disponibles. Il ne faut toutefois pas négliger la possibilité de mettre en œuvre des éloignements aidés ou volontaires de façon ciblée au regard du profil des personnes pour alléger la charge pesant sur le processus de rétention qui est lourd, coûteux voire aléatoire compte tenu des nombreuses causes d’échec. C’est également ce que préconise la Cour des comptes dans un rapport de 2020, pour qui « les départs volontaires aidés, gérés par l’OFII, constituent le moyen le plus efficace et le moins coûteux d’obtenir le départ de personnes obligées de quitter le territoire »8.

2.1.2 Les moyens humains

Afin d’armer les centres de rétention administrative de personnels d’État en charge des missions de garde, d’escorte, de gestion et de suivi juridique, la Police Nationale doit fournir théoriquement 3000 à 3500 policiers. En effet on considère de façon très générique que pour armer une place de rétention il convient d’affecter 1,5 policier. Toutefois cette règle est rarement applicable compte tenu de la diversité des CRA, de leur taille, de la charge des escortes et des transferts, de la dangerosité des retenus etc… Ainsi, dans son rapport de 2024, la Cour des comptes explique que le ratio de référence est parfois plus élevé en réalité, comme 2,2 à Sète.9

Dans notre droit il n’est pas possible d’externaliser les missions régaliennes comme la garde des personnes. Des tentatives d’externalisation de certaines missions ont été partielles, s’agissant de l’accueil des retenus ou encore du transport ou enfin de la sécurité incendie. Les équivalents temps plein économisés (ETP) ont été modestes pour un coût relativement élevé. Le policier est polyvalent alors que les agents privés sont spécialisés voire « monotâches ». En matière de répartition des missions, sur 10 policiers, on considère qu’il faut entre 5 et 6 policiers pour la mission de garde, 3 à 4 pour la mission d’escorte et un à 2 pour les missions de direction et de greffe. Cela est toutefois très variable selon la taille du CRA, sa configuration, sa sécurisation passive ou encore son implantation àproximité des tribunaux, des aéroports, des ports ou des consulats. Plus un CRA est petit et plus il sera coûteux en personnels. Dans l’idéal, une taille de l’ordre de 80 à 100 places est considérée comme optimale.

La question des effectifs est incontournable afin de disposer d’un personnel en qualité et en quantité suffisante pour sécuriser le site et améliorer les résultats d’éloignement. La police aux frontières assure des formations continues pour le chef de centre qui est un cadre polyvalent et pluridisciplinaire, le greffe et le personnel de garde. La mission de rétention est difficile dans un contexte où les retenus sont souvent des auteurs de troubles à l’ordre public ou des sortants de prison.

Néanmoins, la Cour des comptes pointe également « des difficultés de recrutement pour affecter des nouveaux personnels sur ces métiers peu attractifs »10. Face à cette problématique, il conviendrait donc de créer un corps spécifique de policiers auxiliaires dédiés à la rétention administrative – tout en conservant un encadrement policier au niveau du greffe et de la direction des CRA.

Des incidents sont fréquents entre les retenus eux-mêmes (nationalités ou ethnies différentes), contre les policiers, contre les effectifs des services partenaires présents au sein des CRA comme le personnel médical, les associations ou encore l’OFII. Cela demande une attention permanente afin d’éviter également des troubles entre des communautés différentes tant de jour que de nuit notamment à l’occasion de la période sensible du Ramadan.

Les départs d’incendie sont quotidiens et la gestion de l’ordre dans un milieu confiné complexe.

Des formations au maintien et au rétablissement de l’ordre sont réalisées afin de tester les capacités à réagir notamment à des troubles collectifs ou à des tentatives d’évasion groupées.

Les policiers réalisent leur mission avec beaucoup de professionnalisme, d’humanité et de respect du droit des personnes. Il importe que leur mission soit facilitée par une sécurisation suffisante des abords mais aussi de l’intérieur des CRA : en effet sous prétexte d’éviter de donner un caractère trop carcéral à ces bâtiments, on a pu créer ici ou là y compris dans des CRA récents des vulnérabilités (absence de caméras ou de dispositif de détection des personnes, accès facilité pour la montée sur les toits, insuffisance voire absence de chambre de mise à l’isolement, entretien et maintenance des matériels etc…)

Il conviendrait de réaliser systématiquement des diagnostics de sûreté par des personnels formés afin d‘effectuer des missions préventives mais aussi correctives suite à des incidents majeurs.

Outre le personnel de police les centres de rétention administrative accueillent des associations de défense juridique des retenus subventionnées par l’État. Ces associations militantes pourraient être judicieusement remplacées par l’OFII ou par des avocats sans nuire à la défense des droits individuels. À ce titre, les récentes déclarations du Ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau pourraient faire bouger les lignes en ce sens : « Je considère que le conseil juridique et social aux personnes retenues dans les CRA relève de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) et non des associations, qui sont juge et partie »11.

En effet chaque étranger bénéficie déjà des services d’un avocat à chaque étape de sa procédure qu’elle soit judiciaire ou administrative. Leur présence dans les CRA leur permettrait d’avoir un accès plus précoce à chacun des dossiers et de fournir aux juridictions et aux retenus eux-mêmes un meilleur éclairage juridique. D’autres institutions internationales reconnues comme l’OMI pourraient être également légitimes pour exercer cette mission.

Le personnel médical est un élément essentiel de la bonne santé des personnes retenues car il existe de nombreuses pathologies ou fragilités à surveiller qu’elles soient physiques ou psychologiques. Il convient que ces antennes ou annexes médicales des hôpitaux locaux soient correctement dotées et équipées afin d’éviter des transferts et gardes à l’hôpital trop nombreux.

Le personnel de l’OFII apporte également une contribution significative pour faciliter l’éloignement des retenus par une aide matérielle (récupération d’affaires personnelles, fermetures de comptes bancaires etc…). Enfin, comme toute collectivité, les centres de rétention ont besoin d’un personnel qui assure le nettoyage, la fourniture des repas, le blanchissage ou encore l’entretien courant des installations.

2.1.3 Les moyens budgétaires

Le budget est prévu à hauteur de 69 millions d’euros en 2025 pour les CRA, LRA et zones d’attente sur le programme budgétaire 303 géré par la DGEF tant pour l’entretien que pour la construction de nouvelles places de rétention. Il faut y ajouter les dépenses de personnel de la police nationale prévues sur un autre programme budgétaire, le programme 176. Ce dernier doit faire face à des besoins accrus de dépenses pour armer les nouvelles places (1000 en 3 ans) et financer des vacations des réservistes appelés en renfort et /ou des postes de policiers adjoints. La coexistence de ces 2 programmes budgétaires liée à la rétention ne facilite pas une bonne gestion des crédits liés à la rétention comme l’avait souligné la Cour des comptes.

Par ailleurs, le coût moyen d’une rétention est élevé : selon la Cour des comptes, celui-ci était chiffré à 6 234 euros par retenu en 201912, sans compter les autres coûts liés notamment aux moyens de transport et d’éloignement.

2.2 Les missions, l’organisation et l’activité d’éloignement en rétention

2.2.1 Les missions des CRA

La mission principale d’un CRA n’est pas de retenir les étrangers en situation irrégulière mais de préparer leur retour vers leur pays d’origine. De même la rétention administrative n’est pas non plus une peine ou une sanction. Il est important de rappeler ce principe essentiel que la rétention administrative est le délai strictement nécessaire pour permettre d’organiser les préparatifs du retour comme la délivrance le cas échéant d’un laissez-passer consulaire, la mise en place d’une escorte, la réservation d’un moyen de transport etc…

Il existe de nombreuses cases « à cocher ».

2.2.2 L’organisation d’un CRA

Le contrôle juridique du dossier individuel d’un étranger et son suivi pendant l’ensemble de son séjour dans un CRA est une mission sensible qui relève directement de la responsabilité du chef de centre. Il est garant de la régularité de la rétention tant au niveau de sa base juridique pour éviter des détentions arbitraires que des décisions de prolongation, des recours, des transferts et plus généralement de la « vie administrative » des retenus. Le chef de centre est nommé par le préfet du département du lieu d’implantation : il est assisté par un chef de greffe.

Le chef de centre, issu de la police nationale, est le véritable coordonnateur tant de ses propres services que des autres services intervenants (associations, OFII, personnel médical) et des prestataires de service. Il constitue le point de contact pour les autorités administratives et judiciaires. Il est le « chef d’orchestre » avec des compétences policières, juridiques, administratives, budgétaires mais aussi humaines car il pilote toute une communauté dans un espace limité et contraint.

Il est tenu un état détaillé de tous les incidents émaillant la vie du centre notamment les rébellions, les tentatives de suicide, les mises à l’isolement, les destructions etc…

2.2.3 L’activité d’éloignement

2.2.3.1 Les pôles interservices d’éloignement (PIE)

Dans certains CRA ont été créés des pôles interservices d’éloignement (PIE) où ont été expérimentées des délégations préfectorales en matière d’instructions des laissez-passer consulaires, de demande de « routing » ou réservation des moyens de transport ou encore de défense au contentieux administratif ou judiciaire. Cela a pour intérêt de décharger de ces missions chronophages les préfectures et de professionnaliser la mission d’éloignement sous le contrôle et l’autorité des préfets de département qui donnent mandat à ces PIE de les représenter.

Il serait de bonne gestion, au vu des résultats positifs enregistrés, de généraliser ces PIE à l’ensemble des CRA et le cas échéant d’élargir leurs prérogatives. Ces PIE peuvent agir pour plusieurs départements en totale connexion avec les préfectures grâce à certains outils numériques tels que Logicra ou Gestel qui sont des bases de données utilisées par la PAF, sur la situation en temps réel des retenus et les modalités de leur éloignement.

2.2.3.2 La garde et les escortes

Il s’agit de la mission classique mais néanmoins essentielle pour maintenir la sécurité au sein des CRA et surveiller des étrangers qui présentent par définition, un risque de fuite manifeste. Les policiers doivent être formés à cette mission sur le plan juridique, technique avec des gestes appropriés mais également sur le plan psychologique afin d’entretenir avec les personnes retenues un contact respectueux, bienveillant mais ferme. Compte tenu de la typologie des étrangers sortants de prison ou récalcitrants, il est devenu nécessaire de doter les CRA de matériels tels que des pistolets à impulsion électrique ou encore des matériels de rétablissement de l’ordre.

2.2.3.2 La typologie des retenus

Sur 17 000 personnes retenues en métropole en 2023, il y avait 95% d’hommes, 5% des femmes et 87 mineurs accompagnant leur(s) parent(s) – à noter que depuis la récente loi du 26 janvier 2024 « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », le placement de ces derniers en CRA est désormais interdit13. On remarque que plus de 50% des retenus sont des ressortissants issus du Maghreb avec une prédominance des Algériens, qui représentent un tiers du total. Chaque CRA est particulier s’agissant du profil des personnes : par exemple dans celui de Palaiseau les sortants de prison représentent la majeure partie des retenus issus de la prison de Fleury Mérogis tandis que celui de Nice concentre des personnes ayant franchi irrégulièrement la frontière italienne.

Le tableau ci-dessous, issu du rapport commun d’associations sur les centres et locaux de rétention administrative, précise les différentes nationalités qui font l’objet d’une mesure de rétention administrative (données 2023)14.

On remarque également que la durée de moyenne de rétention varie sensiblement selon les nationalités représentées : par exemple plus de 30 jours pour un Algérien et moins de 15 jours pour un Roumain. Le principal facteur de variation de la durée de rétention est constitué par la procédure de délivrance du laissez-passer consulaire et de la bonne volonté (ou pas) du pays de retour.

2.3 Les contrôles

À l’instar de toute mesure privative de liberté, la rétention administrative fait l’objet d’un contrôle étroit et constant de la part d’autorités administratives indépendantes (le contrôleur général des lieux de privation de liberté et le défenseur des droits), du procureur de la République et des juges des libertés et de la détention mais également d’institutions européennes (comme la Commission d’Evaluation Schengen, l’Agence européenne des droits fondamentaux ou encore du comité de prévention de la torture).

Il faut y ajouter des contrôles internes qu’ils soient hiérarchiques ou de l’autorité préfectorale. Enfin il faut signaler la mise en œuvre de droits de visite pour les parlementaires nationaux et européens mais également de la presse. Loin d’être des lieux de non droit, les centres de rétention administrative sont « scrutés » également par les associations qui y sont implantées en permanence. Ce sont donc des lieux accessibles et visitables.

Outre le respect des droits individuels des personnes, les contrôles veillent également aux conditions de vie. Des remarques sont régulièrement formulées s’agissant du vieillissement des bâtiments. Le ministère de l’Intérieur et la Direction générale des étrangers en France engagent chaque année des crédits importants pour l’entretien des infrastructures mais aussi pour améliorer les équipements de loisirs et le mobilier. Il faut regretter que les dégradations soient réalisées par les retenus eux-mêmes.

Les conditions de travail des policiers ne sont pas toujours optimales notamment dans les CRA les plus anciens. La chaîne de maintenance des centres de rétention est relativement complexe avec l’intervention de l’administration centrale, des SGAMI (Secrétariat général pour l’administration du ministère de l’Intérieur) et des chefs de centres de rétention, ce qui peut retarder des réparations et donc la remise en service des chambres neutralisées.

Au regard des moyens disponibles, une stratégie d’emploi des centres de rétention est nécessaire pour optimiser la capacité d’hébergement forcément limitée ainsi que les personnels disponibles pour assurer l’ensemble des missions d’éloignement. Les centres de rétention ont tous une vocation nationale et le nombre de CRA ne permet pas de mettre à disposition de chacun des préfets de département un centre de rétention spécifique.

Les locaux de rétention administrative qu’ils soient permanents ou temporaires sont créés en revanche par les préfets de département : compte tenu de la faible durée autorisée, ils servent souvent de SAS d’entrée et d’attente pour les CRA. Leur utilité est parfaitement établie pour les départements non pourvus d’un CRA.

3.1 La gestion des entrées et des sorties en centres de rétention administrative

Quatre principes sont mis en œuvre dans la stratégie d’utilisation des centres de rétention : la mutualisation des moyens, la coordination, la priorisation, et la professionnalisation.

3.1.1 La mutualisation des moyens

Cette mutualisation concerne la disponibilité des chambres mais également les moyens disponibles pour assurer l’éloignement c’est-à-dire les escortes et transferts, les moyens de transport, etc…

Il est donc nécessaire que l’information soit partagée avec un chaînage étroit entre les préfectures, les centres de rétention et l’administration centrale. La rétention administrative doit être la plus courte possible et la plus utile possible avec une perspective raisonnable d’éloignement.

3.1.2 La coordination

La coordination vise à éviter de neutraliser inutilement des places de rétention avec des étrangers non éloignables, une coordination est mise en œuvre au niveau zonal et au niveau central. Cette coordination suppose un arbitrage des entrées en anticipant les perspectives d’éloignement mais également en décidant des libérations lorsqu’il n’existe pas de probabilité d’un retour vers le pays d’origine ou un pays où l’étranger est légalement admissible. Il faut éviter également qu’un préfet ayant un CRA implanté dans son département ne favorise ses placements en rétention.

Plusieurs préfets de zone ont mis en place cette coordination avec un référent « Régulation Rétention », mais le plus bel exemple à citer se situe en île de France avec la création d’un préfet délégué à l’immigration qui est amené à jouer ce rôle de pilote et d’intermédiaire avec les préfets de département ayant prononcé un placement en rétention. En cas de difficultés c’est l’administration centrale (DGEF et DNPAF) qui peut être saisie.

Il est souvent utile de rapprocher les futurs éloignés des points d’éloignement que sont les aéroports ou les ports. Des transferts de CRA à CRA sont souvent réalisés dans cette perspective.

3.1.3 La priorisation

Cette orientation a été rendue nécessaire par le décalage entre les besoins et les disponibilités de rétention a été renforcée suite à l’affaire Hannachi en 2017 (homicide par un tunisien sous OQTF élargi du CRA de Lyon faute de place disponible, de deux jeunes femmes à Marseille).

Par une instruction du 16 octobre 2017, le ministre de l’Intérieur entendait afficher clairement cette priorisation à l’égard de tous les étrangers en situation irrégulière ou pas, pouvant constituer une menace de trouble à l’ordre public, les personnes radicalisées ou connues pour activités terroristes et les sortants de prison. Ces consignes ont par la suite été rappelées dans une instruction du 3 août 2022 « la rétention doit être prioritairement destinée aux étrangers en situation irrégulière (ESI) auteurs de troubles à l’ordre public (…) y compris lorsque l’éloignabilité ne paraît pas acquise au jour de la levée d’écrou ou de l’interpellation (…) En cas de manque de places disponibles, il convient de libérer systématiquement les places occupées par les ESI sans antécédents judiciaires non éloignables et de les assigner à résidence » puis dans une circulaire datée du 17 novembre 2022 « Depuis désormais deux ans, je vous ai demandé de prioriser l’éloignement et le refus et retrait de titres de séjour pour les étrangers dont le comportement représente une menace pour l’ordre public ».

A ce titre, la Cour des comptes souligne que ces profils « représentaient plus de 90% des retenus à la fin de l’année 2022, contre moins de 50% six mois auparavant » et pointe « des conséquences importantes sur la gestion des centres de rétention administrative », puisque « le délai moyen de rétention s’est allongé, les dégradations et incidents ont augmenté »15. A ce titre, il convient donc de souligner que tous les étrangers dangereux ou présentant un trouble à l’ordre public ne sont donc pas placés en rétention administrative, faute de places suffisantes.

L’anticipation de l’éloignement des sortants de prison est fermement rappelée car la phase d’incarcération doit être mise à profit pour préparer l’éloignement (délivrance des laissez-passer consulaires, réservation du moyen de transport et de l’escorte etc…). Malgré la généralisation de protocoles départementaux sur la gestion des étrangers incarcérés on constate encore des cas de placement en rétention administrative suite à une absence de traitement en amont (cf affaire Philippine). Il est vrai que la phase d’incarcération oblige à des extractions, ce que certains services de police ou de gendarmerie « rechignent » à faire. Cela reporte ainsi la charge des préparatifs de l’éloignement sur le centre de rétention administrative.

Cette circulaire mobilise l’ensemble des préfets également pour mener des démarches systématiques en vue de procéder à des identifications consulaires. Cette volonté ministérielle a depuis été renouvelée par d’autres circulaires afin de renforcer cette politique de priorisation pleine de bon sens et de réalisme. L’opinion publique ne comprendrait pas que des auteurs de crimes ou de délits soit remis en liberté au détriment d’étrangers en situation irrégulière sans antécédents judiciaires ni profil dangereux. Si l’idée paraît simple en théorie, elle est beaucoup plus complexe au quotidien pour analyser au cas par cas de façon précise la dangerosité, l’éloignabilité et les disponibilités liées aux moyens.

S’il parait « simple » de prioriser les entrées, il est en revanche plus délicat de libérer un étranger dont les perspectives d’éloignement sont minces alors que des dossiers plus « solides »se présentent pour l’admission à l’entrée.

3.1.4 La professionnalisation

Afin de mener à bien le dispositif d’éloignement il est impératif de disposer de personnels formés et aguerris à l’ensemble des missions : le contentieux, le greffe juridique, la garde, les escortes nationales et internationales, l’identification consulaire…

La police aux frontières détient cette expertise et ce savoir-faire sur lesquels s’appuient à juste titre les préfectures et la direction générale des étrangers en France. Ce modèle mérite d’être renforcé tant en termes d’organisation que de moyens ainsi que sur le plan juridique.

Compte tenu du parcours d’obstacles, la réussite de chaque éloignement est un succès pour protéger les citoyens français d’individus indésirables et ayant démontré une capacité de nuisance sur notre territoire.

La remise en liberté pour motif juridique ou pour absence de laisser passer consulaire est vécue comme un échec et un risque pour la sécurité nationale. Ces échecs bien trop nombreux car moins d’un étranger sur deux placés en rétention n’est pas éloigné mérite une analyse précise pour mettre en œuvre des mesures correctives.

3.2 Les causes d’échec de la rétention administrative

Malgré les difficultés enregistrées, l’éloignement depuis les centres de rétention est plus efficace que les autres modalités proposées par la directive retour. La rétention administrative fait néanmoins l’objet de nombreuses causes d’échec exogènes au ministère de l’Intérieur détaillées plus loin.

Si la décision de retour avec délai de départ volontaire ainsi que l’assignation à résidence sont rarement suivies d’un éloignement, la rétention administrative n’est pas synonyme pour autant d’un éloignement assuré. En effet le parcours d’obstacle ou d’embûches est révélé par les nombreuses causes d’échec qui annihilent tous les efforts des services capteurs mais aussi des services préfectoraux.

On recense ainsi plus d’une trentaine de causes d’échec qui font l’objet d’une comptabilité précise : la complexité de la procédure spécifique au contentieux des étrangers, le chaînage des opérations d’éloignement qui engagent plusieurs acteurs, le processus de délivrance des laissez-passer consulaires, ou encore les limites capacitaires liées aux moyens dédiés aux centres de rétention permettent d’expliquer les taux d’éloignement depuis les CRA.

Le tableau ci-dessous publié dans le rapport d’octobre 2024 de la députée Brigitte Klinkert16 présente les principales causes d’échec.

3.2.1 Le rôle du juge des libertés et de la détention

La première cause d’échec est liée aux libérations prononcées par les juges notamment judiciaires lors des phases de prolongation de la rétention administrative. En effet, on observe en la matière un rôle majeur attribué au juge des libertés et de la détention (JLD), qui rend précaire la rétention des étrangers dangereux dans les CRA :

  • Après le placement en CRA, au bout de 4 jours, une première autorisation du JLD est nécessaire pour une prolongation de 26 jours ;
  • Au terme de 30 jours de rétention, le JLD doit être saisi pour une deuxième autorisation de prolongation d’un délai à nouveau de 30 jours ;
  • Une fois ce délai expiré, l’article L. 742-5 du code prévoit une troisième prolongation, dite exceptionnelle, de quinze jours ;
  • Enfin, une quatrième et dernière prolongation, encore plus exceptionnelle, doit être sollicitée, celle-ci étant de quinze jours.

A ce titre, on peut pointer du doigt des jurisprudences absurdes, qui ne facilitent pas la tâche des services de l’Etat. Par exemple, dans une ordonnance du 3 février 2024, le juge des libertés et de la détention de Lille a ordonné la remise en liberté de sept étrangers en situation irrégulière sur le fondement d’un problème d’accès au téléphone, le droit prévoyant que les étrangers placés en CRA doivent disposer d’au moins un téléphone en libre accès pour 50 retenus, alors même que ces cabines téléphoniques ont été détériorées par les occupants du centre eux-mêmes17.

Pourtant, cette cause est très rarement citée alors que le défaut de délivrance des laissez-passer consulaires est davantage mis en avant. Le niveau de ces libérations est particulièrement préoccupant et peut être attribué à plusieurs facteurs : une procédure exagérément formaliste dont les agents procéduriers ne maitrisent pas toujours toutes les subtilités mais que les avocats spécialisés (financés par l’Etat) s’ingénient à démonter, une faible défense du contentieux par l’Etat lui-même et des magistrats peu motivés par les sujets migratoires. La libération par un JLD d’un étranger pour motif juridique lié à la rétention ne met pas fin pour autant à la situation irrégulière. Il importe que chaque libération donne lieu systématiquement à une assignation à résidence qui soit inscrite au fichier des personnes recherchées et fasse l’objet d’un suivi. Par ailleurs il est fréquent que des magistrats judiciaires assignent à résidence sans vérification préalable de l’existence d’un lieu réel d’hébergement. On voit ainsi des « sans domicile fixe » assignés à résidence ou encore des assignations à résidence dans un département différent de celui du tribunal judiciaire sans garantie de représentation.

De même, dans un arrêt du 7 janvier 2025, la Cour de cassation a fait savoir que la formule légale « 4 jours » de rétention administrative (appliquée à la décision de l’autorité administrative) ne signifie pas forcément 96 heures. En effet, celle-ci considère qu’il convient de décompter entièrement le premier jour de rétention, quelle que soit l’heure de notification, permettant ainsi de réduire la durée totale de la rétention18. Or, ce n’est pas un détail d’amputer une journée quand il s’agit d’exécuter une OQTF et de réunir l’ensemble des conditions nécessaires.

Il serait particulièrement utile que les préfets de département puissent accéder à la possibilité de déclarer un appel suspensif suite à une libération ordonnée par un juge des libertés et de la détention.

Il importe que le ministère de la justice (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui) rédige une circulaire destinée aux parquets afin de donner des axes d’une politique pénale à l’encontre de l’immigration irrégulière par exemple s’agissant des poursuites pour refus d’embarquer ou pour soustraction à une mesure d’éloignement par refus d’identification.

La formation et la professionnalisation sont les clés d’une amélioration significative des procédures liées au contentieux des étrangers. Il serait souhaitable également que les causes de nullité n’affectent la validité des procédures qu’en cas d’atteinte aux garanties procédurales substantielles.

3.2.2 La problématique de l’identification des étrangers

La deuxième principale cause d’échec relève de l’identification des étrangers : l’administration doit apporter des éléments probants relatifs à l’identité de la personne et à sa nationalité afin de prétendre obtenir un document de voyage auprès d’une représentation consulaire, permettant ainsi la réadmission d’un étranger en situation irrégulière. Il s’agit ici d’un véritable défi car l’administration ne dispose d’aucun moyen d’investigation dans le pays présumé et se trouve par là même à la merci du bon vouloir de son pays d’origine.

Quand de plus l’étranger lui-même fait obstacle à son identification par un refus de communiquer les informations utiles ou encore par un refus de prise de ses empreintes digitales, l’administration est confrontée à une impossibilité de donner suite.

Il existe également des difficultés opérationnelles liées à ce que l’on appelle « la carte consulaire » qui exige qu’un retenu relève de la compétence territoriale du préfet ayant émis une décision d’éloignement et non de celui de son lieu de rétention. Par exemple, un étranger interpellé dans le département du Nord et qui serait transféré au CRA de Lyon doit être présenté au consulat de Lille et non à celui du lieu de rétention. Cela oblige à des transferts pour des raisons purement bureaucratiques. Il est nécessaire de renégocier avec les représentations diplomatiques une modification de ces règles de compétences territoriales – avec, si besoin, une pression diplomatique au plus haut niveau.

Enfin, les formalités de demande de laisser-passer consulaires varient sensiblement d’un pays à l’autre voire d’un consulat à l’autre pour un même pays.

La difficulté n’est pas tant de plus interpeller mais de mieux éloigner malgré les efforts très importants réalisés tant par les services de police et de gendarmerie que par les préfectures.

Le système actuel est à bout de souffle et les personnels de l’État engagés dans la lutte contre l’immigration irrégulière s’épuisent et se découragent. Outre les moyens qui pourraient être réévalués, il est nécessaire de réfléchir à une nouvelle organisation de l’Etat eu égard à la masse de ce contentieux et à sa technicité.

La lutte contre l’immigration irrégulière repose sur 3 piliers, dont le 1er consiste à mettre en œuvre des contrôles aux frontières efficaces, le 2e à détecter les situations irrégulières sur l’ensemble du territoire et le 3e à mettre en œuvre des éloignements certains. En revanche, il conviendrait de réformer sans tarder la directive européenne « Retour » de 2008 et de transposer dans notre législation les dispositions les plus sévères (comme l’allongement de la durée maximale de rétention à 18 mois, ou la rétention et l’éloignement des mineurs étrangers).

Les outils disponibles ne permettent pas de relever les défis actuels et futurs. Les réponses doivent changer afin d’avoir un vrai impact sur les flux. Il faut aussi remettre en question notre organisation nationale, saturée par un contentieux massif. La rétention administrative doit retrouver tout son sens avec une réduction drastique des causes d’échec. Si nous ne le faisons pas l’inefficacité rendra notre territoire encore plus attractif et renforcera la crédibilité des solutions extrêmes.

Porter la durée maximale de rétention administrative de 90 jours à 18 mois

Abaisser l’âge minimal de placement en rétention administrative à 16 ans pour les mineurs étrangers

Notre législation nationale ne permet pas, malgré la directive « Retour », de mettre en place une rétention administrative et un éloignement pour des mineurs non accompagnés. Cette réserve nationale est particulièrement préjudiciable même si politiquement sensible car elle favorise les flux de mineurs réels ou allégués frauduleusement. À l’instar de la réflexion sur la minorité pénale il serait utile d’abaisser la minorité en matière de législation sur les étrangers à l’âge de 16 ans – alors même que le législateur a récemment interdit le placement en rétention administrative pour les mineurs étrangers.

Étendre la procédure spécifique de rétention administrative des étrangers condamnés définitivement pour des faits de terrorisme aux étrangers connus pour activité terroristes mais non condamnés à ce titre

Il existe une procédure spécifique de rétention administrative pour les étrangers condamnés définitivement pour des faits de terrorisme dans le CESEDA, qui atteint 210 jours. Le CRA de Lille accueille cette population particulière. Cependant, les étrangers connus pour activité terroriste mais non condamnés à ce titre sont retenus dans les centres de droit commun. Il conviendrait dès lors de réviser les articles L 742- 6 et suivants du CESEDA afin d’étendre leur champ d’application à ces derniers.

Généraliser à l’ensemble du pays la possibilité de mettre à exécution une OQTF pour un étranger placé en CRA, sans que le recours ne soit suspensif (comme à Mayotte)

Certaines mesures mises en œuvre en Outre-Mer mériteraient d’être transposées en métropole. Par exemple, à Mayotte, il est possible de mettre à exécution l’OQTF d’un étranger placé en CRA, sans que son recours ne soit suspensif.

Encadrer le rôle du JLD dans les CRA en matière de libération des retenus

  • Augmenter le nombre de motifs permettant de prolonger la rétention administrative des étrangers (ceux-ci se restreignant pour l’administration au fur et à mesure des renouvellements) ;
  • Permettre aux préfets de départements de faire un appel suspensif suite à une ordonnance de libération d’un retenu par un juge des libertés et de la détention ;
  • Faire en sorte que les causes de nullité n’affectent la validité des procédures qu’en cas d’atteinte aux garanties procédurales substantielles.

Développer les éloignements aidés ou volontaires de façon ciblée au regard du profil des personnes pour alléger la charge pesant sur le processus de rétention qui est lourd, coûteux voire aléatoire compte tenu des nombreuses causes d’échec

Rédiger une circulaire du Ministère de la Justice aux Parquets afin de fixer les grands axes d’une politique pénale à l’encontre de l’immigration irrégulière

Par exemple s’agissant des poursuites pour refus d’embarquer ou pour soustraction à une mesure d’éloignement par refus d’identification.

Dresser un plan de construction plus ambitieux des centres de rétention administrative à l’échelle nationale

  • Porter l’objectif de capacité d’accueil des CRA à 15 000 places ;
  • Réaliser des CRA de 100 places maximum afin d’assurer une meilleure sécurité en leur sein. Plusieurs CRA de 100 places peuvent être juxtaposés afin de mutualiser les charges de fonctionnement.

La taille minimale d’un CRA devrait être de 80 places ;

  • Définir un cadre juridique spécifique « projet d’intérêt national » (procédure JO) pour faciliter la construction des CRA face aux réticences des élus locaux et lever les obstacles les plus fréquents.

Sécuriser l’intérieur et les abords des CRA pour faciliter le travail du personnel et dans l’intérêt des retenus eux-mêmes

  • Mettre en place des caméras et des dispositifs de détection des personnes, limiter les accès au toit, installer des chambres de mise à l’isolement, entretenir le matériel ;
  • Doter les CRA de matériels tels que des pistolets à impulsion électrique ou encore des matériels de rétablissement de l’ordre, compte tenu de la typologie des étrangers sortants de prison ou récalcitrants ;
  • Réaliser systématiquement des diagnostics de sûreté par des personnels formés afin d‘effectuer des missions préventives, mais aussi correctives suite à des incidents majeurs.

Doter et équiper correctement les antennes ou annexes médicales des hôpitaux locaux afin d’éviter des transferts et gardes à l’hôpital

Créer un corps spécifique de policiers auxiliaires dédiés à la rétention administrative, afin de renforcer l’attractivité du métier

Former et professionnaliser davantage les personnels pour améliorer les procédures liées au contentieux des étrangers

Généraliser les Pôles interservices d’éloignement (PIE) à l’ensemble des CRA et élargir leurs prérogatives pour professionnaliser la mission d’éloignement

Comme évoqué dans la présente étude, des pôles interservices d’éloignement (PIE) ont été expérimentés avec succès dans certains CRA, afin de décharger les préfectures de certaines missions chronophages et professionnaliser la mission d’éloignement. L’idée serait donc de généraliser ces pôles à l’ensemble des CRA, et le cas échéant d’élargir leurs prérogatives.

Confier la procédure d’éloignement à des « Pôles régionaux du Retour »

L’organisation actuelle de l’État en matière de législation sur les étrangers repose sur le principe de la compétence des préfets de département. Il conviendrait donc de bâtir des équipes expérimentées, formées, disponibles 7 jours sur 7 dans un cadre supradépartemental c’est-à-dire au niveau régional ou zonal, afin d’appuyer les préfets de département dans les différentes démarches liées à un éloignement.

Ces pôles d’excellence réhausseraient le niveau d’expertise et assureraient un pilotage fin du processus d’éloignement y compris pendant la rétention administrative sous l’autorité d’un préfet délégué à l’immigration. Le préfet de département resterait totalement responsable des procédures engagées et bénéficierait de l’appui d’équipes d’agents préfectoraux et de policiers aux frontières dédiés à la préparation des retours.

Ces pôles d’expertise du retour se concentreraient sur la recherche d’une place en rétention, la rédaction des arrêtés préfectoraux, le suivi juridique, l’asile en rétention, la préparation des recours et la défense au contentieux, la mise en place des escortes, la réservation des moyens de transport, l’identification consulaire etc..)

Un peu à l’image des pôles régionaux Dublin qui ont été généralisés sur l’ensemble du territoire national, on pourrait imaginer que la procédure d’éloignement soit confiée à ces Pôles Régionaux du Retour. Cette restructuration suppose bien évidemment de surmonter nos habitudes afin de trouver de nouvelles marges en termes de moyens et de donner du sens à l’action des acteurs mais aussi et surtout d’obtenir de meilleurs résultats.

La réforme programmée de la directive européenne « retour » ne peut être à elle seule un gage de succès si l’on ne réfléchit pas aussi à une nouvelle méthode de travail.

Renégocier avec les représentations diplomatiques une modification des règles de compétences territoriales

Il existe également des difficultés opérationnelles liées à ce que l’on appelle « la carte consulaire » qui exige qu’un retenu relève de la compétence territoriale du préfet ayant émis une décision d’éloignement et non de celui de son lieu de rétention. Par exemple un étranger interpellé dans le département du Nord et qui serait transféré au CRA de Lyon doit être présenté au consulat de Lille et non à celui du lieu de rétention. Cela oblige à des transferts pour des raisons purement bureaucratiques. Ainsi, il conviendrait de renégocier avec les représentations diplomatiques une modification des règles de compétences territoriales, avec, si besoin, une pression diplomatique au plus haut niveau.

Remplacer les associations militantes par des fonctionnaires de l’OFII en matière de conseil juridique des retenus dans les CRA, comme annoncé par le ministre de l’Intérieur

  • Fernand GONTIER, La face cachée de l’immigration, éditions Baudelaire, 18 janvier 2024
  • Rapport parlementaire de la députée Brigitte Klinkert, Avis présenté au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi de finances pour 2025 (n° 324) – Tome VII Immigration, asile et intégratioin, 16 octobre 2024
  • Cour des comptes, « La politique de lutte contre l’immigration irrégulière », 4 janvier 2024
  • Cour des comptes, « L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères », 5 mai 2020
  1. Rapport de la députée Brigitte Klinkert, avis présenté au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi de finances pour 2025 (n° 324), Tome VII Immigration, asile, intégration, 16/10/2024 ↩︎
  2. Idem ↩︎
  3. Cour des Comptes, La politique de lutte contre l’immigration irrégulière, janvier 2024, p. 14 ↩︎
  4. Cour des Comptes, La politique de lutte contre l’immigration irrégulière, janvier 2024 (synthèse), p. 17 ↩︎
  5. Cour des Comptes, Analyse de l’exécution budgétaire 2023 – Mission Immigration, asile et intégration,
    Avril 2024, p. 28 ↩︎
  6. Idem ↩︎
  7. Rapport parlementaire de la députée Brigitte Klinkert, Avis présenté au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi de finances pour 2025 (n° 324) – Tome VII Immigration, asile et intégration, 16 octobre 2024
    https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/rapports/cion_afetr/l17b0459-tvii_rapport-avis# ↩︎
  8. Cour des Comptes, L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères, avril 2020, p. 24
    https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-05/20200505-rapport-entree-sejour-premier-accueil-personnes-etrangeres_0.pdf ↩︎
  9. Cour des Comptes, La politique de lutte contre l’immigration irrégulière, janvier 2024, p. 84 ↩︎
  10. Cour des Comptes, La politique de lutte contre l’immigration irrégulière, janvier 2024 (synthèse), p. 17
    https://www.ccomptes.fr/fr/documents/67931 ↩︎
  11. Le Figaro « Les associations d’aide aux migrants dans le viseur du ministère de l’Intérieur » 06/10/2024
    https://www.lefigaro.fr/actualite-france/les-associations-d-aide-aux-migrants-dans-le-viseur-de-beauvau-20241006 ↩︎
  12. Cour des Comptes, L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères, avril 2020 (synthèse), p. 21 ↩︎
  13. Article L. 741-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ↩︎
  14. Rapport commun d’associations sur les centres et locaux de rétention administrative, année 2023, 30/04/2024 ↩︎
  15. Cour des Comptes, La politique de lutte contre l’immigration irrégulière, janvier 2024 (synthèse), p. 17 ↩︎
  16. Rapport parlementaire de la députée Brigitte Klinkert, Avis présenté au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi de finances pour 2025 (n° 324) – Tome VII Immigration, asile et intégration, 16 octobre 2024 ↩︎
  17. Le Figaro « Lille : la justice libère sept clandestins en rétention administrative, invoquant un problème d’accès au téléphone » 04/02/2024
    https://www.lefigaro.fr/actualite-france/lille-la-justice-libere-sept-clandestins-en-retention-administrative-invoquant-un-probleme-d-acces-au-telephone-20240204 ↩︎
  18. Cour de Cassation, Première chambre civile – formation de section, 7 janvier 2025, Pourvoi n°24-70.008 ↩︎

L’immigration d’Asie du Sud-Est en France : une trajectoire remarquable d’intégration

Selon le Professeur d’anthropologie et de sociologie Lê Huu Khoa, l’immigration du Sud-est asiatique en France présentait deux caractéristiques majeures dès les années 19801, lesquelles apparaissent toujours d’actualité : 

  • Celle-ci est statistiquement marginale, mais permanente depuis la colonisation française en Indochine ;
  • Celle-ci est constituée de vagues migratoires de populations hétérogènes vers la France, différenciées les unes des autres, qui traduisent les différents stades des rapports entre la France et l’Indochine, de la colonisation à la décolonisation.

Dans son étude, le Professeur Lê Huu Khoa ajoutait que l’expression « immigration du Sud-est asiatique » lui apparaissait confuse, et qu’il serait préférable de parler « d’immigration indochinoise » ou « d’immigration originaire de la péninsule indochinoise » tant celle-ci est représentée en France par des Vietnamiens, des Cambodgiens, des Laotiens, tandis que les Thaïlandais, les Indonésiens, les Malaisiens et les Philippins choisissent plutôt la direction de l’Amérique du Nord2.

En effet, l’histoire de l’immigration de l’Asie du Sud-est en France se confond largement avec celle de l’ancien Empire colonial, et plus particulièrement avec la période de l’Indochine française. Fondée en 1887, cette dernière visait à englober plusieurs territoires conquis en Asie orientale entre 1858 et 1907, et comprenait jusqu’à sa disparition en 1954 la colonie de Cochinchine (sud du Vietnam), les protectorats de l’Annam et du Tonkin (centre et nord du Vietnam), les protectorats du Cambodge et du Laos, ainsi qu’une portion de territoire à bail chinois de Kouang Tchéou-Wan3

Aujourd’hui encore, la « Nomenclature des pays et territoires » de l’INSEE regroupe dans « Asie du Sud-est » le Cambodge, le Laos et le Vietnam, ce qui constitue la définition reprise dans la présente note4.

Ecrivant au tournant des années 1980, le Professeur Lê Huu Khoa insistait sur le fait que chaque ethnie avait « sa propre culture, sa propre formulation d’identité (…) sa propre pratique d’intégration », de « multiples particularités » dans « la spécialisation professionnelle, le culte religieux, l’organisation du réseau communautaire et associatif »5. Pour autant, cette immigration du Sud-est asiatique en France apparaît aujourd’hui posséder des traits communs quant à son intégration dans la communauté nationale, son insertion économique et sa réussite scolaire.

La colonisation française du Sud-est asiatique s’opère en plusieurs étapes, entre 1862 et 1898. Celle-ci permet de nouer de nouvelles relations et d’accélérer les circulations humaines, limitées dans un premier temps à des diplomates, des ambassadeurs ou des artistes6.

Cependant, avec l’abolition de l’esclavage en 1848, des travailleurs asiatiques sont engagés pour suppléer la main d’œuvre dans les colonies sucrières françaises des Antilles et de l’Océan Indien. Entre 1853 et 1892, la France recrute près de 248 000 travailleurs d’Afrique ou d’Asie pour travailler dans les colonies sucrières ou construire des infrastructures dans son empire colonial. Toutefois, les habitants de la péninsule indochinoise sont alors peu mobilisés, le recours à la main d’œuvre indienne étant privilégié en ce qui concerne l’Asie7.

Or, cette situation est bouleversée avec les deux conflits mondiaux. En effet, les besoins en main d’œuvre et en soldats étant alors particulièrement importants en métropole pour soutenir l’effort de guerre, la France fait alors appel aux populations de son empire colonial8. Ainsi, l’Indochine fournit près de 43 000 combattants et 49 000 travailleurs pour la Première Guerre Mondiale, principalement affectés dans des usines réorientées vers l’effort de guerre (exemple : les poudreries toulousaines). A la fin du conflit, ces populations sont bien souvent sollicitées pour participer à la reconstruction et au déminage, ce qui retarde d’autant leur rapatriement en Asie. Pour la première fois, une présence asiatique s’établit donc en métropole9.

Dans l’entre-deux guerres, la population asiatique en France reste limitée, mais néanmoins plus visible et diversifiée. Elle se compose notamment d’étudiants indochinois et chinois politisés, souvent favorables aux idées communistes ou anarchistes ainsi qu’au principe du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » ; de travailleurs modestes employés dans des sites industriels (exemple : Renault Billancourt) ou des structures de petite taille (blanchisseries, ateliers de confection …)10 ; mais aussi de femmes de service domestique et de navigateurs. Selon les recensements des archives de l’époque, on estime entre 1500 et 2000 le nombre de Vietnamiens alors installés en France11.

De même, avec la Seconde Guerre mondiale, près de 7000 soldats et 20 000 travailleurs indochinois sont acheminés en France, entre le début du conflit en octobre 1939 et la défaite de juin 1940. Leur retour au pays étant retardé à la fin de la guerre, en raison de la désorganisation des transports et de la situation en Indochine, près d’un millier d’entre eux s’installent définitivement en France12, cette estimation pouvant monter jusqu’à plus de 10 000 Vietnamiens selon d’autres sources13.

La deuxième moitié du XXème siècle est ensuite marquée par les guerres de décolonisation et le contexte de la Guerre froide, avec des conséquences en termes d’immigration. Ainsi, en 1954, les accords de Genève scellent la fin de l’Indochine française et l’indépendance du Cambodge, du Laos et du Vietnam, ce dernier étant divisé en deux entités distinctes. Entre 1954 et 1965, on estime entre 30 000 et 35 000 le nombre de rapatriés indochinois désormais établis en France, pour la plupart des familles issues de l’union de femmes vietnamiennes et de militaires français, mais aussi des employés de la fonction publique, des petits commerçants ou des auxiliaires de l’armée. Ceux qui n’ont pas d’attache en métropole sont alors regroupés dans des Centres d’accueil des rapatriés d’Indochine14.

Par la suite, entre 1955 et 1979, ces pays sont fracturés par des guerres civiles et des conflits régionaux, avec l’ascension au pouvoir de régimes communistes : Khmers rouges au Cambodge, Pathet Lao au Laos, invasion du Vietnam du Sud par les forces du Nord Vietnam15

A cette époque, en plus des commerçants, on estime que près de 20 000 étudiants Cambodgiens, Laotiens et Vietnamiens avaient choisi la France pour leurs études. Or, cette « migration universitaire » devient souvent définitive avec l’ensemble des bouleversements politiques et économiques dans la péninsule indochinoise depuis 197516.

Plus largement, on estime que près de 3 millions d’individus émigreront de la péninsule indochinoise entre 1975 et 1995. Parmi eux, des centaines de milliers de « boat people » fuient ces territoires sur de petits bateaux précaires et surchargés, avec de nombreux morts par noyade ou de faim. Dès 1975, la France s’engage, avec d’autres pays, à accueillir un quota de 1000 réfugiés par mois. Elle sera la seconde terre d’accueil de ces  « boat people » au monde, derrière les Etats-Unis, et la première en Europe avec environ 130 000 réfugiés accueillis17

Ceux-ci bénéficieront d’une mobilisation exceptionnelle des pouvoirs publics et de la société civile, dans le contexte de l’affrontement Est-Ouest. Ainsi, l’acheminement des « boat people » vers la France est organisé par l’Etat et pris en charge par la Croix Rouge, tandis que les demandes d’obtention du statut de réfugiés sont quasi systématiquement acceptées. Ceux-ci sont accompagnés dans des Centres Provisoires d’Hébergement, dont la durée de séjour, entre 3 à 6 mois, est destinée à préparer une installation autonome en France18.

La chute de l’URSS et la fin corrélative de la Guerre froide en 1991 mettront un frein à cette émigration de masse, ceci étant conjugué avec la poursuite de la libéralisation économique mise en œuvre dans de nombreux pays asiatique. Ainsi, le Cambodge entrera dans l’OMC en 2003, suivi du Vietnam en 2007 et du Laos en 201319.

2.1 Une diaspora modeste par sa dimension, dont la part diminue au sein de la population immigrée

En 1974, alors que la France de Valéry Giscard d’Estaing affronte un premier choc pétrolier et une crise économique, le gouvernement affiche sa volonté de mettre fin à l’immigration du travail, notamment avec les circulaires Marcellin-Fontanet. Toutefois, si la part des immigrés dans la population de la France reste alors stable, proche de 7,5%, l’immigration en provenance du Cambodge, du Laos et du Vietnam se développe20.

Comme nous l’avons vu, l’immigration du Sud-est asiatique en France coïncide avec la décolonisation de l’Indochine (1949-1954), mais aussi avec la guerre du Vietnam (1955-1975), les guerres civiles cambodgienne (1967-1975) et laotienne (1962-1975). Celles-ci contraignent de nombreux ressortissants de ces pays à s’exiler et à demander l’asile en France ; c’est pourquoi, le nombre d’immigrés du Sud-est asiatique est multiplié par neuf entre 1968 et 1990 sur le territoire national21.

Selon les derniers chiffres de l’INSEE, on estime désormais que la France comptait en 2023 environ 153 000 immigrés originaires du Sud-est asiatique, soit 15% de l’ensemble des immigrés nés en Asie22, dont :

  • 77 000 immigrés originaires du Vietnam ;
  • 48 000 immigrés originaires du Cambodge ;
  • 29 000 immigrés originaires du Laos.

Or, après avoir augmenté nettement entre la fin des années 1960 et les années 1990, le poids démographique de ces immigrés tend à diminuer en France depuis quelques décennies, que ce soit en valeur relative ou absolue23 :

 Total des immigrés d’Asie du Sud-Est  Total des immigrés asiatiquesTotal des immigrésTotal de la population de la France
  1968  18 000  81 000 (22,22%)  3 238 000 (0,56%)  49 655 000 (0,04%)  
  1999161 000547 000 (29,43%)  4 374 000 (3,68%)60 144 000 (0,27%)
  2023  153 0001 000 000 (15,3%)7 282 000 (2,10%)68 143 000 (0,22%)

Cette décroissance relative de la population immigrée d’Asie du Sud-Est est advenue simultanément à la croissance rapide d’immigrations en provenance d’autres régions du continent asiatique – par exemple : le nombre d’immigrés en provenance d’Asie du Sud (Pakistan, Inde, Bangladesh, Sri Lanka pour l’essentiel) a doublé en France entre 2006 et 2023 ; tout comme le nombre d’immigrés en provenance du Moyen-Orient (Irak, Syrie, Yémen…)24.

Pour ce qui est de la « deuxième génération » : le nombre de descendants d’immigrés d’Asie du Sud-est (deuxième génération) est quant à lui estimé à environ 185 000 en France pour l’année 2023, soit 2,3% du total des descendants d’immigrés25.

Ainsi, l’an dernier, notre pays comptait-il environ 338 000 immigrés et descendants d’immigrés originaires de l’Asie du Sud-Est sur deux générations.

Si l’on se place sous l’angle de la nationalité et non plus sur celui de l’origine géographique, on dénombrait environ 42 000 étrangers ressortissants du Vietnam, du Laos et du Cambodge qui résidaient en France en 202326.

De même, selon les dernières données détaillées de l’INSEE par nationalité, on dénombrait en France en 201927 :

  • 21 900 Vietnamiens ;
  • 12 600 Cambodgiens ;
  • 6 100 Laotiens.

Si on observe une progression du nombre de ces étrangers à partir de 1968, on remarque également une diminution en valeur relative et absolue depuis la fin des années 199028.

 Total des étrangers d’Asie du Sud-Est  Total des étrangers d’AsieTotal des étrangersTotal de la population de la France
  1968  11 400  44 600 (25,56%)    2 621 100 (0,43%)  49 655 000 (0,02%)  
  199963 700411 300 (15,48%)  3 322 000 (1,92%)60 144 000 (0,1%)
  2023  42 000721 000 (5,82%)5 614 000 (0,75%)68 143 000 (0,06%)  

2.2 Des flux migratoires limités et une natalité modérée

La population originaire d’Asie du Sud-Est en France connaît une dynamique démographique modérée, et cela pour deux raisons principales.

1- Des flux migratoires restreints en volume :

  • Aucun pays de la zone indochinoise ne figure dans le top 20 des premiers titres de séjour délivrés en 2021 (selon les dernières données de ventilation par nationalité disponibles en la matière)29 ;
  • De même, aucun de ces trois pays ne figure dans le top 15 des visas délivrés en 202330 (seul le Vietnam était 11ème du classement en 2022, avec 38 796 visas délivrés)31 ;
  • Seules 152 premières demandes d’asiles ont été déposées par des requérants d’Asie du Sud-est en 202332.

En réalité, les flux migratoires issus de l’Asie du Sud-est sont stabilisés : en 2023, seuls 25% des immigrés du Vietnam, du Cambodge et du Laos vivant en France étaient arrivés depuis l’année 2000, contre 58% pour l’ensemble des immigrés asiatiques33.

2- Une natalité limitée : selon l’INSEE, l’indice de fécondité des femmes nées dans la catégorie « autres pays d’Asie » (donc hors Turquie et Moyen-Orient) était de 1,8 en 2021, c’est-à-dire en-dessous du renouvellement des générations34. Selon toute vraisemblance, cet indice est encore plus bas pour les populations originaires de la seule Asie du Sud-est – si l’on retranche de cette moyenne les femmes nées dans des pays à plus forte fécondité comme l’Afghanistan ou le Pakistan.

3.1 Des immigrés (« première génération ») aux scores parmi les plus bas en matière de maîtrise de la langue et de qualifications

A leur arrivée en France, les immigrés originaires de l’Asie du Sud-est âgés de 18 à 59 ans étaient parmi ceux qui avaient la plus faible maîtrise de la langue française en 2019-202035 :

  • 48% d’entre eux n’avaient aucune maîtrise en matière de compréhension de la langue française (score le plus bas après les immigrés turcs et du Moyen-Orient, dont le taux s’élevait à 63%) tandis que seuls 20% d’entre eux avaient une très bonne compréhension (juste devant les immigrés turcs et du Moyen-Orient, pour qui ce taux s’élevait à 17%, et les immigrés chinois, pour qui ce taux était de 5%) ;
  • 49% d’entre eux n’avaient aucune maîtrise en matière d’expression orale (juste devant les immigrés turcs et du Moyen-Orient dont le taux s’élevait à 63% et les immigrés portugais dont le taux était de 52%), tandis que seuls 19% d’entre eux avaient une très bonne expression orale (juste devant les immigrés turcs et du Moyen-Orient dont le taux était de 16% et les immigrés chinois dont le taux était de 5%) ;
  • 51% d’entre eux ne maîtrisaient pas du tout la lecture (ex aequo avec les immigrés chinois, juste devant les immigrés turcs et du Moyen-Orient dont le taux s’élevait à 66% et les immigrés portugais dont le taux était de 56%), tandis que seuls 20% d’entre eux avaient une très bonne maîtrise de la lecture (juste devant les immigrés turcs et du Moyen-Orient dont le taux était de 17% et les immigrés chinois dont le taux était de 5%) ;
  • 51% d’entre eux n’avaient aucune maîtrise de l’expression écrite (devant les immigrés turcs et du Moyen-Orient dont le taux était de 68%, les immigrés portugais dont le taux était de 61%, et les immigrés chinois dont le taux était de 52%) tandis que seuls 20% d’entre eux avaient une très bonne maîtrise de l’expression écrite (juste devant les immigrés turcs et du Moyen-Orient dont le taux était de 17% et les immigrés chinois dont le taux était de 5%).

De même, selon les dernières données de l’INSEE, parmi les 94,3% des immigrés du Sud-Est asiatique qui avaient terminé leurs études initiales en 202336 :

  • 43,9% n’avaient aucun diplôme ou un brevet / CEP, l’un des taux les plus élevés après les immigrés issus du Portugal (55,4%), la Turquie (55,4%) et de l’Afrique Sahélienne (49,5%), contre une moyenne de 35,5% pour l’ensemble des immigrés – soit 8 points de plus que celle-ci.
  • 19% avaient un diplôme supérieur à Bac+2, l’un des taux les plus bas les immigrés d’Afrique sahélienne (17,7%), de Turquie (9,8%) et du Portugal (6,3%), contre une moyenne de 27,4% pour l’ensemble des immigrés – soit 8 points de moins que celle-ci.

Pourtant, les descendants d’immigrés originaires d’Asie du Sud-Est avaient à la même année le plus faible taux pour la catégorie « Aucun diplôme ou Brevet, CEP » et un des meilleurs taux pour la catégorie « Diplôme supérieur à Bac +2 »37 :

  • Seuls 6,6% d’entre eux n’avaient aucun diplôme ou seulement un brevet / CEP, soit le taux le plus bas parmi l’ensemble des origines migratoires, près de trois fois inférieur à la moyenne l’ensemble des descendants d’immigrés (17,2%) et même moitié moins que les personnes sans ascendance migratoire (13,5%) ;
  • 37,9% d’entre eux avaient un diplôme supérieur à Bac+2, juste derrière les descendants d’immigrés de l’Afrique guinéenne ou centrale (38,5%) et de la catégorie « autres pays d’Asie » (41,8%) – dont fait partie l’Asie du Sud-est. Ce taux est bien supérieur à la moyenne des descendants d’immigrés (25,6%) et même des personnes sans ascendance migratoire (27,1%).

En l’espace d’une seule génération, les populations originaires d’Asie du Sud-est basculent ainsi des scores les plus bas aux scores les plus élevés quant au niveau de diplôme – et ce malgré un contexte familial de moindre qualification et de moindre maîtrise de la langue française.

Cette surperformance en matière d’éducation est largement documentée et a fait l’objet de nombreux rapports, en France comme à l’étranger. En 2019, un rapport de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Éducation nationale38 a mis en lumière la « sur-réussite » des enfants d’immigrés asiatiques (au sens large, mais hors Turquie) : « les enfants d’origine asiatique des deux sexes se démarquent par leur sur-réussite, même comparés aux Français d’origine, les filles plus encore que les garçons : moins de redoublements dès l’école primaire, meilleurs niveaux scolaires en sixième puis en fin de troisième, orientations plus fréquentes vers les filières sélectives, taux record de baccalauréats généraux, notamment scientifiques. Ces réussites confirment, à l’aune de multiples indicateurs scolaires, des tendances déjà observées sur des générations plus anciennes, à partir de l’enquête TeO [Brinbaum et Primon, 2013] et dans d’autres pays, notamment aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Suède [Heath et Brinbaum, 2014] ». 

De même, ce rapport souligne que « les inégalités des enfants d’immigrés sont précoces dès l’école primaire et contrastent avec la sur-réussite des enfants d’origine asiatique, marquée chez les filles, dès ce niveau ».

Ainsi, au brevet des collèges, on remarque que les filles d’immigrés asiatiques ont en moyenne les meilleures notes finales au brevet, que ce soit au contrôle continu ou à l’examen final, tandis que les garçons nés d’immigrés asiatiques obtiennent des résultats quasiment similaires à ceux des élèves sans ascendance migratoire directe.

Corrélativement, les enfants d’immigrés asiatiques sont ceux qui ont le plus fort taux d’accès en seconde générale et technologique, avec 81% des filles et 70% des garçons, contre 72% des filles et 59% des garçons pour les élèves sans ascendance migratoire directe.

Enfin, ceux-ci comptent également la plus forte proportion de bacheliers, soit 89% pour les deux sexes et jusqu’à 92% pour les filles, au-dessus de la moyenne des élèves sans ascendance migratoire, qui ont respectivement un taux de 80% pour la moyenne des deux sexes et de 85% pour les filles.

De même, parmi les bacheliers, ceux d’origine asiatique (hors-Turquie) comptent la plus forte proportion de baccalauréat généraux, soit 63% pour les filles et 52% pour les garçons, là encore devant les élèves sans ascendance migratoire – respectivement 51% pour les filles et 38% pour les garçons de cette catégorie.

Comment expliquer cette « sur-réussite » des enfants d’immigrés asiatiques, qui dépassent même les Français sans ascendance migratoire en l’espace d’une seule génération ? Une piste d’explication pourrait résider dans le modèle familial asiatique.

En effet, comme le soulignait le professeur Gérard-François Dumont dans le cadre de sa recension du livre La famille, secret de l’intégration écrit par Christian Jelen : « La réussite des enfants d’immigrés dans l’intégration ne peut se faire que si le cadre familial agit comme un aiguillon. Si le père fait preuve d’autoritarisme sur la femme sans satisfaire au devoir d’autorité sur ses enfants, les chances d’intégration sont maigres. Or il y a des types familiaux qui sont néfastes et d’autres qui sont positifs ». Ainsi, chez les Vietnamiens « la famille place l’instruction et les performances scolaires au centre de ses préoccupations. Elle se révèle en conséquence être un remarquable creuset d’intégration ».

Cette analyse se retrouve dans le rapport précité de la DEPP, lequel met en exergue que les familles issues de l’immigration asiatique sont celles qui ont les plus hautes aspirations scolaires pour leurs enfants. Elles sont 75% à souhaiter l’obtention d’un baccalauréat général pour leurs filles, contre 63% pour les familles d’origine française, et 60% à le souhaiter pour leurs garçons, contre 50% pour les familles sans ascendance migratoire39.

3.3 Une diminution paradoxale de l’immigration étudiante d’Asie du Sud-Est, dans un contexte d’augmentation du nombre d’étudiants étrangers

Selon France Campus, la France avait accueilli 6113 étudiants ressortissants d’Asie du Sud-est pour l’année universitaire 2022-2023, avec la répartition et les caractéristiques suivantes40

 Nombre d’étudiants  Répartition des étudiants dans les filières
  Vietnam  5254 (-6% en 5 ans)1581 étudiants en économie / administration économique et sociale 1254 étudiants en sciences 663 étudiants en lettres / langues / sciences humaines et sociales 183 étudiants en santé / médecine 115 étudiants en droit / sciences politiques  
  Cambodge  757 (stable en 5 ans)188 étudiants en droit / sciences politiques 168 étudiants en santé / médecine 101 étudiants en économie / administration économique et sociale 89 étudiants en sciences 69 étudiants en lettres / langues / sciences humaines et sociales  
  Laos  102 (-7% en 5 ans)21 étudiants en droit / sciences politiques 16 étudiants en économie / administration économique et sociale 15 étudiants en sciences 10 étudiants en lettres / langues / sciences humaines et sociales 6 étudiants en santé  

On note ainsi une diminution du nombre d’étudiants d’Asie du Sud-est dans les universités françaises sur les 5 dernières années, alors même que la France a accueilli 21% d’étudiants étrangers supplémentaires entre 2016 et 202141

Cette situation apparaît donc comme un véritable paradoxe, au regard de la volonté politique d’accroître le nombre d’étudiants étrangers (avec l’objectif affiché d’atteindre 500 000 étudiants accueillis en 2027) et de la « surperformance » des élèves issus d’Asie du Sud-Est.

Les plus récentes données de l’INSEE, relatives aux taux d’activité et d’emploi des immigrés et descendants d’immigrés d’Asie du Sud-est, révèlent une excellente intégration sur le marché du travail – nettement supérieure à celle d’autres populations issues de l’immigration et plus élevée encore que celle des personnes sans ascendance migratoire.

Ainsi, malgré leur maîtrise du français comme leur niveau de qualification plus faibles en moyenne, les immigrés d’Asie du Sud-Est âgés de 15 à 64 ans enregistraient à la fois le plus faible taux de chômage et les plus forts taux d’activité et d’emploi du pays en 202342 :

  • Le taux d’emploi des immigrés d’Asie du Sud-est était de 75,3%, un niveau supérieur aux personnes sans ascendance migratoire (70,7%), et bien plus élevé que celui de l’ensemble des immigrés (62,5%),notamment des immigrés algériens (56,2%) qui constituent le pays d’origine le plus nombreux ;
  • Le taux d’inactivité de ceux-ci (incluant inactifs en études initiales ou formation formelle retraités, hommes-femmes au foyer et inactifs divers) était de 22,2%, inférieur à celui des personnes sans ascendance migratoire (24,5%) et bien plus bas que celui de l’ensemble des immigrés (29,7%), notamment des immigrés turcs (37,1%) ;
  • Le taux de chômage de ceux-ci était de seulement 3,2%, moitié moins que celui des Français sans ascendance migratoire (6,5%), et largement inférieur à celui de l’ensemble des immigrés (11,2%), notamment des immigrés du Maroc et de la Tunisie (14,7%).
   Taux d’inactivitéTaux d’emploiTaux de chômage  
Immigrés d’Asie du Sud-Est      22,2%  75,3%  3,2%
Personnes sans ascendance migratoire    24,5%  70,7%  6,5%
Ensemble des immigrés      29,7%  62,5%  11,2%

De tels écarts se retrouvent chez les descendants d’immigrés d’Asie du Sud-Est âgés de 15 à 64 ans en 2023, mais de manière un peu plus atténuée, notamment par rapport aux personnes sans ascendance migratoire43 :

  • Leur taux d’emploi était de 69,6%, un niveau quasi identique aux personnes sans ascendance migratoire (70,7%), mais supérieur de dix points à celui de l’ensemble des descendants d’immigrés (59,7%), particulièrement des descendants d’immigrés d’Afrique guinéenne ou centrale (44,3%) ;
  • Leur taux d’inactivité était de 26,3%, légèrement supérieur à celui des personnes sans ascendance migratoire (24,5%), mais toujours bien inférieur à celui de l’ensemble des descendants d’immigrés (33,5%), notamment des descendants d’immigrés turcs (44,8%) ;
  • Le taux de chômage de ceux-ci était de 5,6%, un niveau plus faible que les personnes sans ascendance migratoire (6,5%) et qui était moitié moindre que la moyenne des descendants d’immigrés (10,2%), voire davantage notamment pour les descendants d’immigrés d’Afrique guinéenne ou centrale (19,3%).
   Taux d’inactivitéTaux d’emploiTaux de chômage  
Descendants d’immigrés d’Asie du Sud-est      26,3%  69,6%  5,6%
Personnes sans ascendance migratoire    24,5%  70,7%  6,5%
Ensemble des descendants d’immigrés      33,5%  59,7%  10,2%

4.2 La plus faible endogamie parmi les descendants d’immigrés et les liens les plus distendus avec les pays d’origine

Selon les données INSEE, les descendants d’immigrés originaires d’Asie du Sud-est représentent le groupe d’origine extra-européenne le moins endogame. En effet, seuls 14% des descendants de deux parents immigrés d’Asie du Sud-est vivaient en couple avec un conjoint de la même origine migratoire en 2019-2020, contre une moyenne de 35% pour l’ensemble des descendants d’immigrés et un taux de 77% pour les descendants de deux parents immigrés turcs. Cette part tombe même à 2% pour les descendants d’un seul immigré d’Asie du Sud-est44.

Une telle situation s’explique sans doute, en partie, du fait que les immigrés et descendants d’immigrés d’Asie du Sud-est sont ceux qui entretiennent le moins de liens avec leurs pays d’origine45, ce qui pourrait favoriser les unions exogames :

  • En 2019-2020, seuls 1% des immigrés d’Asie du Sud-est âgés de 18 à 59 ans avaient fait au moins un séjour d’au moins un an dans leur pays de naissance depuis leur migration en France, ce qui en fait le taux le plus bas ;
  • 70% des immigrés d’Asie du Sud-est âgés de 18 à 59 ans avaient visité au moins une fois leur pays d’origine, ce qui en fait le 2ème taux le plus faible derrière les immigrés issus de l’Afrique guinéenne ou centrale. Ce taux tombe à 43% pour les descendants d’immigrés d’Asie du Sud-est, soit le plus faible pour cette génération ;
  • 71% des immigrés d’Asie du Sud-est âgés de 18 à 59 ans avaient des contacts avec leur pays d’origine (y compris téléphoniques ou électroniques) en 2019-2020, soit le taux le plus faible, contre une moyenne de 91% pour l’ensemble des immigrés, tandis que ce taux monte à 95% pour les immigrés d’Afrique sahélienne. Ce taux est également le plus faible pour les descendants d’immigrés d’Asie du Sud-est de la même tranche d’âge parmi tous les descendants d’immigrés de toutes origines, soit 45% ;
  • 17% des immigrés et 6% des descendants d’immigrés d’Asie du Sud-est âgés de 18 à 59 ans apportaient régulièrement une aide financière à la famille, à des amis ou à des associations en 2019-2020, ce qui en fait le taux le plus faible parmi les immigrés extra-européens. Ce taux monte à 62% pour les immigrés originaires d’Afrique sahélienne ;
  • 6% des immigrés et 0% des descendants d’immigrés d’Asie du Sud-est ont participé à une élection dans un autre pays que la France, ce qui en fait un des taux les plus faibles ;
  • En revanche, 6% des descendants d’immigrés d’Asie du Sud-est souhaitent partir vivre dans le pays d’origine de leurs parents, soit 2 points de plus que la moyenne des descendants d’immigrés.

Par ailleurs, 97% des immigrés et des descendants d’immigrés d’Asie du Sud-Est déclarent être d’accord avec la proposition « Je me sens chez moi en France », soit le taux le plus élevé de toutes les origines migratoires extra-européennes – supérieur même à la moyenne des descendants de natifs (94%)46.

Seuls 14% des immigrés originaires d’Asie du Sud-Est vivaient dans un ménage locataire d’un logement social en 2019-2020, ce qui en fait la deuxième population immigrée la moins représentée en HLM (ex aequo avec les ménages immigrés issus de l’Europe du Sud), juste derrière les immigrés originaires de Chine (8%), contre un taux de 57% pour les immigrés d’Afrique sahélienne, de 49% pour ceux d’Algérie et de 35% en moyenne pour l’ensemble des immigrés. Pour les descendants d’immigrés originaires d’Asie du Sud-est (« deuxième génération »), ce taux descend à 13%, soit le taux le plus faible du classement parmi l’ensemble des origines extra-européennes47.

De même, 61% des immigrés originaires d’Asie du Sud-est vivaient dans un ménage propriétaire de son logement en 2019-2020, soit le taux le plus élevé, devant les personnes sans ascendance migratoire ou ultramarine (59%). Ce taux tombe à 54% pour les descendants d’immigrés d’Asie du Sud-est sur la même période, mais reste supérieur à celui de la population générale (53%) et le plus élevé des descendants d’immigrés extra-européens48.

Ainsi, les immigrés d’Asie du Sud-est présentent la double caractéristique d’avoir un des plus faibles taux d’occupation d’un logement social et d’avoir le plus haut taux de propriété de leur logement principal, devant les personnes sans ascendance migratoire.

Or, comme le souligne l’ancien Préfet Michel Aubouin : « la propriété individuelle peut être considérée comme un marqueur d’intégration, si l’on veut bien considérer que l’achat d’un bien, c’est-à-dire l’achat d’une parcelle de la France, est une preuve concrète de l’attachement que l’on porte à ce pays ». Selon lui, au-delà « la possession d’un bien immobilier et d’une adresse modifie les relations de voisinage et facilite la participation des familles à l’entretien de leur environnement »49

Seuls 994 étrangers ressortissants d’un pays d’Asie ou d’Océanie (dont l’Asie du Sud-est ne constitue qu’une part minoritaire) étaient écroués en France au 1er janvier 2022, soit 5,3% du total des étrangers écroués, contre 3 870 étrangers algériens, soit 13,4% du total des étrangers écroués50. Les étrangers ressortissants d’un pays d’Asie (au sens large) ne représentaient l’an dernier que 3% des mis en cause dans les transports en commun en France en 202351. Il est à noter que le détail par nationalité ou région d’origine (qui permettrait d’isoler l’ensemble « Asie du Sud-Est ») n’est pas disponible, sans doute en raison de la faiblesse des chiffres en question.

Enfin, seuls 9% des immigrés et 8% des descendants d’immigrés d’Asie du Sud-est âgés de 18 à 59 ans résidaient dans un quartier prioritaire de la politique de la ville en 2019-2020, soit le taux le plus faible pour les immigrés extra-européens, contre une moyenne de 23% pour l’ensemble des immigrés et de 15% pour les descendants d’immigrés52.

L’immigration d’Asie du Sud-Est en France présente de nombreuses caractéristiques intéressantes pour la société d’accueil :

  • D’excellents indicateurs d’intégration économique, avec une meilleure insertion sur le marché du travail et un meilleur taux de détention de la propriété principale à la « première génération » (malgré une moyenne faible de qualification) ; puis une sur-réussite scolaire et universitaire très marquée à la « deuxième génération ».
  • Des indicateurs positifs d’intégration culturelle et sociale à la communauté nationale, avec l’endogamie la plus faible, les liens les plus distendus par rapport au pays d’origine, l’absence de surreprésentation dans les statistiques de la délinquance, par rapport à l’ensemble des immigrations extra-européennes.

Pourtant, alors que les flux migratoires progressent fortement ces dernières décennies (+175% de délivrance de titres de séjour à des étrangers extra-européens en 2023 par rapport à 1997, +245% de premières demandes d’asile déposées l’an dernier par rapport à 2009) la part des immigrés et étrangers du Sud-Est asiatique tend à diminuer dans la population générale.

Cela tient d’abord au fait que, comme le souligne la Cour des Comptes : « seule la moitié des premiers titres accordés en 2018 (…) procède d’une décision entièrement maîtrisée par les autorités publiques, l’autre moitié étant la contrepartie de droits individuels protégés par la Constitution et l’ordre juridique international, que l’État ne peut ni prévoir, ni restreindre »53. Celle-ci ajoute en note de bas de page que « seules l’immigration professionnelle et l’immigration étudiante sont entièrement sous contrôle (quantité et sélection) des autorités gouvernementales ».

Il pourrait donc apparaître souhaitable que l’État reprenne le contrôle d’une plus large part de la politique migratoire, au-delà des seules immigrations professionnelles et étudiantes, et qu’il fasse également le choix d’une immigration choisie – y compris par origines géographiques. Pour ce faire, il devrait être en mesure de s’appuyer sur des études comparatives détaillées, en matière de bilan fiscal par exemple, afin de décider en conséquence.

Une telle « révolution juridico-politique » se heurterait évidemment, dans le cadre institutionnel actuel, à d’importants obstacles d’ordre constitutionnel et conventionnel. Le fait de les surmonter serait alors nécessaire pour ériger la politique « des immigrations » en France sur le même plan que n’importe quelle autre politique publique, guidée par un objectif rationnel et assumé : minimiser les coûts et maximiser les bénéfices, pour la société comme l’économie françaises. Dans cette perspective, privilégier les flux d’immigration en provenance de l’Asie du Sud-est représenterait un intérêt indéniable pour la France.

  1. Lê Huu Khoa. « L’immigration du sud-est asiatique ». In: Hommes et Migrations, n°1114, Juillet-août-septembre 1988. L’immigration dans l’histoire nationale. pp. 57-60 (Lien) ↩︎
  2. Idem ↩︎
  3. Musée de l’histoire de l’immigration, « La saison Asie au Palais de la Porte dorée » (dossiers pédagogiques) (Lien) ↩︎
  4. INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés en France », édition 2023, paru le 30/03/2023, p. 9 (Lien) ↩︎
  5. Lê Huu Khoa « L’immigration du sud-est asiatique ». In: Hommes et Migrations, n°1114, Juillet-août-septembre 1988. L’immigration dans l’histoire nationale. pp. 57-60 ↩︎
  6. Musée de l’histoire de l’immigration, « La saison Asie au Palais de la Porte dorée » (dossiers pédagogiques) ↩︎
  7. Idem ↩︎
  8. Idem ↩︎
  9. Idem ↩︎
  10. Idem ↩︎
  11. Lê Huu Khoa. « L’immigration du sud-est asiatique ». In: Hommes et Migrations, n°1114, Juillet-août-septembre 1988. L’immigration dans l’histoire nationale. pp. 57-60 ↩︎
  12. Musée de l’histoire de l’immigration, « La saison Asie au Palais de la Porte dorée » (dossiers pédagogiques) ↩︎
  13. Lê Huu Khoa. « L’immigration du sud-est asiatique ». In: Hommes et Migrations, n°1114, Juillet-août-septembre 1988. L’immigration dans l’histoire nationale. pp. 57-60) ↩︎
  14. Musée de l’histoire de l’immigration, « La saison Asie au Palais de la Porte dorée » (dossiers pédagogiques) ↩︎
  15. Idem ↩︎
  16. Lê Huu Khoa. « L’immigration du sud-est asiatique ». In: Hommes et Migrations, n°1114, Juillet-août-septembre 1988. L’immigration dans l’histoire nationale. pp. 57-60 ↩︎
  17. Musée de l’histoire de l’immigration, « La saison Asie au Palais de la Porte dorée » (dossiers pédagogiques) ↩︎
  18. Idem ↩︎
  19. Idem ↩︎
  20. INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés en France », édition 2023, paru le 30/03/2023 (Lien) ↩︎
  21. INSEE, « En 2023, un million d’immigrés nés en Asie vivent en France », paru le 29/08/2024 (Lien) ↩︎
  22. Idem ↩︎
  23. Idem
    & INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés », édition 2023, paru le 30/03/2023
    & INSEE, « L’essentiel sur … les immigrés et les étrangers », paru le 29/08/2024 (Lien) ↩︎
  24. INSEE, « En 2023, un million d’immigrés nés en Asie vivent en France », paru le 29/08/2024 ↩︎
  25. INSEE, « Origine géographique des descendants d’immigrés », données annuelles 2023, paru le 29/08/2024 (Lien) ↩︎
  26. INSEE, « Répartition des étrangers par groupe de nationalités », données annuelles de 2006 à 2023 (séries longues), paru le 29/08/2024 (Lien) ↩︎
  27. INSEE, « Étrangers et immigrés en 2019, Répartition des étrangers par nationalité détaillée selon les continents de 1968 à 2019 », paru le 26/07/2022 (Lien) ↩︎
  28. Idem
    & INSEE, « Répartition des étrangers par groupe de nationalités, Données annuelles de 2006 à 2023 » (séries longues), paru le 29/08/2024
    & INSEE, « Population immigrée et population étrangère en 1999, Étrangers selon la nationalité (17 postes) de 1946 à 1999 », paru le 07/02/2011 (Lien) ↩︎
  29. INED, « Titres de séjour par nationalité », mis à jour en février 2024 (Lien) ↩︎
  30. Ministère de l’Intérieur, « Les chiffres 2023 : la délivrance de visas aux étrangers au 27 juin 2024 », publication annuelle parue le 27 juin 2024 (Lien) ↩︎
  31. Idem ↩︎
  32. OFPRA, « Rapport d’activité 2023 », 18/07/2024 (Lien) ↩︎
  33. INSEE, « En 2023, un million d’immigrés nés en Asie vivent en France », paru le 29/08/2024, « Rapport d’activité 2023 », 18/07/2024 (Lien) ↩︎
  34. INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés 2023 – Fécondité », paru le 30/03/2023 (Lien) ↩︎
  35. INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés, Maîtrise des langues par les immigrés » – édition 2023, paru le 30/03/2023 (Lien) ↩︎
  36. INSEE, « Niveau de diplôme des immigrés et des descendants d’immigrés par origine géographique », données annuelles 2023, paru le 29/08/2023 (Lien) ↩︎
  37. Idem ↩︎
  38. DEPP, « Trajectoires scolaires des enfants d’immigrés jusqu’au baccalauréat : rôle de l’origine et du genre – Résultats récents », Yaël Brinbaum, 2019 (Lien) ↩︎
  39. DEPP, op. cit. ↩︎
  40. Campus France, fiches mobilité pays (Lien 1 / Lien 2 / Lien 3) ↩︎
  41. Campus France, « Rapport d’activité 2023 », p. 26 (Lien) ↩︎
  42. INSEE, « Inactivité, chômage et emploi des immigrés et des descendants d’immigrés par origine géographique, données annuelles 2023 », paru le 29/08/2024 (Lien) ↩︎
  43. Idem ↩︎
  44. INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés – Origine des conjoints des immigrés et des descendants d’immigrés, édition 2023 », paru le 30/03/2023 (Lien) ↩︎
  45. INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés – Rapport au pays d’émigration et pratiques transnationales », édition 2023, paru le 30/03/2023 (Lien) ↩︎
  46. INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés – Ressentis par rapport à la migration et sentiment d’intégration », édition 2023, paru le 30/03/2023 (Lien) ↩︎
  47. INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés – Conditions de logement », édition 2023, 30/03/2023 (Lien) ↩︎
  48. Idem ↩︎
  49. Michel Aubouin, « Les étrangers extra-européens et le logement social en France » Fondapol et Observatoire de l’immigration, avril 2024 (Lien) ↩︎
  50. Ministère de la Justice, « Séries statistiques des personnes placées sous main de justice », 1980-2022 p. 25 (Lien) ↩︎
  51. Ministère de l’Intérieur « Les vols et violences enregistrés dans les réseaux de transports en commun en 2023 » Info rapide n°42, 11 septembre 2024 (Lien) ↩︎
  52. INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés, Conditions de logement » – édition 2023, paru le 30/03/2023 (Lien) ↩︎
  53. Cour des Comptes, « L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères (synthèse) », avril 2020, p. 9 (Lien) ↩︎