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Étude critique de Michèle Tribalat sur l’approche des populations d’origine étrangère par le service statistique français

Le site de l’Insee est un des plus bordéliques qui soit. C’est un Google un peu amélioré à la française. On y trouve parfois, par hasard, ce que l’on a longtemps cherché sans succès et, quelquefois, on trouve plus vite en passant par Google maison mère. Aux utilisateurs de se débrouiller. Il ne propose pas de base de données comme le font de nombreux instituts statistiques européens, notamment Eurostat. Sur un sujet aussi important dans le débat public que la population d’origine étrangère, les données glanées à travers les publications de l’Insee font apparaître, comme nous allons le voir, des défaillances et un manque de cohérence qui nuisent à la crédibilité de la statistique française.

Ce grand désordre vient d’une priorisation de la production statistique à destination interne et d’une indifférence à l’égard de l’utilisateur. L’Insee produit avant tout pour son propre usage. Il est donc courant d’accéder à des données par l’intermédiaire de ses publications (Insee PremièreInsee RéférencesInsee FocusPortrait social…). Ce qui ne signifie pas qu’il soit sourd à la demande d’informations du public, laquelle transite en particulier par le Conseil national de l’information statistique (CNIS). Mais il n’a pas vraiment pensé à l’utilisateur de données qui voudrait les traiter lui-même, sans se contenter de recueillir des informations dans ses publications. 

On aimerait ainsi pouvoir disposer de séries, sans avoir à les constituer soi-même à partir de différentes publications, sans toujours y parvenir avec succès. Certes, l’Insee a une rubrique sur les séries chronologiques par thème (https://www.insee.fr/fr/information/2860802), mais selon une sélection de son cru et d’une grande pauvreté. Alors que d’autres instituts de statistiques disposent de bases de données qui proposent à l’utilisateur, par thème, la possibilité de choisir lui-même ses variables, l’Insee présente un prémâché peu élaboré. Pour lui, une série chronologique ne peut porter que sur une caractéristique et non sur une collection de plusieurs d’entre elles qui aurait du sens.

Prenons par exemple le thème Démographie. Il se décline selon les sous-thèmes suivants :

  • Population et structure de la population
  • Naissances et fécondité
  • Décès et mortalité
  • Mariages, nuptialité et Pactes civils de solidarité (PACS)

 Voyons ce que l’on peut obtenir sur le sous-thème « Population et structure de la population » en données annuelles pour la France ou la France métropolitaine : 

Le chiffre entre parenthèses indique le nombre de séries disponibles. L’Insee propose ainsi 19 séries sur la population de la France au 1er janvier. Pas de quoi se frotter les mains car, si l’on a la population totale (c’est le moins) depuis 1982, les autres séries portent sur des groupes d’âges (moins de 15 ans, moins de 20 ans, 20-59 ans, 60 ans+, 75 ans+ et 15-49 ans) depuis 1991, pour les hommes, les femmes et le total. Et c’est tout ! Pas de décomposition, par exemple entre immigrés et natifs (non immigrés comme les appelle l’Insee) ou de structure par âge complète, que l’on pourra, avec un peu de chance, trouver ailleurs sur le site, mais pas dans la rubrique « Séries chronologiques ».

J’ai donc tenté de reconstituer moi-même une série portant sur la population d’origine étrangère sur deux générations par pays d’origine, qui ne remonte pas bien loin, à partir de la série sur les immigrés en France de 2006 à 2023, que j’ai fini par trouver[1] et un début de série pour les nés en France d’au moins un parent immigré figurant dans l’Insee RéférencesAnnée 2023, consacré aux immigrés et aux descendants d’immigrés[2]

Présentons d’abord le tableau de référence page 12 de cette publication.

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Figure 1.- Nombre d’immigrés et descendants d’immigrés vivant en France selon le pays d’origine.
nd : non disponible.

Notes : changement de nomenclature géographique en 2006, les pays d’Afrique sahélienne et guinéenne sont classés avec les autres pays d’Afrique jusqu’en 1999. Les questions relatives au pays et à la nationalité de naissance des parents ont été introduites en 2005 dans l’enquête Emploi.
Champ : France métropolitaine de 1968 à 1990, France hors Mayotte de 1999 à 2013, France depuis 2014 pour les personnes immigrées ; France hors Mayotte, personnes vivant en logement ordinaire pour les descendants d’immigrés.
Sources : Insee, base Saphir (1968 à 1999), recensements de la population (2006 et 2010) et estimations de population (2021) pour les immigrés ; Insee, enquêtes Emploi 2005, 2011 et 2021 pour les descendants d’immigrés.

J’ai donc essayé de boucher les trous qui pouvaient l’être. Mais avant d’examiner ce que cela donne, quelques remarques s’imposent.

  1. Problème des dates choisies : l’Insee n’a pas songé qu’il pourrait être utile de disposer de dates identiques pour les immigrés et les descendants d’immigrés lorsque c’était possible. Pourquoi avoir choisi l’enquête Emploi 2005 alors que celle de 2006 aurait permis d’avoir la correspondance avec les immigrés de la même année ? 
  2. Champ géographique à géométrie variable : l’Insee précise bien le champ géographique qui évolue au fil des ans pour les immigrés et diffère de celui des descendants. II avait la possibilité de conserver le même champ géographique tout au long de la période pour les immigrés et les descendants en retenant « France métropolitaine ». Une série temporelle doit, lorsque c’est possible, porter sur le même champ géographique. Et là, c’était possible. Par ailleurs, la ligne « population totale » se réfère, pour les deux dernières années à celle de la France entière, avec Mayotte en 2021, y compris pour les descendants alors que l’enquête Emploi porte sur la France hors Mayotte.
  3.  Incohérences des choix de l’Insee : Les données sur les immigrés concernent toute la population, y compris celle qui vit en communauté (foyer, prison, ehpad…). Ce n’est pas le cas des données sur les descendants, l’enquête Emploi ne retenant que les logements ordinaires. Cependant, les totaux gardés par l’Insee sont les mêmes dans les deux cas. Et lorsque les auteurs calculent la proportion de descendants, c’est bien à la population totale qu’ils rapportent leur nombre et non à celle des seuls logements ordinaires : 7,349 millions/ 67,626 millions, soit 10,9 % en 2021 : « En 2021, 7,3 millions de personnes vivant en logement ordinaire en France hors Mayotte sont des descendants d’immigrés de deuxième génération, c’est‑à‑dire des personnes nées en France d’au moins un parent immigré. Elles représentent 10,9 % de la population totale. » (p. 14). Je ne leur en ferait pas grief si l’Insee consentait à en tirer les conclusions en ajoutant la proportion d’immigrés et celle des descendants, pour mesurer la proportion de personnes d’origine étrangère sur deux générations. 

Dans l’Insee Première n° 1906, Chantal Brutel analysait les informations sur les personnes vivant en communauté, c’est-à-dire hors logement ordinaire en 2019. Ils étaient au nombre de 1,6 million, chiffre qui était déjà celui de l’année 2009[3]. Si l’on suppose que ce chiffre est encore valide en 2021, c’est, en toute rigueur, à 66 millions qu’il faudrait rapporter les 7,3 millions de descendants, soit 11,1 %. En supposant, hypothèse extrême, qu’aucun immigré ne réside en communauté, 10,9 % de descendants vaudrait pour la population totale. En supposant qu’ils y résident autant que les autres, c’est 11,1 % qu’il faudrait garder. La différence est minime. En faisant fi de la différence de champ géographique (avec ou sans Mayotte), il y aurait ainsi eu, en 2021, 10,3% d’immigrés + 10,9 % de descendants, soit 21,2 % de personnes d’origine étrangère sur deux générations dans le premier cas, mais 21,4 % dans le deuxième cas[4]. L’Insee ferait bien d’économiser ses réticences, qu’il applique d’ailleurs de manière inconstante, et avoir le courage, en s’en expliquant, de faire les additions. Pour plus de rigueur ces additions devraient porter sur un champ géographique identique : France métropolitaine pour les séries longues et France hors Mayotte pour les séries à partir de 2014.

  • Chiffres manifestement erronés : Les données sur les descendants en 2005 paraissent très peu crédibles par rapport aux années 2011 et 2021. Une estimation conduite à partir de l’enquête Famille de 2011 donnait un résultat voisin (6,6 millions), mais pour la France métropolitaine[5], à celui tiré de l’enquête Emploi ici. Si l’on en croit les données publiées par l’Insee, leur nombre aurait ainsi augmenté de 2,3 millions en 6 ans (de 2005 à 2011), soit une progression de 53 %, alors que, dans les dix années qui suivent, il n’aurait augmenté que de 12 % ! Une estimation de Gérard Bouvier, tirée de l’exploitation de l’enquête Emploi 2008 et de l’enquête Trajectoires et origines de 2008, conduisait au chiffre de 4,5 millions des personnes âgées d’au moins 18 ans[6]. Je me demande donc si l’estimation de 2005 ne porterait pas sur la même tranche d’âge. Cependant, Gérard Bouvier y ajoutait le nombre de mineurs vivant dans une famille dont au moins un parent est immigré d’après l’enquête Emploi et parvenait à un total de 6,7 millions.
  • La comparaison avec 2005 est encore plus aberrante puisqu’elle supposerait que le nombre de personnes nées en France d’au moins un parent immigré ait augmenté de 56 % en trois ans seulement ! Les auteurs ne font d’ailleurs aucun commentaire sur une évolution temporelle, pourtant contraire à une publication précédente, qui aurait dû leur sembler aberrante. Au lecteur de se débrouiller. C’est désolant.

Je n’ai pu retrouver les données sur les enfants nés en France d’au moins un parent immigré que pour quelques années, complétant ainsi très partiellement la figure 1 ci-dessus : 2008 entre 2005 et 2011 (mais le total toutes origines seulement), quatre années introuvables entre 2015 et 2020 sans compter une discontinuité méthodologique en 2021[7]. Pour l’année 2015, deux chiffres différents ont été publiés dans deux publications différentes. Dans le Portrait social 2018, le nombre de descendants d’immigrés en 2015 serait de 7,2 millions. Dans l’Insee Première publié en 2017, il serait de de 7,3 millions[8]. Quel chiffre garder ? J’ai choisi la publication la plus récente – Portrait social – en me disant que l’Insee n’aurait pas rectifié le chiffre précédemment publié sans raison. Je ne suis pas très sûre de mon choix car Chantal Brutel, dans son Insee Première, indique le recours à deux sources (Enquête Emploi, Enquête annuelle de recensement) quand le Portrait social n’indique qu’une source (Enquête Emploi). Or, il se trouve que l’enquête Emploi n’interroge que les personnes âgées d’au moins 15 ans. Les plus jeunes peuvent être repérés comme enfants d’au moins un parent immigré s’ils vivent chez leurs parents, dans l’enquête Emploi comme dans le recensement. Dans son Insee Première, Chantal Brutel écrit que l’estimation est meilleure à partir du recensement : « L’estimation issue du RP est alors privilégiée, car l’évolution du nombre d’enfants descendants d’immigrées est plus régulière avec cette source qu’avec l’EEC compte tenu de la taille des échantillons » (EEC pour enquête Emploi en continu ; je fais l’hypothèse que « descendants d’immigrées » au féminin est une coquille).

Mises bout à bout, ces données donnent une série à trous à l’évolution peu cohérente, surtout si on la compare à celle des immigrés (figure 2 ci-dessous). 

Une estimation de la population d’origine étrangère en 1999 en France métropolitaine, à partir de l’enquête Famille, donnait un nombre de personnes nées en France d’au moins un parent immigré déjà supérieur au nombre d’immigrés : 5,5 millions pour 4,3 millions d’immigrés en France métropolitaine[9]. Il est peu vraisemblable que le rapport se soit inversé six ans plus tard, pour s’inverser à nouveau en trois ans ! La valeur pour 2005 est donc fausse. Celle de 2008 est bien haute et la discontinuité dans la méthode en 2021 après un changement de questionnaire très visible. En quoi entache-t-elle la série 2011-2015 (sans parler de 2008 !) ?

Figure 2.- Évolution du nombre d’immigrés et de personnes nées en France d’au moins un parent immigré depuis 2005 d’après différentes publications de l’Insee.

Sans remonter jusqu’en 2005, année pour laquelle les données sont manifestement fausses, examinons ce que ces données, certes imparfaites, nous disent de l’évolution de la population d’origine étrangère sur douze ans (2011-2023). 

Les différences de champ géographique (avec ou sans Mayotte en 2023) jouent peu sur la proportion de personnes nées en France d’au moins 1 parent immigré. Si celle-ci avait été calculée sur la population France-hors Mayotte, cela ne changerait pas le 1er chiffre après la virgule. Par contre la différence de champ (tous ménages ; ménages ordinaires), non prise en compte, a tendance à sous-estimer la proportion de personnes nées en France d’origine étrangère de quelques points après la virgule.

En 2023, la population d’origine étrangère serait voisine de 15,3 millions, contre 12,1 millions douze ans plus tôt, soit un accroissement d’un peu plus de 3 millions (+26 %), plus forte sur la partie immigrée (+30%). Et ceci dans un contexte de stagnation du nombre de natifs au carré (Figure 3 ci-dessous). La contribution de l’Europe a légèrement faibli en raison de l’érosion de l’apport des courants d’Europe du Sud, en dépit du développement de nouveaux flux. C’est la population d’origine africaine qui a le plus augmenté, surtout celle hors Maghreb qui a cru de 76 % en douze ans. C’est aussi la diversification des flux en provenance d’Asie qui a boosté la part des personnes originaires de ce continent. Le nombre d’originaires de Turquie et du Sud-Est asiatique a peu augmenté, malgré une progression du nombre de natifs de ces origines.  

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Figure 3.- Évolution 2011/2023 de la population d’origine étrangère composée d’immigrés et de personnes nées en France d’au moins un parent immigré.
Source : tableau composé à partir des données Insee.

Les tentatives de l’Insee pour appréhender la population née en France d’origine étrangère et son évolution à partir des enquêtes Emploi n’est pas très réussie. Le recours au recensement s’imposait depuis des années pour améliorer la connaissance. Mais la nécessité d’y introduire les questions utiles à l’observation des populations d’origine étrangère n’a convaincu le CNIS que tardivement, partiellement, et pas pour des questions de dénombrement. Dans son avis du 10 avril 2024[10], le Comité du label du CNIS annonce l’introduction d’une nouvelle question dans les enquêtes annuelles de recensement sur le lieu de naissance des parents à partir de 2025. Il faudra donc attendre la dernière collecte du cycle quinquennal, celle de l’année 2029, avant de disposer de données définitives pour l’année 2027 : « la diffusion grand public des données individuelles anonymisées relatives aux nouvelles questions n’interviendra qu’après l’EAR 2029, pour le recensement 2027 en cumul (selon le calendrier actuel de diffusion du recensement). Une première exploitation des résultats pourra avoir lieu avant cela sous forme d’étude… Une mise à disposition annuelle des nouvelles données individuelles des EAR pourra également être envisagée en amont de la diffusion publique à destination des chercheurs (via le Centre d’accès sécurisé aux données—CASD). (p. 5)» Le Comité du label ajoute qu’il constate « l’existence de débats concernant l’introduction du lieu de naissance des parents. Il invite en conséquence le service à préciser sa stratégie d’ensemble de diffusion des résultats de cette variable en lien avec les objectifs annoncés. (p. 5)»

Je rappelle que le CNIS ne s’est montré favorable à l’introduction du lieu de naissance des parents que dans la mesure où il pourrait permettre de mesurer les discriminations qui seraient, selon lui, lisibles à travers les disparités, favorisant ainsi le point de vue de la Ligue des droits de l’homme et de la défenseure des droits qui y voyait un possible usage dans les tribunaux[11]. Le CNIS y a donc consenti pour servir une bonne cause.

Mais on perçoit ses réticences à l’usage du pays de naissance des parents pour dénombrer (une mauvaise cause ?) alors que l’Insee dénombre déjà, à sa manière et mal, à partir des enquêtes Emploi, et qu’il pourrait le faire avec plus de sécurité à partir du recensement. Ajoutons que les scrupules n’étranglent pourtant pas l’Insee lorsqu’il publie par exemple qu’il y aurait 10 000 personnes nées en France d’au moins un parent immigré de Chine en 2005, à partir du petit échantillon de l’enquête Emploi (cf. figure 1). 

Le problème réside évidemment, comme je l’ai déjà signalé[12], dans le changement de définition de l’immigré qui, jusque-là, désignait la personne née à l’étranger et de nationalité étrangère à la naissance. Étaient ainsi exclus les Français nés français à l’étranger. Pour poursuivre avec cette définition, il aurait fallu recueillir aussi la nationalité de naissance des parents. Ce ne sera pas le cas puisque la nationalité de naissance a déjà été jugée inutile par l’Insee et le CNIS pour les individus. Aucune chance qu’elle soit collectée pour leurs parents. La France finira donc par passer à la définition de l’immigré retenue par les organismes internationaux tels qu’Eurostat, l’OCDE, les Nations unies, qui font au plus simple pour des facilités de comparaison, et la Suède par exemple.

Le CNIS, qui s’engage en faveur des causes à la mode (lutte contre les discriminations par exemple), pourrait utilement s’engager pour une très bonne cause, celle de l’utilisateur. Il lui faudrait convaincre l’Insee qu’il est temps de s’en préoccuper en révolutionnant sa conception du service statistique auprès du public et en mettant, au service de ce dernier, un site avec une base de données digne de l’institution. Les bons exemples européens ne manquent pas. L’Insee pourrait utilement s’en inspirer. Au CNIS de l’y pousser !


[1] https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381755.

[2] https://www.insee.fr/fr/statistiques/6793314?sommaire=6793391&q=Figure+1+-%20Nombre+d%E2%80%99immigr%C3%A9s+et+descendants+d%27immigr%C3%A9s+vivant+en+France+selon+le+pays+d%E2%80%99origine.

[3] https://www.insee.fr/fr/statistiques/6462842#encadre.

[4] Ce serait un peu moins avec le chiffre définitif de population : 67 697 en 2021 au lieu de 67 626 comme indiqué dans le tableau.

[5]  Michèle Tribalat, « Une estimation des populations d’origine étrangère en France », Espace populations sociétés, 2015/1-2,  https://journals.openedition.org/eps/6073.

[6] Gérard Bouvier, « Les descendants d’immigrés plus nombreux que les immigrés : une position française originale en Europe », Insee Référence, 10/10/2012 ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/1374014?sommaire=1374025.

[7] Année 2012 :  France, portrait social, édition 2015 – Insee Références, page 151 ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/1906593?sommaire=1906605

Année 2013 : France, portrait social, édition 2016 – Insee Références, page 151 ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/2492220?sommaire=2492313.

Année 2014 : France, portrait social, édition 2016 – Insee Références, page 159 ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/3197277?sommaire=3197289.

Année 2015 : France, portrait social, édition 2017 – Insee Références, page 153 ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/3646124?sommaire=3646226.

Année 2020 : France, portrait social, édition 2021 – Insee Références, page 131 ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/5432149?sommaire=5435421. ; ou « Femmes et hommes, l’égalité en question », Insee références, édition 2022, page 9 ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/6047719?sommaire=6047805&q=descendants+d%27immigr%C3%A9s au millier près !

Année 2021 : « Immigrés et descendants d’immigrés », Insee Références Edition 2023, page 81 ;  https://www.insee.fr/fr/statistiques/6793230?sommaire=6793391#tableau-figure2.

Année 2022 : France, portrait social, édition 2021 – Insee Références, page 81 ;    https://www.insee.fr/fr/statistiques/7666833?sommaire=7666953.

Année 2023 : Origine géographique des descendants d’immigrés, Données annuelles 2023, Chiffres clés, 29/08/2024 ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/4186761#tableau-figure1.

La discontinuité méthodologique conduit à un chiffre en 2021 inférieur à celui de 2020 que l’Insee explique ainsi : « En 2021, le questionnaire de l’enquête Emploi, source utilisée pour mesurer le nombre de descendants d’immigrés de la deuxième génération, a changé et une révision importante à la baisse des mages de calage démographique a été effectuée. Par rapport aux derniers chiffres publiés, le nombre de descendants d’immigrés en 2021 est révisé à la baisse par rapport à 2020 (7,35 millions contre 7,62 millions), principalement à la suite de cette révision à la baisse des marges démographiques) ».

[8] Chantal Brutel, « Être né en France d’un parent immigré », Insee Première n°1634, février 2017, https://www.insee.fr/fr/statistiques/2575541.

[9] Michèle Tribalat, « Une estimation des populations d’origine étrangère en France en 1999 », Population 59(1), 2004.

[10] https://www.cnis.fr/wp-content/uploads/2024/05/ac-2024-insee-ear-annuelle.pdf.

[11] https://micheletribalat.fr/435108953/452329412.

[12] Ibid.

André-Victor Robert | L’immigration comme remède potentiel à nos difficultés démographiques et économiques ?

La possibilité de réguler ou de redresser la structure par âge d’une population a été étudiée en détail par Blanchet (1988). Dès l’introduction à son article, l’auteur indique que les effets attendus seront au mieux du second ordre : « Un afflux de migrants dans les tranches d’âges actives à un instant donné peut certes résoudre temporairement un problème de déséquilibre entre population active et retraitée, mais lorsque ces migrants arrivent à l’âge de la retraite, le problème se pose à nouveau et risque de se reposer de façon aggravée. Le but de cet article est de montrer qu’il en est effectivement ainsi, que ce type de politique conduit en effet, de façon générale, à des cycles de flux migratoires de forte amplitude (…). Qui plus est, on peut montrer que pour des valeurs tout à fait plausibles des paramètres en jeu (répartition par âge des migrants), ces cycles seront explosifs, et que les résultats courants de convergence vers un état stable ne s’appliqueront plus. »

Dans une veine analogue, les Nations Unies, dans leur exercice mené en 2000 de projection de la population mondiale, se sont attachées à chiffrer les flux migratoires qui seraient nécessaires pour stabiliser le rapport entre la population d’âge actif et la population de plus de 65 ans dans les principaux développés. Pour la France, le flux migratoire annuel nécessaire pour stabiliser ce ratio serait de 1,3 million de personnes de 2010 à 2025 puis 2,4 millions de 2025 à 2050, ce qui est évidemment totalement irréaliste (Tribalat, 2010). Accessoirement, ce scénario conduirait à un triplement de la population d’ici 2050 ! Des flux migratoires encore plus importants seraient nécessaires dans les pays à fécondité faible comme l’Italie ou l’Allemagne.

Les projections des Nations Unies constituent ainsi une « preuve par l’absurde » de l’intuition exposée et développée par Blanchet (1988). Que certains responsables politiques aient retenu une lecture au premier degré des projections de l’ONU et n’en aient pas discerné l’aspect absurde, qu’ils s’appuient sur ces projections pour prôner un accroissement du flux d’immigration, est évidemment problématique. Ajoutons qu’il ne suffit pas de maintenir constant le rapport entre la population des 15-64 ans et celle des plus de 65 ans pour assurer l’équilibre des régimes de retraite : le taux d’emploi au sein des 15-64 ans est tout aussi important. Or au sein de la population immigrée d’âge actif (Robert, 2024), le taux d’emploi des femmes est très faible, et le taux d’emploi des hommes est significativement en deçà du taux d’emploi des hommes autochtones.

Chojnicki et Ragot (2012) ont simulé – à partir d’un modèle d’équilibre général calculable – l’impact sur le déficit des retraites de volumes d’immigration plus raisonnables. L’impact en est évidemment modeste, légèrement positif en l’occurrence, mais de manière transitoire, et instable à long terme, à l’horizon du départ en retraite des immigrés (ce qui est cohérent avec Blanchet, cf. supra).

D’autres travaux cherchent, en ayant recours à une approche comptable, à mesurer plus largement ce que les migrants coûtent ou rapportent chaque année aux finances publiques et aux comptes sociaux. L’exercice repose sur un nombre élevé d’hypothèses, et certaines d’entre elles influent de manière très sensible sur les résultats, de sorte que l’on peut arriver à peu près à n’importe quel résultat, fortement positif ou fortement négatif (entre -100 et +100 Md€ par an pour la France), en sélectionnant ses hypothèses de manière astucieuse :

  • Il faut tout d’abord décider si l’on mène le calcul pour une année donnée ou sur une période de temps plus longue, pouvant correspondre à la durée de la présence des immigrés. Si l’on raisonne à un instant donné, et si l’on se place à un moment où le nombre d’immigrés est en croissance et où les migrants sont majoritairement d’âge actif, on néglige dans les calculs le fait qu’il faudra plus tard leur payer des retraites. Si l’on raisonne sur une période de long terme, il faut déterminer un taux d’actualisation (taux d’intérêt auquel l’argent pourrait être placé) pour comparer les flux de recettes et de dépenses aujourd’hui et ceux à une date future, or le choix du taux d’actualisation a un impact considérable sur les résultats ;
  • Il convient ensuite de décider des types de recettes et dépenses que l’on prend en compte. L’impôt sur le revenu, les prestations sociales, les retraites et les dépenses d’éducation ne souffrent guère de discussions et sont en général prises en compte, mais on peut considérer qu’il faudrait aller au-delà de ce périmètre restreint de recettes et dépenses et prendre en compte des dépenses telles que les effectifs de police et de justice nécessaires pour juguler le surcroît de criminalité occasionné par la présence des immigrés, ou encore les subventions au logement social versées aux immigrés sous la forme de loyers inférieurs à ceux du marché privé. Certaines dépenses publiques telles que la défense nationale posent des difficultés supplémentaires, car elles ont le caractère d’un « bien public pur » au sens où leur volume dépend relativement peu du niveau de la population. Considère-t-on qu’elles ont vocation à être financées par les seuls autochtones (c’est le choix qui est retenu dans certaines études), ou bien affecte-t-on la même quote-part de ces dépenses à tout individu, qu’il soit autochtone ou immigré ?
  • Calculer les recettes et dépenses générées par l’immigration nécessite aussi de tenir compte du niveau de qualification de la main d’œuvre immigrée, niveau qui n’est pas facile à appréhender compte tenu de l’hétérogénéité et de l’inégale qualité des systèmes éducatifs de par le monde. Les immigrés qualifiés reçoivent des salaires plus élevés que les immigrés non-qualifiés et sont moins exposés au risque de chômage que ces derniers. Les immigrés qualifiés contribuent donc plus fortement aux recettes fiscales que les immigrés non qualifiés et sont moins dépendants des aides sociales que ces derniers. Mais comment comparer – par exemple – le niveau de qualification effectif d’un diplômé de fin d’études secondaires obtenu à Bamako en 2020 et un baccalauréat français obtenu à Colmar ou à Nantes en 1970 ou 1980 ?

Il est donc très simple de faire apparaître un bénéfice comptable de l’immigration : il suffit pour cela de raisonner à un instant donné plutôt que sur longue période (la majeure partie des immigrés d’aujourd’hui sont d’âge actif, et donc on a encore relativement peu de retraites à payer), de limiter le champ de l’investigation à l’impôt et aux prestations sociales, en ne pas tenir compte du fait que les niveaux de qualification affichés par les immigrés – sur la base de diplômes obtenus dans leur pays d’origine dans la majorité des cas – donnent une image faussée de leur employabilité.

Les chiffrages des effets budgétaires de l’immigration sont parfois accompagnés d’études de sensibilité des résultats aux valeurs des paramètres. Ces études de sensibilité présentent l’intérêt de montrer que :

  • Le solde recettes / dépenses pour la collectivité induit par la présence des immigrés dépend très fortement (en instantané mais aussi à long terme) de leur niveau de qualification,
  • L’immigration de main d’œuvre est a priori plus bénéfique du point de vue des finances publiques que l’immigration de regroupement familial, car dans le second cas la France doit supporter les dépenses d’éducation des enfants du foyer. En outre, si le conjoint est inactif, le famille est davantage exposée au risque de dépendre des aides sociales (versées sous conditions de ressources).

Or depuis cinquante ans l’immigration en France est bien davantage une immigration de regroupement familial qu’une immigration de main d’œuvre, et la France n’est pas très regardante sur le niveau de qualification de ses immigrés. Ce faisant, notre pays n’a à l’évidence pas retenu les options migratoires les plus à même de contribuer positivement au solde des finances publiques. En outre, comme le système de protection sociale français est relativement généreux en comparaison de celui d’autres pays européens, le risque existe que les migrants peu employables et / ou peu désireux de contribuer à l’effort productif se dirigent préférentiellement vers la France plutôt que vers d’autres pays moins généreux. L’existence d’un tel phénomène d’« anti-sélection » en matière migratoire est attestée par les travaux de Borjas (1999b) dans le cas des états-Unis.

Michèle Tribalat (2010) a établi un bilan détaillé des recherches économétriques en la matière, en s’appuyant notamment sur les travaux de l’économiste américain George Borjas (1999, 2003). On peut résumer ces travaux de la manière suivante : il est à peu près acquis que l’immigration a un effet négligeable sur le niveau de richesse et son taux de croissance, aussi bien à court et moyen terme qu’à long terme. En revanche, l’immigration semble avoir pour effet à court terme de déprimer les salaires des travailleurs non qualifiés (ou d’accroître leur taux de chômage dans les pays comme la France où les salaires sont davantage rigides qu’aux états-Unis) – l’existence de cet effet négatif et son ampleur sont toutefois débattues, peut-être parce que les données disponibles ne sont pas toujours suffisamment riches et ne permettent pas toujours de trancher clairement entre l’absence d’effet et l’existence d’un effet négatif.

Si l’immigration a bien pour effet de déprimer les salaires des travailleurs non qualifiés et donc d’accroître la dispersion des revenus du travail, l’immigration est alors porteuse d’un conflit de répartition ainsi que le résume Borjas (1999a) : « Il est plus pertinent de présenter le débat sur l’immigration comme une lutte entre les perdants et les gagnants. Autrement dit, l’immigration modifie la répartition du gâteau économique, et cet indéniable constat a beaucoup à voir avec le fait que certains sont favorables à une forte immigration quand d’autres cherchent à la réduire ou à l’arrêter. »

Les mécanismes économiques par le biais desquels l’immigration pourrait agir sur les salaires des autochtones ainsi que les études économétriques réalisées à ce sujet font l’objet d’une récente revue de la littérature publiée par le CEPII (Edo et alii, 2018). D’un point de vue empirique, les auteurs de cette revue de la littérature identifient en gros trois manières d’appréhender l’impact de l’immigration sur les salaires des autochtones non qualifiés :

  • Un premier ensemble d’études vise à tirer parti de l’inégale répartition des immigrés entre villes, régions ou états. Ces études, en règle générale, échouent à mettre en évidence un effet significatif de l’immigration. Il y a à cela deux raisons, qui ont été bien analysées et mises en évidence par Borjas : d’une part, les immigrants (en provenance de l’étranger) tendent à s’installer de préférence dans les régions offrant les meilleures perspectives d’emploi et de salaires, de sorte que l’effet dépressif potentiel sur les salaires de l’arrivée d’immigrants dans ces régions risque d’être masqué ou gommé par le fait que ces régions présentent de toutes façons un dynamisme économique supérieur à la moyenne ; d’autre part, l’arrivée en masse d’immigrants d’origine étrangère dans une région peut avoir pour effet d’inciter des autochtones à en partir ou à ne pas s’y installer1, et le départ des autochtones (ou leur non-arrivée) a alors pour effet de pousser les salaires à la hausse, ce qui là aussi pourra masquer l’effet dépressif sur les salaires de l’arrivée des immigrés. Il est donc assez largement admis que si ce type d’étude ne met pas en évidence d’effet significatif de l’immigration sur les salaires, ce n’est pas forcément parce qu’un tel effet n’existe pas : c’est peut-être tout bêtement parce que cet effet est masqué par des effets concomitants en sens contraire (dynamisme plus important des régions d’arrivée, départ ou non-arrivée d’autochtones dans les régions à forte immigration étrangère). Au total, les études sur des données relatives à des régions sont en fin de compte d’une utilité plus que limitée pour mesurer les effets de l’immigration, on ne peut pas en tirer grand-chose ;
  • Un 2e ensemble d’études vise à tirer parti de l’« expérience naturelle » que peuvent constituer des arrivées massives d’immigrants induites par des évènements politiques sans lien avec les conditions de vie et perspectives d’emploi et de salaires dans le pays d’accueil, tels que l’arrivée en masse de cubains en Floride en 1980 lorsque Fidel Castro a ouvert les vannes de l’émigration, ou encore par exemple l’arrivée en France métropolitaine en 1962 des rapatriés d’Algérie. Borjas (2017) estime ainsi, sur la base des données disponibles autour de cet évènement, que l’arrivée des cubains en Floride en 1980 a déprimé les salaires des sans-diplômes de 10 à 30 %, un résultat cohérent avec le fait que les immigrés cubains arrivés à cette occasion étaient dans l’ensemble très peu qualifiés. Concernant les rapatriés d’Algérie, Jennifer Hunt (1992) chiffre à +0,3 point l’accroissement du taux de chômage des autochtones et à -1,3 % l’effet sur leurs salaires, dans les régions du sud de la France où les rapatriés se sont installés de manière préférentielle. L’effet dépressif sur le salaire moyen aurait mis quinze ans à se résorber. Il n’est pas certain toutefois que les résultats de ces « expériences naturelles », où un flux migratoire important a été initié par un évènement politique, soient extrapolables à des flux migratoires moins soudains et plus continus motivés par des considérations économiques ;
  • Le 3e groupe d’études est composé d’études dites « structurelles », qui consistent à estimer une fonction de production (i.e. la relation entre d’un côté le volume de capital et le volume de main d’œuvre – éclaté entre divers niveaux de qualification – et de l’autre, le niveau de production qui en résulte), de façon à pouvoir ensuite déduire l’impact sur les salaires et l’emploi des autochtones non qualifiés d’un afflux de main d’œuvre immigrée non qualifiée. Cette approche est en principe la plus rigoureuse, le papier de Borjas (2003) a contribué de manière déterminante à accréditer la démarche. Mais, ainsi que l’écrit Michèle Tribalat sur son site Internet2: « si George J. Borjas a lui-même introduit ce type de simulation, il déclare ne pas en être un grand fan. Ces modélisations nécessitent de nombreuses hypothèses qui ouvrent la porte aux manipulations. Deux hypothèses ont conduit à affirmer que l’immigration avait un effet négligeable sur les salaires des natifs peu qualifiés : 1)  les immigrants peu qualifiés ne sont pas substituables aux natifs peu qualifiés, mais complémentaires, leur entrée pouvant en fait rendre ces derniers plus productifs. Cette complémentarité est au mieux très faible ; 2) mais, surtout, ceux qui n’ont pas terminé leurs études secondaires seraient substituables aux diplômés du secondaire. Dans ces études structurelles, l’effet de l’immigration est censé disparaître à long terme (souvent dix ans). Il en est ainsi, non parce que ces études le constatent mais parce que c’est une hypothèse mathématique utilisée pour construire le modèle censé simuler le fonctionnement du marché du travail. » Sous réserve d’intégrer cette mise en garde, qui conduit à écarter les évaluations des effets de long terme issus de ces études, celles-ci tendent plutôt à conclure que l’immigration induit une baisse des salaires des autochtones dont le niveau de qualification est proche de celui des immigrants et une hausse des salaires des autochtones qui sont moins concurrencés par les immigrants..

L’immigration aurait donc bien pour effet semble-t-il de faire baisser les salaires – et / ou d’accroître le taux de chômage – des autochtones les plus directement en concurrence avec les nouveaux immigrés sur le marché du travail, à savoir les non qualifiés dans le cas d’une immigration assez largement non qualifiée comme c’est le cas pour la France3. L‘effet, dont l’ampleur est débattue, est en principe maximal à « court terme », i.e. pendant le temps nécessaire pour que le stock de capital s’ajuste. Il pourrait persister à moyen et long terme, pour autant que l’offre de travail qualifié soit « inélastique », c’est-à-dire peu sensible au niveau de rémunération : car dans ce cas si la rentabilité du capital accrue par l’afflux de main d’œuvre immigrée non qualifiée entraîne une accumulation du capital qui tend à ramener le salaire moyen vers son niveau d’équilibre, la main d’œuvre qualifiée reste – du fait de l’offre inélastique – relativement rare – donc chère – faute de pouvoir s’ajuster rapidement aux nouvelles conditions économiques.

Au total, les conditions d’existence des non qualifiés autochtones sont affectées de deux manières par l’immigration de main d’œuvre non qualifiée : celle-ci tendrait à déprimer leurs salaires et à accroître leur chômage. A contrario, les classes supérieures bénéficient d’un abondant réservoir potentiel de main d’œuvre domestique faiblement payée. On comprend aisément, dans ces conditions, que l’immigration se heurte à une hostilité bien plus marquée au sein des classes populaires qu’au sein des classes moyennes ou supérieures, ces dernières disposant en outre de moyens financiers bien supérieurs à ceux des autochtones modestes qui leur permettent d’échapper au voisinage des populations immigrées.

On nous objectera que des immigrés non qualifiés viendraient occuper des emplois jugés « peu gratifiants » dont les autochtones ne voudraient pas ou plus, aux niveaux de salaires qui prévalent dans ces activités. Notons d’abord à cet égard que les immigrés ne se précipitent pas tous en masse pour occuper de tels emplois, puisque le taux d’emploi des immigrés de 15 à 64 ans (hommes comme femmes) est très sensiblement inférieur à celui des natifs (cf. Robert, 2024). D’autre part, il convient de s’interroger sur l’intérêt financier que peut présenter pour la collectivité nationale le fait de faire venir des immigrés pour occuper ces emplois à la place de natifs à qui il faut en contrepartie verser des aides sociales : ne vaudrait-il pas mieux inciter les natifs à occuper ces emplois (ce qui nécessite sans doute d’en revaloriser les salaires) ? Il est probable que la communauté nationale considérée dans son ensemble y gagnerait.

Il y a bien eu sous Nicolas Sarkozy une volonté de favoriser plutôt l’immigration qualifiée, plus particulièrement pour certaines professions identifiées comme étant « en tension » (Stefanini, 2020 aborde le dispositif en détail). Cette inflexion était de nature à combler des besoins très particuliers, pour lesquels l’offre de formations en France a peiné à répondre avec diligence (médecins du fait du numerus clausus, métiers informatiques…). Toute politique qui s’efforce de faciliter l’immigration de main d’œuvre dans les professions « en tension » présente toutefois une limite et un gros inconvénient :

  • La limite tout d’abord : en règle générale, en pratique, le lien entre la formation dont on a bénéficié et les métiers qu’on peut ensuite exercer est assez lâche : une formation donne souvent accès à plusieurs métiers, et un même métier peut souvent être exercé après avoir suivi diverses formations. Il y a bien sûr des exceptions, comme les médecins ou les avocats, mais dans l’ensemble l’absence de relation strictement binaire entre formation et métier complique la gestion d’un dispositif de canalisation de l’immigration vers les métiers en tension. Au surplus, il n’est pas sûr que les formations médicales suivies dans d’autres pays comme la Roumanie et la Syrie soient d’un niveau comparable à celles suivies en France ;
  • L’inconvénient : c’est une solution de facilité, mobilisable dans l’urgence, qui a pour effet de rendre moins impérieuses (et donc de freiner) les adaptations du système éducatif nécessaires pour répondre aux besoins de main d’œuvre des entreprises.

Blanchet Didier (1988) : « Immigration et régulation de la structure par âge d’une population », Population, n°2, pp. 293-309 ;

Borjas George J. (1999a) : « Heaven’s Door », Princeton University Press ;

Borjas George J. (1999b) : « Immigration and Welfare Magnet », Journal of Labor Economics, Vol. 17, n°4 ;

Borjas George J. (2003) : « The Labor Demand Curve is Downward Sloping: Reexamining the Impact of Immigration on the Labor Market », Quarterly Journal of Economics, Vol. 118, pp. 1135-1374 ;

Borjas George J. (2017) : « The Wage Impact of the Marielitos: A Reappraisal », ILR Review, Vol. 70, n°5, pp. 1077-1110 ;

Chojnicki Xavier et Lionel Ragot (2012) : « Immigration, vieillissement démographique et financement de la protection sociale », Revue économique, Vol. 63, n°3, pp. 501-512 ;

Edo Anthony, Lionel Ragot, Hillel Rapoport, Sulin Sardoschau et Andreas Steinmayr (2018) : « The Effects of Immigration in Developed Countries: Insights from Recent Economic Research », CEPII – Policy Brief n° 22 ;

Hunt Jennifer (1992) : « The Impact of the 1962 Repatriates from Algeria on the French Labor Market », Industrial and Labor Relations Review, Vol. 45, N°3, pp. 556-572 ;

Robert André-Victor (2024) : « La France au bord de l’abîme – Les chiffres officiels et les comparaisons internationales », éd. L’Artilleur, 480 pages ;

Stefanini Patrick (2020) : « Immigration – Ces réalités qu’on nous cache », Robert Laffont ;

Tribalat Michèle (2010) : « Les yeux grand fermés», Denoël.

  1. Borjas (2004) indique que pour dix immigrants (étrangers) qui s’installent dans une métropole américaine, trois à six natifs choisissent de ne pas s’y installer. ↩︎
  2. https://micheletribalat.fr/435379014/452998069 ↩︎
  3. Notons que le survey de Edo et alii (2018), qui reconnaît 1- le peu d’intérêt des études sur les régions et des études en expérience naturelle, et 2- reconnaît que les études structurelles concluent que l’immigration non qualifiée modifie durablement la structure des salaires au détriment des non-qualifiés autochtones, conclut de manière un peu surprenante que les effets d’ensemble de l’immigration sur le marché du travail sont limités, ce qui semble en contradiction avec 1- et 2-. De sorte que le lecteur pressé qui s’en tiendrait à l’introduction et à la conclusion de ce survey (ce qui peut être le cas de l’homme politique qui ne dispose ni du temps ni de la compétence pour procéder à une lecture fouillée de ce papier) pourrait en retirer l’impression – erronée – que les migrations ont un effet négligeable en termes de fonctionnement du marché du travail pour les autochtones. ↩︎

Les données trompeuses d’Eurostat sur les origines

Grâce à la variable « statut migratoire », on peut se faire une idée de l’importance de la population d’origine étrangère d’âge actif sur deux générations en France, toutes origines confondues (tableau 1).

En 2023, cette population représente 29,7 % des personnes âgées de 15-64 ans résidant dans un ménage ordinaire. Elle se décompose en 53 % d’immigrés et de 47 % de natifs d’origine étrangère.

Statut migratoireEffectifs%
Total40 931,1 
Né en France de deux parents nés en France26 518,870,7
Né en France d’un parent né à l’étranger (1)2 851,37,6
Né en France de deux parents nés à l’étranger (2)2 341,76,2
Né en France d’un ou deux parents nés à l’étranger (1+2)5 193,013,9
Né à l’étranger (3)5 778,015,4
Né à l’étranger ou né en France d’un ou deux parents nés à l’étranger10 971,029,3
Inconnu3441,3 

Tableau 1.- Population d’origine étrangère sur deux générations en France en 2023.
Note : le calcul a été fait sur le total moins les inconnus. Ce qui revient à redistribuer ces statuts migratoires inconnus au prorata.
Champ : 15-64 ans en ménage ordinaire.
Source : Eurostat.

Dans l’UE, si l’on excepte l’Estonie qui comprend une forte minorité russe, la France est proche des Pays-Bas (tableau 2). Elle est devancée par la Suède, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique et l’Irlande et les îles de Malte et Chypre où la proportion de personnes nées à l’étranger ou nées dans le pays d’au moins un parent né à l’étranger dépasse 35 % avec un maximum, Luxembourg mis à part, pour Malte (39,1 %) et la Suède (36,9 %).

Luxembourg75,8Moyenne UE 2723,0
Malte39,1Croatie20,4
Suède37,9Danemark18,8
Allemagne37,2Portugal18,5
Autriche36,7Italie17,4
Belgique36,7Finlande14,7
Irlande35,5Grèce11,3
Chypre35,2République tchèque9,5
Estonie31,7Lituanie7,5
Pays-Bas30,4Hongrie4,9
Lettonie29,7Pologne2,8
France29,3Slovaquie2,2
Slovénie25,5Bulgarie0,5
Espagne25,1Roumanie0,3

Tableau 2.- Proportion de population d’origine étrangère sur deux générations en 2023.
Champ : 15-64 ans en ménage ordinaire.
Source : Eurostat.

Ce classement obéit à une hiérarchisation qui place le pays d’observation en premier, vient ensuite tout pays de l’UE et, en dernier, tout autre pays.

Restons sur l’exemple de la France pour illustrer cette hiérarchisation. Alors qu’elle a été classée comme d’origine étrangère par le statut migratoire, la personne née en France d’un père né en Algérie et d’une mère née en France sera, de ce fait, d’origine française d’après le classement des origines des parents (tableau 3). Ce qui ne nous apprend rien puisque, par définition, nous le savons déjà, d’après le statut migratoire.

Statut migratoirePays de naissance des parents
ÉtrangerFranceTotal
Né en France d’un parent né à l’étranger (1) 2851,32851,3
Né en France de deux parents nés à l’étranger (2)2341,7 2341,7
Né en France d’un ou deux parents nés à l’étranger (1+2)2341,72851,35193,0

Tableau 3.- Population d’origine étrangère en France en 2023, par statut migratoire et pays de naissance des parents (France/étranger) d’après la classification d’Eurostat (en milliers).
Note : Il n’a pas été compte des réponses inconnues.
Champ : 15-64 ans en ménage ordinaire.
Source : Eurostat,
https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/lfsa_pgaccpm__custom_10623499/default/table?lang=en.
Champ : 15-64 ans en ménage ordinaire.

Cela aboutit, dès que l’on examine les données par grande zone d’origine (UE27, hors UE27) à une absurdité puisque, par exemple, les personnes nées en France d’une mère née en France et d’un père né en Algérie, classées comme d’origine étrangère par le statut migratoire se verront attribuer une origine française et ne seront pas comptées comme d’origine non européenne au même titre que les personnes nées de deux parents nés en Algérie. De même, une personne née en France d’une mère née en France et d’un père né au Portugal sera classée d’origine française. Ce qui ne nous apprend pas grand-chose car c’était déjà ce que montrait le statut migratoire. Ainsi, plus de la moitié des natifs d’origine étrangère d’après le statut migratoire se voient attribuer par Eurostat une origine française.

STATUT MIGRATOIREPAYS DE NAISSANCE DES PARENTS
UE27Hors UE27Total ÉtrangerFranceTotal% UE27
Né en France d’un ou deux parents nés à l’étranger (1)633,61708,12341,72851,35193,012,2
Né à l’étranger (2)944,24238,75182,9595,15778,016,3
Total (1+2)1577,85946,87524,63446,410971,014,4

Tableau 4.- Population par statut migratoire et pays de naissance des parents, en France en 2023, dont UE27/hors UE27 selon la classification d’Eurostat (en milliers).

Note : Ne figurent pas dans ce tableau ceux dont le statut migratoire est inconnu, 8,4 % du total. Par contre lorsque le pays de naissance « des parents » était inconnu, il a été réparti au prorata, pour retomber sur les totaux du tableau 1.

Note de lecture : Selon le classement Eurostat, 14,4 % des personnes nées à l’étranger ou en France d’au moins un parent né à l’étranger seraient originaires de l’UE27 (sans la France).

Il n’a pas été tenu compte des réponses inconnues.

Source : Eurostat, https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/lfsa_pgaccpm__custom_10623499/default/table?lang=en; 
Champ : 15-64 ans en ménage ordinaire.

Si l’on se reporte aux données diffusées en accompagnement de l’Insee Première n°1910 sur la diversité des origines2 tirées des enquêtes Emploi 2019-2020, 40 % des personnes nées en France d’au moins un parent immigré et âgées de 18-64 ans étaient originaires de l’UE27, contre 12,2 % ici à une date légèrement différente et pour une tranche d’âges et dans une définition qui le sont aussi. Ce qui ne saurait expliquer l’énorme écart de mesure.

Une autre alternative, particulièrement trompeuse, aurait été de considérer que ceux dont un parent est né en France sont d’origine européenne (UE). On aurait alors 67 % des nés en France originaires de l’UE et 46 % sur deux générations. C’est ce que n’avait pas hésité à faire Eurostat dans l’exploitation de l’enquête Emploi de 2014.

En 2014, 28,0 % des habitants résidant dans un ménage ordinaire et âgés de 15-64 ans étaient d’origine étrangère sur deux générations, dont 53,5 % nés en France. Rien à dire. Mais les choses se gâtent lorsqu’on veut déterminer la zone d’origine de ces personnes. Si l’on prend le tableau 5 au pied de la lettre, 72,7 % de celles qui sont nées en France d’un ou deux parents nés à l’étranger seraient originaires de l’UE (ici UE28). Au total, la part des personnes d’origine étrangère sur deux générations dites originaires de l’UE s’en trouverait égale à 54,4 %. Voilà des résultats qui contrastent avec ceux de 2023 !

Cela tient au fait qu’en 2014, un individu né en France d’un parent né à l’étranger et d’un parent né en France a été classé originaire de l’UE. Ainsi, celui qui est né en France d’un père né en Algérie et d’une mère née en France n’a pas été classé d’origine algérienne (c’est-à-dire hors UE) mais d’origine européenne (UE). En 2023 il a été classé, on l’a vu, d’origine française ! On n’arrête pas le progrès !

En 2014, Eurostat a donc donné la priorité aux pays de l’UE, la France n’étant alors que l’un d’entre eux.

STATUT MIGRATOIREPAYS DE NAISSANCE DES PARENTS
UE28Hors                      UE28Total sans réponse inconnue
Né en France d’un ou deux parents nés à l’étranger4 136,81 557,0 5 693,8
Dont né en France d’un seul parent né à l’étranger3 278,5 3 278,5
Né à l’étranger1 641,23 278,6 4 919,8
Né à l’étranger ou né en France d’au moins un parent né à l’étranger sans les non-réponses5 778,04 835,6 10 613,6

Tableau 5.- Population par statut migratoire et pays de naissance des parents en France en 2014, dont UE28/hors UE28 selon la classification d’Eurostat (en milliers).

Note : Il n’a pas été tenu compte des non-réponses et des réponses inconnues3.  Moins de 1 % des pays de naissance « des parents » sont restés inconnus et la proportion de non-réponses empêchant la détermination du statut migratoire était de 4,3 %. En raison de ces inconnues, il est déconseillé de se livrer à des comparaisons d’effectifs avec 2023 et de s’en tenir aux pourcentages. Les nombres absolus sont là par souci d’honnêteté.

Champ : 15-64 ans en ménage ordinaire.

Source : Eurostat,

https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/lfso_14pcobp__custom_10679349/default/table?lang=en

Les données mises en ligne sur Eurostat pour l’année 2008 permettent bien de calculer la proportion de personnes âgées de 15-64 ans d’origine étrangère sur deux générations en France dans les ménages ordinaires : 26,2 % dont 58,5 % d’entre elles sont nées en France.

Si Eurostat n’a pas encore élaboré la variable « statut migratoire », il a mis en ligne deux types de tableaux qui ne permettent pas de retomber sur l’équivalent 2014 ou 2023.

Cependant, Eurostat fournit la possibilité d’extraire un tableau croisant le pays de naissance des individus et le pays de naissance des parents tel qu’il l’a composé4. On remarque alors qu’il a fait le même choix d’accorder le privilège aux pays UE27, France comprise. Si bien que, si l’on voulait en faire quelque chose pour connaitre les grandes zones d’origine des personnes nées en France d’au moins un parent né à l’étranger, on en conclurait faussement que 74 % sont originaires de l’UE27. Sur deux générations (immigrés et natifs), la proportion de personnes originaires de l’UE serait de ainsi portée à 57 %.

On peut aussi croiser le pays de naissance du père et de la mère en fonction du pays de naissance des individus (France/étranger)5. Voyons ce que cela donne pour les nés en France. Si l’on attribue une préférence à la mère lorsque les deux parents nés à l’étranger ne sont pas nés dans la même zone (UE27/Hors EU27), la proportion de personnes nées en France originaires de l’UE tombe alors à 44 % (tableau 6).

 Né à l’étranger% UE27
TotalUE27Hors UE27
Mère née en France1 781,1843,8937,347,4%
Père né en France1 328,6657,8670,849,5%
Deux parents nés à l’étranger2 244,6846,21 398,437,7%
Total5 354,32 347,83 006,543,8%

Tableau 6.- Population née en France selon les pays de naissance croisés de la mère et du père en 2008, dont UE27/hors UE27 selon la classification d’Eurostat (en milliers).

Note de lecture : En 2008, 47 % des personnes nées en France d’une mère née en France et d’un père né à l’étranger étaient originaires de l’UE (sans la France).

Note : il n’a pas été tenu compte des non-réponses très difficiles à affecter en raison des données manquantes car d’effectif trop faible. C’est donc l’ordre de grandeur des pourcentages qu’il faut retenir, plus que les effectifs qu’il faut se garder de comparer à ceux des années suivantes.

Champ : 15-64 ans en ménage ordinaire.

Source : Eurostat,

https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/lfso_08cobsmf__custom_10708299/default/table?lang=en.

On se demande quelle justification tarabiscotée ont bien pu avancer les statisticiens d’Eurostat pour aboutir à des classifications aussi absurdes. En tout cas, d’après les nombreux échanges kafkaïens que j’ai eus, par mail, avec le service « Support utilisateur » à propos de 2021 et 2022 (2023 n’était alors pas encore disponible), le caractère absurde n’était guère perçu. On me renvoyait inlassablement à la documentation.

C’est pourtant une évidence, l’intérêt des données sur les personnes d’origine étrangère dans les pays de l’UE se porte avant tout sur celles qui viennent d’ailleurs. La classification d’Eurostat est pire qu’inutile. Elle est trompeuse. Eurostat doit donc la réviser de toute urgence pour redonner quelque crédibilité aux données qu’il produit sur les origines.

  1. https://ec.europa.eu/eurostat/documents/1978984/6037342/EULFS_Database_UserGuide_2021.pdf, page 85. ↩︎
  2. 05/07/2022,  https://www.insee.fr/fr/statistiques/6468640. ↩︎
  3. Dans l’enquête Emploi de 2014 comme dans celle de 2008, la catégorie hors UE a été fragmentée en plusieurs catégories selon l’indice de développement humain. ↩︎
  4. https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/lfso_08cobsp/default/table?lang=en&category=mi.mii.mii_lfso.lfso_08. ↩︎
  5. https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/lfso_08cobsmf__custom_10708299/default/table?lang=en. ↩︎

Plus d’immigration contre la baisse de la population : le fatalisme aveugle de l’Institut Montaigne

Les observations démographiques sur lesquelles l’Institut Montaigne fonde sa réflexion sont certes admises de longue date : « La France est entrée dans une phase de ralentissement démographique », avec une « situation devenue préoccupante depuis le début des années 2000 » par le ralentissement de notre natalité. En effet, le solde naturel (constitué de la différence entre les naissances vivantes et les décès survenus sur le sol national) s’est établi difficilement à + 56 000 personnes pour l’année 2022, soit un résultat quasiment nul. Le nombre de naissances enregistrées l’année dernière est au plus bas depuis 1946. Cet affaissement de la fécondité se poursuit en 2023, avec un nombre de naissances inférieur de 7 % au premier semestre par rapport à la même période en 2022. Notre pays semble être entré dans « l’hiver démographique européen », concept forgé par le professeur Gérard-François Dumont (démographe et membre du conseil d’orientation de notre Observatoire de l’immigration et de la démographie). Comme d’autres nations du Vieux Continent, il est probable que la France aura bientôt besoin de « plus de cercueils que de berceaux », avec un solde naturel prêt à basculer en négatif.

Dans l’analyse de ce phénomène, l’Institut Montaigne insiste cependant trop peu sur l’une de ses dimensions essentielles : les dynamiques contraires de natalité entre Français et étrangers sur notre territoire. En vingt ans, entre 2001 et 2021, le nombre de naissances issues de deux parents étrangers a augmenté de 45,3% ; dans le même temps, le nombre de naissances issues de deux parents français diminuait de 17,5%. En 2021, près d’un tiers des enfants nés en France (31,4%) avaient un, au moins, de leur parent né à l’étranger. Parmi ceux-ci, 9 naissances sur 10 d’enfants dont les deux parents étaient nés à l’étranger concernaient des parents nés hors de l’Union européenne. De telles données illustrent toute la part que les phénomènes migratoires prennent déjà dans la croissance naturelle de la population de la France.

Bruno Tertrais ne nie cependant pas le basculement quantitatif généré par l’accélération de l’immigration au cours des dernières décennies : « Il n’y a jamais eu autant d’étrangers en France depuis le Second Empire. La France comptait environ 1 % d’étrangers sur son sol en 1851. Cette proportion dépasse aujourd’hui le maximum enregistré en 1931 (7 %) pour atteindre 7,7 % en 2021, soit 5,3 millions de personnes ». Il convient toutefois de souligner que 4 millions de personnes ont acquis la nationalité française depuis 1982, dont 2 millions depuis 2005 – ce qui fait « fondre » mécaniquement le nombre et la part des étrangers recensés dans les statistiques.

L’Institut Montaigne reconnaît que l’octroi de premiers titres de séjour est déjà « en augmentation constante depuis trente ans ». Néanmoins, il doit être relevé que la présidence d’Emmanuel Macron marque une accélération notable dans cette direction. En 2022, 316 175 primo-titres de séjour ont été accordés à des immigrés extra-européens (hors UE / Suisse / Royaume-Uni) en métropole. Il s’agit là d’un record absolu, ce volume n’inclut d’ailleurs pas les déplacés d’Ukraine – lesquels disposent d’un statut européen de « protégés temporaires ».

Le nombre de premiers titres délivrés durant l’année 2022 a été supérieur de 153% à celui accordé durant l’an 1999, sous le gouvernement de Lionel Jospin. 1,6 million de premiers titres de séjour ont été accordés au total depuis 2017 à des immigrés extra-européens, soit en moyenne 267 000 par an sous la présidence d’Emmanuel Macron, contre 189 000 durant le mandat de Nicolas Sarkozy (+ 41%) et 217 000 pendant celui de François Hollande (+ 23%).

Certains de ces titres peuvent certes concerner des séjours temporaires – en particulier pour les étudiants. Au-delà de la question de l’effectivité des études poursuivies et des abus associés, l’Insee nous apprend toutefois que pour 1 immigré quittant le territoire national, ce sont plus de 4 immigrés qui s’y installent en moyenne sur la période 2006-2021 (1 pour 5 en 2021).

Sur le plan qualitatif, Bruno Tertrais relève à juste titre « une évolution significative de la composition de l’immigration : entre le milieu des années 1970 et aujourd’hui, les proportions d’immigrés venant d’Europe et du reste du monde se sont inversées ». Près de la moitié des immigrés résidant en France sont aujourd’hui d’origine africaine (environ 30 % du Maghreb).

Ayant admis que l’immigration en France a d’ores et déjà atteint une ampleur inédite, l’Institut Montaigne s’intéresse ensuite à l’impact des flux migratoires sur la richesse nationale, les comptes publics, l’emploi et les salaires. Une remarque saute alors aux yeux du lecteur : même un laboratoire d’idées tel que celui-ci, historiquement favorable à l’ouverture migratoire et culturelle, initiateur de la Charte de la Diversité à destination des entreprises et importateur majeur du concept de discrimination positive dans notre pays, n’est plus en mesure de soutenir l’idée selon laquelle l’immigration bénéficie à l’économie française.

Pour ce qui est de la richesse nationale, tout en mentionnant un « impact économique relativement marginal de l’immigration sur l’économie », Bruno Tertrais avance le constat d’un « effet positif moins sensible que dans certains autres pays développés du fait de la structure de notre immigration – souvent peu qualifiée et avec un taux de chômage important ». Il est vrai que 37,2% des immigrés vivant en France en 2021 et ayant terminé leurs études initiales n’avaient aucun diplôme ou seulement un équivalent brevet / CEP selon l’INSEE. Ce taux de non-diplômés était 2,5 fois supérieur à celui des personnes sans ascendance migratoire. Il était de 42,2% parmi les immigrés originaires du Maghreb, 51,4% parmi ceux d’Afrique sahélienne et 61,7% chez les immigrés originaires de Turquie.

Les constats dressés apparaissent donc justes, mais devraient conduire à une lecture hélas plus sévère que celle d’un « effet positif moins sensible ». Prenons l’exemple des immigrés algériens, les plus nombreux parmi l’ensemble des origines migratoires recensées en France :

– 41,6% des Algériens de plus de 15 ans vivant en France étaient chômeurs ou inactifs (ni en emploi, ni en études, ni en retraite) en 2017 selon les données INSEE analysées par le ministère de l’Intérieur, soit un taux trois fois plus élevé que celui des Français (14,1%) ;

– Seuls 30,6% de ces mêmes Algériens étaient en emploi, contre 49,7% des ressortissants français – soit un taux d’emploi inférieur de près de 20 points.

– La moitié (49%) des ménages d’origine algérienne vivait en HLM en 2018, soit presque quatre fois plus que les ménages non-immigrés (13%).

Ce faisant les Algériens sont structurellement sous-contributeurs à la richesse nationale en moyenne, et surconsommateurs de différents dispositifs de solidarité collective en vigueur dans notre société.

Cela se retrouve nécessairement dans l’impact de l’immigration sur les finances publiques, dont l’Institut Montaigne avance désormais qu’il est « légèrement négatif », s’appuyant sur des travaux publiés par le CEPII (service rattaché au Premier Ministre) en 2018 et par l’OCDE en 2021. Il importe toutefois de remarquer que les résultats repris dans la note de Bruno Tertrais (un coût net de -0,2 à -0,5% du PIB pour le CEPII), ne correspondent pas aux scénarios les plus complets présentés dans cette étude. En effet, lorsque la « deuxième génération » – celles des descendants directs de parents immigrés – est prise en compte dans les estimations réalisées par ces mêmes institutions, il est évalué que l’immigration représente un coût net situé entre 1,41% (OCDE) et 1,64% de PIB (CEPII sur la dernière année évaluée), soit entre 35 et 40 milliards d’euros par an.

Malgré le fardeau financier conséquent que représentent de telles sommes (trois fois supérieures par exemple aux gains attendus de la dernière réforme des retraites), soulignons que les approches méthodologiques de ces études conduisent souvent à le sous-estimer encore, par exemple dans la façon dont l’OCDE ventile le coût de certains bien publics (comme la police ou la justice) entre natifs et immigrés – qui tend à majorer artificiellement la contribution de ces derniers.

Pour ce qui est de l’emploi et des salaires, l’Institut Montaigne affirme que « les synthèses internationales montrent un très faible impact de l’immigration sur le marché du travail ». Or l’étude académique la plus récente sur le cas français, publiée en 2021 par l’OFCE-Sciences Po, bat clairement en brèche ce constat en établissant qu’une augmentation de 1% du nombre de travailleurs liée à l’immigration fait baisser de presque 1% en moyenne le salaire des ouvriers « natifs » non-qualifiés. Elle pèse aussi à la baisse dans une moindre mesure sur le salaire des techniciens et employés, ainsi que celui des ouvriers qualifiés, et ne bénéficie qu’aux seuls managers – aux emplois peu concurrencés.

Devant des faits aussi clairement établis et malgré les euphémisations relevées, il aurait pu apparaître cohérent que l’Institut Montaigne se prononce en faveur d’une approche plus prudente des flux migratoires que celle pratiquée aujourd’hui. Or il n’en est rien, puisque Bruno Tertrais affirme dans sa note : « comme pour la plupart des autres États européens, la croissance de la population française se poursuivra désormais essentiellement via l’immigration ». Le message sous-tendu est que cette accélération de l’immigration comme palliatif au vieillissement démographique constitue une voie sans alternative pour renouveler la force de travail dans notre pays, quels que puissent être ses effets induits – en particulier ses bénéfices économiques incertains. L’hypothèse d’une relance de la natalité est écartée comme peu réaliste : « La chute de l’excédent naturel est inévitable. »

À rebours d’un tel fatalisme, une autre option existe pourtant, que notre pays a déjà expérimentée favorablement par le passé : la mise en œuvre de politiques familiales ambitieuses visant à faire remonter le taux de fécondité en France au-delà du seuil de renouvellement des générations (2,05 enfants par femme). Notre pays a été à l’avant-garde en Europe sur ce sujet : prenant la suite des caisses de compensation mises en œuvre par des entreprises, l’État a posé les bases des politiques familiales dès les années 1930, avec un premier Code de la famille adopté par la Chambre issue du Front populaire, puis en 1945 avec l’instauration du quotient familial.

Cette avance française en la matière a suscité l’intérêt de nombreuses nations européennes pendant des décennies, dont les gouvernements envoyaient des délégations d’étude pour comprendre comment la natalité française se maintenait globalement au-dessus de la moyenne européenne après les Trente Glorieuses. Le consensus transpartisan autour de ces questions a été mis en cause pour la première fois dans les années 1990, lorsque le gouvernement de la gauche plurielle envisagea de renoncer à l’universalité des allocations familiales. Ce fut alors le Parti communiste qui obtint la suppression de cette mesure, au nom de ce qui était perçu comme un élément essentiel du contrat social entre les Français.

Les années 2010 ont hélas marqué une remise en cause effective et durable. En 2014, le gouvernement de François Hollande fit adopter pour de bon Parlement la suppression de cette universalité des allocations familiales, réduisant la politique familiale à une simple logique de politique sociale – alors que leurs objectifs ont toujours différé sensiblement. Outre cette décision à fortes conséquences, les « coups de rabot » se sont multipliés simultanément : diminution du complément du mode de garde (CMG) destiné aux parents employant une nourrice ou une assistante maternelle, report de deux ans de la majoration des allocations familiales, multiples abaissements du plafond du quotient familial générant une hausse notable de la fiscalité pour les familles… Les résultats de cette approche sont aujourd’hui frappants: le solde naturel de notre pays (différence entre les naissances vivantes et les décès sur le territoire) a été divisé par cinq entre 2006 et 2022.

Pourtant, à rebours de l’attention démesurée accordée au phénomène des no kids, le désir d’enfants des Français se situe bien au-delà du taux de fécondité constaté de 1,8 enfant par femme. Selon les différentes enquêtes menées à ce sujet (par LES Eurobaromètres et le Réseau national des Observatoires des familles), le nombre idéal d’enfants souhaités par nos compatriotes se situe entre 2,3 et 2,7.

Il importe donc de concevoir la politique familiale pour ce qu’elle est vraiment : non pas un dirigisme rétrograde qui prétendrait imposer aux femmes de procréer à tout prix, mais une politique de liberté dont l’objectif est d’établir les conditions permettant aux Français des deux sexes d’avoir les enfants qu’ils souhaitent avoir. Le devoir des décideurs politiques consiste à poser les bases de ce printemps démographique français. Face au déclin redouté de notre population, le recours toujours accru à une immigration dont l’impact négatif sur les performances économiques et la cohésion sociale est désormais solidement établi n’a donc rien d’inéluctable – au contraire des conclusions apparentes de l’Institut Montaigne.

Les mineurs non accompagnés

1.1. La définition théorique du « mineur non accompagné » est relativement claire

Avant d’employer le terme de « mineur non accompagné” (MNA), on parlait plus traditionnellement de « mineur isolé étranger » (MIE)1. Aujourd’hui, le terme de « mineur non accompagné » dispose d’une définition juridique. En effet, le droit dérivé de l’Union européenne définit le « mineur non accompagné » de la façon suivante : « un mineur qui entre sur le territoire des États membres sans être accompagné d’un adulte qui, de par le droit ou la pratique de l’État membre concerné, en a la responsabilité, en tant qu’il n’est pas effectivement pris en charge par un tel adulte ».

1.2. La détermination de la minorité effective des demandeurs est plus complexe et de nombreux demandeurs pris en charge au titre de l’Aide sociale à l’enfance ne devraient en réalité pas en bénéficier…

 Les choses se compliquent lorsqu’il s’agit de déterminer de façon effective la minorité ou non d’un individu. Dans un contexte de crise migratoire et d’augmentation continue du nombre de MNA entrant sur le territoire français, le risque est grand de voir ce statut dévoyé au profit d’une immigration clandestine.

 Différents moyens sont mis au service de l’administration pour tenter de déterminer la minorité des demandeurs : ils vont des empreintes digitales et photographies jusqu’aux tests osseux. Si le droit a évolué récemment, la jurisprudence constitutionnelle demeure très protectrice des libertés comme en témoigne par exemple une récente décision du Conseil constitutionnel, QPC, 2019, Examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge. Ainsi, si les tests osseux aux fins de détermination de l’âge ont été considérés comme légaux, le juge a également consacré une exigence à valeur constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le droit-fil de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Concrètement, ces « tests de minorité » sont encadrés de façon très stricte : le recours au test osseux ne peut revêtir qu’un caractère subsidiaire ; il ne peut qu’être ordonné de manière limitative par le juge judiciaire ; il ne peut être effectué qu’après avoir recueilli l’accord de l’intéressé, dans une langue qu’il comprend, sans qu’un refus ne soit interprété comme une preuve de majorité. Le demandeur dispose d’ailleurs d’une présomption de minorité en cas de doute sur la validité des tests osseux. En conclusion, les moyens mis à disposition de l’administration sont insuffisants pour lui permettre de déterminer si un demandeur est effectivement mineur ou pas.

 Pourtant, de nombreux éléments montrent aujourd’hui que le statut de « mineurs non accompagnés » est dévoyé et devraient plaider pour un renforcement des moyens de contrôle. Selon l’Assemblée des départements de France (ADF), qui est responsable des MNA dans le cadre de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), après évaluation, plus la moitié d’entre eux s’avèrent en réalité majeurs et ne relèvent donc pas de l’aide sociale à l’enfance2. A titre d’exemple, pour le département de Côte d’Or, en 2019, seuls 21% des demandeurs ont ensuite été déclarés mineurs3.

2.1. Chaque année, les départements dépensent plus de 2 milliards d’euros pour gérer les MNA alors que leurs moyens financiers sont contraints

 Le coût moyen de la prise en charge d’un MNA au titre de l’ASE est estimé en moyenne à 50 000€ par mineur et par an, couvrant le logement, la nourriture, les frais d’éducation et de formation. Au total, l’accueil et la prise en charge de plus de 40 000 mineurs, au titre de l’aide sociale à l’enfance, à la fin de l’année 2018 représente un coût financier de 2 milliards d’euros à la charge des départements.

 Si les départements ont longtemps soutenu l’idée selon laquelle l’Etat devrait mieux aider ceux-ci à supporter ce coût en raison de sa responsabilité en matière de politique migratoire, celui-ci ne compense que faiblement les dépenses induites pour les départements. En 2019, l’Etat budgétait ainsi seulement 141 millions d’euros pour les départements et leur gestion des MNA4.

 Une politique préférable consisterait à agir en amont en régulant plus efficacement les flux migratoires, en renforçant le démantèlement des filières ou encore en facilitant l’identification de la minorité ou non des demandeurs par le renforcement des moyens à disposition de l’administration.

2.2. Impliqués dans un nombre croissant d’affaires pénales, les MNA soulèvent aussi des défis en termes de délinquance et de sécurité

 Si la lecture de la presse quotidienne régionale laisse transparaître le rôle des MNA dans un nombre croissant d’affaires pénales (vols, agressions, etc.), le Ministère de la Justice a en 2018 produit une note afin d’objectiver la situation5. La note identifie ainsi l’augmentation du nombre de mineurs non accompagnés impliqués dans des affaires pénales, en particulier dans les grandes villes et métropoles comme Paris, Lyon, Marseille, Lille, Nantes, Rennes ou Montpellier et rappelle que ces mineurs sont parfois utilisés par des « réseaux pour commettre des vols, impliqués dans le trafic de stupéfiants, mais sont également consommateurs de ces produits »6.

 Ainsi, la question des MNA ne saurait être réglée par des réponses budgétaires mais doit faire l’objet d’une approche globale, le plus en amont possible, afin d’identifier ceux des demandeurs qui doivent effectivement bénéficier d’une protection et d’écarter du territoire français ceux qui n’ont pas le droit d’y séjourner. Dans un contexte budgétaire contraint, cela permettrait ainsi par exemple aux départements de mieux s’occuper des enfants qu’ils gèrent au titre de l’Aide social à l’enfance (ASE).

  1. La Gazette des communes, « La prise en charge des mineurs non accompagnés en cinq points », 2018, consulté en juin 2020 (Lien) ↩︎
  2. Assemblée des départements de France, 2020, Fiche info relative aux Mineurs non accompagnés (MNA) ↩︎
  3. France 3 Bourgogne, « Le casse-tête de l’âge des mineurs isolés », janvier 2020, consulté en juin 2020 (Lien) ↩︎
  4. Projet de loi de finances pour 2019 ↩︎
  5. Ministère de la Justice, note n°JUSF1821612N du 5 septembre 2018 relative à la situation des mineurs non accompagnés faisant l’objet de poursuites pénales (mise en ligne sur Legifrance le 1er octobre 2018). ↩︎
  6. Idem ↩︎

Quand la diversité ethnique augmente, la confiance sociale baisse (recension)

Pour conduire leur analyse, les auteurs utilisent les résultats de l’« Ethnic Diversity and Collective Action Survey » (EDCAS), une enquête menée entre 2009 et 2010 à partir de 10 200 appels téléphoniques standardisés. M. Schaeffer et R. Koopmans se concentrent sur une sélection de 4 600 répondants correspondant aux 938 quartiers d’Allemagne, de France et des Pays-Bas retenus pour l’étude. Pour la France, ces quartiers sont issus des villes de Lille, Strasbourg, Lyon, Marseille et Rennes, ainsi que de Paris et ses départements limitrophes (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne).

L’étude développe en outre une double approche des effets de la diversité ethnique sur la cohésion sociale. Elle évalue dans un premier temps les effets de la diversité ethnique « statistique », objectivée par le pourcentage de personnes d’origine immigrée (personnes immigrées ou ayant au moins un parent immigré) dans chaque quartier considéré1. Dans un second temps, elle s’intéresse aux effets de la diversité ethnique « perçue » par les habitants, mesurée à l’aide de quatre indicateurs du questionnaire : l’existence de conflits intergroupes, l’existence de groupes caractérisés par des valeurs ou une langue différente et l’estimation par chaque répondant de la proportion de personnes d’origine immigrée vivant dans le quartier.

En ce qui concerne la diversité « statistique », l’étude démontre une nette corrélation entre l’augmentation de la diversité ethnique et la baisse de la cohésion sociale dans les quartiers considérés. En particulier, les auteurs trouvent qu’en France, la diversité ethnique conduit à une augmentation des problèmes sociaux, ainsi qu’à une baisse significative de la confiance, du lien social et de la satisfaction dans la vie en général.

Ces résultats sont particulièrement robustes dans la mesure où ils prennent en compte une multitude de facteurs sociaux pour évaluer l’incidence de la seule « diversité ethnique », selon une démarche expérimentale. Chaque indicateur de confiance est ainsi testé et ajusté pour tenir compte, dans chaque quartier, du taux de chômage, de la densité de population, du nombre d’années vécues dans le quartier, du statut de locataire ou de propriétaire, du niveau d’éducation, de l’âge, du sexe, du statut marital, du type d’emploi occupé, de l’origine immigrée ou non et même des croyances religieuses. Cette différenciation des facteurs pouvant avoir une incidence sur le niveau de confiance sociale mesuré permet d’éviter les biais liés à la condition socio-économique des habitants des quartiers retenus pour l’étude, et d’examiner de la manière la plus précise possible la seule incidence de la diversité ethnique.

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R. Koopmans, et M. Schaeffer, Statistical and Perceived Diversity and Their Impacts on Neighborhood Social Cohesion in Germany, France and the Netherlands, Soc Indic Res 125, 853–883 (2016)

Exemple de lecture : la diversité ethnique en France est corrélée par un coefficient de -0.112 avec la confiance sociale, ce qui signifie qu’une plus grande diversité ethnique implique un plus faible niveau de confiance sociale. A l’inverse, la diversité ethnique est corrélée avec un plus grand nombre de problèmes rapportés dans le quartier (+0.095).

En ce qui concerne la diversité perçue, l’étude arrive aux mêmes conclusions que pour la diversité statistique. Ces résultats ont en outre pour intérêt de tester de manière indépendante l’effet de la diversité perçue chez les répondants natifs et chez les répondants d’origine immigrée. Or dans ces deux catégories de répondants, une baisse similaire de la confiance sociale est observée, pour des niveaux de diversité perçue équivalents. Ceci tend à montrer que la baisse de la cohésion sociale n’est pas liée qu’à un rejet des immigrés par les natifs, mais résulte aussi d’un rejet analogue des natifs par les immigrés, ainsi que de l’existence de groupes hétérogènes au sein même des populations immigrées.

Enfin, un résultat inattendu de l’étude consiste en la découverte d’une corrélation positive entre les inégalités sociales perçues et le niveau de confiance : plus les écarts de revenus sont grands dans un quartier, et plus ses habitants ont tendance à avoir confiance en leurs voisins. Les auteurs expliquent ce phénomène par le fait que les personnes à faibles revenus font davantage confiance aux personnes à hauts revenus, en considérant que leur statut social est un atout pour la qualité de vie du quartier.

Selon le baromètre de la confiance politique réalisé par Opinionway en janvier 20222, 68% des Français considèrent qu’on ne peut pas « faire confiance à la plupart des gens ». Cette étude de R. Koopmans et M. Schaeffer permet d’expliquer en partie ce faible niveau de confiance. En effet, comme le montre une analyse de France Stratégie3 recensée par l’OID en août 2021, la plupart des principales unités urbaines de France – dont sont tirés la plupart des quartiers retenus pour l’étude de R. Koopmans et M. Schaeffer – ont connu une très forte augmentation de la proportion de personnes d’origine immigrée ces dernières décennies. Or cette augmentation de la diversité est directement corrélée à une moindre confiance sociale nous disent ces auteurs.

L’étude recensée permet de balayer un certain nombre des idées reçues qui peuvent être avancées pour expliquer la corrélation entre diversité et perte de confiance :

  1. Il s’agit d’une corrélation robuste, indépendante d’autres facteurs socio-économiques.
  2. Il s’agit d’une corrélation généralisée pour tous les groupes sociaux, qui ne résulte pas seulement d’un sentiment de rejet des immigrés par les natifs.
  3. Il s’agit d’une corrélation généralisée pour les trois pays étudiés et pas seulement pour la France.
  4. Il s’agit d’une corrélation validée à la fois pour la diversité statistique (objective) et la diversité perçue.

Dans ce contexte, toute politique se donnant pour objectif d’augmenter la confiance sociale en France ne peut faire l’économie de mesures visant à réduire la diversité, qu’elle soit statistique ou perçue, au sein des bassins de vie.

  1. Pour la France, les auteurs indiquent que l’absence de données relatives aux personnes ayant au moins un parent immigré a conduit à multiplier le nombre de personnes immigrées par un facteur de correction de 1,91, en cohérence avec les ratios observés en Allemagne et aux Pays-Bas. ↩︎
  2. OpinionWay pour le CEVIPOF-Baromètre de la confiance en politique – vague 13 – janvier 2022.pdf (sciencespo.fr) ↩︎
  3. France Stratégie, L’évolution de la ségrégation résidentielle en France de 1968 à 2017 ↩︎

Le « Grand Remplacement » : fantasme ou réalité ?

Si l’on en trouve des échos dans des contextes antérieurs, la paternité de la notion de « grand remplacement » revient néanmoins à l’écrivain et essayiste Renaud Camus

 En novembre 2019, France Culture proposait une série de podcasts intitulée « Grand Remplacement : un virus français »1. Dans le premier des cinq épisodes, dédié à la recherche des origines historiques du concept, le journaliste et politologue Jean-Yves Camus rappelait qu’un écrivain nommé Danrit (en réalité le colonel Emile Driant) avait signé au début du XXème siècle deux romans d’anticipation dont les thèmes étaient respectivement « l’invasion jaune » et « l’invasion noire ». Il s’agissait de suggérer que ce type de représentation était antérieure à notre époque et aux écrits de Renaud Camus.

 Plus récemment et dans une sphère plus politique, le terme de « remplacement » a été employé par l’Organisation des Nations Unies au début des années 2000 dans un rapport intitulé Migrations de remplacement : est-ce une solution à la diminution et au vieillissement de la population ?2. De ce document fort commenté depuis lors, certains ont conclu – de façon hâtive – que l’ONU préconisait la substitution d’une population jeune, originaire d’Afrique, aux populations vieillissantes d’Europe de l’Ouest. Le rapport ne dit pourtant pas exactement cela, puisqu’il précise que l’immigration ne peut être la seule solution aux changements démographiques en Europe occidentale, sauf à ce que celle-ci accepte d’accueillir 160 millions de migrants en cinquante ans.

 Dans le contexte français contemporain, c’est en 2011 que l’essai Le Grand Remplacement de Renaud Camus lance ce terme sur la scène intellectuelle et politique – où il n’a cessé de gagner en attention depuis lors.

La thèse de Renaud Camus n’est pas réductible à une théorie du complot mais comporte deux dimensions claires : l’une quantitative et l’autre qualitative

 Dans ce livre comme dans le manifeste qu’il rédige par la suite en 20133, l’auteur défend l’idée selon laquelle la France et l’Europe connaissent un changement de population, qu’il résume de la façon suivante : « Pouvez-vous développer le concept de Grand Remplacement ? – Oh, c’est très simple : vous avez un peuple et presque d’un seul coup, en une génération, vous avez à sa place un ou plusieurs autres peuples. »4 Pour l’auteur, cela constitue « le choc le plus grave qu’ait connu notre patrie depuis le début de son histoire puisque, si le changement de peuple et de civilisation, déjà tellement avancé, est mené jusqu’à son terme, l’histoire qui continuera ne sera plus la sienne, ni la nôtre ».

 Avec le « grand remplacement », Renaud Camus défend « une thèse à deux jambes »5 selon François Héran, professeur au Collège de France et titulaire de la chaire Migrations et sociétés :

  • La première jambe est quantitative, elle se réfère aux flux migratoires et aux différentiels de fécondité ;
  • La seconde est qualitative et se réfère aux changements culturels au sein de la société française.

 Pour compléter sa thèse, Renaud Camus évoque « le pouvoir remplaciste, celui qui désire et promeut le grand remplacement » comme le rappelle une émission diffusée à son sujet sur France Culture6. Pour cette raison, certains journalistes considèrent que la thèse de Camus est complotiste ou conspirationniste, ce dont l’auteur se défend en disant que la promotion de l’immigration par certaines catégories d’acteurs sert des intérêts économiques et politiques.

 A-t-il raison ou a-t-il tort ? Quoi que l’on pense de cette affirmation, il paraît abusif d’en déduire que son auteur est complotiste. Pour s’en référer à deux exemples fameux : au début des années 1980, Georges Marchais considérait publiquement que l’immigration faisait pression à la baisse sur les salaires et pouvait ainsi servir les intérêts du patronat ; plus récemment, le think tank Terra Nova publiait une note intitulée « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 » dans laquelle il soulignait l’opportunité que constituait le vote d’origine immigrée pour le PS. Bien que leurs thèses aient été contestées, aucune accusation sérieuse de « conspirationnisme » n’a été portée contre le dirigeant communiste ou le groupe de réflexion social-démocrate.

 Nous considérons que le débat autour de l’intentionnalité constitue un élément subsidiaire, qui ne forme pas le cœur du concept de « grand remplacement » et nous éloigne du débat véritable sur les faits (réels ou supposés) qu’il recouvre.

 Si la série de France Culture qui lui fut consacrée7 a eu pour intérêt de placer ce sujet dans une perspective historique, elle n’a cependant apporté aucun élément quant au fond du propos. En ce sens, elle est révélatrice de l’approche partiale de certains médias : la radio publique considère l’idée du grand remplacement comme un « virus », une maladie à guérir et non une thèse à discuter.

 « L’objectivité ne consiste pas à opposer des opinions contraires au cours d’un débat. Si les deux opinions reposent sur des informations fausses, quel est l’intérêt du débat ? […] La confrontation des incompétences n’a jamais remplacé la connaissance des faits. Le devoir de la presse est d’acquérir cette connaissance et de la transmettre » disait Jean-François Revel dans La connaissance inutile ; nous tâchons ci-dessous de fournir au lecteur les éléments du débat.

 « Sinistre farce »8 pour le démographe Hervé Le Bras, « fantasme »9 pour le journaliste du Monde Frédéric Joignot ou encore « vaste fumisterie » pour le rédacteur d’une tribune dans Jeune Afrique10, que peut-on vraiment dire de la réalité du « grand remplacement » ?

Arguments et contre-arguments

 En 2017, Alain Finkielkraut recevait dans son émission Répliques11 Hervé le Bras et Renaud Camus. Ce dernier déclarait alors : « Le grand remplacement n’a pas besoin de définition. Ce n’est pas un concept. C’est une réalité de tous les jours que les gens peuvent observer lorsqu’ils descendent dans la rue et prennent leur voiture ». Ce propos rapide nécessite néanmoins le rappel de quelques éléments factuels apportés par les défenseurs et contradicteurs de cette vision, afin que le lecteur puisse s’en forger une opinion informée.

 Les défenseurs de la thèse du grand remplacement considèrent que la population française se transforme rapidement et de façon croissante par une substitution de populations d’origine extra-européenne, essentiellement venues du Maghreb et d’Afrique, à la population française d’origine.

Deux principaux contre-arguments leur sont généralement opposés.

  1. D’abord, cela serait factuellement faux dans la mesure où moins de 10% de la population française serait immigrée : selon Le Monde, « les études de l’INSEE disent pourtant tout autre chose que les livres de Renaud Camus. Publiée en octobre 2012, “INSEE Référence – Immigrés et descendants d’immigrés en France” décompte ainsi 5,3 millions de personnes nées étrangères dans un pays étranger, soit 8% de la population »12.
  2. D’autre part, il y aurait un problème méthodologique fondamental puisque l’origine ne serait pas définissable. Interrogée par Le Monde, la démographe Pascale Breuil se demande ainsi : « jusqu’où faut-il remonter pour être considéré comme faisant partie du peuple français ». Elle conclut qu’il est « très difficile de définir qui est ou non d’origine française »13, invalidant ainsi le fait qu’une population se substitue à une autre.

Les éléments objectifs ne manquent pourtant pas pour étayer le constat d’une transformation rapide de la démographie française sous l’effet de l’immigration

 L’importance des flux migratoires, couplée à la natalité des personnes immigrées ou d’origine immigrée, a eu pour conséquence que 11% de la population résidant en France soit immigrée en 2017 et que 25% soit d’origine immigrée – si l’on compte les enfants de la seconde génération issue de l’immigration -, selon les chiffres de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) publiés en octobre 201814. Cela représente un quart de la population française. Nous sommes donc loin du « fantasme » évoqué par certains, d’autant plus qu’il s’agit là exclusivement de stocks – c’est-à-dire de ce qui est et non de ce qui sera à l’avenir, sous l’effet des flux migratoires et des naissances futures.

 Or il convient de tenir compte du différentiel de fécondité entre les femmes descendantes d’autochtones (moins de 1,8 enfants par femme en moyenne en 2017), les femmes descendantes d’immigrés (2,02 enfants par femme en moyenne) et les femmes immigrés (2,73 enfants par femme en moyenne). Cette fécondité varie fortement selon l’origine des femmes : 3,6 enfants par femme en moyenne pour les immigrées algériennes, 3,5 enfants par femme pour les immigrées tunisiennes, 3,4 enfants par femme pour les immigrées marocaines et 3,1 enfants par femme pour les immigrées turques, ce qui est plus élevé que la fécondité de leurs pays d’origine (respectivement 3 ; 2,4 ; 2,2 ; 2,1)15.

 Le démographe François Héran affirme cependant qu’il serait erroné de croire que ces différentiels de fécondité soient figés dans le temps, car ceux-ci auraient tendance à se lisser sur le long terme16. Mais les effets cumulés de l’immigration et des différentiels de fécondité ont d’ores et déjà modifié la population française et continuent de le faire, comme le montre l’évolution de la composition des naissances.

Sur la même période de vingt ans, entre 1998 et 2018 :

  • Le nombre de naissances d’enfants dont les deux parents sont français a baissé de 13,7%.
  • Le nombre de naissances d’enfants dont au moins un des parents est étranger a augmenté de 63,6%
  • Le nombre de naissances d’enfants dont les deux parents sont étrangers a progressé de 43%.17

En 2018, près d’un tiers des enfants nés (31,4%) ont au moins un parent né à l’étranger.

 Commentant le résultat des projections de population d’origine étrangère dans les pays de l’UE adossées au scénario Convergence 2008-2060 d’Eurostat18, la démographe Michèle Tribalat précisait que dans certains pays, « les natifs au carré pourraient devenir minoritaires avant l’âge de 40 ans, d’ici 2060 » – natifs au carré désignant les personnes nées dans un pays de deux parents qui y sont nés également. S’il s’agit de projections démographiques – donc d’hypothèses -, Michèle Tribalat expliquait notamment ces résultats par « la conjonction d’une démographie interne peu dynamique et des soldes migratoires projetés qui donne une contribution aussi importante à l’immigration ».19

 L’autre contre-argument largement utilisé par les opposants à la notion de grand remplacement consiste à affirmer qu’il est impossible de définir qui est ou non d’origine française (Pascal Breuil). Cette objection est également fragile, surtout lorsqu’elle repose sur des approximations telles que celles d’Hervé Le Bras dans son livre Malaise dans l’identité20, où l’auteur assimile directement la défense de cette notion au racisme.

Les raccourcis problématiques d’Hervé Le Bras

 Dans le chapitre II de son livre, intitulé « Race et Grand remplacement », Le Bras commet le raccourci de considérer que l’utilisation du terme de « remplacement » revient nécessairement à adopter une approche racialiste / biologique. L’auteur évoque pêle-mêle les idéologues racistes Gobineau et Vacher de Lapouge, en passant par certains théoriciens nazis. « Opposer des Français soi-disant de “souche” à des immigrés menaçant de les submerger, c’est supposer que les deux groupes constituent des races distinctes » (page 36).

 Si certains individus qui s’en réclament sont évidemment susceptibles de s’inscrire dans une perspective raciste, considérer que la notion elle-même est une « théorie raciste » apparaît fallacieux. La concept de grand remplacement renvoie avant tout à une dimension culturelle, aux mœurs et aux modes de vie. C’est notamment ce qu’explique le professeur François Héran lorsqu’il évoque l’aspect « qualitatif » de cette thèse. Michèle Tribalat n’affirme pas autre chose lorsqu’elle déclare : « Il me semble que son succès [de la notion de grand remplacement] vient de son pouvoir d’évocation de certaines situations vécues. Elle a un sens figuré qui évoque l’effondrement d’un univers familier que vit, ou craint de vivre, une partie de la population française : disparition de commerces, et donc de produits auxquels elle est habituée, habitudes vestimentaires, mais aussi pratiques de civilité, modes de vie… »21

 Quant à l’argument selon lequel il serait difficile de définir qui est ou non d’origine française, l’éditorialiste Olivier Maulin répond : « très difficile dans les laboratoires de l’INSEE, serions-nous tentés d’ajouter, car sur cette question l’homme ordinaire, guidé par son instinct, éprouve beaucoup moins de difficulté à définir les choses, et ne s’embarrasse ni de concepts, ni d’idéologie, ni même de documents administratifs dûment estampillés, et pas plus de biologie, de « race » ou de « pureté » imaginaires : est français celui qui a la nationalité française, bien sûr, pourvu qu’il vive selon les mœurs françaises ».22 Si l’on souhaite s’en tenir à une approche scientifique de l’ascendance, les « natifs au carré » de Michèle Tribalat fournissent par ailleurs un premier angle de vue.

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 À rebours des analyses fondées sur les lectures approximatives et le recours aux anathèmes, cet article aura tenté de présenter ce que recouvre la notion de grand remplacement, les arguments de ses défenseurs comme de ses contradicteurs ainsi que certaines des données essentielles au débat.

Au lecteur – et au citoyen – de se faire sa propre opinion.

  1. France Culture, Le grand remplacement, un virus français (1/5) : à l’origine du mythe (Lien)  ↩︎
  2. ONU, L’immigration de remplacement : est-ce une solution au vieillissement et au déclin démographique ?, 2001 (Lien PDF) ↩︎
  3. Renaud Camus, Le changement de peuple, 2013 ↩︎
  4. Renaud Camus, Le Grand Remplacement, 2011 ↩︎
  5. Interview de François Héran par Ivanne Trippenbach pour l’Opinion, 4 octobre 2019 (Lien) ↩︎
  6. France Culture, Émission Le grand remplacement, un virus français (3/5) : Renaud Camus, 2019 (Lien) ↩︎
  7. France Culture, Le grand remplacement, un virus français (1/5) : à l’origine du mythe ↩︎
  8. Le Monde, « Le fantasme du « grand remplacement » démographique », 2014, consulté en juin 2020 ↩︎
  9. Le Monde, « Le fantasme du « grand remplacement » démographique », 2014, consulté en juin 2020 ↩︎
  10. Jeune Afrique, « [Tribune] La théorie du « grand remplacement », cette vaste fumisterie », 2019, consulté en juin 2020 ↩︎
  11. France Culture, Répliques, “Le Grand déménagement du monde”, présenté par Alain Finkielkraut, avec Renaud Camus et Hervé Le Bras, 2017 : https://www.franceculture.fr/emissions/repliques/le-grand-demenagement-du-monde-1 ↩︎
  12. Le Monde, « Le fantasme du « grand remplacement » démographique », 2014, consulté en juin 2020 ↩︎
  13. Le Monde, « Le fantasme du « grand remplacement » démographique », 2014, consulté en juin 2020 ↩︎
  14. Cités par Jean-Paul Gourévitch dans Le grand remplacement : réalité ou intox ?, 2019, Pierre-Guillaume de Roux ↩︎
  15. Interview de François Héran « La formule du grand remplacement se propage à la vitesse de la lumière » ↩︎
  16. Interview de François Héran « La formule du grand remplacement se propage à la vitesse de la lumière » ↩︎
  17. Statistiques de l’état civil de l’INSEE et du document « T37BIS : Nés vivants selon la nationalité des parents (Union européenne à 28 ou non). Calculs : OID. https://observatoire-immigration.fr/natalite-et-immigration/ ↩︎
  18. Eurostat, Fewer, older and multicultural ? Projections of the EU populations by foreign/national background, 2011 ↩︎
  19. Interview de la démographe Michèle Tribalat par Rudy Reichstadt réalisée en 2017 et publiée dans Causeur en 2019, consulté en juin 2020 ↩︎
  20. Hervé Le Bras, Malaise dans l’identité. Notre identité ne peut être que dynamique, 2017, Actes Sud ↩︎
  21. Causeur, « L’idée de ‘grand remplacement’ évoque l’effondrement d’un univers familier que vit une partie de la population », Entretien avec la démographe Michèle Tribalat, 2017 et 2019, consulté en juin 2020 ↩︎
  22. Valeurs actuelles, Le “grand remplacement” en question par Olivier Maulin, 2019, consulté en juin 2020 ↩︎

Didier Leschi et l’immigration, « Ce grand dérangement »

Didier Leschi commence tout d’abord par un rappel des définitions. Les immigrés appartiennent à différentes catégories : il y a les demandeurs d’asile et ceux qui en obtiennent le statut, les immigrés économiques, les familles avec le regroupement familial, les étudiants, les clandestins…

Il revient également sur certains éléments de contexte permettant de comprendre les grands enjeux autour de l’immigration, non seulement pour la France mais également pour l’Europe. Parmi ces éléments, il évoque l’évolution de la démographie mondiale. Ainsi, certaines projections démographiques prévoient 400 millions de Nigérians pour 2050, ce qui en ferait le premier pays anglophone devant… les États-Unis ! Plus généralement, l’Afrique était peuplée d’environ 300 millions de personnes au début des années 1960, au moment des indépendances des pays africains, et est aujourd’hui peuplée d’1,3 milliards d’habitants. Elle comptera, selon certaines projections, 4 milliards d’Africains en 2100, avec une population plus jeune qu’en Europe.

Didier Leschi évoque également la révolution des transports qui entraîne une circulation plus facile des hommes dans l’espace.

Enfin, il évoque la très forte attractivité du continent européen dont il qualifie les États de « pays-bulles enviés », qui attirent par leurs systèmes sociaux, de soin, l’éducation et les perspectives qu’ils offrent à leurs habitants. Il évacue d’ailleurs l’idée que l’Europe serait une forteresse fermée qui maltraiterait les migrants. « En 2017, l’ONU évaluait à près de 78 millions le nombre d’immigrants en Europe. Ils étaient 56,3 millions en 2000. Surtout, à plus de 38 millions le nombre d’immigrants nés dans un pays non européen contre 33,5 millions en 2014. » Il rappelle la manière dont sont traités certains migrants dans les pays africains : « En Algérie, sans autre forme de procès, la police peut vous déposer sans eau aux portes du désert en vous indiquant la direction du Sud. La Tunisie et le Maroc ne se comportent pas mieux. »

Didier Leschi fournit, dans la deuxième partie de son livre, les bases de la discussion en décrivant les principales voies d’immigration pour venir en France. Il explique qu’aujourd’hui « les migrants nous choisissent plus qu’on ne les choisit ». Il rappelle la décomposition des 274 000 nouveaux titres de séjour délivrés en 2019 : 38 000 délivrances au titre du travail, 90 000 au titre des études, l’essentiel des flux étant réalisé par le regroupement familial.

Il revient ensuite sur l’enjeu de l’origine des immigrés qui met la société française face à un choc des cultures : « L’intégration est un processus d’acculturation à la société d’accueil. Soyons francs, il ne peut être le même pour un Tchétchène musulman que pour un Polonais catholique. » Si l’assimilation a été abandonnée par les élites politiques, Didier Leschi rappelle que l’intégration est également rendue plus difficile par le fait qu’avec internet, la télévision satellitaire, les écoles communautaires, etc., les immigrés et leurs descendants n’adoptent plus forcément la culture du pays d’accueil. Les écarts entre société d’origine et société française sont parfois très importants : « En Algérie, on peut être condamné à la prison à vie pour avoir possédé chez soi un Coran dont une des pages est déchirée, au Maroc pour avoir eu des relations extra-conjugales. Dans tous ces pays pour avoir mangé pendant la période du jeûne du ramadan. »

Didier Leschi revient ensuite sur l’importance très forte de l’immigration en France et son niveau inégalé jusqu’alors : « Depuis que les étrangers sont recensés, c’est-à-dire depuis le Second Empire, il n’y a jamais eu autant d’immigrés dans notre pays qu’aujourd’hui, entre 9 et 11% de notre population en fonction du mode de comptage. […] Quel que soit le mode de calcul, force est de reconnaître que la population immigrée est deux fois plus importante que dans les années 1930 ». Didier Leschi met également en lumière l’importance du nombre des enfants d’immigrés, ce qu’on appelle la « seconde génération » : « En ajoutant les enfants d’immigrés nés sur le territoire français, près du quart de la population française a un lien avec l’immigration. Aux USA, souvent pris en exemple comme grand pays d’immigration, c’est 26%. »

Didier Leschi évoque également le poids croissant de l’immigration extra-européenne, essentiellement issue d’Afrique et du Maghreb : « Vivent en France 10% des nationaux tunisiens, 90% de l’immigration algérienne présente en Europe a choisi la France. […] Enfin vit en France la plus grande diaspora marocaine d’Europe constituée de plus du tiers de ceux qui ont émigré et qui sont plus de 3 millions. ». « Près d’un résident sur dix en France a une origine africaine. »

L’un des éléments les plus intéressants de l’état des lieux dressé par le haut-fonctionnaire réside sans doute dans la mise en lumière de la concentration des populations d’origine immigrée sur certains territoires, concentration qui devrait naturellement s’accentuer en raison de la relative plus grande jeunesse de ces populations par rapport à celles non immigrées. Il prend notamment l’exemple de la Seine-Saint-Denis, 4e département le plus peuplé de France : « En Seine-Saint-Denis, 70% de la population est constituée d’immigrés et de descendants d’immigrés. […] A Aubervilliers, à la Courneuve, près d’un résident sur deux est un immigré. Plus de 8 jeunes sur 10 de moins de vingt-cinq ans y ont au moins un parent immigré. » Cette concentration de la population ne fait que renforcer les difficultés d’assimilation et d’intégration et creuse un fossé avec la société française.

Paris fait office d’exception au sein du territoire francilien : à Paris, à l’intérieur du périphérique, d’années en années, la part des immigrés diminue. « Paris, si l’on me permet l’expression, un peu osée, est une ville où la fraternité généreuse est la plus présente dans les cœurs et les affiches et la moins présente dans la réalité des faits. »


Pour connaître les principaux chiffres liés à l’immigration, n’hésitez pas à consulter ces deux articles de synthèse : 


Didier Leschi s’intéresse dans la dernière partie de son livre aux conditions d’accueil des immigrés de tous types – droit commun, demandeurs d’asile et clandestins – et montre que les bonnes intentions débouchent très souvent sur un dévoiement des procédures. Il réalise des comparaisons européennes qui révèlent que, quasi-systématiquement, la France est plus généreuse que ses voisins.

Accueil des demandeurs d’asile

Le directeur de l’OFII explique tout d’abord que la France est moins sévère dans l’examen des situations des demandeurs d’asile : « Viennent à nous tous les perdants du système européen de l’asile, ceux qui ont été rejetés des pays où ils espéraient s’établir […]. Ils obtiennent chez nous plus facilement le statut de réfugié qu’Outre-Rhin, qu’en Suède, qu’en Norvège, qu’en Autriche, qu’au Danemark. »

Hébergement

Il explique ensuite que les conditions d’accueil sont beaucoup plus favorables en France que dans les autres pays européens : « A situation comparable, les demandeurs d’asile dans notre pays reçoivent une allocation supérieure à celle qui est versée dans la plupart des pays d’Europe. […] En Allemagne, une personne hébergée par l’État reçoit 135 euros, en France 204 euros. […] En Italie, une personne non hébergée par l’État ne reçoit aucune allocation. En France, elle touche 426 euros par mois. »

La France fait beaucoup en matière d’hébergement des demandeurs d’asile mais également des clandestins. Didier Leschi explique que l’action de l’État est jugée insuffisante par certaines associations alors qu’en réalité celui-ci fait beaucoup mais il se heurte à des flux migratoires beaucoup plus importants. Là encore, l’auteur se livre à des comparaisons européennes très intéressantes. « […] en plus des places qui leur sont réservées, les demandeurs d’asile accèdent aux hébergements d’urgence que notre législation permet d’ouvrir plus rapidement que ceux, très normés, des centres d’accueil. A l’inverse de ce qui se pratique en Italie, en Grande-Bretagne, en Finlande ou encore au Danemark, nous mettons à l’abri sans condition. »

Il évoque l’hébergement inconditionnel auquel ont notamment droit certains immigrés, même clandestins : « Nous appelons cela l’ « hébergement inconditionnel ». C’est une notion que nous sommes le seul pays à avoir inscrite par la loi comme un droit imprescriptible. C’est un hébergement gratuit sans limite de durée. Il peut concerner tout autant des demandeurs d’asile, des sans-papiers, des résidents en difficulté sociale. Il n’est pas rare que des sans-papiers y soient hébergés pendant des années. En octobre 2020, tous les soirs, l’État mettait ainsi à l’abri plus de 176 000 personnes. […] En 2020, l’État consacre 3 milliards d’euros pour l’abri d’urgence [contre] 1 milliard en 2006. »

En ce qui concerne les campements, Didier Leschi montre également la façon dont la France se singularise par ses largesses et parfois même ses contradictions puisque de nombreuses associations financées par de l’argent public contribuent de facto à nourrir certains phénomènes : « Nous fermons les yeux quand des associations, dont certaines subventionnées par l’État, distribuent des tentes pour que des migrants puissent occuper une place, un trottoir ou un jardin. Il n’y a qu’en France que la police rend ces mêmes tentes à ces associations, une fois les personnes évacuées vers des hébergements pérennes, pour qu’elles puissent organiser quelque temps plus tard un nouveau campement. […] En Angleterre, mendier ou laver ses affaires dans la rue constituent des délits. Dormir dans la rue peut entraîner votre expulsion du pays. »

Aide médicale d’État (AME)

Concernant l’aide médicale d’État, les choses sont mieux connues. Didier Leschi rappelle néanmoins que l’AME est une couverture santé pour les clandestins qui prend en charge gratuitement « bien plus que les situations d’urgence. Elle donne accès à un panier de soins quasi-équivalent à celui des résidents. […] Sont seulement exclues de ce panier les cures et la procréation médicalement assistée. » Là encore, il se livre à une comparaison européenne utile puisque « Dans l’ensemble des pays européens, au-delà de l’urgence où la vie de la personne serait en danger, un sans-papier ne peut prétendre à la même gratuité des soins. »

Citoyenneté et d’octroi de la nationalité

Didier Leschi revient par ailleurs sur la question de la citoyenneté et montre qu’une partie importante des immigrés des dernières décennies ont acquis la nationalité française. Cela explique que certains démographes peu scrupuleux arrivent à dire que le nombre d’étrangers demeure relativement stable dans notre pays. C’est vrai car « depuis des décennies, entre 100 000 et 150 000 personnes acquièrent chaque année la nationalité française. Nous sommes plus ouverts que bien d’autres. » Nous avons consacré un article à la nationalité française : tant l’octroi de la nationalité à la naissance que les différentes procédures d’acquisition de la nationalité sont beaucoup plus aisés que dans d’autres pays. Comment se passent les choses chez nos voisins ? « En Espagne, aux Pays-Bas et dans d’autres pays de l’Union, celui qui souhaite acquérir la nationalité doit renoncer à la sienne. »


Pour poursuivre la question : notre article sur l’acquisition de la nationalité française


Jusqu’où ? L’exemple des clandestins.

Le patron de l’OFII pose en guise de conclusion une question évidente – jusqu’où ? – à laquelle il répond avec pragmatisme : « Qu’est-ce que l’hospitalité ? Je n’hésite pas à répondre crûment, une hospitalité pour tous est une hospitalité pour personne. »

Le haut-fonctionnaire prend l’exemple des clandestins. 24 000 personnes ont été reconduites dans leur pays de manière forcée en 2019 tandis que 35 000 clandestins ont été régularisés. « C’est encore un domaine où la France est en réalité moins dure que ses voisins. Dans notre pays, le séjour irrégulier n’est plus un délit depuis 2012 et l’aide au séjour irrégulier, qui est fait [sic] de manière altruiste par des militants […], n’est plus punissable. » Il prend l’exemple de la rétention administrative : « La rétention pour que l’administration puisse préparer le renvoi d’un clandestin peut durer un an en Angleterre, six mois en Allemagne, être illimitée au Japon… Elle ne peut dépasser quatre-vingt-dix jours en France. Dans les faits, elle dépasse rarement les vingt jours et demeure en permanence sous le contrôle du juge de la liberté et de la détention. »

Les raisons pour lesquelles les clandestins ne sont pas renvoyés dans leurs pays sont bien connues : les pays d’origine rechignent à récupérer les leurs et à fournir les laissez-passer consulaires (LPC), documents nécessaires au retour des clandestins. C’est pourquoi la France tente de favoriser les retours dits volontaires avec des dispositifs incitatifs voire… très incitatifs : « Nous donnons une prime à celui qui « retrouvera » son passeport, 150 euros, ce qui évitera de devoir demander un laissez-passer consulaire (LPC). Nous offrons jusqu’à 1 800 euros pour que l’étranger en situation irrégulière accepte de prendre l’avion. Plus, nous construisons avec l’intéressé son projet de retour volontaire. Nous lui proposons de prendre en charge, pendant plusieurs mois, une partie du salaire qui éventuellement l’attend ou qu’il trouvera. Nous pouvons investir pour lui jusqu’à 10 000 euros dans son pays, une somme qui pourra lui permettre de monter une activité, un commerce, un élevage, une entreprise. »

Didier Leschi évoque enfin un exemple concret qui fera réfléchir le lecteur : « Dès que la police contraint un étranger à intégrer un centre de rétention afin de préparer son départ, elle le présente immédiatement à une association subventionnée par l’État censée l’aider à faire valoir des droits qui auraient encore échappé à l’administration. Nous subventionnons ainsi une activité dont le but avoué est d’éviter que la reconduite puisse être menée à son terme. »

Pour conclure, saluons le travail de Didier Leschi et l’écriture de ce livre courageux et sans langue de bois alors que son auteur est préfet en exercice : il prend ainsi le risque de critiquer les politiques publiques qu’il doit appliquer. L’ouvrage est par ailleurs clair, synthétique (56 pages) et abordable (3 euros 90).

Le lecteur pourra néanmoins être quelque peu déçu en raison du faible nombre de recommandations concrètes formulées – même si l’auteur annonçait d’emblée en rester aux faits dans le livre – ainsi que de l’absence d’évocation de certains enjeux – notamment les obstacles juridiques qui empêchent à l’heure actuelle de mieux maîtriser l’immigration. Certains considèreront enfin que, sous la direction de Didier Leschi, l’OFII participe aussi aux dérives qu’il pointe dans son ouvrage (connivence avec les associations, sanctions très faibles du non-respect du contrat d’intégration républicaine – comme l’a dénoncé la Cour des Comptes dans un rapport en avril 2020).