Les dispositifs d’aide au retour volontaire apparaissent largement méconnus dans le débat public sur les sujets d’immigration. Quel en est le principe et quel rôle l’OFII joue-t-il dans leur mise en œuvre ?
Didier Leschi
L’aide au retour volontaire a été créée en 1977 à l’initiative de Lionel Stoléru, alors Secrétaire d’Etat chargé de la condition des travailleurs manuels et immigrés. Dans un contexte de crise économique importante (le cap du million de chômeurs venait d’être franchi et le pays ressentait alors fortement les effets de la crise de 1973), le Gouvernement veut favoriser le retour de travailleurs immigrés en complément de politiques plus restrictives après l’arrêt de l’immigration de travail mis en place à partir de 1974.
L’aide au retour volontaire est ainsi instituée au bénéfice des chômeurs étrangers ayant occupé un emploi pendant au moins 5 ans qui peuvent alors se voir verser une somme de 10 000 francs (ce qui va devenir le fameux « million Stoléru » du fait de la mémoire des anciens francs) et une prime de déménagement dès lors qu’ils décident de retourner dans leur pays d’origine.
Cette première version de l’aide au retour, s’adressant à des personnes en situation régulière, sera supprimée en décembre 1981 par la nouvelle majorité de gauche. Elle aura auparavant bénéficié à 94 000 personnes.
Un nouveau dispositif d’aide au retour sera mis en place en 1984 sous la forme d’une aide à la réinsertion dans le pays d’origine sous la terminologie d’Aide Publique à la Réinsertion (APR) dans le contexte des restructurations industrielles qui touchaient les secteurs de l’automobile, de la sidérurgie et de la métallurgie. Cette APR s’adressait aux travailleurs licenciés pour motif économique et ayant un projet de réinsertion économique dans leur pays d’origine. Elle était constituée d’une aide publique d’Etat qui comportait une allocation de financement du projet de réinsertion qui pouvait aller jusqu’à 20 000 francs, d’une prise en charge des frais de transport et de déménagement, d’une capitalisation d’une fraction des allocations chômage et d’une aide versée par l’employeur de 15 000 francs minimum.
En 1987, cette APR a été étendue à l’ensemble des demandeurs d’emploi indemnisés par le régime d’assurance chômage. Entre 1984 et 1988, 30 034 travailleurs (68 866 personnes en comptant les accompagnants) ont quitté la France par l’intermédiaire de ce dispositif. Cette politique publique a été progressivement abandonnée. Entre 1989 et 1999 elle n’a touché qu’à peine 2 925 bénéficiaires et 1 927 accompagnants. Formellement le dispositif d’APR a été abrogé en 2006.
En 1990, dans le cadre d’une opération de régularisation d’étrangers déboutés de leur demande d’asile a été mise en place une aide au retour pour ceux qui ne remplissaient pas les critères de régularisation. Ce sont les premiers dispositifs d’aide au retour volontaire pour les étrangers en situation irrégulière mis en place, pour faciliter le retour de ceux ayant fait l’objet d’une invitation à quitter le territoire français.
Constitutives d’une mesure d’aide sociale, alternative à la reconduite forcée, les aides au retour prévoyaient la prise en charge par l’OFII de l’organisation et du financement du voyage retour ainsi que le versement d’une aide financière.
Ce dispositif n’a ensuite que peu évolué jusqu’en 2005, année qui a vu la mise en place d’un nouveau dispositif d’aide au retour visant à renforcer son attractivité par une réévaluation significative du montant des aides financières accordées aux candidats au retour et un assouplissement des critères d’éligibilités.
Ainsi, le montant de l’aide financière, jusqu’alors limité à 150€ par adulte, a été porté à 2 000€ par adulte en situation irrégulière, versés en trois fractionnements et maintenu à 150€ pour les autres catégories d’étrangers, surtout les ressortissants communautaires et autres étrangers n’ayant pas fait l’objet d’une mesure d’éloignement.
Enfin, en 2015, le dispositif a été fortement rénové afin de renforcer l’attractivité des aides et d’augmenter le nombre de demandeurs d’asile déboutés susceptibles d’en être bénéficiaires, en réévaluant le montant des aides au retour. Par ailleurs, un nouveau barème pour les pécules a été mis en place reposant sur la distinction entre les ressortissants communautaires (50€), les ressortissants de pays tiers soumis à visa (650€) et les ressortissants de pays tiers dispensés de visas (300€).
Enfin, actuellement, le dispositif de l’ARV est fixé par l’arrêté du 9 octobre 2023 qui a mis en place une dégressivité des aides (dont les montants ont été revus) en fonction de la date de notification de l’OQTF.
L’OFII est en charge de la mise en œuvre de l’ARV sur le territoire national qui comprend, outre la remise d’une aide financière (pécule), les aides matérielles suivantes :
l’organisation du retour et la prise en charge des frais de voyage depuis la ville de départ en France jusqu’au lieu d’arrivée dans le pays de destination pour le bénéficiaire, son conjoint et ses enfants mineurs de moins de 18 ans ;
le cas échéant la réservation et la prise en charge des frais d’hôtel et de restauration avant le départ pour le bénéficiaire, son conjoint et ses enfants mineurs de moins de 18 ans ; la prise en charge des bagages ;
une aide administrative et matérielle à l’obtention des documents de voyage (passeport ou Laissez Passer Consulaire).
Sur l’ensemble des éloignements d’étrangers en situation irrégulière, quelle est aujourd’hui la part des retours volontaires aidés ? Quelle a été l’évolution de cette part au cours des dernières années ?
Didier Leschi
En 2023, ont été réalisés 11 722 éloignements forcés (chiffres provisoires) et 6 749 aides au retour volontaire (ARV). Ces dernières ont donc représenté plus d’un tiers (36%) de l’ensemble des éloignements.
Depuis 2019, la part des ARV est relativement stable puisqu’elle oscille entre 30% et 36% selon les années.
Quel est le profil type des étrangers bénéficiaires de ce dispositif, en termes de nationalité, sexe, âge, et canal de présence irrégulière ?
Didier Leschi
Quelques éléments à retenir (année 2023) :
6 749 bénéficiaires dont 5 185 adultes et 1 564 enfants mineurs
Profil type : le bénéficiaire est un homme (63%), âgé de 32 ans (âge moyen), isolé (76%) et ayant déposé sa demande en Ile de France (28%).
Le top 5 des pays de retour est le suivant : Géorgie ; Albanie ; Algérie ; Chine et Colombie.
60% des adultes sont des demandeurs d’asile déboutés (ou qui se sont désistés de leur demande).
Cette procédure du retour volontaire ne signe-t-elle pas un aveu d’échec de l’Etat à appliquer le droit et à faire exécuter ses mesures d’éloignement sans contrepartie pour les immigrés en situation irrégulière ?
Didier Leschi
Je pense plutôt qu’elle est complémentaire et ce d’autant que même avec le versement d’un pécule, le retour volontaire pèse moins sur les finances publiques que le retour contraint selon les calculs de la cour des comptes et des missions parlementaires qui régulièrement s’interroge sur l’avantage du retour volontaire. Concrètement, il est beaucoup plus couteux de reconduire sous escorte une personne en situation irrégulière que de lui faire accepter son retour moyennant un pécule. Enfin, nous avons intérêt qu’une personne qui est reparti se stabilise socialement et n’ait pas la tentation de risquer sa vie pour revenir en Europe quand c’est le cas.
De telles procédures existent-elles chez nos partenaires de l’Union européenne ? Si oui, présentent-elles des différences sensibles avec la nôtre ?
Didier Leschi
Des dispositifs d’ARV existent dans la majorité des pays membres de l’UE ou de l’EEE (notamment Allemagne, Autriche, Suisse, Chypre, Belgique, etc.).
Le retour volontaire est une des priorités de la Commission Européenne qui a créé en 2022 un poste de coordinateur des retours. A ce titre, les pays membres de l’UE qui ne disposent pas d’un programme d’aide au retour sont incités à en définir un et pour ce faire, peuvent être accompagnés par l’agence Frontex dont le mandat couvre également l’aide au retour et à la réinsertion.
La différence majeure entre les programmes d’ARV UE et celui de l’OFII tient au montant de l’allocation financière versée au bénéficiaire au moment du départ.
Quel est le coût global de l’aide au retour volontaire pour le contribuable ? Quel est le coût moyen pour chaque étranger qui en bénéficie ? Ce dispositif est-il financièrement plus intéressant pour l’Etat qu’un éloignement forcé ?
Didier Leschi
En 2023, 6 749 personnes soit 5 185 adultes et 1 564 enfants ont bénéficié de l’aide au retour volontaire mise en œuvre par l’OFII.
Le budget consacré à cette mission s’est élevé en 2023 à 5,42 M€, dont 1,6 M€ au titre de la prise en charge du coût du transport (billets d’avion) et 3,82 M€ au titre de l’allocation forfaitaire (pécules).
En 2019, les Députés Jean-Noël Barrot et Alexandre Holroyd avaient procédé à l’analyse de la politique d’éloignement dans le cadre de l’examen des crédits de la mission Immigration, asile et intégration.
Ils avaient ainsi estimé que le coût d’un éloignement forcé (environ 14 000€) était plus de 4 fois supérieur au coût d’un retour aidé (environ 3 000€).
Peut-on quantifier un éventuel effet d’aubaine, à savoir des étrangers qui toucheraient l’aide pour un départ volontaire avant de revenir sur le territoire français ? Des garde-fous ont-ils été mis en place pour s’en prémunir ?
Didier Leschi
Aucune donnée ne permet de valider (ou d’invalider) ce risque de retour en France après avoir bénéficié de l’ARV.
Pour autant, l’OFII a mis en place dès 2009 un dispositif de biométrie (empreintes et photos) qui permet de s’assurer qu’aucune personne ayant bénéficié d’une ARV puisse en bénéficier une nouvelle fois. Par ailleurs, depuis l’arrêté du 9 octobre 2023, tout bénéficiaire de l’ARV doit avoir fait l’objet d’une notification d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) assortie pour les ressortissants d’un pays dispensé de visa d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) qui rend plus compliquée toute tentative de retour en France.
Le dispositif de retour volontaire pourrait-il être élargi à d’autres catégories d’étrangers, comme les étrangers chômeurs de longue durée en situation régulière ?
Didier Leschi
Ce fut le cas dans les années 80 (voir ci-dessus). Cela relève de la décision politique. Nous avons des demandes de ce type pour certains pays. Mais d’une certaine manière il suffirait à une personne de renoncer à son titre de séjour pour pouvoir bénéficier de cette aide au retour.
Mais, aujourd’hui, le public visé par les dispositifs d’aide au retour est l’étranger en situation irrégulière (ESI). C’est une priorité nationale (renforcer les mesures d’éloignement des publics déboutés de l’asile) et également européenne puisque la directive retour de 2008 prévoit que les bénéficiaires d’une ARV doivent faire l’objet d’une mesure d’éloignement.
Les ressortissants de 23 pays peuvent demander à bénéficier d’une « aide à la réinsertion » : pourriez-vous nous nous expliquer en quoi elle consiste, ainsi que les raisons de sa limitation à un éventail restreint de pays d’origine ?
Didier Leschi
En complément de l’aide au retour volontaire, et dans la mesure où le pays est couvert par un programme de réinsertion (21 pays couverts en 2021), une aide à la réinsertion peut être proposée aux étrangers afin de faciliter et favoriser leur réinstallation durable dans leur pays.
Le dispositif de réinsertion s’articule autour de trois niveaux d’aides :
une aide à la réinsertion sociale (niveau 1) pour prendre en charge les premiers frais d’installation du bénéficiaire et le cas échéant de sa famille (dans les six premiers mois du retour) liés au logement, à la santé ou à la scolarisation des enfants mineurs et dans la limite de 400 € par adulte et 300 € par enfant mineur ;
une aide à la réinsertion par l’emploi (niveau 2) par le biais d’une aide à la recherche d’emploi réalisée par un prestataire local spécialisé et d’une aide financière pour prendre en charge une partie du salaire (60 % maximum) sur une durée maximale d’un an et dans la limite de 4 000 €, ou par le financement d’une formation améliorant l’employabilité du candidat et dans la limite de 2 000 € ;
une aide à la réinsertion par la création d’entreprise (niveau 3) qui comprend la réalisation d’une étude de faisabilité du projet, la prise en charge d’une partie des frais de démarrage de l’entreprise en complément de l’apport personnel mobilisé par le bénéficiaire et le suivi de l’activité pendant un an. Le montant maximal de l’aide dépend des pays (pays prioritaires 6 300 €, pays sans accord 5 200 €, pays dispensés de visa 3 000 €) ;
En matière d’aide à la réinsertion, l’OFII met en place un dispositif dit « national » (dans les pays couverts par une des 7 représentations de l’OFII à l’étranger1) et un dispositif européen via Frontex2 dans 5 pays (choix opérés par l’OFII et le Ministère de l’Intérieur).
Notes
Arménie, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, République du Congo, République démocratique du Congo, Gabon, Géorgie, République de Guinée, Mali, Maroc, Sénégal, Togo et Tunisie (+ Maurice couvert par la Direction Territoriale Océan Indien) ↩︎
Dans le cadre de ses fonctions de lutte contre l’immigration irrégulière sur le territoire national, la PAF consacre un travail important à l’identification et à la résorption des fraudes – en particulier documentaires. Pourriez-vous nous dresser un bref état des lieux des fraudes les plus courantes ?
Fernand Gontier
La police aux frontières a toujours été une direction active de la police nationale. Elle est rattachée organiquement au directeur général de la police nationale avant et après la réforme.
Cette direction de police cumule, s’agissant des frontières, les missions de contrôle de l’immigration et de police : cette « double casquette » lui permet une approche globale du franchissement des frontières et une rationalisation des tâches associées.
Cette direction de police cumule, s’agissant des frontières, les missions de contrôle de l’immigration et de police : cette « double casquette » lui permet une approche globale du franchissement des frontières et une rationalisation des tâches associées.
Au-delà de ces aspects, la PAF « embrasse » toutes les dimensions de la lutte contre l’immigration irrégulière : la lutte contre la fraude documentaire et à l’identité ; la détection des entrées irrégulières, des séjours irréguliers et des personnes recherchées ; la lutte contre les trafics de migrants (logeurs, passeurs, employeurs) et les filières criminelles organisées, avec un office de police judiciaire dédié interservices et interministériel appuyé par ses antennes territoriales (OLTIM : Office de lutte contre le trafic illicite de migrants ) ; la coopération internationale, avec le soutien de la direction de la coopération internationale de sécurité ; la mise en œuvre des mesures d’éloignement avec les centres de rétention ; la gestion des moyens de transport pour les éloignements et des escortes accompagnantes ; l’obtention d’une partie des demandes des laissez-passer consulaires ; le contrôle des moyens de transport internationaux ; la tenue des statistiques relatives aux contrôles aux frontières et à la lutte contre l’immigration irrégulière…
Mais aussi l’analyse des flux migratoires, des missions de formation interne et externe, ou encore le pilotage du point national de contact de l’agence Frontex et la gestion du détachement français du corps européen des garde-côtes et des garde-frontières. J’en oublie par souci de simplification ! Ces missions sont réalisées tant en métropole qu’en outre-mer.
À l’occasion des grands évènements comme les Jeux Olympiques, la PAF déploie aussi un dispositif transfrontalier spécifique avec ses services homologues afin de prévenir les risques terroristes ou les troubles à l’ordre public.
Par ailleurs, la police aux frontières est chargée des missions de coordination de la lutte contre l’immigration irrégulière. Ce rôle sous l’autorité des préfets devrait être renforcé pour obtenir ce que l’on appellerait la « border force à la française ». La PAF travaille aussi en parfaite coordination avec la Direction générale des étrangers en France (DGEF).
Cette PAF « à la française » fait des envies chez tous les équivalents européens, où les missions sont parfois morcelées entre plusieurs directions. J’ai eu l’occasion de découvrir d’autres systèmes auprès d’eux, mais aucun n’avait cette polyvalence dans la spécialité .Il faut désormais aller plus loin encore, en constituant des états-majors intégrés de la lutte contre l’immigration irrégulière. La réforme de la police nationale a pris en compte cette filière, reconnue à part entière comme une mission de police majeure. Elle a été mise en œuvre au 1er janvier 2024 et l’évaluation de son efficacité est prématurée à ce stade.
La France compte deux corps de « gardes-frontières » distincts, avec la PAF d’une part (sous l’autorité du ministre de l’Intérieur) et les douanes d’autre part (appartenant au ministère de l’Economie et des Finances). Comment résumeriez-vous la répartition des missions entre ces deux forces ?
Fernand Gontier
Pour faire simple, l’on pourrait dire que la PAF contrôle les personnes et les douanes s’assurent des marchandises. Mais les choses en réalité sont plus complexes.
Une frontière extérieure (c’est-à-dire de niveau européen) ne peut être franchie que sur des points de passage précis, dits frontaliers (PPF) : il y a une répartition de ces points entre la PAF et la douane. Sur des « gros » PPF à fort trafic comme Roissy, la PAF accomplit le contrôle des personnes lors du franchissement des frontières tandis que la douane se consacre aux marchandises. S’agissant des PPF de moindre importance volumétrique en termes de passagers, la douane exerce les deux missions de contrôle : des personnes et des marchandises.
La France compte environ 120 PPF, principalement aériens. Les deux administrations entretiennent d’excellentes relations et cette répartition des sites est revue régulièrement.
Pour autant, tout cela donne-t-il entière satisfaction ? La commission d’évaluation Schengen, qui est l’organe de contrôle de l’efficacité de nos contrôles aux frontières extérieures, pointe l’insuffisante formation de nos garde-frontières.
Des efforts importants ont été consentis depuis les évaluations antérieures, mais il faudrait encore renforcer les formations communes de ces deux services, sans doute au sein d’une académie des garde-frontières qu’il faudrait créer. La France pourrait y former les garde- frontières d’autres pays européens. Cela aurait également pour avantage de mieux préparer tous les effectifs du contingent français mis à disposition de l’agence Frontex (agents permanents, temporaires ou missionnés).
L’immigration est un sujet transversal qui irrigue tous les principaux champs des politiques publiques. Quel regard portez-vous sur l’expérience du ministère de l’Immigration (2007-2010) ? Et aujourd’hui, comment pourrait-on améliorer la coordination des différents services de l’Etat en matière d’immigration ?
Fernand Gontier
L’immigration est en effet une question complètement transversale, même si certains ministères paraissent davantage en première ligne que d’autres. De mon point de vue, la création d’un ministère de l’immigration a eu a eu un effet positif, avec un affichage public de la volonté de reconnaître cette question comme essentielle dans un gouvernement de la République, ainsi qu’une approche globale regroupant des compétences et des effectifs des ministères de l’Intérieur, du Travail et des Affaires Etrangères. Ce ministère a été organisé de main de maître par Patrick Stefanini, qui est l’un des plus grands spécialistes français des questions d’immigration.
Avec le recul toutefois, cette approche globale aurait dû avoir une dimension encore plus interministérielle en impliquant d’autres ministères comme la Justice, le Logement, l’Education ou la Santé. Mais surtout, il eût fallu que la gouvernance des questions migratoires soit placé non pas à côté des autres ministères, mais au-dessus de tous les ministères.
La création en 2005 d’un comité interministériel du contrôle de l’immigration placé sous l’autorité du Premier ministre était judicieuse. Ce comité aurait pu être transformé en une structure permanente intégrant tous les acteurs de cette politique afin de peser sur l’ensemble des ministères.
Aujourd’hui cela fait défaut, car chaque ministère a sa propre vision de ces sujets et la coordination reste à parfaire. J’évoque d’ailleurs ce point dans mon livre, avec d’autres axes d’effort de coordination au niveau opérationnel de la lutte contre l’immigration irrégulière.
Dans le cadre de ses fonctions de lutte contre l’immigration irrégulière sur le territoire national, la PAF consacre un travail important à l’identification et à la résorption des fraudes – en particulier documentaires. Pourriez-vous nous dresser un bref état des lieux des fraudes les plus courantes ?
Fernand Gontier
Les fraudes documentaires ou à l’identité permettent à des étrangers d’usurper une identité, un droit, un statut ou encore une nationalité. Ces fraudes s’appuient d’abord sur la fraude des documents d’identité ou de voyage eux-mêmes par falsification, contrefaçon ou usage frauduleux d’un document appartenant à autrui. Par ailleurs, la fraude concerne aussi les « documents-sources » c’est-à-dire les justificatifs qui permettent d’obtenir un véritable titre comme un passeport français, une carte nationale d’identité, etc.
Les clandestins cherchent non seulement à utiliser des documents frauduleux français ou d’un autre pays européen (faux visa ou visa usurpé, faux titre de séjour…) pour pénétrer sur notre territoire ; mais ils souhaitent, pour avoir l’apparence de la légalité en cas de contrôle, y demeurer au moyen non seulement de faux documents d’identité ou de séjour, mais aussi grâce à l’obtention indue de ces mêmes documents administratifs : l’invocation d’une fausse minorité, la reconnaissance frauduleuse de paternité, la négociation d’un mariage blanc, la fraude à l’asile politique, les faux malades, les faux permis de conduire…
Ces fraudes débouchent le plus souvent sur des fraudes sociales (RSA , Allocations familiales, Urssaf…) ou dans un cadre privé (contrat de travail, locations, ouverture de comptes bancaires…).
Les fraudes des étrangers sont constatées dans toutes nos procédures administratives, mais bien évidemment tous les étrangers des pays tiers à l’Europe ne sont pas des fraudeurs. Presque 50 % des filières d’immigration clandestine en France ont recours à la fraude documentaire, soit environ 150 par an, avec la découverte de nombreuses officines de fabrication de ces documents.
À ce stade, je voudrais indiquer que la lutte contre la fraude documentaire ne doit pas être réservée à des spécialistes (fussent-ils de la PAF) mais intégrée dans la formation et les missions de toutes les forces de l’ordre, des préfectures, des mairies, des organismes sociaux et plus largement de tous les ministères concernés par la consultation de documents administratifs. La culture de la lutte contre la fraude ne va pas de soi et elle est inégale selon les services.
La police aux frontières interpelle 10 000 porteurs de faux documents par an et saisit entre 10 000 et 15 000 faux documents. Elle a créé une division de l’expertise en fraude documentaire et à l’identité, avec un réseau national d’analystes en fraude documentaire et à l’identité d’environ 1 000 personnes. Ce réseau assure des formations et des séances de sensibilisation auprès de 10 000 personnes au sein du ministère de l’Intérieur et en dehors. La PAF diffuse aussi des fiches d’alerte sur des faux documents ou sur des modes opératoires et détient une très riche documentation.
Face à cette multiplicité des voies et moyens utilisés par les fraudeurs, quelles seraient les solutions envisageables ? Comment faire pour lutter vraiment efficacement contre la fraude documentaire ?
Fernand Gontier
Pour résumer, je citerais : – La biométrie, en particulier de l’état civil – La généralisation de l’utilisation d’un numéro d’inscription au répertoire (NIR) à l’instar de plusieurs pays européens ; – La mise en œuvre de titres sécurisés ; – La sensibilisation ou la formation de premier niveau avec quelques réflexes simples (examen visuel du document et de la personne, un questionnement), quelques équipements de détection (lampe UV, loupe) et la possibilité de consulter des bases de données françaises ou européennes.
Un outil informatique baptisé « Docverif », certes imparfait car il ne donne pas accès à la biométrie ou la photographie, permet de connaître l’identité avec des données nominatives ainsi que le numéro du document et sa validité (passeport ou carte d’identité). Toutefois, cet outil ne permet de lutter contre l’usage frauduleux d’un document authentique ou d’une doublette d’un vrai document. Au niveau européen est accessible publiquement le registre public en ligne des documents authentiques d’identité et de voyage (PRADO).
Aujourd’hui plusieurs menaces se révèlent avec la numérisation des documents et les procédures administratives dématérialisées, qui certes facilitent la vie des administrés mais permettent également de faciliter la fraude documentaire et/ou à l’identité. Enfin la cybercriminalité constitue un champ d’expansion pour les faussaires et les fournisseurs de faux documents, via le dark web.
Il est très difficile de synthétiser en quelques mots le sujet de la fraude documentaire et à l’identité car ce sujet est immense et peut apparaitre un peu théorique, alors qu’il est en fait très concret, car il s’agit d’un vol ou d’une obtention avec des préjudices réels pour les personnes et nos finances publiques. Nous devons nous protéger également nous-mêmes par des réflexes au quotidien en préservant l’accès à nos données nominatives, et nous devons être protégés par nos institutions.
Parmi les instruments de mesure les plus fréquemment utilisées pour évaluer l’efficacité de la politique d’éloignement, le taux d’exécution des OQTF apparaît avoir pris une place centrale dans le débat public. Quel regard portez-vous sur la pertinence d’un tel indicateur et ses éventuels défauts ?
Fernand Gontier
Il est vrai que de nombreux audits ou rapports indiquent la faiblesse du taux d’exécution des OQTF en France. En Europe, notre pays prononce environ un tiers de toutes les obligations de quitter le territoire, soit 150 000 sur 500 000 par an. La France est donc le premier pays en termes de mesures prononcées mais, s’agissant du taux d’exécution de ces OQTF, le nôtre s’établit autour de 12 % contre 43 % pour l’ensemble des 27 pays de l’Union européenne entre 2015 et 2021.
Cependant, il faut faire attention aux chiffres. La France prononce le plus systématiquement possible des OQTF chaque fois qu’une situation irrégulière est constatée. Cela est tout à fait logique. Si demain les préfectures ne prennent plus que des OQTF « exécutables », on va réduire le nombre d’OQTF et augmenter le taux d’exécution. Pour autant, serons-nous réellement plus efficaces. Je ne le crois pas, car « casser le thermomètre » n’est pas une bonne solution.
Par ailleurs, certains pays incluent dans leurs statistiques d’éloignement des mesures de refus d’entrée dans l’espace européen, ce qui tend à fausser les comparaisons – lesquelles sont délicates avec des pays qui prennent peu de mesures d’éloignement. La France est plutôt un pays de rebond, avec une immigration clandestine en provenance majoritairement de pays européens. Notre niveau d’interpellations est donc anormalement élevé par rapport aux pays de première entrée. Pour, autant la France est le pays qui exécute le plus de mesures d’éloignements ou retours forcés en nombre absolu.
On peut parler d’échec collectif en Europe, mais il ne faut stigmatiser pas la France qui fait de réels efforts tant au niveau des services capteurs que des préfectures. Certains pays privilégient les éloignements ou retours aidés aux retours forcés : une marge de progression est importante en France dans le domaine du retour non-contraint.
Il faut néanmoins encore améliorer nos performances avec l’inscription systématique des OQTF dans le fichier des personnes recherchées et au SIS, et enregistrer la biométrie des étrangers en situation irrégulière – car il y a aussi des doublons d’OQTF. Un même étranger peut être porteur de plusieurs OQTF, ce qui n’est pas optimal et fausse les statistiques.
En revanche notre taux d’échec est très important et il convient de travailler sur les causes d’échec constatées : pourquoi le taux d’exécution est-il si faible ?
Quels que soient les indicateurs retenus, la mise en œuvre des mesures d’éloignement forcé – qui relève des compétences de la PAF – reste largement perçue comme un « parcours d’échec ». Vous indiquez dans votre ouvrage que la PAF (chargée de mettre en œuvre lesdites mesures) recense une trentaine de causes d’échec en la matière. Pourriez-vous nous dire quelles sont les plus fréquentes d’entre elles, ainsi que les plus méconnues ?
Fernand Gontier
La plus connue est l’absence de laissez-passer consulaire (LPC) lorsque l’étranger est dépourvu de tout document de voyage : dans ce cas de figure , la non-délivrance peut être le fait de l’étranger lui-même qui refuse de communiquer des informations sur sa nationalité et son identité, ou encore de la représentation consulaire (du pays présumé) qui ne le délivre pas suite à une non-reconnaissance de cet étranger comme ressortissant, ne veut pas délivrer de LPC pour des questions d’opportunité ou encore le délivre trop tardivement – par exemple après l’expiration de la durée de rétention administrative .
La deuxième cause d’échec majeure découle des recours juridiques et des annulations devant les juridictions administratives et judiciaires (tribunal administratif, cour d’appel administrative, juge des libertés et de la détention, cour d’appel judiciaire) françaises ou européennes, notamment la cour européenne des droits de l’Homme.
Ensuite on recense de nombreuses autres causes moins connues, telles que :
L’absence de l’étranger à son domicile suite à une assignation à résidence ;
L’insuffisance de places en rétention ;
Le refus d’embarquement de l’étranger (ou refus de test lors de l’épisode du Covid 19) ;
L’absence de moyen de transport (par exemple vers un pays non desservi par un transporteur) ;
L’absence de personnel d’escorte ;
Une demande d’asile acceptée ;
Une hospitalisation, une maladie ou un état de santé incompatible avec l’éloignement ;
Une libération par la préfecture ;
Le refus de transit sur un aéroport de correspondance ;
Une grève dans les transports ou un incident technique ;
Le refus du pays de destination d’une réadmission Schengen ou Dublin ;
Une absence de représentation consulaire en France ;
Une absence d’interprètes ;
Le refus des autorités locales lors de l’arrivée de l’étranger ;
Un pays de destination en guerre….
Toutes les causes d’échec sont analysées afin d’améliorer les performances.
On voit donc bien que l’on peut agir sur certaines causes, mais en revanche d’autres échappent totalement à la responsabilité de l’administration. Un même étranger peut cumuler, si l’on peut dire, plusieurs causes d’échec !
L’éloignement est un parcours d’obstacles et je dirais que l’administration française est largement handicapée. Les autres pays européens connaissent les mêmes difficultés que nous et parfois même davantage.
Sous prétexte de difficultés de mise en œuvre et de la recherche d’un meilleur taux d’exécution, il faudrait éviter une forme d’auto-censure des préfectures voire des services de police et de gendarmerie qui anticiperaient les causes d’échec en évitant des interpellations ou la prise d’une OQTF.
Dans son rapport sur la lutte contre l’immigration irrégulière publié par la Cour des Comptes en janvier dernier, celle-ci indique que lorsque ses magistrats se sont déplacés à la frontière entre les Alpes-Maritimes et l’Italie pour évaluer la situation, le personnel mobilisé pour surveiller les 117 kilomètres de frontière était réduit à 60 agents, dont seulement une vingtaine de membres de la PAF spécialement formés à cette fin. Considérez-vous que les effectifs de la PAF sont aujourd’hui satisfaisants au regard de la situation migratoire de la France ?
Fernand Gontier
Comme disait un ancien ministre de l’Intérieur, poser la question c’est y répondre. Votre question sur la base du rapport de la Cour des comptes laisse à supposer que les effectifs sont insuffisants. Je vais compléter les éléments d’information publiés dans le rapport : le contrôle aux frontières est confié à deux forces, la PAF et la douane qui se répartissent sur une frontière intérieure ce que l’on appelle les points de passage autorisés (PPA) et sur les frontières extérieures ce que l’on appelle les points de passages frontaliers (PPF).
L’action de ces deux corps de garde-frontières est complétée par des services de surveillance, à savoir la Gendarmerie nationale et la Sécurité publique, notamment dans la bande frontalière dite des 20 kilomètres où les contrôles d’identité peuvent être pratiqués sans motif – mais dans des conditions spécifiques de durée et de réalisation. De plus, l’action de la PAF est complétée par les renforts de forces mobiles (CRS ou escadrons de gendarmerie) ; au niveau national ces renforts sont très significatifs sur des sites stratégiques dont les Alpes- Maritimes, les Hautes-Alpes, le littoral du Nord et du Pas de Calais. Enfin, des effectifs militaires assurent une mission de détection des passages irréguliers dans le cadre de la prévention du terrorisme. Le tout est coordonné par les préfets sous la coordination opérationnelle de la PAF : c’est ce que l’on appelle la « border force » à la française.
L’ensemble de ces personnels fonctionne en complémentarité avec des objectifs définis dans le temps et l’espace et avec une répartition des rôles. Ces moyens humains sont eux- mêmes appuyés par des moyens techniques de détection terrestres et aériens. Les effectifs de la PAF travaillent également avec les polices aux frontières voisines, par exemple avec la police italienne des frontières au moyens de patrouilles mixtes en civil et en tenue, ainsi que d’une brigade mixte basée à Menton.
Le recours à des moyens nouveaux (intelligence artificielle, frontières intelligentes…) doit être développé en surmontant les obstacles juridiques. Mais est-ce suffisant au niveau local et au niveau national ?
On peut faire mieux avec des états-majors intégrés permanents aux niveaux national, zonal et départemental avec des représentants des différentes forces.Toutefois il faut bien reconnaitre que des carences en effectifs de la PAF existent parfois pour la surveillance des frontières, en raison de la faible attractivité de quelques sites ou de la cherté de la vie (région du Léman, Montgenèvre, Menton…). La création de la réserve opérationnelle de la police nationale a permis de mettre en place des détachements spécifiques, notamment à Menton, pour compenser ces difficultés.
Il existe d’autres régions où l’attractivité est faible alors qu’elles sont touchées lourdement par l’immigration irrégulière : je pense à Calais et au Dunkerquois ou encore à la région parisienne. À ce stade , je trouve regrettable que la police aux frontières n’ait pas de services implantés et une compétence territoriale sur Paris et la petite couronne, alors que l’immigration irrégulière y est concentrée.
Par ailleurs le rétablissement des contrôles aux frontières en 2015 a nécessité un redéploiement des effectifs au détriment de l’intérieur du territoire : avant 2015, la PAF traitait 80% des étrangers en situation irrégulière en métropole, mais aujourd’hui ce niveau a baissé significativement. L’implication des autres services est donc essentielle.
Au-delà du contrôle des frontières, très « gourmand » en personnel, la création de plusieurs centaines de places de rétention a nécessité des effectifs importants de la PAF. La mise en place prochaine de nouveaux systèmes d’information européens (ETAS et surtout EES) exige des renforts indispensables si l’on ne veut pas trop dégrader la fluidité, notamment sur les grands aéroports et sur le trafic transmanche.
Je voudrais indiquer que la surveillance des frontières et la lutte contre l’immigration irrégulière est l’affaire de tous les services. Les procédures à l’encontre des étrangers en situation irrégulière peuvent être diligentées par des services généralistes. En revanche, dès qu’une procédure met en cause une filière de trafics de migrants ou un mode opératoire particulier ou pour la mise en œuvre du contrôle des frontières, le recours à la PAF est nécessaire. Le point délicat me parait être l’insuffisance d’effectifs de la PAF dans le domaine de l’investigation et des procédures administratives et judiciaires, en particulier lorsque les services capteurs détectent de façon massive des situations irrégulières et mettent à disposition des procéduriers de la PAF. Il peut y avoir une saturation des capacités du service.
Pour autant les personnels de la PAF aiment leur métier et le pratiquent avec compétence, humanité et dévouement. Je dirais donc que l’immigration irrégulière est révélée par l’action des services et que le niveau d’effectifs policiers induit mécaniquement un niveau d’activité et de performance. Il faut ajuster le bon niveau des moyens humains et techniques en fonction de l’analyse du risque migratoire et des flux irréguliers constatés.
Le 2 février dernier, une décision du Conseil d’Etat a fortement limité le dispositif des « refus d’entrée » à la frontière française – traduisant un arrêt pris en ce sens par la Cour de justice de l’Union européenne en septembre dernier. Quelles sont selon vous les conséquences prévisibles d’une telle jurisprudence pour le travail de la PAF ?
Fernand Gontier
Le Conseil d’État a rendu le 2 février 2024, une décision sur le régime juridique applicable aux frontières intérieures depuis 2015 après que la Cour de justice de l’Union européenne ait, dans un arrêt du 21 septembre 2023, interprété le droit de l’Union. Cet arrêt fait suite à un recours d’un collectif d’associations qui contestent le bien-fondé de la France de prononcer des refus d’entrée à ses frontières intérieures.
Cet arrêt, qui ne pouvait que « décliner » la décision de la CJUE, bat en brèche la pratique des refus d’entrée exécutés sans délai lors du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures. Le point de vue des autorités françaises était que les contrôles aux frontières intérieures sont de même nature que ceux pratiqués aux frontières extérieures. L’arrêt de la CJUE a une portée générale et s’étend donc désormais aux autres États européens ayant rétabli les contrôles à leurs frontières communautaires.
Déjà dans l’arrêt ARIB du 19 mars 2019, la CJUE excluait déjà de retenir le délit d’ entrée irrégulière lors du franchissement d’une frontière intérieure. On peut parler, dans ce cas, de ce que j’appelle « une frontière molle » c’est-à-dire une frontière à statut dégradé.
Se basant sur une analyse combinant la directive retour du 16 décembre 2008 et le code frontières Schengen, la CJUE ne retient pas l’idée qu’une frontière intérieure soit totalement assimilable à une frontière extérieure. Il en découle la nécessité de modifier sensiblement les procédures juridiques à l’égard des étrangers en situation irrégulière qui seraient interpellés à une frontière intérieure.
Quelles conséquences ?
Tout d’abord on passe d’une procédure unilatérale, rapide et souveraine de non- admission à une procédure de réadmission contradictoire avec les autorités du pays sollicité, plus longue, plus exigeante sur le plan des contraintes opérationnelles et matérielles, en particulier le placement en retenue pour vérification du droit au séjour des personnes? pour un délai maximum de 24 heures. Cela induit inévitablement une moindre efficacité des contrôles aux frontières. Les personnels de la police aux frontières vont être davantage occupés à rédiger des procédures, à procéder à des transferts vers des locaux de retenue, à garder les personnes. En clair on va dégarnir une partie des policiers employés aux frontières, au profit de missions logistiques et rédactionnelles. Le défi pour les services de l’Etat sera de combler ce déficit de surveillance et de contrôle sur les frontières intérieures par des moyens supplémentaires.
Cette méthode avait déjà été utilisée lors des épisodes du printemps arabe de 2011 et de la crise terroriste de 2015 (avant le 13 novembre). Elle est moins efficace que les contrôles aux frontières avec mise en œuvre immédiate des refus d’entrée. Il faut craindre une baisse des interpellations et donc du filtrage de nos frontières.
Comme je l’ai déjà écrit dans mon livre, sur cet aspect, la directive Retour apparait totalement décalée avec les réalités de notre temps : elle a été publiée à une autre époque, avant les crises terroriste et migratoire de 2015. Les juges ne font qu’interpréter le droit existant : si ce droit n’est plus adapté, il faut le changer.
L’an prochain, l’accord de Schengen ayant supprimé les contrôles aux frontières « intérieures » de la zone – celles communes aux différents pays membres – fêtera les quarante ans de sa signature (1985) et les trente ans de son entrée en vigueur (1995). Comment évaluez-vous son adaptation aux défis de l’Europe contemporaine, et quelles vous paraissent être les réformes souhaitables s’il y en a ?
Fernand Gontier
Schengen est un idéal de libre-circulation des personnes dans un espace commun de sécurité et de liberté. Cette ambition est légitime, positive pour la vie économique, sociale, personnelle des Européens. Il faut mieux le défendre car sa survie est en danger et ne résisterait sans doute pas à une nouvelle crise migratoire grave ou à une vague d’attentats meurtriers.
Les réformes de l’espace Schengen sont progressives mais tardives au regard des exigences actuelles de sécurité et de lutte contre l’immigration irrégulière. L’approche des questions migratoires et de frontières n’a pas été globale, puisqu’Eurodac (fichier contenant les empreintes digitales des demandeurs d’asile et des migrants arrêtés à la frontière extérieure de l’Union européenne) et Frontex n’ont été respectivement crées que 8 et 9 ans après l’entrée en vigueur de Schengen, et que les systèmes d’information européens Etias et EES ne sont toujours pas réalisés après une adoption en 2017.
La directive Retour de 2008, qui a par ailleurs dépénalisé le séjour irrégulier, n’apparait plus en cohérence avec le code frontières Schengen sur le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures. Il est souhaitable qu’en cas de rétablissement des contrôles aux frontières intérieure, les conditions de mise en œuvre soient certes plus limitées tout en permettant aux États de réaliser des contrôles dans les mêmes formes qu’aux frontières extérieures. Les accords de Dublin avec les remises entre États membres de personnes en demande d’asile ont démontré une efficacité très limitée malgré les efforts consentis par les administrations : ce système a vécu et doit être réformé. Les évaluations Schengen doivent être plus contraignantes encore avec des sanctions pour les États défaillants.
Schengen est pour autant un formidable outil de coopération avec des bases de données telles que le SIS, la coopération frontalière, le mandat d’arrêt européen, etc.
À mon sens, le premier axe d’amélioration est une réflexion globale et cohérente de tous les aspects du franchissement des frontières extérieures, de l’immigration irrégulière et de l’asile, comme le prévoit en partie le pacte européen sur l’immigration et l’asile : la question des frontières maritimes, les droits des migrants, la coopération avec les pays tiers, l’asile , le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures, la politique de retour, les systèmes d’informations et les bases de données communes.
Le deuxième axe pour notre avenir commun est l’harmonisation des législations et des pratiques nationales sur le séjour, l’asile et le retour. Nos différences notamment sur l’asile et le retour créent nos faiblesses. Bien sûr, cela touche un peu à la souveraineté des États membres, mais l’existence de flux secondaires importants nuit à la crédibilité de Schengen.
Le temps presse : les crises succèdent aux crises, le scepticisme et l’attentisme doivent laisser place à l’action commune et à l’efficacité. On ne pourra pas rééditer l’échec de 2015 sans remettre en cause les bases de Schengen, voire son existence même. Nous sommes au « milieu du gué », avec la nécessité de « jouer collectif » ou de perdre.
Vous décrivez la situation démographique que connaît l’Union européenne depuis 1975 comme un « hiver démographique ». C’est un état où le taux de fécondité est inférieur à 2,1 enfants par femme, limite de remplacement en termes de reproduction quantitative durable de la population. Quelles sont les principales causes de cette situation ?
Gérard-François DUMONT
J’ai effectivement proposé d’appeler « hiver démographique » la situation d’une population ayant « une fécondité nettement et durablement en dessous du seuil de remplacement des générations ». Au-delà des diverses théories sur la fécondité, il faut considérer la révolution qu’a connue la fécondité depuis les années 1960, avec l’introduction d’une contraception moderne parfaitement efficace, qui a modifié profondément le régime de la fécondité1.
Avant les années 1960, partout, la venue des naissances avait un caractère plus ou moins aléatoire : aux nouveau-nés désirés au moment de leur naissance s’ajoutaient ceux résultant de l’absence de contraception ou d’une contraception traditionnelle à efficacité limitée (abstinence, coït interrompu, méthode Ogino, préservatif). Comme le disait Alfred Sauvy, ces deux types d’arrivées de nouveau-nés étaient également aimés et éduqués, sans qu’il fût possible de faire la différence.
La nouvelle contraception médicalisée (pilule, dispositif intra-utérin, stérilisation), permet la maîtrise de la fécondité et du calendrier des naissances, séparant la sexualité de la procréation. En cas de mauvaise utilisation de la contraception moderne, le recours à un avortement médicalisé est généralement devenu possible, tant dans les pays où il a été légalisé, selon un calendrier propre à chacun, que dans ceux où sa pratique apparaît généralement possible.
Ainsi, le nombre d’enfants qui naissent aujourd’hui correspond essentiellement à ceux dont la venue est considérée comme pouvant être programmée au nom d’une certaine rationalité, à l’exclusion de l’ensemble des enfants qui sont, selon les enquêtes, idéalement désirés. Le choix du nombre d’enfants et celui des dates de naissance relèvent de décisions individuelles, de la décision des couples, et non plus uniquement d’un certain aléa.
Parallèlement à la révolution contraceptive, et indépendamment des opinions sur la taille idéale des familles, d’autres facteurs objectifs ont contribué à une baisse de la fécondité : durée accrue de la scolarisation, et plus particulièrement de la scolarisation féminine ; retard de l’âge au mariage et à la maternité ; distanciation entre lieux des activités familiales et lieu des activités professionnelles… sans oublier les insuffisances de politique familiale.
Quelles sont les conséquences de « l’hiver démographique » pour les Etats membres de l’UE ?
Gérard-François DUMONT
L’hiver démographique signifie d’abord une moindre volonté d’accueil de la vie et reflète un certain individualisme qui contribue à une moindre solidarité, à commencer par la plus essentielle, la solidarité entre les générations. En outre, les conséquences de « l’hiver démographique » sont extrêmement nombreuses, de nature économique, sociale ou géopolitique. Comme la population active baisse dans plusieurs pays européens, les potentialités de création de richesses sont moindres et le financement de la protection sociale se complique. Certains disent qu’il suffit d’accueillir davantage d’immigrés ; mais cette solution est égoïste et soulève des difficultés. Elle est égoïste puisqu’elle revient à ponctionner les ressources humaines de pays du Sud qui en ont besoin pour leur propre développement. Elle soulève des difficultés car se posent des problèmes d’intégration et des risques d’insécurité comme le montre l’exemple de la France. D’un point de vue géopolitique, l’Union européenne voit son poids relatif dans le monde diminuer, ce qui est dommageable au titre de la loi géopolitique du nombre2.
Les institutions européennes s’intéressent-elles à juste titre aux politiques familiales ou leur préférence est-elle donnée à la migration comme remède à la crise actuelle de dépopulation européenne ?
Gérard-François DUMONT
Il suffit de lire les communications de la Commission européenne pour avoir la réponse à votre question. Sauf exception, les institutions européennes se désintéressent de la politique familiale. Pourtant, cette dernière devrait par exemple être considérée dans les normes européennes comme un investissement dans le capital humain. En revanche, nombre de textes européens considèrent que la réponse à l’hiver démographique est dans l’immigration. La Cour de justice de l’Union européenne, qui siège à Luxembourg, et la Cour européenne des droits de l’homme, qui siège à Strasbourg, interprètent assez souvent les textes en faveur de l’immigration et même de l’immigration illégale.
Quels sont les effets des politiques familiales sur le taux de fécondité ?
Gérard-François DUMONT
La réalité de nos sociétés européennes est la suivante. D’un côté, dans de nombreux pays, les femmes qui ne souhaitent pas avoir d’enfant sont prises en charge par le système de protection sociale qui remboursent les coûts de la contraception ou de l’avortement. Il serait donc logique, pour donner le libre choix entre ne pas avoir d’enfant ou avoir un enfant, qu’une politique familiale ambitieuse soit mise en œuvre. Or la politique familiale est comme les autres politiques (économique, sociale…) des pouvoirs publics : elle a des conséquences sur les comportements des citoyens. Effectivement, toutes les études montrent que les politiques familiales ont des effets sur la fécondité, des effets négatifs lorsque ces politiques sont largement insuffisantes, des effets positifs lorsque ces politiques sont assez bien déployées.
Existe-t-il une politique familiale idéale ou est-ce fondamentalement une question de contexte ?
Gérard-François DUMONT
Une politique familiale idéale doit d’abord donner aux familles le libre choix du nombre de leurs enfants, grâce à des mesures concernant le logement, des compensations financières, de l’égalité en termes d’impôts, des mesures permettant de concilier vie familiale et vie professionnelle… Pour être bien adaptées aux réalités et aux spécificités de la population, il importe que ces mesures soient pour certaines déployées par l’État de façon égale pour tous les habitants du pays, d’autres adaptées aux spécificités locales grâce à l’intervention des communes ou des départements.
Quel est le rôle de l’Etat (et des autres niveaux sociétaux) dans le soutien à la stabilité démographique ?
Gérard-François DUMONT
L’État doit non seulement mettre en œuvre des moyens de politique familiale adaptés à sa population, mais il doit aussi mettre en place des mécanismes qui permettent à cette politique de perdurer. Il est essentiel que les couples, qui auront à élever leurs enfants pendant deux décennies, sachent que la politique familiale s’inscrit dans la durée, qu’elle est pérenne, donc qu’elle ne sera pas remise en cause chaque année.
Quelles autres questions devraient être prises en compte lors de la conception et de la mise en œuvre de toute politique familiale adéquate ?
Gérard-François DUMONT
En réalité, la politique famille est transversale : elle doit donc être prise en compte dans l’ensemble des autres politiques. Par exemple, la politique éducative doit prendre en considération des aspects touchant à la politique familiale. De même, il est essentiel d’avoir une politique d’aménagement du territoire en harmonie avec la politique familiale.
A quoi devraient ressembler les politiques familiales au niveau de l’UE ?
Gérard-François DUMONT
En respect du principe de subsidiarité et des situations démographiques contrastées selon les pays et les régions de l’Union européenne, il est logique que la politique familiale relève des États et non du niveau de l’Union européenne. Toutefois, dans ses différentes décisions, l’UE devrait considérer la dimension familiale, ce qui est largement oublié aujourd’hui.
L’hiver démographique est-il pris au sérieux par les universitaires français ? Comment abordent-ils généralement ce problème ?
Gérard-François DUMONT
En France, comme ailleurs, il y a deux attitudes que l’on rencontre. Une partie des chercheurs refusent de voir la réalité de l’hiver démographique ; ils réalisent alors des études pleines de contorsions afin de conclure implicitement que « tout va très bien, Madame la marquise » ou des études non essentielles. Cette attitude est souvent encouragée par les gouvernements qui préfèrent, eux aussi, cacher les vrais problèmes pour ne pas être accusés de ne pas chercher à les résoudre. Et donc les gouvernements français accordent d’importants financements à ce type de chercheurs. Heureusement il y a d’autres chercheurs, comme ceux qui contribuent aux revues Population & Avenir3 et Les analyses de Population & Avenir4, qui privilégient l’approche scientifique et analysent objectivement les évolutions démographiques.
Y a-t-il une chance pour un printemps démographique dans l’Europe du futur ? Si c’est le cas, comment ?
Gérard-François DUMONT
Gérard-François DUMONT. Bien entendu, il n’y a jamais de fatalité. En conséquence, l’Europe pourrait connaître un printemps démographique si elle décidait d’aller dans ce sens. En effet, le nombre idéal d’enfants souhaité par les Européens est largement supérieur à la fécondité constatée. La politique familiale doit donc permettre ce libre choix vers le nombre idéal d’enfants. Cela suppose en priorité d’arrêter de se référer à des raisonnements malthusiens défavorables à l’accueil des enfants.
L’entretien original, en langue slovaque, est disponible ici.
Les questions démographiques occupent désormais largement le débat public : celles-ci sont néanmoins souvent réduites à la question migratoire ainsi qu’à la description des phénomènes. Pour ces raisons, l’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID) a décidé de mettre l’accent sur un autre volet des évolutions démographiques, à savoir les naissances et la famille, et de s’intéresser non seulement aux phénomènes mais aussi aux politiques publiques qui y sont relatives : les politiques familiales.
Peu abordées dans le débat public, les questions relatives aux naissances et aux politiques familiales le sont parfois d’ailleurs avec méconnaissance et font l’objet de fantasmes et d’erreurs d’analyse.
Comment évoluent les naissances en Europe et en France ? La politique familiale française est-elle née sous le régime de Vichy ou sous le Front populaire ? Peut-on considérer qu’il s’agit d’une politique sans effet et inefficace ? Autant de questions auxquelles Gérard-François DUMONT, démographe internationalement reconnu, président de l’association Population & Avenir et membre du comité d’honneur de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, nous a fait le plaisir et l’honneur de répondre.
Dans un précédent entretien, nous avons évoqué « l’hiver démographique » dans lequel est entrée l’Union européenne. Quelles sont les causes de cette baisse structurelle de la fécondité des femmes en Europe ?
Gérard-François DUMONT
Il convient d’abord de préciser que la baisse de la fécondité en Europe, en considérant la moyenne des pays, s’est accentuée au milieu des années 1970, faisant entrer l’Europe dans ce que j’ai dénommé un « hiver démographique », soit une fécondité devenue durablement inférieure au seuil de remplacement des générations (2,1 enfants par femme dans les pays à haut état sanitaire). Cette évolution signifiant une fécondité abaissée déjuge la présentation trop fréquente de la transition démographique. Rappelons que cette dernière correspond à une période historique pendant laquelle le régime démographique d’une population passe de hauts taux de mortalité et de natalité à des bas taux sous l’effet des progrès (sanitaires, hygiéniques…) ayant permis l’augmentation de l’espérance de vie.
Or, la présentation courante, par exemple très présente dans les livres scolaires, de la transition démographique conduit à laisser penser1 que lorsqu’elle est terminée, la population entame un régime démographique naturel stable, caractérisée par des niveaux semblables dans les taux de mortalité et de natalité, la stabilité de ce denier étant dans une certaine mesure corrélée avec une fécondité qui resterait donc au niveau du seuil de remplacement des générations. Cette stabilité fréquemment dessinée dans des figures de la transition démographique est pourtant écartée par Adolphe Landry, l’un des premiers à avoir mis en évidence, dès 1934, le mécanisme de qui n’est pas encore désigné sous ce terme de « transition démographique »2.
Or, contrairement à cette présentation courante, pour les pays qui, comme ceux d’Europe, ont fini leur transition démographique, les évolutions du taux de natalité et de la fécondité sont très contrastées. Effectivement, notamment selon la façon dont se combinent le mouvement naturel et le mouvement migratoire, plusieurs types de régime démographique peuvent être distingués3. Tous les pays européens sont toutefois concernés par une « révolution de la fécondité »4, même si son calendrier et sa déclinaison ont pu varier selon les pays.
Cette révolution, touchant différents pays et, plus précisément, différentes régions – par exemple les villes avant les campagnes – au fur et à mesure de sa diffusion, tient à l’introduction d’une contraception moderne parfaitement efficace, qui a modifié profondément le régime de la fécondité. Avant les années 1960, partout, la venue des naissances avait un caractère plus ou moins aléatoire : aux nouveau-nés désirés au moment de leur naissance s’ajoutaient ceux résultant de l’absence de contraception ou d’une contraception traditionnelle à efficacité limitée (abstinence, coït interrompu, méthode Ogino, préservatif). Comme le disait Alfred Sauvy, les uns et les autres étaient également éduqués, sans qu’il fût possible de faire la différence.
La nouvelle contraception médicalisée (pilule, dispositif intra-utérin, stérilisation), dont l’utilisation s’est diffusée dans les pays des Nords, permet la maîtrise de la fécondité et du calendrier des naissances, séparant la sexualité de la procréation. En cas de mauvaise utilisation de la contraception moderne, le recours à un avortement médicalisé est généralement devenu possible, tant dans les pays où il a été légalisé, selon un calendrier propre à chacun, que dans ceux où sa pratique apparaît généralement possible. Ainsi, la contraception médicalisée est une véritable révolution qui a inversé le processus de décision des couples. Avant, ils essayaient d’éviter une grossesse, alors que maintenant ils doivent d’abord prendre la décision d’avoir un enfant et d’arrêter la contraception.
Ainsi, le nombre d’enfants qui naissent aujourd’hui correspond essentiellement à ceux dont la venue est considérée comme pouvant être programmée. Le choix du nombre d’enfants et celui des dates de naissance relèvent de décisions individuelles, de la décision des couples, et non plus uniquement d’un certain aléa.
La « révolution de la fécondité » s’inscrit aussi dans un contexte d’évolutions sociologiques, éclairées par une réflexion et plusieurs constats. Selon l’historien Philippe Ariès5 [1980], souvent cité dans le monde anglo-saxon, la baisse de la fécondité a été « déchaînée par un énorme investissement sentimental et financier chez l’enfant ».
Parallèlement à la révolution contraceptive, et indépendamment des opinions sur la taille idéale des familles, d’autres facteurs objectifs ont contribué à une baisse de la fécondité. Dans les pays des Nords, la durée de la scolarisation, et plus particulièrement de la scolarisation féminine, a augmenté. La proportion de femmes poursuivant des études dans l’enseignement supérieur s’est accrue. Il en a logiquement résulté – ceteris paribus – un retard de l’âge au mariage et à la maternité : le calendrier des naissances s’est trouvé modifié6. En effet, ce calendrier prend en compte désormais les nouvelles données du cycle de vie des femmes. Des naissances souhaitées sont retardées dans l’attente de l’obtention d’un diplôme, de la réussite à un concours, d’une embauche ou d’une promotion. En outre, en dépit de l’augmentation, dans certains pays, des naissances hors mariage, le retard de l’âge du mariage se traduit par un retard de l’âge à la première naissance. L’âge élevé à la première naissance se répercute sur l’âge des autres naissances éventuelles. Le résultat final est un nouveau calendrier des naissances dans le cycle de vie : nettement moins d’enfants pour les femmes âgées de moins de 25 ans, une concentration des naissances dans la période 25-34 ans et une augmentation des naissances dans la période 35-49 ans. Mais cette augmentation ne compense pas la diminution du nombre des naissances aux âges jeunes. Il faut ajouter l’élévation de la proportion de femmes n’ayant jamais d’enfant, parfois explicable par l’évolution de mentalités adhérant à des principes malthusiens diffusant une peur de l’avenir.
En conséquence, cela a influencé à la baisse le nombre des enfants susceptibles de naître, puisque les données biologiques, qui montrent que l’infertilité augmente avec l’âge, limitant l’âge de la fécondité des femmes, ainsi que celle des hommes, demeurent pratiquement identiques.
Quant à l’activité économique des femmes, elle a existé de tout temps, et même beaucoup plus qu’on ne pense7, mais, dans une économie à dominante rurale et agricole, la femme exerçait sur les mêmes lieux des activités familiales et professionnelles, parfois même lorsqu’il s’agissait d’activités industrielles. Dans l’économie à dominante industrielle puis de services, l’activité professionnelle, en dépit d’un certain développement du télétravail, s’exerce le plus souvent à l’extérieur du foyer et exige dans de nombreux métiers des déplacements professionnels fréquents.
Parvenir à concilier de légitimes désirs de réalisation et de promotion professionnelles et la fondation d’une famille pose des problèmes complexes, d’autant que la société place la première exigence au même âge que celui où la biologie a instauré la seconde.
Ainsi, dans tous les pays, le niveau de fécondité constaté à un moment donné, et a fortiori son évolution, est plurifactoriel. Il dépend aussi des politiques publiques.
Dans l’une de vos analyses, consacrée à la population de l’Union européenne, vous dites que « tout État a une politique familiale, qu’elle soit implicite ou explicite, et l’ensemble des décisions politiques produit inévitablement des effets sur les familles. » Comment définiriez-vous alors la politique familiale, qui semble englober de nombreux champs de politiques publiques ?
Gérard-François DUMONT
La question de la définition de la politique familiale est simple puisqu’elle s’inscrit sur des principes de liberté et de solidarité. La politique familiale doit accompagner les familles pour leur donner le libre choix de leur nombre d’enfants. Parallèlement, elle a pour fonction de faciliter la solidarité entre les générations. Elle assure l’équité horizontale entre les familles. La politique familiale prend en compte le fait qu’en vertu des cycles de vie, des familles exercent des tâches particulières à certaines périodes en fonction de leur composition et moins de tâches d’éducation à d’autres périodes. La politique familiale consiste à compenser dans le temps les tâches qu’ont les familles en fonction du nombre d’enfants dont elles ont la charge d’éducation selon les périodes. En troisième lieu, la politique familiale doit être récurrente, permanente, car elle doit accompagner au fil des années les familles dans leurs missions d’éducation ; elle ne peut que s’inscrire dans la durée.
D’un point de vue économique, la politique familiale a pour objet de permettre aux familles d’assumer leur investissement en ressources humaines, ce qui passe par des décisions facilitant la conciliation entre vie professionnelle, vie associative et vie familiale.
Au-delà de cet aspect économique, la politique familiale vise plusieurs finalités : en reconnaissant la mission que les parents exercent, donner à la famille un plus grand sens des responsabilités ; faire échec aux maladies sociales (violence, drogue…) ; favoriser générosité, esprit d’accueil à la vie à l’opposé de l’individualisme et de l’égoïsme ; éviter le recours à l’assistanat public qui est en soi un constat d’échec…
La politique familiale a-t-elle des effets sur la fécondité ? Évidemment, dans la mesure où elle module la liberté de choix du nombre d’enfants en améliorant cette liberté ou en la restreignant. Mais c’est une politique indirecte, qui n’agit sur la fécondité, à la hausse ou à la baisse, qu’en fonction du ressenti des populations sur cette politique.
La politique familiale n’est pas une politique nataliste ; cette dernière est en effet une politique directe, qui affiche sans détour l’objectif quantitatif d’une hausse des naissances en déployant des mesures dans ce sens, et même parfois des mesures qui s’avèrent contraignantes : par exemple, tel pays – cela a été le cas dans le Roumanie de Ceausescu – interdit subitement l’avortement pour obliger des femmes à aller jusqu’au terme de leur grossesse ; tel autre pays, considérant que le rôle unique des femmes est d’avoir des enfants et de les élever8, fixe des règles qui découragent le travail féminin ; tel autre pays – songeons à la Chine – supprime les freins qu’il avait mis pendant plusieurs décennies à un strict contrôle des naissances en escomptant que cela se traduise par une augmentation de ces dernières…
Le problème qui se pose notamment en France, et plus généralement en Europe, tient à une confusion entre politique sociale et politique familiale. En effet, le champ de la politique sociale relève de l’entraide envers des personnes qui se trouvent à un moment donné en difficulté. C’est une politique de redistribution de nature verticale entre des personnes en difficulté et les autres. La politique sociale doit s’occuper de personnes dont les ressources s’avèrent, suite aux circonstances de la vie, faibles, insuffisantes, voire nulles. Elle intervient pour que ceux qui viennent de rencontrer une difficulté particulière, puissent, grâce à l’aide qu’ils reçoivent, retrouver une situation normale.
La politique sociale se distingue donc totalement de la politique familiale par quatre spécificités. D’abord, comme précisé ci-dessous dans sa définition, elle s’inscrit dans une logique dite verticale où ceux qui se trouvent, à un moment donné, traverser des difficultés sociales, doivent être aidé. Une action de politique sociale se voit déclenchée par un événement fondateur dommageable qui vient perturber la vie courante d’une personne ou d’une famille : un chômage subi, un handicap apparu à la naissance ou éventuellement à la suite d’un accident ; le déclenchement d’une longue maladie ; des enfants qui se retrouvent orphelins ; un surendettement ; la survenue d’une incapacité ; une dépression ; une famille qui ne parvient plus à assumer ses tâches d’éducation ; revenus insuffisants pour répondre à des besoins élémentaires ; violences subies ; abandon d’un conjoint ; accidents ; perte d’autonomie…
En deuxième lieu, alors que la politique familiale, par définition, doit s’inscrire dans une logique pérenne, la politique sociale escompte, par définition, être temporaire. Elle est là pour sortir d’une mauvaise passe une personne en difficulté, pour lui trouver les moyens de s’adapter aux inconvénients d’une situation9, pour ensuite se retirer, autant que possible. Son objectif est d’aider une famille ou une personne à revenir à une situation où elle n’aura plus besoin de recourir à l’action sociale. L’idéal, même s’il paraît impossible à atteindre totalement, serait qu’il n’y ait plus de politique sociale, plus de déboires la nécessitant. Certes, certains pourraient penser que la politique familiale n’a à intervenir que lorsqu’il y a présence d’enfants. Mais, en réalité, ses modalités peuvent influencer les décisions de fécondité bien avant qu’elles ne surviennent. Et, lorsqu’il n’y a plus d’enfants à charge, les réglementations favorisant ou défavorisant les échanges intergénérationnels, par exemple en matière financière, ou prenant en compte la fait que les personnes qui ont investi dans le capital humain se retrouvent moins pourvues au moment de la retraite, relèvent de la politique familiale.
Troisième différence entre la politique familiale et la politique sociale, leurs champs d’application diffèrent. La politique familiale a une portée générale concernant l’ensemble des générations, la politique sociale est limitée par définition à certaines personnes au moment où elles subissent des difficultés particulières ; elle a une visée individuelle ou catégorielle.
Il en résulte une quatrième spécificité. Parce que la politique sociale s’applique à une personne, une famille ou une catégorie définie, il devrait être possible d’en dresser le bilan : la bénéficiaire du RSA qui s’est ou non réinséré dans une vie professionnelle normale ; le chômeur de longue durée qui a pu retrouver un travail ; le handicapé qui a pu s’insérer dans la société ; la personne âgée aux faibles ressources souffrant d’incapacité qui peut continuer de vivre à son domicile grâce à des aménagements du logement ou certains services ; la famille d’un enfant qu’il a fallu accueillir à l’aide sociale qui retrouve son équilibre et donc son autorité parentale… Au total, il serait possible de dresser un bilan annuel de la politique sociale puisque chaque année, des observations sont possibles.
À l’inverse, le résultat de la mesure de la politique familiale est plus complexe car il s’agit d’une politique indirecte. Il faudrait considérer une mesure des tâches d’éducation qui conduit à des enfants équilibrés ; l’exercice de solidarités familiales qui s’exercent naturellement, évitant toute nécessité d’aide sociale ; l’accompagnement des parents à leurs enfants qui se traduit par des résultats scolaires satisfaisants… Mais tout cela ne peut relever que d’une analyse longitudinale, donc d’un long suivi complexe. Toutefois, une mesure globale, mais à la signification limitée, est possible en comparant, à un moment donné, la différence entre la fécondité et nombre idéal d’enfants souhaités.
Ainsi, la politique familiale concerne l’ensemble des modalités mises en œuvre pour assurer le libre choix des familles dans l’accueil des enfants et la solidarité entre les générations. C’est une politique qui se déploie a priori, en amont pour assurer la justice au sein de la société. La politique familiale a donc un caractère préventif. Car, lorsque des familles sont bien accompagnées par cette politique, leur risque de rencontrer des difficultés qu’elles ne peuvent surmonter elles-mêmes par l’exercice de la solidarité familiale et les contraignant donc à faire appel à la politique sociale est moindre.
La politique familiale n’est donc pas la politique des familles connaissant des difficultés sociales ; cette dernière ressort de la politique sociale, c’est-à-dire de la mise en œuvre de moyens permettant d’aider les personnes à échapper aux difficultés qu’elles subissent à la suite d’un événement non souhaité. La politique sociale intervient a posteriori, suite à une difficulté rencontrée ; elle se veut curative, souhaitant épauler une personne en difficulté pour lui permettre de surmonter et dépasser les raisons de ses difficultés. L’intervention de la politique sociale a pour vocation de cesser lorsque la difficulté est surmontée. En revanche, la politique familiale est une politique permanente devant assurer la justice et la liberté des familles. Confondre la politique familiale avec la politique sociale, c’est se condamner à ne trouver des solutions satisfaisantes ni pour l’une, ni pour l’autre.
En France, dans le débat public, la politique familiale semble être mise de côté et a parfois mauvaise presse. Est-ce pour des raisons historiques ?
Gérard-François DUMONT
L’histoire de la politique familiale de la France est, pendant des décennies, exceptionnelle. Elle est en effet transpartisane tant dans sa dimension nationale qu’aux échelles infranationales. À l’échelle nationale, cette politique est à l’origine déployée par ce qu’on appellerait la société civile avec des entreprises qui créent des caisses de compensation, tous les salariés cotisants au profit de ceux qui élèvent des enfants. Le caractère juste de ces initiatives d’une politique familiale portée par des entreprises privées est tellement reconnu que l’État prend progressivement le relais à compter des années 1930, la politique familiale devenant une politique publique. En 1932 (loi du 11 mars 1932), il généralise le modèle des caisses de compensation pour l’ensemble des salariés de l’industrie du commerce et des professions libérales, mais il faudra vingt-trois décrets et plusieurs années pour concrétiser le droit aux allocations familiales dans toutes les branches professionnelles.
Puis, pour la première fois, un décret-loi du 12 novembre 1938 introduit des allocations familiales distinctes du salaire, versées quel que soit le revenu des parents, avec un montant progressif en fonction de la taille de la famille. Cette décision de financer les allocations familiales par un prélèvement sur les revenus professionnels est prise sur l’instigation d’Alfred Sauvy, après une dure lutte contre le ministère des finances. Il s’agit, et le gouvernement y parvient par ce décret-loi, d’asseoir la politique familiale sur l’évolution économique et de ne pas la condamner à des risques de précarité, ce qui aurait été probablement le cas si on l’avait laissé dépendante des votes annuels des lois de finances par le Parlement.
Ensuite, dans le décret-loi du 29 juillet 1939, dit Code de la famille, les mesures prises dans les années 1930 sont rassemblées et ordonnées. Ce Code de la famille résulte donc d’un gouvernement soutenu par la chambre des députés élue en 1936 avec une majorité Front populaire. Puis la politique familiale codifiée, instaurée à la fin de la IIIe République, est déployée continûment par l’État français sous le maréchal Pétain, par la IVe République du gouvernement du général de Gaulle10 et des gouvernements successifs. En 1945 (loi finances du 31 décembre 1945), une importante innovation en matière fiscale est décidée avec l’instauration du quotient familial, votée à l’unanimité des deux chambres, qui traduit dans les faits l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui veut que la « contribution commune » soit « également répartie entre les citoyens en raison de leurs facultés » (article 13)11. « En raison », au sens historique et mathématique, veut dire en proportion. Alors que les allocations familiales consistent à répartir une fraction du revenu de chacun entre ceux qui ont des enfants à charge et ceux qui n’en ont pas, le quotient familial, selon les termes de Pierre Laroque, qui en fut le maître d’œuvre, a pour objet de « rendre l’impôt sur le revenu aussi neutre que possible par rapport aux capacités de consommation des familles, suivant leurs charges inégales »12. Cette neutralité est obtenue en tenant compte dans le calcul de l’impôt des ménages du nombre d’enfants à charge. Alors que chacun des parents compte pour une part, les enfants comptent pour une fraction de part, tenant compte de leur part dans les dépenses du foyer.
Alfred Sauvy a notamment présenté une description explicite de la logique qui préside au quotient familial : « La progressivité du taux se justifie parce que le superflu peut, par définition même, être réduit dans une proportion plus forte que le nécessaire… Un célibataire qui gagne 150 000 F par an a un niveau de vie supérieur à un père de 4 enfants ayant le même revenu. Les imposer également serait frapper également la partie de plaisir du premier et la viande, voir le pain du second. »13
Sous la Ve république, jusqu’aux années 1980, les principes de cette politique demeurent globalement respectés. Toutefois, leur mise en œuvre s’avère imparfaite à l’exemple de gouvernements ayant eu tendance à disposer des ressources de la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) pour contribuer au financement des caisses d’assurances maladie et de retraite, dérogeant ainsi aux ordonnances de 1967 sur l’autonomie des caisses. Cela s’explique notamment par le fait que les familles disposent de moyens insuffisants pour se faire entendre, sachant par exemple qu’il leur serait difficile de faire grève.
Puis, dans les années 1990, les principes sont remis en cause dans les programmes politiques de droite et de gauche notamment avec le projet de supprimer l’universalité des allocations familiales14. Le 1er janvier 1998, le Premier ministre socialiste Lionel Jospin finit par concrétiser ce projet. Mais des partenaires de la gauche plurielle, notamment le Parti communiste, considérant que c’est la remise en cause d’un aspect fondamental du contrat social entre les Français, se mobilisent contre cette mesure. Et Lionel Jospin décide de l’annuler au bout de 9 mois – durée symbolique – le 30 septembre 1998. Cette annulation est importante parce qu’il en résulte que l’idée de supprimer l’universalité des allocations familiales est écartée des programmes des partis politiques, de gauche comme de droite.
À l’échelle des collectivités territoriales, le caractère transpartisan de la politique familiale est également net pendant des décennies. En effet, les communes participent de la politique familiale par de nombreux leviers : organisation des modes d’accueil de la petite enfance, politiques de logement permettant l’installation de jeunes familles ; abattements possibles à la taxe d’habitation lorsque celle-ci existait ; investissements scolaires…
Or, même si des différences peuvent être distinguées dans les politiques familiales des communes, il apparaît surtout une forte continuité. Lorsqu’une municipalité de droite se trouve remplacée par une municipalité de gauche ou l’inverse, la politique famille de la commune n’est généralement pas remise en cause, ce qui témoigne d’une forte adhésion au fait que la commune, au nom du bien commun, doit faciliter la vie des familles.
En dépit de son caractère transpartisan, il est vrai que la politique familiale a fait l’objet de nombreuses critiques pour deux raisons. D’une part, nombre de projets et même certaines décisions relèvent de l’idée selon laquelle on pourrait supprimer la politique familiale, et donc ses budgets, pour n’avoir qu’une politique sociale. Cela signifie notamment ne pas comprendre la différence entre la solidarité horizontale, intergénérationnelle et la solidarité verticale, entre le préventif et le curatif. D’autre part, le patronat n’a pas mis directement en cause la politique familiale, mais périodiquement demandé la suppression des cotisations allant à la Caisse nationale d’allocations familiales, ce qui engendrerait des incertitudes annuelles sur son financement. En outre, alors que les enfants sont les futurs apporteurs de financement aux retraites quel que soit le système, répartition ou capitalisation15, les majorations de retraite pour les enfants élevés ont été contestées, parfois rabotées, voire supprimées. Enfin, la montée d’idéologies malthusiennes16, considérant toute naissance d’un enfant comme un malheur pour l’humanité, a influencé et influence des décisions consistant à fortement raboter la politique familiale. Or, il est incontestable que ces idéologies malthusiennes sont largement relayées par des organisations internationales et dans les médias.
Pour surmonter les défis démographiques actuels et à venir (vieillissement de la population, baisse de la fécondité…), la plupart des personnalités politiques françaises et certaines institutions – par exemple la Commission européenne – n’orientent le débat et les propositions qu’autour de l’immigration, étant entendu que les politiques familiales et/ou natalistes seraient inefficaces ? Que nous enseignent l’histoire et les expériences d’autres pays ?
Gérard-François DUMONT
Effectivement, il faut insister sur ce qui est souvent nié. Toute politique exerce des effets. Personne n’en doute pour la politique économique, pour la politique monétaire, pour la politique énergétique ou pour la politique étrangère… Mais bizarrement, certains considèrent que la politique familiale pourrait être sans effet, donc neutre. Cette antienne est encore reprise dans la note d’HSBC de fin août 2022 sur les projections démographiques de la population dans le monde.
La réalité est évidemment contraire. L’histoire livre par exemple le cas de la Sarre. Après la Seconde Guerre mondiale, ce territoire, qui est sous souveraineté française, bénéficie de sa politique familiale et aligne sa fécondité sur celle de la France. Puis, après son rattachement à l’Allemagne en 1955, la Sarre perd la politique familiale française et voit sa fécondité s’abaisser au niveau de l’Allemagne. Concernant la France et d’autres pays, les effets sur la natalité de la politique familiale ont été clairement démontrés17. Ainsi, le renouveau démographique d’après-guerre a été beaucoup plus intense en France que dans les autres pays européens sous l’effet d’une politique familiale dans la lignée des décrets-lois de 1939, prolongés ensuite par les différents gouvernements de façon transpolitique. D’autres recherches ont montré que « les politiques familiales ont un impact positif et significatif sur la fécondité »18
Nous avons, par exemple, à plusieurs reprises montré une corrélation globalement incontestable entre les politiques familiales dans les pays européens et leur niveau de fécondité19 même si la politique familiale n’agit qu’indirectement, puisque d’autres facteurs, notamment culturels, interviennent.
Les pays où la part des budgets famille-enfants dans le PIB est la moins élevée ont aussi la fécondité la plus basse, et ceux dont des budgets sont nettement plus satisfaisants pour les familles ont les fécondités les plus élevées. Toutefois, la corrélation n’est pas parfaite et deux pays qui s’en écartent méritent un commentaire.
L’Allemagne a des budgets de prestations familiales supérieurs à la moyenne de l’UE, mais une fécondité inférieure. Ses choix budgétaires, comme les allocations familiales dès le premier enfant, ne semblent pas optimisés. D’autres éléments, de nature culturelle, comme la faible acceptation de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale des mères, concourent à une fécondité affaiblie. Même si les mentalités évoluent en Allemagne, ce pays reste attaché à l’idée selon laquelle une femme doit se consacrer exclusivement à l’éducation de son enfant dans les premières années et ne pas reprendre une activité professionnelle ; sinon elle est traitée de Rabenmutter (mère-corbeau qui délaisse son petit). L’Allemagne est sans doute une illustration de l’analyse suivante : « Les politiques familiales ne peuvent réussir que si elles sont conçues pour prendre en compte les caractéristiques de la société dans laquelle elles sont mises en œuvre »21.
Trois pays (Irlande, Lettonie et Lituanie) ont une fécondité supérieure à la moyenne de l’Union en dépit d’un budget de prestations familiales inférieur à la moyenne22. L’Irlande, pays où la foi catholique demeure importante, enregistre depuis plusieurs décennies une des fécondités les plus élevées d’Europe. Comme si ce pays, dans son inconscient collectif, ne voulait pas revivre l’hémorragie démographique, due à la forte émigration qu’il a connue au milieu du XIXe siècle et d’où il résulte que son nombre d’habitants au XXIe siècle est encore inférieur à celui de 184023. Les explications manquent pour la Lettonie et le Lituanie, mais les années précédentes ont montré que les estimations de la fécondité dans ces deux pays sont parfois imparfaites.
Au total, les budgets des prestations familiales ne sont pas neutres, puisqu’ils concourent à expliquer les niveaux de fécondité différenciés des pays européens.
En outre, nous avons notamment analysé un demi-siècle d’évolution de la politique famille de la France24. Le résultat est incontestable : les années où des mesures positives sont prises en matière de politique familiale, la fécondité remonte car les populations ont le sentiment qu’elles seront mieux accompagnées dans leur souhait d’agrandir leur famille ; les années où des mesures de rabotage de la politique familiale sont prises, la confiance dans la pérennité de cette politique s’érode et la fécondité s’oriente à la baisse.
Un regard trop rapide sur la figure 2 pourrait laisser penser que la fécondité de la France se caractérise par des évolutions erratiques. En réalité, chaque modification de la fécondité (baisse ou hausse) depuis 1974 a été consécutive à des changements positifs ou négatifs de politique familiale26.
Ce qui précède montre clairement les effets des politiques familiales sur les comportements de fécondité. C’est pourquoi j’ai pu annoncer dès 2015 que l’importante remise en cause des principes de la politique familiale française, décidée au cours des années 2010, allait engendrer une baisse la fécondité.27
Comment ont évolué les politiques familiales en France sur la période récente ? Peut-on parler de détricotage ? Cette évolution peut-elle contribuer à expliquer l’évolution des naissances ?
Gérard-François DUMONT
Depuis les années 2010, la panoplie de la remise en cause de la politique familiale a en effet été générale, avec une incontestable remise en cause des principes de la politique familiale de la France. Ainsi, en 2014, le gouvernement de François Hollande a fait voter par le Parlement la suppression de l’universalité des allocations familiales, abaissant la politique familiale à une simple logique de politique sociale, alors que ces deux politiques sont de nature différente. Toujours dans les années 2010, d’autres décisions ont été prises avec pour effet de raboter la politique familiale : diminution du complément du mode de garde (CMG) versé pour aider les parents employant une nourrice à domicile ou une assistante maternelle ; report de deux ans de la majoration des allocations familiales ; abaissement à plusieurs reprises du plafond du quotient familial engendrant des hausses d’impôts de plusieurs centaines d’euros pour plus d’un million de familles ; diminution de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) pour des millions de familles et, dans ces tout derniers mois, revalorisation des allocations familiales et des plafonds de ressources à un niveau inférieur à celui de l’inflation.
Ajoutons un élément très rarement cité : la diminution des dotations de l’État aux collectivités territoriales et notamment aux communes (-13 milliards d’euros pendant l’ensemble du quinquennat Hollande) se traduisant par la réduction, voire la suppression, des projets de nouvelles crèches ou de relais d’assistantes maternelles. En conséquence, le nombre de places de crèches a bien moins progressé qu’annoncé. Selon un rapport28 du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), les objectifs de créations de places d’accueil des jeunes enfants (crèches, assistantes maternelles et scolarisation à deux ans) fixés pour les cinq années 2013-201729 n’ont été réalisés qu’à 16 %. Cette décision de l’Etat ne contribue donc pas à améliorer la possibilité de concilier vie professionnelle et vie familiale.
Il en est résulté des années de baisse de la fécondité 2015-2019 qui – effectivement – ne nous a pas étonnés. D’ailleurs, le journal Le Monde, à la suite des analyses que nous leur avons présentées lors d’entretiens, titrait « Vers la fin de l’exception française »30. L’exception française, c’était une politique familiale qui permettait une fécondité relativement satisfaisante par rapport à l’hiver démographique nettement plus intense des autres pays européens.
Ensuite, les années 2020 et 2021 ont subi les effets de la pandémie Covid-19 sur le mouvement naturel31 et la fécondité attendue pour l’année 2022 ne permettra certainement pas de retrouver le niveau plus élevé du début des années 2010.
Quelles propositions formuleriez-vous en matière de politique familiale, à court et moyen terme, afin que celle-ci sorte de l’« hiver démographique » et se dirige vers un « printemps démographique » ?
Gérard-François DUMONT
Il importe d’abord de comprendre que l’hiver démographique vient modifier la pyramide des âges, ce qui a et aura de multiples conséquences. Celles de nature économique sont évidentes. Alors que la gérontocroissance signifie un nombre accru de retraités, puis un nombre accru de personnes âgées dépendantes, même si, en proportion, la dépendance ne s’aggrave pas, la stagnation, voire la diminution de la population active abaissera le potentiel de création de richesses. Or un niveau élevé de cette dernière est utile non seulement pour honorer les retraités, mais également pour satisfaire les besoins de la société en matière sécuritaire, de défense nationale, éducatif, d’aménagement du territoire… ainsi que pour réduire l’endettement de la France. La fécondité abaissée peut aussi être interprétée comme la situation d’un pays qui n’a pas confiance en l’avenir.
Il faut évidemment retrouver les fondements de la politique familiale de la France qui, dans leur ensemble, se sont montrés à la fois conformes à la justice et au souhait de la société pendant plus de soixante ans. Comment a-t-on pu autant porter atteinte à une politique familiale qui était satisfaisante au point que de nombreux pays enviaient la France et envoyaient périodiquement de délégations pour comprendre pourquoi nous faisions beaucoup mieux qu’eux ? L’essentiel est donc, à rebours de la déconstruction de la politique familiale qui s’est tout particulièrement déployée dans les années 2010, de remettre à l’honneur le principe de compensation de la politique familiale.
En conséquence, tout ce qui peut créer un climat permettant aux familles le libre choix de leur nombre d’enfants est souhaitable ; dans ce dessein, il faut d’abord inverser la politique de réduction progressive de la politique familiale. Il convient d’abord, par exemple, de réinstaurer l’universalité des allocations familiales et de redonner sa juste place au quotient familial. Cela signifie qu’il faut, bien entendu, de refuser toute nouvelle pénalisation du quotient familial, voire sa suppression qui semble pourtant un objectif caché de la mise en œuvre du prélèvement à la source, qui remplace le foyer fiscal par des formules individualisées, et qui serait contraire à la Déclaration des droits de l’homme. Sur ces deux points, le rôle de redistribution horizontale que cette universalité permet relève d’une simple justice, en limitant la baisse du niveau de vie avec l’agrandissement de la famille, par rapport aux autres familles avec même revenu.
Il convient également de redonner aux collectivités territoriales leur libre administration par des recettes pérennes afin qu’elles puissent opérer leurs choix.
En outre, en matière fiscale, la justice créée par le quotient familial a perdu beaucoup de son importance, non seulement en raison de son plafonnement, qui ne pénalise en rien les personnes les plus aisées sans charge d’éducation, mais aussi par l’importance croissante prise par la contribution sociale généralisée (CSG). Or cette dernière ne respecte nullement la Déclaration des droits de l’homme puisqu’elle ne tient pas compte de la composition de la famille. Il serait donc nécessaire d’étendre le principe du quotient familial à la CGS. Et, bien entendu, si les projets parfois avancés de fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG se concrétisaient, il serait encore plus impératif de généraliser le quotient familial.
Quant à la question de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, elle reste posée. Elle doit s’inscrire dans une politique plus volontariste du droit au congé parental. Il convient aussi de ne pas ignorer la question du logement32 puisqu’il n’y a pas de famille sans toit ! En cette matière, trop de réglementations sont malthusiennes et l’absence d’une politique nationale d’aménagement du territoire n’est pas de nature à respecter le principe de liberté dans le choix du nombre d’enfants. D’où la nécessité d’affirmer une politique familiale du logement.
L’ensemble de ces décisions devrait conduire notamment à réduire l’écart entre le niveau de fécondité et le nombre idéal d’enfants. Mais, pour être utilement prises, elles doivent s’inscrire dans la compréhension des principes de liberté et de solidarité propres à une politique familiale.
En effet, en 1945, c’est la formulation d’un américain, Frank Notestein qui a prévalu : Notestein, Frank W., « Population. The Long View », in : Schultz, Theodore W., Food for the World, University of Chicago Press, 1945, pp. 36-57. ↩︎
Dumont, Gérard-François, « Les populations de l’Europe : des évolutions démographiques très fragmentées », Les Analyses de Population & Avenir, n° 11, décembre 2019. DOI https://doi.org/10.3917/lap.011.0001 ↩︎
Ariès Philippe, “Two Successive Motivations for the Declining Birth Rate in the West” («Deux motivations successives pour la baisse du taux de natalité en Occident »), Population Development Review, vol. 6, n° 4, december 1980. ↩︎
Schweitzer Sylvie, Les femmes ont toujours travaillé, Paris, Odile Jacob, 2002. ↩︎
D’où la situation des femmes dans certains pays comme l’Arabie saoudite ; cf. Dumont, Gérard-François, « Les femmes face aux inégalités de genre. L’exemple de l’Arabie saoudite », Les analyses de Population & Avenir, n° 6, décembre 2019. DOI https://doi.org/10.3917/lap.006.0001↩︎
Comme l’aménagement d’un logement pour une personne venant de subir un handicap. ↩︎
Dumont, Gérard-François, « De Gaulle et les questions de population. Le Général à l’écoute d’Alfred Sauvy », Les Analyses de Population & Avenir, n° 18, décembre 2019. https://doi.org/10.3917/lap.018.0001 ↩︎
Un texte devenu constitutionnel puisque, le 27 décembre 1973, le Conseil constitutionnel a consacré la valeur constitutionnelle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (Cons. const., déc. n° 73-51 DC du 27 décembre 1973, Loi de finances pour 1974), l’intégrant dans ce qu’il est convenu d’appeler le « bloc de constitutionnalité ». ↩︎
La politique familiale en France depuis 1945, Rapport du groupe de travail sur la politique familiale en France depuis 1945 [au] Commissariat général du plan ; sous la direction de Pierre Laroque ; rapporteur général Rémi Lenoir, Ministère des affaires sociales et de la solidarité nationale, 1985. ↩︎
Concernant le quotient familial, certains ont constaté un « traficotage » ; cf. Bichot, Jacques, « Le coût de l’enfant et le capital humain », Les analyses de Population & Avenir, n° 24, avril 2020. https://doi.org/10.3917/lap.024.0001↩︎
Dumont, Gérard-François, « Les retraites en Europe : quelles perspectives ? », Les Analyses de Population & Avenir, n° 25, mai 2020. https://doi.org/10.3917/lap.025.0001↩︎
Dumont, Gérard-François, « Faut-il sauver le monde du malthusianisme ? », Communication à l’Académie des Sciences Morales et Politiques, septembre 2022. ↩︎
Calot Gérard, Chesnais Jean-Claude, « Efficacité des politiques incitatrices en matière de natalité », Colloque Évolution démographique et transferts sociaux, Liège, 25 novembre 1983. ↩︎
Selon la formulation de Fent, Thomas, Aparicio Diaz, Belinda, Prskawetz, Alexia, « Family policies in the context of low fertility and social structure », www.demographic-research.org/volumes/vol29/37, 13 november 2013. ↩︎
Dumont, Gérard-François, « Politique familiale et fécondité en Europe », Population & Avenir, n° 681, janvier-février 2007 ; « La fécondité en Europe : quelle influence de la politique familiale ? », Population & Avenir, n° 716, janvier-février 2014. ↩︎
Source : « La fécondité en Europe : quelle influence de la politique familiale ? », Population & Avenir, n° 716, janvier-février 2014. ↩︎
Ce pourcentage relativement faible peut aussi provenir de la façon dont il est calculé, en dépit des efforts conduits pour harmoniser les méthodes statistiques. ↩︎
L’Irlande comptait 8,2 millions d’habitants en 1840 (Reinhard Marcel, Armengaud André, Dupâquier Jacques, Histoire générale de la population mondiale, Montchrestien, Paris, 1968, p. 684) et en compte 6,8 millions en 2018, Irlande du Nord comprise. ↩︎
Dumont, Gérard-François, « La fécondité en France : des évolutions aléatoires ? », Population & Avenir, n° 732, mars-avril 2017. ↩︎
Figure publiée dans : Dumont, Gérard-François, « La fécondité en France : des évolutions aléatoires ? », Population & Avenir, n° 732, mars-avril 2017. ↩︎
Source : Dumont, Gérard-François, « La fécondité en France : des évolutions aléatoires ? », Population & Avenir, n° 732, mars-avril 2017. ↩︎
Des éléments plus détaillés sont précisés dans : Dumont, Gérard-François, « Démographie de la France : la double alerte », Population & Avenir, n° 727, mars-avril 2016 ; « Vieillissement de la population de la France : les trois causes de son accentuation », Population & Avenir, n° 732, mars-avril 2017 ; « Natalité en France : une contraction structurelle ? », Population & Avenir, n° 737, mars-avril 2018 ; « France : comment expliquer quatre années de baisse de la fécondité ? », Population & Avenir, n° 742, mars-avril 2019. ↩︎
L’accueil des enfants de moins de trois ans, 10 avril 2018. ↩︎
Période couvrant la convention d’objectifs et de gestion (COG) entre l’Etat et la CNAF. Cf. Dumont, Gérard-François, « France : la baisse de l’excédent démographique naturel provient-elle de la mortalité ou de la natalité ? », Population & Avenir, n° 747, mars-avril 2020. ↩︎
Dumont, Gérard-François, « Covid-19 : les trois ruptures démographiques et leur prospective », Population & Avenir, n° 752, mars-avril 2021 ; Dumont, Gérard-François, « Population en France : une évolution faite de ruptures et de constantes face à la Covid-19 », Population & Avenir, n° 757, mars-avril 2022 ↩︎
Dumont, Gérard-François, « Les besoins en logement et leur géographie. Comment les mesurer ? Quelle prospective ? », Les analyses de Population & Avenir, n° 13, décembre 2019, p. 1-27. DOI https://doi.org/10.3917/lap.013.0001↩︎
Vous avez consacré deux récentes Analyses de Population & Avenir à la démographie européenne. Vous expliquez notamment que l’Union européenne est entrée, durablement, dans un « hiver démographique ». Qu’est-ce que cela signifie ?
Gérard-François DUMONT
Il est malheureusement fréquent de présenter une analyse erronée des évolutions démographiques qui se déroulent après la transition démographique. Vous vous rappelez que cette grande mutation, due à de nombreux progrès dans la médecine, la pharmacie, l’hygiène ou le progrès technique…, consiste dans le passage de taux de moralité et natalité élevés (de l’ordre de 40 naissances et décès pour 1 000 personnes) à des taux de mortalité et de natalité divisés par trois ou quatre, mutation qui en Europe et selon les pays, s’est déroulée grosso modo de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XXe siècle.
Or, dans les figures présentant le principe de cette transition démographique, notamment dans de nombreux livres scolaires, il est affiché des taux de natalité et de mortalité stables au terme de cette transition1. Mais il n’en est rien. La stabilité relève du mythe, hier comme aujourd’hui2.
En revanche, dans de nombreux pays, après la fin de la transition démographique et le renouveau démographique consécutif à la Seconde Guerre mondiale, il faut constater des niveaux de fécondité durablement inférieurs au seuil de simple remplacement des générations qui est, dans les pays à haut état sanitaire, de 2,1 enfants par femme. Il fallait nommer le concept permettant de recouvrir ce phénomène et j’ai donc proposé comme formulation « l’hiver démographique », par analogie avec le fait qu’à cette saison, dans les régions septentrionales de la planète, les températures sont négatives.
Toutefois, il importe de préciser que l’intensité de l’hiver démographique peut fortement varier selon les pays et les périodes. Ainsi, au tournant des années 20203, parmi les pays en hiver démographique, la fécondité s’étage entre 0,9 et 1,8 enfant par femme, soit des écarts qui témoignent d’une grande fragmentation et s’expliquent par différents facteurs variés, dont les différences dans les politiques familiales et dans leurs évolutions, ainsi que des aspects culturels.
Est-ce une singularité européenne ? Qu’en est-il pour les ensembles géopolitiques proches tels que le Maghreb, l’Afrique subsaharienne ou encore la Turquie ?
Gérard-François DUMONT
Même si l’hiver démographique est général en Europe, ce n’est pas une singularité européenne. Il se constate aussi dans d’autres régions du monde, en Asie orientale avec la Corée du Sud ou le Japon, en Océanie avec l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, en Transcaucasie avec l’Arménie ou la Géorgie.
En revanche, les niveaux de fécondité sont plus élevés dans d’autres régions du monde. Par exemple, au Maghreb, l’évolution majeure se résume à des trajectoires différentes de l’avancée dans la transition démographique selon les pays. Il en résulte un contraste entre le Maroc et la Tunisie, qui se trouvent au seuil de remplacement des générations, et l’Algérie, qui a enregistré une remontée de la fécondité dans un contexte d’islamisation du pays signifiant un arrêt, voir une régression, dans la hausse de l’âge au mariage.
L’Afrique subsaharienne, à l’exception de quelques pays, n’a pas terminé sa transition démographique. Sa fécondité moyenne a effectivement baissé d’environ 7 enfants par femme dans les années 1950 à un chiffre légèrement supérieur à 4 au début des années 2020, chiffre qui doit être relativisé compte tenu d’une mortalité infantile encore très élevée, quinze fois supérieure à celle de l’Europe.
La Turquie compte une fécondité encore légèrement supérieure au seuil de remplacement, soit 2,3 enfants par femme, mais cette fécondité se traduit par un nombre élevé de naissances et, donc, un solde naturel (naissance moins décès) très élevé dans la mesure où la Turquie hérite de générations nombreuses de femmes en âge de procréer. Le contraste est donc fort entre une Union européenne (à 27 après le Brexit) qui enregistre un déficit des naissances par rapport au décès depuis 2012 et une Turquie dont le solde naturel annuel est aux environs de 700 000.
FOCUS : rappel des principales définitions par Gérard-François Dumont
Taux de natalité : rapport du nombre de naissances vivantes au cours d’une période (en général l’année) à la population moyenne de la période (considérée comme la population en milieu de période) ; il est généralement exprimé pour mille habitants.
Taux de mortalité : rapport entre le nombre de décès d’une période (en général l’année) et la population moyenne de la période ; il est généralement exprimé pour mille habitants.
Taux de mortalité infantile : nombre d’enfants morts pendant une période déterminée, généralement l’année, avant d’atteindre l’âge d’un an rapporté à mille naissances vivantes de la même période.
Indice de fécondité : somme des taux de fécondité par âge pour une année donnée ; cet indice indique le nombre moyen d’enfants que mettrait au monde au cours de sa vie féconde une génération qui aurait des taux par âge identiques à ceux observés l’année considérée.
Seuil de simple remplacement des générations : fécondité nécessaire pour que les femmes d’une génération soient remplacées nombre pour nombre à la génération suivante, donc une trentaine d’années plus tard ; en conséquence, un effectif de cent femmes est remplacé par un effectif semblable de cent femmes. Ce seuil est de 2,1 enfants par femme dans les pays à haut niveau sanitaire et hygiénique.
Dépopulation : situation d’un territoire dont le solde naturel est négatif, c’est-à-dire lorsque le nombre de décès est supérieur à celui des naissances.
Dépeuplement : situation d’un territoire dont le solde démographique total, qui combine les naissances et les décès ainsi que les immigrations et émigrations, est négatif. Un pays peut donc être caractérisé par une dépopulation sans pour autant être en dépeuplement (dans ce cas, l’excédent migratoire compense le déficit naturel) et un pays en dépeuplement peut ne pas être en dépopulation (dans ce cas, l’excédent naturel reste insuffisant pour compenser le déficit migratoire).
Vous montrez que les pays européens se comportent différemment les uns des autres et qu’il existe quatre grands types de régimes démographiques, c’est-à-dire quatre grandes combinaisons, en fonction du mouvement naturel (natalité et mortalité) et du mouvement migratoire (émigration et immigration) : accroissement naturel positif et accroissement migratoire positif, accroissement naturel négatif et accroissement migratoire positif, accroissement naturel positif et accroissement migratoire négatif, accroissement naturel négatif et accroissement migratoire négatif. Dans quelle situation se trouve la France ?
Gérard-François DUMONT
Au début des années 2020, la France n’est ni en dépopulation, ni en dépeuplement. D’une part, son hiver démographique entamé au milieu des années 1970 a été moins intense que la moyenne des pays européens, notamment en raison de sa politique familiale et d’une immigration à composition par âge jeune. En conséquence, depuis, les naissances sont restées supérieures aux décès, donc le solde naturel est positif, contrairement à une quinzaine de pays européens en dépopulation. Toutefois, depuis 2015, les rabotages de la politique familiale ont engendré, comme je l’avais annoncé, une baisse de la fécondité qui, complétée par les effets de la pandémie Covid-19, accentue son hiver démographique. Et comme son solde migratoire est également positif, la France n’est pas non plus en dépeuplement contrairement à plusieurs pays européens.
Les deux « ingrédients », natalité et immigration, ne sont d’ailleurs pas dissociables dans la mesure où, notamment, l’immigration contribue aussi de façon significative aux naissances. Peut-on estimer l’impact de l’immigration sur la natalité en France ? Comment se caractérise la fécondité des femmes immigrées ainsi que celle des femmes d’origine immigrée ? Assiste-t-on à une convergence vers la fécondité « nationale » ?
Gérard-François DUMONT
Effectivement, selon la formule que j’ai proposée, l’immigration ne rend évidemment pas stérile. Les immigrés, c’est-à-dire, selon une définition propre à la France, les personnes résidant en France et nées à l’étranger de nationalité étrangère, peuvent donc avoir une fécondité différente des personnes nées sur le territoire national. Certains ont des fécondités plus faibles que la moyenne, lorsqu’il s’agit d’immigrés originaires de pays européens ; d’autres ont des fécondités supérieures à la moyenne, notamment lorsqu’il s’agit de personnes originaires de pays du Sud. J’explique souvent que, pour comprendre ce phénomène, la France compte deux territoires « témoins », Mayotte et la Guyane. Ces deux départements français d’outre-mer ont des fécondités avoisinant respectivement 5 et 4 enfants par femme, essentiellement en raison de la fécondité fort élevée des immigrées comoriennes pour Mayotte et des immigrées surinamiennes pour la Guyane. Il en résulte que, dans ces deux départements, le nombre d’étrangers est supérieur à celui des immigrés. En France métropolitaine, le département à la fécondité la plus élevée est la Seine-Saint-Denis, ce qui est évidemment lié à son accueil d’immigrées originaires de pays du Sud.
L’impact de l’immigration sur la natalité en France n’est pas contestable, mais il serait trompeur de penser que ce phénomène n’est pas semblable dans d’autres pays européens dont la fécondité est plus faible que la France, comme l’Allemagne ou l’Autriche, avec de nombreux immigrés originaires de la Turquie. Il est vrai que, dans le passé, des convergences ont pu se constater, par exemple chez les immigrés italiens. De même, les harkis, dont la fécondité était, à leur arrivée en France en 1962, d’environ sept enfants par femme, ont vu les générations suivantes abaisser leur fécondité. Mais il faut raisonner en flux migratoires et non en nombre d’immigrés constaté à une date donnée. Les descendants de générations arrivées du Sud depuis longtemps ont abaissé en moyenne leur fécondité, mais, comme le montrent Mayotte, la Guyane ou la Seine-Saint-Denis, de nouvelles arrivées s’effectuent avec un comportement de fécondité plus proche des pays d’origine, dans un contexte où les nouveau-nés sont aussi une quasi-garantie de non-expulsion si les personnes sont en situation irrégulière.
Vous évoquez l’Italie dont le solde naturel (naissances « moins » décès) est négatif depuis 1995. Chaque année, l’Italie compte 250 000 décès de plus que de naissances. Si elle est pour l’instant épargnée, à quel moment la France connaîtra-t-elle une situation semblable ?
Gérard-François DUMONT
La dépopulation en Italie s’explique notamment par deux causes qui ne se sont pas exercées en France. D’une part, une quasi-absence de politique familiale. D’autre part, une société qui a longtemps continué de considérer que l’enfant devait naître dans le mariage, puisque les naissances hors mariage n’étaient socialement pas très acceptées ; cette attitude a été abandonnée en France depuis les années 1990, expliquant que plus de la moitié des naissances surviennent hors mariage. Sauf retour à un printemps démographique ou immigration massive de populations plus fécondes, la France est inévitablement appelée à connaître à terme une dépopulation d’autant que, logiquement, le taux de moralité augmente avec le vieillissement de la population (et la pandémie). Si l’État ne revient pas sur les rabotages de la politique familiale, un scénario possible est que ce phénomène apparaisse au cours des années 2020.
Vous employez une image forte en disant que se dessine actuellement, « avec les dynamiques engagées, une image très nette, celle d’une Europe qui a déjà d’abord plus besoin de cercueils que de berceaux ». Les décideurs publics, en Europe et en particulier en France, ont-ils conscience de la problématique ?
Gérard-François DUMONT
Les décideurs publics, ce sont les responsables politiques et leurs administrations. Les premiers demeurent logiquement soucieux de leur prochaine échéance électorale, ce qui ne les conduit guère à prendre en compte les processus démographiques qui ont des logiques de longue durée. En outre, en France notamment, des prismes idéologiques nuisent à une compréhension des réalités. Ainsi la France avait incontestablement une politique familiale qui, en dépit de certaines insuffisances, était satisfaisante et d’ailleurs vue comme un modèle dans de nombreux pays étrangers. Les mises en cause de cette politique, dans les programmes de la droite et de la gauche, puis sa mise en œuvre par le gouvernement Jospin arrivé au pouvoir dans la seconde moitié des années 1990, avaient fini par être remisées, notamment grâce aux pressions du parti communiste, alors membre du gouvernement de gauche plurielle. Pourtant, Un quart de siècle plus tard, on a assisté à un processus de démantèlement de tous ses aspects depuis 2015.
En Europe, des pays ont partiellement conscience de la problématique et des initiatives pour limiter l’intensité de l’hiver démographique ont été prises en Russie, en Allemagne, en Hongrie, en Pologne, ou encore en Italie en avril 2021. Des résultats ont été obtenus. Mais toutes les initiatives ne relèvent pas des choix les plus pertinents. Et, au sein de l’Union européenne, le raisonnement dominant, précisé dans nombre de communications de la Commission, demeure le même et peut être résumé ainsi : qu’importe la natalité, l’Europe trouvera toujours des immigrés pour compenser son insuffisance de natalité et, donc, de population active.
Autre exemple, la Commission européenne a publié un « Livre Vert » sur le vieillissement de la population4. Ce Livre Vert suggère des mesures qui favoriseraient un meilleur vieillissement actif, un meilleur emploi des personnes âgées et des systèmes de retraite mieux adaptés. Il s’intéresse donc essentiellement à la gérontocroissance, c’est-à-dire à l’augmentation du nombre de personnes âgées, donc au « vieillissement par le haut ». Mais, en dépit de son titre et de son sous-titre qui donne l’impression d’embrasser tous les âges en recourant aux mots « vieillissement » et « générations », il ne traite nullement de l’autre aspect du vieillissement, celui « par le bas », lié à la fécondité et à la natalité fortement abaissée en Europe. Dans ce contexte, il est heureux que l’Assemblée nationale ait organisé en mars 2021 une table ronde sur cette question.
Pour conclure, quel regard portez-vous sur la création de l’OID, dont l’objectif principal est de permettre l’émergence d’un débat dépassionné, factuel et construit sur l’immigration et la démographie ?
Gérard-François DUMONT
La statistique démographique devrait livrer, dans des délais raisonnables, des résultats incontestables soumis à la réflexion des citoyens. Mais la France connaît trois difficultés pour qu’il en soit ainsi. D’abord, notre système statistique pèche par absence de registres municipaux de population ou par des délais élevés d’obtention des résultats. En deuxième lieu, il s’est détérioré et la fiabilité des données ne s’est pas améliorée5. En outre, il faut bien constater l’existence de certains « experts » qui livrent aux médias d’apparentes certitudes qui ne sont que le résultat de leur prisme idéologique. Fidèlement à l’enseignement de mon maître Alfred Sauvy6, il convient de s’en tenir, sans a priori, aux faits.
***
L’OID vous recommande sans réserve la lecture des revues éditées par l’association Population & Avenir sur les questions démographiques. Le dernier numéro de Population & Avenir est consacré au basculement démographique en Méditerranée ainsi qu’au bilan de la fusion des régions en France.
Notes
Rappelons que la première formulation de cette mutation a été formulée par Adolphe Landry dans son livre intitulé La révolution démographique (1934). Cet auteur ne voyait pas de retour à l’équilibre à l’issue de la transition, sauf mise en place par les pouvoirs publics d’une politique favorable à la natalité. Puis, en 1945, c’est la formulation d’un américain, Frank Notestein qui a prévalu : Notestein, Frank W., « Population. The Long View », in : Schultz, Theodore W., Food for the World, University of Chicago Press, 1945, pp. 36-57. ↩︎
Cf. par exemple : Sardon, Jean-Paul, Calot, Gérard, « Les incroyables variations historiques de la fécondité dans les pays européens. Des leçons essentielles pour la prospective », Les analyses de Population & Avenir, n° 4, décembre 2018. DOI : https://doi.org/10.3917/lap.004.0001↩︎
Sardon, Jean-Paul, « La population des continents et des pays : données et analyse », Population & Avenir, n° 750, novembre-décembre 2020. ↩︎
Sous-titré « Promouvoir la solidarité et la responsabilité entre générations », 27 janvier 2021. ↩︎
Vous avez publié l’an dernier 40 ans dans les cités, essai nourri par votre expérience au plus près des « quartiers sensibles ». D’après vous, quelle part l’immigration joue-t-elle dans ce qu’il est convenu d’appeler la « crise des banlieues » ?
Michel Aubouin
L’immigration n’est qu’un élément de la crise des banlieues. La question est celle du logement des nouveaux venus dans un pays qui valorise depuis des décennies la solution du logement social public « à vie » sur toutes les autres solutions. Dès lors, assez naturellement, les étrangers trouvent place dans les quartiers où la concentration de HLM est la plus grande. Et c’est la densité des familles de même origine dans les mêmes lieux qui contribue à la communautarisation progressive des territoires.
Dans le cadre de vos fonctions de préfet, quels principaux obstacles avez-vous dû surmonter en ce qui concernait la gestion administrative de l’immigration ?
Michel Aubouin
Les obstacles sont nombreux, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre des mesures de reconduite à la frontière – qui concernent les individus de nationalité étrangère vivant en France en situation irrégulière – et les expulsions (beaucoup plus rares) qui visent des individus auparavant admis au séjour en France
Pour ce qui est des reconduites à la frontière : en 2018 (derniers chiffres connus), 110 000 étrangers en situation irrégulière ont été interpellés, 39 400 ont été placés en centre de rétention administrative (dont 25 300 en métropole), mais seuls 15 700 ont été effectivement reconduits, dont seulement 7 300 vers des pays autres que ceux de l’Union européenne. Plusieurs facteurs, que j’ai détaillés dans une récente tribune pour Causeur, concourent à expliquer ces faibles chiffres.
Parmi eux figure notamment la difficulté pour les préfets d’obtenir dans les temps impartis le laissez-passer consulaire (LPC) nécessaire pour que l’étranger en situation irrégulière prenne l’avion ou le bateau – car il s’est le plus souvent débarrassé de son passeport. En effet, les pays d’origine renâclent très souvent à fournir un tel document. Prenons l’exemple algérien : sur 13 900 mesures de reconduite à la frontière en 2018, seuls 1800 éloignements ont pu être exécutées. Cette difficulté à récupérer les LPC dans les délais est amplifiée par les durées très restreintes de rétention administrative en vigueur dans notre pays : 90 jours au maximum, contre une référence européenne de 18 mois.
Ajoutons à cela les multiples recours juridictionnels à disposition des étrangers placés en rétention : ceux-ci sont invités à saisir à la fois le juge judiciaire, sur le fondement de la privation de liberté, et le juge administratif, sur la légalité de la mesure prise par le préfet. Les décisions rendues dans ce cadre ont un impact volumétrique non-négligeable : 4 600 étrangers ont été libérés par un juge judiciaire en 2018, et 1 750 autres par un juge administratif.
De nombreux centres de rétention administrative sont aujourd’hui surpeuplés ou à la limite du surpeuplement. Considérez-vous que l’Etat se donne les moyens matériels de sa politique migratoire ?
Michel Aubouin
Oui, c’est complètement évident. La France ne compte 23 centres de rétention en métropole, qui comptent 1 571 places ; cela représente à peine 4,7 % des capacités totales dans l’Union européenne, alors que nous sommes devenus le premier pays d’accueil des demandeurs d’asile.
Il nous manque des centaines de places de CRA et le fonctionnement global de chaque CRA a un coût beaucoup trop élevé. Il faut donc construire de nouveaux centres et trouver un mode de gestion plus économe (car les actuels coûts de fonctionnement sont estimés à 215 millions d’euros par an). Dans cette perspective, la gestion de ces centres par la police de l’air et des frontières devrait être reconsidérée, en confiant au secteur privé ce qui ne relève pas de la stricte compétence policière.
L’ampleur de l’immigration clandestine est difficile à évaluer – du fait de sa nature même. Dans son récent ouvrage Immigration, Patrick Stefanini estime néanmoins qu’environ 900 000 étrangers sont présents illégalement sur le territoire national. Que pensez-vous de ce nombre ? Que pouvez-vous nous dire des dynamiques en cours ?
Michel Aubouin
Je pense qu’il surestime le chiffre, car les étrangers en situation irrégulière sont systématiquement régularisés au bout de cinq années. En général on le déduit du nombre des étrangers pris en charge par l’aide médicale d’Etat, qui augmente chaque année, mais sans atteindre ces proportions.
Quel regard portez-vous sur les dispositions de la loi Asile et Immigration de 2018 ? Vous paraissent-elles aller dans le sens d’un contrôle administratif plus strict des flux migratoires, comme l’ont affirmé certains de ses promoteurs (et de ses détracteurs) ?
Michel Aubouin
Nous manquons de recul pour le dire. Le levier le plus efficace est celui mis en œuvre par l’Europe pour contrôler ses frontières. Sur ce point, les choses se sont améliorées, mais rien n’est définitivement acquis.
Outre votre expérience de préfet, vous avez été Directeur de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté au sein du Ministère de l’Intérieur. Quel regard portez-vous sur les actuelles procédures de naturalisation, notamment sur le contrôle de la « condition d’assimilation » prévue par la loi ?
Michel Aubouin
J’ai renforcé les conditions de contrôle de l’assimilation, et personne, jusque-là, ne les a remises en cause. De fait, le nombre des naturalisations a baissé. J’aurais préféré qu’on rende plus objective l’évaluation de l’assimilation en ce qui concerne la connaissance de la culture française et l’adhésion aux principes de base de notre « vivre ensemble », mais je n’ai pas réussi à mener ce chantier à bien.
D’après un récent sondage de l’IFOP pour le Figaro, 58% des Français se prononcent pour la suppression du « droit du sol » . De votre point de vue, quelles seraient les réformes prioritaires à entreprendre sur notre droit de la nationalité ?
Michel Aubouin
Le droit du sol, en droit, n’existe pas. L’intégration dans la communauté nationale suppose a minima d’avoir suivi sa scolarité en France. C’est sur ce point que l’on devrait faire porter notre effort. Je suis par ailleurs opposé à toutes les procédures d’accès automatique à la nationalité.
En publiant 40 ans dans les cités, vous avez joué un rôle de « lanceur d’alertes ». Que vous inspire l’état actuel du débat public sur l’immigration en France ?
Michel Aubouin
Sur l’intégrisme ou le trafic de drogue, la prise de conscience est réelle. En revanche, le débat sur l’immigration reste bloqué, car le sujet renvoie à des faits historiques que nous refusons d’aborder (en particulier notre relation avec l’Algérie et le Maroc).
D’une certaine façon, tant que l’immigration ne sera pas un procédé légal et organisé, nous serons les victimes d’une immigration de masse, désordonnée et (de plus en plus) issue de pays sans lien historique ou culturel avec la France.
Je suis pour ma part totalement opposé à l’ouverture de droits pour des personnes qui se sont introduites en France sans avoir été autorisées à le faire. Et les dépenses effectuées pour leur entretien devraient faire l’objet d’une créance inscrite en comptabilité publique.
Dans un rapport publié en mai 2020, la Cour des comptes souligne que depuis le début des années 2000, les pouvoirs publics tentent sans succès de retrouver une « maîtrise » de l’immigration. Quel lien faites-vous entre le développement des droits de l’homme et cette perte de contrôle du phénomène migratoire dans notre pays ?
Jean-Louis Harouel
Les pouvoirs publics ont-ils réellement eu à quelque moment au cours cette période une vraie volonté politique de maîtriser le phénomène migratoire ? Il est permis d’en douter. Pour le reste, il est indiscutable que le développement des droits de l’homme a fonctionné comme une machine à produire une immigration incontrôlée.
C’est une des conséquences de la transformation des droits de l’homme en une religion séculière, au sens que Raymond Aron donnait à ce terme, c’est-à-dire une doctrine qui prend la place des religions et situe ici bas le salut de l’humanité au moyen de l’instauration d’un ordre réputé parfait. François Furet fut le premier à observer que la religion séculière des droits de l’homme avait remplacé le communisme dans son rôle d’utopie censée instaurer le règne du bien. Dans la religion des droits de l’homme, la lutte des classes est remplacée par le combat contre les discriminations, mais au service du même objectif qui est l’émancipation de l’humanité. C’est toujours la même promesse de l’avenir radieux, avec cette différence que l’objectif n’est plus la suppression de la propriété mais la négation de toute espèce de différence entre les humains pour faire naître un monde nouveau entièrement cosmopolite et fondé exclusivement sur les droits des individus. Rien d’étonnant si le thème de la libre migration constitue un des grands axes des droits de l’homme tels qu’on les comprend aujourd’hui.
L’assassinat de l’enseignant Samuel Paty par un réfugié Tchétchène nous a récemment rappelé que l’immigration pouvait être une source de grande insécurité. Comment analysez-vous cette contradiction apparente entre les droits de l’homme, qui nous conduisent à accueillir sans condition des étrangers parfois hostiles, et les droits du citoyen qui doit assumer les conséquences parfois funestes de cet accueil ?
Jean-Louis Harouel
Devant le caractère évidemment scandaleux de ce déni de justice, d’aucuns affectent de penser qu’il existe quand même parmi les droits de l’homme un droit à la sécurité, et invoquent pour cela l’article 2 de la déclaration du 26 août 1789, lequel dispose que les droits naturels et imprescriptibles de l’homme sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. On entend souvent affirmer que le droit à la sûreté ainsi proclamé en 1789 incluait un droit à la sécurité des personnes et des biens. Or, c’est inexact.
L’idéologie des droits de l’homme souffre d’un vice rédhibitoire : l’absence du droit à la sécurité. Or, si on décide qu’il y a des droits de l’homme, la sécurité devrait être le premier d’entre eux : sécurité de sa propre personne et de la personne des siens ; sécurité dans la possession de ses biens. Et pourtant, le droit à la sécurité est absent aussi bien de la déclaration de 1789 que des autres déclarations des droits.
Illustre juriste ayant marqué la seconde moitié du siècle dernier, le doyen Georges Vedel soulignait que, dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le terme sûreté désignait la liberté au sens de Montesquieu, le fait de ne rien craindre de l’autorité et de pouvoir aller et venir librement : bref, la liberté individuelle. Et le professeur de droit public Jean Morange, un des principaux spécialistes actuels des droits de l’homme, confirme que la sûreté consistait à ne pas risquer de faire l’objet d’une poursuite, d’une détention ou d’une arrestation arbitraire. Cela n’a pratiquement rien à voir avec la reconnaissance d’un droit à la sécurité des personnes et des biens, refusé par l’idéologie des droits de l’homme. Si bien que, comme le constate le professeur de droit privé Patrice Jourdain, il n’existe pas, dans notre système juridique, de droit subjectif à la sécurité. Il n’est donc pas illogique que notre obéissance à l’idéologie des droits de l’homme nous conduise à recevoir ou à conserver sur le territoire national des étrangers qui constituent objectivement un danger pour la population.
Le regroupement familial est souvent cité comme exemple d’une extension continue et irréversible des droits des étrangers en France. Croyez-vous que cette extension soit irréversible ? Ne pensez-vous pas que le juge et les autres pouvoirs publics pourront réduire ces droits de la même manière qu’ils les ont étendus ?
Jean-Louis Harouel
Certes, mais à la condition de rompre avec la religion des droits de l’homme. Celle-ci fonde en effet une idéologie farouchement anti-nationale qui a radicalement changé le contenu de la démocratie. Dans cette version qui est aujourd’hui imposée comme seule valide dans les pays d’Europe occidentale, la démocratie est fondamentalement le culte de l’universel, l’obsession de l’ouverture à l’autre. On ainsi abandonné sans le dire le modèle classique de la démocratie libérale pour glisser vers une démocratie nouvelle manière qui se réclame d’un modèle postnational et multiethnique. Dans ce système, la souveraineté du peuple qui fonde traditionnellement la démocratie passe au second plan : elle est remplacée par le règne des dogmes de la religion des droits de l’homme, avec les juges en guise de prêtres omniscients et tout puissants. La religion des droits de l’homme fonde le gouvernement des juges et celui-ci renforce la religion des droits de l’homme. C’est une perversion de la démocratie : la démocratie droits-de-l’hommiste.
En colonisant notre droit, la religion des droits de l’homme l’a profondément dénaturé. Ce phénomène de dénaturation du droit est très largement orchestré par la Cour européenne des droits de l’homme siégeant à Strasbourg (CEDH), qui raye d’un trait de plume une loi votée par un Parlement et se prétend compétente pour juger d’une disposition constitutionnelle, même adoptée par référendum. L’esprit de sa jurisprudence inspire les plus hautes juridictions françaises (Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de Cassation) et l’ensemble des tribunaux, donnant lieu à des décisions infirmant, interprétant ou contournant au besoin la loi pour donner gain de cause à l’étranger ou à la personne d’origine étrangère. De sorte que, sous l’effet d’un système juridique perverti, le droit se retourne contre le peuple dans l’intérêt duquel il a été institué. L’admission de tout individu présent sur le sol d’un pays, fût-ce de façon frauduleuse, à multiplier les revendications et actions en justice donne à cet individu une arme contre le peuple de ce pays. Et cette arme peut servir d’instrument à des groupes identitaires installés sur le territoire national, qui combattent la nation de l’intérieur afin de se substituer progressivement à elle. Affirmant que le flot illimité de l’immigration est inscrit dans le sens de l’histoire, la religion des droits de l’homme condamne sans le dire les Européens et leur civilisation à disparaître.
Aussi bien le législateur et le pouvoir réglementaire ont-ils apporté leur contribution au règne de la religion des droits de l’homme. C’est par décret que fut institué en 1976 le regroupement familial à l’initiative du premier ministre Jacques Chirac : monumentale erreur que son successeur Raymond Barre a essayé de réparer, ce dont il fut empêché par le Conseil d’État. Et, à l’occasion de la réforme constitutionnelle de 2008, c’est la représentation nationale qui a offert un splendide cadeau au lobby immigrationniste en créant la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), qui permet à toute personne partie à un procès de contester la constitutionnalité d’une loi en vigueur. Surtout, la France s’est ligotée elle-même face aux étrangers présents sur son sol, légalement ou non, par tous les traités à portée humanitaire auxquels son gouvernement et son parlement l’on fait adhérer, depuis la Convention de Genève jusqu’à divers pactes onusiens en passant par la Convention européenne des droits de l’homme. Ces traités, et plus encore l’interprétation qu’en donnent les juges, ont grandement favorisé l’essor exponentiel des droits des étrangers. Sans compter que la liberté d’action du législateur et du gouvernement français se trouve bridée par les directives communautaires dont les dispositions ont même valeur qu’une obligation constitutionnelle, et qui font trop souvent passer la distribution de droits et garanties aux immigrés avant les impératifs de la sécurité nationale et la légitime nécessité de contrôler l’immigration. Il ne sera pas possible d’essayer de ramener les droits des étrangers à des proportions raisonnables sans une remise en cause au moins partielle ou temporaire de l’adhésion de la France à ces traités, ni sans une modification du droit européen.
L’accueil des étrangers est souvent présenté comme une composante essentielle de l’identité de la France. En tant qu’historien du droit, souscrivez-vous à cette analyse ?
Jean-Louis Harouel
C’est une contre-vérité. La France est un vieux socle humain plurimillénaire. Les recherches de démographie historique ont montré que, jusqu’au milieu du XIXe siècle, la population française était presque exclusivement issue d’une très vieille présence celtique sur ce sol, intégrée par la conquête à la civilisation romaine, et à laquelle s’étaient mêlés les apports numériquement faibles de peuples conquérants : Francs, Burgondes, Wisigoths, sans oublier des Vikings en Normandie. Cela mis à part, la France fut la succession sur la même terre d’une longue suite de générations se perdant dans la nuit des temps. C’est de ce très vieux socle humain qu’étaient nés les millions de paysans français qui sont allés mourir dans les tranchées de la Première Guerre mondiale.
Surpeuplée sous l’Ancien Régime, la France était de loin le pays le plus peuplé et le plus dense d’Europe. En état d’extrême pression démographique, plein d’hommes à ne savoir qu’en faire, notre pays était alors une terre d’émigration et non d’immigration. Celle-ci était infime et concernait surtout des étrangers de rang social élevé, des artistes, des savants, ou des professionnels apportant des techniques novatrices. La royauté les naturalisait volontiers mais, avant l’enregistrement de leurs lettres de naturalité, la Chambre des comptes vérifiait que les nouveaux venus possédaient des ressources suffisantes et étaient gens de bonne vie et mœurs.
Ce n’est qu’à partir du milieu du XIXe siècle que, du fait d’une baisse volontaire de la fécondité intervenue plus tôt que partout ailleurs, la France est devenue une terre d’immigration. Elle a d’abord accueilli surtout des Belges et des Italiens, puis dans la première moitié du XXe siècle des Polonais, suivis par des Espagnols et des Portugais. Il fut exigé de tous ces nouveaux venus une adhésion complète et sans réserve à l’identité française, au modèle français. Ce fut facilité par le fait que ces immigrés étaient issus de pays européens et de civilisation chrétienne, si bien que leur assimilation s’effectuait en une génération, et même parfois plus vite.
En revanche, cette exigence d’assimilation a été abandonnée concernant l’immigration extra-européenne et très largement musulmane qui a pris le relais. Cela aurait d’ailleurs été difficile car cette immigration était porteuse d’une civilisation antagoniste de la civilisation européenne, et de plus beaucoup trop nombreuse pour que puisse bien s’opérer le classique processus d’adhésion à l’identité française. De toute manière, on n’a même pas essayé. Les différents gouvernements qui se sont succédés depuis un demi-siècle ont tiré fierté de leur répudiation du principe de l’assimilation des immigrés, au point que le terme est devenu politiquement incorrect.
Face à l’influence décisive du juge sur l’étendue et le contenu du droit des étrangers, la France peut-elle retrouver le contrôle de sa politique migratoire sans renoncer à sa conception de la séparation des pouvoirs ?
Jean-Louis Harouel
En fait, il s’agit plutôt de revenir à une vraie séparation des pouvoirs, qui a été mise à mal par le gouvernement des juges. Il s’agit de rompre avec un système qui permet au juge d’exercer une domination sur le législateur en l’obligeant à changer la loi, voire, s’agissant de la CEDH, une domination sur le pouvoir constituant en censurant une disposition constitutionnelle. Le tout au nom des droits de l’homme.
Indispensable à une maîtrise du phénomène migratoire, le rétablissement d’une vraie séparation des pouvoirs passe par une nécessaire révision de la constitution, d’une part pour éliminer les entraves à l’action gouvernementale envers les étrangers résultant des interprétations du Conseil constitutionnel, et d’autre part pour abolir le système de la question prioritaire de constitutionnalité. Et s’agissant de la Cour européenne des droits de l’homme, la France pourrait avantageusement revenir à la situation d’avant 1981, où elle avait émis une réserve écartant la possibilité d’une saisine directe de la cour de Strasbourg par des recours individuels. En rétablissant ainsi la séparation des pouvoirs, on rétablira du même coup la démocratie représentative fondée sur la souveraineté populaire, aujourd’hui largement supplantée par la démocratie des droits individuels incarnée par la haute magistrature, tant nationale que supranationale.
Si on veut vraiment maîtriser l’immigration, il faudra nécessairement marquer une nette différence entre d’une part le nouveau venu qui prétend s’incruster et d’autre part la population du pays. Il faudra bien que la France cesse de se comporter comme le bureau d’aide sociale et médicale de l’univers. Il faudra bien se résoudre à changer la constitution, la législation et la réglementation, pour faire en sorte qu’il n’existe plus aucun avantage matériel à pénétrer ou rester de manière illégale sur le sol français. Il faudra bien se décider à rétablir la discrimination juste par excellence dans la logique de la cité, celle que l’on fait entre le citoyen et le non citoyen, entre les nationaux et les étrangers. Et, pour cela, il va falloir libérer le peuple souverain, ses représentants et son gouvernement de la mortelle paralysie que lui infligent les juridictions suprêmes.
À partir des années 2000, vous avez publié plusieurs études relatives aux coûts de l’immigration, dont nous avons repris les principales conclusions dans notre article consacré à ce sujet. Avez-vous rencontré des difficultés pour accéder aux données publiques nécessaires à la conduite de ces travaux ?
Jean-Paul Gourévitch
Au cours de mes 26 ans de mission d’expertise en Afrique, j’ai été amené à me pencher très tôt sur les questions de migrations que je vivais au quotidien. Mais je n’avais ni les données ni les compétences nécessaires pour les traiter de façon scientifique et dépassionnée. Au bout de 10 ans, dans mon premier ouvrage L’Afrique, le fric, la France (1997), j’ai commencé à aborder timidement la question par le seul biais de l’immigration subsaharienne francophone, me réservant le droit d’y revenir ultérieurement.
À l’époque, nous disposions principalement que des données de l’INSEE et de l’INED sur les étrangers et les immigrés, de celles de la Direction de la Population et des Migrations sur les naturalisations, de celles de l’OMI pour les entrées, de celles de l’OFPRA pour les réfugiés et demandeurs d’asile, de celles du Ministère de l’Intérieur et de celui de la Justice. Ces statistiquesn’étaient pas cohérentes ente elles, minoraient les flux et les stocks et ignoraient les migrants en situation irrégulière.
En face, si l’on ose dire, Pierre Milloz avait publié, entre 1990 et 1996 aux Éditions Nationales, divers ouvrages sur le coût de l’immigration et une synthèse en 1997 intitulée L’Immigration sans haine ni mépris, sous-titrée « les chiffres que l’on vous cache », mais dont chaque haut de page paire portait la mention « L’immigration, une malchance pour la France ». L’année suivante, Michèle Tribalat et Pierre-André Taguieff, dans Face au Front National : arguments pour une contre-offensive (La Découverte) se lançaient dans une contestation systématique des chiffres du FN mais finissaient par y renoncer, en argumentant (p. 83) :
« Il n’est donc pas utile de poursuivre le bilan comptable jusqu’au bout en reprenant la « démonstration » pied à pied, d’autant que les informations disponibles se raréfient lorsqu’il s’agit d’évaluer le coût des services publics dont « profitent » les étrangers et que… c’est l’ensemble de la question posée par Pierre Milloz (celle du coût de l’immigration NDLR) qui se révèle privée de sens. »
Bref, le chantier du coût de l’immigration était gigantesque, les données malaisément disponibles et les coups à prendre de tous côtés bien plus nombreux que les encouragements à recevoir.
Que pensez-vous de la qualité des données publiques relatives aux coûts de l’immigration en France ?
Jean-Paul Gourévitch
En décembre 1989, Michel Rocard avait institué un « Haut Conseil à l’Intégration » chargé de l’harmonisation, du contrôle, et de la publicité des informations sur l’immigration et l’intégration. Ce Haut Conseil a été complété en 2004 par un Observatoire des Statistiques de l’immigration et de l’Intégration qui n’a jamais fonctionné. Le Haut Conseil à l’Intégration a été supprimé en décembre 2012. Plus aucun organisme indépendant de collecte et de validation n’existe sur l’immigration, ni l’expatriation, ni les coûts pour les contribuables de ces phénomènes actuels tous deux en expansion. Ceci a permis au début du XXIe siècle aux fake news d’inonder la toile, à des experts autoproclamés ou à des militants peu soucieux de la véracité de leurs sources d’avancer des estimations à la louche sans être contredits, et aux journalistes de la pensée dominante de psittaciser ces informations, en les accompagnant de trémolos sur la détresse de ceux qui avaient eu le tort d’avoir foi en la France des droits de l’homme. Les autres étaient systématiquement accusés d’être « nauséabonds », de « stigmatiser » les populations immigrées, ou de « rouler pour la fachosphère ».
La situation est en train de changer. La question des coûts de l’immigration n’est plus taboue. Elle est loin la période où les grands médias, s’appuyant sur une étude de 2010 de Xavier Chojnicki qu’ils instrumentalisaient, proclamaient que « l’immigration rapporte 12 milliards à la France ». Plus personne n’ose avancer qu’en France l’immigration, dans l’ensemble de ses dimensions, est financièrement bénéfique. Des experts de tous bords politiques ou indépendants, en France et à l’étranger, s’efforcent de clarifier les zones d’ombre en élargissant ces coûts à toutes les formes de recettes et de dépenses qui devraient y figurer. Plus globalement les connexions entre immigration irrégulière, délinquance d’origine étrangère et islamisme radical commencent à être explorées. Même si le « padamalgam » reste la ligne rouge au-delà de laquelle votre mise en examen réclamée par les associations droits de l’hommistes et la suppression de vos comptes facebook, twitter et autres est un risque majeur.
Comment expliquez-vous plus généralement les différences d’appréciation des coûts de l’immigration selon les études publiées sur le sujet, même provenant d’organismes publics comme l’OCDE et le CEPII ? Plus généralement, quelle serait, selon vous, la méthode idéale pour apprécier les coûts de l’immigration en France ?
Jean-Paul Gourévitch
Il n’y a pas de méthode idéale. Le CEPII, irrigué notamment par les études de Xavier Chojnicki et de Lionel Ragot publiées en 2018, ne s’est attaché qu’à la période 1979-2011 où il mentionne néanmoins un déficit pour toute la période qu’il situe entre 0,2 et 0,5% du PIB. Les économistes « de gauche », comme François Gemenne ou l’OCDE, positionnent le déficit annuel de l’immigration pour l’État français entre 4 et 15 milliards d’euros. Ceux « d’extrême droite », comme André Posokhow, Gérard Pince ou Yves-Marie Laulan, évoquent des fourchettes allant de 70 à 90 milliards. Tous sont en désaccord sur les sources et les paramètres utilisés.
La première démarche scientifique est quantitative. Elle consiste à expliciter les données disponibles sur le nombre d’immigrés au sens du Haut Conseil à l’intégration (nés à l’étranger de parents étrangers) et le nombre de personnes d’origine étrangère (descendants directs d’un couple de deux immigrés et d’un couple mixte). Dans ce dernier cas, un débat existe effectivement pour savoir s’il faut compter le descendant à part entière ou pour 50% (ce qui est ma position).
À noter que pour le calcul des coûts de l’immigration, le problème des étrangers n’est pas une variable pertinente. Les immigrés devenus Français et les immigrés restés étrangers sont tous des immigrés. Ce n’est pas parce qu’un immigré acquiert la nationalité française que son attitude se modifie. Ainsi, comme la presse grand public le fait, décompter la proportion de délinquants étrangers en occultant ceux des délinquants qui ont la nationalité française et leurs enfants devenus Français qui commettent des délits, c’est camoufler une réalité que connaissent bien ceux qui en souffrent, développer la méfiance vis-à-vis de l’information officielle et peut-être également la xénophobie dans une partie de la population qui constate qu’on lui cache la vérité.
Ces données doivent être en priorité celles qui figurent dans les statistiques officielles récentes et non pas celles qui datent de 5 ou 10 ans. Ainsi Didier Leschi, directeur général de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration, auteur de la publication Fondapol Migrations : la France singulière (octobre 2018), avance qu’il y a 11% d’immigrés en France et que si l’on ajoute les descendants directs nés de deux parents étrangers ou d’un couple mixte, c’est « près d’un quart de la population française qui a un lien direct avec l’immigration ».
Enfin, on ne peut pas faire comme si l’immigration irrégulière n’existait pas. Les diverses estimations situent cette population entre 300 000 et 1 500 000 hors Mineurs Non Accompagnés, dont la progression en France est exponentielle. Une fourchette ou plutôt un râteau dont les dents peuvent être cependant resserrées.
La seconde démarche scientifique est qualitative et doit lister les paramètres qui tiennent compte des recettes et des dépenses générées par cette population d’origine étrangère. On ne peut pas, comme Chojnicki et Ragot dans leur ouvrage On entend dire que l’immigration coûte cher à la France (Les Echos, Eyrolles 2012), se contenter d’une règle de 3, comme si les recettes apportées à la communauté nationale par la population d’origine étrangère étaient directement proportionnelles à celle de la population autochtone. Il faut aller plus finement dans l’analyse.
D’un côté il y a les recettes fiscales et sociales locales et nationales générées par les immigrés, la participation par leur consommation à la TVA et à la TICPE mais aussi la contribution par leur travail à l’augmentation du PIB de la nation.
De l’autre, il faut compter les dépenses sociales de toute nature (emploi-réinsertion, santé, vieillesse, survie, famille, pauvreté-exclusion allocations, aide au logement, etc.) mais aussi les coûts structurels, sociétaux, fiscaux, éducatifs et sécuritaires.
Enfin, il faut ajouter les coûts spécifiques à l’immigration irrégulière tant en recettes (consommation et travail) qu’en dépenses (demandes d’asile, hébergement, scolarisation, reconduites…) et en séparant les coûts spécifiques (type reconduites), des coûts partagés avec l’immigration légale (type demande d’asile) et des coûts proportionnels (type consommation).
De mon point de vue – mais je suis minoritaire sur la question -, il faut mentionner également les investissements faits pour cette population et ses descendants directs par l’État, tant extérieurs (part de l’aide au développement destinée à freiner la demande de migration) qu’intérieurs (alphabétisation, éducation, formation, politique de la ville, soutien des associations de migrants…) et mesurer leur rentabilité à court et moyen terme.
Cette question est donc complexe et ne peut être portée que par un observatoire général de l’immigration, indépendant et diversifié, qui ne doit pas viser un consensus impossible tant le sujet est clivant, mais contribuer à un débat dépassionné listant les points d’accord et ceux de désaccord, comme le font parfois les commissions d’enquête du Sénat ou celles de l’Assemblée Nationale, pour faciliter un état des lieux permettant à chacun de construire son opinion en connaissance de cause. Cela fait dix ans que nous portons cette revendication et encore récemment en mars 2018 dans le memorandum de Contribuables Associés sur la loi Macron sur l’immigration envoyé à tous les députés et sénateurs. Sans aucun succès sinon d’estime. Si votre observatoire constituait une première réponse, ce ne pourrait être que bénéfique, à condition de développer sa visibilité.
Si j’osais ajouter deux lignes à cette réponse déjà longue, je souhaiterais que cet organisme prenne en charge l’ensemble du coût des migrations, c’est à dire également celui de l’expatriation des citoyens français, ouvre des fenêtres sur ce qui se fait à l’étranger, et s’intéresse particulièrement aux étudiants étrangers qui représentent aujourd’hui, devant les migrations familiales, le flux le plus important d’immigration légale. Quelle rentabilité pour quel coût ? J’ai fait des propositions en ce sens au Ministère des Affaires Étrangères, de l’Enseignement Supérieur et de la recherche, à Campus France et à la future Cité de la francophonie. Quand par chance on me répond, c’est pour me dire que je devrais m’adresser ailleurs…
En 2008 vous concluiez à un coût de l’immigration de 36,4 milliards d’euros (1,96% de PIB) en France. En 2017, vous avez fait descendre ce chiffre à 17,7 milliards (0,8% de PIB). Comment expliquez-vous cette baisse ?
Jean-Paul Gourévitch
Sur ce point vous avez raison. Cette baisse n’est pas justifiable. Je m’en suis expliqué dans plusieurs articles à partir de 2010 que je résume ici brièvement. Ma monographie n° 14 de mars 2008 pour Contribuables Associés sur « le coût réel de l’immigration en France » qui rappelait que tous les chiffres sont à consommer avec modération, ambitionnait de faire une première évaluation comparée de l’ensemble des recettes et des dépenses générées par la population immigrée et issue directement de l’immigration, destinée à être actualisée en tant que de besoin.
Dans ces 72 pages s’est malheureusement glissée une erreur de taille, l’oubli de la différence entre les contributions sociales des employeurs français employant des immigrés et celles des employeurs immigrés. Je ne l’ai pas vue immédiatement, puis alerté par des lecteurs autant que par des contradicteurs, je me suis efforcé de la corriger notamment dans la monographie n° 27 de novembre 2012 pour Contribuables Associés : « L’immigration en France : dépenses, recettes, investissements, rentabilité ». Mais le mal était fait et certains de mes contradicteurs comme David Doucet (Les Inrocks) n’en ont tenu aucun compte et continuent à me présenter dans Google comme « le chercheur préféré de l’extrême droite ». Première référence sur Google quand on tape mon nom. J’ai plusieurs fois demandé aux Inrocks un droit de réponse et à Google qu’on supprime cette référence obsolète devenue diffamatoire, sans grand succès jusqu’à présent.
Au-delà de cet écart dommageable, la question des coûts des migrations ne peut être abordée s’il n’y a pas une actualisation permanente des coûts qui ne peut être faite en permanence. De ce point de vue, le chiffre de 17,7 milliards que vous citez pour 2017 (Les véritables enjeux des migrations, Éditions du Rocher) et que j’assume, est aujourd’hui dépassé tant en raison de l’augmentation du nombre d’immigrés légaux et irréguliers, que de l’arrivée massive des MNE, de l’explosion des dépenses sociales, sociétales et sécuritaires , des modifications de la courbe du chômage, de la prolifération de la fraude dans toutes ses dimensions dont les immigrés et leurs descendants ne sont évidemment pas les seuls responsables. J’envisage de faire une actualisation en 2021 ou 2022 mais c’est un travail colossal, chronophage et quasiment bénévole, même si les données sont aujourd’hui un peu plus disponibles.
Avez-vous subi des pressions ou une forme d’exclusion dans les médias et le milieu universitaire @à la suite de la publication de vos travaux relatifs aux coûts de l’immigration ?
Jean-Paul Gourévitch
L’ostracisme dont je suis victime ne date pas d’hier. Alors que les organismes internationaux continuent à faire appel à moi comme une source fiable de l’information sur les migrations, je pourrais faire un inventaire des médias nationaux qui m’ont systématiquement occulté. Je n’ai jamais été invité à une seule émission de France Culture depuis 1998, de RFI depuis 10 ans, n’ai pas eu l’honneur d’une chronique voire d’une simple mention de mes travaux dans Télérama ou dans l’Obs, qui m’a d’ailleurs fait savoir par sa directrice adjointe de l’époque que, quel que soit le sujet que je traiterai, je suis dorénavant sur liste rouge.
Mais surtout au cas où certains l’ignoreraient, j’ai été victime d’un « bashing médiatique » à la sortie de l’ouvrage Les Migrations sur les Nuls(First, septembre 2014). Je me permets d’y revenir. Le jour même de la parution, un article venimeux et diffamatoire de Charlotte Plantive de l’AFP a été repris immédiatement par 51 journaux de la presse écrite, audiovisuelle et du net qui n’ont ni lu l’ouvrage, ni consulté l’auteur et l’éditeur. Cet article tentait de me situer très à droite, s’attardant sur les organismes de cette mouvance qui me demandaient des interviews – je les donne à qui le souhaite mais exige qu’on ne déforme pas mes propos -, oubliait les organismes de gauche pour lesquels d’intervenais (LICRA de Toulouse, Metz, Besançon, SOS-Racisme…) et où je continue d’intervenir, comme Solidarité Internationale dont j’ai coordonné scientifiquement l’exposition sur la « Caravane de la Mémoire » (à partir de 2015) et l’ouvrage sur Les Forces Noires Africaines pendant, avant et après la Grande Guerre (SPM, décembre 2018). Pour étayer scientifiquement ses dires, la journaliste s’était appuyée sur trois spécialistes très à gauche, Virginie Giraudon de Sciences-Po dont on connaît les engagements, François Héran qui, sans avoir ouvert probablement l’ouvrage pas encore en librairie, y a découvert une « théorie du complot » (!!) et Benjamin Stora qui a eu le courage de me présenter ses excuses six mois après, pour avoir été instrumentalisé par une question de la journaliste alors qu’il n’avait pas ouvert l’ouvrage. Elle aurait pu s’adresser à Michèle Tribalat ou à Gérard-François Dumont, mais la réponse ne lui aurait probablement pas convenu. Bref, une partie des libraires ont renvoyé immédiatement les offices à l’éditeur, « pour ne pas polluer l’esprit de mes lecteurs » a commenté l’un d’entre eux ; d’autres l’ont soigneusement camouflé derrière les rayons, « mais si on nous le demande, nous le fournirons » (FNAC Italie) ; le procès intenté par mon avocat contre l’AFP et deux des journaux qui avaient relayé cette information n’a eu que des résultats mitigés et m’a coûté beaucoup plus cher que mes droits d’auteur mais l’honneur n’a pas de prix. Les médias qui m’invitaient régulièrement pour commenter l’actualité (BFM TV, France 24, LCI) se sont systématiquement décommandés. Et si le directeur de la collection First de l’époque m’a effectivement soutenu, le « grand patron » de la maison ne voulait pas « se brouiller avec l’AFP » pour quelqu’un qui n’était qu’un des auteurs d’une des collections de sa maison. L’ouvrage a d’ailleurs été pilonné peu de temps après sans que j’en aie été averti, mais, grâce à l’intervention de la Société des Gens de Lettres, je me suis donné le petit plaisir d’obliger la maison à retirer et me livrer à leurs frais quelques dizaines d’exemplaires.
Ce qui est extraordinaire, c’est que, quand vous êtes blacklisté pour un ouvrage, c’est toute votre œuvre qui en subit le contrecoup. Ainsi, Le Monde dont un des chroniqueurs au salon du livre de Montreuil avait encensé mon Abcdaire illustré de la littérature jeunesse, premier dictionnaire de cette littérature du XVIe siècle à nos jours en France et dans tous les pays du monde, publié après de 40 ans de travail, n’y a pas consacré une ligne, pas plus qu’à mon Tour du Monde en 80 cocktails illustré de 80 aquarelles de Pierre Estable (prix Spirit Bas 2015), à La Méditerranée, conquête, puissance, déclin, finaliste du prix Méditerranée, ou à Grilles Mortelles, mon premier polar interactif à coups de mots croisés. Cette affaire, sur laquelle je me suis suffisamment attardé, dépasse en fait largement mon cas personnel et fait partie des dénis de l’information dont la pensée dominante est coutumière. J’en profite donc pour remercier ceux qui m’ont accordé ça ou là un droit de réponse : Le Point, Challenges, La Croix, Le Courrier de l’Atlas, Rue 89, Charlie-Hebdo… et Mediapart.
Dans vos travaux, vous essayez de prendre en compte la fraude dans le calcul des coûts de l’immigration. À la suite des révélations du magistrat Charles Prats sur la fraude sociale, pensez-vous que ce phénomène ait été sous-estimé, par vous et par d’autres ?
Jean-Paul Gourévitch
J’ai évidemment acheté et lu Le cartel des fraudes de Charles Prats (Ring 2020), ainsi que les études de la Cour des comptes et le rapport Goulet-Grandjean qu’il cite largement. Je suppose que ce travail, qui porte essentiellement sur la fraude sociale qu’il évalue à 50 milliards par an et dans lequel il détecte 5 millions de fraudeurs, n’est que le premier volume d’une collection dans laquelle il reviendra plus largement sur la fraude documentaire, et abordera également la fraude fiscale, la fraude sociétale, etc. J’ai moi-même démontré que la simple fraude aux transports de la RATP en Ile-de-France (Les Dossiers du Contribuable N° 13 juin-juillet 2013), coûtait plus de 2,5 milliards par an aux seuls contribuables franciliens.
Ces chiffres sont évidemment largement supérieurs à mes estimations de 2012, mais ils ne concernent pas que les seuls immigrés et leurs descendants. Nous sommes en présence d’une croissance exponentielle de la fraude qu’il faut aussi lier à la disparition progressive de l’État de droit, à l’incapacité de notre système de contrôle de faire respecter les lois qu’il a votées, et à une acceptation progressive par l’opinion publique de l’utilité sociale de la fraude. J’y reviendrai sans doute plus largement dans un prochain ouvrage, quand Charles Prats aura poursuivi et publié ses nouvelles investigations.
Pensez-vous que la question des coûts de l’immigration soit aujourd’hui prise au sérieux par nos dirigeants administratifs et politiques ?
Jean-Paul Gourévitch
Question difficile qui demanderait de très longs développements et à laquelle j’aurais tendance à répondre par une boutade : « aujourd’hui un peu plus qu’hier et bien moins que demain ».
Pensez-vous que la question des coûts de l’immigration soit prise au sérieux par nos dirigeants ?
Jean-Paul Gourévitch
Toutes les enquêtes et sondages effectués récemment montrent que globalement – et peut-être encore plus maintenant, du fait de la pandémie et de ses conséquences psychologiques, économiques, sociales, sociétales et géopolitiques -, l’aspect financier des migrations l’emporte dans l’opinion publique sur son aspect émotionnel et idéologique.
Si l’on examine l’enquête IFOP du JDD du 02/12/2018 faite avec le concours de l’American Jewish Committee et de la Fondation Jean-Jaurès, on constate que près de trois quarts de sondés, toutes opinions confondues, considèrent que l’immigration coûte à la France plus qu’elle ne rapporte et que 70% estiment que le pays n’a plus les moyens d’accueillir de nouveaux immigrés. Si l’on rapproche les aspects financiers des considérations sociétales et idéologiques, deux tiers des sondés estiment que l’immigration a un effet négatif en matière de délinquance et de sécurité et un peu plus de la moitié pensent même qu’elle augmente le terrorisme. La comparaison de cette enquête à celle faite deux ans auparavant par le même organisme montre la radicalisation de l’opinion.
Une analyse plus fine en fonction des préférences politiques montre que l’aspect négatif du coût économique est mentionné par 88 à 89% des sympathisants des Républicains et du RN, alors que les sympathisants LREM sont plus partagés, se rapprochant parfois des militants de gauche, plus nombreux à considérer que les coûts sont positifs ou que cette question est secondaire. Cette « droitisation » de l’opinion publique sur l’immigration ne prouve pas que les Français sont bien informés sur ses enjeux financiers car les amalgames et schématisations sont nombreux dans les réponses. Elle traduit néanmoins une évolution sur deux points : le travail des experts n’a pas été totalement inutile, mais un débat dépassionné sur la question entre personnes informées et de bonne volonté relève encore aujourd’hui de l’utopie.