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Étiquette : Notes

L’immigration dans les territoires : quinze ans de bouleversements (2006 – 2021)

L’analyse conduite ici porte sur l’évolution de la part des immigrés dans la population générale des communes en France. Afin d’assurer sa précision et d’écarter les lectures erronées qui pourraient en être faites, il convient de rappeler la définition formelle de cette notion afin de mieux la distinguer d’autres termes apparemment proches – en particulier celui d’étranger.

Immigré Un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France. Les personnes nées Françaises à l’étranger et vivant en France ne sont donc pas comptabilisées. Certains immigrés ont pu devenir Français, les autres restant étrangers. Les populations étrangère et immigrée ne se recoupent que partiellement : un immigré n’est pas nécessairement étranger et réciproquement, certains étrangers sont nés en France (essentiellement des mineurs). Les enfants d’immigrés, s’ils sont nés en France, ne sont pas comptabilisés comme immigrés, mais comme « descendants d’immigrés ». La qualité d’immigré est permanente : un individu continue à appartenir à la population immigrée même s’il devient Français par acquisition. C’est le pays de naissance, et non la nationalité à la naissance, qui définit l’origine géographique d’un immigré.
Étranger Un étranger est une personne qui réside en France et ne possède pas la nationalité française, soit qu’elle possède une autre nationalité (à titre exclusif), soit qu’elle n’en ait aucune (c’est le cas des personnes apatrides).  Les personnes de nationalité française possédant une autre nationalité (ou plusieurs) sont considérées en France comme françaises. Un étranger n’est pas forcément immigré, il peut être né en France (les mineurs notamment). À la différence de celle d’immigré, la qualité d’étranger ne perdure pas toujours tout au long de la vie : on peut, sous réserve que la législation en vigueur le permette, devenir français par acquisition.
Source des définitions : INSEE

L’objectif de cette note étant d’appréhender les effet des flux migratoires, entendus comme « le nombre de migrants internationaux arrivant dans un pays (immigrants), ou nombre de migrants internationaux quittant un pays (émigrants) pendant une période déterminée » – pour reprendre les termes employés par les Nations Unies, le choix a été fait de retenir le critère du statut migratoire (immigré vs non-immigré) plutôt que celui de la nationalité (étranger vs Français).

Sur l’intervalle des quinze années concernées par notre étude – cf infra pour explications méthodologiques –, la population immigrée en France a augmenté de 1,8 million de personnes : elle est passée de 5,136 millions en 2006 à 6,932 millions en 2021 – pour atteindre finalement 7,282 millions en 2023. Le nombre d’immigrés résidant en France a donc augmenté de 35% sur notre période d’étude.1

La part des immigrés dans la population générale est ainsi passée de 8,1% en 2006 à 10,2% en 2021 (atteignant 10,7% en 2023) – soit une hausse de 2,1 points et une multiplication par 1,26.2

Un constat clair peut être établi au regard des données historiques de l’INSEE, qui remontent jusqu’au début du XXème siècle et commencent au premier « décollage migratoire » de l’entre-deux-guerres : il n’y a jamais eu autant d’immigrés en France qu’aujourd’hui, que ce soit en valeur absolue ou en part relative, avec une croissance spectaculaire pouvant être observée depuis la fin des années 1990.

Source du graphique : INSEE.3

L’Afrique est le premier continent d’origine des immigrés en France, puisque 48% des immigrés en étaient issus en 2023. Dans le détail, selon l’INSEE : « six immigrés nés en Afrique sur dix sont originaires du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie), contre neuf sur dix en 1968. Le nombre d’immigrés originaires d’Afrique sahélienne, guinéenne ou centrale a doublé depuis 2006 ».4 Ces dynamiques par origine sont vouées à se retrouver dans les communes qui ont connu la plus forte hausse de leur part de population immigrée depuis lors.

La France accueille l’immigration la plus africaine d’Europe. Selon les données disponibles de l’OCDE, 61% des immigrés de 15 à 64 ans vivant en France étaient originaires du continent africain (Maghreb et hors-Maghreb) en 2020, soit une part trois fois supérieure à la moyenne de l’UE. Au Portugal, qui compte la deuxième plus forte proportion d’immigrés africains après la nôtre, cette part n’était que de 35% – soit 26 points de moins qu’en France.5

De même, 45% des immigrés arrivés en France après l’âge de 15 ans déclaraient en 2023 être venus pour accompagner ou rejoindre un membre de leur famille, selon l’INSEE.6 De son côté, l’OCDE évaluait à 41,6% la part des entrées d’immigrés permanents effectuées au titre du motif « Famille » sur le total des entrées entre 2005 et 2020, soit un taux trois fois supérieur à celui constaté en Allemagne sur la même période.7

La hausse rapide et forte de la population immigrée en France a été portée par une croissance conjointe des diverses catégories de flux migratoires reçus dans notre pays, qui peut être attestée par l’ensemble des indicateurs disponibles.

  • Titres de séjour : le nombre annuel de primo-titres de séjour accordés à des ressortissants de « pays tiers » (hors UE, Suisse et Royaume-Uni) a augmenté de moitié entre 2006 et 2021 (+41%), passant de 183 261 à 273 360. Il a quasiment triplé entre 1997 et 2023 (+175%), pour atteindre 326 954 primo-titres l’an dernier.8
  • Asile : le nombre annuel de primo-demandes d’asile reçues en France a été multiplié par 3 entre 2009 et 2019, passant de 42 000 à 138 000 demandes. Ayant connu une baisse conjoncturelle liée au Covid en 2020-2021, il a ensuite repris sa dynamique haussière pour atteindre 145 000 personnes en 2023.
  • Immigration clandestine : le nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’Etat – réservée aux étrangers en situation irrégulière – a doublé entre le 1er janvier 2006 et le 1er janvier 2021 (passant de 189 284 à 382 899 usagers), attestant de la dynamique plus globale de l’immigration illégale. Ce nombre a même triplé en moins de vingt ans (2004-2023), pour atteindre 466 000 personnes en fin d’année dernière.9

Pour procéder à l’étude comparée des évolutions de la population immigrée dans les communes de France, notre analyse s’est fondée sur les données les plus précises parmi celles rendues disponibles publiquement. Elles se trouvent dans les bases du recensement par commune rendues publiques par l’INSEE :

  • Fichier IMG1A pour 2021 – « Population par sexe, âge, et situation quant à l’immigration ».10
  • Fichier IMG1 pour 2006 : « Population par sexe, âge, et situation quant à l’immigration ».11

Le choix de l’année 2021 tient au fait qu’il s’agit de la plus récente année pour laquelle ces données sont disponibles au niveau communal, ayant été mises en ligne le 27 juin 2024.

L’arbitrage en faveur de l’année 2006 répond à la nécessité de couvrir une période de temps suffisamment ample – quinze années – afin de retracer des évolutions structurelles qui ne peuvent s’appréhender que de cette façon, tout en tenant compte de la disponibilité ou de l’absence des fichiers les plus anciens sur le site de l’INSEE.

Pour l’ensemble des 35 000 communes recensées en France métropolitaine (36 500 en 2006), nous avons additionné les segments de population remplissant la variable statistique IMMI1 – correspondant à la définition statistique des immigrés telle que décrite à la plage précédente. Nous avons ensuite rapporté cette somme à l’ensemble de la population de la commune pour obtenir la part des immigrés dans celle-ci, exprimée en pourcentage.

Ayant effectué ce travail sur les données des années 2006 et 2021, nous avons ensuite calculé l’évolution de la part des immigrés dans chaque commune entre ces deux dates, suivant deux modalités d’approche méthodologique :

  1. Variation « relative » de la part des immigrés : la différence est approchée par un coefficient multiplicateur.

Exemple : la part des immigrés dans la population de Brest a été multipliée par 2 entre 2006 et 2021.

  1. Variation « absolue » de la part des immigrés : la différence est approchée en points de pourcentage.

Exemple : la part des immigrés dans la population de Metz a augmenté de 6,3 points entre 2006 et 2021.

Les données mises en ligne par l’INSEE au niveau communal se limitent à recenser deux statuts migratoires généraux : « immigré » ou « non-immigré. Plusieurs niveaux d’information ne sont donc pas accessibles par ce biais :

  • Pays de naissance des immigrés : ceux-ci sont décomptés ici dans leur ensemble pour chaque commune, sans distinction selon leur origine géographique. Les données disponibles au niveau national permettent cependant d’y voir clair sur les principales origines migratoires concernées – cf supra.
  • Statut régulier ou non : parmi les immigrés n’ayant pas acquis la nationalité française, le recensement de l’INSEE ne distingue pas entre ceux qui résident légalement sur le territoire national (qu’ils disposent d’un titre de séjour valide ou en soient dispensés – comme les citoyens européens) et ceux qui y sont présents de façon irrégulière.
  • Durée de présence sur le territoire national : il n’est pas possible de quantifier, dans chaque commune, les immigrés arrivés en France durant notre période de référence (2006-2021) et ceux qui s’étaient déjà installés dans le pays antérieurement.

Il ressort de cette analyse deux principaux constats :

  1. Une augmentation rapide de la part des immigrés dans des territoires parmi les moins concernés par l’immigration jusqu’alors, avec un basculement notable dans les régions du Grand Ouest (Bretagne, Pays de la Loire, Normandie…) ;
  2. Une consolidation de la surreprésentation des immigrés dans des régions concernées largement et de plus longue date, notamment en Ile-de-France (avec une diffusion des réalités migratoires aux lisières de la région), mais aussi en PACA et dans le Grand Est.

Lecture : la part des immigrés dans la population du Mans a été multipliée par 2,03 entre 2006 et 2021 – elle a donc doublé en quinze ans.

Lecture : la part des immigrés dans la population d’Argenteuil a augmenté de 6,4 points entre 2006 et 2021.

Lecture : la part des immigrés dans la population de La Chapelle-sur-Erdre a été multipliée par 2,97 entre 2006 et 2021 – elle a donc quasiment triplé en quinze ans.

Lecture : la part des immigrés dans la population de Villeneuve-Saint-Georges a augmenté de 14,1 points entre 2006 et 2021.

Lecture : la part des immigrés dans la population de La Guerche-de-Bretagne a été multipliée par 8,25 entre 2006 et 2021.

Lecture : la part des immigrés dans la population de Villerupt a augmenté de 20,2 points entre 2006 et 2021.

NB : pour cette catégorie, un fort phénomène de « villes frontalières » est à prendre en compte – en particulier pour les communes des régions Grand Est et Auvergne-Rhône-Alpes.

Un certain nombre des villes identifiées dans les classements établis ci-dessus (en particulier dans le segment des communes comptant entre 3 000 et 20 000 habitants) ont accueilli sur leur territoire un ou plusieurs dispositifs d’hébergement mis en œuvre dans le cadre du dispositif national d’accueil des personnes demandant l’asile et des réfugiés (DNA). Ce schéma directeur comptait environ 120 000 places (119 725) à la fin de l’année 2023 – auxquelles s’ajoutaient 13 817 places pour les bénéficiaires de la protection temporaire (BPT) d’Ukraine.12

Parmi ces 120 000 places, l’on comptait notamment 50 000 places autorisées de centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) et 64 000 autres places d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile (HUDA). Comme le résume la Cimade : « le parc d’hébergement est principalement situé en Ile- de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Grand Est qui sont les trois principales régions métropolitaines qui enregistrent le plus grand nombre de demandes. Cependant, ce sont les régions Pays de la Loire, Bretagne, Nouvelle Aquitaine et Occitanie qui ont connu le plus grand nombre de créations, ces dix dernières années. »13

En effet, la présence notable de plusieurs communes bretonnes et ligériennes est à remarquer dans cette étude. Il en va ainsi de La Guerche-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine), en tête du classement national d’augmentation relative pour les communes de 3 000 à 20 000 habitants : la part des immigrés dans la population totale de cette commune de 4 400 habitants a été multipliée par huit en quinze ans.  Sa trajectoire migratoire peut être appréhendée par l’analyse des articles du Journal de Vitré, l’hebdomadaire local. En octobre 2015, dans le cadre de la politique d’évacuation et de désengorgement de la « jungle de Calais », les autorités y ont ouvert un Centre d’accueil et d’orientation (CAO) – ayant fermé ses portes en juin 2017.14 Puis, dès novembre 2017, un CADA y a été inauguré. En février 2019, la presse locale y mentionnait l’existence de « deux pôles d’accueil » : un CADA et une résidence louée sur place par la ville de Rennes, du fait de la saturation de ses propres capacités.15 Le même genre de trajectoire associée à des centres et places d’orientation ou d’accueil peut être retracé pour de nombreuses communes en tête du classement des petites villes : Loudun (Vienne), Villedieu-les-Poêles (Manche), La Souterraine (Creuse), Varennes-sur-Allier (Allier), Hirson (Aisne)…

Outre le dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés, les communes accueillant des foyers de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ont aussi pu voir la composition de leur démographie transformée par la place majeure prise par les mineurs étrangers non-accompagnés dans les hébergements de l’ASE. Le nombre annuel de personnes déclarées MNA sur le territoire français a été multiplié par trois entre 2014 et 2019, pour atteindre un niveau record l’an dernier (19 000 personnes en 2023 contre 5 000 en 2014)16 ; leur prise en charge fait aussi l’objet d’un dispositif de répartition entre les départements, dont les conseils départementaux sont en charge de l’ASE.

Citons enfin la mise en œuvre récente de « sas d’accueil temporaire » dans certaines villes de province, créés en 2023 pour désengorger l’Ile-de-France de personnes en situation irrégulière et de grande précarité – souvent issus des « camps de migrants » dans Paris et ses alentours – et les orienter rapidement vers d’autres dispositifs, relevant du DNA ou du l’hébergement d’urgence généraliste (dont 40 à 60% des places du parc de l’Etat sont aujourd’hui occupées par des étrangers irréguliers, selon les estimations de la Cour des Comptes).17

Tandis que les stratégies nationales de « répartition » de l’immigration peuvent apparaître largement subies par les communes qui en sont l’objet – en particulier les petites villes rurales –, d’autres collectivités ont assumé depuis plusieurs années le choix explicite d’une politique locale « d’ouverture » large en matière migratoire, souvent justifiée par des arguments croisant des considérations d’ordre humanitaire, économique ou plus strictement idéologique.

Il en va ainsi des villes membres d’une structure puissante, quoique peu connue du grand public : l’Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita), fédération de collectivités s’engageant à combattre « toute politique remettant en cause l’accueil inconditionnel » des étrangers sur le sol français – comme le résume sa charte fondatrice.18 Celle-ci synthétise et définit les grands principes des politiques publiques d’immigration mises en œuvre par les élus qui y sont engagés : « Nos territoires peuvent devenir refuges pour tous ceux et toutes celles qui ont besoin d’être mis à l’abri. C’est mettre en œuvre le devoir d’hospitalité en répondant d’abord et avant tout aux urgences, celles liées à l’accès inconditionnel à l’hébergement, à l’alimentation, à l’hygiène, à la santé, à l’éducation et à la culture pour répondre aux besoins vitaux. […] Nous proposons de mettre en œuvre tout dispositif permettant aux personnes, quel que soit leur statut, de vivre dignement dans nos territoires ».

Parmi les métropoles régionales qui en font partie figurent notamment Nantes, Rennes, Tours ou Rouen – présentes dans les classements ci-dessus. Mais l’Anvita intègre aussi des villes moyennes, des départements et des régions comme l’Occitanie et le Centre-Val de Loire. Les territoires concernés se distinguent notamment par la densité du tissu associatif d’accueil et de prise en charge des immigrés, spécialement ceux relevant de l’immigration familiale, de la demande d’asile ou d’une situation irrégulière, dont les actions peuvent bénéficier de subventions et concours publics significatifs. Ces réseaux de prise en charge à la lisière de la délégation de service public, de l’activisme juridique et du militantisme politique sont autant de facteurs d’attractivité pour certains des types d’immigration évoqués.

Notons enfin que, si une ville-métropole peut prendre seule la décision de mettre en œuvre une telle stratégie d’attractivité migratoire, les effets démographiques de ses décisions peuvent se ressentir dans l’ensemble d’un bassin de population. La présence dans cette étude de nombreuses communes d’Ille-et-Vilaine et de Loire-Atlantique autres que Rennes et Nantes peut notamment en témoigner.

Outre les transformations rapides qu’a connu le Grand Ouest, l’analyse présentée ici fait apparaître une consolidation de la surreprésentation de l’immigration en Ile-de-France. Il est notable à ce titre que la commune de plus de 100 000 habitants ayant connu la plus forte augmentation de sa population immigrée en points de pourcentage soit Argenteuil (+ 6,4 points en 15 ans), alors même que sa part de population immigrée était déjà trois fois supérieure à la moyenne nationale en 2006.

Cette surreprésentation persistante en région parisienne n’a cependant pas concerné que la capitale et sa couronne la plus immédiate. On remarque une présence notable de communes situées aux lisières intérieures et extérieures de l’Ile-de-France : dans les espaces périurbains de l’Essonne, en Seine-et-Marne, dans le Loiret ou l’Yonne. Ainsi la part des immigrés dans la population de Nangis (Seine-et-Marne) a-t-elle augmenté de 10,3 points en quinze ans ; de 9,6 points à Joigny (Yonne) ; ou encore de 5,7 points à Orléans (Loiret).

Comme le résume le démographe Gérard-François Dumont, membre du conseil scientifique de l’OID : « L’immigration crée l’immigration. […] À partir du moment où des membres d’une communauté s’installent quelque part, ils jouent le rôle de guichet d’accueil pour d’autres personnes de la même origine ».19 Ce constat est à appréhender à la lumière de la nature spécifique des raisons d’installation des immigrés en France. La part des entrées d’immigrés (toutes origines confondues) effectuées sur le fondement d’un motif « Famille » est la plus élevée dans notre pays parmi toute l’Europe de l’Ouest : elle a représenté 41,2% des entrées d’immigrés permanents sur la période 2005-2020, soit un taux trois fois supérieur à celui constaté en Allemagne (contre 10,5% pour le motif « Travail »).20 Nous sommes là au cœur des phénomènes de flux migratoires par capillarité, propres aux comportements de diaspora.

La diffusion de l’immigration vers les marges du Bassin parisien peut s’expliquer de différentes façons. L’une d’entre elles est à lier avec les programmes de rénovation urbaine mis en œuvre dans certaines communes, comportant de longue date des quartiers relevant de politique de la ville, qui ont généré des phénomènes de déport des populations immigrés vers de nouveaux lieux d’installation, en particulier ceux disposant d’importants parcs de logement sociaux – le cas de Nangis apparaît assez illustratif de ces situations. Plus généralement, il apparaît que la saturation de certaines capacités d’accueil dans le cœur de l’agglomération parisienne a pu générer un déplacement de la demande vers des territoires plus excentrés, restant cependant à la portée des réseaux de diaspora et des services offerts dans la grande métropole parisienne. Cet effet de saturation francilienne a aussi pu jouer un rôle dans l’orientation de l’immigration vers les métropoles de l’Ouest et leurs agglomérations immédiates, dont les capacités d’accueil connaissaient une moindre tension dans les années 2000.

A l’échelle nationale, une étude de l’INSEE21 a publié des statistiques précises sur le taux d’emploi et de chômage des immigrés et des descendants d’immigrés extra-européens, par groupes de pays d’origine ou par pays d’origine. De celles-ci, on dénote non seulement un écart important entre les immigrés et les personnes sans ascendance migratoire – à l’exception des immigrés d’Asie du Sud-est qui enregistrent les meilleurs résultats, mais également une aggravation de ces indicateurs pour la deuxième génération.

  • Ainsi, le taux d’emploi des immigrés âgés de 15 à 64 ans était en moyenne de 62,5% en 2023, contre 59,7% pour la deuxième génération, bien inférieur à celui des personnes sans ascendance migratoire (70,7%). Plus précisément :
  • Le taux d’emploi des immigrés originaires d’Afrique âgés de 15 à 64 ans était de 59,9% en 2023, contre 50,6 pour la deuxième génération (soit une baisse de près de 10 points) ;
  • Le taux d’emploi des immigrés originaires du Maghreb âgés de 15 à 64 ans était de 57,7% en 2023, contre 51,6% pour la deuxième génération (soit une baisse de près de 6 points) ;
  • Le taux d’emploi des immigrés turcs âgés de 15 à 64 ans était de 54,3% en 2023, contre 47% pour la deuxième génération (soit moins de la moitié des personnes concernées, et une baisse de plus de 6 points) ;
  • Le taux d’emploi des immigrés originaires d’Asie du Sud-est âgés de 15 à 64 ans était de 75,3% en 2023, contre 69,6% pour la deuxième génération (soit de meilleurs résultats que les Français natifs pour la première génération, et des résultats quasiment identiques pour la deuxième génération).
  • De même, le taux de chômage des immigrés âgés de 15 à 64 ans était en moyenne de 11,2% en 2023, contre 10,2% pour la deuxième génération, soit près du double de celui des personnes sans ascendance migratoire (6,5%). Dans le détail :
  • Le taux de chômage des immigrés originaires d’Afrique âgés de 15 à 64 ans était de 13,6% en 2023, contre 15% pour la deuxième génération ;
  • Le taux de chômage des immigrés originaires du Maghreb âgés de 15 à 64 ans était de 14,1% en 2023, contre 14,3% pour la deuxième génération ;
  • Le taux de chômage des immigrés turcs âgés de 15 à 64 ans était de 13,7% en 2023, contre 14,9% pour la deuxième génération ;
  • Le taux de chômage des immigrés originaires d’Asie du Sud-est âgés de 15 à 64 ans était de 3,2% en 2023, contre 5,6% pour la deuxième génération (soit de meilleurs résultats que les Français natifs à la fois pour la première génération et la deuxième génération).

Par ailleurs, une approche complémentaire avec des données de l’OCDE22 fondées sur la nationalité – et non plus sur l’origine migratoire – permet d’aboutir à des conclusions similaires et de constater l’ampleur des écarts avec nos partenaires européens en la matière :

  • La part des étrangers extra-européens de 15 ans à 64 ans qui occupaient un emploi en 2020 était seulement de 51,6%, soit un taux inférieur de 14 points à celui des citoyens français, mais aussi de 15 points à celui des étrangers extra-européens au Royaume-Uni, 9 points de moins qu’au Danemark, 6 points de moins qu’en Allemagne.
  • Les « actifs » – ceux qui occupent ou recherchent un emploi – ne comptaient que pour 64% des étrangers extra-européens en âge de travailler en 2021, soit le 3ème taux le plus faible de toute l’UE (« suivi » seulement par la Belgique et les Pays-Bas).
  • Le taux de chômage des étrangers extra-européens de 15 ans à 64 ans était de 19,4% en 2020, contre 8% pour les citoyens français, soit plus du double.

Ces réalités nationales apparaissent vouées à poser des difficultés particulières de politiques publiques dans les territoires où elles se concentrent de la façon la plus aiguë. Il semble donc judicieux de pousser notre analyse au niveau communal dans ce champ particulier.

Pour procéder à l’étude comparée de la part des immigrés chômeurs ou inactifs (hors étudiants et retraités) dans les communes de France, notre analyse s’est fondée sur les données les plus précises parmi celles rendues disponibles publiquement. Elles se trouvent dans les bases du recensement par commune rendues publiques par l’INSEE :

  • Fichier IMG2A pour 2021 – « Population de 15 ans ou plus par sexe, âge, situation quant à l’immigration et type d’activité »23

Le choix de l’année 2021 tient au fait qu’il s’agit de la plus récente année pour laquelle ces données sont disponibles au niveau communal, ayant été mises en ligne au début de l’été 2024 (le 27 juin dernier).

Pour l’ensemble des 35 000 communes recensées en France métropolitaine, nous avons additionné les segments de population remplissant la variable statistique IMMI1 – correspondant à la définition statistique des immigrés telle que décrite en introduction de cette note – au sein de la population générale âgée de 15 ans et plus.

Puis nous avons croisé cette variable avec les types d’activité (TACTR), afin de décompter les immigrés âgés de 15 ans et plus appartenant à l’une de ces catégories :

  • TACTR 12 : Chômeurs
  • TACTR 24 : Femmes ou hommes au foyer
  • TACTR 26 : Autres inactifs (hors élèves, étudiants, retraités ou préretraités)

Sur la base de ce calcul, nous avons pu établir,pour chaque commune, la part des immigrés âgés de 15 ans et plus qui étaient chômeurs ou inactifs (hors élèves, étudiants, retraités ou préretraités) en 2021.

Un classement de ces résultats a ensuite été établi au niveau national, selon la taille de la population des communes, afin d’identifier les territoires dans lesquels les enjeux liés à la plus faible intégration des immigrés sur le marché du travail se posent de la manière la plus forte.

Lecture : 40,8% des immigrés de plus de 15 ans vivant à Mulhouse étaient chômeurs ou inactifs (hors élèves, étudiants, retraités et préretraités) en 2021.

Deux constats saillants sont à noter sur le fondement de ce tableau :

  • Une forte prévalence des villes du pourtour méditerranéen en haut de classement, caractérisées par une immigration largement présente et de plus longue date qu’ailleurs : Perpignan, Nîmes, Marseille, Toulon…
  • La présence de nombreuses communes déjà identifiées parmi celles dont la part d’immigrés a le plus augmenté en quinze ans : Le Mans (en tête de l’augmentation relative de la part d’immigrés entre 2006 et 2021 pour cette catégorie de communes) se trouve ici à la 5ème place, suivi plus loin par Amiens, Angers, Caen, Metz ou Brest. L’arrivée d’une immigration nombreuse n’y a donc pas toujours été accompagnée d’une absorption efficace de celle-ci par le marché du travail.

Lecture : 50,7% des immigrés de plus de 15 ans vivant à Calais étaient chômeurs ou inactifs (hors élèves, étudiants, retraités et préretraités) en 2021.

Les communes des Hauts-de-France (Calais, Laon, Denain, Maubeuge, Roubaix, Lens, Liévin…) et du pourtour méditerranéen (5 arrondissements de Marseille, Avignon, Béziers) y sont fortement représentées, avec des parts d’immigrés chômeurs ou inactifs pouvant atteindre la moitié du total des immigrés de 15 ans et plus.

Notons aussi la présence d’isolats dans des territoires frappées par la désindustrialisation : Epinal (Vosges), Forbach (Moselle) ou encore Montbéliard (Doubs).


  1. INSEE, « Population immigrée et étrangère en France », parution du 29 août 2024 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381757 ↩︎
  2. INSEE, op. cit. ↩︎
  3. INSEE, op. cit. ↩︎
  4. INSEE, « En 2023, 3,5 millions d’immigrés nés en Afrique vivent en France », parution du 29 août 2024 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8237722 ↩︎
  5. OCDE, « Les indicateurs de l’intégration des immigrés 2023 », parution du 15/06/2023
    https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/publications/reports/2023/06/indicators-of-immigrant-integration-2023_70d202c4/d5253a21-fr.pdf ↩︎
  6. INSEE, « Raison principale de migration des immigrés arrivés en France après l’âge de 15 ans par origine géographique », parution du 29 août 2024 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/6472909#tableau-figure1 ↩︎
  7. OCDE, op. cit. ↩︎
  8. Données DGEF / ministère de l’Intérieur pour les années 2007 à 2022 : https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Chiffres-cles-sejour-visas-eloignements-asile-acces-a-la-nationalite/Archives ; données du ministère de l’Intérieur via Michèle Tribalat pour la période 1997-1999 : https://www.micheletribalat.fr/435108953/443520654 ↩︎
  9. Claude EVIN et Patrick STEFANINI, avec l’appui de l’IGA / IGAS, mission « Rapport sur l’Aide médicale d’Etat » p. 9 : https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_ame-decembre-2023.pdf ↩︎
  10. Accessible à ce lien : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8202714?sommaire=8202756 ↩︎
  11. Accessible à ce lien : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2120459?sommaire=2402722 ↩︎
  12. Cour des Comptes, « Analyse de l’exécution budgétaire 2023 – Mission Immigration, asile et intégration », avril 2024, p. 6 ↩︎
  13. Cimade, « Dispositif d’accueil des demandeurs d’asile : état des lieux 2024 », parution du 22/07/2024 : https://www.lacimade.org/schemas-regionaux-daccueil-des-demandeurs-dasile-quel-etat-des-lieux-2024/ ↩︎
  14. Le Journal de Vitré, 26 décembre 2017 : https://actu.fr/bretagne/la-guerche-de-bretagne_35125/a-guerche-bretagne-collectif-daccueil-migrants-reprend-service_14614679.html ↩︎
  15. Le Journal de Vitré, 24 février 2019 : https://actu.fr/bretagne/la-guerche-de-bretagne_35125/la-guerche-bretagne-parcours-complexe-familles-migrants_21629593.html#:~:text=Guerche-de-Bretagne-,La%20Guerche-de-Bretagne%20%3A%20le%20parcours%20complexe%20des%20familles,mieux%20qu’il%20le%20peut. ↩︎
  16. Vie Publique.fr (site du gouvernement), « Mineurs étrangers non accompagnés : un dispositif de prise en charge saturé ? », 08/12/2023 : https://www.vie-publique.fr/eclairage/286639-mineurs-etrangers-isole-un-dispositif-de-prise-en-charge-sature ↩︎
  17. Cour des Comptes, « La politique de lutte contre l’immigration irrégulière », janvier 2024
    https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-02/20240104_Politique-lutte-contre-immigration-irreguliere.pdf ↩︎
  18. Anvita, charte (consultée le 17/08/2024) : https://www.anvita.fr/fr/qui-sommes-nous/notre-charte/ ↩︎
  19. Citation dans Le Figaro, 18 novembre 2022. ↩︎
  20. OCDE, op. cit. ↩︎
  21. INSEE, « inactivité, chômage et emploi des immigrés et des descendants d’immigrés par origine géographique », parution du 29 août 2024
    https://www.insee.fr/fr/statistiques/4195420#figure1_radio2 ↩︎
  22. OCDE « Les indicateurs de l’intégration des immigrés 2023 », parution du 15/06/2023 https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/publications/reports/2023/06/indicators-of-immigrant-integration-2023_70d202c4/d5253a21-fr.pdf ↩︎
  23. Accessible ici : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8202714?sommaire=8202756 ↩︎

Contrôle des frontières, des moyens à la hauteur des enjeux ?

Contrôle des frontières, des moyens à la hauteur des enjeux ? par Fernand GONTIER, ex-directeur central de la PAF

La réponse ne peut être binaire et cette présentation démontre qu’il convient de différencier les moyens engagés sur les différents types de frontières de la France, selon leur nature juridique ou physique.

Quand on évoque les frontières, il faut toujours rappeler la distinction fondamentale entre les frontières extérieures de l’espace Schengen et les frontières intérieures ou nationales. 

Ces deux types de frontières n’obéissent pas aux mêmes règles juridiques et ne disposent pas des mêmes moyens. J’ai évoqué dans mon livre La face cachée de l’immigration les appellations de frontières « dures » pour les unes et de frontières « molles » pour les autres, au regard précisément des modalités de contrôle, des ressources engagées et des difficultés rencontrées par les gardes-frontières. 

Les frontières extérieures, s’agissant de la France, concernent essentiellement des aéroports et des ports qui constituent des points de passage frontalier (PPF). On en recense 120 environ en France, dont 78 aériens. Un PPF peut recevoir plus de 70 millions de passagers par an comme Roissy, ou quelques milliers sur un aérodrome secondaire comme Colmar par exemple. Le statut de PPF est très recherché par les collectivités locales, qui y voient une possibilité de développement et d’aménagement du territoire.

Si l’objectif des contrôles aux frontières extérieures de l’espace Schengen est bien fixé par un code communautaire, en revanche, les moyens engagés sont définis et financés par les États membres, le cas échéant avec des aides européennes (par exemple les fonds IGFV d’un montant de 6,4 milliards d’euros pour la période 2021-2027) ou autres, notamment britanniques pour sécuriser les ports et le littoral de la Manche et de la mer du Nord (72 millions d’euros en 2023). Les gestionnaires de PPF doivent également contribuer à mettre en place des équipements et les infrastructures nécessaires.

Ainsi, le Code frontières Schengen (CFS) fixe aux États membres dans son article 14 un objectif de moyens : « les États membres mettent en place les effectifs et les moyens appropriés et suffisants pour exercer le contrôle aux frontières extérieures conformément aux articles 6 à 13, de manière à assurer un contrôle efficace, de haut niveau et uniforme à leurs frontières extérieures. » 

L’objectif est par ailleurs régulièrement contrôlé dans chaque État membre par une commission d’évaluation dite SCHEVAL (Schengen Evaluation) qui vérifie concrètement l’efficacité des contrôles et l’adéquation des moyens mis en œuvre pour y parvenir. Cette Commission est composée de représentants qualifiés, le plus souvent des gardes-frontières ou des garde-côtes des États Schengen.

La France reste souveraine quant à ses choix d’organisation, de services engagés et de financement, mais elle doit respecter les objectifs fixés et rendre compte des mesures prises pour corriger ses lacunes.

Il en va différemment s’agissant des contrôles aux frontières intérieures entre États membres, notamment lors du rétablissement des contrôles aux frontières. Dans cette hypothèse (depuis le 13 novembre 2015 pour notre pays), la France fixe seule les objectifs et les moyens consacrés. 

Il est clair que les moyens alloués déterminent les résultats obtenus : à cet égard, le pouvoir politique détermine les moyens humains, logistiques et technologiques. Le contrôle aux frontières est une activité d’initiative qui révèle une pression migratoire. Si les moyens sont insuffisants, le « thermomètre » renverra une image déformée de la réalité des franchissements irréguliers. Ces moyens, quand bien même fussent-ils suffisants en nombre et en qualité, sont également conditionnés par les règles juridiques de leur engagement. 

Ces moyens varient sensiblement en fonction de la nature physique de la frontière, qu’elle soit routière ou ferroviaire, maritime ou aérienne.

Les territoires d’Outre-mer de leur côté relèvent de la seule compétence nationale. 

Dans mon ouvrage « La face cachée de l’immigration », je présente un aspect méconnu du contrôle des frontières au travers de l’activité de la Direction de la coopération internationale de sécurité (DCIS), qui est une direction conjointe de la police et de la gendarmerie nationales, et qui œuvre en amont depuis les pays sources pour entraver les départs de personnes ne réunissant pas les conditions pour entrer sur notre territoire. 

Elle déploie une quarantaine d’officiers de liaison immigration, notamment dans les aéroports des pays francophones à fort risque migratoire. Chaque année, environ 20 000 à 25 000 personnes sont refusées à l’embarquement de vols vers la France, en raison de la détection d’un faux document ou d’un profil migratoire avéré. Cette mission opérationnelle réalisée sur le terrain s’accomplit avec le concours des compagnies aériennes, qui évitent ainsi des sanctions financières et des frais de rapatriement à l’arrivée des vols. 

Au-delà de l’action des officiers de liaison, les transporteurs aériens ou maritimes sont soumis à des obligations de contrôle dans les pays de départ pour s’assurer avant l’embarquement que les passagers sont admissibles dans les pays d’arrivée. Ils doivent vérifier, sous peine d’une amende administrative de 10 000 euros par passager, la validité des documents de voyage, des visas le cas échéant et détecter les fraudes documentaires manifestes. Ainsi, les opérateurs privés du transport sont responsabilisés dans leur mission afin de ne pas favoriser ou faciliter les entrées irrégulières.

Ces actions préventives sont très efficaces et doivent être développées. Il conviendrait de créer au sein de la DCIS des officiers de liaison temporaires et projetables dans les pays où sont constatés des phénomènes émergents d’émigration clandestine. Il serait également souhaitable de mutualiser ces officiers de liaison opérationnels avec d’autres États européens qui en disposent également.

En France le contrôle aux frontières est mis en œuvre par deux services dédiés, qui n’ont toutefois pas les mêmes missions ni la même organisation et le même statut.

La Police aux frontières (PAF), forte de 12 000 agents dont 3500 à 4000 gardes-frontières, est en charge des PPF à fort trafic (Roissy, Orly …) tandis que la douane (DGDDI) a en charge les PPF secondaires. Sur les « gros » PPF, les douaniers n’exercent que des missions fiscales ou douanières. Dans les PPF secondaires, seule la douane est présente et exerce concomitamment des missions de contrôle de l’immigration et de contrôle douanier. Les deux administrations ne sont donc pas interchangeables au regard de la nature des missions. La physionomie de notre organisation est historique et les relations entre les deux services sont optimales et reposent sur des protocoles de liaison et d’information.

La Police aux frontières est à la fois chargée du contrôle des frontières, de la lutte contre l’immigration clandestine, de la lutte contre les trafics de migrants et assume toutes les missions liées à l’éloignement des étrangers. Cette organisation permet « d’embrasser » avec pertinence l’ensemble des aspects migratoires. La PAF emploie des personnels titulaires relevant de la police nationale mais également des policiers adjoints qui sont des contractuels. Avec la perspective du Brexit, des futurs systèmes d’information européens aux frontières et après une décrue d’effectifs non remplacés pendant la crise du Covid, la police nationale a mis en place des recrutements d’agents administratifs et de contractuels supplémentaires afin d’armer tous les postes de travail destinés au contrôle dit de « première ligne » dans les PPF. Ces personnels complémentaires sont systématiquement placés sous le contrôle de policiers actifs et dédiés au contrôle de ressortissants communautaires ou de pays sûrs. Le Code frontières Schengen n’exige pas que les gardes-frontières soient des policiers, mais ils doivent obligatoirement avoir le statut d’agents publics. Ainsi, une externalisation vers des agents privés n’est ni souhaitable, ni possible. Ces agents, formés en 15 jours, réalisent des opérations basiques (consultations de fichiers, contrôle de validité des documents de voyage) à côté de policiers de la PAF, présents dans des aubettes « doubles ». Il faudra réaliser une évaluation de cette pratique afin d’éviter une éventuelle dégradation de la qualité des contrôles.

La reprise, notamment, du trafic aérien en 2022 ainsi que la préparation des Jeux Olympiques de 2024 ont également incité à cette diversification des personnels. Au-delà de l’aspect numérique des effectifs de première ligne, afin d’assurer la fluidité et la réduction des temps d’attente, il existe un enjeu de qualité du contrôle aux frontières qui me semble avoir été quelque peu minoré. La formation de la police nationale et désormais l’académie de police récemment créée, ont « oublié » de mettre en place une filière de formation des gardes-frontières. Cette formation est à ce jour assurée par la Police aux frontières sur site avec ses moyens propres. Cela me paraît être une lacune importante dans notre dispositif et elle a été relevée lors de la dernière évaluation Schengen.

Sur les intervalles entre les PPF et dans les espaces frontaliers, on évoque la notion de surveillance des frontières. Cette surveillance est exercée par les services généralistes de la police nationale et de la gendarmerie nationale, en particulier sur les frontières terrestres. Pour leur part, les militaires en renfort Sentinelle n’effectuent qu’une mission d’observation et de sécurisation des personnels et uniquement dans un cadre de lutte antiterroriste. S’agissant des frontières « maritimes », cette mission de surveillance implique tous les services œuvrant pour l’action de l’État en mer.

En complément des services territoriaux compétents, la mission de surveillance est renforcée de façon quasi permanente, et selon leur disponibilité, par des CRS ou des gendarmes mobiles, en particulier sur des zones à forte activité migratoire comme le littoral des Hauts-de-France ou encore les Alpes-Maritimes. On recense environ 15 forces mobiles soit environ 1000 personnels en mission de renfort permanent de la Police aux frontières. Ces différents services mettent à disposition de la Police aux frontières les personnes interpellées en situation irrégulière, aux fins de procédure administrative ou judiciaire.

Il y a par ailleurs un vrai problème de gestion prévisionnelle des effectifs de la Police aux frontières au regard de ses missions, mais également de formation dans le domaine spécifique du contrôle transfrontière, du droit des étrangers et de la lutte contre la fraude documentaire. Les arbitrages ministériels en matière d’attribution d’effectifs sont rendus souvent en réaction en fonction des « urgences » de court terme et rarement anticipés.

A mon sens, cette architecture des services (et j’aurais pu ajouter pour être complet la gendarmerie de l’air pour les bases aériennes) très empirique souffre d’une complexité qui rend plus difficile l’efficacité, la qualité et la pérennité du contrôle à nos frontières. Nous avons donc besoin d’une vraie filière chargée du contrôle aux frontières, d’un État-major opérationnel au niveau central et d’États-majors déconcentrés afin de coordonner l’action des services engagés. La réforme de la police nationale qui a départementalisé en 2024 les différentes filières (Sécurité publique, Police Judiciaire, Police aux frontières) constitue un facteur de complexité supplémentaire.

À ce stade, il faut indiquer que l’Agence Frontex va bénéficier en 2027 de 10 000 garde-côtes ou gardes-frontières. La France, comme les autres États membres, peut solliciter ces moyens humains pour le contrôle à nos frontières extérieures. Il est dommage que notre pays soit réticent à solliciter ces renforts, sans doute pour ne pas apparaître comme un pays déficient alors que nous sommes l’un des plus gros contributeurs avec 11% d’effectifs français. A mon sens, cette Police aux frontières européenne a toute sa place sur une frontière communautaire. L’Agence peut également fournir des technologies ou des moyens logistiques (avions, bateaux, véhicules terrestres, etc).

Les coordinations opérationnelles nationale et territoriale sont déficientes aujourd’hui, faute d’avoir créé un véritable chef de file du contrôle et de la surveillance des frontières avec un pouvoir de commandement effectif sur l’ensemble des forces impliquées. Il y a une tendance des services impliqués à s’autonomiser en l’absence d’une organisation structurée autour de la Police aux frontières. Au-delà de l’effet d’annonce politique autour d’une « border force à la française », il conviendrait de structurer organiquement un haut commandement des frontières avec une vocation interministérielle.

La question de la coordination est particulièrement aiguë s’agissant de la surveillance maritime. Ce point a été relevé à juste titre par la commission d’évaluation Schengen en 2021. Les moyens maritimes ne sont pas coordonnés suffisamment avec les moyens terrestres. Par ailleurs il paraît anachronique que le centre national de coordination des frontières (NCC), relais de Frontex pour la France, ait été confié au secrétariat général de la Mer alors que la Police aux frontières a été instituée comme le point national de contact de l’Agence Frontex (NFPOC).

La coordination des administrations pour le contrôle des frontières repose sur des textes d’un niveau juridique très insuffisant : circulaire du 23 août 2003, arrêtés ministériels d’organisation de la PAF…

Les services concernés agissent parfois selon des logiques propres, tant aux niveaux central que territorial. Il faudrait rehausser significativement ce niveau si l’on souhaite une véritable coordination interministérielle, par exemple sous l’autorité du Premier Ministre. Le spectre des contrôles aux frontières est très large et devrait regrouper autour d’un ministère pilote qui serait l’Intérieur, les ministères suivants : Défense, Économie et Finances, Affaires Etrangères, Justice, Transports, Santé, Mer, et le cas échéant tout autre ministère concerné par une actualité.

Ce haut commandement permanent et structuré autour d’un État major réaliserait des analyses de risque, serait le relais de Frontex (Eurosur, Corps européen de gardes-frontières et de garde-côtes…), assurerait une veille permanente de la situation aux frontières, évaluerait et déterminerait les moyens affectés aux contrôles et à la surveillance des frontières, fixerait la doctrine des contrôles aux frontières et déclinerait des instructions, engagerait des opérations nationales ou régionales d’envergure, assurerait et développerait la coopération frontalière.

Cette création répondrait aux critiques récurrentes de la Commission européenne vis-à-vis de la France, qui reproche une insuffisante gestion intégrée des frontières

Plus que jamais, la coopération internationale constitue l’une des clés d’amélioration des résultats à nos frontières, tant avec les pays tiers qu’au sein même de l’espace européen. De nombreux programmes européens sont mis en œuvre dans les pays tiers afin de les aider à maîtriser leurs propres frontières et à entraver les déplacements irréguliers (ROCK en Afrique de l’Est, Partenariats opérationnels conjoints en Afrique de l’Ouest…). Il faut cependant veiller à ce que ces programmes européens soient parfaitement coordonnés avec les actions bilatérales des États membres. Il est nécessaire par exemple de clarifier le rôle respectif des officiers de liaison immigration européens et nationaux.

Au sein de l’espace Schengen entre États membres, la coopération opérationnelle est très active avec des patrouilles mixtes, des contrôles coordonnés, des brigades mixtes. Ce sont des modalités très concrètes d’actions communes afin de sécuriser les espaces frontaliers. Il faut développer encore ces coopérations avec des effectifs dédiés. La coopération entre États membres se formalise également au sein des 40 centres de coopération policière et douanière, dont 10 en France, qui sont des structures souples d’échanges de renseignements transfrontaliers.

Cela peut paraître évident mais le contrôle aux frontières revêt plusieurs aspects : un contrôle migratoire avec l’application de la réglementation transfrontière sous l’autorité directe du ministre de l’Intérieur, un contrôle de police ou de sécurité pour détecter les personnes recherchées (100 000 par an pour la PAF) ou encore révéler les infractions transnationales (trafic d’êtres humains, fraude documentaire…), la recherche du renseignement pour alimenter les services chargés de la sécurité intérieure, et enfin l’application de la réglementation sur les contrôles sanitaires. La polyvalence d’un policier constitue à cet égard un avantage pour accomplir l’ensemble de ces missions.

On peut ajouter d’autres types de contrôle de nature économique, fiscale ou douanière qui sont confiés aux services douaniers ou encore des contrôles vétérinaires, sanitaires ou phytosanitaires. En schématisant, on pourrait dire que la Police aux frontières est plutôt axée sur les personnes, tandis que les services douaniers sont plus orientés vers le contrôle des marchandises et les infractions économiques.

Les missions aux frontières se décomposent en plusieurs niveaux :

  • Le contrôle de première ligne, la surveillance, la détection et l’interpellation sur la frontière ;
  • Le contrôle de deuxième ligne, sous la forme d’un examen de situation à la suite d’une interpellation ou d’une suspicion de situation irrégulière ;
  • Une procédure administrative et/ou une procédure judiciaire le cas échéant, après confirmation d’une infraction ou d’une situation irrégulière.

Il est intéressant d’examiner de près les moyens mis en œuvre pour accomplir ces procédures. On constate sur différentes parties du territoire (par exemple le littoral Nord, les aéroports parisiens, la frontière franco-italienne) une insuffisance de policiers procéduriers au regard de l’activité enregistrée aux frontières. Cela résulte notamment d’une absence d’attractivité pour des services en tension. La complexité de la procédure administrative applicable aux frontières n’a rien à envier à celle de la procédure pénale. Les difficultés sont liées également à la disponibilité de partenaires extérieurs, tels que les interprètes.

6.1 Les infrastructures immobilières de contrôle des frontières extérieures

Les installations immobilières sont réalisées par les exploitants, avec des situations variables sur le plan financier et le plus souvent moyennant des loyers payés par l’États. La plupart du temps ces surfaces, non commerciales par définition, sont en quantité (et en qualité) insuffisante pour satisfaire les besoins des services de l’État. Il arrive également que les gestionnaires portuaires ou aéroportuaires rechignent à aménager des infrastructures conformes aux standards du Code frontières Schengen. Or, il n’existe aucune contrainte juridique de l’État dans ce domaine. Par ailleurs, la situation des zones d’attente reste peu satisfaisante, les associations de défense des étrangers le mentionnent régulièrement.

6.2 Les infrastructures immobilières de contrôle aux frontières intérieures

Cette question est essentielle pour la mise en œuvre du rétablissement du contrôle aux frontières intérieures. Le Code frontières Schengen a exigé la disparition de toutes les infrastructures physiques de contrôle aux frontières sur les routes, autoroutes ou encore dans les gares. Il en résulte pour les services français une incapacité ou une extrême difficulté à mettre en œuvre des contrôles en l’absence de barrière de péages (par exemple à la frontière franco-belge).

6.3 Les moyens mobiles

Afin de compenser la suppression des postes frontières, il est mis en place de façon progressive depuis deux ans des véhicules regroupant toutes les fonctionnalités d’un contrôle de première ligne et de deuxième ligne.

6.4 Les matériels et fichiers de contrôle aux frontières

Les documents de voyage sont « lus » numériquement afin d’interroger automatiquement différentes bases de données nationales et européennes via le portail informatique CTF (Fichier des personnes recherchées, Système d’information Schengen, Fichier des visas…) ou d’Interpol (Documents perdus ou volés).

L’interrogation de ces bases de données est régulièrement perturbée par des pannes du système central. À ma connaissance la base Interpol des notices rouges (personnes recherchées) n’est toujours pas disponible dans les aubettes de contrôle. Enfin, certains fichiers spécialisés tels que SETRADER ou PNR complètent le signalement ou la détection de personnes signalées ou recherchées.

Les lecteurs de documents permettent également d’aider le garde-frontière à détecter la fraude documentaire ; récemment, l’Agence Frontex a mis à disposition un logiciel de comparaison des documents contrôlés avec des documents authentiques (FIELDS). Il est nécessaire d’aller plus loin dans l’assistance du garde-frontière, avec un véritable outil de lutte contre la fraude documentaire et à l’identité, recourant à l’intelligence artificielle. L’œil humain reste certes utile mais faillible.

La mise en place progressive voire laborieuse des SAS PARAFE, reposant sur la reconnaissance faciale par authentification, a permis dans les PPF de faciliter et d’accélérer le contrôle aux frontières des ressortissants communautaires ou bénéficiaires de la libre circulation, ou encore plus récemment de ressortissants de certains pays sûrs. En matière de visas, les gardes-frontières n’ont pas connaissance des dossiers de demande déposés dans les consulats français. Il conviendrait que la Police aux frontières et les douanes aient un accès à un réseau dédié nommé « France Visas » afin d’éclairer les examens de situation de cas suspects.

Le champ des contrôles aux frontières est particulièrement adapté pour les nouvelles technologies où le voyageur peut préparer le contrôle afin que le garde-frontière facilite le franchissement de la frontière. La mise en place prochaine du système entrées sorties (EES) ou encore d’Etias pour les pays tiers va constituer un défi en termes d’ergonomie et de fluidité grâce à des procédures de pré-enregistrement ou de pré-contrôle.

En matière de recherches des personnes, des matériels permettent de détecter la présence humaine dans les véhicules (détecteurs thermiques, de gaz carbonique, de battements cardiaques, de silhouettes grâce à des ondes millimétriques …). Ces matériels sont quasi exclusivement utilisés sur les PPF mais (trop) peu développés sur les frontières intérieures alors que ces dernières représentent 90% de l’immigration clandestine pénétrant sur le territoire national.

Le recours à l’intelligence artificielle pour la surveillance des frontières constitue un atout pour autant que les règles juridiques autorisent sa mise en œuvre. La nomination auprès du directeur général de la police nationale d’un coordonnateur en charge des technologies aux frontières est une avancée au regard de la multiplicité des interlocuteurs publics ou privés.

Si l’on peut dire que les contrôles sont efficaces dans les points de passage frontaliers des frontières extérieures, sous les réserves déjà évoquées, il en va différemment s’agissant des intervalles entre les PPF sur les frontières maritimes et surtout sur les frontières terrestres intérieures soit 2900 kilomètres pour la France.

La loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure (RPSI) du 24 janvier 2022 a permis d’autoriser les services de la police et de la gendarmerie nationales à recourir à la captation d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs, drones, hélicoptères, ballons captifs. Cependant, cette loi déjà restrictive sur les conditions de mise en œuvre a vu sa portée encore limitée par le Conseil d’État en juillet 2023, qui a jugé illégale l’utilisation de drones pour surveiller les entrées de migrants à la frontière franco-espagnole. Or, les moyens de surveillance aérienne permettent de limiter l’emploi des personnels au sol et de déclencher à bon escient des interventions ciblées. Les moyens humains n’étant pas extensibles, il est essentiel de pouvoir recourir à des technologies de détection de franchissements irréguliers, de comportements anormaux en zone frontalière (regroupements sur un rivage, véhicules suspects…). L’absence de moyens adaptés limite considérablement l’efficacité du contrôle aux frontières. Enfin, on ne pourra pas éternellement faire l’économie d’une réflexion objective sur le recours à la reconnaissance faciale, qui reste un tabou dans notre pays. Cette technologie fiable d’identification ne peut et ne doit inquiéter que les personnes signalées ou recherchées.

7 – Les Outre-mer

On ne peut parler de contrôle aux frontières en France sans évoquer la situation préoccupante de l’Outre-mer et à titre principal de Mayotte et de la Guyane. L’isolement géographique de ces territoires allié à une immigration massive en provenance d’États voisins peu coopératifs constituent des handicaps majeurs nécessitant une riposte vigoureuse et coordonnée.

A Mayotte, le nombre d’éloignements annuel oscille entre 25 000 et 30 000 par an ; cette activité considérable se justifie par une situation migratoire préoccupante, qui met en péril les équilibres fragiles de la société mahoraise.

Cette activité repose principalement sur les entrées clandestines par voie maritime. En 2023, 661 kwassas-kwassas (type de canots de pêche rapides de 7 à 10 mètres de long) ont été interceptés par les 9 intercepteurs des services de lutte contre l’immigration clandestine en mer. Cela représentait 73 % des kwassas-kwassas détectés. Le nombre de moyens nautiques est longtemps resté sous-dimensionné au regard des besoins opérationnels. Ces intercepteurs sont soumis à des conditions d’emploi exigeantes et donc à une maintenance fréquente. La détection des kwassas-kwassas repose sur l’activation par l’Armée de quatre radars maritimes, installés à Mayotte entre 2006 et 2011. Ces moyens très utiles sont vieillissants et n’assurent pas une couverture totale des approches de l’île.

Par ailleurs, en février 2024, dans le cadre du programme « Frontières Intelligentes » du ministère de l’Intérieur, la préfecture de Mayotte a sollicité les industriels susceptibles de pouvoir lui fournir les technologies civilo-militaires dédiées à l’opération Shikandra 2.

S’agissant de la Guyane, la très grande porosité des frontières fluviales avec le Brésil via l’Oyapock et avec le Suriname via le Maroni est faiblement compensée par les missions de surveillance des pirogues de la Police aux frontières et de la gendarmerie nationale.

Certains événements sont prévisibles, tels les Jeux Olympiques de Paris 2024, tandis que d’autres surviennent à l’occasion d’attentats terroristes ou de crises migratoires, comme en 2015 ou encore la crise sanitaire de 2020.

Les événements programmés permettent, sur la base d’une analyse de risque, de cibler dans le temps et dans l’espace les moyens engagés sur le terrain. Un contrôle exhaustif de toutes les personnes est irréalisable en termes de moyens ; à cela il faut ajouter une faible disponibilité aux frontières des forces mobiles, qui seront plutôt concentrées sur d’autres missions telles que la prévention des troubles à l’ordre public.

Contrairement à une idée reçue, il n’existe pas de possibilité légale de fermeture des frontières en temps de paix. Le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures n’est autorisé que si des menaces pour l’ordre public ou la sécurité ont un caractère imprévisible. Ce rétablissement est adapté en termes de moyens selon l’état de la menace c’est-à-dire que des contrôles seront ciblés sur des axes migratoires majeurs, tandis que d’autres secteurs frontaliers seront moins surveillés.

Il faut toujours ramener les moyens engagés aux résultats obtenus et à l’analyse du risque migratoire. Le dispositif doit répondre aux enjeux : la situation est plutôt satisfaisante à notre frontière extérieure avec 10 000 refus d’entrée prononcés en moyenne chaque année, bien que toujours perfectible au regard des recommandations de la commission d’évaluation Schengen de 2021 (formation, coordination, gestion des effectifs). Toutefois, la situation reste très préoccupante sur un flux atypique et très élevé vers la Grande Bretagne.

En revanche, la situation à nos frontières intérieures est très dégradée tant en termes de moyens juridiques (90 000 refus d’entrée prononcés en moyenne par an avant la mise en application de l’arrêt du conseil d’États de février 2024, qui a dénoncé la procédure de non-admission aux frontières intérieures), matériels (insuffisance de recours aux technologies de surveillance) et d’effectifs (volatilité des forces mobiles) qu’en termes de coordination des différents services (absence d’Etats-majors intégrés permanents aux niveaux central et territorial).

Les pays sources d’immigration irrégulière pour la France sont l’Italie et l’Espagne dont les frontières extérieures sont poreuses. Il faut espérer que le futur pacte migratoire, qui sera mis en œuvre en 2026, soit efficace malgré l’indispensable réécriture de la directive retour de 2008, oubliée à ce stade.

La sécurité des Français commence aux frontières selon l’expression courante, mais on pourrait compléter en disant que l’insécurité aussi ! Maîtriser nos frontières permet de détecter les risques liées aux personnes dangereuses, recherchées, indésirables, aux trafics de toute nature facilités par la mondialisation des échanges, mais c’est aussi préserver notre identité et nos acquis culturels, sociaux, économiques et démocratiques. L’immigration illégale, subie et massive, devient ingérable, dangereuse et déstabilisante pour les démocraties et nos modes de vie.

Les frontières permettent ainsi de protéger l’intérêt général face à des intérêts individuels étrangers. Les contrôles aux frontières doivent s’adapter en prévenant les flux dès les pays de provenance, en développant la coopération, en agissant tant en Europe qu’en France sur les flux et sur l’immigration de fixation.

Nous devons enfin réinventer un nouveau modèle d’organisation « à la française », plus effica

  • Créer, au sein de la Direction de la coopération internationale de sécurité, des officiers de liaison temporaires et projetables dans les pays où sont constatés des phénomènes émergents d’émigration clandestine, et mutualiser ceux-ci avec d’autres États européens qui en disposent également.
  • Evaluer la pratique consistant à embaucher et à former en 15 jours des agents administratifs et des contractuels pour leur faire réaliser des opérations basiques de contrôle dans les points de passage frontaliers
  • Mettre en place une filière de formation des gardes-frontières.
  • Solliciter des renforts de Frontex sur nos frontières extérieures.
  • Structurer organiquement un haut commandement des frontières, avec une vocation interministérielle, en regroupant autour d’un ministère pilote qui serait l’Intérieur, les ministères suivants : Défense, Économie et Finances, Affaires Etrangères, Justice, Transports, Santé, Mer, et le cas échéant tout autre ministère concerné par une actualité.
  • Veiller à ce que les programmes européens soient parfaitement coordonnés avec les actions bilatérales des États membres (exemple : clarifier le rôle respectif des officiers de liaison immigration européens et nationaux).
  • Développer la coopération opérationnelle en lien avec les États membres de l’espace Schengen, avec des effectifs dédiés.
  • Mettre en place pour les gardes-frontières un véritable outil de lutte contre la fraude documentaire et à l’identité, recourant à l’intelligence artificielle.
  • Donner à la Police aux frontières et aux douanes un accès à un réseau dédié nommé « France Visas » afin d’éclairer les examens de situation de cas suspects.
  • Recourir à l’intelligence artificielle, à la reconnaissance faciale, à des technologies de détection de franchissements irréguliers, de comportements anormaux en zone frontalière (regroupements sur un rivage, véhicules suspects…) pour contrôler plus efficacement les frontières.

Affaire SOS Méditerranée : quand les institutions encouragent l’immigration clandestine.

Dans un arrêt du 13 mai 2024, le Conseil d’Etat a décidé de conforter la décision de la ville de Paris qui avait attribué à l’association SOS Méditerranée France une subvention de 100 000 euros en 2019 pour un programme de sauvetage en mer. Selon lui, bien que cette association s’immisce dans un débat politique, une distinction doit être opérée entre les activités de sauvetage, que les collectivités locales peuvent soutenir, et les activités de nature politique, qui ne peuvent faire l’objet d’un quelconque soutien.

Or, une telle distinction opérée par le juge administratif est contestable, au sens où ces associations ne se contentent pas de « secourir » des personnes en mer, mais de les faire débarquer ensuite en Europe, en totale contradiction avec le droit français et le droit européen, participant à la progression de l’immigration clandestine dans les pays de l’UE.

Néanmoins, c’est le législateur qui a, en quelques décennies, permis aux collectivités locales de conduire une action extérieure (en matière d’action de coopération, d’aide au développement et d’action humanitaire) avec des conditions toujours plus assouplies, et donc de marcher sur les plates-bandes de l’Etat en la matière.

Plus largement, l’immigration est de plus en plus un enjeu idéologique majeur pour les collectivités locales, de la défense du droit de vote des étrangers dans certaines municipalités de banlieue au soutien à l’immigration libre dans les métropoles, quand celles-ci ne défient pas ouvertement l’autorité de l’Etat.

Il conviendrait donc de restreindre les capacités d’action extérieure des collectivités locales, pour n’autoriser celles-ci que dans le strict cadre de leurs compétences. Par ailleurs, il serait utile de se pencher sur l’ensemble des subventions accordées aux associations de défense de l’immigration qui sont financées par l’Etat, soit 736 millions d’euros pour 2023, qui leur permettent notamment en retour de former de multiples recours contre les décisions d’éloignement des étrangers.

1.1 Le juge administratif définissait strictement les critères permettant à une collectivité locale de soutenir toute personne morale de droit privé.

L’article 61 de la loi du 5 avril 1884 sur l’organisation municipale, désormais repris à l’article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales (CGCT) autorise le conseil municipal à mettre en œuvre une compétence générale pour tout ce qui concerne les affaires de la commune : « Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune. ». Cette disposition a pour effet d’habiliter les communes à prendre, même en l’absence d’un texte spécifique, toute décision présentant un intérêt local.

À ce titre, il appartient au conseil municipal de définir cet intérêt, sous le contrôle du juge. Ce dernier considère que l’existence d’un intérêt local suppose trois conditions :

  1. l’intérêt recherché est public et non pas privé (voir par exemple CE, 21 juin 1993, n° 118491, Commune de Chauriat) ;
  2. l’intervention a des retombées suffisamment directes pour la collectivité, notamment en termes de satisfaction des besoins de la population communale (CE, 25 juillet 1986, n° 56334, Commune de Mercœur) ;
  3. l’intervention ne constitue pas une immixtion dans un conflit collectif du travail (une grève par exemple), ni dans un conflit politique national ou international.

C’est ainsi que le juge administratif avait pu annuler certaines délibérations votées par des conseils municipaux de gauche, souvent communistes, portant une aide   matérielle   aux   populations   du   Nicaragua   (23   octobre 1989, Commune de Pierrefitte-sur-Seine et autres, n° 93331, 93847 et 93885), sur un soutien à des grévistes (CE, 11 octobre 1989, Commune de Gardanne et autres, n° 89325, 89327, 89621, 89622, 89660) ou encore sur un soutien à une section locale de la LICRA se proposant de combattre le Front National (CE, 28 octobre 2002, Commune de Draguignan, n°216706). Dans ce dernier arrêt, le Conseil d’Etat, a jugé que : « la cour administrative d’appel de Marseille a fait état (…) d’une part de ce que, selon un compte-rendu paru le 14 mars 1992 dans la presse locale, lors de la création de la section locale de Draguignan, celle-ci se proposait de combattre une formation politique dont l’existence est légalement reconnue, et, d’autre part, de ce que cette association, appelée en la cause, n’a pas contesté par la production d’un mémoire les termes de cet article, non plus que les allégations de M. X… selon lesquelles son action au cours des mois qui ont précédé l’adoption de la délibération contestée, aurait été de nature politique et partisane ; que la cour administrative d’appel a pu légalement déduire de ces constatations que les conditions auxquelles est subordonnée, en application des dispositions précitées de l’article L. 121-26 du code des communes, la légalité de l’attribution d’une subvention à une association n’étaient pas remplies ».

1.2 Le législateur est intervenu à plusieurs reprises pour reconnaître et faciliter l’action extérieure des collectivités locales (AECT).

La loi n°82-213 du 2 mars 1982 a, dans son article 65, posé les premiers ja- lons de la reconnaissance de l’action extérieure des collectivités locales en permet- tant aux conseils régionaux de nouer des relations avec des collectivités décentrali- sées étrangères frontalières.

C’est la loi d’orientation du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République qui crée le socle général du droit de l’AECT en énonçant, à son article 131, ultérieurement codifié à l’article L. 1115-1 du CGCT, que « [les] collectivités territoriales et leurs groupements peuvent conclure des conventions avec des collectivités territoriales étrangères et leurs groupements, dans les limites de leurs compétences et dans le respect des engagements internationaux de la France ».

La loi du 2 février 2007, portée par Michel Thiollière, sénateur-maire de Saint- Etienne, a supprimé les dispositions imposant que, dans la conduite d’actions de coopération ou d’aide au développement, les collectivités territoriales soient tenues par la limite de leurs compétences. L’exposé des motifs de cette loi1 précise que « la loi n° 2005-95 du 9 février 2005 relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l’eau dans le domaine de l’alimentation en eau et de l’assainissement a déjà mis en place un dispositif spécifique permettant la coopération décentralisée en matière d’aide d’urgence dans le domaine de l’eau. Mais il n’existe aucun dispositif analogue ouvrant la possibilité d’une aide d’urgence en cas de catastrophe humanitaire. La présente proposition de loi a pour but de combler cette lacune. »

En contrepartie de cet assouplissement, la loi Thiollière réaffirmait l’obligation, d’une part, de respecter les engagements internationaux de la France, et d’autre part, de conclure une convention avec une autorité locale étrangère, cette dernière exigence n’étant levée qu’en cas d’urgence, « pour mettre en œuvre ou financer des actions à caractère humanitaire ».

Enfin, la loi du 7 juillet 2014 a poursuivi ce mouvement de libéralisation, en énonçant que « [dans] le respect des engagements internationaux de la France, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire ». Elle abandonne donc la condition d’urgence pour le financement d’actions à caractère humanitaire.

En quelques décennies, le législateur a ainsi ouvert la boite de Pandore en permettant aux collectivités locales de conduire une action extérieure, d’abord en excédant le cadre de leurs compétences, puis en autorisant le financement d’actions humanitaires en cas d’urgence et enfin en supprimant cette condition d’urgence. Il a conféré aux collectivités locales des compétences d’attribution en matière d’action de coopération, d’aide au développement et d’action humanitaire, leur donnant la possibilité marcher sur les plates-bandes de l’Etat, en matière de conduite des relations extérieures.

Les soubresauts de la crise migratoire que l’Europe connaît depuis une dizaine d’années ont permis aux collectivités locales de s’engouffrer dans la brèche créée par le législateur, pour subventionner une association dont l’action contribue in fine à la progression de l’immigration clandestine dans les pays de l’UE.

2.1 Le Conseil d’Etat considère que les collectivités peuvent légalement financer le seul volet humanitaire des actions de SOS Méditerranée.

Rappelons, à titre liminaire, que le Conseil constitutionnel, a jugé qu’ « aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national. En outre, l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l’ordre public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle »2.

À l’instar d’autres collectivités, telles la Région Nouvelle-Aquitaine, la ville de Paris avait adopté une délibération, en date du 11 juillet 2019, attribuant à l’association SOS Méditerranée France une subvention de 100 000 euros pour un programme de sauvetage en mer et de soins aux migrants dans le cadre de l’aide d’urgence.

Un recours contre cette décision, rejeté dans un premier temps par le tribunal administratif, avait été accueilli par la Cour administrative d’appel de Paris. La cour avait notamment accueilli le moyen tiré de la méconnaissance du principe de neutralité du service public dès lors que les responsables de SOS Méditerranée ont indiqué vouloir contrecarrer par leur action les politiques d’immigration et d’asile de l’Union européenne et de ses Etats membres, que les actions de l’association avaient contribué à attiser les tensions entre Etats, et que le conseil de Paris s’était approprié les critiques de SOS Méditerranée, s’immisçant ainsi dans un conflit politique3. C’est le premier des arguments de la CAA qui nous semble le plus fort : celle-ci ne conteste pas la dimension humanitaire des actions de SOS Méditerranée, mais considère que celles-ci revêtent par ailleurs un volet politique. La Cour pouvait donc valablement, pour ce seul motif, accueillir la demande d’annulation de la délibération en litige, faisant ainsi application de la jurisprudence « Commune de Draguignan », précitée.

Si le Conseil d’Etat rappelle que « ces collectivités et groupements ne sauraient légalement apporter leur soutien à une organisation dont les actions de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire doivent être regardées en réalité, eu égard à son objet social, ses activités et ses prises de position, comme des actions à caractère politique », il censure l’arrêt de la Cour en estimant que celle-ci a commis une erreur de droit. Il juge notamment que « cette activité de sauvetage en mer ne saurait enfin être regardée, au seul motif que des débats existent entre Etats membres de l’Union européenne sur ces sujets et que l’association a pris parti dans ces débats, comme constituant, en réalité, une action à caractère politique ». Le Conseil en déduit que, « les prises de position de l’association SOS Méditerranée France (…) ne faisaient pas obstacle par principe à ce que la Ville de Paris accorde légalement à cette association une subvention destinée à ses activités relevant de l’action humanitaire internationale, sous réserve de s’assurer que cette aide serait exclusivement destinée au financement de ces activités. A cet égard, d’une part, il ressort de l’exposé des motifs et de l’objet de la délibération en litige que la subvention accordée par le conseil de Paris est exclusivement destinée à financer l’affrètement d’un nouveau navire en vue de permettre à l’association de reprendre ses activités de secours en mer et, d’autre part, la convention conclue entre la Ville de Paris et l’association en application de cette délibération stipule que l’utilisation de la subvention à d’autres fins entraîne la restitution de tout ou partie des sommes déjà versées et que la Ville de Paris peut effectuer des contrôles, y compris sur pièces et sur place, pour s’assurer du respect de ces obligations. »

À l’inverse, dans l’arrêt du même jour, qui porte sur la subvention accordée par la commune de Montpellier à SOS Méditerranée4, le Conseil annule la délibération attaquée dès lors que celle-ci ne précise pas quelles activités la commune entend soutenir et qu’aucun élément ne permettait à la ville de Montpellier de s’assurer que son aide serait exclusivement destinée au financement de l’action internationale à caractère humanitaire de l’association qu’elle soutenait.

En somme, SOS Méditerranée prend certes parti dans des débats politiques, mais il y a lieu de considérer que son activité de sauvetage est distincte de ses activités politiques de sorte que les collectivités peuvent légalement soutenir le volet « sauvetage », et lui seul, de son action.

Ces décisions affinent,  a  minima,  voire  infléchissent  la  jurisprudence « Commune de Draguignan ». Le Conseil avait alors, implicitement mais nécessairement, considéré que le positionnement anti-Front National de la section locale de la LICRA était à lui seul, et nonobstant ses autres actions de caractère apolitique, de nature à caractériser globalement une action à caractère partisan, non susceptible de bénéficier d’un soutien financier d’une collectivité locale. Dans ses arrêts du 13 mai 2024, il distingue de manière peut-être un peu artificielle, deux types d’activités d’une même association qui seraient exclusifs l’un de l’autre. Si l’article L. 1611-4 du CGCT permet à la collectivité de contrôler l’usage que l’association fait des fonds publics qui lui ont été versés, via notamment une copie certifiée du budget et des comptes sur l’exercice écoulé, il ne constitue pas une protection suffisante du bon emploi des deniers publics dans d’éventuelles situations d’aveuglement volontaire de la collectivité quant à l’emploi réel des fonds par l’association concernée. En outre, dans un contexte de vives tensions internationales marqué par une contestation croissante de certains aspects de la politique extérieure de la France par une partie de la population, notamment en Afrique ou au Proche-Orient, il existe un risque réel que certaines collectivités qui, pour diverses raisons, s’opposent à cette politique, subventionnent des associations essentiellement politiques prétendant, pour les besoins de la cause, conduire également des actions de type humanitaire. Outre le détournement de pouvoir dont elles seraient entachées, de telles subventions, mues en réalité par des affinités idéologiques, religieuses, et/ou une solidarité « communautaire », pourraient influer sur les relations diplomatiques de la France, voire être génératrices de risques pour la sécurité nationale, en particulier pour celles de nos compatriotes résidant à l’étranger.

2.2 Les actions de SOS Méditerranée et ONG comparables respectent-elles les engagements internationaux de la France ?

Dans ses deux arrêts du 13 mai 2024, le Conseil d’Etat a indiqué que les requérants n’avaient pas soulevé de moyens tirés par la méconnaissance par SOS Méditerranée des engagements internationaux de la France.

Cette surprenante omission nous paraît avoir changé l’issue du litige, tant il existe d’éléments qui permettent de douter de la réalité du respect par SOS Méditerranée desdits engagements l’association5que celle-ci revendique le fait de « secourir les personnes en détresse grâce à des activités de recherche et de sauvetage en mer » et de « protéger les personnes secourues jusqu’à leur débarquement dans un lieu sûr». Dès lors, on ne saurait valablement considérer que l’action de « sauvetage » de personnes secourues (qui relève de l’assistance immédiate) serait détachable de l’action de « protection », qui intervient ensuite et ne prend fin, selon les termes mêmes de SOS Méditerranée, qu’au débarquement des intéressés.

Il convient d’apprécier le respect des engagements internationaux de la France par cette action, prise dans son ensemble.

Ces engagements ne se limitent pas aux seules conventions internationales relatives aux obligations de secours en mer. En effet, parmi ces engagements, figurent également le droit primaire et dérivé de l’Union européenne, ainsi que les accords bilatéraux relatifs à l’entrée et au séjour des étrangers conclus entre la France et certains pays, en premier lieu l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968.

L’article 77 du traité sur le fonctionnement de l’union européenne stipule que « L’Union développe une politique visant (…) b) à assurer le contrôle des personnes et la surveillance efficace du franchissement des frontières extérieures » et l’article 79 du même traité précise quant à lui que : « L’Union développe une politique commune de l’immigration visant à assurer, à tous les stades, une gestion efficace des flux migratoires, (…) ainsi qu’une prévention de l’immigration illégale et de la traite des êtres humains et une lutte renforcée contre celles-ci. »

Or, comment considérer que les actions de sauvetage conduites par SOS Méditerranée qui ont notamment, sinon pour objet mais incontestablement pour effet de permettre aux personnes secourues, souvent dépourvues de tout document d’identité et de voyage, de rejoindre ensuite la France6 ou un autre Etat membre de l’UE respectent ces stipulations ? En effet, dans une enquête réalisée antérieurement au vote des délibérations en litige7, , Frontex a relevé que « depuis juin 2016, un nombre significatif de bateaux ont été interceptés ou secourus par Navires des ONG sans signal de détresse préalable. La présence d’ONG à proximité et parfois à l’intérieur des eaux territoriales libyennes a presque doublé par rapport à l’année précédente, aboutissant à une quinzaine de sauvetages. En parallèle, le nombre total de naufrages a très sensiblement augmenté. ». Et Frontex d’en déduire qu’« apparemment, l’ensemble des parties impliquées dans les sauvetages en Méditerranée aident involontairement les criminels (c’est-à-dire ceux qui pratiquent la traite des êtres humains) à atteindre leurs objectifs à moindre coût, renforcent leur business model en améliorant les chances de réussite des traversées de la mer. Migrants et demandeurs d’asile, encouragés par les récits de ceux qui ont mené à bien leur traversée de la mer, tentent eux-mêmes leur chance dès lorsqu’ils savent pouvoir compter sur les ONG pour leur porter secours et ensuite atteindre le territoire de l’Union européenne ». Une enquête menée par un juge italien8 met en cause trois ONG (SOS Méditerranée n’est pas concerné) et confirme l’analyse de Frontex : « Les organisations de sauvetage auraient développé des relations de proximité avec les trafiquants afin d’être avertis à l’avance des départs de bateaux transportant des migrants et d’être ainsi les premiers sur place. Les trois ONG auraient «agi de concert» et « contourné le système de secours mis en place par les autorités italiennes ».

En ce qui concerne précisément le débarquement à Toulon, en novembre 2022, de 234 personnes secourues en mer par SOS Méditerranée, l’Etat avait créé, sur le fondement des dispositions de l’article L. 341-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, une « zone d’attente temporaire ». Las ! La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a décidé de libérer la quasi-totalité des intéressés9, le président de cette juridiction ayant déclaré à cette occasion avoir « refusé leur placement en geôles car ce ne sont pas des délinquants ». Les autorités françaises, qui ont délivré des visas de régularisation d’une durée de huit jours aux intéressés ont ensuite perdu toute trace de la plupart d’entre eux. Quant aux 44 mineurs non accompagnés placés auprès des services de l’aide sociale à l’enfance, 26 d’entre eux avaient déjà fugué moins d’une semaine après leur arrivée en France.

Voici un cas d’école qui démontre que l’action de SOS Méditerranée, conjuguée à l’incurie judiciaire, a contribué directement à nourrir l’immigration clandestine en France.

Soutenir SOS Méditerranée et autres associations comparables, qui organisent ensuite les débarquements de personnes secourues au sein des Etats membres de l’Union européenne, aboutit à l’effet inverse de celui recherché par le droit primaire de l’UE.

Que dire enfin du respect de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 qui conditionne l’entrée en France des ressortissants algériens à la possession d’un visa ? Il ressort des rapports d’activités établis par SOS Méditerranée en 202010 et 202111 que des ressortissants d’Afrique du Nord font parfois partie des personnes secourues. Si le navire affrété par cette association permet à des personnes de nationalité algérienne de rejoindre directement ou indirectement la France, cela a pour conséquence directe la violation de l’article 9 de l’accord franco-algérien précité.

Ces informations, accessibles à tous, laissent planer un doute sérieux sur le respect des engagements internationaux de la France par les ONG qui portent assistance aux migrants en Méditerranée. Elles constituaient probablement le cœur des contentieux engagés devant le juge administratif, ce qui n’a pas été perçu par les requérants et leurs conseils.

3.1 Du droit de vote des étrangers au soutien à l’immigration libre.

À partir des années 1980, ont émergé en France des mouvements favorables au droit de vote des étrangers aux élections locales, promesse du candidat Mitterrand pendant la campagne présidentielle de 1981. Le maire socialiste de Mons-en-Baroeul est le premier à organiser l’élection de « conseillers associés », de nationalité étrangère, qui assistent aux réunions du conseil municipal.12

Par la suite, des municipalités communistes de Seine-Saint-Denis (Saint- Denis, Aubervilliers, Stains, Le Blanc-Mesnil) décident d’organiser des référendums, ouverts aux étrangers, sur ce sujet ; consultations jugées bien entendu illégales après déféré du préfet de ce département (TA Cergy-Pontoise, 13 janvier 2006, n° 0511416).

Ce mouvement, portant sur les droits civiques des résidents étrangers en France, est demeuré principalement limité aux villes de banlieues et a été peu relayé par les municipalités des métropoles.

Celles-ci se sont en revanche progressivement engagées en faveur d’une immigration libre, à compter des années 1980 aux Etats-Unis, un peu plus tardivement en Europe.

Dans la cadre de la nouvelle fracture mondiale, analysée par le britannique David Goodhart13, les grandes villes occidentales sont devenues les bastions des «anywhere», favorables à la mondialisation dans toutes ses composantes, acquises à la « société ouverte » et hostiles à la régulation de l’immigration. La fracture idéologique principale qui touche la quasi-totalité des pays occidentaux se matérialise partout par une fracture territoriale, sorte de réactualisation du clivage identifié par Stein Rokkan, centre / périphérie.

À la dernière élection présidentielle, les votes Mélenchon et Jadot sont corrélés à la taille de l’unité urbaine à laquelle appartiennent les électeurs14, quand la part du vote Le Pen est elle inversement proportionnelle à celle-ci.

Aux Etats-Unis, Joe Biden est le candidat qui a, dans le même temps, recueilli le plus de suffrages au niveau national et remporté le plus faible nombre de comtés (477, contre 2 497 gagnés par Donald Trump) dans l’histoire électorale américaine15. Les Républicains ne dirigent plus que 26 des 100 plus grandes villes du pays16.

Cette polarisation spatio-politique a pour conséquence une immixtion de plus en plus fréquente et de plus en plus vive des autorités des grandes villes occidentales dans les politiques migratoires, relevant pourtant de la seule compétence des Etats.

C’est ainsi que des villes italiennes de gauche se sont opposées au décret Salvini du 24 septembre 201817 sur la sécurité et l’immigration, certaines d’entre elles refusant d’appliquer la partie du texte qui les concerne. Le maire de Palerme a même été soutenu dans sa démarche par Bill de Blasio, son homologue démocrate de New York18.

En France, 32 conseils départementaux de gauche, ainsi que la Ville de Paris, avaient annoncé leur intention de ne pas appliquer la loi Darmanin en tant qu’elle durcissait les conditions de versement aux étrangers de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA)19. La plateforme des collectivités solidaires avec SOS Méditerranée compte désormais plus de 110 membres20.

Le tropisme idéologique des grandes collectivités est en décalage avec les attentes exprimées par la population française dans son ensemble. 68% des Français sont ainsi favorables à l’arrêt des subventions publiques destinées aux associations de soutien aux migrants entrés illégalement en France.21

« Diplomatie des villes », lobbying des ONG, prises de positions de diverses autorités administratives indépendantes telles que le défenseur des droits ou la commission nationale consultative des droits de l’homme, campagnes des grandes entreprises et de leurs représentants en faveur de l’immigration : les « anywhere » immigrationnistes sont en position de monopole au sein des institutions publiques et privées et mènent une guerre culturelle et politique de chaque instant.

3.2 Comment faire face à l’offensive immigrationniste des collectivités locales ?

En l’état actuel du droit, lorsque des subventions sont proposées à des associations comparables à SOS Méditerranée, il est envisageable de demander au juge administratif d’annuler les délibérations correspondantes dès lors que, comme nous l’avons dit, le Conseil d’Etat n’a pas été mis à même de se positionner sur l’ensemble des illégalités potentielles entachant ces actes.

Le Conseil d’Etat a indiqué, dans sa décision n°474652 portant sur la subvention accordée par la ville de Montpellier, qu’un requérant établissant sa qualité de contribuable communal a un intérêt pour agir contre une délibération qui a pour objet d’accorder une subvention. Cet élément semble assouplir considérablement les conditions posées par la jurisprudence « Commune de Rivedoux-Plage ».22

Depuis 2022, seules les délibérations des communes de Paris, Montpellier, Saint-Nazaire, du conseil départemental de Haute-Garonne et du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine ont fait l’objet de contentieux, ce qui révèle une faible mobilisation des élus d’opposition.

Par ailleurs, au regard du contexte politique que nous avons mentionné, il semblerait opportun de modifier la loi et de restreindre les capacités d’action extérieure des collectivités locales, en revenant au cadre qui régissait celle-ci avant la loi Thiollière : dans un souci de cohérence et de respect des prérogatives de l’Etat, les collectivités ne devraient être autorisées à mener cette action que dans le strict cadre de leurs compétences.

Enfin, il faudra se pencher, plus largement, sur l’ensemble des subventions accordées aux associations de défense de l’immigration qui sont financées par l’Etat pour saper sa propre politique et former de multiples recours contre les décisions d’éloignement des étrangers. Dans le projet de loi de finances pour 2023, l’Etat prévoyait de verser 736 millions d’euros aux 1 500 associations qui assurent des missions d’accueil, d’accompagnement et d’assistance juridiques.2324Le poids croissant du contentieux des étrangers qui représente en 2023, 43% des dossiers traités par les tribunaux administratifs et 57% de ceux traités par les cours administratives d’appel, cet ensemble étant composé pour une bonne part de requêtes dépourvues de moyens sérieux, conduit selon le rapport de François-Noël Buffet25 à placer les « juridictions administratives au bord de l’embolie ».

  1. Site internet de l’association SOS Méditerranée https://sosmediterranee.fr/mission- sauvetage-en-mer/#historique
  2. Communiqué de presse du Conseil d’Etat relatif à son arrêt du 13 mai 2024 https://www.conseil-etat.fr/actualites/sos-mediterranee-les-collectivites-   territoriales-peuvent-accorder-sous-conditions-une-subvention-a-une-action-  humanitaire-internationale
  3. Loi n°2007-147 du 2 février 2007 relative à l’action extérieure des collectivités territo- riales et de leurs groupements https://www.senat.fr/leg/ppl04-224.html
  4. Décision du Conseil constitutionnel n°2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018 https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018717_718QPC.htm
  5. Arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris, 4ème Chambre Chambre, en date du 3 mars 2023, 22PA04811 https://justice.pappers.fr/decision/34891dc46a531f72094faf67df2bdcddcbe9c86c?q=2 2PA04811&tri=date
  6. Arrêt du Conseil d’Etat n°474652, en date du 13 mars 2024 https://www.conseil- etat.fr/Media/actualites/documents/2024/mai-2024/474652.pdf
  7. Site internet de l’association SOS Méditerranée, présentation des missions et valeurs https://sosmediterranee.fr/mission-sauvetage-en-mer/#valeurs
  8. « L’Ocean Viking a quitté Toulon, le débarquement des migrants étant terminé » Le Figaro, 12/11/2022 https://www.lefigaro.fr/actualite-france/l-ocean-viking-a-quitte- toulon-le-debarquement-des-migrants-etant-termine-20221112
  9. Rapport de Frontex « Risk and analysis for 2017 » https://www.frontex.europa.eu/assets/Publications/Risk_Analysis/Annual_Risk_An    alysis_2017.pdf
  10. « Trois ONG de sauvetage en mer accusées de complicité avec les passeurs crimi- nels » Le Temps, 11/03/2021 https://www.letemps.ch/monde/trois-ong-sauvetage- mer-accusees-complicite-passeurs-criminels
  11. « Ocean Viking : que sont devenus les migrants secourus et débarqués en France ? » L’Express, 19/11/2022 https://www.lexpress.fr/societe/ocean-viking-que-sont- devenus-les-migrants-secourus-et-debarques-en-france_2183802.html
  12. Rapport d’activité 2020 de SOS Méditerranée France https://sosmediterranee.fr/wp- content/uploads/2021/04/rapportactivite2020.pdf
  13. Rapport d’activité 2021 de SOS Méditerranée France https://sosmediterranee.fr/wp- content/uploads/2022/06/SOS_MEDITERRANEE_RA_2021_DEF_WEB.pdf
  14. « Le droit de vote des résidents étrangers : un combat toujours d’actualité » Moha- med Ben Saïd, Bernard Delemotte, Vincent Rebérioux (revue Plein droit 2023/1 n° 136, pages 45 à 48) https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2023-1-page-45.htm
  15. David Goodhart, Les deux clans : la nouvelle fracture mondiale, Paris, Les arènes, 2019
  16. « Premier tour de l’élection présidentielle 2022 : vote des villes, vote des cam- pagnes » Le Monde, 11/04/2022 https://www.lemonde.fr/les- decodeurs/article/2022/04/11/premier-tour-2022-vote-des-villes-vote-des- campagnes_6121688_4355770.html
  17. Election présidentielle américaine 2020, carte par carte et répartition des voix https://brilliantmaps.com/2020-county-election-map/
  18. Liste des maires actuels dans les 100 premières villes des Etats-Unis https://ballotpedia.org/List_of_current_mayors_of_the_top_100_cities_in_the_Unit    ed_States
  19. « Le nouveau rôle des villes et pourquoi il faut l’encourager » Terra Nova, 13 mars 2020 https://tnova.fr/economie-social/territoires-metropoles/le-nouveau-role- international-des-villes-et-pourquoi-il-faut-lencourager/
  20. « Le Maire de Palerme veut que sa ville soit connue pour les droits des migrants » Info Migrants, 13/02/2019 https://www.infomigrants.net/en/post/15154/palermo- mayor-says-city-wants-to-be-known-for-migrant-rights
  21. « Allocation d’autonomie : les 32 départements de gauche n’appliqueront pas la loi immigration » L’Express, 20/12/2023 https://www.lexpress.fr/politique/loi- immigration-le-lot-la-gironde-et-la-seine-saint-denis-nappliqueront-pas-le-texte- DLD6FDQADVFBXM63RP5QAIU324/
  22. Site internet de la ville de Bordeaux, présentation du partenariat avec SOS Méditer- ranée https://www.bordeaux.fr/p146760/partenariat-avec-sos-mediterranee
  23. « Sondage : 68% des Français favorables à l’arrêt des subventions aux associations d’aide aux migrants entrés illégalement sur le territoire » CNEWS, 16/05/2024 https://www.cnews.fr/france/2024-05-16/sondage-68-des-francais-favorables-larret-    des-subventions-aux-associations-daide
  24. Arrêt du Conseil d’Etat n°391570, 7ème – 2ème chambre réunies, 01/06/2016 https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000032625299
  25. « Comment les associations sous-traitent-elles pour l’Etat, l’accueil des migrants ? » Europe 1, 18/11/2022 https://www.europe1.fr/politique/comment-les-associations- sous-traitent-elles-pour-letat-laccueil-des-migrants-4148425
  26. Projet de loi de finances pour 2023 https://www.assembleenationale.fr/dyn/content/download/494514/file/PAP2023_B    G_Immigration_asile_integration.pdf
  27. Rapport d’information de M. François-Noël Buffet n°626 (2021-2022) déposé le 10/05/2022 « Services de l’Etat et immigration : retrouver sens et efficacité » https://www.senat.fr/rap/r21-626/r21-626.html

  1. https://www.senat.fr/leg/ppl04-224.html ↩︎
  2. https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018717_718QPC.htm ↩︎
  3. https://justice.pappers.fr/decision/34891dc46a531f72094faf67df2bdcddcbe9c86c?q=22PA04811&tri=d ate ↩︎
  4. https://www.conseil-etat.fr/Media/actualites/documents/2024/mai-2024/474652.pdf ↩︎
  5. https://sosmediterranee.fr/mission-sauvetage-en-mer/#valeurs ↩︎
  6. https://www.lefigaro.fr/actualite-france/l-ocean-viking-a-quitte-toulon-le-debarquement-des- migrants-etant-termine-20221112 ↩︎
  7. https://www.frontex.europa.eu/assets/Publications/Risk_Analysis/Annual_Risk_Analysis_2017.pdf ↩︎
  8. https://www.letemps.ch/monde/trois-ong-sauvetage-mer-accusees-complicite-passeurs- criminels ↩︎
  9. https://www.lexpress.fr/societe/ocean-viking-que-sont-devenus-les-migrants-secourus-et- debarques-en-france_2183802.html ↩︎
  10.  https://sosmediterranee.fr/wp-content/uploads/2021/04/rapportactivite2020.pdf ↩︎
  11. https://sosmediterranee.fr/wp-
    content/uploads/2022/06/SOS_MEDITERRANEE_RA_2021_DEF_WEB.pdf
    ↩︎
  12. https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2023-1-page-45.htm ↩︎
  13. David Goodhart, Les deux clans : lanouvelle fracture mondiale, Paris, Les arènes, 2019
    ↩︎
  14. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/04/11/premier-tour-2022-vote-des-villes- vote-des-campagnes_6121688_4355770.html ↩︎
  15.  https://brilliantmaps.com/2020-county-election-map/ ↩︎
  16.  https://ballotpedia.org/List_of_current_mayors_of_the_top_100_cities_in_the_United_States ↩︎
  17. https://tnova.fr/economie-social/territoires-metropoles/le-nouveau-role-international-des-villes- et-pourquoi-il-faut-lencourager/ ↩︎
  18. https://www.infomigrants.net/en/post/15154/palermo-mayor-says-city-wants-to-be-known-for- migrant-rights ↩︎
  19. https://www.lexpress.fr/politique/loi-immigration-le-lot-la-gironde-et-la-seine-saint-denis- nappliqueront-pas-le-texte-DLD6FDQADVFBXM63RP5QAIU324/ ↩︎
  20. https://www.bordeaux.fr/p146760/partenariat-avec-sos-mediterranee ↩︎
  21. https://www.cnews.fr/france/2024-05-16/sondage-68-des-francais-favorables-larret-des-
    subventions-aux-associations-daide ↩︎
  22. https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000032625299 ↩︎
  23. 25https://www.europe1.fr/politique/comment-les-associations-sous-traitent-elles-pour-letat-
    laccueil-des-migrants-4148425 ↩︎
  24. https://www.assemblee-
    nationale.fr/dyn/content/download/494514/file/PAP2023_BG_Immigration_asile_integration.pdf ↩︎
  25. https://www.senat.fr/rap/r21-626/r21-626.html ↩︎

Sauver Schengen : face à l’urgence, la nécessaire réforme.

  • L’espace Schengen, dans lequel les personnes circulent librement sans contrôles aux frontières intérieures, est considéré comme l’une des réussites de l’Union européenne (UE) et la garantie d’une liberté précieuse pour les citoyens européens. Cependant, outre que l’espace Schengen et l’UE ne se superposent pas, cette zone de libre circulation devait s’inscrire plus largement dans « l’espace de sécurité et de justice » prévu par le traité de Maastricht et s’accompagner d’une protection efficace de nos frontières extérieures, de manière à ne pas exposer les Européens à des risques accrus.
  • Or, à l’usage et comme l’a dramatiquement illustré la crise migratoire engagée depuis 2015, l’espace Schengen s’est montré dysfonctionnel. La libre- circulation, étendue aux ressortissants des pays tiers et associée à l’absence de vérifications aux frontières, a rendu l’Europe plus vulnérable à la pression de l’immigration irrégulière. Elle se trouve aussi à l’origine d’importants « flux migratoires secondaires » entre pays européens – tout particulièrement au détriment de la France.
  • Un relatif consensus s’étant dégagé sur ces dysfonctionnements, les institutions européennes ont engagé une révision du code des frontières Schengen (CFS) qui devrait prochainement aboutir. Cependant, au-delà des progrès indéniables qu’elle pourrait apporter, cette révision ne semble pas à même d’armer les États membres pour répondre aux défis migratoires contemporains.
  • Ces défis plaident pour la mise en œuvre d’autres mesures, aminimaen exploitant les possibilités actuellement prévues par le droit – telles que l’obligation pour les ressortissants de pays tiers de signaler aux autorités leurs déplacements au sein de l’espace Schengen. Nous proposons toutefois une réforme plus ambitieuse du système Schengen : en réservant la libre circulation aux citoyens de l’UE, en mettant fin aux visas Schengen de court-séjour autorisant à circuler dans l’ensemble des pays membres et en soumettant les ressortissants des pays tiers à des contrôles. C’est ainsi que l’idéal de libre circulation pourra être préservé pour les citoyens européens.

1.1 Une convention internationale qui a été intégrée dans le droit de l’Union, assortie d’exemptions : espace Schengen et Union européenne ne se superposent pas

Schengen est un village luxembourgeois qui a donné son nom à des accords interétatiques conclus entre des pays européens pour organiser la libre circulation des personnes. Il s’agit d’abord de l’accord Schengen, signé le 14 juin 1985 par cinq États de la Communauté européenne (République fédérale d’Allemagne, France et les trois pays du Benelux), laquelle comptait alors dix membres. Il fallut ensuite adopter en 1990 une convention d’application de l’accord Schengen, pour que « l’espace Schengen » voie effectivement le jour le 26 mars 1995 entre sept pays européens – l’Espagne et le Portugal ayant entre-temps rejoint les cinq premiers pays cités.

L’intitulé de l’accord de 1985, « relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes du Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la France», est parlant : il s’agit, à court terme, d’alléger les vérifications aux frontières pour les personnes et les marchandises et, à long terme, de supprimer ces vérifications pour les reporter aux frontières extérieures, le tout en en organisant la coopération administrative, notamment douanière et policière, et en rapprochant les politiques de visas et d’admission au séjour.

Il est important de souligner que cet accord visait uniquement les ressortissants des États membres de la Communauté européenne, comme cela résulte expressément de son préambule1 et de son article 1e2. Formellement, lesétrangers extra-communautaires n’étaient donc pas couverts par cette suppression graduelle des frontières communes, même s’ils pouvaient de fait en bénéficier – d’où d’ailleurs la préoccupation exprimée dans l’accord de protéger le territoire contre l’immigration illégale.

Cette genèse de l’espace Schengen illustre lien entre celui-ci et l’intégration européenne mais aussi la déconnexion institutionnelle et juridique initiale entre l’accord Schengen – de nature purement interétatique – et la Communauté européenne, qui n’avait pas elle-même organisé la suppression de l’ensemble des vérifications aux frontières du marché intérieur.

Ce n’est qu’avec le traité d’Amsterdam, entrée en vigueur le 1er mai 1999, que

« l’acquis Schengen » a été intégré au droit de l’Union. Le traité instituant la Communauté européenne, devenu entre-temps traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), offre ainsi, comme nous allons le voir, une base légale au « code frontières Schengen » (CFS), qui prend la forme d’un règlement du Parlement européen et du Conseil.3

Toutefois, l’espace Schengen et le territoire de l’Union diffèrent à plusieurs titres. D’une part, certains États membres ont choisi et obtenu de ne pas rejoindre cet espace (Irlande)4 ou ne remplissent pas encore les conditions nécessaires (Chypre et, en partie, la Roumanie et la Bulgarie5). D’autre part, des pays tiers ont adhéré à l’espace Schengen et appliquent ainsi la réglementation européenne (l’Islande, la Norvège, la Suisse, le Liechtenstein et Gibraltar).

Cela illustre le fait qu’il est possible de concilier Union européenne et contrôles aux frontières. La libre circulation dont bénéficient les citoyens européens n’implique ainsi pas nécessairement l’absence de contrôle aux frontières intérieures.

Source:ministèredel’EuropeetdesAffairesétrangères.6

1.2 Les textes en vigueur organisent l’absence de contrôle aux frontières intérieures.

Le droit primaire de l’Union ne se contente pas de garantir, au titre du « marché intérieur », le principe de libre circulation des personnes (article 26 TFUE), c’est-à-dire des travailleurs (article 45 du TFUE), par des dispositions dont il n’est pas contesté qu’elles ne bénéficient qu’aux citoyens européens, à l’exclusion des ressortissants des pays tiers. Il prévoit aussi l’absence de tout contrôle aux frontières intérieures.

Plus exactement, l’article 77 du TFUE, qui s’inscrit dans les dispositions du traité sur les politiques relatives aux contrôles aux frontières, à l’asile et à l’immigration, fonde la compétence de l’Union pour « développe[r] une politique visant: / a) à assurer l’absence de tout contrôle des personnes, quelle que soit leur nationalité, lorsqu’elles franchissent les frontières intérieures » (art. 77, §1, a). Le législateur européen est ainsi compétent pour « adopte[r] les mesures portant sur: […] c) les conditions dans lesquelles les ressortissants des pays tiers peuvent circuler librement dans l’Union pendant une courte durée; […] e) l’absence de tout contrôle des personnes, quelle que soit leur nationalité, lorsqu’elles franchissent les frontières intérieures. » (art. 77, §2).

L’absence de contrôles aux frontières intérieures constitue ainsi un objectif que le législateur européen est invité à atteindre. Les termes de l’article 77 sont néanmoins assez ambigus quant à la portée de cette absence de contrôle : d’un côté, celle-ci doit s’appliquer sans distinction de nationalité, ce qui semble s’étendre aux ressortissants de pays tiers, tandis que, d’un autre côté, la circulation de tels ressortissants peut être soumise à des conditions.

De même, l’article 79 du TFUE fonde la compétence de l’Union pour « [définir] des droits des ressortissants des pays tiers en séjour régulier dans un État membre, y compris les conditions régissant la liberté de circulation et de séjour dans les autres États membres;»(art. 79, §2, b), ce qui confirme que la libre circulation dans l’Union n’est pas absolue pour les ressortissants des pays tiers et fait clairement apparaître que les étrangers en situation irrégulière sont exclus de ce droit. La Commission ne dit pas autre chose sur ce point7. Or, dès lors que les étrangers en situation irrégulière ne bénéficient pas du droit de circuler librement sans faire l’objet de contrôles aux frontières et que des étrangers séjournent effectivement illégalement sur le territoire, on peut en conclure que de tels contrôles devraient pouvoir être menés…

Ce sont ces articles 77 et 79 du TFUE qui constituent la base légale du règlement constituant le code frontières Schengen, déjà mentionné.

C’est plus précisément le titre III du CFS qui est consacré aux frontières intérieures. Il consacre le droit des personnes, « quelle que soit leur nationalité », de franchir les frontières intérieures « en tout lieu sans que des vérifications aux frontières soient effectuées » (article 22). Les vérifications à l’intérieur du territoire, y compris dans les zones frontalières, ne sont admises qu’à la condition de ne pas avoir « un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières » (article 23).

Cependant les États membres ont la possibilité de prévoir l’obligation pour les ressortissants de pays tiers de signaler leur présence sur leur territoire, soit à l’entrée, soit dans un délai de trois jours ouvrables à partir de l’entrée (article 23, sous d, en combinaison avec l’article 20 de la convention d’application de Schengen). Cette possibilité semble être devenue assez théorique mais cette obligation de signaler sa présence auprès des autorités de police existe bien dans notre droit national8.

La réintroduction du contrôle aux frontières intérieures est néanmoins permise « en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État membre », en dernier recours et sans excéder ce qui est strictement nécessaire (article 25), pour une durée qui ne peut atteindre deux ans que dans ces circonstances exceptionnelles. Si ces dispositions ont été assez largement utilisées par les États membres dans le contexte sécuritaire, migratoire et sanitaire des dernières années, sans toujours respecter la durée limite de deux ans, il n’en reste pas moins que le principe est l’absence de contrôle aux frontières intérieures, les contrôles aux frontières extérieures étant censés être suffisants pour protéger le territoire européen.

1.3 Les États membres de l’espace Schengen sont restreints dans leur capacité à contrôler les flux migratoires internes.

Les institutions européennes, plus particulièrement la Commission européenne avec le concours de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), veillent à ce que l’ensemble des dispositions relatives à l’espace Schengen soient respectées et le cas échéant interprétées dans leur sens le plus extensif. Ainsi, la portée de la prohibition des contrôles frontaliers a été accentuée par la jurisprudence sourcilleuse de la CJUE qui a défini des conditions strictes encadrant la possibilité pour les États membres de mener des opérations de police sur leur territoire sans que celles-ci ne puissent être assimilées à des opérations de contrôle frontalier.

Ainsi que l’a jugé la grande chambre de la Cour de justice dans l’arrêt Melki et Abdeli du 22 juin 2010 (C-188/10 et C-189/10), le droit de l’Union s’oppose à une législation nationale, française en l’espèce, « conférant aux autorités de police de l’État membre concerné la compétence de contrôler, uniquement dans une zone de 20 kilomètres à partir de la frontière terrestre de cet État avec les États parties à la convention d’application de l’accord de Schengen […] l’identité de toute personne, indépendamment du comportement de celle-ci et de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et des documents prévues par la loi, sans prévoir l’encadrement nécessaire de cette compétence garantissant que l’exercice pratique de la dite compétence ne puisse pas revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières». Autrement dit, pour le juge européen, contrôler l’identité des personnes n’est pas problématique pour autant que ce ne soit pas spécifiquement dans la zone frontalière. Or le droit national français ne prévoit pas que l’identité des personnes puisse être contrôlée en tout temps et en tout lieu sans raison particulière. Aussi, alors qu’il serait souhaitable de pouvoir mener des contrôles d’identité plus aisément en zone frontalière que sur le reste du territoire, le droit de l’Union s’y oppose.

L’état du droit décrit ci-dessus peut être considéré comme problématique dans le contexte migratoire actuel, dans la mesure où il facilite l’immigration légale et illégale vers les États composant l’espace Schengen.

2.1 L’application de Schengen aux ressortissants des pays tiers : une version extensive de la libre circulation, qui ne découle pas automatiquement du principe de libre circulation garanti par les traités européens

Le fait que la libre circulation des personnes bénéficie non seulement aux citoyens européens mais aussi aux ressortissants des pays tiers est problématique en principe et en pratique.

Sur le principe, il s’agit d’une illustration de la propension de l’Union européenne à accorder aux pays tiers des avantages sans aucune contrepartie de leur part – de même par exemple que le droit de l’Union protège la libre circulation des capitaux au niveau mondial au lieu de la limiter au territoire européen.

Sur le plan opérationnel, cette extension de la libre circulation prive l’Union de moyens de contrôle de l’immigration extra-européenne.

Certes, d’aucuns estiment que la libre circulation des personnes doit nécessairement s’étendre aux ressortissants des pays tiers pour des raisons pratiques, tenant au fait que soit il y a des contrôles aux frontières, soit il n’y en a pas. Telle est l’opinion de l’avocat général Athanasios Rantos9, s’appuyant sur l’opinion de certains universitaires10 : « Les personnes, quelle que soit leur nationalité, ne doivent pas être contrôlées lorsqu’elles franchissent les frontières intérieures. Le franchissement des frontières sans contrôle n’est possible de facto que s’il concerne tout le monde. La suppression des contrôles aux frontières intérieures s’étend donc nécessairement aux ressortissants de pays tiers, en raison de la nature même de l’absence de contrôle. »

Cette affirmation, à première vue intellectuellement séduisante, est discutable. Premièrement, elle confond à tort le droit à la libre circulation et l’absence de contrôles aux frontières. De même que le principe de libre circulation des capitaux n’implique pas l’absence de contrôle des flux de capitaux ou que les automobilistes sont susceptibles d’être contrôlés pour vérifier qu’ils détiennent un permis de conduire, il est parfaitement légitime de s’assurer que des personnes exerçant leur droit à la libre circulation dans l’Union sont autorisés à le faire. Telle est d’ailleurs l’opinion de la Commission européenne elle-même, qui distingue bien le droit à la libre circulation de l’absence de vérifications aux frontières intérieures : « Même si, en soi, les vérifications aux frontières intérieures ne portent pas atteinte au droit à la libre circulation, l’absence de telles vérifications facilite en pratique les déplacements des personnes.»11. De fait, la Communauté européenne a longtemps existé avec des contrôles aux frontières, la convention d’application de l’accord Schengen n’étant entrée en vigueur qu’en 1995 pour les premiers États l’ayant conclue. Et une partie de l’Union européenne reste en dehors de l’espace Schengen.

Deuxièmement, si la libre circulation des personnes est bien une liberté fondamentale des citoyens de l’Union – que nous n’entendons pas, pour notre part, remettre en cause – l’absence de tout contrôle aux frontières n’est pas un principe général et absolu qui serait inscrit dans les traités européens. Comme nous l’avons vu plus haut, l’article 77 du TFUE fixe au législateur européen un objectif d’absence de contrôle des personnes aux frontières intérieures, ce qui signifie précisément qu’il revient audit législateur de fixer les conditions et limites de cette absence de contrôle.

Troisièmement, s’il est donc permis au Parlement européen et au Conseil d’apporter certaines restrictions, c’est tout particulièrement le cas s’agissant des ressortissants des pays tiers, comme y invite même l’article 79 du TFUE. Rappelons ici que ces ressortissants ne sont susceptibles de bénéficier de la libre circulation que s’ils séjournent légalement dans un État membre. Pourtant, la suppression pure et simple des contrôles aux frontières intérieures génère une absence de contrôle pour les étrangers en situation irrégulière, ce qui constitue un effet pervers du système actuel et non un effet recherché par le CFS.

Quatrièmement, faire bénéficier les étrangers non-européens de la libre circulation des personnes conduit à brader une liberté conçue comme étant le corollaire de la citoyenneté européenne. Autoriser y compris, de fait, des immigrés clandestins, qui ont violé la frontière extérieure européenne, à circuler librement dans l’Union vient démultiplier l’effet de cette violation et, bien loin d’être nécessaire pour assurer la libre circulation des Européens, lèse les droits de ces derniers.

2.2 L’absence de tout contrôle aux frontières intérieures alimente les flux migratoires vers l’Europe

La suppression des vérifications aux frontières pour les ressortissants des pays tiers contribue à la non-maîtrise de l’immigration, illégale mais aussi légale.

C’est évident pour l’immigration clandestine : en l’absence de contrôles aux frontières intérieures, l’Europe n’est plus protégée contre les flux migratoires illégaux que par sa seule frontière extérieure. Une fois sur le territoire européen, les immigrants peuvent se déplacer dans tout l’espace Schengen sans entrave, sous réserve des contrôles de police dont ils peuvent par ailleurs faire l’objet, comme tout un chacun, pour un motif légitime. N’oublions pas que l’espace Schengen, qui s’étend sur près de 4,3 millions m², permet d’aller de la Sicile à la mer arctique et des îles Canaries à la Pologne.

Et quand bien même des vérifications seraient réintroduites aux frontières intérieures dans le cadre prévu par l’article 25 CFS, il résulte de la jurisprudence de la CJUE12 que les immigrants illégaux interceptés à une frontière intérieure ne peuvent être remis à l’État membre dont ils ont franchi la frontière qu’en respectant toutes les prescriptions de la directive « retour »13.

Ces facilités de circulation alimentent les flux migratoires secondaires, qui concernent notamment des migrants déboutés du droit d’asile dans un État membre qui rejoignent un autre État membre pour y déposer une nouvelle demande d’asile. Dans un avis sur le projet de loi de finances pour 201814, la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale avait constaté la prégnance de ce phénomène, devenu massif à la suite de la vague migratoire de 2015-2016, et mis en cause les « dysfonctionnements de l’espace Schengen » : selon le ministère de l’intérieur, près de la moitié des demandeurs d’asile qui se présentaient en France étaient alors déjà connus ailleurs en Europe et près de 500 000 déboutés du droit d’asile circulaient de pays en pays dans l’espace Schengen. Selon ce document parlementaire, qui reste d’actualité15, « L’ampleur des mouvements migratoires secondaires en Europe illustre les lacunes graves de l’espace Schengen. L’Union européenne a mis en place un espace frontalier commun sans harmoniser les règles en son sein, ce qui se traduit par un « cabotage » des systèmes d’asile, une partie des migrants rebondissant de pays en pays pour trouver un point de chute, une fois déboutés de leurs droits dans un État. »

Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, est parvenu à la même conclusion d’inadéquation entre l’espace Schengen et le système européen de l’asile : « Il apparaît même de plus en plus que si le ’’règlement Dublin’’ n’est pas réformé, c’est à terme l’espace de libre circulation[…] qui sera menacé. »16

Un titre de séjour ou visa Schengen autorise à circuler librement dans tout l’espace Schengen. Cela signifie qu’un visa délivré par l’Italie ouvre droit à se rendre en Islande, pour peu que les conditions du visa (la durée essentiellement : 90 jours maximum pour un visa de court séjour) soient respectées.

Là non plus, il ne va pas de soi que, par exemple, un ressortissant d’un pays d’Afrique arrivant en Belgique avec un visa Schengen pour motif touristique soit autorisé à se déplacer dans tout l’espace Schengen : cela démultiplie les voies d’arrivée légale en Europe, lesquelles sont bien souvent un vecteur d’immigration illégale. En effet, sans même parler du cas de visas obtenus par fraude ou corruption, lorsque le touriste détenteur d’un visa omet de quitter le territoire européen dans le délai imparti, il se retrouve en situation irrégulière, sans que l’on sache s’il est resté dans l’État qui a délivré le visa ou s’il a rejoint un autre pays de l’espace Schengen. Le même touriste ou encore le membre d’une délégation sportive peut aussi demander l’asile une fois sur place – en principe dans l’État d’arrivée mais potentiellement aussi dans un autre pays de son choix (en cas de non application du règlement Dublin, d’une nouvelle demande d’asile après rejet de la première par l’État compétent ou encore d’une première demande sous une autre identité que celle initialement déclarée).

À cet égard, la distinction entre immigration légale et immigration illégale n’est pas si nette. La facilitation de l’ensemble de ces migrations par l’espace Schengen est donc problématique.

Le CFS est en cours de révision pour répondre à certaines des difficultés apparues dans le fonctionnement de l’espace Schengen – pas nécessairement ou pas seulement celles identifiées ci-dessus. Le Parlement européen a adopté en première lecture le 24 avril 2024 un règlement modifiant le CFS17, dont le Conseil de l’Union est désormais saisi18. Passons en revue les principales dispositions de ce projet de révision.

3.1 Un encadrement plus strict de la réintroduction temporaire de contrôles aux frontières intérieures.

C’est la mesure qui a suscité le plus de réticences à la droite de l’hémicycle. Un des objectifs des promoteurs du texte, notamment la rapporteure Sylvie Guillaume (groupe Renew), était d’encadrer davantage les rétablissements des contrôles aux frontières intérieures par les États membres. Le texte part du principe que la réintroduction temporaire d’un contrôle aux frontières intérieures devrait être exceptionnelle et n’être utilisée qu’en dernier recours, le cas échéant sous réserve d’une consultation et d’une coopération entre les États membres concernés et la Commission, en tant que gardienne des traités.

Dans la mesure où ce sont les États membres et non la Commission européenne qui sont responsables du maintien de l’ordre public19, il paraît peu opportun de confier à la Commission européenne, même à titre consultatif, la compétence de dire si les conditions du rétablissement des frontières intérieures sont réunies ou non et si les mesures prises sont adaptées et proportionnées. De même, l’instauration d’une durée limite pour la réintroduction des contrôles aux frontières (3 ans, sous certaines conditions) ne tient pas compte des menaces qui pourraient être de nature à justifier le maintien de ces contrôles sur une plus longue durée : la menace migratoire, terroriste ou sanitaire s’embarrasse assez peu de délais réglementaires…

3.2 Une possibilité de renvoi simplifié aux frontières intérieures.

Mieux inspirée est une mesure qui apporte un début de réponse à la problématique des mouvements migratoires secondaires, en introduisant la possibilité pour un État membre qui intercepte des migrants en situation irrégulière dans une zone frontalière de les transférer vers l’État membre par lequel ils sont entrés20. Il s’agit aussi d’une réponse à la jurisprudence de la CJUE (arrêt ADDE, mentionné plus haut), selon laquelle ces renvois doivent aujourd’hui être exécutés dans les conditions définies par la directive retour.

Ainsi, par dérogation à la directive retour, l’État membre pourra procéder au transfert vers le pays voisin de manière immédiate, dans les 24 heures au plus. L’étranger faisant l’objet d’une décision de transfert pourra certes former un recours mais celui-ci sera dépourvu d’effet suspensif. La mise en œuvre de cette procédure sera néanmoins subordonnée à l’existence d’une coopération bilatérale, puisque ne seraient concernés que les étrangers appréhendés « lors de contrôles impliquant les autorités compétentes des deux États membres dans le cadre d’une coopération bilatérale» et sous réserve que ces deux États se soient accordés sur la mise en œuvre de cette procédure de transfert. De surcroît, le Parlement européen a introduit des exceptions (demandeurs d’asile et bénéficiaires de la protection internationale) qui risque de réduire la portée et l’efficacité du dispositif.

3.3 Une nouvelle possibilité de restriction des entrées aux frontières extérieures en cas d’arrivées en masse et en force.

La réforme introduit aussi un nouveau critère lié aux afflux soudains de ressortissants des pays tiers, qui permettent de restreindre temporairement les entrées aux frontières extérieures. Cela vise notamment mais pas seulement les phénomènes d’instrumentalisation des migrants par des pays tiers ou des acteurs non étatiques cherchant à déstabiliser l’Union ou un de ses États membres (on pense notamment aux tentatives d’intrusion depuis la Biélorussie en 2021-2022).

Il est d’abord affirmé que « lorsqu’un grand nombre de migrants tentent de franchir leurs frontières extérieures de manière non autorisée, en masse et en faisant usage de la force, les États membres peuvent prendre les mesures nécessaires pour préserver la sécurité et l’ordre public »21. Ce type de situations est celle envisagée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)22, qui admet dans ce cas de figure une exception au principe d’interdiction des expulsions collectives23.

La précision apportée par la révision du CFS est bienvenue mais ne va pas jusqu’à déroger au principe de non refoulement. Dans un nouveau paragraphe dédié aux situations d’instrumentalisation de migrants, il est même explicité que les restrictions que l’État membre concerné peut envisager dans cette hypothèse (limitation du trafic frontalier au minimum et fermeture temporaire de certains points de passage frontaliers) devraient être appliquées « de manière à garantir que les obligations liées à l’accès à une protection internationale, en particulier le principe de non-refoulement, sont respectées», un « accès réel et effectif aux procédures de protection internationale » devant notamment être garanti24.

Or, pour notre part, nous ne voyons pas comment il pourrait être raisonnablement envisagé de fermer des points de passage frontaliers pour faire obstacle à une forme d’invasion de migrants instrumentalisés à des fins déstabilisatrices et, en même temps, de garantir à ces mêmes migrants la possibilité de déposer une demande d’asile. En pareille situation, il paraît vain de distinguer l’instrumentalisateur de l’instrumentalisé et de chercher à appliquer le principe de non refoulement, au risque précisément que la tentative de déstabilisation soit couronnée de succès pour le pays tiers ou l’acteur non- étatique hostile.

3.4 Des fondamentaux globalement inchangés.

Certaines autres dispositions ne sont pas sans intérêt, comme celles qui visent à faciliter le recours à des moyens techniques modernes (drones, capteurs de mouvement…) pour prévenir les franchissements non autorisés de la frontière, ou encore à expliciter que les contrôles de police à l’intérieur du territoire peuvent recourir à l’utilisation de technologies de contrôle et de surveillance (sur autoroutes par exemple) pour autant que celles-ci soient généralement utilisées sur tout le territoire ou que leur emploi soit fondé sur une évaluation des risques aux fins de la protection de la sécurité intérieure.

Cependant, il apparaît en définitive que la révision du CFS en cours d’adoption n’apportera qu’un remède incomplet aux insuffisances et défauts de l’espace Schengen. L’idée directrice est d’ailleurs bien de consolider celui-ci dans ses fondamentaux, y compris dans le fait de faire bénéficier également les ressortissants des pays tiers de la libre circulation et de l’absence de vérifications aux frontières.

Concilier le principe de libre circulation des personnes et la maîtrise des frontières des pays européens n’est pas mission impossible. Nous formulons ci- après des propositions, certaines assez ciblées, d’autres plus structurantes.

4.1 À minima : exploiter les possibilités et limites de Schengen pour mieux maîtriser les frontières

Il est possible, à droit constant, de soumettre les ressortissants des pays tiers, ou certains d’entre eux (ressortissants des pays soumis à un régime de visa par exemple25), à un système d’enregistrement lorsqu’ils se déplacent, comme ils en ont aujourd’hui le droit, dans l’espace Schengen. Comme nous l’avons vu (cf. I supra), c’est ce qu’autorise l’article 23, sous d, du CFS.

Apparemment tombée en désuétude ou imparfaitement appliquée, cette disposition pourrait être réactivée. La révision en cours du CFS prévoit d’ailleurs que les États membres puissent aussi soumettre les chefs d’établissements d’hébergement à une obligation « de veiller à ce que les ressortissants de pays tiers remplissent et signent les fiches de déclaration ». Cette obligation déclarative devrait être modernisée, en étant obligatoirement effectuée en ligne, de manière à alimenter un système d’information national voire européen26, de manière à permettre aux États d’être mieux informés sur les flux migratoires internes, de procéder à des contrôles, notamment dans les lieux d’hébergement pour s’assurer du respect de l’obligation d’enregistrement, et de tirer les conséquences d’une méconnaissance de l’obligation (amende, ordre de quitter le territoire…).

À noter que plusieurs États membres de l’Union ont déployé un système de passenger locator form pendant la pandémie de Covid-19, dont la Belgique, afin de contrôler à des fins sanitaires les déplacements internationaux. Un tel système est donc tout à fait possible et réaliste ; il n’implique pas des contrôles aux frontières.

Comme évoqué ci-dessus, la révision en cours du CFS permettra, sous certaines conditions, de faciliter la reconduite aux frontières intérieures des étrangers en situation irrégulière interceptés dans les zones frontalières. Cette mesure rendra plus efficaces les contrôles de police dans les zones frontalières, ainsi que les contrôles aux frontières intérieures dans le cas où ils auront été réintroduits temporairement en vertu de la clause de suspension de l’espace Schengen (article 25 CFS).

Certes, pour que ces interceptions soient pleinement efficaces pour lutter contre l’immigration irrégulière au niveau européen, il conviendrait que l’État membre auquel sont remis les étrangers interceptés les renvoie ensuite dans leur pays d’origine.

Mais le seul fait de faire obstacle au franchissement de frontières intérieures serait de nature à rendre l’entrée dans l’espace Schengen moins attractif, le risque d’être intercepté à chaque franchissement de frontière pouvant au moins dissuader les immigrants de passer d’un pays à un autre – et les dissuader d’émigrer tout court si leur objectif est de rejoindre non pas l’Italie ou l’Espagne par exemple, mais un autre pays plus au Nord. De fait, les immigrants débarquant à Lampedusa ou aux Canaries n’aspirent pas à y rester… Les frontières nationales peuvent en somme jouer le rôle d’écluses ou de filets de sécurité supplémentaires lorsque la frontière extérieure a été franchie, contribuant à la protection du territoire européen.

Parallèlement, il serait souhaitable de ne pas limiter dans la durée la possibilité de rétablir les contrôles aux frontières intérieures, la protection de l’ordre public devant prévaloir si besoin. Une nouvelle révision du CFS – allant dans le sens inverse de la révision en cours – serait nécessaire.

Compte tenu du risque que les bénéficiaires de visas Schengen ne quittent pas le territoire européen au terme de la durée de séjour prévue, le cas échéant en mettant à profit leur droit à la libre circulation pour se volatiliser dans l’espace Schengen, ces visas ne devraient être délivrés qu’à des ressortissants de pays qui coopèrent effectivement à la réadmission de leurs émigrés en situation irrégulière en Europe. Le droit européen des visas le permet mais seule la Gambie a jusqu’ici fait l’objet de mesures restrictives concernant le traitement des visas et les droits de visa… Les États européens préfèrent jouer de la carotte en accordant des traitements plus avantageux aux pays qui coopèrent davantage.

Tant que des visas Schengen continueront à être délivrés – mais il est possible d’envisager des mesures plus fondamentales (cf. 4.2.2 infra) – il conviendrait de les conditionner strictement, au niveau européen, à une coopération efficace des pays concernés à la réadmission de leurs ressortissants.

4.2 De manière plus structurante : réserver le bénéfice de la libre circulation aux citoyens européens

Pour aller plus loin dans la maîtrise des flux migratoires en Europe sans pour autant remettre en cause la liberté pour les Européens de circuler sans contrôle aux frontières intérieures, il conviendrait d’exclure clairement les ressortissants de pays tiers du bénéfice d’un principe de libre circulation qui, comme nous l’avons vu, n’a pas du tout été prévu pour eux.

On peut naturellement envisager des variantes moins ambitieuses. Ainsi pourrait-on différencier les étrangers titulaires d’un titre de séjour, actuellement autorisés à circuler dans l’espace Schengen sans visa, et les étrangers titulaires d’un visa Schengen de court séjour. Pour les titulaires d’un titre de séjour, on pourrait également distinguer en fonction de la nature du titre : il n’est pas évident que les bénéficiaires de l’asile ou d’un titre de séjour « étranger malade » aient vocation à circuler dans tout l’espace Schengen, alors que cela s’entend davantage pour un étranger disposant d’une carte de résident de 10 ans en France. Concentrons-nous sur le cas des titulaires de visas.

Les détenteurs de visas Schengen de court séjour (visas « C », pour 90 jours maximum de séjour continu), quel que soit le motif (touristique, professionnel, familial, formation, activité rémunérée) ne devraient pas être autorisés à circuler dans l’ensemble de l’espace Schengen. Celui-ci, qui s’étend de l’Islande à la Bulgarie, est désormais bien vaste, de sorte qu’il est disproportionné d’accorder à des étrangers venant séjourner très temporairement en Europe et pour un motif précis, l’autorisation par défaut de pouvoir voyager dans l’ensemble de cet espace. En conséquence, le titulaire d’un visa espagnol par exemple ne serait pas autorisé à se rendre en France et se placerait en situation irrégulière s’il y venait toutefois.

À noter qu’il est d’ores et déjà possible de limiter à titre exceptionnel la validité d’un visa Schengen C à un seul ou à certains pays de l’espace Schengen uniquement. Il n’est donc pas correct d’objecter que cette mesure serait irréalisable. Nous préconisons en revanche d’inverser le principe et l’exception : le principe devrait être la limitation de la validité géographique du visa C27, l’exception la validité dans l’ensemble de l’espace Schengen – il faudrait alors pour le demandeur justifier du besoin de disposer d’un visa permettant de se rendre dans chacun des 29 États membres de la zone.

Il s’agirait donc de généraliser ce qui d’ailleurs existe déjà, c’est-à-dire la délivrance de VTL (visas territorialement limités).

Prenons un exemple concret : aujourd’hui un Algérien qui, par hypothèse, se voit refuser la délivrance d’un visa Schengen par l’un des consulats français en Algérie, peut obtenir de l’Espagne et de l’Italie non pas un visa espagnol ou italien, mais un visa Schengen – donc valable pour la France qui est sa destination privilégiée. Muni dudit visa Schengen, il sera mécaniquementet juridiquementen situation régulière en France et pourra faire jouer les dispositions favorables de l’Accord du 27 décembre 196828 afin d’obtenir un titre de séjour.

S’il était décidé de réserver le bénéfice de la libre-circulation aux seuls ressortissants européens et de mettre fin aux visas Schengen de court-séjour : le même Algérien qui, par hypothèse, se verrait refuser la délivrance d’un visa par l’un des consulats français en Algérie, pourrait continuer à demander un visa aux consulats espagnols ou italiens (généralement plus souples) mais n’obtiendrait de l’un ou l’autre de ces consulats qu’un visa limité à l’Espagne ou à l’Italie.

Ledit ressortissant algérien, s’il venait en France, se trouverait alors mécaniquement et juridiquement en situation irrégulière. Il ne pourrait donc pas rester sur le territoire français et – surtout – ne pourrait faire jouer en sa faveur les dispositions favorables de l’Accord franco-algérien de 1968 en vue d’une installation sur le territoire français.

Réserver la libre circulation aux citoyens des États membres de l’espace Schengen soulève la question des contrôles aux frontières et de leurs modalités, à la fois aux frontières terrestres et dans les gares, ports et aéroports. En effet, dès lors que des ressortissants de pays tiers ne seraient pas autorisés à circuler dans tout l’espace Schengen, il conviendrait de s’assurer qu’ils respectent les limites géographiques de leur autorisation de séjour.

Il importe cependant de souligner que le contrôle de la régularité du séjour ne se limite pas aux vérifications aux frontières, lesquelles ne constituent qu’une des formes possibles de ce contrôle, parallèlement aux vérifications d’identité dans le cadre de contrôles de police ou aux vérifications des déclarations des lieux d’hébergement.

Il n’est donc pas proposé ici d’instaurer des contrôles systématiques aux points de passage frontaliers et d’ériger des clôtures au niveau des frontières intérieures, mais plutôt de réintroduire des contrôles ciblés sur les ressortissants de pays tiers dans les différents points de passage de frontières intérieures (routes, aéroports, gares, ports) limitativement autorisés29. Ces contrôles devraient être adaptés aux enjeux, en fonction des flux légaux et illégaux, et ne seraient donc pas nécessairement permanents. Aux frontières terrestres, il est d’ailleurs préférable qu’ils soient mobiles, un point de contrôle permanent pouvant être contourné. Lorsque c’est possible, les ressortissants des pays tiers pourraient être dirigés vers une file dédiée, comme c’est déjà le cas aux frontières extérieures (« passeports Schengen » et « autres passeports »), sans d’ailleurs s’interdire de contrôler tout cas suspect dans la file « Schengen ».

Ajoutons que les nouvelles technologies fournissent de nouveaux moyens pour organiser ces contrôles de manière efficace, afin d’éviter les désagréments pour les citoyens européens30. Le système de télépéage sur les autoroutes est un bon exemple. Les QR codes utilisés notamment dans les transports pendant la pandémie de Covid-19 en sont un autre. Quant aux portions de frontières se situant entre les points de passage autorisés, elles peuvent faire l’objet d’une surveillance par les moyens techniques modernes évoqués plus hauts (tels les drones), proportionnée aux enjeux : s’il existe aujourd’hui des obstacles juridiques au déploiement de tels moyens en France31, il doit être envisagé de les lever en adaptant la loi et/ou le CFS.

Il est donc possible de réformer Schengen sans revenir au statu quo ante d’avant 1995, époque à laquelle les contrôles aux frontières nationales n’étaient au demeurant déjà plus du tout systématiques. Il s’agit plutôt de construire le Schengen 2.0.

En tant qu’espace sans contrôle aux frontières intérieures, qui n’est en outre pas assorti de frontières extérieures étanches, Schengen amplifie les crises migratoires : les voies légales d’accès à l’Europe sont multipliées puisque chaque État délivre des visas donnant accès à tout l’espace Schengen, les États membres se voient empêchés de contrôler efficacement les flux d’immigrés illégaux circulant de facto librement dans ce même espace, les flux primaires d’immigration génèrent des flux secondaires dont souffre notamment la France.

Ces constats sont assez bien partagés et ont donné lieu à un projet de révision du code frontières Schengen, en voie d’adoption à la date de rédaction de la présente note. Pour autant, force est de constater que cette révision n’apporte au mieux que des solutions partielles aux problèmes identifiés. Ces solutions pourraient être améliorées mais, eu égard à l’ampleur de la menace migratoire, nous pensons qu’il faut changer de philosophie et revenir à l’essence du projet Schengen : un espace de libre circulation au bénéfice des citoyens européens, tandis que les ressortissants des pays tiers doivent quant à eux être soumis à un régime de contrôle de leurs déplacements.

Nous sommes convaincus que c’est en refondant ainsi l’espace Schengen sur des bases saines et réalistes que nous pourrons préserver cette liberté pour les Européens de franchir les frontières intérieures, qui constitue une belle réalisation de la construction européenne – tant que ses avantages l’emportent sur ses inconvénients.

 A minima : exploiter les possibilités et limites de Schengen pour mieux maîtriser les frontières

  • Soumettre les ressortissants des pays tiers à un système d’enregistrement et de contrôle
  • Renforcer la portée du rétablissement temporaire des contrôles aux frontières intérieures
  • Suspendre au niveau européen la délivrance des visas Schengen aux ressortissants des pays tiers dont la coopération est insuffisante

De manière plus structurante : réserver le bénéfice de la libre circulation aux citoyens européens

  • Revenir au Principe de Schengen en réservant le bénéfice de la libre circulation aux citoyens européens
  • Mettre fin aux visas Schengen de court séjour
  • Mettre en place un système de contrôle des déplacements des ressortissants de pays tiers
  • OID (note), « Possibilités et limites du refoulement aux frontières intérieures et extérieures », février 2024

  1. Cf. notamment cet extrait : « ANIMÉS de la volonté de parvenir à la suppression des. contrôles aux frontières communes dans la circulation des ressortissants des États membres des Communautés européennes et d’y faciliter la circulation des marchandises et des services » ↩︎
  2.  « Dès l’entrée en vigueur du présent Accord et jusqu’à la suppression totale de tous les contrôles, les formalités aux frontières communes entre les États de l’Union économique Benelux, la République fédérale d’Allemagne et la République française se dérouleront, pour les ressortissants des États membres des Communautés européennes, dans les conditions fixées ci-après. » (souligné par nos soins).
    ↩︎
  3. Initialement le règlement n° 562/2006 du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), remplacé ensuite par le règlement n° 2016/399 du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen). ↩︎
  4. Il en allait précédemment de même du Royaume-Uni, jusqu’à son retrait pur et simple de l’Union, et, pendant un temps, du Danemark.
    ↩︎
  5. Ces deux États ont rejoint l’espace Schengen au 31 mars 2024 mais sans qu’il ne trouve à s’appliquer aux frontières terrestres, ce qui réduit sensiblement la portée de l’absence de contrôles. ↩︎
  6. Consultable ici : https://france-visas.gouv.fr/documents/d/france-visas/carte_schengen ↩︎
  7. Ainsi, dans sa proposition du 14 décembre 202, de modification du règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2016/399 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (COM(2021) 891 final), la Commission européenne définit l’espace Schengen comme comprenant « un espace au sein duquel les citoyens de l’Union européenne et les ressortissants de pays tiers qui séjournent légalement sur le territoire, de même que les biens et les services, peuvent circuler sans être soumis à des contrôles aux frontières intérieures » (souligné par nos soins). ↩︎
  8.  Articles L. 621-3 et R. 621-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ↩︎
  9. Conclusions de l’avocat général M. Athanasios Rantos présentées le 30 mars 2023 dans l’affaire C-143/22, Association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) et autres, point 40. ↩︎
  10. Müller-Graff, P.-Chr., dans Pechstein, M., Nowak, C., Häde, U., (éd.), FrankfurterKommentar zuEUV,GRCundAEUV,BandII, Mohr Siebeck, Tübingen, 2017, article 77 AEUV, point 1. ↩︎
  11. Commission européenne, proposition de modification du règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2016/399 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes, 14 décembre 2021, COM(2021) 891 final, page 4. ↩︎
  12. CJUE, arrêt du 21 septembre 2023, Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) e.a, C-143/22. ↩︎
  13. Sur ce point, cf. notre note « Possibilités et limites du refoulement aux frontières intérieures et extérieures » (février 2024), pages 9-11. ↩︎
  14. Assemblée nationale, avis présenté au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi de finances pour 2018 sur la mission immigration, asile et intégration par M. Pierre- Henri Dumont, député, octobre 2017. ↩︎
  15. Dans un récent entretien accordé à l’OID, l’ancien directeur central de la Police aux frontières relevait : « LaFranceestplutôtunpaysderebond,avecuneimmigrationclandestineen provenancemajoritairementdepayseuropéens. » (Entretien avec l’ex-directeur central de la PAF (2017-2022) Fernand Gontier : « Quels contrôles aux frontières ? », mars 2024). ↩︎
  16. Didier LESCHI, Migrations : la France singulière, Fondation pour l’innovation politique, octobre 2018 (cf. partie III). ↩︎
  17. Le texte tel qu’adopté par le Parlement européen, auquel nous nous référons dans la présente note, est disponible ici : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2024- 0323_FR.html
    ↩︎
  18. Le texte ayant fait préalablement l’objet d’un accord interinstitutionnel, son adoption par le Conseil, selon le procédure législative ordinaire (majorité qualifiée), paraît probable. ↩︎
  19. Cf. art. 4 §2 TUE et art. 72 TFUE. ↩︎
  20.  Nouvel article 23 bis « Procédure de transfert des personnes appréhendées dans les zones frontalières intérieures » prévu par le projet de réforme du CFS. ↩︎
  21.  Art. 5, §3, du CFS tel que complété par le projet de réforme ↩︎
  22. CEDH, arrêt du 13 février 2020, N.D. et N.T. c/ Espagne, n° 8675/15 et 8697/15 ↩︎
  23. Sur ce point, voir notre note déjà citée sur le refoulement. ↩︎
  24. Art. 5, §4. ↩︎
  25. Une soixantaine de pays tiers sont dispensés de visas (essentiellement les pays développés et la plupart des pays d’Amérique latine). Quelques pays bénéficient de procédures de visa simplifiées (notamment la Russie et la Biélorussie jusqu’à ce que les accords soient suspendus en 2022).
    ↩︎
  26. A notre connaissance, le futur système EES (Entry Exit System) qui doit voir le jour début
    2025 au plus tard ne portera que sur les entrées et sorties de l’espace Schengen, et non sur les franchissements de frontières intérieures. Il serait opportun d’étendre ce système en ce sens. ↩︎
  27. Ou, ce qui revient au même, la délivrance de visas nationaux, valables uniquement à l’échelle nationale, tels que ceux émis par les États européens non membres de l’espace Schengen.
    ↩︎
  28. Voir notre note détaillée à ce sujet : « L’immigration des Algériens », mise à jour du 6 mars
    2023  :  https://observatoire-immigration.fr/limmigration-des-algeriens/ ↩︎
  29. Aux frontières intérieures, on parle de « points de passage autorisés » (PPA).
    ↩︎
  30. Le projet de l’Union européenne est d’ailleurs de développer des « frontières intelligentes » aux frontières extérieures. Il sera possible de décliner ces techniques aux frontières intérieures.
    ↩︎
  31. 31 Le juge administratif a jugé que le déploiement de drones à la frontalière franco- espagnole portait au cas particulier une atteinte disproportionnée à la vie privée (cf. Juge des
    référés du Conseil d’État, 25 juillet 2023, Association Avocats pour la défenses des étrangers, n° 476151). ↩︎

Les étrangers extra-européens et le logement social en France

La France a développé, dans l’espace européen, un modèle de logement social sans équivalent, qui concentre des populations aux revenus modestes dans des ensembles d’immeubles collectifs, séparés du reste du tissu urbain et dépourvus d’une partie des services offerts à la population des centres-villes. Ce modèle, forgé par une conception « socialisante » du logement et conforté par des considérations économiques, génère depuis le début des années 1980 une série de désordres dont l’ampleur ne fait que croître au fil des décennies, sans qu’il ne soit remis en cause1. Malgré les inconvénients manifestes de ce type d’habitat, plusieurs lois sont intervenues au cours des dernières années pour en imposer l’extension, au prétexte d’une juste répartition de la charge entre toutes les communes. 2 Le logement de type « HLM » représente désormais un quart du parc des logements en milieu urbain.

Surtout, le logement social public, au lieu de résoudre la question de l’intégration des nouveaux venus, dans une perspective, au demeurant discutable, de « mixité sociale », a accentué la spécialisation des territoires. Les immigrés3 y occupent une position singulière : 35 % d’entre eux y vivent4, contre seulement 11 % des Français non immigrés5. Et leur surreprésentation s’accentue avec la concentration de l’habitat. Ainsi, dans le sous-ensemble des 1 513 quartiers de la politique de la ville (QPV), représentant 5,4 millions de locataires, résident 23 % des immigrés, soit 1,61 millions de personnes6. Cette surreprésentation des familles immigrées conforte l’idée que se font les Français d’un habitat destiné en priorité aux « étrangers », mais cette idée est trop générale pour être vraie. Surtout, elle ignore que les modes d’habitat diffèrent de manière significative selon l’origine des populations concernées.

Le secteur HLM occupe aujourd’hui une place que l’on pourrait qualifier d’exorbitante. La France détient le quart des 21 millions de logements sociaux recensés dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. L’extension et la gestion du parc, qui relèvent d’organismes de statut public, mobilisent d’importants financements publics. Surtout, le parc des logements sociaux de type HLM a beaucoup perdu de sa fluidité. Les taux de rotation y sont désormais très faibles. Les mécanismes d’implantation des mêmes familles dans les mêmes quartiers pendant parfois plusieurs générations ont contribué à ancrer le phénomène de la « culture » de quartier, qui a fait du locataire, à terme, un « quasi-propriétaire », le propriétaire réel étant perçu comme lointain et anonyme. Cette « culture » se décline, pour les plus jeunes, en une forme d’appropriation de « leur » territoire (le « ter-ter ») qu’ils défendent contre tous les autres, dans des rixes parfois mortelles.7

La singularité française du logement social appelle plusieurs questions. Quel rapport entretiennent les populations étrangères et d’origine étrangère avec le logement HLM ? Quels mécanismes juridiques favorisent ou défavorisent-ils leur accès à ce type de logement ? Quels sont les freins à la mobilité et au parcours résidentiel qui entravent la mobilité dans l’habitat ? Comment s’effectue la prise en charge des populations en difficultés d’intégration par les organismes HLM ?

Telles sont les interrogations que cette note tente d’éclaircir, dans les limites des données disponibles.

1.1 Une histoire marquée du sceau de l’État

Le logement social, « dont la construction bénéficie de soutien public et destiné à loger des personnes à faibles revenus »8,présente, en France, un caractère à la fois redistributif et étatique. La part des investissements privés (patronat, fondations, institutions religieuses, associations caritatives…) y est devenue résiduelle. La plupart des communes qui disposaient d’un parc de logements sociaux en sont aujourd’hui dépossédées, sauf Paris.

Depuis 1979, l’objet juridique « logement social » est conditionné par la signature d’une convention entre un bailleur et l’État 9. Se trouvent ainsi exclus les logements non conventionnés, y compris ceux qui accueillent les plus pauvres, relevant d’un habitat dit « social de fait », que l’État ignore et pour lesquels nous ne disposons d’aucune statistique publique. Par ailleurs, nombre de parcs de logements à vocation sociale – les logements collectifs pour le personnel militaire par exemple – ne sont pas considérés comme des logements sociaux stricto sensu.

Le logement social est d’abord une émanation de l’État. Les règles de construction, de gestion, d’attribution des appartements et le montant des loyers sont strictement encadrés par des normes produites par le ministère en charge du logement et contenues dans le Code de la construction et de l’habitation. Comme toutes les règles générées par l’administration centrale, elles se sont beaucoup complexifiées au cours des dernières années.

En France, le logement social privilégie la forme d’appartements en immeubles collectifs (86 % du parc) plutôt que la maison individuelle, comme on en trouvait jadis dans les corons du bassin minier et comme cela demeure le cas en Grande-Bretagne (60 % des logements sociaux). Ses modalités de construction sont déterminées, depuis l’origine, par le coût du foncier, sauf en milieu rural. Dans le même temps, et de manière paradoxale, les immeubles sont le plus souvent « posés » dans des espaces non bâtis (pelouses, parkings, dalles…) qui leur donnent une apparence déstructurée qui détonne dans le tissu urbain « ordinaire ». Il est probable, même si ce n’est pas l’objet de ce travail, que ce mode d’habitat obéisse à des modèles implicites qui persistent depuis les années soixante sans avoir été contestés.

L’histoire du logement social « à la française » remonte aux années d’après-guerre, en rupture avec la période précédente, dominée par l’initiative privée (maisons ouvrières, cités-jardins…) et la volonté d’allier habitations à loyer modéré et confort de vie, dans une perspective hygiéniste. Cette rupture doit beaucoup à l’appel de l’Abbé Pierre de 1954, attirant l’attention des pouvoirs publics sur les situations de mal-logement, en particulier dans les villes affectées dix ans plus tôt par des bombardements.

Le premier acte de cette « révolution » fut le décret du 31 décembre 1958 instituant les zones à urbaniser en priorité (ZUP) 10, pris en application d’une loi-cadre votée deux ans plus tôt11, qui prévoyait la construction de 300 000 logements par an. Le décret prescrivait l’édification d’ensembles homogènes d’au moins 500 logements et créait un droit à préempter les terrains nécessaires à leur réalisation. Les opérations furent confiées à des sociétés d’économie mixte à la main des préfets de département. Les terrains furent choisis en fonction de leur moindre valeur, le plus souvent dans des secteurs excentrés, souvent contre l’avis des maires des communes concernées. De nombreuses communes semi-urbaines passèrent ainsi, en quelques années, du statut de village à celui de ville12.Les ingénieurs adaptèrent les modes de construction pour en réduire les coûts. La technique du chemin de grue permit d’édifier des immeubles dans des délais restreints, sous forme de barres ou de tours.

En dix ans, 197 ZUP furent réalisées, qui allaient accueillir 2,2 millions de logements, pour l’essentiel en HLM. Ces logements offraient un confort « moderne » pour des familles vivant dans des conditions souvent précaires. Mais le choix des terrains et les techniques de construction ne les destinaient par à durer. Le HLM s’inscrivait dans un paysage dominé par l’habitat individuel, sous forme de « pavillons ». Ce mode de logement était donc conçu comme une étape à durée limitée dans un parcours résidentiel qui devait aboutir à une accession à la propriété. Ce processus a parfaitement fonctionné jusqu’au milieu des années 1970, en partie porté par l’effet de levier de l’inflation. Il est aujourd’hui remis en cause, sans solution de remplacement, pour avoir favorisé l’étalement urbain au détriment des espaces agricoles.

1.2 Un logement « pour les immigrés » ?

Le logement social, destiné à être occupé par des familles de travailleurs modestes, souvent issus des migrations intérieures, n’avait pas vocation à accueillir des populations immigrées, sauf dans les bassins miniers et sidérurgiques où elles étaient majoritaires. Les salariés maghrébins étaient logés en foyer, en tant que célibataires. Par exception, en 1962, le logement social fut mobilisé pour abriter, de manière provisoire, le million de rapatriés d’Algérie.13

En 1970, le logement social, construit à moindre coût, avait beaucoup vieilli et d’une certaine façon, il avait rempli son rôle. Une grande partie des taudis de centre-ville et autres « garnis » était en passe d’être résorbée. Ses premiers locataires l’ayant quitté, il était donc destiné à être démoli. Le Livre blanc de l’Union des HLM (UNFOHLM) édité en 1975, sous la direction de son délégué, Robert Lion, évoque l’idée de détruire un million de logements : « Désertés par les ménages les moins défavorisés, ces grands ensembles deviendraient de grands ghettos. Nos banlieues urbaines sont- elles appelées à devenir une constellation de petits Harlem ? Aura-t-on recréé demain sur un mode vertical les bidonvilles que l’on a liquidés avec ardeur et bonne conscience ? » 14

Il restait la question des bidonvilles, occupés à titre principal par des familles algériennes et portugaises. La loi Vivien du 10 juillet 1970 prescrivit leur résorption. Celui de Nanterre fut fermé l’année suivante. Assez naturellement, après un passage dans des cités de transit, les familles déplacées furent dirigées vers des logements HLM, rendus disponibles par le départ de leurs locataires initiaux. La question de la cohabitation entre les résidents français et les nouveaux résidents, d’origine maghrébine, se posa d’emblée, générant des travaux théoriques sur l’existence d’un « seuil de tolérance ».15

La crise économique allait encore compliquer l’équation, car elle déboucha, en dépit de l’orientation affichée par le gouvernement, sur une arrivée massive de familles en provenance du Maghreb. En 1976, le regroupement familial ouvrit la porte à l’installation des conjoints et des enfants de travailleurs maghrébins qui vivaient jusque-là dans des foyers gérés par la Sonacotra. Les industries automobiles de la région parisienne, qui utilisaient une main-d’œuvre marocaine, facilitèrent l’implantation de leurs familles dans la banlieue ouest (Trappes, Poissy), au titre de leur contribution au logement social (le 1 % patronal 16). Les Algériens se concentrèrent en Seine-Saint-Denis.

La dégradation de l’image du HLM ayant incité les locataires d’origine française à s’en éloigner, le logement social se spécialisa, sans y avoir été contraint, dans l’accueil des familles immigrées, en Île-de-France et dans les grandes agglomérations. Ces familles avaient des enfants nombreux, souvent nés en Algérie ou au Maroc, qui prirent possession de l’espace public. Les premiers désordres apparurent dès la fin des années 1970. Au début des années 1980, ces désordres prirent une allure suffisamment inquiétante pour obliger l’État à répondre par la mise en place d’une politique d’animation17 et les premières opérations de destructions d’immeubles. 18La structuration d’une politique centrée sur les quartiers les plus « remuants » forma une politique de la ville, qui allait distinguer, au sein du grand ensemble des quartiers d’habitat social, ceux qui auraient été désignés comme « sensibles ». Cette politique, qui ne disait rien de son objet, allait, d’une certaine façon, paralyser la réflexion durant plusieurs décennies.

Dans le même temps, l’intervention budgétaire de l’État, jusque-là centrée sur les aides à la construction (aides « à la pierre »), se doubla d’une politique d’aide au paiement des loyers (dites aides « à la personne »). Une allocation de logement (ALF) avait été instaurée dès 1948 pour accompagner la libération des loyers. En 1977, ce fut l’APL (aide personnalisée au logement) qui allait réduire de manière significative l’effort consenti par le locataire pour payer son loyer, le versement de l’APL étant conditionné à la signature d’une convention, qui allait elle-même déterminer le périmètre juridique du logement social. La boucle était bouclée, mais l’intention restait confuse.

Conçu comme une solution provisoire pour des familles mal-logées, le secteur HLM allait à terme loger un sixième de la population vivant en France (17,6 % des résidences principales) et alimenter l’essentiel de l’économie de la construction.

1.3 Le logement social aujourd’hui, l’impasse d’un modèle.

En 2022, 5,4 millions de ménages, sur les 30 millions que compte la France, habitent un logement social. L’État consacre 38,2 milliards d’euros à la politique du logement, soit 1,5 % de son PIB19. C’est deux fois plus que dans le reste de l’Europe. Le logement social occupe en France une place considérable ; pourtant l’offre, jamais, ne rattrape la demande.

Deux millions de demandes de logements sont enregistrées en moyenne chaque année, pour seulement 450 000 attributions 20.Le taux de rotation annuel des occupants est inférieur à 7 %, le taux de vacance inférieur à 1 %. L’âge moyen des occupants dépasse les 50 ans. Le système est totalement bloqué. Surtout, il peine à accueillir ceux qui en auraient le plus besoin, c’est-à-dire les plus modestes. Les gouvernements successifs appellent à augmenter le nombre des logements sociaux, en vain. En tout état de cause, ce nombre ne pourrait répondre à une demande de logements alimentée par une immigration de masse, où le volume des nouveaux arrivés est deux ou trois fois plus important que la capacité à construire de nouveaux logements21.

Longtemps à la main des maires, l’accès au logement social est désormais directement piloté par la « machine » administrative, qui encadre les conditions d’attribution, les listes d’attente et la répartition des demandeurs. À terme, un algorithme centralisé devrait assurer la répartition des attributions en fonction d’une liste de critères prédéfinis. L’intention non formulée du ministère du Logement est d’éviter que les maires ne fassent du logement une monnaie d’échange dans un processus électoral. La compétence « logement » ayant été transférée à des structures intercommunales, les maires ont perdu le pouvoir d’accorder les logements aux habitants de leur propre commune. Cette mise à l’écart progressive des élus locaux a probablement généré une plus grande distance entre la commune, en tant qu’institution, et ses quartiers d’habitat social.

Par ailleurs, l’État n’a eu de cesse, pour des raisons invoquées de meilleure gestion, de concentrer la gestion du secteur HLM entre les mains d’un petit nombre d’organismes, dont certains sont devenus des « mastodontes ». Ce mouvement de concentration est destiné à se poursuivre. La France compte aujourd’hui 720 organismes HLM, dont 583 OLS (OPH, SAHLM, COOP, SEM)22. Les principaux bailleurs sociaux sont de grandes entreprises, présidées par des élus ou des hauts-fonctionnaires. Le plus important, le groupe CDC Habitat, une filiale de la Caisse des dépôts et consignations, gère 348 700 logements. Le groupe 3F, lié à Action logement, gère 292 000 logements. Paris-Habitat compte 126 000 logements dans Paris et en banlieue. Batigère, dont l’histoire est liée à la sidérurgie lorraine, gère environ 150 000 logements. Le capital bâti des OLS est d’environ 200 milliards d’euros.

La plupart de ces groupes revendiquent l’héritage d’une histoire ancienne, remontant à une époque où le patronat, par philanthropie, cherchait à loger son personnel dans des conditions dignes, mais cette mythologie des origines est de plus en plus en décalage avec les réalités du moment. Le patronat français n’intervient plus qu’à travers Action logement, qui collecte les fonds de la contribution des entreprises au logement de leurs salariés.23

Chacun de ces organismes de logement social administre plusieurs milliers de logements (la médiane est de 8 000). La loi ELAN24 leur a fixé un objectif de 12 000. Le produit total des loyers perçus était de 22 milliards d’euros en 2020. Celui des charges atteignait 5 milliards d’euros. Le loyer médian est d’environ 4 000 euros par an.

1.4 Un habitat coûteux, qui exclut les plus pauvres et les précaires.

Les conditions de vie en HLM se sont beaucoup améliorées, surtout dans les quartiers qui ont bénéficié des crédits de la rénovation urbaine.25 Les normes de construction des logements neufs obéissent à des considérations de qualité. Les espaces verts sont soignés. D’une certaine façon, le logement social est devenu attractif et rare, en région parisienne en particulier où il faut attendre près de dix ans pour en obtenir un. Au cœur de Paris, à cause des surfaces qu’il propose, il est même devenu un objet de luxe.26

Son coût de production est élevé en proportion. Le prix de revient d’un logement social s’établissait en moyenne en septembre 2021 à 156 000 euros27, soit 2 300 euros le mètre carré. Le corpus des normes le rend parfois plus cher qu’un logement de même taille dans une résidence neuve. Dans certains centres-villes, eu égard au prix du foncier, ce coût est même totalement déraisonnable. Il est financé pour l’essentiel par la puissance publique, à travers des prêts aidés, des subventions, un taux réduit de TVA et une exonération de la taxe foncière (pendant quinze ans). En 2021, l’enveloppe des prêts s’établissait à 4,3 milliards d’euros (dont 1,7 milliard de la CDC). Il est aussi financé, indirectement, par l’APL, alimentée elle-même par un prélèvement sur les salaires. Le coût du foncier est enfin souvent pris en charge par la collectivité locale (au titre de la surcharge foncière).

Les locataires du secteur HLM bénéficient ainsi d’un fort effet de redistribution. Financé par les contribuables, mais aussi par les salariés et les épargnants de la Caisse d’épargne, cet effort serait parfaitement justifié s’il ne s’adressait qu’à des familles aux revenus modestes. Mais tel n’est pas le cas, et si la loi a prévu un « supplément de loyer de solidarité » pour les locataires dont les revenus dépasseraient les plafonds de revenus, ce « surloyer » est loin de compenser le différentiel entre le coût réel et le coût règlementé du logement.

De manière paradoxale, le logement social n’est plus conçu pour loger les plus démunis, car si son accès est, dans la loi, encadré par un plafond de revenus, il l’est aussi, en pratique, par un seuil minimum de revenus, déterminé par le « reste à vivre ». Ce « reste à vivre » est destiné à permettre au locataire de payer son loyer (et à protéger le bailleur social du risque d’impayé). Déterminé par l’article R 441-3-1 du Code de la construction et de l’habitat et un arrêté du 10 mars 2011, le taux d’effort résulte du rapport des dépenses (loyer + charges – APL) sur les ressources, elles-mêmes divisées par le nombre d’unités de consommation. Les ressources sont appréciées sur la base des salaires de l’année précédente. Le taux d’effort est en général fixé à 30 %. La valeur de référence du reste à vivre est de 10 à 12 euros par jour.

Ce mode de calcul écarte les demandeurs aux revenus incertains (les commerçants par exemple, y compris ceux dont les commerces contribuent à l’animation du quartier). La mention de l’APL au numérateur privilégie les familles avec enfants. Le calcul des ressources avantage ainsi les ménages dont l’épouse ne travaille pas et les familles monoparentales.

Les ménages pauvres qui n’accèdent pas au logement social public se logent dans le secteur privé, dans l’habitat insalubre (copropriétés dégradées, location de « chambres de bonnes », pavillons de banlieue découpés en appartements avec sanitaires communs, voire squats ou terrains de camping). Beaucoup sous-louent des pièces dans le secteur HLM à des familles locataires. L’accès au logement social étant par ailleurs conditionné par la possession d’une carte de séjour en règle, les familles en situation irrégulière se logent souvent dans des immeubles possédés par des ressortissants du même pays.28

Le logement en France, principales données

  • Nombre d’habitants : 67,8 millions
  • Nombre des immigrés : 7 millions
  • Nombre des logements : 37,8 millions
  • Nombre des résidences principales : 31 millions
  • Nombre des résidences principales sous forme de maison : 17 millions
  • Nombre des ménages propriétaires-résidents : 17,7 millions
  • Nombre des ménages locataires dans le parc privé : 7 millions
  • Nombre des logements sociaux : 5,4 millions (17,6% des ménages)

Insee Focus, 309, paru le 10/10/2023

2.1 Une relation au logement social variable selon le pays d’origine.

L’immigration ne forme pas un tout homogène. Les nationalités d’origine, les langues parlées, les religions dessinent des ensembles dont les modalités d’intégration peuvent être profondément différentes, même si les statistiques manquent pour en décrire la diversité.

L’Insee distingue les immigrés extra-européens selon sept groupes d’origine : Algérie, Maroc/Tunisie, Afrique sahélienne, Afrique guinéenne ou centrale, Asie du Sud-est, Turquie/Moyen-Orient et Chine. Cette répartition à grands traits met en évidence de profondes disparités de comportement, en particulier dans l’accès au logement, que l’étude Trajectoires et Origines(Ined et Insee), publiée en 201729, avait tentée de qualifier et que son actualisation, publiée en 2023, confirme30

Le logement se répartit selon trois statuts : la propriété, la location dans le secteur privé et la location dans le secteur public. La propriété est apriori, le signe d’une intégration définitive dans le pays d’accueil. La location dans le secteur public (HLM) illustre a priori des situations transitoires ou de précarité. La location dans le secteur privé n’est qu’une variable des deux autres, ce mode de logement pouvant résulter, selon le cas, d’un choix délibéré ou d’un choix par défaut.

Rapporté à son volume, le groupe le plus représenté dans le logement social est celui formé par les immigrés et descendants d’immigrés en provenance de l’Afrique sahélienne (Sénégal, Mauritanie, Mali, Niger…). 57 % d’entre eux sont locataires d’un logement HLM, et les descendants de la génération précédente le sont encore à 63 %31. Dans ce groupe, par ailleurs, plus de la moitié des majeurs habitent encore chez leurs parents. À l’intérieur de cet ensemble, ce sont les immigrés maliens et sénégalais qui sont les plus représentés. Le sous-groupe des Maliens, non compris les Français d’origine malienne, détient 98 000 cartes de séjour32. Il s’est constitué à partir d’une migration de jeunes adultes, d’abord logés en foyers de travailleurs migrants, pour l’essentiel en Île-de-France. Dans ce sous-groupe, les familles nombreuses sont la règle et la polygamie demeure à l’état résiduel. Le deuxième sous-groupe est celui des Sénégalais (96 000 cartes de séjour en circulation).

Le deuxième groupe représenté dans le logement social, en proportion de son volume, est celui des immigrés de l’Afrique guinéenne ou centrale (Guinée, Côte d’Ivoire, Cameroun, République démocratique du Congo, Gabon…). 52 % d’entre eux en sont locataires. Les descendants de la génération précédente s’y trouvent encore à 47 %. Plus de la moitié des majeurs habitent chez leurs parents. Dans ce groupe, les Ivoiriens disposent de 91 000 cartes de séjour, les ressortissants de la République démocratique du Congo de 78 000 et les Camerounais de 66 000.

Les populations de l’Afrique non-maghrébine privilégient ainsi la location en HLM (57% des locataires en HLM sont issus de l’Afrique sahélienne et 52 % sont issus de l’Afrique guinéenne et centrale). Cette appétence s’explique à la fois par l’adaptation relative du logement social aux familles nombreuses et par l’image positive que ces populations ont du logement collectif, associé, dans les pays d’origine, à la modernité, au confort, voire au luxe.

Le troisième groupe en proportion, mais de loin le plus important en volume, est celui des immigrés algériens. La moitié d’entre eux habitent en HLM et 44 % des descendants des immigrés de la génération précédente y vivent encore. Le quart des majeurs vivent toujours chez leurs parents lorsque ceux-ci sont descendants d’immigrés. Ce groupe doit être considéré de manière particulière car les Algériens représentent, depuis l’indépendance de leur pays, le premier volume de l’immigration en France. En 2020, ce groupe cumulait 611 000 titres de séjour. La diaspora algérienne en France compte entre 2,5 et 3 millions de ressortissants, disposant pour la plupart de la double nationalité.

Le quatrième groupe en proportion est celui constitué par les immigrés marocains et tunisiens. 44 % de ces immigrés vivent en HLM ; 38 % des enfants de la génération précédente y sont encore. 34% des majeurs vivent chez leurs parents lorsque ceux-ci sont descendants d’immigrés. Les Marocains représentent le deuxième volume d’immigration, après les Algériens. Il est impossible de distinguer dans ce groupe les Marocains des Tunisiens, mais ces derniers étant plus souvent commerçants, il est probable qu’ils sont moins souvent locataires en HLM33.

Ces proportions, s’agissant d’une population de plusieurs millions de personnes, issues pour une part d’une immigration ancienne, semblent témoigner d’une forte réticence à quitter le logement social. Plusieurs raisons pourraient expliquer ce phénomène : le refus de s’ancrer, par un achat, dans le pays d’accueil, l’opportunité économique offerte par le faible montant des loyers résiduels pour investir dans le pays d’origine ou le désir de demeurer regroupés en communautés dans de mêmes espaces de vie. Nous y reviendrons.

Les groupes suivants présentent des comportements très différents. Seuls 39 % des ménages venus de Turquie ou du Moyen Orient vivent en HLM, quand ceux issus de la génération précédente ne le sont qu’à 27 %. Dans ce groupe, les ressortissants turcs sont de loin les plus nombreux (215 000 cartes de séjour). Seules 14 % des familles originaires d’Asie du Sud-Est sont locataires en HLM et 13 % des descendants d’immigrés de la génération précédente. Quant aux populations venues de Chine, elles ne sont que 8 % à vivre dans un logement social, quand les descendants de la génération précédente y sont presque absents. Les ressortissants chinois disposent pourtant de 114 000 cartes de séjour et forment la cinquième nationalité représentée en France.

Ces comparaisons semblent indiquer que la part prise par chacune des communautés étrangères au sein du secteur HLM ne résulte pas toujours d’un choix dicté par des considérations économiques. Interviennent aussi dans ce choix des calculs d’opportunité et/ou des modes de valorisation sociale.

2.2 La relation à la propriété, considérée comme un marqueur de l’intégration.

L’accès à la propriété est, plus encore que l’appétence pour le logement social, un marqueur de l’origine migratoire. En France, près de 60 % des ménages sont propriétaires de leur logement. En Espagne ou au Portugal, ce taux atteint 75 %. Malgré les contraintes qui pèsent sur les propriétaires occupants, leur nombre n’a jamais cessé de croître depuis vingt ans et il ne semble pas devoir s’infléchir. La propriété individuelle peut être considérée comme un marqueur d’intégration, si l’on veut bien considérer que l’achat d’un bien, c’est-à-dire l’achat d’une parcelle de la France, est une preuve concrète de l’attachement que l’on porte à ce pays. Au-delà, la possession d’un bien immobilier et d’une adresse modifie les relations de voisinage et facilite la participation des familles à l’entretien de leur environnement.

Le groupe le plus éloigné de la propriété de son logement est celui des immigrés de l’Afrique sahélienne, qui ne sont propriétaires qu’à hauteur de 13 %, quand les descendants de la génération précédente ne le sont devenus qu’à hauteur de 17 %. Le constat n’est pas étonnant, s’agissant d’immigrés de « fraîche date » et de familles aux revenus très modestes (comprenant beaucoup de femmes seules avec enfants). De la même façon, 17 % des immigrés d’Afrique guinéenne et centrale sont propriétaires de leur logement et 24 % des descendants de la génération précédente.

Beaucoup plus étonnant est de constater que seulement 22 % des immigrés venus d’Algérie sont propriétaires de leur logement. Et si ce pourcentage augmente, concernant les descendants de la génération précédente, il demeure toutefois relativement modeste (33 %). Ces résultats, les concernant, sont corrélés avec les données portant sur le mode de logement en HLM. Ce groupe privilégie ainsi ce type d’habitat, y compris sur la longue durée. Ce comportement est moins accentué en ce qui concerne les immigrés venus du Maroc et de la Tunisie, propriétaires à hauteur de 29 %.

En comparaison, 34 % des immigrés turcs sont propriétaires, contre 41 % des descendants de la génération précédente. En Alsace, par exemple, où ils sont nombreux, les immigrés turcs, très présents dans le secteur du bâtiment, préfèrent acheter et rénover des maisons anciennes. Pour mémoire, les Portugais avant eux, issus d’une immigration intracommunautaire, se comportaient de la même façon, privilégiant la maison individuelle à l’habitat social collectif.

Les populations d’origine asiatique sont majoritairement propriétaires de leur logement. C’est ainsi le cas de 51 % des immigrés venus de Chine. Les immigrés venus de l’Asie du Sud sont même plus souvent propriétaires de leur logement que les Français (61 %).

Ces fortes disparités méritent qu’on y prête attention. Si les ménages français habitent en HLM faute de pouvoir accéder à la propriété, ou s’ils le font de manière provisoire (les jeunes couples par exemple), les familles originaires du Maghreb (Algérie et Maroc) considèrent ce mode de logement comme un droit. Cela tient pour beaucoup aux relations que beaucoup d’entre elles continuent d’entretenir avec le pays d’origine.

Quand les premiers cherchent à se constituer un patrimoine immobilier pour échapper à la pression du logement collectif, les seconds investissent dans une résidence secondaire « au pays », qui, d’une certaine façon, illustre leur réussite. S’agissant de la première génération de l’immigration, ce comportement est parfaitement compréhensible. À la deuxième ou troisième génération, il ne peut que susciter des interrogations sur la nature des doubles appartenances.

PopulationRésidents en HLMRésidents en quartiers prioritaires
(QPV)
Propriétaires de leur résidence
Algériens1 525 000747 000472 750335 500
Marocains1 417 000623 000468 000411 000
Maliens980 000558 000304 000127 000
Turcs547 000213 000131 000186 000
Chinois170 00013 600n. c.104 000
Population
immigrée
7 000 0002 450 0001 600 0002 240 000
Population total67 800 00010 700 0005 400 00040 200 000

La population des Algériens, des Marocains, des Maliens et des Turcs est calculée à partir du nombre des titres de séjour (Rapport au Parlement pour 2022), assorti d’un coefficient 5/2 pour tenir compte des mineurs (estimés à trois par familles). La population des Chinois est calculée à partir d’un coefficient 4/2.

La population immigrée comprend la population étrangère et la population française née étrangère à l’étranger

2.3 Une source de transfert de capital ?

La rareté relative du logement social, en France, génère de fortes inégalités. La faiblesse de l’offre, comparée au volume des demandes, transforme son locataire en un « privilégié », surtout si le logement auquel il accède appartient à une résidence récente. Par ailleurs, le droit à demeurer toute sa vie dans un logement, quel que soit le niveau de ses revenus, constitue un avantage considérable, comparé à la situation des locataires de droit commun. Ce « privilège » pourrait être considéré comme normal si le logement social répondait à son objet initial : loger des familles modestes dans des périodes de transition. Or tel n’est pas le cas dès lors que le logement social, contrairement à son ambition, ne loge pas les familles les plus pauvres.

Les 10 millions de locataires du secteur public social sont ainsi les premiers bénéficiaires de la redistribution, aux dépens des autres. Et ils le sont davantage encore depuis la suppression de la taxe d’habitation. Le coût pour la collectivité publique dépasse, rappelons-le, 30 milliards d’euros sous forme de prêts aidés, de subventions, de déductions fiscales et d’aides aux personnes (APL).

Pour le locataire, ce privilège peut se traduire par une plus-value, quand le loyer résiduel, déduction faite de l’APL, ne dépasse pas quelques dizaines d’euros. Dans ces conditions, le gain obtenu permet de financer des transferts vers l’étranger, sous forme d’aide à la famille ou au village (c’est souvent le cas des familles d’origine africaine) ou d’investissement immobilier. Ce phénomène n’est pas quantifié. Les transferts d’argent connus de la France vers l’Algérie dépassaient 1,8 milliard en 2022. Le gouvernement algérien les encourage officiellement. Les transferts vers le Maroc, sans doute mieux tracés, atteignent 3,3 milliards d’euros.

Ces transferts privent les enfants des familles locataires d’un capital transmissible, dès lors qu’il est peu probable qu’ils s’installent un jour en Algérie ou au Maroc. Les jeunes majeurs d’origine maghrébine logent d’ailleurs plus souvent que les autres majeurs chez leurs parents. Dans ces pays, au Maroc en particulier, l’économie de la construction portée par les « émigrés » perturbe le marché en augmentant les coûts et prive les populations locales de l’opportunité de devenir propriétaire. La location des maisons édifiées en Algérie et au Maroc génèrent par ailleurs des plus-values qui ne sont pas soumises, comme en France, à prélèvements sociaux.

2.4 La concentration de l’habitat social.

L’hyperconcentration des immeubles HLM dans les mêmes espaces a généré en France des structures urbaines particulières que nous appelons

« quartiers » par défaut, mais que nous pourrions tout aussi bien appeler

« ville » eu égard à leur taille. C’est en particulier le cas des 1 500 quartiers dits « quartiers prioritaires de la politique de la ville » (QPV), dont beaucoup comptent plus de 10 000 habitants et certains plus de 20 000, c’est-à-dire autant que nombre de villes moyennes en France. Mais la comparaison s’arrête là, car si les villes moyennes disposent de tous les attributs de la démocratie locale, tel n’est pas le cas de ces « quartiers ». La représentation politique y est résiduelle, voire inexistante, les structures de concertation embryonnaires, les propriétaires méconnus et difficiles à joindre. Quant aux maires, ils ont été peu à peu écartés de la gestion du logement social et la disparition de la taxe d’habitation a supprimé le dernier lien qui attachait encore le locataire à sa commune.

Ces quartiers, d’une certaine façon, sont abandonnés à eux-mêmes quand les centres-villes apparaissent, en comparaison, suradministrés. Le contrôle social y demeure lâche. Tous les quartiers ou presque ont subi la disparition des gardiens d’immeuble, la fermeture des postes de police, la disparition

des conseils de quartiers et des associations de locataires et le recul des services à la population : la poste, la pharmacie ou la médecine de ville. Les plus impénétrables d’entre eux, pour des considérations d’urbanisme et/ou de réseau routier, ont facilité, dans la vacance de l’autorité publique, l’implantation d’activités illicites, jusqu’à devenir parfois de véritables « citadelles du crime ».

Même si la statistique publique peine à en rendre compte, ces quartiers concentrent plus que d’autres les populations d’origine extra-communautaire. Si l’on prend la catégorie des QPV, 23 % des immigrés y résident, mais seulement 7 % de l’ensemble de la population de 18 à 59 ans, et, parmi elle, 3 % de la population française d’origine française. Ces résidents sont principalement originaires du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne.

31 % des immigrés originaires d’Algérie habitent dans un QPV, représentant 650 000 personnes, enfants compris. Si l’on ajoute à ce chiffre 24 % des descendants de la génération précédente, estimée à 1,2 millions d’individus, soit 300 000 personnes, on comprend que la population d’origine algérienne approche le million de personnes dans ces quartiers, qui comptent au total 5,4 millions d’habitants. Ces chiffres remettent en cause l’image qu’en donnent les acteurs de terrain, qui décrivent le remplacement progressif des populations maghrébines par des populations originaires d’Afrique subsaharienne. Si ces dernières sont plus visibles dans l’espace public, le socle de la population des quartiers demeure majoritairement maghrébin.

Ces évolutions, qui renforcent la concentration des mêmes populations dans les mêmes espaces, ne manquent pas d’interroger la pertinence du modèle français de logement social, car elles contredisent l’objectif affiché de mixité sociale, en spécialisant les territoires. Il existe ainsi une corrélation entre le pourcentage des logements sociaux et celui des familles étrangères, même à l’échelle des départements : la Seine-Saint-Denis (1,6 millions d’habitants), longtemps animée par des communes communistes très pro-actives en matière de logement social, compte ainsi 189 000 logements sociaux et environ 510 000 immigrés, quand les Yvelines (1,4 millions d’habitants), ne comptent que 110 000 logements sociaux et 200 000 immigrés.

2.5 Quartiers HLM et désordres sociaux.

Si l’on ne peut faire du logement social la cause des désordres qui affectent la tranquillité publique et l’économie de la France, force est de constater qu’une grande partie de ces désordres (émeutes urbaines, rixes entre bandes,

délinquance de voie publique, trafic de produits stupéfiants) ont pour décor les grands ensembles d’immeubles HLM. L’État a d’ailleurs confirmé leur « dangerosité » en y créant ses 80 zones de sécurité prioritaire (ZSP). Ces ZSP appartiennent elles-mêmes à l’ensemble des 1 500 QPV, qui font l’objet d’une attention toute particulière. Si les pouvoirs publics, pour ne pas stigmatiser ces quartiers, n’ont jamais voulu fonder la politique de la Ville sur des considérations d’ordre public, préférant utiliser le critère de la pauvreté, il est évident que, depuis 1981 et les premières émeutes urbaines, ce sont toujours ces mouvements de violence collective qui déclenchent l’intervention de l’État, les derniers en date n’échappant pas à cette logique.

Le degré de violence qui règne dans le quartier, en l’absence de toute communication des pouvoirs publics, est intuitivement mesuré par la population. Leur « mauvaise réputation » n’est un mystère pour personne. Elle accentue le phénomène de concentration des populations : les familles

« paisibles » quittent le quartier et l’abandonnent à des comportements sans cesse plus violents. Paradoxalement, c’est aussi l’insécurité qui a justifié la fermeture des services essentiels à la population : commissariat, centre social, mairie annexe, médiathèque. La plupart des établissements scolaires de ces quartiers sont par ailleurs classés en réseaux d’éducation prioritaire, REP ou REP+.

Il est difficile de dire, faute de données, la part prise par les populations extracommunautaires à ces troubles. La difficulté est d’autant plus grande que le seul critère d’appréciation est celui de la nationalité. Or, la plupart des adolescents mis en cause sont français au titre des conditions d’accès anticipé à la nationalité française. Il est dommage que la statistique publique ne puisse établir des données fondées sur les doubles nationalités, alors même que les administrations diplomatiques étrangères (Maroc, Algérie, Turquie) en disposent. Les premières analyses conduites sur le profil des interpellés à la suite des émeutes de 2023 indiquent que plus des trois quarts des émeutiers étaient de nationalité française, le plus souvent originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne.

3.1 Le droit au maintien dans les lieux.

Au titre du « droit au maintien dans les lieux »34, , le locataire du secteur HLM dispose d’un bail à durée indéterminée. Cette disposition ancre les locataires dans leur quartier pour une durée très longue, parfois sur plusieurs générations. Elle favorise le « patriotisme » de quartier au détriment d’une insertion dans l’espace de vie de la commune. Elle enferme les plus jeunes dans une forme d’appropriation territoriale qui, dans ses effets les plus violents, pourrait être qualifiée de « tribale ». D’une certaine façon, c’est ce mécanisme qui, empêchant l’éviction des fauteurs de trouble, finit par renforcer les réseaux criminels en chassant de leur quartier les familles désireuses de vivre en paix.

Le bailleur ne peut résilier le bail qu’en cas d’impayé de loyer, de troubles de voisinage, de revenus nouveaux, de sous-location ou de résidence inférieure à huit mois dans l’année. Ces hypothèses sont surtout théoriques, sauf en ce qui concerne les impayés de loyer. Mais, même dans cette hypothèse, la réalisation effective de l’expulsion n’est jamais sûre, car le préfet peut décider de ne pas donner suite à la décision du juge, une compensation étant alors offerte au bailleur, financée par des crédits du ministère de l’Intérieur. Le second motif (les troubles de voisinage) est en partie neutralisé par l’obligation faite au bailleur, en vertu de la loi DALO exposée plus bas, de reloger le locataire indélicat. Les autres motifs sont rarement utilisés, parce que les moyens de contrôle sont limités et que l’omerta qui règne dans nombre de ces quartiers retiendrait des voisins de dénoncer le locataire indélicat. La sous-location, par exemple, est manifestement répandue, sans être poursuivie.

3.2 L’illusion de la mixité sociale.

Les institutions publiques pensent remédier à la paupérisation ou à la criminalisation des quartiers en favorisant la « mixité sociale », dont personne ne sait dire s’il s’agit d’une mixité des revenus ou d’une mixité ethnique, linguistique ou religieuse. Dans leur esprit, le brassage des origines et des modes de vie doit contribuer à faire baisser les tensions entre les groupes. Mais cette vision de la société heurte l’aspiration des familles qui souhaitent vivre, elles, dans des espaces homogènes, quitte à reconstituer des communautés soudées par des solidarités de voisinage et des références culturelles partagées.35

Dans les faits, la recherche de la mixité sociale se traduit d’abord par la duplication, à une échelle plus petite, des mêmes types de quartiers, car, même s’il existe quelques contre-exemples réussis – à travers, par exemple, la reprise de logements anciens dans des centres-villes – les bailleurs sociaux n’ont souvent pas d’autre choix, pour des raisons de coût, que de proposer un habitat sous forme d’immeubles collectifs dans des lieux délaissés du tissu urbain.

La loi SRU36 a exigé que toutes les communes urbaines disposent d’un pourcentage de logements sociaux établi à 25 %. L’obligation est assortie d’un mécanisme d’amende particulièrement contraignant. Le caractère résolument « punitif » de la mesure, relayé par la presse, vise les communes considérées comme « trop riches ». La loi n’a pas exigé, en revanche, d’équilibrer le surcroît de logements sociaux que l’on trouve en Seine-Saint-Denis ou dans le Val-de-Marne en y promouvant la construction de résidences privées. Ce pourcentage des 25 % n’est assis sur aucune justification explicite et son bilan n’a jamais été établi. L’objectif est pratiquement impossible à réaliser dans des milieux urbains denses où le prix du foncier ne permet pas d’équilibrer les opérations. Dans le même temps et de manière paradoxale, plus de 60 % des Français, selon les déclarations du ministère du Logement, pourraient prétendre à un logement HLM, dès lors qu’ils disposent de revenus inférieurs aux plafonds en vigueur.

3.3 Le droit au logement opposable.

La loi instituant le droit au logement opposable, votée le 7 mars 2007, a introduit des « coupe-files » discriminants dans l’attribution des logements, qui ont manifestement accentué la paupérisation du secteur. La loi a ainsi déterminé une catégorie de demandeurs prioritaires et confié aux préfets l’obligation – assortie d’un mécanisme de condamnation – d’user de cette priorité.37Les priorités concernent les personnes « dépourvues de logement, menacées d’expulsion sans relogement, hébergées ou logées temporairement, logées dans des locaux insalubres ou dangereux ou logées avec un enfant mineur ou une personne handicapée dans des locaux suroccupés ». Seuls les étrangers en situation régulière peuvent y prétendre. Depuis 2008, entre 30 000 et 40 000 demandes sont déposées à ce titre chaque année. Si l’on croise ces critères avec ceux relatifs à la situation familiale (priorité donnée aux femmes seules avec enfants), il est évident que la mesure favorise les familles monoparentales, dont beaucoup sont d’origine étrangère. On trouve de manière paradoxale dans cette liste les familles qui ont fait l’objet d’une mesure d’expulsion pour troubles graves à l’ordre public, que le préfet est contraint de reloger, contre toute attente, dans le parc HLM.

L’instrument juridique qui permet d’imposer le choix du préfet est le « contingent préfectoral », alimenté par 30 % de toutes les nouvelles constructions (5 % étant réservés aux fonctionnaires et aux militaires). Ce contingent préfectoral recoupe le parc des PLAI38. Le mécanisme est d’une telle efficacité que la Première ministre a demandé aux préfets39, à l’issue d’un CIV40 tenu en octobre 2023 à Chanteloup-les-Vignes, d’y déroger, en installant les familles les plus précaires en dehors des quartiers prioritaires.

3.4 La prise en charge des familles monoparentales.

Les travaux réalisés sur le profil des émeutiers interpellés lors des évènements de juin-juillet 2023 révèlent la surreprésentation d’individus masculins vivant dans des familles monoparentales. Ils confortent des travaux menés antérieurement sur le même sujet. Le profil de ces familles est bien connu : une mère de famille seule, salariée, qui vit avec plusieurs enfants, les pères étant absents ou disparus et ne contribuant pas à l’entretien des enfants. On peut inclure dans ce groupe les épouses de familles polygames « décohabitantes »41. Les garçons de ces familles sont élevés en l’absence de toute référence paternelle et, dans l’école, qui reste leur principal lieu de socialisation, les enseignants sont majoritairement des femmes. À la marge, ce type d’organisation familiale a pu être encouragé par des politiques sociales qui accordent des droits spécifiques aux mères isolées. En tout état de cause, la plupart de ces familles vivent sous le seuil de pauvreté et les dispositifs sociaux de proximité (aide à la parentalité) ont presque tous disparu, remplacés par des prestations financières. Les familles monoparentales occupent 23 % des logements sociaux.

3.5 Les concentrations ethnico-religieuses.

Les grands quartiers d’habitat social abritent aujourd’hui le plus grand nombre de lieux de culte, en particulier de lieux de culte musulman (mosquées), de toutes obédiences. Ces lieux de culte ont parfois été édifiés sur des terrains publics. Ils répondent à une demande de proximité des fidèles concentrés dans ces quartiers, mais ils accentuent le caractère communautaire du quartier, car les mosquées ne sont pas seulement des lieux affectés à la prière : elles sont aussi des lieux de vie associative, de solidarité et d’échanges, voire d’éducation. Pour cette raison, des demandeurs de logement sociaux peuvent chercher à rejoindre une communauté déjà constituée. C’est ce mécanisme qui a favorisé l’émergence de sous-quartiers pakistanais ou tchétchènes. Les concentrations fondées sur la culture d’origine engendrent par ailleurs l’émergence d’un commerce spécialisé, de proximité : restauration sans porc, boutiques de produits exotiques, coiffeurs « africains ». Leurs boutiques sont louées par les bailleurs sociaux. Les seuls commerces généralistes présents dans les « quartiers » sont les pharmacies.

3.6 L’incidence de la carte scolaire dans la cartographie des peuplements.

Chacun de ces quartiers dispose d’une ou de plusieurs écoles et d’un ou de plusieurs collèges. Si les écoles maternelles sont peu discriminantes, les écoles primaires le sont davantage et les collèges beaucoup plus, à cause de la violence qui y règne. Sans que l’Éducation nationale n’ait besoin de publier de statistique sur le sujet, tous les parents d’élèves distinguent les « bons » établissements des « médiocres ». Le niveau est évidement corrélé à la population scolaire. La carte scolaire est sans doute le premier vecteur des stratégies de peuplement. Les familles modestes, et plus particulièrement les familles d’origine africaine, accordent à l’éducation de leurs enfants une grande importance, sachant qu’elles ne peuvent y contribuer sans le soutien de l’école. Dès lors, les stratégies d’évitement renforcent les disparités. De nombreux parents scolarisent leurs enfants dans des établissements sous contrat ou hors contrat, de nature confessionnelle (musulmane ou catholique) ou non-confessionnelle (écoles Espérance banlieues). Les établissements publics y perdent de bons élèves et leur niveau s’affaisse.

3.7 L’accompagnement des personnes très âgées.

14,3 % des locataires en HLM avaient plus de 65 ans en 2020. Le secteur loge un pourcentage très important de personnes âgées, voire très âgées, malgré l’absence d’ascenseurs et de commerces de proximité. Ces personnes âgées sont, d’une certaine façon, les victimes de l’inertie du système. Elles ont payé toute leur vie un loyer sans pouvoir se constituer un capital qu’elles aurait pu transmettre à leurs enfants, et elles n’ont jamais bénéficié des programmes de rénovation urbaine qui auraient pu améliorer la qualité de leur logement. Elles sont les grandes oubliées des politiques du logement social. Ces personnes âgées, en général seules, qui occupent des appartements trop grands pour elles, ne font l’objet d’aucun accompagnement social, malgré leur isolement.

Si, comme tente de le démontrer cette note, la structuration du logement social a accentué les difficultés que connaissent désormais tous les territoires de la métropole, une révision des principes fondés dans les années 1960 paraît s’imposer. Elle suppose de recentrer le logement social sur l’accueil des familles précaires et la meilleure intégration des populations issues des migrations extra-européennes. A tout le moins, il conviendrait que le logement social redevienne ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un habitat temporaire dans un parcours résidentiel accompagné, au cours duquel le locataire pourrait envisager à terme une accession à la propriété. Au-delà, cette idée que l’État, à travers ses satellites, serait un meilleur gestionnaire que les propriétaires privés semble contredite par l’état général du parc HLM. Faute de réflexion approfondie, un moratoire paraît donc s’imposer, sans attendre que la situation financière des bailleurs finisse par l’imposer.

Au-delà, le bailleur social ne peut être un simple gestionnaire de logements. Sa vocation sociale suppose la mise en place de structures d’accompagnement. Les résidents en grande difficulté (familles monoparentales en situation de précarité, personnes âgées isolées) doivent faire l’objet de suivis individuels. Le propriétaire public doit aussi s’assurer que les locataires vivent en paix, ce qui suppose qu’il ait la capacité d’agir pour faire cesser les troubles graves à l’ordre public (agressions, trafic de drogues, rodéos…) qui naissent au sein de son patrimoine.

La seule façon, pour le bailleur, de rappeler aux locataires fauteurs de troubles les obligations qui pèsent sur eux est de mettre en place un bail à durée limitée, qui ouvrirait la possibilité, en dehors des mesures plus coercitives (expulsions locatives), de ne pas le renouveler au-delà de sa durée. Cette échéance permettrait, en amont, un examen de la situation du locataire, justifiant un renouvellement du bail ou un accompagnement vers une autre solution. Seraient ainsi pris en compte lors de ce « rendez-vous » le comportement de la famille, mais aussi ses revenus réels (en cas de condamnation pour trafic de produits stupéfiants) et les biens estimés à l’étranger.

Ces mesures nécessitent que l’accès à la propriété privée soit plus fortement encouragé. La vente des logements sociaux aux locataires n’est pas une solution adaptée, car elle place le locataire en position de participer au financement des rénovations. Le bail réel solidaire (BRS) prive le locataire d’une éventuelle plus-value de son logement, mais le principe sur lequel il se fonde, la dissociation du foncier et du bâti, est sans doute la plus juste pour imaginer des solutions réalisables en secteur tendu.

S’agissant des « quartiers » les plus concentrés, comprenant plus de 5 000 habitants, la création d’un statut juridique spécifique semble s’imposer, sous la forme par exemple de « commune associée ». Nous pensons en effet que la paix publique n’est pas sans lien avec l’exercice de la démocratie locale. Le modèle communal, qui fait ses preuves depuis 1789, a permis l’émergence d’une représentation politique des habitants animée par une « élite » ancrée dans le territoire. Les habitants des quartiers votent peu car les élections locales ne les concernent que de loin. Beaucoup même continuent de suivre l’actualité politique de leur pays d’origine. On ne peut leur refuser ce que l’on accorde aux millions de Français qui vivent dans des villes de moins de 10 000 habitants.

Enfin, il paraît difficile de continuer à gérer le secteur du logement social en faisant fi des mécanismes de peuplement, surtout en situation d’immigration massive. Sans recourir aux statistiques ethniques, la mention de la nationalité d’origine du demandeur, et/ou de sa seconde nationalité doit être un élément de la recevabilité du dossier. Un observatoire national des peuplements paraît même s’imposer. Si l’on voulait éviter que soient discriminées, dans l’accès au logement social, les familles d’origine française, un critère de correction comme la durée de présence en France pourrait utilement compléter la liste de ceux pris en compte pour le classement des demandes.

La période de moratoire serait par ailleurs utile pour établir un bilan et corriger les mesures issues des lois SRU et DALO, dont les effets ont été signalés plus haut et revoir les mécanismes d’expulsions locatives (obligation faite aux juridictions de rendre un jugement sous deux mois, par exemple). Les habitants des cités HLM souffrent beaucoup de la présence d’un petit noyau de familles génératrices des principaux désordres et la présence de certaines d’entre elles depuis trois générations a enfermé les plus jeunes dans une appropriation du territoire qui les retient d’accéder à l’espace de la Nation.

  1. Établir un bilan des lois SRU et DALO, afin d’identifier les ajustements nécessaires pour améliorer l’efficacité des politiques de logement social ;
  2. Instaurer un moratoire, suspendre temporairement de nouvelles initiatives dans le logement social pour permettre une réflexion approfondie sans attendre que la situation financière ne l’impose ;
  3. Recentrer la politique du logement social, en opérant prioritairement l’accueil des familles précaires et l’intégration des populations issues des migrations extra-européennes, en réaffirmant le caractère temporaire du logement social et en le définissant comme une étape vers l’accession à la propriété ;
  4. Considérer la nationalité d’origine du demandeur comme un élément de recevabilité du dossier, sans recourir à des critères ethniques, pour mieux équilibrer les peuplements ;
  5. Ajouter dans la liste des critères pour le classement des demandes de logement social un critère de correction comme la durée de présence en France afin que ne soient plus discriminées les familles d’origine française ;
  6. Identifier les familles génératrices de troubles persistants, et proposer des mesures correctives pour rétablir la paix et favoriser l’intégration des jeunes générations ;
  7. Instaurer un bail à durée limitée afin de dissuader les comportements nuisibles de locataires perturbateurs ;
  8. Examiner les procédures d’expulsion pour les rendre plus rapides, tout en garantissant un traitement équitable pour les locataires concernés ;
  9. Renforcer les structures d’accompagnement pour les résidents en difficulté, en particulier les familles monoparentales précaires et les personnes âgées isolées ;
  10. Encourager l’accès à la propriété privée par la promotion de modèles alternatifs comme le bail réel solidaire pour permettre l’accès à la propriété sans nécessiter une vente des logements sociaux ;
  11. Étudier la création d’un statut juridique distinct pour les « quartiers » les plus concentrés, ceux comprenant plus de 5 000 habitants, sous la forme par exemple de « commune associée », pour renforcer la démocratie locale et l’engagement civique.

  1. Les derniers « désordres » collectifs, sous forme d’émeutes, se sont déroulés en juin-juillet 2023. Il faut y ajouter la longue série de meurtres commis avec des armes de guerre ou des couteaux, dans les quartiers eux-mêmes ou à l’extérieur (affaire de Crépol, novembre 2023).
    ↩︎
  2. La loi SRU (solidarité et renouvellement urbain) du 13 décembre 2000 a eu pour effet de disperser les ensembles de logements sociaux dans des communes suburbaines ou semi-rurales.
    ↩︎
  3. Pour l’Insee, les immigrés se définissent comme étant nés étrangers à l’étranger. Ils peuvent être français ou étrangers. D’autres définitions existent. L’OCDE, par exemple, intègre les Français nés français à l’étranger.
    ↩︎
  4. En 2018, ce pourcentage était de 31%, l’augmentation concernant à titre principal les locataires originaires d’Afrique subsaharienne.
    ↩︎
  5. Insee, Immigrésetdescendantsd’immigrés, [en ligne]. La notion de Français non immigrés désigne les Français qui ne sont ni immigrés ni descendants d’immigrés de deuxième génération. ↩︎
  6. Ibid. Ce pourcentage ne comprend pas les Français de parents immigrés qui ont conservé la nationalité de leurs parents (Français dits de « culture étrangère »). ↩︎
  7. 1.Michel Aubouin, Rapport à l’Association des maires d’Île-de-France sur les rixes entre adolescents, 2022, non publié. Michel Aubouin, « Mourir pour son quartier », Administration, n° 276, janvier 2023, p. 60-61.
    ↩︎
  8. Définition donnée par le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, mise en ligne le 14 octobre 2022. ↩︎
  9. Convention APL (aide personnalisée au logement). ↩︎
  10. 10.Décret n° 58-1464 du 31 décembre 1958 relatif aux zones à urbaniser en priorité, signé par le président du Conseil, Charles de Gaulle, et le ministre de la Construction, Pierre Sudreau. ↩︎
  11. Loi du 7 août 1957. ↩︎
  12. Grigny, dans l’Essonne, est ainsi passée en quelques années de moins de 3 000 habitants à plus de 25 000. ↩︎
  13. Hervé Vieillard-Baron, « Sarcelles aujourd’hui : de la cité-dortoir aux communautés ? », Espace Populations Sociétés, 1996, 2-3, p. 325-333. ↩︎
  14. Robert Lion, éditorial, Revue H, novembre 1975, cité par Agnès Berland-Berthon, La démolition des immeubles de logements sociaux. Histoire urbaine d’une non-politique publique, Editions du CERTU, 2009. La référence à Harlem était étrangement prémonitoire. ↩︎
  15. Marie-Claude Blanc-Chaléard, « Les immigrés et le logement en France depuis le xixe siècle. Une histoire paradoxale », Hommes et Migrations, 2006, p. 20-34. Ces opérations intervenaient moins de dix ans après la guerre d’Algérie, qui avait traumatisé de nombreuses familles d’appelés et chassé d’Algérie un million de Français d’origine espagnole ou italienne. ↩︎
  16. Le 1% patronal (participation des employeurs à l’effort de construction) a été créé en 1943. Il représente aujourd’hui 0,45% de la masse salariale. ↩︎
  17. Opération « anti été chaud » de 1981. ↩︎
  18. Les Minguettes, Vénissieux (Rhône), 1983. ↩︎
  19. Cour des Comptes, Assurer la cohérence de la politique de logement face à ses nouveaux défis, juillet 2023. OCDE, Le logement social, un élément essentiel des politiques d’hier et de demain, 2020. ↩︎
  20. 2 160 000 demandes de logement social étaient enregistrées fin 2020. « Demandeurs de logements sociaux (chiffres clés du logement) » dans Chiffresclésdulogement.Voir édition 2022, Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, juillet 2022. ↩︎
  21. La France comptait en 2022, 275 000 arrivées (premières cartes de séjour), mais seulement 90 000 nouveaux logements. ↩︎
  22. OLS : organisme de logement social ; OPH : office public de l’habitat. ↩︎
  23. Le montant annuel de ce prélèvement est compris entre 1,5 et 2 milliards par an. ↩︎
  24. Loi Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite ELAN, du 23 novembre 2018. ↩︎
  25. Le programme national de rénovation urbaine (PNRU), lancé en 2004, a permis de réhabiliter 600 quartiers et mobilisé 12 milliards d’euros. ↩︎
  26. 3% des occupants du parc social font partie des 20% des personnes les plus aisées. 2/3 d’entre elles résident dans l’aire urbaine de Paris. Insee première, n° 1715, 24/10, 2018. ↩︎
  27. Données de la Caisse des dépôts et consignations. Banque des territoires, « Coûts de construction des logements sociaux : un prix de revient en hausse modérée », Éclairage, n° 25, octobre 2021. ↩︎
  28. 28.Ce phénomène a été mis en évidence par l’étude de la situation de Grigny (Essonne), à travers la copropriété Grigny 2. Voir Michel Aubouin (dir.), Rapport sur l’évaluation et l’orientation des politiques publiques mises en œuvre à Grigny (Essonne), Ministère de l’Intérieur, Inspection générale de l’administration, 2016 (une synthèse du rapport a été mis en ligne par la commune de Grigny). Il a été confirmé par une visite de la commune de Montfermeil (Seine-Saint-Denis). ↩︎
  29. 29.Insee, ministère de l’Intérieur, Le logement des immigrés vivant en France en 2017. ↩︎
  30. Enquête Insee et Ined, Trajectoires et origines, 2, (2019-2020). ↩︎
  31. 31.Ce chiffre est difficile à interpréter. Il semble démontrer que cette catégorie de la population demeure en logement HLM sur deux générations au moins. ↩︎
  32. Chiffres du ministère de l’Intérieur pour 2021. RapportauParlement. Les cartes de séjour étant attribuée aux seuls adultes, le nombre des enfants n’est pas connu. ↩︎
  33. Pour des questions de régularité de leurs revenus, les commerçants n’accèdent pas facilement au logement social. ↩︎
  34. Le droit au maintien dans les lieux résulte de l’article 4 de la loi du 1er septembre 1948. ↩︎
  35. Il va de soi que les promoteurs de ces mesures sont rarement concernés par cet effort de « mixité sociale ». ↩︎
  36. Loi n°2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, legifrance. gouv.fr. Voir en particulier l’article 55. ↩︎
  37. Haut Comité pour le droit au logement, « L’accès au logement des ménages mal-logés », septembre 2023. ↩︎
  38. Les logements PLAI sont financés par le prêt locatif aidé d’intégration. Ces prêts sont réservés au secteur HLM. Ministère chargé de la Ville et du Logement, « Les aides financière au logement », septembre 2022. ↩︎
  39. « Pour favoriser la mixité sociale, Elizabeth Borne demande aux préfets de ne plus attribuer de logements dans les quartiers prioritaires aux plus précaires », LeMonde, 27 octobre 2023. ↩︎
  40. Comité interministériel des villes ↩︎
  41. Une épouse décohabitante est une épouse qui fait toujours partie de la famille polygame mais qui occupe une autre logement. ↩︎

Le refoulement aux frontières

Tout État est doté d’une autorité politique souveraine, d’une population et d’un territoire. Ce territoire est délimité par des frontières. Un des attributs de la souveraineté des États est de décider des flux transfrontaliers qu’ils autorisent et de ceux qu’ils interdisent. Cela vaut notamment pour les flux de personnes : ceux qui ne sont pas ressortissants de l’État, c’est-à-dire qui n’appartiennent pas à sa population, ne sont admis à entrer sur le territoire que s’ils y ont autorisés par l’autorité politique, qui définit leurs conditions d’entrée et de séjour.

En France, c’est le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) qui définit ces règles, sous réserve toutefois du droit de l’Union européenne (UE) et des conventions internationales1. Ces règles incluent celles relatives à l’éloignement des étrangers qui seraient entrés irrégulièrement sur le territoire ou s’y maintiendraient sans y être autorisés : on parle d’étrangers en situation irrégulière ou, plus couramment, d’immigrés clandestins ou illégaux. Pour que les conditions d’entrée et de séjour en France – ou dans tout autre État – ne soient pas virtuelles, il est en effet nécessaire que les autorités compétentes puissent effectivement contrôler les entrées et, corrélativement, interdire l’accès au territoire aux personnes non autorisées, ainsi que, le cas échéant, éloigner du territoire celles qui y auraient déjà pénétré. Or deux séries de contraintes juridiques doivent être prises en compte pour ce contrôle des frontières2. D’une part, au sein de l’Union européenne, la notion même de frontière étatique a été bouleversée. Outre que les ressortissants d’un État membre de l’UE sont autorisés à circuler librement dans l’espace Schengen, le droit de l’Union fait une distinction nette entre frontières intérieures et extérieures, et ce de manière générale pour l’ensemble des étrangers, comme nous allons le voir. D’autre part, les conventions internationales ratifiées par la France, notamment celle de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés mais aussi la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH), introduisent des règles et des droits qui viennent de fait limiter la capacité à refuser l’entrée aux frontières, à tel point que l’on parle d’un principe de « non refoulement ». Ces règles d’origine conventionnelle sont de surcroît, au moins dans une certaine mesure, intégrés au droit de l’Union, de sorte que s’en extraire serait plus difficile.

Dans ce contexte juridique, les États européens peuvent-ils encore refouler des immigrés illégaux et à quelles conditions ? Que ce soit par militantisme ou par fatalisme, beaucoup invoquent le principe de non refoulement pour écarter comme vaine toute tentative de contrôle des frontières. Pourtant, quand la Pologne ou la Grèce ont repoussé avec succès les tentatives d’entrées massives et violentes d’immigrés illégaux par les frontières terrestres avec la Biélorussie et la Turquie respectivement, n’ont-elles pas refoulé les impétrants, sans que la Commission européenne ne trouve grand-chose à y redire ?

Pour percer ce paradoxe, il nous faudra d’abord appréhender la distinction, fondamentale en droit de l’Union, entre frontières dites intérieures et frontières dites extérieures (1). Nous verrons ensuite que le principe de non refoulement, théoriquement général et absolu, souffre certaines exceptions, de sorte qu’il existe des voies pour le refoulement, y compris au niveau des frontières maritimes (2). Nous formulerons enfin des orientations visant à maximiser les possibilités actuelles de refoulement des immigrants illégaux, ainsi qu’à lever les obstacles juridiques à une politique plus ambitieuse de protection des frontières (3).

On sait que l’UE est une organisation politique sui generis, qui s’apparente à certains égards à une fédération dans la mesure où elle en possède certains attributs. De fait, l’UE se caractérise par l’existence d’un territoire, à l’intérieur duquel s’exercent les libertés de circulation garanties par les traités européens. Au sein de l’Union, la notion de frontière a été bouleversée par l’intégration européenne, en ce sens que les frontières des États membres, du moins de ceux d’entre eux appartenant à l’espace Schengen, ne sont plus réellement des frontières, sauf lorsqu’elles coïncident avec les frontières extérieures de l’Union.

1.1 Le droit de l’UE distingue frontières extérieures et intérieures

Frontières intérieures et extérieures

Le droit de l’Union distingue en effet nettement « frontières extérieures des États membres » (à savoir les frontières extérieures de l’Union) et « frontières communes aux États membres » (à savoir les frontières intérieures), qui impliquent des obligations diamétralement opposées en matière de protection des frontières contre l’immigration irrégulière. Dans le premier cas, les États membres ont en effet l’obligation de s’opposer à l’entrée illégale de ressortissants de pays tiers, alors que, dans le second cas, les mêmes États ne doivent en principe pas contrôler les passages aux frontières, même pour les ressortissants de pays tiers.

La conséquence de cette distinction est aussi que l’étranger entré irrégulièrement sur le sol européen et qui, sous réserve que sa situation ne soit pas régularisée, devient ainsi un étranger en situation irrégulière, dispose de facto de facilités pour circuler entre les États membres. Plus encore, de iure, cet étranger, malgré l’irrégularité de sa situation, dispose de droits quant aux normes et procédures que les États membres appliquent pour organiser leur éloignement éventuel : ces règles sont prévues par la directive « retour » (directive 2008/115).

Ainsi que l’affirmait l’avocat général Rantos près la Cour de justice de l’Union européenne dans ses conclusions dans l’affaire C-143/223 : « L’article 14 du code frontières Schengen, qui contient l’obligation pour les États membre de refuser l’entrée sur le territoire, à une frontière extérieure, au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas les conditions d’entrée […] n’a pas vocation à s’appliquer à une frontière intérieure […]. En effet, la ratio legis de ces dispositions est qu’il incombe aux États membres ayant des frontières extérieures de veiller à ce que des ressortissants de pays tiers dépourvus de droit d’entrée ne pénètrent pas l’espace Schengen. Une fois ces ressortissants entrés, il incombe à tout État membre non pas de prononcer des décisions de refus d’entrée sur la base du code frontières Schengen, mais d’appliquer la directive 2008/115. »4 (point 41).

La problématique de l’éloignement des étrangers illégaux

Certes, dès lors que les conditions sont réunies, les États membres sont tenus de prendre une décision de retour des étrangers en situation irrégulière5, mais cela leur sera plus difficile car les contraintes procédurales qui pèsent sur les États membres sont plus lourdes une fois que l’immigrant est entré sur le territoire que lorsqu’il est possible de faire obstacle à son entrée via les frontières extérieures. C’est donc à ce niveau que doit se concentrer la surveillance des frontières6.

1.2 Refuser l’entrée aux frontières extérieures de l’Union est possible

La directive « retour »

Les conditions d’éloignement des étrangers en situation irrégulière sont encadrées par la directive dite retour7. Par cette directive, le législateur européen a entendu « fixer des règles claires, transparentes et équitables afin de définir une politique de retour efficace, constituant un élément indispensable d’une politique migratoire bien gérée »8. En pratique, la directive retour impose aux États membres souhaitant prendre une décision de retour forcé de respecter une série de normes et de procédures qui nuisent à l’efficacité de la politique de retour, à rebours du but affiché.

Certes, la directive affirme le principe que les États membres prennent une décision de retour l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier, mais c’est pour mentionner aussi une série d’exceptions possibles, dont celle consistant à conférer à l’intéressé un « droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres » ou à suspendre le retour dans l’attente de l’examen d’une demande d’autorisation de séjour9.

Parmi les contraintes imposées par la directive, citons l’obligation de laisser un délai à l’immigrant pour un départ volontaire (article 7), l’éloignement forcé ne pouvant intervenir qu’à l’issue de ce délai. Et encore les mesures coercitives pour procéder à l’éloignement doivent-elles être mobilisées « en dernier ressort » (article 8) et, parmi ces mesures, la rétention obéit-elle à des conditions strictes (articles 15 à 17). L’éloignement doit en outre être reporté lorsqu’il se ferait en violation du principe de non-refoulement ou en cas de recours contre la décision d’éloignement (article 9), sachant que l’étranger a droit à un conseil juridique, une représentation juridique et une assistance linguistique, le tout gratuitement (article 13). Dans certains cas, d’autres complications sont prévues, notamment pour les mineurs non accompagnés (article 10). À cela s’ajoutent des garanties procédurales (décisions écrites motivées, avec traduction le cas échéant, fourniture des soins requis, scolarisation des mineurs…).

On voit dès lors l’intérêt des dérogations prévues par la directive.

Les dérogations à la directive « retour » concernent uniquement les frontières extérieures

À cet égard, le droit de l’Union admet que les États membres puissent refuser l’accès du territoire européen aux immigrants qui tentent de passer illégalement une frontière extérieure de l’Union et que les personnes interceptées puissent être éloignées, car, dans ce cas de figure, il peut être dérogé à la directive retour.

En effet, il existe des exceptions à l’application de la directive retour ou tout du moins d’une partie de ses règles. Ainsi, en vertu de l’article 2 §2 de la directive retour, les États membres sont libres de ne pas appliquer ses dispositions aux ressortissants de pays tiers « a) faisant l’objet d’une décision de refus d’entrée conformément [au code Schengen], ou arrêtés ou interceptés par les autorités compétentes à l’occasion du franchissement irrégulier par voie terrestre, maritime ou aérienne de la frontière extérieure d’un État membre et qui n’ont pas obtenu par la suite l’autorisation ou le droit de séjourner dans ledit État membre / b) faisant l’objet d’une sanction pénale prévoyant ou ayant pour conséquence leur retour, conformément au droit national, ou faisant l’objet de procédures d’extradition »10.

Cet article 2 §2, sous a), autorise les États membres à mettre en œuvre une procédure allégée d’éloignement des immigrants interceptés aux frontières extérieures ou faisant l’objet d’une décision de refus d’entrée conformément à l’article 14 du code frontières Schengen11, lequel ne s’applique qu’aux frontières extérieures. Ainsi que l’a récemment jugé la CJUE, cette possibilité ne saurait être étendue aux migrants interceptés aux frontières intérieures, qui bénéficient de toutes les garanties de la directive retour12.

L’exception prévue à l’article 2 §2, sous b), a quant à elle une portée relativement limitée dans la mesure où elle ne peut pas viser les immigrants au seul motif d’une entrée irrégulière sur le territoire13, ce qui est au demeurant cohérent avec l’article 31 de la Convention de Genève de 1951, selon lequel l’entrée irrégulière ne suffit pas à justifier une sanction pénale lorsqu’un demandeur d’asile arrivant directement du pays où il est menacé se présente sans délai aux autorités. En outre, selon le protocole des Nations Unies contre le trafic illicite de migrants (2000), les migrants considérés comme victimes d’un trafic illicite ne peuvent pas être passibles de sanctions pénales du fait de leur entrée irrégulière. Cette exception est généralement réservée par les droits nationaux aux auteurs de crimes et délits graves.

On voit donc l’importance de la distinction faite entre frontières intérieures et extérieures. À vrai dire, il y a une certaine contradiction à demander aux États de s’opposer à l’immigration irrégulière aux frontières extérieures, tout en imposant des règles très contraignantes de nature à compromettre l’efficacité de la lutte contre l’immigration irrégulière une fois que les immigrants ont pénétré dans l’Union et y circulent librement.

Pour autant, il est crucial de relever que les États membres sont tenus de surveiller les frontières extérieures de l’Union et de s’opposer à leur franchissement irrégulier. En outre, les contraintes procédurales pour éloigner les immigrés ayant franchi ces mêmes frontières extérieures sont allégées. Cependant, il ne s’agit pas à strictement parler d’un « refoulement », dans la mesure où le principe de non refoulement est censé s’appliquer même dans ces situations.

2.1 Un principe généreux issu du droit international qui vise à protéger les immigrants mais qui démunit les gouvernements

Un principe qui trouve son fondement dans le droit d’asile garanti par la Convention de Genève et qui trouve désormais sa place parmi les droits fondamentaux

Le principe de non refoulement, souvent invoqué, ne provient ni du droit national ni initialement du droit de l’Union mais du droit international, à commencer par le droit de l’asile.

C’est la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés qui énonce, à son article 33 §1, l’interdiction du retour des réfugiés vers les pays où ils seraient menacés. Littéralement, ce principe ne s’applique qu’aux étrangers qui ont la qualité de réfugié. Cependant, par extension, ce principe s’applique aussi aux demandeurs d’asile le temps qu’il soit statué sur leur demande.

Pour autant, ce principe tel qu’inventé par la convention de Genève n’est pas absolu puisqu’il admet des exceptions : ne peut se prévaloir du principe de non refoulement le réfugié « [qu’]il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays » (article 33 §2). Cette approche de bon sens, selon laquelle un État n’a pas à accorder asile à l’étranger qui menacera sa communauté nationale, fait ainsi primer l’impératif de sécurité publique, mais elle n’est toutefois pas retenue par d’autres sources de droit international. Le principe de non refoulement découle en effet aussi du droit international des droits de l’homme, qui est plus large puisqu’il s’applique à toute personne indépendamment de sa situation juridique – donc y compris à ceux qui ne sont pas réfugiés. À l’échelle des Nations Unies, l’interdiction de la torture et d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants prévue à l’article 7 du Pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques, ainsi que par la convention de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, peut conduire à ne pas refouler des immigrants qui risqueraient sinon de subir de tels traitements.

C’est cependant la CESDH, telle qu’interprétée par la Cour de Strasbourg, qui emporte les obligations les plus étendues en matière de non refoulement pour la France et les autres États parties à la Convention. L’article 2 de celle-ci, qui protège le droit à la vie, et surtout son article 3, qui interdit lui aussi la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, bénéficient aussi aux ressortissants de pays tiers et interdisent en conséquence le renvoi dans son pays d’un étranger qui y serait exposé à un risque réel de traitement contraire à ces articles.

Le droit de l’Union intègre également le principe de non refoulement. D’une part, l’article 78 du traité sur le fonctionnement de l’UE, relatif à la politique commune de l’asile, le mentionne expressément et se réfère à la convention de Genève. D’autre part, l’article 19 §2 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE14 reprend en substance le principe de non refoulement tel qu’il résulte déjà de l’article 3 CESDH. Rappelons toutefois que cette Charte ne s’applique qu’aux situations régies par le droit de l’Union15.

Un principe théoriquement absolu et qui laisse peu de marges de manœuvre

Pour la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), cette interdiction du refoulement revêt un caractère absolu et n’est ainsi pas soumis aux mêmes limites que celles définies à l’article 33 §2 précité de la convention de Genève de 1951. On prendra comme exemple son arrêt du 1er février 2018, par lequel elle a condamné la France pour avoir expulsé vers l’Algérie un Algérien condamné en France pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme et qui y avait été débouté d’une demande d’asile16. La CEDH a rappelé que « l’expulsion d’un étranger par un État contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3, et donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 »17 et a estimé que tel était bien le cas. Si la CEDH a eu par la suite une appréciation différente de la situation en Algérie18, il n’en reste pas moins que sa jurisprudence, qui fait primer la protection des individus, fussent-ils étrangers et terroristes, sur toute préoccupation d’ordre et de sécurité publics, est inchangée.

En outre, pour la CEDH, ce principe de non refoulement s’applique également dans le contexte d’un refus d’admission sur le territoire et non seulement d’un éloignement, de sorte qu’il s’apparente à une obligation de laisser entrer19. La CEDH a beau rappeler que la CESDH ne protège pas en tant que tel le droit d’asile, force est de constater que la jurisprudence impose en principe de laisser entrer sur le territoire, sans pouvoir les éloigner par la suite, des étrangers dès lors qu’ils pourraient courir un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, indépendamment du fait qu’ils soient susceptibles, s’ils en font la demande, de remplir les conditions du droit d’asile. Comme l’écrit la CEDH, la Convention « englobe l’interdiction du refoulement au sens de la Convention de Genève » – c’est-à-dire qu’elle est plus large20. Le principe de non refoulement est renforcé par l’interdiction des « expulsions collectives ».

2.2 L’interdiction des expulsions collectives ne souffre que de rares exceptions

L’obligation d’examen de la situation individuelle de chaque immigrant conduit à interdire les expulsions dites collectives

L’article 4 du protocole n° 4 à la CESDH, de même que l’article 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, prohibe les expulsions collectives, c’est-à-dire l’éloignement d’un groupe d’étrangers sans « examen raisonnable et objectif de la situation particulière » de chacun d’entre eux21. La CEDH tend à assimiler différentes situations telles que la reconduite à la frontière et le refus d’entrée, rassemblées sous le vocable « d’expulsion ». Pour elle, la protection accordée par la CESDH doit être effective même lorsque l’immigrant tente d’entrer – ou est entré – irrégulièrement sur le territoire.22

Une exception est cependant admise lorsque le groupe d’immigrants recourt à la force

La jurisprudence de la CEDH admet cependant que les États puissent déroger au principe d’interdiction des expulsions collectives. En effet, en l’absence de toute exception, les États seraient privés de leur droit à la légitime défense contre des invasions ou tout du moins des entrées en force. Or rappelons que l’article 51 de la Charte des Nations Unies garantit le « droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective » en cas « [d’]agression armée »23.

Il n’est certes pas toujours évident de distinguer des immigrants venant quérir asile sans y être nécessairement fondés d’un groupe d’étrangers qui cherche à pénétrer en force sur le territoire : la différence peut simplement provenir de ce que l’entrée se fait à un point de passage frontalier régulier ou non. Pour la CEDH, statuant en grande chambre après que l’Espagne lui avait demandé de reconsidérer sa position initiale, les États ne sont pas tenus d’examiner individuellement la situation de chacun en vertu de l’article 4 du Protocole n° 4 « lorsque le comportement de personnes qui franchissent une frontière terrestre de façon irrégulière, tirent délibérément parti de l’effet de masse et recourent à la force, est de nature à engendrer des désordres manifestement difficiles à maîtriser et à menacer la sécurité publique », pour peu que l’État concerné ait « offert un accès réel et effectif à des possibilités d’entrée régulières »24. Dans ce contexte, les immigrants ne peuvent pas non se prévaloir du droit à un recours effectif25.

S’agissant de l’accès effectif au territoire, la CEDH a précisé que les États étaient libres d’exiger que les demandes de protection au titre de l’article 3 CESDH soient présentées auprès de points de passage frontaliers et, « [e]n conséquence, ils peuvent refuser l’accès à leur territoire aux étrangers, y compris les demandeurs d’asile potentiels qui se sont abstenus sans raisons impérieuses […] de respecter ces exigences en cherchant à franchir la frontière à un autre endroit et en particulier […], en utilisant l’effet de masse et la force. »26

Ainsi, repousser des immigrants qui tentent de passer clandestinement la frontière n’est pas contraire à la CESDH, tout du moins dans certaines circonstances.

2.3 Le cas des frontières maritimes

Une application extensive du principe de non refoulement, jusqu’en haute mer

La jurisprudence de la CEDH a une acception très extensive du principe de non refoulement et de la prohibition des expulsions collectives, puisqu’elle les a étendus au-delà des limites territoriales des États membres, à savoir à la haute mer. Est ainsi inconventionnel le fait de faire embarquer des migrants interceptés en haute mer à bord de navires militaires et de les débarquer sur les côtes libyennes27.

Cette conclusion provient de ce que, pour éviter de faire de la haute mer une

« zone de non-droit », la CEDH juge que l’État, en l’occurrence l’Italie, est tenu de respecter la CESDH y compris dans des opérations en haute mer de navires battant pavillon italien et relevant des autorités italiennes. Or un renvoi des immigrants vers la Libye – même s’il s’agit du pays d’où ils ont pris la mer – est contraire à l’article 3 CESDH compte tenu des risques encourus dans ce pays. La CEDH a d’ailleurs souligné que la situation née de la pression migratoire croissante par voie maritime n’exonère pas les États « de leur obligation de ne pas éloigner une personne risquant de subir des traitements prohibés par l’article 3 dans le pays de destination ». S’agissant de la prohibition des expulsions collectives, la CEDH a assumé d’en faire une application extraterritoriale, afin d’assurer à tout immigrant le droit à un examen de leur situation personnelle, y compris lorsqu’il emprunte la voie maritime et n’a pas encore pénétré les eaux territoriales de l’État considéré.

Les voies d’un refoulement aux frontières maritimes

Cette jurisprudence de la CEDH laisse peu d’ouverture et conduit à désarmer les États – l’Italie au premier chef, dont on sait que le gouvernement Meloni a renoncé à la promesse de campagne d’instaurer un « blocus naval ». À ce stade, on peut néanmoins relever que l’article 3 CESDH n’interdit pas de refouler les immigrants vers des pays tiers sûrs. À titre d’exemple, la Turquie est considérée comme sûre par la Grèce, tout du moins pour certaines nationalités de migrants. De même, il existe une différence entre refuser l’accès d’un bateau de migrants aux eaux territoriales et les reconduire dans un autre pays : dans le premier cas, sous réserve de l’obligation de porter secours en mer si la situation l’impose28, les migrants ne sont pas refoulés vers un pays où ils courent des risques et on ne peut probablement pas non plus parler d’expulsion collective.

Cette solution consistant à se borner à refuser l’accès aux eaux territoriales est d’ailleurs exploitée, à notre connaissance, par la Grèce. Il semble que les gardes-côtes grecs repoussent des embarcations de migrants illégaux provenant des eaux turques, par les moyens et procédés appropriés (manœuvres, tirs de semonce…), précisément pour les empêcher d’entrer sur le territoire national. Cette pratique ne semble pas avoir été sanctionnée par quelque autorité européenne ou internationale que ce soit.

En tout état de cause, une acception stricte de la notion d’expulsion devrait conduire à ne pas y inclure le fait de refuser l’accès des eaux territoriales européennes à une embarcation d’immigrants illégaux, par les moyens et procédures appropriés qu’il revient aux autorités compétentes de déterminer. De fait, tenir un immigrant en dehors du territoire national ne constitue de facto pas une « expulsion », terme qui ne devrait viser que le fait de reconduire un étranger en situation irrégulière à la frontière.

Enfin, la dérogation à l’interdiction des expulsions collectives en cas de recours des immigrants à la force et à l’effet de masse, telle qu’admise par la jurisprudence de la CEDH29, devrait pouvoir être transposée à l’immigration par voie maritime. À notre connaissance, la CEDH n’a jamais été saisie d’un tel cas de figure30 mais nous ne voyons pour notre part pas de raison convaincante de ne pas appliquer les mêmes règles aux frontières maritimes qu’aux frontières terrestres.

Ainsi, sous réserve qu’il existe par ailleurs un accès réel et effectif à des possibilités d’entrée régulières vers l’État considéré et vers l’UE de manière plus générale, notamment dans le pays de départ des embarcations de migrants illégaux, des étrangers tirant parti de l’effet de masse et tentant de passer en force les frontières maritimes ne devraient pas pouvoir se prévaloir du principe d’interdiction des expulsions collectives ni du droit à un recours effectif. À cet égard, il y a sans doute un changement de paradigme à opérer : sauf cas particulier de traite d’êtres humains, les migrants illégaux cherchant à rejoindre l’Europe par la voie maritime ne sont pas victimes des passeurs qui les convoient mais leurs clients, c’est-à-dire leurs mandataires. C’est en toute conscience qu’ils tentent de forcer le passage vers les pays européens en violation de nos règles d’entrée et de séjour.

À la lumière des contraintes juridiques exposées ci-dessus, nous formulons certaines pistes de réflexion pour lutter plus efficacement contre les flux d’immigration illégale, respectivement à droit constant et, de manière plus ambitieuse, en envisageant une révision profonde de l’état du droit applicable en Europe.

3.1 Exploiter les marges de manœuvre existantes

Renforcer la protection des frontières extérieures de l’Union – terrestres mais aussi maritimes – afin de faire obstacle à l’entrée des immigrants illégaux, en tirant parti des possibilités juridiques existantes

C’est au niveau des frontières extérieures de l’Union que les États membres, qui ont pour mission d’en assurer la surveillance et la protection, sont les plus outillés pour empêcher l’entrée d’immigrants illégaux, le refus d’entrée pouvant intervenir sans appliquer les normes et procédures de la directive retour. En pratique, cette dérogation à la directive retour permet de pratiquer une forme de refoulement puisqu’elle dispense de notifier à chaque immigrant une décision individuelle et que le refus d’entrée est immédiat et ne peut pas faire l’objet d’un recours suspensif. La portée de cette dérogation pourrait d’ailleurs être accrue à la faveur de la création par la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, en cours d’examen par le Conseil constitutionnel au moment de la rédaction de la présente note, d’un délit de séjour irrégulier.

Une surveillance efficace des frontières extérieures implique un effort collectif pour rendre ces frontières plus étanches, ce qui suppose un investissement en hommes et en matériel. Certains États ont significativement renforcé leurs frontières terrestres (mise en place de barrières frontalières par la Grèce, la Hongrie, la Pologne…), permettant de faire physiquement obstacle aux intrusions. Dans ce contexte, les tentatives d’entrées groupées et par la force, comme il y en a eu ces dernières années depuis la Turquie et la Biélorussie notamment, doivent être déjouées en ayant recours à un usage proportionné de la force. Dans une certaine mesure, cette approche peut être déclinée aux frontières maritimes, en vue de refuser l’accès aux eaux territoriales européennes aux embarcations non autorisées. Néanmoins, les tactiques des immigrants consistant à faire jouer l’obligation d’assistance en mer et la contrainte du principe de non refoulement invitent à envisager également d’autres solutions.

Aux frontières extérieures maritimes, obtenir la coopération efficace des pays de départ et leur déléguer les missions d’interception

Les États membres de l’UE ne pouvant refouler les immigrants vers la Libye notamment – c’est plus discutable pour d’autres pays de la rive Sud de la Méditerranée, qui pourraient être considérés comme des pays sûrs – il est crucial de développer la coopération avec les pays de départ des bateaux de migrants, afin qu’ils fassent obstacle à ces départs et, à défaut, qu’ils procèdent eux-mêmes à leur interception en vue de les ramener à leur point de départ. En effet, selon qu’un bateau est intercepté par un garde-côte italien (ou encore un navire d’ONG) ou un garde-côte libyen, ses passagers seront conduits en Europe ou reconduits en Libye. Dans la mesure du possible et sous réserve de leur mission d’assistance, les garde- côtes européens doivent donc paradoxalement s’abstenir de procéder à des interceptions : leur mission doit plutôt consister à empêcher le passage des bateaux de passeurs, par les procédés appropriés et adaptés au comportement desdits bateaux, c’est-à-dire le cas échéant avec un usage proportionné de la force. Une doctrine d’emploi en ce sens devrait également être validée par les exécutifs compétents et donc assumée politiquement.

3.2 Supprimer le principe de non refoulement et affirmer le droit au refoulement

Réduire les contraintes juridiques pesant sur la France en se retirant des instruments internationaux contraignants, a minima la CESDH et la Convention de Genève

On voit la difficulté de défendre nos frontières dans le cadre juridique actuel. On ne peut que regretter que toute politique sérieuse en la matière ne puisse être menée qu’à condition de se libérer du principe de non refoulement tel qu’il résulte du droit international des droits de l’homme et plus particulièrement de la CESDH, qu’il paraît inévitable de dénoncer – quitte éventuellement à y réadhérer avec les réserves nécessaires31.

La Convention de Genève laisse davantage de place aux préoccupations d’ordre public mais paraît néanmoins tout à fait inadaptée aux défis migratoires contemporains : sa dénonciation permettrait de refonder un droit d’asile, à l’échelle nationale ou européenne, plus raisonnable et compatible avec la maîtrise de nos frontières32.

Sous réserve des contraintes intégrées au droit de l’Union, la sortie de ces instruments internationaux permettrait de s’opposer effectivement aux flux migratoires clandestins, y compris par voie maritime, par un refoulement systématique des immigrants illégaux. On parle souvent de modèle australien (politique du « no way »)33, sachant que l’Australie n’est pas pour autant mise au ban des nations.

Au niveau de l’Union européenne, faire évoluer le droit afin de lever les obstacles à une protection effective des frontières, extérieures mais aussi intérieures

Le droit de l’Union constitue un défi beaucoup plus ardu compte tenu de l’impossibilité, a priori, de dénoncer partiellement certaines dispositions du droit primaire ou du droit dérivé (articles du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de la Charte des droits fondamentaux relatifs au droit d’asile et au principe de non refoulement, directive retour et autres directives intervenues en matière d’asile et d’immigration…) et des implications radicales et complexes d’une sortie de l’UE.

Idéalement, il faudrait faire évoluer substantiellement le droit de l’UE pour lever les obstacles identifiés dans la présente note, c’est-à-dire à la fois supprimer les dispositions de droit de l’Union néfastes et éventuellement instaurer des dispositions permettant, eu égard au principe de primauté du droit de l’Union, de faire échec aux dispositions du droit international handicapant les États dans la maîtrise de leurs frontières.

Deux voies peuvent ainsi être empruntées, alternativement ou en combinaison :

a) démanteler tout ou partie du droit primaire et du droit dérivé existants en la matière, afin de redonner aux États davantage de marges de manœuvre dans leur politique migratoire ;

b) transformer ce droit pour donner aux États et à l’Union (dotée à cet effet de l’agence Frontex) les moyens d’une politique de refoulement et leur permettre de satisfaire effectivement et pleinement à leurs obligations de surveillance des frontières et d’éloignement des immigrants illégaux. A minima, quelques ajustements pourraient être apportés aux textes européens existants, là où la jurisprudence de la CJUE n’a pas apporté de solution satisfaisante.

Ainsi la procédure allégée d’éloignement ouverte par dérogation à la directive retour pourrait-elle être étendue aux immigrants interceptés aux frontières intérieures34.

Au niveau national, réaffirmer la compétence exclusive de l’État en matière de protection de l’ordre public, dont l’efficacité ne doit pas pouvoir être remise en cause par des règles internationales ou européennes

À court terme ou si le droit de l’Union n’évoluait pas dans le sens souhaité, il serait important que les États membres réaffirment leur compétence exclusive en matière de protection de l’ordre public. En effet, ainsi que l’énonce l’article 4 §2 du traité sur l’Union européenne, « L’Union […] respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre ». En outre, l’article 72 du TFUE précise expressément que les dispositions de ce traité relatives à l’espace de liberté, de sécurité et de justice, qui comportent celles relatives à la politique migratoire, « ne porte[nt] pas atteinte à l’exercice des responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure ».

En conséquence, lorsque des dispositions du droit de l’Union font obstacle à ce que les États membres assurent leur intégrité territoriale et maintiennent l’ordre public, il serait légal et en tout cas légitime de les ignorer, en particulier en présence de circonstances exceptionnelles telles que l’afflux d’immigrants35.

Cette approche peut d’ores et déjà être appliquée puisque, dans l’ordre interne, la Constitution prime sur le droit de l’Union et que la jurisprudence du Conseil d’État admet en principe que des textes européens puissent être écartés si cela apparaît nécessaire pour garantir des exigences constitutionnelles ne bénéficiant pas d’une protection équivalente en droit de l’Union, telle la prévention des atteintes à l’ordre public36. Une révision constitutionnelle pour intégrer plus explicitement dans le bloc de constitutionnalité la mission de l’État de maîtriser ses frontières et de contrôler les flux migratoires serait de nature à exploiter pleinement la primauté de la Constitution sur le droit de l’Union et le droit conventionnel dans le domaine migratoire37.

Conclusion

En conclusion de cette note, nous voudrions simplement souligner que l’état du droit applicable à un moment et en un lieu donnés ne saurait être reçu comme un état absolu et définitif. Le droit, surtout quand il crée des droits dans le chef de personnes physiques, qui plus est étrangères à la communauté nationale à laquelle appartient la souveraineté, doit pouvoir s’adapter, le cas échéant, aux décisions des autorités politiques et en l’occurrence aux choix démocratiquement exprimés par le peuple souverain. Aussi faut-il rappeler la contingence des contraintes juridiques actuelles décrites dans la présente note : en aucun cas il ne faut en déduire que toute action dans le domaine migratoire doit demeurer dans les limites définies comme telles au gré des évolutions de jurisprudence ou des interprétations de juristes. Selon un adage bien connu, « nécessité fait loi ».

Agence européenne des droits fondamentaux et Conseil de l’Europe, « Droits fondamentaux des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants aux frontières européennes », 2020 : http://fra.europa.eu/fr/publication/2020/droits-fondamentaux- des-refugies-des-demandeurs-dasile-et-des-migrants-aux

Carl Hubert, « Pour un « great reset » du droit d’asile, voie d’immigration majeure vers la France et l’Europe », tribune publiée par l’OID, février 2021 : https://observatoire-immigration.fr/reforme-droit-asile/

OID (note), « Politiques d’immigration : le gouvernement des juges ? », mars 2023 : https://observatoire-immigration.fr/note-politiques-dimmigration-le- gouvernement-des-juges/ Valeurs actuelles n° 4531 du 28 septembre 2023, dossier « Sortir de l’impasse migratoire » (pages 18-27).

  1. Article L. 110-1 CESEDA ↩︎
  2. On mettra ici de côté les contraintes issues du droit constitutionnel, qui, s’il intègre un étonnant
    « principe de fraternité » ou un droit d’asile très circonscrit, ne joue pas un rôle majeur dans la question du contrôle des frontières et du refoulement des immigrés. ↩︎
  3. CJUE, arrêt du 21 septembre 2023, Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) e.a, C-143/22. ↩︎
  4. Point 41 des conclusions de M. Rantos, présentées le 30 mars 2023 (ECLI:EU:C:2023:271). ↩︎
  5. Cf. point 45 des conclusions précitées de M. Rantos ↩︎
  6. Selon l’article 13, §1, du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (dit code frontières Schengen), « La surveillance des frontières a pour objet principal d’empêcher le franchissement non autorisé de la frontière, de lutter contre la criminalité transfrontalière et de prendre des mesures à l’encontre des personnes ayant franchi illégalement la frontière. Une personne qui a franchi illégalement une frontière et qui n’a pas le droit de séjourner sur le territoire de l’État membre concerné est appréhendée et fait l’objet de procédures respectant la directive [2008/115]. » ↩︎
  7. Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. ↩︎
  8. Considérant 4 de cette directive ↩︎
  9. Article 6 de la directive ↩︎
  10. Souligné par nos soins ↩︎
  11. La décision de refus d’entrée notifiée à l’immigrant prend effet immédiatement et le recours éventuel n’est pas suspensif ↩︎
  12. CJUE, arrêt du 21 septembre 2023, ADDE et autres, C-143/22. ↩︎
  13. Ainsi que l’a rappelé la CJUE dans l’arrêt du 21 septembre précité (C-143/22) : « la directive 2008/115 n’exclut pas la faculté pour les États membres de réprimer d’une peine d’emprisonnement la commission de délits autres que ceux tenant à la seule circonstance d’une entrée irrégulière, y compris dans des situations où la procédure de retour établie par cette directive n’a pas encore été menée à son terme. Dès lors, ladite directive ne s’oppose pas davantage à l’arrestation ou au placement en garde à vue d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier lorsque de telles mesures sont adoptées au motif que ledit ressortissant est soupçonné d’avoir commis un délit autre que sa simple entrée irrégulière sur le territoire national, et notamment un délit susceptible de menacer l’ordre public ou la sécurité intérieure de l’État membre concerné » (point 44). ↩︎
  14. « Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. » ↩︎
  15. Cf. son article 51 (champ d’application). ↩︎
  16. Affaire M.A. c/ France, n° 9373/15 ↩︎
  17. CEDH, arrêt M.A. c/ France précité, point 51 ↩︎
  18. CEDH, 29 avril 2019, A.M. c/ France, n° 12148/18. On peut à cet égard se référer à cet article de Laurence Burgorgue-Larsen pour le Club des juristes : https://www.leclubdesjuristes.com/archives- cdj/la-cedh-autorise-lexpulsion-dun-ressortissant-algerien-condamne-pour-terrorisme-2436/ ↩︎
  19. CEDH, arrêt N.D. et N.T. c/ Espagne, n° 8675/15 et 8697/15, point 178. La CEDH s’appuie ici sur la doctrine du Haut Commissariat aux régugiés (HCR) relative à la Convention de Genève, qui ne lie cependant pas les Etats parties à cette convention ↩︎
  20. CEDH, arrêt N.D. et N.T. c/ Espagne précité, point 188 ↩︎
  21. CEDH (grande chambre), arrêt du 15 décembre 2016, Khlaifia et autres c/ Italie, n° 16483/12, points 237 et suiv. ↩︎
  22. CEDH, N.D. et N.T. contre Espagne, précité, points 184-187 ↩︎
  23. « Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises par des Membres dans l’exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n’affectent en rien le pouvoir et le devoir qu’a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d’agir à tout moment de la manière qu’il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. » ↩︎
  24. Arrêt N.D. et N.T. contre Espagne précité, point 201. ↩︎
  25. Arrêt N.D. et N.T. contre Espagne précité, points 242-243. ↩︎
  26. Arrêt N.D. et N.T. contre Espagne précité, point 210. ↩︎
  27. CEDH (grande chambre), arrêt du 23 février 2012, Hirsi Jamaa et autres, n° 27765/09 ↩︎
  28. On rappellera ici brièvement que le capitaine d’un navire a obligation de porter assistance à quiconque est trouvé en péril en mer et, dans la limite de ce qui peut être raisonnablement attendu, de se porter au secours des personnes en détresse (article 98 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982, dite « Convention de Montego Bay »). Les personnes ainsi secourus doivent être conduites « en lieu sûr, compte tenu de la situation particulière et des directives élaborées par l’Organisation [maritime internationale] » (point 3.1.9 de l’annexe de la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes de 1979, modifiée en 2004, dite « Convention SAR »). ↩︎
  29. Arrêt N.D. et N.T. contre Espagne, précité ↩︎
  30. L’arrêt de 2012, au demeurant antérieur à l’affaire N.D. et N.T. c/ Espagne jugée en 2020, ne visait pas une situation dans laquelle les migrants auraient recouru à la force. ↩︎
  31. Cf. la recommandation formulée dans la note de l’OID « Politiques d’immigration : le gouvernement des juges ? » (mars 2023). ↩︎
  32. Sur la question de la politique de l’asile, on peut se référer à la tribune de Carl Hubert publiée par l’OID en février 2021, « Pour un « great reset » du droit d’asile, voie d’immigration majeure vers la France et l’Europe ». ↩︎
  33. Cf. Valeurs actuelles n°4531 du 28 septembre 2023, « L’Australie sans concession » (pages 22-
    23). ↩︎
  34. La CJUE ayant jugé l’inverse comme exposé ci-dessus (arrêt précité du 21 septembre 2023, C- 143/22). ↩︎
  35. Le droit de l’Union prévoit parfois certaines exceptions en cas de circonstances exceptionnelles mais elles paraissent clairement insuffisantes (cf. à cet égard l’article 18 de la directive retour, qui en situation d’urgence, ne permet que d’allonger les délais de contrôle juridictionnel et d’assouplir les conditions de rétention…). ↩︎
  36. Conseil d’État (Assemblée du contentieux), 21 avril 2021, La Quadrature du Net, n° 393099, au recueil Lebon. Voir notamment les points 5 et 10. ↩︎
  37. Dans le même sens, cf. les propositions au niveau constitutionnel formulées dans la note de l’OID « Politiques d’immigration : le gouvernement des juges ? » (mars 2023). ↩︎
  38. Outre les textes et jurisprudence déjà cités dans la note. ↩︎

La politique de lutte contre l’immigration irrégulière

Préambule – Une publication volontairement retardée par la Cour des comptes qui a empêché la bonne information du Parlement dans le cadre de l’adoption de la loi « immigration »

Il convient de noter que la Cour a volontairement retardé la publication de ce rapport, afin, selon son premier président Pierre Moscovici, de ne pas interférer dans le débat relatif à l’adoption de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration.

Cette loi, qui a été adoptée le 19 décembre 2023 par le Parlement et qui doit encore faire l’objet d’une décision du Conseil constitutionnel, ne contient toutefois aucune disposition de nature à améliorer sensiblement l’efficacité de la lutte contre l’immigration clandestine, comme nous l’avions souligné dans notre étude y relative1. On peut donc regretter que la Cour ait décidé ce report de publication dans la mesure où, même si le Gouvernement en a eu connaissance a minima dès le mois d’octobre 2023, dans le cadre de la procédure contradictoire, cela n’a pas été le cas des parlementaires qui ont donc été privés d’un document public essentiel à l’éclairage du débat.

L’argument selon lequel la Cour aurait choisi de retarder la publication du rapport pour éviter d’interférer dans le débat parlementaire est en outre hautement contestable. Aux termes de l’article 47-2 de la Constitution, « La Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement. Elle assiste le Parlement et le Gouvernement […] dans l’évaluation des politiques publiques. Par ses rapports publics, elle contribue à l’information des citoyens. ».

Dans le contexte de l’examen du projet de loi « immigration », la rétention volontaire par la Cour de la publication de son rapport relève d’une interprétation très restrictive des missions qui lui sont confiées par la Constitution, voire d’un non-respect de ces missions. En réalité, le rôle de la Cour des comptes, tel que défini par l’article 47-2 de la Constitution, est nécessairement de nature à interférer dans le débat parlementaire, dans la mesure où toute assistance du Parlement soit dans le contrôle du Gouvernement, soit dans l’évaluation des politiques publiques, a pour conséquence et même pour finalité d’éclairer et de nourrir le débat parlementaire.

La publication d’un tel rapport en pleine période d’examen au Parlement de la loi « immigration » aurait certes représenté un exercice délicat pour la Cour des comptes, non pas sur le terrain de l’opportunité de cette publication, mais sur celui de la neutralité politique à laquelle cette institution est tenue. Or sur ce point, le rapport de la Cour paraît présenter toutes les garanties que l’on peut en attendre, en se contentant de confronter la réalité des faits aux objectifs affichés par l’exécutif, tout en suggérant les pistes d’amélioration logiques qui découlent de ses constats.

À ceux qui soutiennent que la publication du rapport pendant le débat parlementaire aurait eu pour conséquence de l’orienter politiquement (dans quel sens ?), on répondra que sur ce sujet précis de la gestion de l’immigration clandestine, si mal connu des décideurs et des citoyens, la rétention d’information pourrait aussi être analysée comme une action politique à cette aune.

Pour évaluer le nombre d’immigrés clandestins présents en France, la Cour des comptes se réfère au Rapport sur l’aide médicale d’État2, qui établit le nombre de bénéficiaires de l’AME à 466 000 à la fin de l’année 2023. Cet indicateur est toutefois imparfait en ce que le bénéfice de l’AME est subordonné à des conditions de ressources et de durée de présence des immigrés clandestins, et que toutes les personnes éligibles ne demandent pas à en bénéficier. Une étude publiée en novembre 2019 par l’IRDES, citée par la Cour, suggère ainsi que seuls 51% des immigrés clandestins seraient bénéficiaires de l’AME.

Une autre mesure évoquée par la Cour des comptes concerne l’indicateur de pression migratoire en France métropolitaine, mesuré par la Police nationale. Il consiste en la somme des irréguliers détectés en France et des refus d’accès délivrés à la frontière, et s’établissait à 138 000 en 2022, dont 89 000 concernant les décisions de non admission. Mais cet indicateur est limité par les moyens affectés aux contrôles de l’immigration irrégulière. Plus le nombre d’agents déployés est important, plus les franchissements irréguliers détectés sont nombreux, ce qui fait mécaniquement augmenter la pression migratoire mesurée. L’indicateur de pression migratoire est donc surtout une mesure en creux de l’insuffisance des moyens actuels de contrôle de l’immigration irrégulière.

Qu’il s’agisse du nombre de bénéficiaires de l’AME ou de l’indicateur de pression migratoire, l’absence de statistiques fiables sur le nombre d’immigrés clandestins en France est un réel problème pour mesurer l’ampleur du phénomène et évaluer et adapter les politiques publiques mises en œuvre pour le réduire.

Toutefois, même si le stock d’immigrés clandestins ne peut être mesuré précisément (probablement entre 500 000 et 900 000 personnes), il est certain que celui-ci augmente très fortement depuis plusieurs années, conséquence de la hausse des flux qui peut être appréciée à travers plusieurs indicateurs qui y sont corrélés :

  • Le nombre de bénéficiaires de l’AME a doublé depuis 2015, passant de 316 000 à 466 000 en 20233.
  • La France a délivré 316 000 premiers titres de séjour en 2022 soit +10% par rapport à 2019, en croissance de 5% par an.
  • Les demandes d’asile ont doublé depuis 2014, avec 133 000 demandes enregistrées en 2022 contre 65 000 en 2014. 70 000 demandes sont rejetées définitivement chaque année, les personnes notifiées passant alors sous statut clandestin si elles restent sur le territoire français malgré l’obligation de le quitter.

Analyse de l’OID

On peut regretter que la Cour des comptes ne formule aucune recommandation visant à améliorer la quantification et la connaissance de l’immigration irrégulière, première étape indispensable à la mise en œuvre de moyens de lutte efficaces. Une vision plus fine de ce phénomène pourrait pourtant être obtenue en croisant les différentes bases de données existantes de la police nationale et des services sociaux et d’inspections, ainsi que les enquêtes existantes, voire en commandant une enquête spécifique à l’INSEE.

La lutte contre l’immigration clandestine passe en premier lieu par le contrôle des frontières, afin d’empêcher les franchissements irréguliers. La France doit ainsi contrôler 126 points de passage frontaliers, liés aux frontières extérieures de l’Union européenne, principalement au sein des ports et aéroports internationaux. A ces points de passage aux frontières extérieures de l’Union européenne s’ajoutent les 190 points de passage autorisés aux frontières intérieures, depuis que la France a rétabli en 2015 les contrôles à ce niveau.

Les contrôles aux frontières extérieures sont une mesure exceptionnelle autorisée tous les 6 mois par l’Union européenne, au départ pour un motif de lutte contre le terrorisme. Les 190 points de passage autorisés sont répartis entre les services de la police aux frontières (PAF) et des douanes, avec le soutien d’autres services (mission sentinelle, autres services de forces de l’ordre). Il apparaît toutefois que les douanes ont tendance à se concentrer sur le contrôle de marchandises qui est leur cœur de métier, et négligent largement leur nouvelle mission de contrôle des flux de personnes. Elles n’ont ainsi prononcé que 379 décisions non-admission en 2021, à mettre en regard du total de 89 000 décisions prononcées en 2022.

En dépit du nombre relativement élevé de décisions de non-admission prononcées aux frontières, la politique de contrôle n’est pas crédible. Lorsque les magistrats de la Cour des comptes se sont déplacés à la frontière italienne pour évaluer la situation, le personnel mobilisé pour surveiller les 117 km de frontière était réduit à 60 agents, dont seulement une vingtaine de membres de la PAF spécialement formés à cette fin. En outre, une étude de Schmoll, Thiollet et Wihtol de 2015, Migration en méditerranée, a conclu que les décisions de non-admission étaient très peu efficaces, la plupart des destinataires se contentant de tenter de nouveaux franchissements un peu plus loin, à des points non surveillés de la frontière.

Surtout, la délivrance de décisions de non-admission pourrait prochainement être interdite. En effet, le Conseil d’Etat a récemment posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur l’applicabilité de la directive retour aux décisions de non-admission. La CJUE ayant répondu positivement, la France sera sans doute bientôt contrainte d’appliquer toutes les garanties procédurales associées à cette directive (délai d’instruction, assistance d’un avocat, etc.). Ces contraintes auraient pour conséquence de priver d’effet pratique les décisions de non-admission et d’affaiblir considérablement le contrôle des frontières.

Outre les moyens humains insuffisants, les procédures de contrôle et les outils à disposition sont très lacunaires. Au sein des points de passage autorisés, les forces de l’ordre ne relèvent ainsi que l’identité des personnes contrôlées, sans l’intégrer dans un système d’information national ou européen. Il n’est procédé à aucun relèvement d’empreintes ou autres moyens d’identification biométrique, ni à l’enregistrement des documents d’identité. Lorsqu’une personne est interpellée sur le territoire national ou à la frontière, les forces de l’ordre n’ont ainsi généralement aucun moyen de savoir si elle a déjà franchi la frontière de manière irrégulière ou tenté de le faire. Ils ne peuvent pas non plus savoir si elle a déjà été identifiée comme représentant un danger pour l’ordre public, en France ou à l’étranger.

En second lieu, la lutte contre l’immigration irrégulière passe par le contrôle des clandestins présents sur le territoire national. Cet aspect n’est abordé par la Cour des comptes qu’à travers le prisme des OQTF et du contentieux des étrangers, et se voit donc traité de manière imparfaite par le rapport. La politique de détection et de contrôle des étrangers irréguliers présents à l’intérieur des frontières n’est pas traitée dans ses différents aspects (insertion sociale, éventuels troubles à l’ordre public, travail illégal…). On apprend seulement que 39% des OQTF prononcées entre 2019 et 2022 l’ont été à la suite d’interpellations « simples », et 5% à la suite de commissions de troubles à l’ordre public. La majorité des OQTF prononcées découle donc de refus de délivrance de titre de séjour ou de protection internationale, c’est-à-dire de situations déjà connues de l’administration.

Analyse de l’OID

La lutte contre le « stock » d’immigrés clandestins présents fait partie des grands angles morts du rapport, contrairement aux contrôles aux frontières qui sont bien documentés. C’est pourtant à ce niveau que se concentrent les principaux enjeux d’ordre public et de dépenses sociales, que l’on pense seulement au coût annuel de l’AME, qui dépasse les 1 Md€. Le rapport de la Cour aurait ainsi pu être complété par des recommandations visant à améliorer la détection des immigrés clandestins, via les contrôles d’identité mais aussi le croisement des données disponibles dans les différentes administrations, notamment sociales.

S’agissant des contrôles aux frontières, la Cour recommande de renforcer et de mieux répartir les forces de l’ordre affectées à cette mission. Elle recommande également de relever et d’enregistrer systématiquement l’identité des personnes qui tentent de franchir irrégulièrement la frontière. Ces propositions sont bienvenues, mais doivent être complétées par l’édiction de sanctions adaptées, afin de rendre réellement dissuasive la lutte contre le franchissement irrégulier des frontières, ce que ne permet pas la délivrance de simples décisions de non-admission.

De manière générale, la Cour n’évoque quasiment pas les moyens de prévention à la source de l’immigration clandestine, deuxième grand angle mort. Ces mesures pourraient consister en la réforme de l’AME pour éviter les arrivées pour motif médical, ou en le traitement des demandes d’asile à l’étranger pour éviter le flux lié aux refus de protection internationale. Seul le cas spécifique de la lutte contre les réseaux organisés est développé dans le rapport de la Cour des comptes.

La Cour relève que le contentieux de l’éloignement forcé est trop complexe, embolise les juridictions (il représente 41% du contentieux des tribunaux administratifs et 61% de celui des cours administratives d’appel), et confronte les préfectures à une insuffisance de moyens pour délivrer correctement les OQTF et les défendre devant le juge en cas de contentieux. Il résulte de cette situation qu’en 2022, 18% des OQTF prononcées ont été annulées par le juge administratif, signe d’un décrochage entre l’importance des contraintes procédurales à respecter et l’incapacité des services préfectoraux à y répondre dans un contexte d’augmentation de la charge de travail (+60% d’OQTF prononcées entre 2017 et 2022).

La Cour des comptes confirme ainsi l’inefficience globale du système d’éloignement des étrangers en France. Moins de 10% des 140 000 OQTF prononcées chaque année sont exécutées. Ce très faible taux d’exécution s’explique, outre les annulations contentieuses, par les difficultés des autorités françaises à établir l’identité des personnes, par les réticences des autorités étrangères à délivrer les laisser-passer consulaires nécessaires à l’admission de leurs ressortissants et par le refus fréquent des compagnies aériennes d’embarquer les intéressés.

En parallèle aux éloignements forcés, la Cour souligne que la France procède à peu de retours aidés exécutés par rapport à ses voisins européens : 4 979 en 2022 contre 26 545 en Allemagne par exemple. Bien que l’aide au retour soit nettement moins onéreuse que les retours forcés (la Cour évalue à 4 414€ en moyenne le coût d’un éloignement forcé, contre 1 120€ pour un retour volontaire), les critères restrictifs d’éligibilité empêchent un emploi plus large de ce dispositif.

Pour répondre à ces problèmes, la Cour procède à une série de recommandations :

  • Renforcement des moyens de gestion de l’immigration irrégulière dans les préfectures et présence systématique aux audiences des juridictions
  • Simplification des procédures juridictionnelles
  • Centralisation des procédures de délivrance des laissez-passer consulaires
  • Assouplir le dispositif d’aide au retour volontaire

Analyse de l’OID

La Cour réalise pour la première fois un état des lieux des procédures d’éloignement des étrangers clandestins, ainsi qu’un diagnostic des causes de leurs insuffisances et cet effort mérite d’être souligné. La plupart des recommandations peuvent être reprises, à l’exception peut-être de celle concernant la présence systématique d’une représentation de la préfecture aux audiences devant les juridictions du contentieux des étrangers. Cette présence paraît en effet très peu utile, à plus forte raison devant le juge administratif qui privilégie une procédure écrite. Les annulations d’OQTF reposent en effet généralement sur des vices qui ne peuvent être défendus utilement ou purgés en audience.

Ces améliorations à la marge pourraient être complétées par des changements systémiques : extension des possibilités de rétention administrative des étrangers concernés, réduction des garanties procédurales en concentrant les possibilités d’annulation des décisions d’éloignements aux erreurs de fond…

La Cour des comptes évalue à 1,8 Md€ par an les coûts de la lutte contre l’immigration irrégulière. Ce chiffrage est issu de l’addition des coûts « directs » portés à 90% par le ministère de l’intérieur (8% de son budget total) : coût des forces de sécurité mobilisées, coût de la rétention et des éloignements, dépenses relatives au contentieux des immigrés clandestins supportées principalement par les préfectures et les juridictions et dépenses relatives aux projets numériques de gestion des étrangers.

Analyse de l’OID

Parmi les coûts directs, la Cour ne retient que ceux relatifs aux moyens de lutte contre l’immigration irrégulière stricto sensu. Elle ne tient ainsi pas compte, par exemple, du coût annuel de l’AME (1 Md€ par an), alors même que celui-ci est directement et exclusivement lié à l’immigration clandestine. Elle ne tient pas non plus compte des autres prestations sociales versées aux immigrés clandestins, ni de l’aide apportée par les associations subventionnées par des fonds publics.

Parmi les coûts directs retenus, la méthode employée est en outre inégale et conduit généralement à minorer les charges (par exemple dans certains cas les charges de personnel ne sont pas prises en compte, ou ne tiennent pas compte de l’encadrement). La Cour ne cherche pas non plus à évaluer les coûts indirects (charges de structure, délinquance, travail dissimulé, etc.).

Au total, la méthode employée conduit la Cour à fortement minorer les dépenses. Selon Jean-Paul Gourévitch, ce coût devrait être doublé pour être réaliste. En outre, ce chiffrage peut prêter à confusion en laissant entendre que l’immigration irrégulière coûterait 1,8 Md€ chaque année, alors qu’il s’agit uniquement du coût des administrations directement liées à la lutte contre l’immigration.urgence pour redonner quelque crédibilité aux données qu’il produit sur les origines.

  1. https://observatoire-immigration.fr/le-projet-de-loi-pour-controler-limmigration-ameliorer-lintegration/ ↩︎
  2. Claude Evin et Patrick Stefanini, décembre 2023 ↩︎
  3. Ibid. ↩︎

Immigration : les élus locaux à l’heure des choix

Certaines collectivités s’illustrent par un soutien financier aux filières d’immigration clandestine. Le droit contentieux s’enrichit et se complexifie au gré des années et des interventions d’élus. Mais c’est parfois aux frontières mêmes du pays que des élus se mobilisent pour fluidifier les arrivées sur le sol national.

1.1 Ces collectivités locales qui financent les associations humanitaires

L’exemple de SOS Méditerranée est le plus connu. Les noms des collectivités « partenaires » sont visibles sur le site internet de l’association (plus de 80)1, au nombre desquelles les grandes métropoles telles que Lyon, Paris, Grenoble, Bordeaux ou encore Strasbourg. L’association peut aussi compter sur le soutien financier non négligeable de neuf départements dont l’Ille-et-Vilaine (50.000 euros en 2020), la Haute-Garonne (100.000 euros en 2020) ou encore la Loire-Atlantique (200.000 euros en 2020). À cela s’ajoutent les subventions régionales de la Bretagne (75.000 euros en 2020), la Bourgogne (50.000 euros en 2021), le Centre-Val de Loire (50.000 euros en 2021) et l’Occitanie (75.000 euros en 2020)2. L’écrasante majorité de ces collectivités est, sans surprise, dirigée par la gauche.

Le sujet des financements d’associations humanitaires telles que SOS Méditerranée a particulièrement mobilisé la juridiction administrative ces dernières années. En effet, des citoyens contestaient l’attribution de telles aides au regard de leur caractère « politique », contradictoire avec le cadre d’intervention que permet le droit de la coopération décentralisée sur lequel celles-ci sont fondées juridiquement (article L1115-1 du Code général des collectivités territoriales). Des requérants ont même contesté ce fondement légal, au motif que la coopération décentralisée doit reposer sur un « intérêt public local », concrètement sur un partenariat avec une collectivité étrangère. Plusieurs tribunaux administratifs ont, depuis 2021, jugé que ces requêtes étaient dépourvues de fondement3, à savoir :

  • Le caractère politique de l’aide n’est pas caractérisé et ne remet donc pas en cause le principe de neutralité du service public ;
  • Cette action humanitaire n’est pas sérieusement considérée comme contrevenant aux engagements internationaux de la France ;
  • Cette action humanitaire n’est pas de nature à exacerber un conflit entre États, en dépit de tensions entre la France et l’Italie alors ;
  • Le soutien à l’association humanitaire en l’espèce est considéré comme relevant de la coopération décentralisée au sens de l’article L1115-1 du CGCT ;

Toutefois, à rebours de la Cour d’appel de Toulouse (28 mars 2023), la Cour d’appel de Paris a censuré la décision du Tribunal administratif (12 septembre 2022) en annulant la décision de la ville de Paris d’octroyer une subvention de 100 000 à SOS Méditerranée. Les motifs sont les suivants.

  • Le conseil de Paris a interféré avec la politique étrangère de la France et de l’UE ;
  • Le conseil de Paris a outrepassé le cadre législatif qui permet à une collectivité locale de soutenir des actions humanitaires à condition de ne pas contrevenir aux engagements internationaux de la France ;
  • L’action de SOS Méditerranée a généré et entretenu des tensions entre États, ce que le conseil de Paris ne pouvait ignorer. Ce dernier a sciemment et manifestement adopté une délibération « politique » s’affranchissant ainsi des limites évoquées précédemment.

D’autres jugements ont, en dépit de cette dernière décision, plutôt confirmé la jurisprudence des tribunaux administratifs de Toulouse et Montpellier. Toutefois, considérant le droit applicable en l’état, il semble que l’interprétation de ces derniers est assez peu rigoureuse, ne serait-ce qu’au regard de la contestation du caractère politique pourtant évident de l’action de l’association.

Mais, si le cas de SOS Méditerranée est aujourd’hui particulièrement débattu, d’autres associations – plus mobilisées sur la gestion du « stock » toutefois – bénéficient des largesses d’élus complaisants. Ainsi de la Cimade qui dispose de partenaires financiers fidèles, tels que mentionnés dans le rapport d’activité 20214 : plus d’une cinquantaine de Communes telles que Poitiers, Tours, de Lyon, Villeurbanne, Vénissieux, Vaulx-en-Velin, Grenoble, Clermont-Ferrand, Bordeaux, Le Havre, Rouen ; un nombre non négligeable de Départements tels que la Nièvre, la Loire-Atlantique, l’Ille-et-Vilaine, la Gironde ou encore le Nord ; et l’ensemble des Régions à majorité de gauche. Les subventions de l’État et des collectivités locales représentent plus de 1,2 millions d’euros. Forum Réfugiés offre aussi de beaux exemples de collaboration : ainsi, en 2022, les collectivités locales (Clermont-Ferrand, Toulouse, Département du Cantal etc) ont subventionné l’association à hauteur de 646 000 euros5.

1.2 Élus en bordure et tentation de Riace

Riace. Perle de Calabre, avant-garde italienne face au continent africain, célèbre pour ses vestiges antiques mais aussi pour son ancien maire, Domenico Lucano. Ce dernier a défrayé la chronique depuis le début des années 2000. En effet, pendant plus de quinze années il a fait de sa commune un laboratoire de l’intégration massive d’immigrés, et ce afin de contrebalancer les effets de l’exode rural massif qui l’affectait alors.

A court terme cet afflux de populations avait permis de rouvrir une école ou encore redynamiser le centre-ville. Mais aujourd’hui, le « village des migrants » tel qu’il était surnommé n’est plus qu’un souvenir. Les commerces ont à nouveau fermé, nombre de familles migrantes sont reparties et surtout l’ancien maire – battu par un candidat soutenu par la Ligue – a dû répondre de plusieurs chefs d’accusation : aide à l’immigration clandestine, irrégularités dans l’attribution des marchés à des structures tenues par des migrants et organisation de mariages de convenance. Il a été condamné en première instance, en 2021, à treize années de prison. Triste épilogue d’une aventure devenue symbole de la lutte pour l’accueil inconditionnel des clandestins6.

La résonance de l’histoire récente de Riace est telle qu’un fonds de dotation dédié à l’accueil des migrants en porte le nom. Le fonds RIACE s’est notamment distingué à Briançon, point de passage obligé pour les flux en provenance d’Italie, en finançant les structures associatives recueillant les migrants, tout en bénéficiant de la complaisance du maire d’alors, Gérard Fromm. Cette structure a été créée en 2019 par Olivier Legrain, ancien cadre dirigeant du groupe Lafarge, et mobilise plusieurs élus locaux issus d’autres territoires. On peut citer l’ancien maire de Grande-Synthe, Damien Carême, porte-étendard de longue date des élus « pro-migrants », ou encore Jean-François Rambicur, élu divers droite de Chambourcy, ancien associé au sein de grands cabinets de conseil7.

Autre élu de la première ligne territoriale face aux flux, le Maire de Bayonne et Président de la communauté d’agglomération Pays Basque (une des plus importantes de France), Jean-René Etchegaray s’est associé en fin d’année 2021 à son homologue transpyrénéen, président du gouvernement basque, pour réclamer aux gouvernements nationaux de « sécuriser le passage des migrants en transit »8 ! L’engagement du maire de Bayonne en faveur de l’accueil et de la coopération transfrontalière pour faciliter le passage de la frontière est total.

Des élus contribuent donc activement à ouvrir les frontières. Mais comment ces derniers se positionnent-ils par la suite en matière d’intégration ? La déliquescence de l’État sur le plan régalien, a conduit à la décentralisation de l’accueil. Quitte à détourner des politiques locales et en dépit de résistances de certains élus, exaspérés d’être à nouveau considérés comme des variables d’ajustement des politiques d’État.

2.1 Comprendre les enjeux sous-jacents des projets de décentralisation de l’accueil

Dans un entretien au Figaro en fin d’année dernière, le géographe Laurent Chalard déclarait : « l’implantation de personnes pauvres ne ferait que renforcer les difficultés sociales que connaissent les zones rurales »9. La délocalisation des problématiques des banlieues populaires « à l’ensemble de nos régions » serait une « fausse bonne idée ». Selon l’universitaire, ce concours Lépine de la solution migratoire résulte de l’absence de politique structurante dédiée alors que « la politique de la ville10, qui porte mal son nom, étant censée résoudre la question sans jamais aborder le sujet frontalement ».

Cette série d’entretiens explicite en termes simples le cheminement en trois temps qui a conduit le Gouvernement à travestir à nouveau la décentralisation en se défaussant de la responsabilité de politiques qu’il ne veut, ni ne peut plus assumer.

Premier temps : la concentration logique des flux dans les agglomérations. Les flux migratoires se déversant dans notre pays, achèvent leur course dans les agglomérations, des métropoles aux villes moyennes essentiellement. L’existence de diasporas urbaines (et donc la possibilité de maintenir un lien de communication avec le pays d’origine), la concentration de l’emploi dans les collectivités susvisées ou encore l’idéologie prégnante parmi les édiles des grandes villes, constituent autant de facteurs d’installation. Les problématiques des zones urbaines et en particulier des banlieues – connues de tous, et sur lesquelles nous ne nous attarderons pas – sont au cœur de ce que l’administration a dénommé pudiquement la « politique de la ville », dont le coût annuel pour l’État a récemment été évalué par la Cour des Comptes à 10 milliards d’euros (hors programmes de rénovation urbaines et dépenses des collectivités locales)11.

Deuxième temps : l’échec de la politique de la ville. Cette politique est un échec patent. Des députés avaient réclamé en 2021, la constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur la politique de la ville et le financement à perte des dispositifs QPV. Il résulte de cette politique que « les dispositifs consacrés au logement, à l’éducation et à l’activité économique, n’ont, malgré les moyens financiers et humains engagés, que peu porté leurs fruits. Ces quartiers ont connu un recul économique et commercial, en dépit des exonérations fiscales à hauteur de 1,7 milliard d’euros par an. Dans le même temps, les activités illicites ont prospéré. Sur le plan éducatif, malgré une amélioration depuis dix ans, les élèves ont des résultats scolaires inférieurs à la moyenne de leur académie. Les familles les moins défavorisées quittent le quartier, remplacées par d’autres plus précaires »12

Or, selon Laurent Chalard, un facteur important permet d’expliquer l’absence de réponse adaptée en dépit de quarante années de politiques de la ville : le refus de prise en compte de la question migratoire dans la rénovation urbaine. Le géographe assume de considérer les quartiers dits « difficiles » comme des quartiers « sas » avec l’étranger, nécessitant une prise en compte de la spécificité des origines des populations, du niveau de diplômes, de l’âge ou encore de la situation économique afin de mieux prendre en compte les besoins. En résumé, la politique de la ville ne peut être efficace en étant fondée uniquement sur des critères sociaux. La politique de mixité sociale doit, selon le chercheur, céder la place à une « politique de gestion des flux d’immigration » (article du figaro en date de 2015, précité).

Troisième temps : au nom du réaménagement du territoire et de la redynamisation des campagnes… Mais l’État ne semble pas décidé à réformer une politique usée, vieille de quarante ans, constituant pourtant un gouffre financier. Il préfère déporter une partie du problème et se défausser sur les territoires ruraux et périurbains, en les forçant à contribuer à l’effort de guerre de l’accueil des migrants. Les grandes agglomérations, moins hostiles par principe, étant désormais en phase de saturation.

Combien d’élus, tel le maire de Saint-Lys13 en Haute-Garonne, ont protesté contre ce « cavalier » administratif d’implantation de centres d’hébergement de type CADA (Centre d’accueil de demandeurs d’asile) ou CPAR (Centres de préparation au retour) ? Toutefois, l’État a pu, en certains territoires, trouver des appuis locaux conciliants, comme à Callac ou encore à Louvigny14 dans le Calvados. Mais quels motifs peuvent donc justifier ces actions ?

L’État invoque la solidarité des territoires, mais pense surtout à la dilution ou l’invisibilisation du phénomène de masse. Les maires évoquent aussi la solidarité, mais espèrent souvent un maintien ou une réouverture des services de proximité (commerce, transports, écoles etc) par la redynamisation démographique de sa commune sur le modèle de Riace. On peut citer l’exemple de la commune de Pessat-Villeneuve (Puy-de-Dôme) ayant accueilli depuis 2019 plus de 700 personnes sur son territoire. Son maire déclarait en 2020 : « Ces réfugiés sont une chance, une richesse pour le territoire »15.

La décentralisation de l’accueil est donc à la fois l’objet d’un calcul d’utilité et l’application d’un principe idéologique « sans-frontiériste » par les pouvoirs publics.

2.2 Un dévoiement subi des politiques : l’exemple des MNA

« Les structures de l’Aide Sociale à l’Enfance sont saturées. L’État doit agir !  Tout est en train d’exploser. Nous accueillons déjà, au sein de l’ASE, un grand nombre de mineurs qui ne devraient pas être de notre responsabilité, du fait des carences de la PJJ [Protection judiciaire de la jeunesse] et des ARS [Agences régionales de santé]. Les MNA sont devenus trop nombreux pour un système qui n’a pas été pensé pour cela »16. Ces déclarations résonnent comme le cri d’alarme d’un élu local, et pas n’importe lequel. Il s’agit de François Sauvadet, Président de Départements de France, structure faîtière de représentation des Départements, collectivités en charge de l’ASE. Ces déclarations s’adressaient aux ministres compétents, à savoir Gérald Darmanin et Eric Dupond-Moretti entre autres.

Chercher à comprendre cette situation, c’est se mettre en marche pour saisir l’axiome majeur des relations entre État et collectivités locales depuis la fin du XXe siècle : le premier prescrit et les secondes paient. Or la facture est salée. Nous la présentions ainsi dans la dernière édition de Causeur (article précité : « Le migrant est dans le pré ») : « De quelques millions d’euros engagés par les départements au titre de l’aide sociale à l’enfance, le coût de prise en charge de ces mineurs a explosé en quelques années pour aboutir à une évaluation par l’Assemblée des Départements de France de deux milliards d’euros de dépenses en 2019 puis un milliard en 2020 (année COVID). Un retour au seuil de deux milliards est prévu pour 2022 selon des sources concordantes, locales et ministérielles ».

A cette explosion du coût total de l’accueil des MNA, l’État n’a répondu que de façon partielle. Sans nous attacher au détail de l’évolution de la contribution de l’État, on peut résumer en quelques lignes ce qui constitue un mégotage financier des plus mesquins. Deux financements sont à considérer. Celui dédié à la phase d’évaluation et de mise à l’abri (le plus important) et celui dédié au soutien « exceptionnel » à la gestion de l’ASE17. Entre 2017 et 2018, les modèles de financement évoluent, pour figer globalement la contribution de l’État à 162 millions18.

162 millions d’euros d’aide de l’État pour financer la conséquence d’une politique migratoire dont il est le principal responsable, et dont le coût atteint 2 milliards d’euros sans compter les coûts indirects liés à la délinquance juvénile.

Ce surcoût corrélé à la réduction de l’autonomie financière des Départements – qui ne disposent plus de leviers fiscaux majeurs depuis le transfert de la taxe foncière au bloc communal – met en péril les politiques de protection de l’enfance. En effet, les Départements sont confrontés à une embolie des services, due, en sus de la reprise des flux migratoires, à une forte hausse des accueils d’enfants français en conséquence d’une progression des cas de maltraitance. La crise sanitaire – ses confinements successifs – et la précarité croissante des foyers alimentent cette dynamique préoccupante. Or, le poids de l’accueil des MNA empêche les Départements d’assumer leur rôle principal de protection des plus fragiles et d’accompagnement des familles. De plus, les professionnels de l’ASE ne sont pas formés pour accompagner des profils éloignés de la culture locale et dont le parcours personnel peut nécessiter un suivi (psychologique notamment) particulièrement lourd.

Enfin, ce dévoiement des politiques départementales est particulièrement consommé quand, à de nombreuses reprises, des juges, suspects de militantisme, astreignent parfois les collectivités à recueillir ceux qu’ils avaient déboutés pour motif de majorité manifeste. C’est ainsi que des « mineurs » de plus de 30 ans ont pu bénéficier de places au sein de foyers de l’enfance !

2.3 Des édiles entre résistance de principe et aveu d’impuissance

Dans la partie consacrée à l’implication des élus dans l’accueil des clandestins, a été évoqué le cas de Briançon, longtemps ville-symbole de l’accueil inconditionnel. Toutefois la bascule politique de 2020 a induit un changement de cap notable, sans être total. Le nouveau maire Arnaud Murgia (DVD), en septembre 2020, soit quelques mois à peine après son élection, a pris la décision de ne pas renouveler la convention d’occupation des locaux municipaux utilisées pour les « Terrasses Solidaires »19, centre d’accueil à destination des clandestins. En outre, l’édile briançonnais a réduit drastiquement les subventions destinées aux associations, condamnant l’action de « militants d’extrême gauche »20.

Mais, le plus souvent, les élans de résistance se brisent, tel le pot de terre contre le pot de fer, sur la volonté implacable de l’État. Le témoignage le plus connu récemment est donc celui du maire de Saint-Lys, violemment opposé à l’installation d’un Centre de préparation au retour (CPAR) et soutenu par une grande partie de ses administrés. Il dénonçait l’absence de concertation préalable. Toutefois, il semble désormais se résigner à l’accueil, en justifiant de mauvaise grâce que l’« on ne peut pas se rejeter indéfiniment la balle entre élus. Sinon la situation devient inextricable ».

A Beyssenac, en Corrèze, le juge administratif a suspendu la délibération du conseil municipal instaurant un droit de préemption urbain global sur plusieurs parcelles, dont celles où est situé l’hôtel-restaurant transformé en lieu d’hébergement pour les migrants. Cette manœuvre juridique visant à préserver le dernier lieu potentiel de convivialité de la commune a donc achoppé et le maire, visé par de nombreuses menaces, s’est résigné21.

Toutefois, dans certains cas, certes trop rares, les élus locaux obtiennent gain de cause. Ainsi, dans le Tarn, sous l’impulsion notable de Bernard Carayon, cadre historique de la droite tarnaise et maire de Lavaur, le Préfet s’est résolu à abandonner le projet de CADA de Réalmont22. Et c’est à nouveau la méthode qui est dénoncée en premier lieu, à savoir l’absence de concertation avec les élus. Toutefois, le problème demeure : les migrants dont l’installation étaient initialement prévue dans la commune susnommée, seront répartis sur l’ensemble du département. Au jeu de bonneteau l’État est passé maître…

In fine, les migrants demeurent sur le territoire national, et bénéficient toujours, en dépit des circonvolutions administratives et politiques, d’une complaisance coupable de l’État et de certains élus. Certains d’entre eux ont, à cet effet, constitué des réseaux d’entraide et de solidarité intercommunale, dépassant même le cadre de nos frontières.

Les promoteurs de la décentralisation centralisée – pour rappeler un concept cher au géographe Gérard-François Dumont – rêvaient d’une organisation territoriale réticulaire, structurée par les grandes métropoles23, concentrant la richesse nationale et, par un effet vertueux inexplicable, la faisant ruisseler dans les territoires périphériques. Les grandes agglomérations sont les mailles politiques de la mondialisation, abolissant les frontières et ne se référant plus à la destinée commune consacrée par l’Histoire nationale. Se voulant ouvertes sur le monde, elles ont ainsi créé cette internationale de la solidarité migratoire, intégrant de plus petites collectivités dans cette œuvre d’inspiration néo-libérale.

3.1 L’ANTIVA pour une citoyenneté post-nationale

Une association nationale joue un rôle déterminant dans la structuration d’une position globale d’élus locaux en faveur de l’accueil inconditionnel. Il s’agit de l’Association nationale des villes et territoires accueillants (ANVITA)24. Elle prend racine dans neuf villes fondatrices : Grande-Synthe, Strasbourg, Saint-Denis, Montreuil, Grenoble, Briançon, Nantes, Ivry-sur-Seine et Lyon.

Ce panel de membres-fondateurs est intéressant : il regroupe des grandes agglomérations et des communes de leur aire d’influence, ainsi que deux villes-symboles, Briançon (cf. I.B) et Grande-Synthe, commune du député européen EELV Damien Carême, ancien maire et tête d’affiche des responsables politiques « pro-migrants ». Ce dernier co-préside l’association avec la maire de Strasbourg Jeanne Barseghian. 70 collectivités adhèrent désormais, entre petites communes, EPCI, agglomérations d’envergure et régions (la plupart de ces collectivités étant étiquetées à gauche).

L’ANVITA assure différentes missions :

  • Mise en réseau pour le partage d’expériences et de bonnes pratiques ;
  • Plaidoyer : délivrance de messages collectifs face à l’actualité nationale ;
  • Centre de ressources : formations, guides juridiques et pratiques ;
  • Pilotage de projets entre territoires, structures associatives ou autres acteurs économiques et institutionnels.

De l’ensemble des documents et ressources proposées sur le site internet – on pourrait disserter plus longuement sur la valeur réelle des différents guides élaborés – on peut tirer un principe fondamental : l’érosion de la valeur de la nationalité. Plusieurs exemples illustrent ce constat.

« Le droit de vote des résidents. Déconnectons la nationalité et la citoyenneté » : ce slogan illustrant un projet soutenu par l’ANVITA, Alter-Votants, est éclairant. Il s’agit, en l’espèce, d’une remise en cause de ce que différents intellectuels à l’instar de la sociologue Dominique Schnapper présentent comme la citoyenneté « classique » : « La confusion entre nationalité et citoyenneté fondait l’ordre légitime, les nationaux exerçaient leurs droits de citoyens, les non-nationaux ne disposaient pas de ces droits. L’universalité de la citoyenneté s’exerçait à l’intérieur des limites nationales ». Or, « séparer l’identité nationale, avec ce qu’elle comporte de dimensions ethniques et culturelles, de la participation civique et politique, fondée sur la raison et les droits de l’homme » ne serait pas réaliste pour « pour organiser les sociétés humaines »25.

Mieux encore. L’ANVITA propose l’organisation de cérémonies de « parrainages républicains »: « Le parrainage républicain est une tradition issue de la Révolution française, lorsque deux citoyen·nes en parrainaient un·e troisième en signe d’accueil au sein de la République. Aujourd’hui, il désigne la cérémonie où un·e citoyen·ne, un·e élu·e ou un·e membre d’association devient le parrain ou la marraine d’une ou plusieurs personnes exilées en situation d’isolement et de précarité, toutes situations administratives confondues. Cet événement se déroule généralement dans les locaux d’une mairie ou d’une école publique et donne lieu à la délivrance d’un certificat, sur lequel sont inscrits le nom de la personne parrainée, les contacts du parrain ou de la marraine, et éventuellement celui d’un·e avocat·e. Ce document permet :

  • Attester du lien qui unit les personnes entre elles ;
  • Matérialiser l’ancrage territorial de la personne parrainée ;
  • Peut apporter une protection devant les autorités et forces de l’ordre, bien que cela dépende de leur entière discrétion.

Dès son origine, le parrainage républicain est une cérémonie officielle mais n’a aucune valeur juridique. Le certificat de parrainage n’a pas non plus de valeur légale (…) Enfin, le parrainage n’a pas d’influence directe sur l’obtention d’un titre de séjour, mais peut être valorisé dans un dossier de demande de titre de séjour comme preuve d’intégration locale de la personne »26.

Ce parrainage reconstitue, sans l’expliciter, une « naissance » à la République, concept plus abstrait et donc plus universel que la Nation à l’identité déterminée.  Cela rejoint cette idée évoquée précédemment de citoyenneté post-nationale dont les failles ont été présentées par Dominique Schnapper.

3.2 Les excroissances internationales des réseaux d’élus

Cette citoyenneté post-nationale constitue le ferment de nombreux réseaux de collectivités au niveau européen et mondial.

Au niveau européen, on constate deux types de réseaux. D’une part, les structures préexistantes qui ont progressivement inscrit la problématique de l’accueil inconditionnel des migrants dans leur programme d’action et de plaidoyer. On peut évoquer Eurocities, réseau généraliste de villes « solidaires », qui a amorcé le programme Solidarity cities27, lancé en 2015 ayant vocation à réunir les villes européennes souhaitant exercer un lobbying efficace sur les instances communautaires afin de favoriser l’instauration d’une approche coordonnée des questions migratoires. Ce réseau facilite aussi les échanges d’informations sur la situation des réfugiés dans chacune des villes. D’autre part, les initiatives ad hoc créées pour répondre exclusivement aux enjeux d’accueil, tel l’International Alliance of Safe Harbours28.

On assiste dans le cadre de ces initiatives à une double-dynamique. Soit c’est la société civile qui encourage les initiatives des élus, à l’instar du mouvement Seebrücke, fondé à l’été 2018 par des militants de la société civile, à l’origine de l’association allemande « Städte Sicherer Häfen »29, équivalente de l’ANVITA. Soit les élus s’auto-saisissent (cf. précédemment) et structurent des réseaux dits « contestataires ».

Au niveau mondial, les réseaux de « villes-monde » soucieuses de se doter d’un agenda international conforme aux principes de libre circulation des individus et des marchandises, se mobilisent elles-mêmes sur une variété de sujets, dont celui de l’accueil inconditionnel : on peut citer entre autres le Parlement Global des Maires (GPM) et Métropolis. Les réseaux préexistants sont par ailleurs mobilisés, tel Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU), conseil représentatif des collectivités locales à l’ONU. Réseau généraliste, il assure le pilotage d’un groupe de travail sur les questions migratoires et structure l’Observatoire des villes inclusives (Ovi)30.

Entre plaidoyer, lobbying, financement de projets ou encore initiatives de « droit souple » l’activisme de ces réseaux ne connaît donc que peu de limites.

*****

Cette étude a voulu mettre en lumière la situation paradoxale des élus face au fait migratoire.

En effet, les collectivités locales sont de facto depuis l’Acte I de décentralisation les acteurs les plus pertinents pour faciliter l’intégration des migrants : les communes, par exemple, ont compétence pour les structures d’accueil de la petite enfance, pour la création et l’entretien des écoles maternelles et primaires, pour la restauration scolaire, pour l’organisation d’activités périscolaires, pour gérer les contingents préfectoraux de logements sociaux, etc. Pourtant, quelle que soit la ligne idéologique défendue par l’élu, ce dernier s’estime toujours lésé dans l’exercice des compétences, et davantage contraint, à rebours des promesses de 1982.

Ainsi, les élus favorables à l’accueil inconditionnel reprochent à l’État son « monopole » de la gestion migratoire, alors qu’ils se considèrent comme les acteurs opérationnels des politiques d’intégration. Les élus défavorables à l’accueil, pour leur part, renvoient l’État à ses responsabilités régaliennes et déplorent les opérations d’implantation forcée qui nient le principe de libre administration des collectivités locales.

La vision néolibérale de l’immigration comme « moteur pour l’entreprenariat local » a largement infusé dans la doctrine d’État et des grandes agglomérations férues du concept de « régénération urbaine », selon le chercheur Thomas Lacroix31. Elle commence à irriguer les réflexions d’élus ruraux ou périurbains. Cette régénération caractérise initialement un renouvellement démographique de quartiers dits « gentrifiés » concentrant artistes, jeunes entrepreneurs ou encore migrants, publics jugés plus adaptés pour le développement économique. Elle a pour corollaire dans les zones rurales le principe évanescent de « redynamisation » des campagnes, en d’autres termes de remplacement profond des populations déjà parties.

Cette application de théories urbaines aux zones périphériques relève d’une incompréhension notoire de la réalité ou d’un cynisme profond. L’argument de redynamisation des campagnes ne peut séduire que ceux qui adhèrent à la doctrine de l’accueil inconditionnel. Il serait intéressant de dresser un bilan exhaustif des politiques de relocalisation des migrants en zone rurale, qui laisserait perplexe tout observateur avisé. Ces implantations, souvent forcées, peuvent constituer une nouvelle contrainte matérielle et financière pour des collectivités déjà en souffrance et être totalement inopérantes dans des zones à faibles perspectives d’emploi. Ajouter de la misère à la misère n’est guère productif.

Pour nombre d’élus de la périphérie, abandonnés par l’État et perdant au jeu de la mondialisation, les élites des métropoles, ayant « d’ores et déjà fait une croix sur des pans entiers de l’archipel [la France], possessions peu attractives et peuplées par une population aux mœurs et au mode de vie d’un autre temps »32, doivent assumer leur sécession avec le reste du pays et affronter eux-mêmes les conséquences de l’accueil inconditionnel des migrants.

  1. https://sosmediterranee.fr/collectivites-territoriales-solidaires/ ↩︎
  2. https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/societe/sos-mediterranee-ces-collectivites-qui-subventionnent-limmigration-massive ↩︎
  3. https://blog.landot-avocats.net/2023/03/29/collectivites-territoriales-et-subventionnement-des-associations-daide-aux-migrants-en-mer-suite-et-pas-fin/ ↩︎
  4. Rapport d’activité 2021 de la CIMADE ↩︎
  5. Rapport d’activité 2022 de Forum Réfugiés ↩︎
  6. https://www.lepoint.fr/monde/riace-village-modele-d-integration-devenu-embleme-de-l-extreme-droite-en-italie-07-06-2019-2317557_24.php ↩︎
  7. La Vérité sur le droit d’asile, Thomas Fontana, 2023 ↩︎
  8. https://www.sudouest.fr/pyrenees-atlantiques/bayonne/pays-basque-inigo-urkullu-et-jean-rene-etchegaray-appellent-a-securiser-le-passage-des-migrants-en-transit-7167519.php
    ↩︎
  9. https://www.lefigaro.fr/vox/societe/repartir-les-immigres-en-zone-rurale-ne-ferait-que-renforcer-les-difficultes-de-nos-campagnes-20220920 ↩︎
  10. https://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/02/06/31001-20150206ARTFIG00115-ne-pas-separer-la-politique-de-la-ville-de-la-politique-d-immigration.php ↩︎
  11. L’évaluation de l’attractivité des quartiers prioritaires, rapport de la Cour des Comptes, décembre 2020 ↩︎
  12. https://www.lefigaro.fr/vox/societe/pour-tenter-de-maintenir-le-calme-dans-les-cites-perdues-de-la-republique-l-etat-sort-le-carnet-de-cheques-20210615 ↩︎
  13. https://www.ladepeche.fr/2023/05/31/le-centre-pour-migrants-de-saint-lys-ouvre-en-juin-letat-nous-meprise-sindigne-le-maire-11231143.php ↩︎
  14. Rapport pour la Cimade, Des communes d’accueil pour les personnes migrantes : expériences de collaboration entre mairie et collectif citoyen en Normandie et en Bretagne, Camille Gourdeau, 2019 ↩︎
  15. https://www.lamontagne.fr/pessat-villeneuve-63200/actualites/en-cinq-ans-pessat-villeneuve-puy-de-dome-a-accueilli-519-migrants-et-refugies-une-chance-et-une-richesse-pour-le-territoire_13869551/ ↩︎
  16. Mineurs non accompagnés – les structures de l’ASE sont saturées. L’État doit agir !, Communiqué de presse de Départements de France, 11 mai 2023 ↩︎
  17. https://www.vie-publique.fr/eclairage/286639-mineurs-etrangers-isole-un-dispositif-de-prise-en-charge-sature ↩︎
  18. Mineurs non accompagnés, jeunes en errance : 40 propositions pour une politique nationale, rapport d’information sénatorial, 29 septembre 2021 ↩︎
  19. La Vérité sur le droit d’asile, Thomas Fontana, 2023 ↩︎
  20. https://www.laprovence.com/article/region/178072552065616/migrants-a-la-frontiere-dans-les-hautes-alpes-l-etau-se-resserre-sur-les-associations-qui-viennent-en-aide ↩︎
  21. https://www.lepopulaire.fr/beyssenac-19230/actualites/polemique-autour-du-cada-la-mairie-de-beyssenac-en-correze-a-t-elle-abuse-de-son-droit-de-preemption_14299268/ ↩︎
  22. https://www.lejournaldici.com/actualite/a-la-une/abandon-du-projet-de-centre-daccueil-pour-migrants ↩︎
  23. L’institution départementale à l’heure métropolitaine : quelles perspectives, Arnaud Duranthon, 2018 ↩︎
  24. https://www.anvita.fr/ ↩︎
  25. Nationalité et citoyenneté, Pouvoirs, Dominique Schnapper, 2017 ↩︎
  26. https://www.anvita.fr/assets/MlbcResource/2022-03-Guide-PR-ANVITA2.pdf ↩︎
  27. https://www.vuesdeurope.eu/news/des-reseaux-de-villes-solidaires-pour-favoriser-un-meilleur-accueil-des-refugies-en-europe/ ↩︎
  28. https://moving-cities.eu/fr/reseaux/international-alliance-of-safe-harbours-3 ↩︎
  29. https://www.seebruecke.org/ ↩︎
  30. https://www.icmigrations.cnrs.fr/2020/02/24/defacto-016-04/ ↩︎
  31. Réseaux des villes hospitalières : un panorama global, Thomas Lacroix, 2020 ↩︎
  32. L’Archipel français, Jérôme Fourquet, 2019 ↩︎

Le modèle Suisse : un exemple d’immigration choisie

À l’approche des élections fédérales, qui doivent se tenir le 22 octobre 2023, le thème de l’immigration n’apparaît qu’en 3e position des enjeux politiques les plus importants aux yeux des Suisses, avec un score de 29% selon le dernier baromètre électoral de l’institut Sotomo1, contre 38% pour le coût de la santé et 40% pour le changement climatique. Pourtant, à la différence de ses voisins français et allemand, le sujet de la politique migratoire est, au même titre que les autres thèmes issus de ce sondage, entièrement intégré au débat public en Suisse. Les formes d’expression directes et indirectes de participation aux décisions démocratiques par les citoyens, qui constituent une des spécificités du système politique suisse, ont permis de faciliter l’appropriation de ce sujet par les décideurs politiques. Ainsi, pas moins de 18 initiatives populaires fédérales visant à restreindre l’immigration ou la surpopulation ont permis de forger l’opinion et de légitimer la politique migratoire suisse depuis les années 19602.
L’initiative populaire « Contre l’immigration de masse » proposée par l’Union Démocratique du Centre (UDC)3 et adoptée le 9 février 2014 par 50.3% du peuple et la majorité des cantons avait ainsi rencontré un écho particulièrement important en dehors de la confédération. Celle-ci proposait notamment de fixer des quotas pour le nombre de permis de travail délivrés aux étrangers, de donner la priorité aux citoyens suisses lorsqu’il s’agit de pourvoir des postes vacants ou encore d’éloigner automatiquement les criminels étrangers.
Une autre spécificité de la politique migratoire suisse se trouve au niveau de ses procédures de mises en œuvre. En raison de la structure fédérale des institutions, les cantons et les communes participent activement à la politique migratoire, notamment en ce qui concerne les procédures de naturalisation et les titres de séjour. À titre d’exemple, la croissance démographique entre 2011 et 2017 varie de 2% à 12% selon les cantons, la proportion de personnes issues de l’immigration de 13% à 63% et celle des étrangers de 11% à 40%.4 Ainsi, bien que le domaine de la politique migratoire soit du ressort de la Confédération, les cantons et les communes disposent d’une marge d’autonomie dans la mise en œuvre de la politique fédérale – à l’exception des procédures d’asile et des permis S de la compétence exclusive de la Confédération.

Pour autant, les résultats de la politique migratoire en Suisse apparaissent contrastés au regard de ses ambitions : 2,2 millions d’étrangers y sont résidents permanents, soit 24,7% de la population en Suisse. Ces personnes disposent en outre de niveaux d’intégration économique en-deçà de la moyenne des nationaux. Afin de déterminer s’il existe une originalité dans la conduite de la politique migratoire suisse, la présente note propose d’examiner comment, malgré une forte immigration, ce pays peut être considéré comme un exemple d’immigration choisie (I), avant d’expliciter les raisons de cet état de fait par les procédures actuellement en vigueur en matière de titres de séjour et de naturalisation (II). Les perspectives de ce modèle seront abordées dans une dernière partie (III).

1.1 Si la politique migratoire suisse s’est historiquement construite selon les mêmes modalités que ses voisins, son système institutionnel a favorisé un encadrement plus strict de l’accueil, selon les volontés exprimées par la population

Une politique d’ouverture progressive à l’immigration de peuplement à partir des années 1960, à l’image de ses voisins européens

Au XIXe siècle, la Suisse est un pays faiblement marqué par l’immigration : son solde migratoire reste négatif jusqu’aux années 18905 et les étrangers ne comptent que pour 2,5% de la population en 18376. C’est dans le sillage de l’industrialisation du pays, et surtout des deux guerres mondiales, que de premières règles au niveau fédéral sont établies en matière d’immigration. Ainsi, la politique d’immigration, qui relevait jusqu’en 1925 principalement des cantons fut centralisée au niveau fédéral7, et la loi du 26 mars 1931 sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE) fut votée.

Cette loi, embryon d’une politique d’immigration choisie, qui restera en vigueur jusqu’en 2008, va marquer la politique migratoire suisse en distinguant deux catégories d’étrangers : les « résidents » et les « établis »8. Le permis de séjour pour résidents concernait les personnes qui entraient en Suisse et se voyaient proposer un emploi. Ce dernier était en général valable un an et devait être renouvelé chaque année. Cela permettait aux autorités d’autoriser l’entrée de travailleurs lorsque l’économie avait besoin de forces productives et inversement de les renvoyer dès lors que les conditions l’exigeaient. Le permis d’établissement, quant à lui, ouvrait droit à un séjour illimité et permettait notamment une affiliation à l’assurance-chômage. Toutefois, même pour les titulaires de ce titre de séjour, l’éloignement était possible si la personne commettait un crime ou était dans l’incapacité de subvenir à ses besoins. Il est à noter que tout étranger entrant pour la première fois en Suisse ne pouvait demander qu’un permis de séjour résident et que, même après être resté longtemps en Suisse, celui-ci ne conférait aucun droit à l’obtention d’un permis d’établissement. Enfin, la Confédération pouvait accorder l’asile pour des réfugiés politiques, mais n’y était pas obligée.

Une autre distinction marquante est présente dans ce texte cadre qui fixe la gestion de l’admission des étrangers selon deux critères contradictoires : « Tenir compte des intérêts moraux et économiques du pays, ainsi que du degré de surpopulation étrangère »9. Dans son message concernant la réglementation du séjour et de l’établissement des étrangers par le droit fédéral – qui préfigure la fédéralisation de la politique migratoire – le Conseil fédéral note que « du point de vue de la lutte [contre la surpopulation étrangère], il n’y aura rien à objecter à l’afflux d’étrangers, mais à la condition seulement que ceux-ci ne songent pas à s’établir. »10 La politique conduite au niveau fédéral est ainsi mise en tension entre une pression constante venant d’une part des milieux économiques soucieux d’obtenir une main d’œuvre abondante et bon marché et d’autre part d’une population dont le mécontentement à l’égard des résultats migratoires peut trouver un mode d’expression directe dans le système politique suisse. C’est sur le fondement de ces oppositions, entre résidents et établis, entre besoins des milieux économiques et volonté de contenir un risque de surpopulation étrangère, encore présentes aujourd’hui, que la politique migratoire suisse va être confrontée, à l’image de celle de ses voisins européens, à un besoin grandissant de main d’œuvre au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. Si un premier statut des travailleurs saisonniers est introduit dès 1934, ses effets se déploient véritablement au sortir de la guerre, concomitamment avec l’établissement des premiers accords bilatéraux de recrutement. À l’image de son voisin Allemand, la Suisse opte, non pas pour une politique d’intégration vis-à-vis des travailleurs étrangers, mais pour un système de rotation : Le statut des travailleurs saisonniers prévoit ainsi une présence en fonction des besoins économiques à travers la mise en place de quotas de personnes pouvant venir travailler pour une durée de 11 mois, après quoi ils devaient repartir11. Un premier accord bilatéral voit le jour avec la jeune république italienne en 1948, renouvelé en 1964, un deuxième avec l’Espagne en 196112, marquant le début d’une période d’immigration plus importante, en fournissant un cadre en matière d’assurance sociale et de caisse de pension13. Le système de rotation, qui perdurera jusqu’à la fin des années 1960, permet aux autorités fédérales, en lien avec les polices des étrangers (organisées au niveau cantonal) et l’Office fédéral de l’industrie, des arts et métiers du travail (OFIAMT), d’adapter l’immigration aux besoins de l’économie, tout en tenant compte de l’état du marché du travail et du degré de surpopulation étrangère14. Ainsi, le niveau de main d’œuvre étrangère peut rapidement être revu à la baisse – comme ce fut le cas pour les années 1948-1949, 1958 et après 197415. Différentes catégories de titres de séjour existent à cette période :

LivretDescriptionDurée de validité
Livret AÀ destination des saisonniers, sans possibilité de regroupement familialMaximum 9 mois
Livret BPermis de séjour annuel qui pouvait se transformer en permis d’établissement après un certain nombre d’années de présence (selon les accords avec le pays d’origine)1 an renouvelable
Livret CPermis d’établissement permettant aux étrangers d’être assimilés aux mêmes conditions d’embauche sur le marché du travail que les citoyens suissesDurée indéterminée

Afin de permettre un pilotage efficace et flexible de sa politique migratoire, les autorités fédérales restreignent particulièrement l’obtention de livrets C et découragent l’établissement durable des titulaires de livrets B, par exemple en n’autorisant le regroupement familial que tardivement16 et dans le cadre de conditions strictes17. Enfin, la mobilité géographique et professionnelle est particulièrement limitée : sauf autorisation, il n’est pas autorisé de changer d’employeur, de profession, de devenir indépendant ou de se rendre dans un autre canton18. En conséquence de cette politique, au début des années 1960, la grande majorité des travailleurs étrangers réside en Suisse depuis moins de 4 ans19, ce qui établit une hiérarchie claire entre les livrets A, B et C.

Cependant, malgré le succès de la mise en œuvre de la politique de rotation, le milieu des années 1960 marque un tournant vers une politique davantage tournée vers l’intégration et l’assimilation. En effet, la concurrence des pays voisins de la Suisse, particulièrement à partir de 1964 et l’établissement de la communauté économique européenne, qui garantit la libre circulation des travailleurs des États membres, réduit progressivement l’attractivité de la Suisse comme pays de destination. De même, la considération portée à l’immigration de travail évolue, d’un appui conjoncturel en main d’œuvre vers un besoin structurel de personnes durablement établies. Ce changement se manifeste à travers l’assouplissement des règles du regroupement familial pour les titulaires d’un livret B. Ainsi, la politique migratoire suisse s’aligne progressivement sur des modèles d’intégration et d’assimilation, même si ses fondements juridiques restent basés sur une immigration de travail pilotée selon les besoins économiques et les risques politiques.

Une appropriation progressive du sujet de la politique migratoire par la population a forcé les décideurs politiques à restreindre la politique migratoire à partir des années 1980

L’alignement de la politique migratoire suisse sur les modèles voisins plus généreux met en évidence une autre originalité du modèle helvétique : l’appropriation du sujet migratoire par le peuple. Entre 1965 et 1988, pas moins de 8 initiatives portant sur l‘immigration seront portées dans le débat public, dont 5 feront l’objet d’une votation populaire20 :

  • L’initiative populaire fédérale « Contre l’emprise étrangère » (Initiative Schwar- zenbach, 1970) : 46% Oui, 54% Non
    • L’initiative populaire fédérale contre l’emprise étrangère et le surpeuplement de la Suisse (1974) : 34,2% Oui, 65,8% Non
    • La 4e initiative populaire fédérale contre l’emprise étrangère (1977) : 29,5% Oui, 70,5% Non
    • L’initiative populaire fédérale « Contre le bradage du sol national » : 48,9% Oui, 51,1% Non
  • L’initiative populaire fédérale « Pour la limitation de l’immigration » : 32,7% Oui, 67,3% Non

Malgré les rejets successifs par le peuple de l’ensemble de ces initiatives, elles ont des effets durables sur la politique migratoire jusque dans les années 1990. L’initiative « Schwarzenbach » de 1970, dont l’adoption aurait notamment conduit à l’expulsion de 200 000 travailleurs étrangers disposant d’un permis de séjour, a suscité un débat passionné dans une configuration désormais commune où la grande majorité des partis et des associations économiques s’opposaient au texte. Marqué par une participation supérieure à la moyenne (74%) et un résultat plus serré qu’attendu21, l’initiative a été qualifiée de « coup de semonce, moment unique de méfiance, tournant décisif » par le directeur de l’Office fédéral de l’industrie et des arts et métiers de l’époque22.

Ce « coup de semonce » marque un nouveau tournant dans la politique d’immigration suisse à travers l’adoption, par l’Ordonnance limitant le nombre d’étrangers (OLE) du Conseil fédéral du 16 mars 1970, d’une politique de stabilisation reposant sur des quotas d’admission annuels (plafonnement global)23. L’ambition portée par cette nouvelle politique consiste à veiller à ce que le pourcentage d’étrangers vivant en Suisse reste stable, à travers une intervention plus forte de l’État dans la gestion de l’immigration : création d’instruments de contrôles statistiques afin de mesurer la diminution du nombre d’étrangers durant l’année écoulée, répartition administrative de l’offre de main d’œuvre (qui est en-deçà de la demande économique).

La politique des quotas du Conseil fédéral suit les 3 phases d’élaboration suivantes :

  1. L’administration fédérale prépare un projet d’ordonnance qui définit le nombre de travailleurs étrangers nécessaires pour l’année à venir ;
  2. Une procédure de consultation est conduite, permettant aux cantons, partis politiques, partenaires sociaux et organisations patronales de prendre position sur le projet d’ordonnance ;

Le projet d’ordonnance fait l’objet d’un remaniement et est présenté par le Con- seil fédéral en octobre, avant d’entrer en vigueur en novembre.

Une fois l’ordonnance adoptée, l’OFIAMT accorde directement un contingent d’autorisations à des entreprises et des cantons ayant adressé des demandes à la Confédération. Un deuxième contingent est réparti entre les cantons, qui le distribuent à leur tour entre les entreprises, voire transmettent la compétence aux communes. Ainsi, le pilotage de la politique migratoire s’opère selon une logique néo- corporatiste en définissant les quotas annuels par des négociations avec les administrations cantonales, les entreprises et les partenaires sociaux. Ces principes restent inchangés de 1970 jusqu’au milieu des années 1990, où un modèle à trois cercles est proposé dans la perspective d’un rapprochement progressif avec l’Union européenne. Celui-ci prévoit de distinguer, dans le cadre de l’immigration de travail :

  • Les ressortissants de l’UE/AELE qui disposeraient d’un accès privilégié au marché du travail (premier cercle) ;
    • Les ressortissants des Etats-Unis, du Canada ainsi que des pays d’Europe centrale et orientale pour lesquels l’accès au marché du travail serait davantage restreint (deuxième cercle) ;
    • Les ressortissants d’autres États pour lesquels l’immigration de travail serait per- mise uniquement aux travailleurs hautement qualifiés (troisième cercle).

Le modèle des trois cercles réglemente ainsi l’admission des travailleurs migrants sur la base de leur pays d’origine et de leur « proximité culturelle » supposée. Les ressortissants étrangers « proches de la culture » sont, en effet, décrits comme plus aptes à s’adapter à la culture suisse que les étrangers « éloignés de la culture », dont la probabilité d’assimilation est jugée faible. Si cette politique permet de se conformer aux différents critères de la politique communautaire en matière libre circulation des travailleurs, l’échec en 1992 de la proposition d’adhésion de la Suisse à l’Espace Economique Européen, ainsi que la critique formulée contre des principes migratoires vus comme explicitement ethnoculturels font abandonner ce modèle en 1998.

À partir de cette date et jusqu’à aujourd’hui, un système d’admission dual est mis en place, poursuivant une immigration qui privilégie les ressortissants en provenance des pays de l’UE et de l’AELE et la limitant pour les ressortissants en provenance des pays tiers à des travailleurs hautement qualifiés.

Cette situation médiane reflète par ailleurs l’état du débat public actuel sur la politique migratoire en Suisse. Au niveau des partis politiques, si l’UDC et le PS (représentant respectivement 25,5% et 17% des voix aux dernières élections fédérales de 2019) s’opposent frontalement concernant l’attitude à adopter sur le sujet, les partis du centre (PLR et le Centre) adoptent une attitude plus nuancée comme en attestent les positions officielles des partis suisses sur les questions suivantes24 :

 La   Suisse    est-elle trop généreuse à l’égard des deman- deurs d’asile ?Les étrangers nés en Suisse                  devraient-ils automatiquement être naturalisés ?Les étrangers vivant en Suisse devraient-ils obte- nir le droit de vote et de participations aux vota- tions ?
UDCOuiNonNon
PSNonOuiOui
PLRPlutôt ouiNonPlutôt non
Les VertsNonOuiOui
Vert’libérauxNonPlutôt ouiOui
Le CentrePlutôt nonPlutôt nonNon

Cette réalité est également marquée au parlement, où les élus de l’UDC, du PS et Les Verts manifestent une unicité constance dans leurs votes particulièrement remarquables en matière d’immigration :

Note de lecture : Valeur = moyenne du parti | 100% = politique de migration restrictive | Ligne horizontale = gamme de valeurs au sein du parti25.

Toutefois, si les élus semblent adopter des positions relativement homogènes sur ce sujet, les bases électorales qui les soutiennent ont des opinions plus tranchées en la matière. Ainsi, il apparaît que 41% des sympathisants du PS et 37% des sympathisants des Verts sont favorables à une limitation de l’immigration. Il est d’ailleurs à noter que selon le même sondage, les étrangers résidant en Suisse interrogés se prononcent également à 51% en faveur d’une limitation de l’immigration.

La Suisse doit-elle davantage limiter l’immigration ?26

 TotalPLRLe CentrePSUDCLes VertsVert’libéraux
Oui36363316771519
Plutôt oui26373825162232
Plutôt non1816172832828
Non13662422815
NSP7567276

1.2 Aujourd’hui, la Suisse se distingue paradoxalement par un niveau d’étrangers sur son sol particulièrement élevé, dont l’origine est sensiblement différente de ses voisins

Statistiques sur le nombre d’étrangers en Suisse et les personnes avec une origine étrangère

En 2021, la Suisse compte une population totale de 8,7 millions d’habitants, parmi lesquels 2,2 millions d’étrangers résidents permanents27, ce qui correspond avec à une proportion d’étrangers particulièrement importante (24,7%). La population étrangère a cru de façon massive au cours de la décennie 2010-2019, avec une augmentation moyenne annuelle de 44 945 et ce malgré une relative baisse constatée à partir de 201728. Ce niveau d’accroissement n’a été dépassé que pour la décennie 1960-1969, qui avait connu un accroissement annuel moyen de 51 185 étrangers résidants permanents.

Dans le détail, les étrangers résidant en Suisse proviennent très majoritairement d’Europe (83%), puis d’Asie (8%) et enfin d’Afrique (5%) et d’Amérique latine (3%). Cette répartition connaît une évolution significative depuis 1980, année pendant laquelle la part d’Européens représentait 94% de la population étrangère, tandis que l’Afrique et l’Amérique latine ne constituaient qu’1% et l’Asie 2% de la population résidante. Aujourd’hui, pour l’Europe, les groupes les plus importants se situent dans l’Union européenne29 (64% du total) – parmi lesquels les citoyens italiens, allemands et portugais sont les plus représentés. Le cinquième groupe le plus important présent en Suisse, après les Français, et première nationalité hors Union européenne présente en Suisse est constitué par les citoyens du Kosovo, dont le nombre s’élevait en 2021 à 114 755 personnes, à la suite d’une augmentation importante pendant la décennie 2010-2019 (+48%).

Bien entendu, la population étrangère présente en Suisse ne révèle qu’imparfaitement la réalité migratoire suisse. Elle ne permet en effet pas de tenir compte de la population d’origine étrangère ayant fait l’objet d’une naturalisation, qui est comptabilisée dans les statistiques relatives au statut migratoire de la population résidante en Suisse30. En 2021, la population résidante permanente de 15 ans ou plus se compose à 39% de personnes issues de l’immigration (2 890 000 individus)31. Plus d’un tiers de cette population (1 090 000 personnes) a la nationalité suisse. Près des quatre cinquièmes des personnes issues de l’immigration font partie de la 1re génération (2 276 000), le cinquième restant étant né en Suisse et appartenant donc à la 2e génération (615 000). Dans la population non-issue de l’immigration, on trouve principalement des suisses à la naissance (99,4%), mais également quelques personnes naturalisées (0,5%) et les étrangers de 3e génération ou plus (0,1%).

Enfin, concernant la raison principale ayant conduit les personnes à migrer en Suisse, en 2017 les raisons familiales arrivent en première position (43,3%) devant les raisons professionnelles (32,3%), l’asile (6,1%) et les études (5,1%). Dans le détail, les ressortissants de l’Union européenne et de l’AELE viennent principalement pour des raisons professionnelles (46,8%), tandis que les ressortissants d’autres pays d’Europe et des autres pays du monde viennent principalement pour des motifs familiaux (respectivement 57,6% et 53,3%)32.

Une population issue de l’immigration caractérisée par un niveau d’intégration économique plus faible que celle de la population non- issue de l’immigration

Après avoir établi que les ordres de grandeur de la population issue de l’immigration représente une proportion particulièrement importante de la population totale, il convient d’analyser les performances différenciées qui caractérisent cette population en matière d’intégration – au marché de l’emploi, en matière de formation et dans le domaine des conditions économiques et matérielles d’existence et de la participation à la vie sociale – c’est-à-dire, la qualité de l’immigration en Suisse. Les données de l’Office fédéral de la statistique sont à cet égard particulièrement éloquentes. Concernant le marché de l’emploi, la population issue de l’immigration présente un taux de chômage plus de deux fois supérieur à celui de la population qui n’en est pas issue33 (8,1% pour la population issue de l’immigration contre 2,9% pour la population non-issue de l’immigration). Il convient toutefois de noter que parmi la population issue de l’immigration, celle disposant de la nationalité suisse enregistre un taux de chômage de 6,5%, sensiblement similaire à celui des ressortissants de l’Union européenne ou de l’AELE (6,8%), tandis que le taux de chômage augmente massivement pour les ressortissants des autres pays d’Europe (13,4%) ainsi que les autres pays du monde (14,6%)34.

Cette réalité, à savoir que parmi la population issue de l’immigration, les ressortissants de l’Union européenne ou de l’AELE rencontrent des niveaux d’intégration proches voir similaires à la population non-issue de l’immigration, tandis que les ressortissants d’autres pays s’en éloignent de manière significative, se reflète également dans les domaines de la formation, des conditions économiques et matérielles et de la participation à la vie sociale35. En matière de formation, la population issue de l’immigration est surreprésentée parmi les personnes ne disposant que de la formation à l’école obligatoire (27,4% contre 12,9% pour la population non-issue de l’immigration). Ce taux n’atteint que 21,5 % pour les personnes de nationalité suisse et 25,5% pour les ressortissants de l’UE et de l’AELE, tandis qu’il explose pour les ressortissants d’autres pays d’Europe (45%) et les autres pays du monde (39%)36. De même, les jeunes hors du système de formation sont près de 3 fois plus important pour la population issue de l’immigration37.

En matière de conditions économiques et matérielles, le taux de pauvreté des personnes actives occupées38 est 2 fois supérieur pour les populations issues de l’immigration (à noter que cela n’est pas vrai pour les immigrés ayant acquis la nationalité suisse). Concernant le taux d’aide sociale39, il est particulièrement parlant puisqu’on y observe une nette différence en fonction de la nationalité : parmi les personnes nées en Suisse, le taux d’aide sociale passe de 1,9% pour les citoyens suisses à 4% pour les ressortissants de l’UE et de l’AELE et à 7% pour les ressortissants d’autres pays européens, et atteint 31,3% pour les ressortissants des autres pays du monde.

Enfin, lorsque l’on observe certains indicateurs propres à caractériser la participation à la vie sociale, des différences notables peuvent également être constatées : la participation aux votations fédérales40 des suisses issus de l’immigration se situe 10 points en dessous de ceux qui n’en sont pas issus. En matière d’infractions au code pénal, les ressortissants étrangers, bien qu’ils ne représentent que 24,7% de la population, constituent la population majoritaire parmi les prévenus pour des infractions au code pénal41. Dans le détail en 2022, les étrangers ont commis 60,1 % des homicides, 55,3% des viols, 54,8% des lésions corporelles graves infligées, 63,2% des vols, 66,2% des vols par effraction, 64,3 % des vols à l’étalage, 91,4 % des vols à la tire, 61,2% des vols de véhicule.

2.1 La procédure de séjour et d’établissement des étrangers en Suisse

Le séjour et l’établissement des étrangers en Suisse sont encadrés par l’article 121 et 121a de la Constitution fédérale et loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI), dont le contenu est synthétisé ci-dessous. Ces normes règlent notamment les conditions d’entrée en Suisse dans le cadre d’une activité lucrative ou sans lucrative.

Comme le lecteur pourra le constater, les articles constitutionnels encadrant le droit au séjour et à l’établissement ont été fortement marqués par la votation populaire du 9 février 2014, qui place au plus haut niveau de la hiérarchie des normes plusieurs disposition visant à durcir les conditions d’admission au séjour et à l’établissement en Suisse et à faciliter l’expulsion d’étrangers. L’objectif de cette réforme consiste à revenir à une politique migratoire basée sur la planification au regard des besoins économiques et dans le respect du principe de préférence nationale, tout en renforçant les marges de manœuvre dont dispose la Confédération en matière d’expulsion des étrangers. Ainsi, si le droit au séjour peut être accordé dans le cadre d’une activité non lucrative, la politique migratoire vise principalement une immigration de travail à haute valeur ajoutée.


Plusieurs éléments viennent cependant limiter la mise en œuvre de ces dispositions :

  • La Suisse ayant déjà ratifié l’Accord sur la libre circulation des personnes41 et la Convention instituant l’Association Européenne de Libre-Échange42, la loi fédé- rale sur les étrangers et l’intégration, qui met en œuvre ces articles, ne peut s’appliquer qu’aux étrangers dans la mesure où leur statut juridique n’est pas réglé des traités internationaux conclus par la Suisse ;
  • Selon le principe de pacta sunct servanda, tout autre engagement international pris par la Suisse en matière migratoire précédant l’adoption de ces dispositions reste valable.

Ces limitations ont pour principal effet de créer une distinction dans la politique migratoire entre 2 catégories de population : les citoyens européens ou issus d’un État membre de l’AELE d’une part, les autres étrangers ne remplissant pas ces conditions et pour lesquels l’ensemble des contraintes légales de la LEI (loi fédérale sur les étrangers et l’intégration) s’appliquent.

Titres de séjour43 pour les ressortissants d’un État hors UE/AELE

Une seconde distinction de la LEI différencie un séjour pour une activité lucrative et un séjour sans activité lucrative assorti de conditions d’admission et de limitations à l’entrée différenciées :

Ainsi, en matière de titres de séjour, si les ressortissants de l’UE/AELE bénéficient d’un accès facilité au marché du travail, les ressortissants d’un État hors UE/AELE n’accèdent au marché de l’emploi que dans les limites fixées par la LEI : seuls les cadres, spécialistes et travailleurs qualifiés peuvent être admis pour travailler en Suisse et obtenir des autorisations de séjour de courte durée ou des autorisations de séjour, sous réserve que les marchés suisses et européens de l’emploi aient été explorés en vain. Lors du dépôt d’une demande d’autorisation de travail, l’employeur doit apporter la preuve :

  • Qu’il a annoncé le plus rapidement possible la vacance du poste à l’office can- tonal de l’emploi et que le service du placement n’a pas pu trouver un candidat dans un délai raisonnable ;
  • Qu’il a fait en temps opportun des recherches approfondies en Suisse et dans les pays de l’UE/AELE en vue de trouver un travailleur au profil requis ;
  • Que pour le poste en question, il ne peut former ou faire former dans un délai raisonnable un travailleur disponible sur le marché du travail suisse.

S’ajoutent à ces conditions qui relèvent de la préférence nationale, le fait que les conditions de travail et de salaire usuelles dans la branche doivent être respectées et qu’il s’agit d’un emploi à plein temps. Enfin, un dernier facteur vient limiter l’immigration de travail de ressortissants d’États hors UE/AELE : la disponibilité de contingents pour les autorisations de séjour.

La mise en place de contingents annuels est déterminée chaque année par la Confédération au sein de l’ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative, après avoir consulté les cantons et les partenaires sociaux. Celle-ci fixe un nombre maximum d’autorisations de séjour de courte et d’autorisation de séjour, réparti entre les cantons et la Confédération. L’objectif de cette répartition consiste :

  • Pour les cantons, à disposer d’une autonomie dans la délivrance des titres de séjour qui leurs ont été attribués après les avoir consultés pour prendre en compte leurs besoins et intérêts économiques ;
  • Pour la Confédération, à rééquilibrer les besoins de l’économie et du marché du travail des cantons.

À titre d’illustration, pour l’année 2023, le Conseil fédéral a arrêté un nombre maximum d’autorisations de séjour de courte durée à 4 000 et d’autorisations de séjour à 4 50044. Ces personnes représentent près de 9 % du total des arrivées au sein de la population résidante étrangère. La répartition entre la Confédération et les cantons se fait comme suit :

Il est à noter que la philosophie générale du texte s’inscrit parfaitement dans la tradition observée jusqu’ici, consistant à favoriser une immigration à haute valeur ajoutée tout en conservant une capacité à piloter de manière flexible l’entrée dans le pays.

Titres de séjour pour les ressortissants d’un État hors UE/AELE

A l’inverse, pour les citoyens de l’UE/AELE, un accès facilité au marché du travail est en place et les permis de séjour suivants s’appliquent :

Ainsi, les conditions de séjour et d’établissement en Suisse, marquées par une politique à deux vitesses qui distingue entre les ressortissants de l’UE/AELE d’une part, et les ressortissants d’autres États d’autre part, permettent dans une large mesure d’expliquer la présence comparativement plus marquée de ressortissants européens en Suisse. Les modalités pratiques des conditions de séjour et d’établissement pour les ressortissants hors UE/AELE sont par ailleurs particulièrement marquées par la marge de manœuvre des cantons dans les procédures. On observe une disparité des taux d’admission, qui s’explique par la pondération des critères d’admission dans les différentes procédures cantonales45. Trois critères apparaissent cependant systématiquement comme déterminants, quel que soit la pondération définie par le canton : l’indépendance financière, la compétence linguistique et un comportement conforme à la loi46.

2.2 Focus sur l’asile

Le grain de sable dans la politique migratoire d’asile suisse se situe certainement au niveau de l’asile. En effet, le domaine de l’asile apparaît de plus en plus comme une facilité de contournement pour l’obtention de titres de séjour, à rebours des règles posées par le système dual distinguant ressortissants UE/AELE et ressortissants d’autres États. La politique d’asile actuelle permet ainsi d’immigrer par la voie de l’asile, même sans motif d’asile. Avec 1,5 requérant d’asile pour 1 000 habitants, la Suisse se situe nettement au-dessus de la moyenne européenne d’1 requérant d’asile pour 1 000 habitants. Pour l’année 2023, l’État-major spécial Asile (SONAS) prévoit augmentation pouvant s’établir jusqu’à 40 000 nouvelles demandes47. Au surplus, la Suisse apparaît comme significativement plus généreuse que ses voisins européens concernant les décisions d’asile de première instance48 :

Quatre types d’autorisations de séjour régissent les personnes du domaine de l’asile : le livret N pour les requérants d’asile, le livret F pour les étrangers admis provisoirement, le livret S pour les personnes à protéger, enfin, le livret B d’autorisation de séjour pour les réfugiés reconnus (voir plus haut).

Le traitement des demandes d’asile est encadré par la loi sur l’asile (LAsi) qui établit les règles concernant la procédure d’octroi de l’asile et le statut des réfugiés. Conformément à l’article 121 de la Constitution fédérale, la législation sur l’octroi de l’asile relève de la Confédération et en particulier du SEM (Secrétariat d’État aux migrations), qui décide de l’octroi de l’asile ainsi que du renvoi d’un requérant de Suisse. Le Conseil fédéral désigne quant à lui les États d’origine et les États tiers sûrs49. Enfin, les autorités cantonales peuvent préparer les décisions sous la direction du SEM.

La procédure de l’asile se décompose des étapes suivantes : une phase préparatoire d’une durée de 21 jours (10 jours pour les procédures Dublin), puis l’instruction de la demande d’asile qui peut se faire selon une procédure accélérée (8 jours) ou étendue (2 mois). La distinction entre procédure accélérée ou étendue constitue une innovation issue de la restructuration du domaine de l’asile, acceptée par le peuple suisse en 2016 : à travers la procédure accélérée, il est possible de décider quels requérants d’asile resteront en Suisse durablement, avant de les assigner le plus rapidement possible à un canton, permettant ainsi une accélération de la procédure. En effet, l’exécution des renvois a été identifié très tôt comme un maillon faible de la procédure d’asile et la mise en place de centres fédéraux fermés où s’effectue le dépôt de la demande d’asile et le tri entre la procédure normale (pour les demandes apparaissant légitimes) et la procédure accélérée a permis une forte accélération du taux de traitement des demandes50.

Durant la phase préparatoire, le demandeur d’asile dépose une demande d’asile à un poste de contrôle d’un aéroport suisse, à un poste frontière ou dans un centre de la Confédération. Le SEM examine s’il est compétent pour mener la procédure d’asile ou si celle-ci relève d’une aux État partie des accords d’association à Dublin (procédure Dublin). Il recueille les données personnelles du demandeur, réalise une expertise sur son âge et vérifie les moyens de preuve et les motifs de l’asile. À l’issue de cet examen, le SEM attribue le requérant à un centre de la Confédération où il est hébergé le temps de la procédure51. Dans le cadre d’une procédure Dublin, le SEM réalise une demande de prise en charge adressée à l’État responsable de la demande d’asile.

Le SEM n’instruit pas les demandes d’asile si le requérant peut retourner dans un État tiers sûr dans lequel il a séjourné auparavant, dans un État tiers compétent pour mener la procédure d’asile, peut poursuivre son voyage vers un État tiers pour lequel il possède un visa ou peut être renvoyé dans son pays d’origine.

La procédure à proprement parler se décompose comme suit :

  1. Préparation de l’audition sur les motifs de l’asile
  2. Audition sur les motifs d’asile ou octroi du droit d’être entendu
  3. Autre avis éventuel du représentant juridique
  4. Triage : poursuite de la procédure accélérée ou passage à la procédure étendue
  5. Rédaction du projet de décision
  6. Avis du représentant juridique sur le projet de décision négative
  7. Rédaction finale de la décision
  8. Notification de la décision.

S’il ressort de l’audition qu’une décision ne peut être rendue dans le cadre d’une procédure accélérée, alors le requérant est attribué à un canton afin de poursuivre le traitement de la demande en procédure étendue.

L’asile est accordé aux personnes qui ont la qualité de réfugié, s’il n’y a pas de motif d’exclusion. Parmi les motifs d’exclusion, l’asile n’est pas accordé si le demande en est indigne en raison d’actes répréhensibles, a porté atteinte à la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse ou est sous le coup d’une expulsion suite à une infraction au code pénal. Par ailleurs, si le requérant est frappé d’une décision d’asile négative dans l’État Dublin compétent, il peut être renvoyé directement dans son pays d’origine

À la suite d’un rejet d’une demande d’asile, le SEM prononce une mesure d’éloignement et en ordonne l’exécution. La décision indique l’obligation de quitter la Suisse et l’espace Schengen, la date à laquelle l’intéressé doit avoir quitté le territoire ainsi que les moyens de contraintes applicables. Par ailleurs, le SEM révoque l’asile si l’étranger a obtenu l’asile en faisant de fausses déclarations ou en dissimulant des faits essentiels, s’il s’est rendu dans son État d’origine, s’il a porté atteinte à la sécurité intérieure ou extérieure de la Suisse ou a commis des actes délictueux. C’est aux cantons que revient l’exécution du renvoi. Le délai de renvoi se situe entre 0 et 7 jours pour les procédures Dublin, 7 jours pour une procédure accélérée et de 7 à 30 jours pour une procédure étendue.

Des recours sont possibles à l’issue de la décision sur l’octroi de l’asile selon les délais suivants :

  • 7 jours ouvrables pour la procédure accélérée et 20 jours pour le traitement du recours par le Tribunal administratif fédéral
  • 30 jours ouvrables pour la procédure étendue et 30 jours pour le traitement du recours par le Tribunal administratif fédéral

Durant le traitement du recours, le requérant est admis à titre provisoire (livret F). Ainsi, le traitement d’une demande d’asile prend au maximum 5 mois dans le cadre d’une procédure étendue comprenant un recours devant le Tribunal administratif fédéral.

L’admission provisoire est également prononcée lorsque l’exécution d’un renvoi est illicite (violation du droit international public), inexigible52 (mise en danger concrète de l’étranger) ou impossible (raisons techniques d’exécution). C’est principalement par le biais de ce statut que les étrangers déboutés parviennent à se maintenir sur le territoire suisse : elle constitue une mesure de substitution face à l’impossibilité du renvoi de requérant débouté. Fin novembre 2022, 44 806 personnes vivaient en Suisse avec une admission provisoire. Bien que les personnes admises à titre provisoire ont le droit d’exercer une activité lucrative dans toute la Suisse, en pratique seuls 48% travaillent et 82% dépendent des prestations d’assistance.

En 2022, 24 511 demandes d’asile ont été déposées en Suisse53, auxquelles il convient d’ajouter 71 000 statuts S délivrés à des ukrainiens dans le cadre du conflit en cours. Le SEM a traité 17 599 demandes d’asile en première instance ; 4 816 personnes ont obtenu l’asile, d’où un taux de reconnaissance (octroi de l’asile) de 30,6 %. 28,4% des personnes bénéficient d’une admission provisoire, c’est-à-dire qu’elles ont fait l’objet d’une décision de renvoi de Suisse mais que son exécution n’est pas possible. Le taux de protection (octroi de l’asile ou admission provisoire après une décision d’asile de première instance) a atteint 59 %. Concernant les départs, ils concernent 11 467 personnes en 2022, décomposé comme suit : 8 333 personnes ont quitté le territoire suisse de manière autonome ; 1 820 personnes ont été renvoyées dans leur État d’origine ou dans un État tiers et 1 314 dans un État Dublin. Ainsi, si près de deux tiers des demandes d’aile sont rejetées, le nombre conséquent d’admissions provisoires permet aux personnes de se maintenir sur le territoire suisse de manière quasi indéfinie, détournant l’objectif de la politique d’asile. Du fait de l’impossibilité d’exécuter les décisions de renvoi54, le nombre d’admission à titre provisoire a plus que doublé en 10 ans55. Ce statut apparaît comme particulièrement intéressant lorsqu’on le compare aux autres moyens d’immigrer en Suisse : il permet à la personne déboutée de l’asile d’exercer une activité lucrative, de percevoir les mêmes prestations d’aide sociale que les Suisses et d’obtenir, après 5 ans de présence en Suisse, une autorisation de séjour. La politique d’asile actuelle permet ainsi d’immigrer par la voie de l’asile, même sans motif d’asile.

Bien entendu, à côté de ces catégories d’immigrés encadrés par la loi, persiste une part importante d’étrangers en situation irrégulière, sans statut ni titre. En 2018, leur nombre était estimé à 76 000, avec une concentration importante dans les grandes villes du pays. Selon toute vraisemblance, ce chiffre peut être revu à la hausse du fait de la forte augmentation des interpellations de personnes en situations irrégulières, passée de 11 043 en 2020 à 52 077 en 2022.

2.3     La procédure de naturalisation

En matière de naturalisation, la Suisse dispose de deux types de procédures : une procédure de naturalisation ordinaire et une procédure de naturalisation facilitée qui peut s’appliquer aux étrangers de troisième génération, au conjoint d’un citoyen suisse et aux enfants apatrides. La loi sur la nationalité suisse, qui règle ces procédures a fait l’objet d’une révision en 2018 afin d’harmoniser les règles entre les cantons à travers des conditions minimales plus strictes qu’initialement prévues par certains cantons. Toutefois, les chiffres de la naturalisation apparaissent particulièrement conséquents rapportés à la taille de la population : 37 000 naturalisés en 2021, dont 30 200 par la procédure de naturalisation ordinaire et 6 700 par la procédure facilitée. Le nombre de naturalisations a connu une augmentation significative à partir des années 2000 : sur la période 2011-2021 elle se situe en moyenne à 38 158 naturalisations par an, soit 419 739 nouveaux citoyens suisses sur cette période.

Naturalisation ordinaire

La procédure de naturalisation ordinaire est encadrée par l’article 38 de la Constitution fédérale, la loi sur la nationalité suisse et l’ordonnance sur la nationalité suisse, dont le contenu est synthétisé ci-dessous. Ces normes règlent notamment la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons et fixent les conditions formelles et matérielles de la naturalisation :

La procédure de naturalisation ordinaire suit les étapes suivantes :

  • Publication d’un préavis relatif à l’octroi du droit de cité cantonal ou communal56 si elle est prévue dans le droit cantonal
  • Réalisation d’un rapport d’enquête par l’autorité cantonale, dont l’objet con- siste à vérifier les conditions formelles et matérielles du requérant, ce qui peut prendre une durée maximale de 12 mois. Le rapport contient notamment les éléments suivants : type d’autorisation relevant du droit des étrangers, durée du séjour en Suisse, respect de la sécurité et de l’ordre publics, respect des valeurs de la Constitution, compétences linguistiques, participation à la vie économique ou acquisition d’une formation, encouragement et soutien de l’intégration des membres de la famille, degré de familiarisation avec les conditions de vie en Suisse57
  • Délivrance de l’autorisation fédérale de naturalisation par le Secrétariat d’État aux Migrations (SEM), qui peut prendre une durée maximale de 8 mois.
  • La décision de naturalisation58 qui est rendue dans un délai d’un an par l’autorité cantonale à compter de l’octroi de l’autorisation fédérale. Il est à noter que la décision de naturalisation ne suit pas systématiquement l’autorisation fédérale de naturalisation : ainsi, si un canton a fixé dans son droit interne l’obligation de valider un préavis quant à l’octroi du droit de cité cantonal ou communal et qu’il s’avère, postérieurement à l’autorisation fédérale de naturalisation, que le requérant ne satisfait pas aux conditions de ce préavis, il refuse la naturalisation.

Il convient de noter, en matière de répartition des responsabilités entre la Confédération et les cantons, l’importance donnée au principe de subsidiarité : non seulement, les cantons sont responsables d’examiner les demandes et de mettre en œuvre la procédure, mais encore, ils disposent de la possibilité de partager leurs compétences avec les communes dans le cadre d’une demande de naturalisation et selon le droit cantonal. Ainsi, les critères de naturalisation qui sont formulés dans la loi sur la nationalité suisse ne font pas uniquement l’objet d’une appréciation administrative, prise par une autorité distante, mais matérialisent une approbation par le milieu réel dans lequel le demandeur effectue sa demande, tandis que la Confédération se borne à fixer des conditions minimales et à accorder l’autorisation de naturalisation en fin de procédure59. La naturalisation demeure largement une décision discrétionnaire. L’évaluation des « performances » individuelles d’intégration y offre une marge de manœuvre particulièrement grande. Pendant la période 2011-2017, 261 communes suisses, principalement rurales, n’ont ainsi naturalisé aucun étranger, et 124 communes n’ont naturalisé aucun étranger depuis 199260. Le fédéralisme d’exécution suisse, incarné par l’exécution conjointe des cantons et des communes de la procédure de naturalisation aboutit à une différentiation marquée entre des cantons aux pratiques « inclusives » facilitant la naturalisation et des pratiques restrictives marqués par des obstacles plus élevés, tel que des visites impromptues au domicile des candidats, en vue de s’assurer de la bonne tenue du ménage61.

Parmi les conditions minimales fixées par la Confédération, la durée de séjour en Suisse est à souligner, puisqu’elle inscrit la naturalisation dans un processus qui passe d’abord par l’octroi d’une d’autorisation d’établissement – qui contient elle-même ses critères propres en matière d’intégration – et nécessite une durée de présence minimale, non seulement en Suisse, mais dans le canton où a lieu la demande. Le calcul de la durée de séjour est d’ailleurs variable en fonction du type d’autorisation qui a permis au requérant de s’établir en Suisse : il est comptabilisé à partir de l’autorisation de séjour ou d’établissement et, dans le cas d’une admission provisoire, seule la moitié de la durée de séjour est prise en compte. De même, l’enfant né à l‘étranger de parents dont l‘un au moins est suisse perd la nationalité suisse à 25 ans s’il dispose d‘une autre nationalité, s’il ne se manifeste pas aux autorités suisses.

La loi sur la nationalité s’inscrit par ailleurs dans la tradition évoquée plus haut d’une acception à la fois identitaire et économique des critères d’intégration : peut devenir Suisse celui qui non seulement est parfaitement intégré aux conditions de vie en Suisse, mais encore, participe à la vie économique et ne fait pas peser sur la Confédération le coût de sa présence dans le pays. Concernant la familiarisation avec les conditions de vie en Suisse, les critères détaillés par l’ordonnance sur la nationalité suisse ne se limitent pas uniquement à des critères fonctionnels –    connaissances élémentaire des particularités géographiques, historiques, politiques et sociales de la Suisse62 – mais également des critères organiques tels que la participation à la vie sociale et culturelle de la population suisse et l’entretien de contacts avec des Suisses. Il en va de même pour le respect des valeurs de la Constitution pour laquelle, du fait de l’influence exercée au fil du temps par les votations populaires, des critères formels côtoient des conditions organiques. Ainsi, à la différence de ses voisins, le patriotisme constitutionnel63 suisse, du fait du lien direct qu’il entretient avec le peuple et les cantons, ne se borne pas en une liste de valeurs relatives à l’État de droit, aux droits fondamentaux ou à l’ordre démocratico-libéral, mais dessine les contours, par des éléments concrets, de ce qui marque la nation suisse : l’égalité entre les hommes et les femmes, la liberté de conscience et de croyance, la liberté d’opinion notamment. En matière de participation économique, le requérant doit disposer de revenus, d’une fortune ou de prestations de tiers lui permettent de couvrir le coût de sa vie ainsi que de sa famille. Si le requérant perçoit une aide sociale dans les 3 années précédant le dépôt de la demande ou durant la procédure de naturalisation, il ne remplit pas les exigences relatives à la participation à la vie économique, à moins de rembourser ladite aide.

Enfin, une naturalisation, une fois accordée, est toujours susceptible d’être annulée, au plus tard 8 ans après son octroi : le SEM peut en effet annuler la naturalisation obtenue à la suite de déclarations mensongères ou la dissimulation de faits essentiels. Il peut par ailleurs, avec l’assentiment de l’autorité du canton d’origine, retirer la nationalité suisse et le droit de cité cantonal et communal à un Suisse ayant plusieurs nationalités, si sa conduite porte gravement atteinte aux intérêts ou au renom de la Suisse.

Naturalisation facilitée

La procédure de naturalisation ordinaire est ouverte aux étrangers de troisième génération, au conjoint d’un citoyen suisse et aux enfants apatrides. Son contenu et la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons sont synthétisés ci-dessous.

Les principales différences dans la procédure de naturalisation facilitée résident dans le fait que c’est le SEM qui statue sur la décision de naturalisation, tandis que le canton occupe une fonction consultative et que les conditions formelles de naturalisation sont allégées. La durée de séjour en Suisse est ainsi réduite à 5 ans, voire ne constitue plus un critère déterminant dès lors qu’un lien étroit avec la Suisse est démontré par le requérant. En revanche, les conditions matérielles d’acquisition de la nationalité varient peu par rapport à la procédure ordinaire.

2.4 Compatibilité entre les procédures de titres de séjour, d’asile et de naturalisation avec et le droit international public

Les normes évoquées plus haut régissant les procédures du séjour, de l’asile et de la naturalisation peuvent amener à s’interroger sur le contrôle que peut y exercer le juge, face à des normes constitutionnelles et aux engagements internationaux pris par la Confédération (CEDH, AELE, Convention Schengen essentiellement).

Concernant le droit interne, les possibilités de contrôle du juge sont relativement restreintes. D’une part, les initiatives populaires fédérales modifient directement la norme suprême, puisqu’elles consistent en des modifications apportées à la Constitution fédérale. C’est notamment le cas pour les articles 38, 121 et 121a de la Constitution fédérale qui ont été totalement ou partiellement intégrés par la voie d’une initiative populaire. D’autre part, l’absence de contrôle de constitutionnalité des lois fédérales par le tribunal fédéral, c’est-à-dire des actes législatifs du Parlement fédéral soumis à référendum82, facilite leur mise en œuvre. Cette absence de contrôle s’étend par ailleurs aux ordonnances dans la mesure où celles-ci consistent en des mises en œuvre des lois fédérales. Ainsi, la Constitution fédérale, en tant que garante du principe de la séparation des pouvoirs et afin d’empêcher que le pouvoir judiciaire ne puisse s’élever au-dessus du pouvoir législatif ne permet pas que des actes de l’Assemblée fédérale soient portés devant le Tribunal fédéral.

Concernant le droit international public, celui-ci peut considérablement limiter les normes en droit interne. En effet, la Confédération se situe dans un système moniste64, c’est-à-dire qu’elle reconnaît un effet direct aux normes du droit international dès lors qu’elles sont suffisamment claires et précises. Ainsi, afin de limiter les potentiels conflits de normes et étant donné que la Constitution fédérale ne définit pas explicitement de hiérarchie entre les normes de droit international et celles de droit interne, la jurisprudence du Tribunal fédéral a consisté à interpréter le droit interne à la lumière des normes internationales. La résolution de conflits normatifs entre le droit international et le droit interne s’est cependant bien posée pour les juges de Mon- Repos à plusieurs reprises. Dans le cadre d’un conflit entre une norme de droit international et une initiative populaire fédérale (ou tout autre révision constitutionnelle), les initiatives populaires peuvent être déclarées nulles uniquement lorsqu’elles violent les règles impératives du droit international65, notion recouvrant des normes fondamentales telles que l’interdiction du génocide, de la torture ou de l’esclavage. Lorsque l’initiative populaire enfreint d’autres règles du droit international, celle-ci est déclarée valable. Il est alors possible soit de renégocier le traité concerné pour l’adapter à la nouvelle norme constitutionnelle, soit de le dénoncer. Dans le cas d’un conflit entre une norme de droit international et une loi fédérale adoptée postérieurement, si l’Assemblée fédérale adopte sciemment une loi fédérale contraire au droit international, cette loi s’applique (jurisprudence Schubert de 1973). Font exception à cette règle les droits fondamentaux garantis par le droit international, tel que la CEDH (jurisprudence PKK).

En matière de politique migratoire, le sujet des conflits de normes s’est particulièrement posé après l’adoption de l’initiative populaire « Pour le renvoi des étrangers criminels ». Son contenu prévoit en effet de priver les étrangers ayant été jugés coupables d’infractions graves ou d’avoir perçu abusivement des prestations des assurances sociales, de leur titre de séjour et de les interdire d’accéder au territoire suisse pour une période allant de 5 à 15 ans de manière automatique, entrant ainsi en conflit avec la CEDH (Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme). Après que le tribunal fédéral ait jugé que l’article de la Constitution fédérale transposant l’initiative ne pouvait être d’application directe, la loi fédérale de mise en œuvre adoptée par le Parlement a laissé une marge d’appréciation au juge dans le cadre des procédures d’expulsion, contredisant ainsi le texte originel afin de résoudre le conflit de normes en faveur du droit international.

Ainsi, bien que les normes en matière de politique migratoire ne posent pas de difficultés au regard des dispositions du droit interne, l’effet direct du droit international public dans le système juridique helvétique nuance leur portée et aboutit à un jeu d’équilibre dans lequel l’enjeu consiste à concilier ces normes, souvent issues de votations populaires avec le droit primaire et secondaire issus des traités auxquels la Suisse participe.

La politique migratoire suisse semble constituer un paradoxe vis-à-vis de ses voisins européens. Elle est marquée par un niveau d’immigration particulièrement important tout en conservant des critères d’admission exigeants. Si elle se distingue par une immigration essentiellement qualifiée, en provenance d’États industrialisés, elle est également confrontée à des niveaux d’intégration particulièrement contrastés, entre populations issues d’États européens et d’États tiers. Enfin, bien que la Suisse ne soit pas membre de l’Union européenne, son système juridique moniste constitue un frein à la mise en œuvre autonome de sa politique migratoire, face aux normes de la CEDH notamment.

Face à ces défis, le système politique suisse dispose toutefois d’atouts incontestables qui le distinguent de ses voisins européens : les formes d’expression directes et indirectes de participation aux décisions démocratiques par les citoyens constituent un levier important pour trancher le nœud gordien d’une politique migratoire qui cherche sa direction. Les initiatives populaires fédérales pacifient ainsi le débat en instituant à travers le peuple et les cantons un décideur unique et incontestable, donnant à la confrontation des idées toute leur place dans la formation du jugement public. Par ailleurs, face au risque de judiciarisation et de bureaucratisation des procédures, il apparaît que les cantons, avec leurs marges de manœuvres pratiques particulièrement étendues, disposent du pouvoir de moduler la politique migratoire selon leurs orientations.

En 2023, une nouvelle initiative populaire fédérale a été lancée sous l’impulsion de l’UDC, visant à limiter la population suisse à 10 millions d’habitants. Celle-ci prévoit notamment des mesures limitant l’asile et le regroupement familial à partir de 9,5 millions de résidants permanents, puis, dès lors que le seuil des 10 millions d’habitants sera franchi, d’interdire la possibilité d’obtenir une autorisation de séjour ou la nationalité suisse aux personnes admises à titre provisoire. Enfin, si le seuil des 10 millions d’habitants était dépassé durant plus de deux ans, il serait prévu de dénoncer l’accord sur la libre circulation des personnes avec l’Union européenne.

Ainsi, la différence fondamentale entre la Suisse et ses voisins européens consiste en la capacité dont dispose le peuple pour décider de son destin démographique. Le « principe de milice », qui fonde son système politique tout en affermissant son identité collective, lui permet de maîtriser de manière inégalée la gestion de l’immigration dans toutes ses dimensions.

  1. Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2002/243/fr
  2. A-Vaud-Test, Page d’entrainement au test de connaissances officiel dans le cadre de la naturalisation : https://prestations.vd.ch/pub/101112/#/
  3. Commission fédérale des Migrations (CFM), Initiatives visant à restreindre l’immi- gration et contre la surpopulation : https://www.ekm.admin.ch/ekm/fr/home/zu- wanderung—aufenthalt/zuwanderung/geschichtliches/volksinitiativen.html
  4. Commission fédérale des Migrations (CFM), Législation et arrêtés relatifs à la poli- tique d’admission : https://www.ekm.admin.ch/ekm/fr/home/zuwanderung—au- fenthalt/zuwanderung/geschichtliches/gesetze.html
  5. Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1999/404/fr
  6. Convention instituant l’Association Européenne de Libre-Échange (AELE) : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1960/590_635_621/fr
  7. Feuille fédérale, Message concernant la révision totale de la loi fédérale sur l’acquisi- tion et la perte de la nationalité suisse (Loi sur la nationalité, LN), 2011 : https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/2011/422/fr
  8. Feuille fédérale, Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale du 2 juin 1924 con- cernant la réglementation du séjour et de l’établissement des étrangers par le droit fé- déral, 1924 : https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/1924/2_493_511_587/fr
  9. Loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE) du 26 mars 1931 : https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/1931/1_425_437_237/fr
  10. Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration : https://www.fedlex.ad- min.ch/eli/cc/2007/758/fr
  11. Loi sur l’asile : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1999/358/fr
  12. Loi sur la nationalité suisse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2016/404/fr
  13. Office fédéral de la statistique, Acquisition de la nationalité suisse, en milliers : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/migration-integra- tion/citoyennete/acquisition-nationalite.html#21_1545136003040 con- tent_bfs_fr_home_statistiken_bevoelkerung_migration-integration_buer- gerschaft_erwerb-buergerrecht_jcr_content_par_tabs
  14. Office fédéral de la statistique, Bilan de la population résidante permanente étran- gère, de 1951 à 2021, 25 août 2022 : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statis- tiques/population/migration-integration/nationalite-etrangere/composition.html
  15. Office fédéral de la statistique, Code pénal (CP) : Infractions pénales et personnes prévenues de 2009 à 2022, 2023 : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statis- tiques/criminalite-droit-penal/police/prevenus.assetdetail.24368361.html
  1. Office fédéral de la statistique, Effectif et évolution de la population : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/effectif-evolu- tion.html
  2. Office fédéral de la statistique, Jeunes hors du système de formation, selon le statut migratoire – Part des jeunes de 18 à 24 ans sans formation postobligatoire et qui ne sont plus scolarisés : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/themes- transversaux/monitoring-programme-legislature/tous-les-indicateurs/ligne-direc- trice-2-cohesion/jeunes-quittant-prematurement-ecole.assetdetail.23770128.html
  3. Office fédéral de la statistique, Niveau de formation de la population, selon le statut migratoire, diverses caractéristiques socio-démographiques et les grandes régions, 2022 : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/migration- integration/indicateurs-integration/indicateurs/niveau-acheve.assetde- tail.23647363.html
  4. Office fédéral de la statistique, Part de la population ayant migré en Suisse selon la raison principale de leur dernière migration, diverses caractéristiques socio-démogra- phiques et la région linguistique : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statis- tiques/population/migration-integration/migration-internationale/raisons-migra- tion.assetdetail.7126664.html
  5. Office fédéral de la statistique, Part de la population de nationalité suisse de 18 ans ou plus participant fréquemment aux votations fédérales, selon le statut migratoire, di- verses caractéristiques socio-démographiques et les grandes régions, 2022 : https://www.bfs.admin.ch/bfs/de/home/dienstleistungen/fuer-medienschaf- fende.assetdetail.23647394.html
  6. Office fédéral de la statistique, Taux d’aide sociale selon la nationalité et le lieu de naissance, le sexe et la classe d’âge, 2022 : https://www.bfs.ad- min.ch/bfs/fr/home/statistiques/catalogues-banques-donnees/tableaux.assetde- tail.23647412.html
  7. Office fédéral de la statistique, Taux de chômage au sens du BIT, selon le statut mi- gratoire, diverses caractéristiques socio-démographiques et les grandes régions, 12 dé- cembre 2022 : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiken/kataloge-daten- banken/tabellen.assetdetail.23647392.html
  8. Office fédéral de la statistique, Taux de pauvreté des personnes actives occupées, se- lon le statut migratoire, diverses caractéristiques socio-démographiques et les grandes régions, 2022 : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/mi- gration-integration/indicateurs-integration/conditions-vie-pauvrete/taux-pauvrete- actifs-occupes.html
  9. Office fédérale de la statistique, Population selon le statut migratoire et la nationa- lité, en 2021 : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/migra- tion-integration/selon-statut-migratoire.assetdetail.23245589.html
  10. Ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2007/759/fr
  11. Secrétariat d’État aux Migrations (SEM), Monitoring des visas : https://www.sem.ad- min.ch/sem/fr/home/publiservice/statistik/visamonitoring.html
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  18. SRG SSR/Sotomo, Wahlbarometer, Studienbericht, juillet 2023 : https://sotomo.ch/site/wp-content/uploads/2023/07/SRG_Wahlbarometer_Haupt- bericht.pdf
  19. Tamedia pour 20 Minutes, Das Leben in der Schweiz, étude portant sur 50740 per- sonnes selon des variables démographiques et géographiques du 24 octobre au 13 novembre 2022 et publié le 11 avril 2023 : https://www.tamedia.ch/tl_files/con- tent/Group/PDF%20Files/Deutsch/20230411%20Bericht%20Umfrage%20Le- ben%20der%20Schweiz.pdf
  20. Tognina, Andrea, Zwischen Arbeitskräftemangel und Fremdenangst, swissinfo.ch, 2014 : https://www.swissinfo.ch/ger/politik/schweiz-italien_zwischen-ar- beitskraeftemangel-und-fremdenangst/38083426
  21. Von Rütte, Barbara, Das neue Bürgerrechtsgesetz, Zentrum für Migrationsrecht der Universität Bern, Anwaltsrevue, 2017 : https://bo- ris.unibe.ch/118257/1/von_Ruette_2017_Das_neue_Buergerrechtsgesetz.pdf

  1. SRG       SSR/Sotomo,       Wahlbarometer,   Studienbericht,             juillet     2023      :             https://sotomo.ch/site/wp- content/uploads/2023/07/SRG_Wahlbarometer_Hauptbericht.pdf ↩︎
  2. Commission fédérale des migrations, Initiatives visant à restreindre l’immigration et contre la surpopulation : https://www.ekm.admin.ch/ekm/fr/home/zuwanderung— aufenthalt/zuwanderung/geschichtliches/volksinitiativen.html ↩︎
  3. Il est à noter que cette initiative a été validée à rebours des recommandations du Conseil fédéral et de la majorité des partis politiques, des syndicats et des groupes d’entreprises ↩︎
  4. D’Amato Gianni, Efionayi-Mäder Denise, Marges de manœuvre cantonales en mutation, Swiss Forum for Migration and Population Studies, Université de Neuchâtel, octobre  2019 : https://www.unine.ch/files/live/sites/sfm/files/listes_publicationsSFM/Etudes%20du%20SFM/SFM%20-%20Studies%2073f.pdf
    ↩︎
  5. Heiniger, Marcel, Einwanderung, Historisches Lexikon der Schweiz, 7 décembre 2006 : https://hls-dhs- dss.ch/de/articles/007991/2006-12-07/ ↩︎
  6. Ibidem ↩︎
  7. A travers l’ajout de l’article 47bis dans la Constitution fédérale du 29 mai 1874 : « Les conditions relatives à l’entrée, à la sortie, au séjour et à l’établissement des étrangers seront réglées par la législation. Les cantons décident en principe, d’après le droit fédéral, du séjour et de l’établissement. La Confédération décide en dernier lieu en ce qui concerne les permis cantonaux d’établissement et de tolérance, les expulsions cantonales étendant leurs effets au territoire de la Confédération, la violation des traités d’établissement et le refus de l’asile. » https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/1924/2_493_511_587/fr ↩︎
  8. Meyer, Helmut, Migration – Einwanderung in die Schweiz und Auswanderung aus der Schweiz, Schweizerisches Nationalmuseum, 2011 : https://www.landesmuseum.ch/landesmuseum/ihr- besuch/schulen/archiv-da/geschichte-schweiz.-migration-ii.pdf ↩︎
  9. Loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE) du 26 mars 1931, article 16, Feuille fédérale : https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/1931/1_425_437_237/fr ↩︎
  10. Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale du 2 juin 1924 concernant la réglementation du séjour et de l’établissement des étrangers par le droit fédéral, Feuille fédérale, 1924 : https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/1924/2_493_511_587/fr ↩︎
  11. Angehrn,                 Livia           et        Stognic,           Aljoscha,    Arbeitsmigration    nach    1945,    Sozialgeschichte.ch : https://www.sozialgeschichte.ch/themen/arbeitsmigration-nach-1945/ ↩︎
  12. Vuilleumier, Marc, Ausländer, Historisches Lexikon der Schweiz, 9 juillet 2015 : https://hls-dhs- dss.ch/de/articles/010384/2015-07-09/ ↩︎
  13. Ibidem ↩︎
  14. Ibidem ↩︎
  15. Ibidem ↩︎
  16. Vuilleumier, Marc, Ausländer, Historisches Lexikon der Schweiz, 9 juillet 2015 : https://hls-dhs- dss.ch/de/articles/010384/2015-07-09/ ↩︎
  17. Ibidem ↩︎
  18. Ibidem ↩︎
  19. Ibidem ↩︎
  20. Sur les 3 initiatives qui n’ont pas fait l’objet d’une votation populaire, celle de 1968 contre l’emprise étrangère fut retirée, tandis que celles de 1987 contre l’emprise étrangère et 1988 pour la limitation de l’accueil des demandeurs d’asile échouèrent au stade de la collecte de signatures. ↩︎
  21. Il est à noter que le vote pour l’initiative Schwarzenbach est corrélé avec la densité de population étrangère présente sur le plan communal, en particulier dans les régions urbaines : Piguet, Etienne, Mahnig, Hans, Quotas d’immigration. L’expérience suisse, Cahiers de migrations internationales, Genève, 2000 ↩︎
  22. Mahnig, Hans (sous la direction de), Histoire de la politique de migration, d’asile et d’intégration en Suisse depuis 1948, Collection Cohésion sociale et pluralisme culturel, Seismo, 2005 : https://www.unige.ch/sciences- societe/socio/files/8114/0533/6235/NiederbergerinMahnig2005.pdf ↩︎
  23. Ibidem ↩︎
  24. Parteienkompass,                      données         issues          du          questionnaire smartvote/sotomo: https://parteienkompass.ch/de/parteien ↩︎
  25. Smartmonitor,     Classement          de          la             politique de          migration            et             d’intégration        par         parti      : https://smartmonitor.ch/fr/issues/6 ↩︎
  26. Tamedia pour 20 Minutes, Das Leben in der Schweiz, étude portant sur 50740 personnes selon des variables démographiques et géographiques du 24 octobre au 13 novembre 2022 et publié le 11 avril 2023 : https://www.tamedia.ch/tl_files/content/Group/PDF%20Files/Deutsch/20230411%20Bericht%20Umfrage%20Leben
    %20der%20Schweiz.pdf ↩︎
  27. Office    fédéral   de          la           statistique,           Effectif             et           évolution             de          la             population : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/effectif-evolution.html ↩︎
  28. Office fédéral de la statistique, Bilan de la population résidante permanente étrangère, de 1951 à 2021, 25 août 2022 : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/migration-integration/nationalite- etrangere/composition.html ↩︎
  29. Cette catégorie comprend 27 pays selon le dernier état de l’UE, c’est-à-dire hors Royaume-Uni. ↩︎
  30. L’Office fédéral de la statistique établit une typologie de la population par statut migratoire, combinant les données sur le pays de naissance, la nationalité actuelle et à la naissance ainsi que les variables du pays de naissance des deux parents. La population issue de l’immigration comprend les personnes de nationalité étrangère ou naturalisées – à l’exception de celles nées en Suisse et dont les deux parents sont nés en Suisse – ainsi que les Suisses à la naissance dont les deux parents sont nés à l’étranger. ↩︎
  31. Office fédérale de la statistique, Population selon le statut migratoire et la nationalité, en 2021 : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/migration-integration/selon-statut- migratoire.assetdetail.23245589.html ↩︎
  32. Il est à noter que cette statistique inclut également les citoyens suisses de l’étranger qui retournent en Suisse. Office fédéral de la statistique, Part de la population ayant migré en Suisse selon la raison principale de leur dernière     migration,                  diverses               caractéristiques                  socio-démographiques                  et                  la                  région                  linguistique : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/migration-integration/migration- internationale/raisons-migration.assetdetail.7126664.html ↩︎
  33. Office fédéral de la statistique, Taux de chômage au sens du BIT, selon le statut migratoire, diverses caractéristiques                              socio-démographiques     et                              les                           grandes                           régions,                              12                       décembre                              2022 :
    https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiken/kataloge-datenbanken/tabellen.assetdetail.23647392.html ↩︎
  34. Il est toutefois à noter qu’en matière de taux d’activité, c’est-à-dire de la part de personnes actives (en emploi ou non) en part de la population, il n’existe qu’une faible différence entre la population non-issue de l’immigration et celle issue de l’immigration (85% contre 83%). Le taux d’activité en équivalent temps plein est lui légèrement plus élevé pour la population issue de l’immigration (75% contre 72%). ↩︎
  35. Il est à noter que pour les différents indicateurs choisis, le statut migratoire n’est pas toujours une donnée mise à disposition par l’OFS. Lorsque tel est le cas, nous avons pris le parti d’utiliser le critère de la nationalité comme différenciant, afin d’apprécier l’impact de l’immigration sur la thématique étudiée. ↩︎
  36. Chiffres de 2021. Office fédéral de la statistique, Niveau de formation de la population, selon le statut migratoire,             diverses  caractéristiques    socio-démographiques             et           les         grandes  régions,  2022 : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/migration-integration/indicateurs- integration/indicateurs/niveau-acheve.assetdetail.23647363.html ↩︎
  37. Office fédéral de la statistique, Jeunes hors du système de formation, selon le statut migratoire – Part des jeunes de 18 à 24 ans sans formation postobligatoire et qui ne sont plus scolarisés : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/themes-transversaux/monitoring-programme-legislature/tous- les-indicateurs/ligne-directrice-2-cohesion/jeunes-quittant-prematurement-ecole.assetdetail.23770128.html ↩︎
  38. Office fédéral de la statistique, Taux de pauvreté des personnes actives occupées, selon le statut migratoire, diverses             caractéristiques    socio-démographiques       et             les          grandes régions, 2022 : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/migration-integration/indicateurs- integration/conditions-vie-pauvrete/taux-pauvrete-actifs-occupes.html ↩︎
  39. Office fédéral de la statistique, Taux d’aide sociale selon la nationalité et le lieu de naissance, le sexe et la classe            d’âge,            2022 : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/catalogues-banques- donnees/tableaux.assetdetail.23647412.html ↩︎
  40. Office fédéral de la statistique, Part de la population de nationalité suisse de 18 ans ou plus participant fréquemment aux votations fédérales, selon le statut migratoire, diverses caractéristiques socio-démographiques et les grandes           régions,                       2022 : https://www.bfs.admin.ch/bfs/de/home/dienstleistungen/fuer- medienschaffende.assetdetail.23647394.html ↩︎
  41. Office fédéral de la statistique, Code pénal (CP) : Infractions pénales et personnes prévenues de 2009 à 2022, 2023 : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/criminalite-droit- penal/police/prevenus.assetdetail.24368361.html ↩︎
  42. Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2002/243/fr Convention instituant l’Association Européenne de Libre-Échange (AELE) : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1960/590_635_621/fr ↩︎
  43. Il est à noter qu’en matière de statistiques, les titulaires d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement sont inclus dans la population résidante permanente, tandis que les autres titres de séjour relèvent de la population résidante non permanente. ↩︎
  44. Conseil fédéral, Ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative (OASA)
    pour 2023 : https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/73962.pdf ↩︎
  45. D’Amato Gianni, Efionayi-Mäder Denise, Marges de manœuvre cantonales en mutation, Swiss Forum for Migration        and         Population        Studies,                       Université                        de                       Neuchâtel,                       octobre                       2019 :
    https://www.unine.ch/files/live/sites/sfm/files/listes_publicationsSFM/Etudes%20du%20SFM/SFM%20-
    %20Studies%2073f.pdf ↩︎
  46. Ibidem ↩︎
  47. Secrétariat d’État aux migrations, Prévisions en matière d’asile pour 2023, 24 janvier                                                                                    2023 :
    https://www.sem.admin.ch/sem/fr/home/sem/medien/mm.msg-id-92636.html ↩︎
  48. Eurostat, 2021 ↩︎
  49. La désignation des États d’origine et des États tiers sûrs, innovation d’origine suisse, est soumise à un contrôle période et toute modification de la liste fait l’objet d’une consultation préalable des commissions compétentes de l’Assemblée fédérale. Les États tiers sûrs désignent les États dans lesquels le principe de non- refoulement est respecté, c’est-à-dire où il n’y a pas de risque que la personne soit contrainte de se rendre dans un pays où sa vie, son intégrité corporelle ou sa liberté seraient menacées. ↩︎
  50. La procédure accélérée a notamment permis un taux de traitement des demandes d’asile en 2013 de 115% pour les requérants de Tunisie (dont 95% de déboutés), 113% pour ceux du Nigéria (84% de déboutés), 123% pour ceux du Kosovo (81% de déboutés). Del Biaggio Cristina, Soysüren, Ibrahim, Le couteau suisse des politiques migratoires , Plein droit, 2019/2 (n° 121), p. 3-6. DOI : 10.3917/pld.121.0005. : https://www.cairn.info/revue-plein- droit-2019-2-page-3.htm ↩︎
  51. Durant son séjour dans un centre de la Confédération, le requérant n’a pas le droit d’exercer d’activité lucrative. ↩︎
  52. Le critère d’inexigibilité a été progressivement élargi pour intégrer les aspects liés au bien-être de l’enfant ou l’état de santé de la personne ↩︎
  53. Secrétariat d’État aux migrations, Asile : statistiques de 2022, 13 février 2023 : https://www.sem.admin.ch/sem/fr/home/sem/medien/mm.msg-id-93006.html ↩︎
  54. L’exécution du renvoi peut être illicite (violation du droit international public), inexigible (mise en danger concrète de l’étranger) ou impossible (raisons techniques d’exécution) ↩︎
  55. 22 639 personnes admises à titre provisoire en 2013, contre 44 806 en novembre 2022. ↩︎
  56. Le droit de cité précise l’appartenance d’un citoyen ou d’une citoyenne suisse à une commune et un canton. ↩︎
  57. A titre d’exemple, dans le canton de Vaud, les candidats à la naturalisation passent un test de connaissances portant sur la Suisse, le canton et leur commune. Le test aborde quatre thèmes : l’histoire, la géographie, les institutions politiques et la société. Parmi les questions posées pour une demande de naturalisation d’un résidant de la commune de Chardonne, il peut y avoir : « Laquelle de ces rivières prend sa source sur la commune de Chardonne et marque la limite de son territoire à l’ouest ? » ; « Quelle guerre civile entre cantons conservateurs et cantons progressistes a favorisé la création de la Suisse moderne ? » ; « Qui était le Major Davel
    ? » ; « Quand a été construite la chapelle qui deviendra l’église de Chardonne ? » ; « Quel aliment compose principalement les « rösti » (plat typique suisse) ? » ; « Où est célébrée la « Fête des Vignerons » ? » ; « Quelle est la manifestation publique la plus connue de la commune de Chardonne ? ». A-Vaud-Test, Page d’entrainement au test de connaissances officiel dans le cadre de la naturalisation : https://prestations.vd.ch/pub/101112/#/ ↩︎
  58. Voies de recours : les cantons instituent des autorités judiciaires permettant d’effectuer des recours contre le refus de naturalisation ordinaire en qualité d’autorités cantonales de dernière instance. ↩︎
  59. D’Amato Gianni, Efionayi-Mäder Denise, Marges de manœuvre cantonales en mutation, Swiss Forum for Migration         and        Population         Studies,                       Université                        de                       Neuchâtel,                       octobre                       2019 :
    https://www.unine.ch/files/live/sites/sfm/files/listes_publicationsSFM/Etudes%20du%20SFM/SFM%20-
    %20Studies%2073f.pdf ↩︎
  60. Wanner, Philippe, Galeano, Juan à l’attention de la Commission fédérale des migrations (CFM), Le paysage de la naturalisation en Suisse – évolution 1992-2010 : https://www.unige.ch/sciences- societe/ideso/recherche/naturalisation-f/ ↩︎
  61. D’Amato Gianni, Efionayi-Mäder Denise, Marges de manœuvre cantonales en mutation, Swiss Forum for Migration and Population Studies, Université de Neuchâtel, octobre 2019 :
    https://www.unine.ch/files/live/sites/sfm/files/listes_publicationsSFM/Etudes%20du%20SFM/SFM%20-
    %20Studies%2073f.pdf ↩︎
  62. Ces compétences peuvent être validées par un test de connaissance dans le cadre de la procédure de naturalisation. ↩︎
  63. Habermas, Jürgen ↩︎
  64. Article 5 de la Constitution fédérale : « La Confédération et les cantons respectent le droit international. » ↩︎
  65. Cette décision a déclenché l’initiative populaire « Le droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l’autodétermination) qui prévoyait de placer le droit suisse au-dessus du droit international mais qui fut refusée à 66% par le peuple et par l’ensemble des cantons en 2018. ↩︎